Histoire des neuropathies périphériques : deuxième partie ...Tooth, mais plus sévère et surtout...

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Jean-Martin Charcot. J M ti Ch t Pierre Marie. Pi M i Titre du mémoire de Charcot et Marie. Ti Titre d du é mém i oir d ed C eCh harcot et M Ma i rie Atrophie musculaire des jambes et des mains. 370 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVIII - n o 10 - décembre 2014 MISE AU POINT Histoire des neuropathies périphériques : deuxième partie History of peripheral neuropathy: second part P. Bouche* * Département de neurophysiologie clinique, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. L’ année 1886 est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire des névrites périphé- riques et plus particulièrement des neuro- pathies héréditaires. Coup sur coup paraissent 2 publications : pour l’une, il s’agit d’un mémoire édité dans la Revue de médecine, et pour l’autre, d’une thèse présentée à l’université de Cambridge, en Angleterre. La première est l’œuvre de Jean- Martin Charcot et de son élève Pierre Marie. Charcot est alors au sommet de sa carrière et de sa notoriété, qui est internationale. Il reçoit dans son service de la Salpêtrière tous les grands noms de la neurologie, de la psychiatrie et du monde non médical. Il reçoit également les grands de ce monde dans son hôtel particulier du boule- vard Saint-Germain. Il a pu rassembler autour de lui une équipe de jeunes neurologues qui lui sont tout dévoués, dont Marie fait partie. Quelques années plus tôt, en 1882, la chaire des maladies du système nerveux fut créée pour lui, la première au monde, grâce à Gambetta, Premier ministre de l’époque et ami de Charcot. Entre 1885 et 1886, Freud passa quelques semaines avec Charcot, assistant principalement aux séances sur l’hystérie. Marie (1853-1940) fut interne de Charcot en 1882 et put ainsi parti- ciper au mémoire édité en 1886. Les 2 auteurs rappor- tent 5 observations d’atrophie musculaire progressive souvent familiale. Ce n’est donc pas, semble-t-il, dans le domaine à proprement parler des névrites que se rattachent ces observations, mais dans celui du large cadre des atro- phies musculaires progressives largement morcelé en formes secondaires. Ces 5 cas comprennent 3 garçons âgés de 9 ans, 11 ans et demi et 7 ans, ce dernier, frère du précédent, et 2 jeunes femmes âgées de 24 et 25 ans. La notion familiale ne concerne que les 2 frères, les autres cas paraissent sporadiques. Ce qui caractérise ce nouveau type d’atrophie est la localisation initiale aux jambes, prenant l’aspect d’une atrophie péronière. L’atrophie prédomine largement sur les autres aspects de la maladie, ce qui a logi- quement rattaché cette nouvelle entité au groupe des atrophies musculaires progressives. Les muscles de la loge antéro-externe de la jambe sont atteints initialement, avant ceux de la loge postérieure. Aux cuisses, les muscles gardent plus longtemps leur volume. Les muscles des mains sont touchés en moyenne 2 à 5 ans après ceux des jambes, puis l’atrophie gagne les avant-bras. Les autres muscles paraissent indemnes. L’atteinte est généralement symétrique. Les crampes sont fréquentes. Les patients sont en parfait état général. Les réflexes tendineux finissent par disparaître. Il existe aussi des troubles vasomoteurs, des contractions fibril- laires dans les muscles atrophiés (probablement des fasciculations). Les troubles sensitifs sont rares : absents chez 4 des patients, présents dans 1 cas où ils étaient très prononcés et accompagnés de douleurs. L’évolution est lente, voire très lente. Le caractère familial n’a été trouvé que chez les 2 frères atteints. Avant ce remarquable mémoire, d’autres obser- vations qui paraissent être de même nature que celles de Charcot et Marie avaient été publiées.

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  • Jean-Martin Charcot.J M ti Ch t

    Pierre Marie.Pi M i

    Titre du mémoire de Charcot et Marie.TiTitre ddu émém ioir de d Ce Chharcot et MMa irie

    Atrophie musculaire des jambes et des mains.

    370 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVIII - no 10 - décembre 2014

    MISE AU POINT

    Histoire des neuropathies périphériques : deuxième partieHistory of peripheral neuropathy: second part

    P. Bouche*

    * Département de neurophysiologie clinique, hôpital de la Pitié- Salpêtrière, Paris.

    L’année 1886 est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire des névrites périphé-riques et plus particulièrement des neuro-pathies héréditaires. Coup sur coup paraissent 2 publications : pour l’une, il s’agit d’un mémoire édité dans la Revue de médecine, et pour l’autre,

    d’une thèse présentée à l’université de Cambridge, en Angleterre.

    La première est l’œuvre de Jean-Martin Charcot et de son élève Pierre Marie. Charcot est alors au sommet de sa carrière et de sa notoriété, qui est internationale. Il reçoit dans son

    service de la Salpêtrière tous les grands noms de la neurologie, de la psychiatrie et du monde non médical. Il reçoit également les grands de ce monde dans son hôtel particulier du boule-vard Saint-Germain. Il a pu rassembler autour de

    lui une équipe de jeunes neurologues qui lui sont tout dévoués, dont Marie fait partie. Quelques années plus tôt, en 1882, la chaire des maladies du système nerveux

    fut créée pour lui, la première au monde, grâce à Gambetta, Premier ministre de l’époque et ami de Charcot. Entre 1885 et 1886, Freud passa quelques semaines

    avec Charcot, assistant principalement aux séances sur l’hystérie. Marie (1853-1940) fut interne de Charcot en 1882 et put ainsi parti-ciper au mémoire édité en 1886. Les 2 auteurs rappor-tent 5 observations

    d’atrophie musculaire progressive souvent familiale. Ce n’est donc pas, semble-t-il, dans le domaine à proprement parler des névrites que se rattachent ces observations, mais dans celui du large cadre des atro-phies musculaires progressives largement morcelé

    en formes secondaires. Ces 5 cas comprennent 3 garçons âgés de 9 ans, 11 ans et demi et 7 ans, ce dernier, frère du précédent, et 2 jeunes femmes âgées de 24 et 25 ans. La notion familiale ne concerne que les 2 frères, les autres cas paraissent sporadiques. Ce qui caractérise ce nouveau type d’atrophie est la localisation initiale aux jambes, prenant l’aspect d’une atrophiepéronière. L’atrophie prédomine largement sur les autres aspects de la maladie, ce qui a logi-quement rattaché cette nouvelle entité au groupe des atrophies musculaires progressives. Les muscles de la loge antéro-externe de la jambe sont atteints initialement, avant ceux de la loge postérieure. Aux cuisses, les muscles gardent plus longtemps leur volume. Les muscles des mains sont touchés en moyenne 2 à 5 ans après ceux des jambes, puis l’atrophie gagne les avant-bras. Les autres muscles paraissent indemnes. L’atteinte est généralement symétrique. Les crampes sont fréquentes. Les patients sont en parfait état général. Les réfl exes tendineux fi nissent par disparaître. Il existe aussi des troubles vasomoteurs, des contractions fi bril-laires dans les muscles atrophiés (probablement des fasciculations). Les troubles sensitifs sont rares : absents chez 4 des patients, présents dans 1 cas où ils étaient très prononcés et accompagnés de douleurs. L’évolution est lente, voire très lente. Le caractère familial n’a été trouvé que chez les 2 frères atteints.Avant ce remarquable mémoire, d’autres obser-vations qui paraissent être de même nature que celles de Charcot et Marie avaient été publiées.

  • Nikolaus Friedreich.Nik l F i d i h

    Howard Henry Tooth.

    Page de garde de la thèse de Tooth.

    Page de garde de la thèse

    La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVIII - no 10 - décembre 2014 | 371

    RésuméCette deuxième partie de l’histoire des neuropathies périphériques, qui va de 1884 à 1914, recouvre ainsi 30 années dominées par l’entrée des neuropathies héréditaires dans la nosologie. Il s’agit d’abord de la forme rapportée par Charcot et Marie en 1886, et par Tooth, la même année. Un peu plus tard, est publié le mémoire de Dejerine et Sottas (1893) sur une affection proche de celle observée par Charcot, Marie et Tooth, mais plus sévère et surtout caractérisée par l’hypertrophie des nerfs. Les aspects cliniques et histo-pathologiques des autres névrites (alcool, diabète) sont définitivement établis. Le syndrome de Landry est rattaché aux névrites pour une grande partie des cas. Mémoires, thèses, livres sur les névrites sont publiés à la fin de ce siècle (van Leyden [1888], Dejerine-Klumpke [1889], Roos et Bury [1893] et Babinski [1894]).

    Mots-clésNévrites héréditairesMaladie de Charcot-Marie-ToothMaladie de Dejerine-SottasNévrite alcooliqueNévrite diabétiqueSyndrome de Landry

    SummaryThat second part of the history of peripheral neuropathy which starts in 1884 and ends in 1914, encompasses thirty years that were dominated by the introduction in nosology of the inherited neuropathies. The fi rst form was reported by Charcot and Marie (1886) and Tooth the same year. Later, Dejerine and Sottas (1893), published a memoire about a disease close to the precedent form, although more severe and characterized by hypertrophic nerves. The clinical and histopathological aspects of other neuritis were defi nitively established (alcohol, diabetes). The Landry syndrome was included in the neuritis group, at least for a majority of cases. Memoire, thesis and books about periph-eral neuritis were published at the end of that century (van Leyden [1888], Dejerine-Klumpke [1889], Ross and Bury [1893] and Babinski [1894]).

    KeywordsInherited peripheral neuropathyCharcot-Marie-Tooth diseaseDejerine-Sottas diseaseAlcoholic neuritisDiabetic neuritisLandry syndrome

    En premier lieu, celle de Rudolf Virchow (1821-1902), en 1855, qui concernait un jeune homme de 21 ans présentant une paralysie avec atrophie musculaire des 4 membres, débutant aux membres inférieurs. À l’autopsie (décès dû à une tuberculose à l’âge de 44 ans), la moelle était normale, le nerf tibial était épaissi et il existait une perte en fi bres nerveuses. Le père du patient semblait présenter la même affection, de début un peu plus tardif.

    Michael Eulenburg (1811-1897), en 1856, rapportait les observations de 2 frères jumeaux atteints d’une affection de même nature que celle décrite par Charcot et Marie, débutant à l’âge de 18 ans. C’est surtout Hermann Eichhorst (1849-1921) qui donna, en 1873, les éléments les plus décisifs pour une maladie héréditaire : il rapporta les observa-tions de patients sur 6 générations, présentant cette affection. Lui-même put examiner 7 d’entre eux. Le tableau clinique était identique à celui

    décrit par Charcot et Marie. Il n’y avait aucun trouble sensitif.

    La même année, le célèbre Nikolaus Friedreich (1825-1882) – qui décrivit l’ataxie qui porte maintenant son nom

    – rapportait des cas similaires avec pour certains une vérifi cation

    anatomique. Il a ainsi pu observer que les nerfs présentaient u n e d é g é n é re s c e n c e axonale et une hyperplasie des cellules de Schwann. Schultze (1884) décrivit

    également 3 membres d’une même famille qui présentaient un tableau typique et, selon lui, dû à une atteinte multiple des nerfs périphériques.

    Comme on peut le constater, il y avait déjà de nombreux éléments en faveur de l’unité de cette nouvelle entité décrite par Charcot et Marie.Quelle était la nature de cette affection ? Charcot et Marie évoquèrent l’hypothèse d’une myélopathie ou encore d’une névrite multiple ; ils avouèrent ne pas pouvoir trancher par manque de données anato-miques, mais ils penchaient plutôt en faveur de la première hypothèse.

    Jules Dejerine (1849-1917) proposa que cette nouvelle maladie prenne le nom de “maladie d’Eichhorst”. Mais cela ne réunit pas l’assen-timent des autres neurologues, dont Friedreich et, fi nalement, c’est Charcot et Marie qui en gardèrent la paternité. On peut constater qu’il n’existait pas une franche fraternité professionnelle entre l’équipe de la Salpêtrière et celle de Dejerine.

    La reconnaissance (future) de la paternité de cette nouvelle maladie fut tout de même perturbée par un nouveau venu. Il s’agit de l’Anglais Howard Henry Tooth (1856-1925). Après être passé au collège St John de Cambridge, il poursuit ses travaux à l’hôpital St Bartholomew à Londres. Il présente sa thèse de doctorat à l’université de Cambridge en 1886. Le titre en est “The peroneal type of progressive muscular atrophy”. Il rapporte 4 observations. La première est celle d’un jeune garçon de 7 ans, sans antécédent familial, qui présente une atrophie du tiers inférieur des cuisses et de la jambe gauche, un pied varus, pas de fibrillation musculaire. Le deuxième cas est celui d’une jeune femme de 28 ans, avec un début à la jambe droite, des entorses fréquentes, un mollet atrophié, rien aux membres supérieurs, les muscles des cuisses faibles, pas de trouble sensitif, pas de fibrillation musculaire. Le troisième cas est un homme de 49 ans qui a présenté à l’âge de 15 ans une atrophie des jambes puis, 9 ans plus tard, des mains, associée à une scoliose. Sa mère aurait p r é s e n t é l e s m ê m e s symptômes. Le quatrième cas est celui d’un homme de 46 ans qui présente depuis l’âge de 9 ans une

  • Johann Hoffmann.J h H ff

    Jules Dejerine.J l D j i

    Atrophie péronière très asymétrique chez un des patients

    de Tooth.

    AAtr hophiie épér ionièère trèès

    372 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVIII - no 10 - décembre 2014

    Histoire des neuropathies périphériques : deuxième partieMISE AU POINT

    atrophie musculaire des jambes, sans histoire familiale. Tooth reprend l’analyse des cas publiés (Eichhorst, Eulenburg, Friedreich, Ormerod) et propose de nommer ce nouveau type d ’at rophie musculaire progressive “de type péronier” pour bien souligner la

    différence avec les autres formes d’atrophie musculaire progressive qui intéressent soit les mains (de

    type Aran-Duchenne), soit les parties proximales des membres. Le début a généralement lieu avant l’âge de 20 ans, et souvent plus tôt dans la petite enfance. Les muscles péroniers sont donc touchés en premier, il existe fréquemment − mais pas toujours − des fibrillations musculaires (sans doute des fasciculations), la réaction de dégéné-rescence est assez tardive et le caractère familial est fréquemment trouvé. Tooth rapporte aussi les cas anatomiques publiés d’où il ressort que les lésions les plus souvent rencontrées sont une névrite interstitielle chronique et parfois une hyper-trophie des nerfs. Il conclut ainsi sa thèse :

    ➤ il s’agit d’une forme d’atrophie musculaire progressive de type péronier ;

    ➤ les mains et les avant-bras sont atteints plus tardivement ;

    ➤ le début a lieu dans l’enfance ; ➤ il y a le plus souvent une notion héréditaire ; ➤ il y a une prédominance masculine ; ➤ on peut observer des fi brillations musculaires et

    des tremblements ; ➤ il peut exister des signes électriques précoces ; ➤ c’est une affection des nerfs périphériques.

    C’est ainsi qu’en 1886 paraît établie de façon remar-quable par 2 Français et 1 Anglais une nouvelle entité qui s’appellera d’abord “maladie de Charcot-Marie”, puis “maladie de Charcot-Marie-Tooth”.

    L’origine nerveuse périphérique de cette affection avait été affirmée par Tooth et d’autres auteurs, notamment Johann Hoffmann (1857-1919) de la clinique neurologique d’Heidelberg, où il succéda au célèbre professeur Wilhelm Erb (1840-1921). Hoffmann est connu pour

    son signe et son association à Werdnig pour la maladie de Werdnig-Hoffmann. Il proposa de nommer cette affection “progressive neural” ou “neurotic muscular atrophy” pour souligner ainsi l’origine nerveuse périphérique de la maladie, suggérant que cette atrophie

    musculaire progressive était due à une dégénéres-cence des nerfs périphériques, ascendante depuis la périphérie. Hoffmann choisit le terme neuroticou neural pour souligner que le processus patholo-gique était principalement de nature dégénérative et non inflammatoire ou infectieuse ce qu’aurait pu indiquer le terme de névrite. À la suite de l’article d’Hoffmann, et principalement dans la littérature allemande, son nom fut parfois accolé à celui de Charcot, Marie et Tooth pour décrire cette entité.D’autres cas familiaux présentant ce type d’affection furent ensuite rapportés. On peut retenir celui décrit par Bernhardt (1893) où la mère et ses 2 filles étaient atteintes et où, outre l’aspect maintenant classique d’atrophie péronière, il existait des douleurs de type tabétique et des troubles sensitifs marqués.

    L’année 1893 est marquée par une nouvelle avancée d’importance dans l’histoire des neuropa-thies périphériques familiales, rapportée par une équipe française rivale de celle de la Salpêtrière. Dejerine et Sottas rapportent en effet 2 cas : il s’agit de 2 enfants de la même famille qui présentent une neuropathie périphérique singulière sous plusieurs aspects par rapport aux cas de la maladie de Charcot-Marie-Tooth. Jules Dejerine , dont nous avons déjà parlé, est professeur agrégé en 1886, marié à Augusta Klumpke en 1888 dont nous parlerons plus loin. Il est le chef du département de neurologie de l’hôpital Bicêtre de 1887 à 1894 avant d’occuper le service de neurologie de la division Jacquart à la Salpêtrière, après la mort de Charcot. Après Charcot, la neurologie parisienne sera dominée par Dejerine et, à un moindre degré, par Marie dont le service de neurologie à Bicêtre atteint rapidement une réputation mondiale à partir de 1897. Dejerine et Marie vont ensuite s’affronter sur la localisation de l’aphasie, mais cela n’est pas notre sujet. Babinskiest le troisième homme important de cette fi n de siècle, à la Salpêtrière puis à la Pitié où il aura son service, nous y reviendrons. Jules Sottas (1866-1945) est chargé de laboratoire dans le service de Dejerine. Ensemble, ils publient un volumineux mémoire intitulé “Sur la névrite, interstitielle, hyper-trophique et progressive” , présenté à la Société de biologie. Ils rapportent ainsi 2 cas d’enfants du même

  • Page de garde de l’article de Dejerine et Sottas.

    Page de garde de l’article

    Aspect des membres inférieurs dans un des cas

    de Dejerine et Sottas.

    AAsp tect ddes m bembres iinféfériieurs

    Aspect très hypertrophique des racines lombo-sacrées dans le cas de Gombault et Mallet.

    La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVIII - no 10 - décembre 2014 | 373

    MISE AU POINT

    père et de la même mère, observés à l’hospice de Bicêtre pendant plusieurs a n n é e s . L e s p a r e n t s paraissaient indemnes de maladie neurologique et ont eu 9 enfants dont 5 décédés en bas âge. Des 4 survivants, 2 frères sont

    bien portants, les 2 autres sont les patients : la première est morte à l’âge de 45 ans. Elle présentait depuis la petite enfance une déformation des pieds, double pied bot varus extrê-mement prononcé, ainsi qu’une atrophie majeure des muscles des jambes et des cuisses, une atrophie des membres supérieurs de type Aran-Duchenne, diminuant de bas en haut, et une cyphoscoliose excessive. Elle avait des troubles très marqués de la sensibilité, des douleurs fulgurantes, une incoor-dination très nette des membres supérieurs, moins nette aux membres inférieurs, sans doute du fait de l’atrophie. La marche était possible, mais diffi cile et incertaine, avec l’impossibilité de se tenir debout les yeux fermés (signe de Romberg). À cela s’ajou-taient une abolition des réfl exes tendineux, de légers mouvements choréiformes de la tête et du tronc, un myosis et un nystagmus, des contractions fi bril-laires dans les muscles des membres, une intégrité des sphincters, une altération très marquée de la contractibilité électrique sans réaction de dégéné-rescence. À l’autopsie, il existait une hypertrophie des troncs nerveux et des racines, une névrite interstitielle hypertrophique. Les aspects en bulbe d’oignon étaient considérés comme provenant du tissus conjonctif et étaient le processus pathologique initial, la perte en fi bres nerveuses et l’atrophie des fi bres étaient un processus secondaire et étaient sans doute liées à la compression. Le deuxième cas concernait un homme de 34 ans

    présentant une atrophie musculaire de même type que le cas précédent, ayant débuté à l’âge de 14 ans, avec trouble de la sensi-bilité et douleurs fulgu-rantes, pieds bots équins, cyphosco l iose , a tax ie des membres supérieurs et infér ieurs, s igne de Romberg , nystagmus , myosis avec signe d’Argyll-Robertson, surdité, impos-sibilité de marcher la nuit.

    Les nerfs paraissaient très hypertro-phiés à la palpation. En 1906, Dejerine put réaliser l’autopsie du patient qui révéla une névrite interstitielle hyper-trophique. Ces 2 observations diffèrent donc de celles rapportées par Charcot, Marie et Tooth par l’importance des troubles sensitifs, de la scoliose, des troubles pupillaires, des douleurs fulgurantes et surtout par la présence d’une hyper-trophie des nerfs constatée à l’examen histologique. Un tableau semblable avait été rapporté par Gombault et Mallet en 1889. Ces auteurs interprétaient leur cas comme un exemple d’ataxie locomotrice de cause spinale développée dans le jeune âge. Pour Dejerine et Sottas, en revanche, ce cas relève de la même pathogénie que leurs observations : névrite interstitielle hypertrophique ascendante avec lésions médullaires secondaires.

    En 1905, Marie rapporte 2 cas : 2 frères d’une même fratrie de 7 enfants, tous atteints. Ces 2 cas observés différaient de ceux décrits par Dejerine et Sottas par une atteinte discrète aux membres supérieurs, l’absence de douleur fulgurante, de signe d’Argyll-Robertson, de signe de Romberg, d’ataxie, mais un tremblement intentionnel semblable à celui rencontré dans la sclérose en plaques et une parole scandée. Les auteurs avaient pu observer qu’il s’agissait d’une névrite hypertrophique progressive de l’enfance. C’est en 1910 que Piero Boveri fera l’autopsie de ce patient et pourra constater l’hyper-trophie interstitielle nerveuse. Dans la Semaine médicale, en 1910, ce même Boveri suggère qu’il existe 2 formes de névrite hypertrophique familiale : l’une de type Gombault-Dejerine − correspondant aux cas rapportés par Dejerine et Sottas, et Gombault et Mallet − et une autre forme, appelée Pierre Marie-Boveri, correspondant aux cas rapportés par Marie et Boveri. Ainsi, 2 grands types de maladies à forme d’atrophie musculaire progressive débutant le plus souvent dans l’enfance et touchant les extré-mités des membres ont été rapportés. Le premier est le type Charcot-Marie-Tooth, et l’autre, le type Dejerine-Sottas où il existe une hypertrophie nerveuse dite “interstitielle”, lui-même subdivisé en 2 sous-groupes, le type Gombault-Dejerine et le type Pierre Marie-Boveri.

  • Augusta Dejerine-Klumpke et son mari.

    Augusta Dejerine Kllum kpke

    Page de garde de la thèse de Augusta Dejerine-Klumpke.

    Pag de de g dard de d le la thhèse

    Traité des névrites périphériques de Ross et Bury.

    Traité ddes névrites péri hphériques

    Ernst von Leyden.E t L d

    374 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVIII - no 10 - décembre 2014

    Histoire des neuropathies périphériques : deuxième partieMISE AU POINT

    Qu’en est-il des autres névrites ? Ernst von Leyden (1832-1910), le célèbre neurologue berlinois,

    publiait en 1888 une monographie intitulée “Die Entzündung der peripheren Nerven (polyneu-

    ritis-Neuritis multiplex) deren Pathologie und Behandlung”. Son jubilé en 1902, pour

    son 70e anniversaire, mérite le détour… Tout ce qui comptait de sommités médicales allemandes et étrangères (sauf françaises) était

    réuni. Au son des trompettes, les discours élogieux et hagiographiques se succédaient et Leyden, assis sur une sorte de trône entouré de fl eurs, répondait à chacun. Revenons à sa monographie. Il distinguait 5 formes principales de névrite multiple :

    ➤ la forme infectieuse, faisant suite à la diphtérie, à la fi èvre typhoïde et autres ; la névrite du béribéri (Kakke des Japonais), mais aussi de la syphilis et de la tuberculose ;

    ➤ la forme toxique, à la suite d’une intoxication par le plomb, l’arsenic, le mercure, le phosphore, l’oxyde de carbone, le sulfure de carbone, l’ergot de seigle et l’alcool ;

    ➤ la forme spontanée (surmenage, refroidissement excessif) ;

    ➤ la forme atrophique (dyscrasique, cachectique), à la suite d’anémie, de chlorose, de cachexie, de

    marasme, de cancer et de diabète ; ➤ la névrite sensitive, correspondant aux

    pseudotabes et aux nervotabes périphériques : forme sensitive de la névrite multiple et de la névrite sensitive des tabétiques. Les névrites alcooliques et diabétiques étaient particuliè-rement détaillées et subdivisées en plusieurs types, nous y reviendrons.

    L’année suivante, la femme de Jules Dejerine, Augusta Dejerine-Klumpke, d’origine suisse et qui travaillait avec son mari, première femme nommée interne des hôpitaux de

    Paris, présentait sa thèse intitulée “Contri-bution à l’étude des polynévrites en général et des paralysies et atrophies saturnines en particulier”. Dans la première partie, elle traitait des polynévrites et dans la deuxième, avec de nombreux exemples, des formes cliniques des paralysies saturnines déjà bien caractérisées. Elle reprenait la classifi cation de Leyden en la modifi ant quelque peu. Elle distinguait ainsi 4 types principaux :

    ➤ les névrites infectieuses : les névrites primitives comme le béribéri ou dans certaines formes de cause indéterminée et spontanées (consécutives au surme-nage ou à un refroidissement excessif), et les névrites

    secondaires, survenant dans la convalescence des maladies infec-tieuses aiguës telles que la diphtérie, la fièvre typhoïde, la variole, le rhumatisme, ou chro-niques telles que la tuberculose, la syphilis ou la lèpre ;

    ➤ les névrites toxiques : plomb, alcool, arsenic, oxyde de carbone, sulfure de carbone, mercure ;

    ➤ les névrites des mala-dies par ralentissement de la nutrition : diabète, cachexie, chlorose, anémie, marasme, rhumatisme chronique ;

    ➤ les névrites dans le cours d’affections médullaires et indépendantes de la lésion spinale comme chez les tabétiques.

    En 1893, le premier ouvrage entièrement consacré aux polyné-vrites et aux névrites multiples paraît. Il est l’œuvre de 2 médecins anglais de l’infirmerie royale de Manchester, James Ross et Judson Bury . C’est un gros livre de 424 pages qui embrasse toutes les formes de névr ites multiples à l’exception des formes familiales qui ne sont pas encore intégrées en tant qu’entité indépendante dans la nosographie des polynévrites. Après une longue introduction historique, dans laquelle les auteurs rendent hommage à Duménil, ils abordent de façon très détaillée, avec de nombreux cas cliniques démonstratifs, toutes les formes de névrites multiples. Leur classifi cation s’établit ainsi :

    ➤ la forme idiopathique : aiguë de type Landry, les formes subaiguës et chroniques ;

    ➤ les formes toxiques, notamment l’alcool et les toxiques endogènes comme le diabète ;

    ➤ les formes dyscrasiques ; ➤ les névrites sensitives, vasomotrices et

    trophiques, dans l’ataxie, le nervotabe périphé-

  • Adolf Strümpell.Ad lf S ll

    Paralysie alcoolique (dans le traité de Ross et Bury).PPar laly isie lalcoolilique (d(dans lle trai éité dde RRoss et BBur )y)

    Alfred Pitres.

    La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVIII - no 10 - décembre 2014 | 375

    MISE AU POINT

    rique, l’érythromélalgie de Silas Weir Mitchell, le phénomène de Raynaud ;

    ➤ les formes irritatives de névrites où prédominent les spasmes comme la tétanie ou l’hyperkinésie professionnelle.Comme on peut le constater, la grande modifi cation par rapport aux 2 traités précédents est la place accordée aux formes idiopathiques − notamment la forme de Landry − qui font ainsi leur entrée dans la nomenclature. La forme idiopathique aiguë de type Landry occupe une large part de l’ouvrage. Les auteurs ont colligé 93 cas en provenance de différents auteurs dont les cas de Landry, Leudet, Bernhardt, Eisenlohr, Westphal, Schultze, Hoffmann et leurs cas personnels. Ils décrivent la phase d’invasion des paralysies, la phase stationnaire, puis la phase de convalescence. Les aspects cliniques sont également rapportés. Cinquante-deux patients sont décédés et 38 ont récupéré complètement ou partiellement. Une vérifi cation anatomique a pu être effectuée dans 38 cas. Les résultats sont très variables. En général, aucune lésion notable n’a pu être trouvée dans la moelle. Dans quelques cas (Hoffmann, Schultze,

    Leudet, Dejerine et Goetz, Westphal), des altérations des nerfs périphériques

    ont été constatées. Nauwerck et Barth (1889) pouvaient affi rmer qu’aucune preuve d’une lésion

    médullaire n’avait pu, à ce jour, être apportée et que, dans les cas où

    s’associaient des troubles sensitifs sévères, des lésions des nerfs

    périphériques étaient probables.

    Adolf Strümpell (1853-1925), le grand neuro-logue de Leipzig puis d’Erlangen, disait en

    1889 : “Il est possible, et vraiment de nombreux faits font que cela est probable, que la plupart des cas de paralysie ascendante de Landry appartiennent au groupe des névrites périphériques.” Si bien que dans les leçons de Fulgence Raymond (1897), la situation est résumée ainsi : pour les uns, la paralysie de Landry n’est que l’expression de lésions des nerfs périphériques (Nauwerk et Barth, Kahler et Pick, Ross et Bury), pour d’autres, la paralysie ascendante est une affection de la moelle (Senator, Immermann). D’autres sont partisans d’une théorie éclectique, où la paralysie de Landry n’est pas une entité morbide, mais un processus variable comme expression clinique, comme siège et comme nature, et variable quant à son étiologie.

    Il nous reste à voir de plus près la situation de 2 types de névrites multiples qui ont été parfaitement étudiées. Il s’agit des névrites diabétiques et des névrites dues à l’alcool.Bouchard (1881 et 1884) avait déjà noté dans le diabète l’abolition des réfl exes rotuliens que Buzzard attribue à une névrite périphérique. Ziemssen (1885) émet l’idée que les névralgies (décrites par Worms en 1880) étaient aussi dues à une névrite périphérique. T.D. Pryce (1887) distingue 2 formes : l’une motrice ou paralytique, et l’autre sensitive ou ataxiante. Il rapporte 1 cas avec ataxie et mal perforant plantaire pour lequel l’examen anatomique confi rme la nature névritique de l’affection. Charcot, en 1890, rapporte 1 cas de paraplégie diabétique avec troubles sensitifs distaux, steppage, signe de Romberg, brûlures des pieds avec récupération partielle sous régime diabétique. Leyden, dans son mémoire de 1888, distingue les formes hyperesthésiques ou neural-giques, les formes motrices ou paralytiques, et les formes ataxiantes pseudotabétiques. Cette conception de la neuropathie diabétique sera confortée par Eichhorst (1889) dans son traité de pathologie interne. Enfi n, il faut signaler le mémoire de Auché de Bordeaux, réalisé dans le laboratoire du professeur Albert Pitres en 1890. Il fait la synthèse des connaissances dans ce domaine et rapporte les vérifications anato-miques qui confirment la nature nerveuse périphérique des symptômes (Eichhorst, Pryce). La pathogénie de la névrite demeure obscure. De nombreux auteurs pensaient que la névrite n’avait aucun rapport avec le taux de sucre dans le sang et les urines. Dans l’expérimentation menée par Auché sur l’animal, le sucre ne semble pas avoir plus d’effet sur le nerf que l’eau.Les névr i tes a lcoo-liques ont été très tôt décrites (Dreschfeld, 1884). Leyden distingue les fo rmes avec un simple tremblement, les formes paralytiques avec paraplégie, les formes ataxiantes pseudotabétiques. Leudet décrit les formes hyperesthésiantes de l’alcoolisme chronique ; Buzzard (1888) rapporte la forme avec atteinte pseudo radiale ; Dejerine la forme classique sensi-tivomotrice distale (1888). Ross et Bury, dans leur ouvrage, rapportent les aspects anatomiques de dégénérescence des fi bres nerveuses (1893).

  • Joseph Babinski.

    Aspect histologique de dégénérescence axonale dans un cas de polynévrite alcoolique.AAsp tect hihi tstollogiiqu de d de dé éégé énérescence axon lale

    376 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVIII - no 10 - décembre 2014

    Histoire des neuropathies périphériques : deuxième partieMISE AU POINT

    Concernant les autres névrites, rencontrées chez les cancéreux par Auché (1890), les aspects histologiques sont typiques du phénomène de dying back. Joffroy et Achard rapportent un cas d’origine vasculaire où la vérifi cation anato-mique révèle des lésions nerveuses

    périphériques à côté de lésions artérielles isché-miques.Il faut ici signaler l’œuvre d’Alfred Pitres, formé chez Charcot à la Salpêtrière, de retour à Bordeaux pour prendre le nouveau service de neurologie. Il publie, souvent avec son élève Vaillard, de nombreux articles sur les neuropathies périphériques, dont une mise au point remarquable sur la paralysie

    ascendante aiguë de type Landry, confi rmant la nature névritique de l’affection (1887).Joseph Babinski (1857-1932), élève préféré de Charcot, ne put être nommé professeur agrégé, mais devint quand même chef de service à l’hôpital de la Pitié en 1895. Il

    écrivit le chapitre “Des névrites”, comprenant plus de 200 pages, dans le traité de médecine

    de Charcot, Bouchard et Brissaud (éditions de 1894

    et 1905). Babinski inaugurait ainsi son chapitre : “Grande serait la surprise d’un médecin qui, n’ayant pas suivi l’évolution de la pathologie nerveuse dans ces dernières années, viendrait à feuilleter les recueils actuels qui y sont consacrés ; il verrait en effet, combien sont nombreux aujourd’hui les documents relatifs aux névrites périphériques, il pourrait juger tout de suite de l’importance qu’on leur accorde maintenant, et dans l’impossibilité d’admettre qu’il s’agit là de maladies nouvelles, il serait amené à cette conclusion que le champ des névrites a dû se développer aux dépens du domaine ancien occupé par la pathologie des centres nerveux. Nous verrons ultérieurement dans quelle mesure une pareille déduction serait légitime.”

    Le siècle se termine. La chaire des maladies du système nerveux est entre les mains de Fulgence Raymond jusqu’en 1910, puis elle revient enfi n à Dejerine de 1911 à sa mort, en 1917.La médecine, et plus particulièrement la neurologie, est largement dominée en cette fi n de siècle et au tout début du suivant par les écoles françaises et allemandes. La Première Guerre mondiale viendra profondément modifi er ce leadership. ■

    Réponse :

    Il existe un processus tumoral frontal extra-axial, implanté sur une hyperostose localisée, présentant une portion charnue sponta-nément hyperdense, fortement rehaussée après injection ainsi qu’une portion kystique. L’ensemble de ces éléments fait évoquer le diagnostic de méningiome. L’œdème du parenchyme cérébral peut être dû au caractère micro-invasif de la tumeur, ou plus généra-lement à des phénomènes de compression veineuse. L’important effet de masse est responsable d’un engagement sous-falcoriel, qui conduit à une compression des trous de Monro. Ce dernier phénomène entraîne un défaut de draînage du ventricule latéral gauche, avec une hydrocéphalie qui se manifeste par une expansion de cette structure et des signes de résorption transépendymaire (hypersignal FLAIR en regard de la corne occipitale gauche). Bien qu’il s’agisse d’une tumeur bénigne, la chirurgie présente dans ce cas un risque non négligeable lié à la levée rapide de l’effet de masse sur un parenchyme en souffrance, et un risque infectieux lié à la nécessité d’intervenir sur la paroi postérieure du sinus frontal.

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    L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.