Guide Mainstream 2011 (Frédéric Martel)

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ANALYSES LA CULTURE C’EST AUSSI UNE INDUSTRIE PAGE 3 IDÉES CLÉS PAGE 4 SÉRIES AMÉRICAINES PAGE 5 DISCUSSIONS PAGE 6 PROLONGEMENTS PAGE 7 L’EUROPE A T-ELLE PERDU LA BATAILLE CULTURELLE ? PAGE 8

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A guide for students on Mainstream culture, entertainment, medias and the Internet. Made by Esdra Reseau. Based on the Book Mainstream by Frederic Martel.

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ANALYSES LA CULTURE C’EST AUSSI UNE INDUSTRIE PAGE 3

IDÉES CLÉS PAGE 4

SÉRIESAMÉRICAINES PAGE 5

DISCUSSIONS PAGE 6

PROLONGEMENTS PAGE 7

L’EUROPE A T-ELLE PERDU LA BATAILLE CULTURELLE ? PAGE 8

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Mainstream

Frédéric MartelNé en 1967, Frédéric Martel est

docteur en sociologie. Chef du

bureau du livre à l’ambassade de

France en Roumanie (1990-1992),

puis chargé de mission au départe-

ment des affaires internationales

du ministère de la Culture 1992-

1993), il a été conseiller de Michel

Rocard, puis rédacteur en chef de

la revue de la CFDT (1995-1997).

Il fut ensuite conseiller technique

au cabinet de la ministre de l’Emploi

et de la Solidarité, Martine Aubry,

(1997-2000), conseiller du prési-

dent de l’EHESS (2000-2001), puis

attaché culturel à l'ambassade de

France aux États-Unis (2001-2005).

Il enseigne à l’Institut d’Etudes poli-

tiques de Paris.

PPRRIINNCCIIPPAAUUXX OOUUVVRRAAGGEESS

• Philosophie du droit etphilosophie politiqued’Adolphe Thiers, LGDJ, 1995.

• Le Rose et le Noir : leshomosexuels en France depuis 1968, Le Seuil, 1996 ; Points-Seuil 2008.

• De la culture en Amérique,Gallimard, 2006.

• Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Flammarion, 2010

L’AUTEUR

Les frontières entre l’art et le divertis-sement deviennent floues.

Aux Etats-Unis, plus je traînaisdans les bureaux de MTV [...],plus j’ai commencé à me direque les frontières qui séparent

l’art de l’entertainement [le divertisse-ment] sont pour une large part le résul-tat d’appréciations subjectives. L’endroitoù vous placez cette frontière est sou-vent un indice de l’année où vous êtes néet de votre couleur de peau.PAGE 142

C’EST DIT

Dans l’Europe divisée, la culture amé-ricaine progresse.

La culture mainstream euro-péenne est aujourd’hui toutentière en train d’évoluer vers

le modèle belge.Des batailles de langues, d’identités cul-turelles, une méconnaissance grandis-sante des cinématographies et desmusiques des autres pays, peu de lec-

L’industrie du divertissement est en pleine révolution.Les révolutions dans la production culturelle ne sont pas une nouveauté : le disque, la radio, le cinéma la télévi-sion, le magnétoscope, poussèrent les uns à crier au miracle et les autres à annoncer la mort de ce qui avait pré-cédé. La radio devait tuer le disque, et la télévision dans chaque foyer provoquerait la faillite des cinémas ! Faceaux innovations en cours (Internet, le numérique) il faut raison garder.

Citations

“tures communes, un morcellementcommunautaire et la culture américai-ne qui, grâce à ses divisions, progresseinexorablement.PAGE 401

IL N’Y A pas d’hégémonieculturelle améri-

caine. A l’époque de la guerre froide, ily avait en France le camp des admira-teurs de l’Amérique, de sa puissance etde sa culture (cinéma, musique) quivoyaient dans les Etats-Unis un modè-le à imiter. En face, on dénonçait en blocl’impérialisme militaire, la dominationéconomique et l’hégémonie culturelledes Etats-Unis. L’ouvrage de FrédéricMartel amène à réviser sérieusementla thématique antiaméricaine car l’in-dustrie culturelle des Etats-Unis estdésormais confrontée à de puissantsrivaux.

• Frédéric Martel• Flammarion

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Une conception idéalisée de la culture fait de celle-ci en une pure création, affranchie pardéfinition de toutes contraintes matérielles et financières.

L’image du poète composant desvers immortels dans sa soupente ala vie dure. Naguère, point de

théâtres sans mécènes ni de romanciersans imprimeur. La diffusion massive dela culture, depuis le début du 20èmesiècle, implique une importante concen-tration de capitaux afin de financer desstructures de production et de commer-cialisation adéquates. Entre les deuxguerres, les Etats-Unis sont devenus lesmaîtres incontestés de cette culture demasse – dont Hollywood fut et reste lesymbole.C’est « une culture qui plaît à tout lemonde » : le sous-titre du livre de FrédéricMartel exprime bien ce que signifie le mot

I l y a effectivement un marché mon-dial des contenus qui pèse d’un poidsimportant dans l’économie des pays

très développés et des puissances émer-geantes : en 2008, 2,6 milliards de billetsont été achetés pour voir les films pro-duits par Hollywood et 3,6 milliards debillets ont été achetés pour voir les filmsindiens ; le box office indien génère 2 mil-liards de dollars, le box office américain38 milliards de dollars.Certains disques sont vendus à desdizaines de millions d’exemplaires et l’édi-tion populaire vend ses ouvrages par cen-taines de milliers ou par millions (60millions pour le Da Vinci Code). La puis-sance américaine est toujours impres-sionnante : les parks & resorts ontrapporté (en 2009) 10, 6 milliards de dol-lars à Disney.Mais les Etats-Unis sont en concurrenceavec l’Inde, il faudra bientôt compter avecla Chine et les pays arabes commencentà produire du mainstream de manièresignificative. Dans l’Iran des mollahs, laculture persane populaire pénètre par lestélévisions étrangères, par les DVD et parInternet.

La culture, c’est aussi une industrie

Quant aux contenus, nous sommes déjàdans un monde multipolaire

mainstream : c’est le courant dominant- la culture mainstream étant la culturepopulaire au sens positif du terme

Le piratage est lui aussi devenu multipo-laire : la contrefaçon de vidéocassetteset de DVD représente 90% du marché enChine, 79% du marché en Russie, 29% enInde. Hollywood perdrait 6,1 milliards paran du fait de la piraterie, phénomènemondiale aux multiples applicationslocales.

ALLER + LOIN

La culture, les médias et Internet sont désormais tellement imbriqués qu’il ne faut plusparler d’industries culturelles mais d’industries de contenus qui sont avides de capitaux ethautement rentables.

Pour approfondir les analyses deMainstream, il importe de consulter le site de Frédéric Martel :www.fredericmartel.comOn y trouve une bibliographie complètede l’ouvrage ainsi qu’une documenta-tion et des renseignements statistiquessur les groupes américains de médias,le marché mondial du cinéma,de la musique et des séries télévisées,les principaux conglomérats de rangmondial.

(la culture pour tous) ou au sens négatif :la « culture de marché », c’est-à-dire laculture commerciale, uniformisée, forcé-ment médiocre.Cette culture de masse, diffusée par lesgrands médias (radio, cinéma, télévision,disque), est une culture du divertissement(entertainement) qui mobilise dessommes considérables et qui s’est répan-due dans le monde entier - mais sousdiverses formes.C’est l’ambigüité de la définition dumainstream et la diversité de cette cul-ture de masse qui est au cœur du livre deFrédéric Martel, résultat d’une enquêteeffectuée auprès de plus de mille per-sonnes dans trente pays.

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! La mondialisation,ce n’est pas l’uniformisationCe qui se mondialise, ce sont les techniqueset les réseaux technologiques : après la télé-vision, les téléphones portables et la commu-nication par Internet. Ceci avec des différencesentre pays riches et pays pauvres dans la vites-se de diffusion des innovations et des obs-tacles politiques (la censure en Chine).Mais la mondialisation ne crée pas une cultu-re uniformisée, avec un formatage par lesindustries américaines de contenus commeon le croit en Europe de l’Ouest.L’exemple le plus frappant est celui de l’Inde.Bollywood produit un millier de films par anavec une philosophie opposée à celled’Hollywood : au lieu de choisir le plus petitdénominateur commun pour toucher tout lemonde, les producteurs indiens mêlent tousles genres (drame, danse, chansons...) pourque chacun y retrouve un élément qui lui plaît.De même, les telenovelas produites au Brésil,en Argentine et au Mexique sont spécifiquesmais regardées hors de l’Amérique latine : enEspagne comme en Russie.

" Il nous faut comprendre la dynamique américaine Quant à la culture, il n’y a pas de déclin amé-ricain. Il y a une intelligentsia américaine quia beaucoup évolué et qui reste créative.Il y a aussi une nouvelle critique culturelle quiest en phase avec les nouvelles tendances dudivertissement populaire.Mais la diffusion des grands auteurs est elleaussi massive : par exemple, le club du livred’Oprah Winfrey (critique littéraire très popu-laire) a vendu 300 000 exemplaires deFaulkner en 2005.Le dynamisme des industries américaines decontenu s’explique par la vitalité culturelledes universités américaines qui accueillent2300 salles de théâtre et de musique, 3527bibliothèques, 2000 librairies...L’UFC (University of Southern California) pré-pare des milliers d’étudiants aux diversmétiers du cinéma. Il existe de très nombreuxliens entre les universités et la culture under-ground (galeries d’art, radios libres) et sur-tout, les étudiants, culturellement très divers,peuvent d’investir dans la Recherche et leDéveloppement.

Idées Clés.# Il n’y a pas de choc culturel des civilisationsL’Orient contre l’Occident ? Le thème du chocdes civilisations a suscité un vaste débat poli-tique mais il n’existe pas dans la culture mains-tream. Les influences culturelles nationales etreligieuses se mêlent, s’opposent et se com-posent.Il en résulte un formidable entrelacs : auxEtats-Unis, les Hispanos-Américains conser-vent leur langue, leur culture et disposent deleurs propres réseaux.Les Japonais et les Coréens ont inventé la« culture Sushi » qui permet d’évoquer fine-ment le Japon dans toutes les cultures asia-tiques (c’est ce qu’exprime le concept de« glocalisation » ou « global localization »).Les dramas coréens sont vendus au MoyenOrient car les musulmanes se retrouvent dansles codes traditionnels mis en images à Séoul.La chaîne arabe Al Jazeera défend les chiitesdans certains pays et les combat dans d’autrespays et les valeurs traditionnelles islamiquesne sont pas regardées comme très différentesdes valeurs américaines (croyance en Dieu,rôle de la famille).

$ La culture mainstream, c’estaussi de la politiqueLes Américains sont montés à l’assaut du mar-ché chinois du divertissement avec leur auda-ce, leurs capitaux et leur inaltérablepragmatisme.Ainsi la Warner, non sans décon-venues, ou encore Rupert Murdoch qui veilleà ce que ses propres médias, en Occident, nepublient pas d’informations désagréables àla Chine.Pour des raisons idéologiques, politiques etcommerciales, les autorités chinoises protè-gent efficacement leur marché tout en accep-tant chaque année une dizaine deblockbusters.Mais la censure est compensée par le pirata-ge des films, lui aussi massif, et par la concur-rence de Hong-Kong qui est à la foisconcurrent et allié de Pékin pour la conquêteculturelle de l’Asie. Le gouvernement chinoisest enfin pris au piège d’Internet : l’interdire,c’est freiner le développement économiquedu pays ; laisser le Web en liberté, c’est favo-riser la diffusion des idées démocratiques.Dans les pays arabes, la culture populaire estégalement un enjeu politique.

% La culture classique n’est pas morteLe thème du déclin de la culture classique faceà l’américanisation des spectacles et desmœurs est aussi populaire en France que lescampagnes de défense de la langue française.Plus largement, la « vieille Europe » paraîtdépassée par le mainstream.On oublie que, dans l’édition,Warner Books aété racheté en 2006 par le Français HachetteBook Group et que le premier éditeur améri-cain, Random House, appartient à l’AllemandBertelsmann. Après les dix années noires quisuivirent l’effondrement de l’Union soviétique,les éditions russes renaissent, les classiquessont toujours à l’honneur même si la musiquepop bat son plein.Le cinéma français témoigne chaque année desa vitalité et les philosophes français du 20èmesiècle (Sartre, Derrida) continuent d’être trèsétudiés aux Etats-Unis. Une excursion sur YouTube montre que les chanteuses pop arabes(Nancy Ajram) ou les chanteurs pop iraniens(Fereydoun) côtoient les chants traditionnelsarabes et la musique soufi. Partout en Europe,les cultures nationales sont vivantes et jamaisoublieuses de leurs héritages.

& La révolutionnumérique est loind’être terminée Comme tous les autres produits, les livres, lesjournaux, les disques, les postes de télévisionet les magnétoscopes étaient acheminés parles trains, les camions, les bateaux.Désormais, la culture transite par des ondes,par des câbles et de plus en plus par Internetet par les réseaux sociaux. On produit soi-même ses vidéos sur You Tube, on reçoit latélévision sur son ordinateur, on lit des livressur son i Pad. Du coup, nous allons voir dispa-raître le CD, le DVD, les chaînes hifi. FrédéricMartel annonce en conséquence la dispari-tion des disquaires et des vidéo-stores.L’édition et la diffusion du livre vont être éga-lement transformées, de même que la publi-cation des journaux et revues.Ce sont là des mutations techniques, qui lais-sent entière la question des contenus maisqui sont loin d’être achevées.Certains observateurs estiment que le nou-veau s’ajoutera à l’ancien, comme la télévi-sion au cinéma. D’autres envisagent unetransformation totale de la culture par lareproduction numérique...

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5RDR Analyses N°11 Mainstream5

Séries américaines

Elles sont rituellement dénoncéescomme un divertissement vulgairequi serait le contraire de la « vraie

culture ». Pourtant, ces séries attirent untrès vaste public, de tous milieux et ellessuscitent l’intérêt des chercheurs commeen témoigne la thèse récente (1) de Séve-rine Barthes : « Du temps de cerveau dis-ponible » ? Rhétorique et sémiostylis-tique des séries télévisées dramatiquesaméricaines de primetime diffusées entre1990 et 2005.

Un rituelLa série télévisée n’est pas une simpleconsommation d’images produites parune industrie spécifique à des fins de pro-fit : c’est un rituel qui réunit un groupede passionnés. Contrairement aux idéesreçues, l’attractivité des séries américainesne tient pas à la violence - ou pas seule-ment - et elles ne sont pas non plus levecteur de diffusion de l’idéologie « poli-tiquement correcte ».A l’opposé de notre Navarro, flic de gau-che un tantinet macho, la série The Shieldmet en scène des policiers ripoux maissympathiques dans un quartier ravagépar la guerre des gangs : regard subversifet sans concession sur le délitement dela société américaine.Autre critique impi-toyable : celle des Desesperate housewifes,

En France, les séries américaines ont mauvaise presse...chez ceux qui ne les regardent pas.

ALLER + LOIN

• Hollywood et le rêve américainAnne-Marie BidaudCinéma et idéologie, Masson, 1994.

• Économie du cinémaLaurent CretonPerspectives stratégiques, Nathan, 2005.

• Médias, migrations et cultures transnationalesTristan Mattelard Bruxelles, de Boeck, 2007.

• L’exception culturelleSerge RegourdPUF, Que Sais-je ?, 2004.

typiques de la moyenne bourgeoisie desEtats-Unis établie dans un confortableghetto de banlieue.Dans ces deux cas, on ne peut dire queces séries créent une communauté fon-dée sur des valeurs partagées, mais il y a,dans le public français, volonté mêlée dese distraire et de s’informer sur un uni-vers étranger - sur lequel on porte unregard quelque peu ironique qui renvoieà l’humour très noir de ces séries.

(1) Thèse soutenue le 13 février 2010 à l’Université Paris IV-Sorbonne.http://www.barthes.tel

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6RDR Analyses N°11 Mainstream6

Discussions

L’Europe est peu présente dans le mains-tream mondial. Cela ne signifie pas qu’el-le soit inexistante : outre l’édition aux

Etats-Unis, l’Union européenne (les Français)occupe une place de choix en Chine dans l’in-dustrie du jeu vidéo. La chanson française esttoujours très aimée dans l’ancienne Unionsoviétique et les littératures européennes seportent plutôt bien malgré bien des déceptionsen Europe de l’Est où l’on pensait que la libé-ration du communisme allait provoquer unmagnifique regain. Si les cultures nationalesrestent dynamiques, la balance commercialede l’Union européenne est déficitaire : elleimporte beaucoup de contenus américains et elle exporte peuhors du continent. Mais peut-on juger de la situation selon labalance commerciale ? On ne peut comparer, sur le plan éco-nomique une union de nations (sans Etat fédéral) et des paysqui disposent d’un tel Etat démocratique (les Etats-Unis) oudictatorial (la Chine). De plus, il serait pertinent d’intégrer dansla culture européenne l’ensemble des Etats du continent - àcommencer par la Russie et sans oublier l’Albanie, patrie duromancier Ismaël Kadaré qui est mondialement admiré.

Le point de vue de Paul Schmidt Professeur d’économie

Le point de vue de Sasha DerskyConsultant international

A insi, la mondialisation se particulariseet la globalisation se localise. La nou-velle est d’autant moins surprenante

que la mondialisation uniformisante n’a jamaisété autre chose qu’un effet de discours – toutaussi irréel que la « déterritorialisation » évo-quée au moment où les conflits territoriauxfaisaient rage au Proche Orient. Entre les cul-tures, il y a toujours eu des points d’unité etde fortes différences ou oppositions avec desmélanges d’une grande complexité. Même àl’époque de la « mondialisation heureuse », lestelenovelas devaient être sous-titrées pour être exportées d’unpays d’Amérique latine à l’autre - de même qu’en France noussous-titrons les films du Québec comme le souligne justementFrédéric Martel.Cela ne signifie pas qu’il faille sous-estimer l’importance dumainstream qui doit maintenant s’écrire au pluriel. Mais l’en-quête – d’un intérêt exceptionnel – sur « cette culture qui plaîtà tout le monde » est parfois contradictoire dans ses analyseset ses prévisions : tantôt Frédéric Martel vante le mélange descultures nationales et les séduisantes productions hybrides quien résultent, tantôt il annonce la « guerre des cultures » suc-

On ne saurait voir dans la faiblesse commer-ciale de l’Europe l’illustration d’un hypothé-tique déclin. Les entreprises européennes sontactives et prospères, qu’il s’agisse du FrançaisLagardère, du groupe espagnol Prisa, du grou-pe Berlusconi, de l’exemplaire BBC.Ces cultures nationales florissantes marquent-elles la fin de la culture européenne ? FrédéricMartel le pense. Certes, il ne nie pas la gran-deur de l’héritage culturel européen (Dante,Mozart, Shakespeare,Victor Hugo, Hegel...) maisil écrit que « la seule culture mainstream com-mune aux peuples européens est devenue laculture américaine ».

Ce que certains analysent comme une américanisation dumonde n’est qu’une américanisation de l’ouest-européen - quin’est pas toute l’Europe.A l’Est, la chute des Etats communistes et les difficultés de latransition vers le néo-libéralisme ont fait disparaître les poli-tiques culturelles - qui sont inexistantes ou affaiblies à l’Ouest.Partout, il manque les structures publiques qui permettraientde soutenir des cultures populaires nationales qui, comme parle passé, peuvent avoir une dimension universelle.

“Ce que certainsanalysent comme une américanisationdu monde n’est qu’uneaméricanisation de l’ouest-européen -qui n’est pas toutel’Europe.”

cédant à la prééminence des Etats-Unis dansles industries du divertissement.Comment penser un affrontement – frontcontre front – alors que nous vivons dans l’hy-bridation ? Sans doute serait-il plus exactd’évoquer une compétition belliqueuse entredes groupes industriels et financiers spéciali-sés dans le mainstream. Comme on le voit àmaintes reprises au cours de l’enquête deFrédéric Martel, il importe peu à un groupejaponais de gommer la japonité de ses conte-nus pour pénétrer le marché thaïlandais et ce

ne sont pas non plus les valeurs américaines qui caractérisentLe Roi Lion ou Prince of Persia. Les formatages se font en fonc-tion des contraintes de marché et le souci prioritaire des groupesest d’éliminer les contenus qui heurtent le politiquement cor-rect et surtout le sexuellement correct.La « correction » des contenus (respect de normes implicitesqui effacent la « révolution sexuelle » américaine et sesrépliques européennes) et le respect des identités nationalesconstituent somme toute un mélange commercialement effi-cace mais qui ne garantit pas la paix entre les groupes linguis-tiques et culturels.

“ Comment penserun affrontement -front contre front -alors que nous vivons dansl’hybridation ? ”

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ProlongementsL’ENNEMI AMÉRICAIN,GÉNÉALOGIE DE L’ANTIAMÉRICANISMEFRANÇAISL’hostilité exprimée à l’égard desEtats-Unis est fort répandue dans lemonde, à proportion du rôle que jouele pays que Raymond Aron désignaitcomme une « République impériale ».

EN FRANCE, l’antiaméricanisme est une don-née permanente entre la fin de la première guer-re mondiale et les attentats du 11 Septembre.Cette passion française se manifeste dans lechamp politique et elle a été principalementexprimée par les communistes et par les gaul-listes. C’est aussi une réaction contre « l’amé-ricanisation de la culture » qui a pris des formespolémiques étudiée par Philippe Roger avec unerigueur érudite.L’auteur passe en revue toutes les expressionsdu dénigrement systématique des Américains(« qui sont de grands enfants »), desAméricaines (« qui sont toutes frigides ») et deleurs produits : boire du Coca Cola était disqua-lifiant dans les milieux communistes sous la 4e

République et on accusait le cinéma américaind’abrutir les foules - comme si le cinéma fran-çais n’avait jamais commis le moindre navet.Le discours antiaméricain se trouve chez lesauteurs communistes comme chez les théori-ciens réactionnaires (Joseph de Maistre) maisaussi dans la littérature populaire (Gustave LeRouge). L’antiaméricanisme français, étudié parPhilippe Roger comme s’il s’affirmait hors ducontexte international et des grands débatspolitiques français, est une passion mineure quin’a pas empêché une adhésion intellectuelle etpolitique aux Etats-Unis, « champion du mondelibre » pendant la guerre froide ni, surtout, l’in-fluence prépondérante du modèle culturel amé-ricain pendant la seconde moitié du 20e siècle :le cinéma américain a été et demeure aussipopulaire en France que le cinéma national etla mise en cause de son idéologie sous-jacen-te ne touche que quelques groupes marginaux.

• Philippe Roger• Le Seuil, 2002

HOLLYWOOD À LACONQUÊTE DU MONDE,MARCHÉS, STRATÉGIES,INFLUENCESPenser global, agir local ? Ou le contraire ? On peut dépasserces questions par une synthèse :penser et agir selon le « glocal ».Cela n’a rien d’un artifice.

DANS LE DOMAINE des industries de conte-nus, et tout particulièrement dans l’industrie-phare d’un grand pays moteur - le cinémaaméricain tel que le conçoit, le produit et lediffuse Hollywood - la stratégie globale n’exis-te plus sans son ancrage local. Tant et si bienque Nolwenn Mingant évoque un « glocal-wood » qu’il analyse en détail après avoirretracé l’histoire culturelle, économique etfinancière d’Hollywood. De fait, la conquêtedes marchés extérieurs par l’industrie cinéma-tographique américaine tient essentiellementau libre échange mais la structure économiqueest oligopolistique, la Motion Picture ExportAssociation (MPEA) est un groupe de pressiontrès puissant qui sait obtenir le soutien de l’Etataméricain, l’idéologie n’est pas absente desfines stratégies de séduction qui assurent lapopularité des films américains.A partir de ces données, exposées dans touteleur complexité dans l’ouvrage, on aurait tortde s’en tenir au schéma d’une américanisationculturelle de la planète qui se développeraitgrâce à une mondialisation regardée commepure et simple processus d’uniformisation desindividus et des collectivités.Il suffit de constater que le monde reste consti-tué de nations qui sont en train de réaffirmerleur singularité pour comprendre la stratégie des« majors » américaines : celles-ci ne visent pasune production uniforme mais au contraire par-ticipent de plus en plus à des entreprises ciné-matographiques de type national ou continental.D’où le caractère aujourd’hui inextricable desstratégies de domination et des stratégies desoutien aux industries nationales de contenus.

• Nolwenn Mingant• CNRS Editions, 2010

GLOSSAIRE

Sachez être mainstream !A la fin de son ouvrage, FrédéricMartel publie un long glossaire desmots (généralement anglais) utili-sés couramment dans les industriesculturelles de masse. Voici les prin-cipaux, qu’on trouve souvent nontraduits dans la presse française :

Blockbuster : missile utilisé pourdétruire les blockhaus ; en économie,produit massivement diffusé (film,libre).

Blurb : Citation demandée à un cri-tique pour faire la publicité d’un produitculturel.

Bottom-Up : Mouvement culturel oupolitique qui émerge de la base et quiremonte vers le sommet de la société.

Crossover : à partir de to cross over,se croiser. Mélange des genres, culturehybride.

Drama : séries télévisées asiatiques.

Groove : le rythme.

Indie : indépendant.

Infotainement : mélange de l’infor-mation et du divertissement (entertain-ment).

Kawaï : mignon en japonais. La culturekawaï, c’est la culture gentillette.

Middlebrow culture : culture qui està mi-chemin entre la culture savante etla culture populaire.

Mousalsalet : en arabe, feuilletontélévisé.

Outreach : à partir de to reach out :tendre le bras vers... Toute action quipermet de faire participer le public.

Pitch : résumé de l’idée d’un film, expri-mé si possible en une seule phrase (catch-phrase) pour séduire un producteur.

Rating system : Aux Etats-Unis, codede classement des films en fonction deleur degré de violence et de leur érotis-me. Les films rated sont interdits auxmoins de 13 ans ou aux moins de 17 ans.

Sequel : suite de films : Superman 1 et2, Shrek 1, 2 et 3...

Telenovela : série télévisée latino-amé-ricaine.

Trendsetter : celui qui fixe les ten-dances de la mode.

Versioning : technique de commer-cialisation qui consiste à débiter un conte-nu (film, livre) en divers supports : disque,comédie musicale etc.

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DÉCEMBRE 2010 / CONCEPTION GRAPHIQUE FABIENNE ZWILLER, www.graphicstory.net / ILLUSTRATIONS BARROS

N° ISSN 1766-3911 / IMPRESSION IMPRIMERIE COUTY / © FORMADI. Interdiction de reproduire par quel que procédé que ce soit

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L’Europe a t-elle perdu la bataille culturelle ?

D’autres cultures (arabe, chinoise,latino-américaine) ne sont pasmoins riches de contenus mais

elles manquent encore du dynamismenécessaire pour renverser les rapports deforce dans le domaine des industries dudivertissement. Mais c’est surtoutl’Europe de l’Ouest qui est en mauvaise

posture : ses industries de contenus cul-turels ne fabriquent pas de biens mon-dialisables (comme ceux de Disney) carles références nationales sont très fortesdans le domaine du cinéma, de la chan-son, de la série télévisée.A la différence des Etats-Unis, les univer-sités européennes sont indifférentes à la

culture moderne et les entre-prises multinationales ne sontpas assez développées.Du coup, beaucoup de créa-teurs européens partent s’ins-taller aux Etats-Unis et c’estla culture américaine qui est,de fait, la culture communeaux Européens.L’Europe a perdu la batailleculturelle – celle de la produc-tion commerciale. Cela nesignifie pas qu’il n’y ait plus devie culturelle en Europe.

w w w . 1 2 3 r d r . c o m

ALLER + LOIN

On trouve sur Youtube les vidéos de chanteurs quasiment inconnus en Europe de l’Ouest mais qui jouissentd’une popularité considérable surd’autres continents :

• MANSOUR (Iran, Asie centrale). Beneviswww.youtube.com/watch?v=H7eaMjbskXk&feature=related

• DDT (Groupe rock, Russie). Vieterwww.youtube.com/watch?v=j7z0jtmbOC8&feature=related

• NANCY AJRAM (Liban, Pays arabes,Turquie) : Inta Eih www.youtube.com/watch?v=tHnoewqUJp0

• DIL KI TANHAYI (Inde) www.youtube.com/watch?v=72OBrjjIyas&feature=related

Si l’on examine avec Frédéric Martel les principales cultures sous l’angle de la compétitioncommerciale et de leurs capacités à l’exportation, il est clair que les produits américainssont les plus performants et qu’ils prédominent sur le marché globalisé.