Joanne dans le magazine Vita

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Décembre 2010-janvier 2011 / Vita / 95 PHOTO: STÉPHANE NAJMAN; MISE EN BEAUTÉ: FÉLICIE HUBERT/GLOSSARTISTES.COM, AVEC LES PRODUITS LANCÔME ET TRESEMMÉ; STYLISME: MÉLANIE BRISSON/GLOSSARTISTES.COM; CHANDAIL H&M; NAPPE SIMONS. Joanne Godin a définitiVement mis au placard son traVail à la fonction publique et table maintenant sur les fameux plats qui ont marqué notre enfance. qui dit mieux pour conserVer énerGie et passion? es démonstrations Tupperware, j’étais certaine qu’il ne s’en faisait plus depuis belle lurette. Et je voyais dans mes vieux contenants de la fameuse marque (hérités de je ne sais qui) les vestiges d’une époque où les femmes avaient peu d’occasions de s’évader de la maison et de gagner un peu d’argent. Mais j’ai vite changé d’idée après avoir rencontré Joanne Godin, 43 ans, une mère de quatre en- fants qui a délaissé une carrière floris- sante dans la fonction publique pour devenir Madame Tupperware. Joanne a un vécu… qui a du conte- nu. Aînée de deux enfants, elle grandit à Montebello, entre un père gérant de service dans un garage et une mère employée du gouvernement fédéral quatre mois par année — pendant la période des impôts. C’est une petite fille discrète: «Je fonctionnais bien à l’école. Je prenais ma place, mais pas plus», dit celle qui rêvait déjà à l’époque d’une famille nombreuse. «À 10 ans, je cherchais les noms que je donnerais à mes enfants!» Après l’éco- le secondaire, elle entame des études collégiales en arts graphiques. Le pro- gramme ne correspondant pas à ses attentes, elle l’abandonne après un an. Puis elle obtient un travail de commis à la cotisation des impôts, comme sa mère. «J’ai aimé ça!» Cinq ans plus tard, elle est mutée au ministère de l’Emploi et de l’Immigration (qui D par marthe martel Second départ L’affaire est Tupperware!

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Vita Magazine, Décembre 2010

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S. Joanne Godin a définitiVement mis au placard

son traVail à la fonction publique et table

maintenant sur les fameux plats qui ont marqué

notre enfance. qui dit mieux pour conserVer

énerGie et passion?

es démonstrations Tupperware, j’étais certaine qu’il ne s’en faisait plus depuis belle lurette. Et je voyais dans mes vieux contenants de la fameuse marque (hérités de je ne sais qui) les vestiges d’une époque où les femmes avaient peu d’occasions de s’évader de la maison et de gagner un peu d’argent. Mais j’ai vite changé d’idée après avoir rencontré Joanne Godin, 43 ans, une mère de quatre en-fants qui a délaissé une carrière floris-sante dans la fonction publique pour devenir Madame Tupperware.

Joanne a un vécu… qui a du conte-nu. Aînée de deux enfants, elle grandit à Montebello, entre un père gérant de service dans un garage et une mère employée du gouvernement fédéral quatre mois par année — pendant la période des impôts. C’est une petite fille discrète: «Je fonctionnais bien à l’école. Je prenais ma place, mais pas plus», dit celle qui rêvait déjà à l’époque d’une famille nombreuse. «À 10 ans, je cherchais les noms que je donnerais à mes enfants!» Après l’éco-le secondaire, elle entame des études collégiales en arts graphiques. Le pro-gramme ne correspondant pas à ses attentes, elle l’abandonne après un an. Puis elle obtient un travail de commis à la cotisation des impôts, comme sa mère. «J’ai aimé ça!» Cinq ans plus tard, elle est mutée au ministère de l’Emploi et de l’Immigration (qui

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L’affaire estTupperware!

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l’affaire est tupperware!

deviendra Citoyenneté et Immigration Canada). Elle est d’abord réception-niste puis, en élargissant sans cesse son champ de compétences, accède aux postes qu’elle convoite.

femme de carrière, oui, mais aussi

mère de famille! Alexandre naît en 1991, puis Anne suit en 1997. À la nais-sance d’Emma, un an et demi plus tard, Joanne est en pleine ascension professionnelle. Elle prend seulement quatre mois de congé de maternité, craignant de rater une possibilité d’avancement. «Je cherchais à me va-loriser parce que je n’avais pas fait d’études supérieures. Et je sentais que c’était à ce moment-là que ça se pas-sait.» D’une promotion à l’autre, elle se retrouve, en 2000, gestionnaire de services administratifs, à la tête d’une équipe de 10 employés. Joanne tra-vaille en moyenne 50 heures par se-maine, apportant du boulot à domicile les soirs et les weekends. «Je m’orga-nisais pour être à la maison au mo-ment du souper puis, une fois les enfants couchés, je m’occupais de mes dossiers.» Malgré ce rythme d’enfer, elle apprécie le fait d’avoir autant de responsabilités professionnelles. «Je m’endormais le soir avec l’impression d’avoir accompli quelque chose.»

Rien ne semble pouvoir ralentir cette workaholic jusqu’en 2002, année où elle apprend qu’Anne est diabétique. L’enfant doit recevoir des injections d’insuline matin et soir, prendre ses re-pas et ses collations à heures fixes; de plus, tout ce qu’elle mange doit être mesuré. «Elle commençait la mater-nelle, et je voulais gérer sa maladie le mieux possible. J’aurais tout donné pour qu’elle soit bien!» Plus question pour la maman de voyager à l’extérieur de la région comme le commande son

travail. Elle demande à être mutée à un poste moins exigeant, qui lui assure un horaire de 8 h à 4 h et ne nécessite pas de déplacements.

Quelques mois plus tard, nouveau choc: Joanne apprend que sa mère est atteinte d’un cancer des ovaires. S’amorce alors pour elle une profonde réflexion: «Maman venait de prendre sa retraite, à 55 ans. J’ai commencé à me demander après quoi je courais. Je ne voulais pas passer mon existence à essayer d’atteindre quelque chose d’inaccessible, puis me retrouver ma-lade au moment où j’aurais pu profiter de la vie.» Le bonheur, elle veut y goû-ter maintenant, dans toutes les sphè-res de son existence. Elle remet même en question sa vie de couple, qu’elle juge insatisfaisante. «On s’aimait comme des amis, mais j’avais besoin d’autre chose.» Les époux se séparent donc et optent pour la garde partagée. Heureusement que Joanne est la reine de l’organisation! «Je profitais de la semaine sans mes enfants pour prépa-rer celle que je passerais avec eux. Je faisais du lavage, du ménage et je m’avançais au bureau.»

à l’aube de ses 40 ans, la vie est bel-

le. Joanne est de nouveau amoureu-

se et… enceinte! Cette grande joie est survenue juste après le décès de sa mère. «Sa maladie a été longue et pé-nible.» Cette fois, la nouvelle maman profite pleinement de son congé de maternité d’un an et décide même de le prolonger de quelques mois. C’est à ce moment-là que la multinationale bien connue entre dans sa vie: dans un kiosque Tupperware, une représen-tante l’invite à devenir hôtesse pour une présentation. «J’ai accepté juste pour recevoir des plats gratuits.» Mais comme l’idée d’être sans revenus en

attendant de retourner au boulot la tarabuste, elle consent à organiser des démonstrations pour se faire un peu d’argent. Elle sort enthousiasmée de sa première expérience: «Les femmes étaient contentes de se rencontrer. Pour ma part, pendant que mon bébé dormait, j’ai vendu pour 800 $ de plats de plastique, et le quart de cette som-me m’est revenu. J’étais emballée!» Elle est définitivement conquise lors d’une soirée d’information donnée au local du groupe Les Diamants, une franchise à laquelle elle est aujourd’hui affiliée. «En écoutant les témoignages, je me suis dit que moi aussi je pouvais remplacer mon salaire en travaillant seulement 20 heures par semaine et que j’aurais ainsi l’occasion de vivre selon mes priorités et de faire passer ma famille avant tout.» Pour Joanne, l’été s’écoule alors dans le bonheur. Elle est heureuse, entourée de ses enfants, faisant des présentations Tupperware quand ça lui convient. À la fin de son congé de maternité, elle retourne au boulot… et se remet à brûler la chan-delle par les deux bouts. «Je quittais la maison sans voir mon bébé, j’étais coin-cée une heure dans la circulation matin et soir. Bref, je courais tout le temps.» Elle doit bien l’admettre: son travail ne lui procure plus la même satisfaction.

C’est à ce moment-là que Joanne dé-cide de faire le saut dans le monde des contenants colorés. En janvier 2010, avec la bénédiction de son mari, un conseiller financier qui a vu le potentiel de ce projet, elle quitte son emploi — et son salaire annuel de 75 000 $ — pour se consacrer à sa nouvelle carrière. À l’agenda: une seule démonstration. «Je comptais proposer des rendez-vous aux gens que je rencontrerais dans un kiosque Tupperware déjà prévu.» Elle gagne son pari: «Durant les trois

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derniers mois, j’ai rapporté plus d’ar-gent à la maison que lorsque je tra-vaillais à temps plein!» Elle recrute une vingtaine de conseillères pour faire partie de son équipe et performe si bien qu’elle décroche en quelques mois le titre de directrice en qualification. Mais elle ne veut pas s’arrêter là: elle aspire à devenir directrice étoile (dernier éche-lon de l’échelle Tupperware, basée sur le nombre de ventes et de recrues). Drôlement motivée, notre championne.

Ce que Joanne apprécie avant tout de son nouveau travail? L’aspect hu-main. En effet, non seulement il lui permet d’aider d’autres mères à avoir des revenus, mais il leur fournit à tou-tes l’occasion d’échanger et de se lier d’amitié: «Une réunion Tupperware,

c’est comme un party de filles.» Notre directrice leur montre aussi comment s’organiser pour gagner du temps à la maison: «Quand j’arrive de l’épicerie, les enfants et moi, on déballe les ali-ments, on lave les fruits et les légumes, on les coupe et on place le tout dans des contenants [devinez lesquels?] pour le réfrigérateur ou le congéla-teur. Ça va plus vite à l’heure des re-pas.» Elle prône aussi une saine alimentation: «Des légumes frais dans une boîte à lunch, c’est bien meilleur qu’une barre tendre.»

Lorsqu’elle est devenue vendeuse de la fameuse marque, Joanne crai-gnait d’être jugée par ses proches. Mais le succès remporté par sa petite «entreprise» a vite fait de calmer ses

appréhensions. Aujourd’hui, elle est plutôt fière de ses accomplissements et de porter le titre de Madame Tup-perware. Mais par-dessus tout, sa nouvelle vie la comble. «Je suis pré-sente pour mon bébé le matin et j’ai encore de l’énergie pour mes autres enfants lorsqu’ils arrivent de l’école.» Et tout son clan l’encourage: son mari, ses filles et son fils l’appuient totale-ment. Que peut-elle souhaiter de plus? À part me vendre un plat à légumes pour lequel j’ai craqué, mais qui coûte 29 $! «Vous savez, ce n’est pas cher quand on sait que ça évite de jeter des aliments», me fait remarquer la re-doutable femme d’affaires. Je ne doute pas un instant qu’elle aura bientôt son étoile… V