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Environnement, occupation du sol et appréhension de l'espace aux Îles Marquises Taiohae, 1838 Taiohae, février 2006 Pierre Ottino, archéologue IRD

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Environnement, occupation du sol

et appréhension de l'espace

aux Îles Marquises

Taiohae, 1838

Taiohae, février 2006Pierre Ottino, archéologue IRD

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Environnement, occupation du solet appréhension de l'espace

aux îles Marquises_

1- Présentation générale de J'ah-e géographique

Au sein de l'immensité du Pacifique, la Polynésie orientale se distingue par la relativepetitesse de ses terres, celles de Hawaii et de la Nouvelle-Zélande mises à part, ainsi que par ladispersion de ses îles, groupées généralement sous forme d'archipels orientés sud-est/nord­ouest, dans une zone maritime répartie sur un triangle de 7000 km de côté. Ces îles en généraltropicales sont loin d'être identiques et la variété des paysages traduit souvent la configurationgéomorphologique des îles: basses et coralliennes, ou hautes et basaltiques, entourées ou nond'un récif, grandes et hautes, ou petites et habituellement peu élevées... Cette variété dépendégalement de leur répartition géographique: au sein de zones équatoriale, tropicale ou endehors de ces tropiques... Les modifications de paysages, de reliefs et de l'environnement,furent aussi le fruit de certains éléments majeurs et plus ou moins exceptionnels tels lescyclones, les sécheresses, les tsunamis et l'affaissement ou le rehaussement de certaines îles...tout ceci façonna des milieux qui, bien qu'apparentés, se présentent sous des formes bienparticulières, obligeant les premiers découvreurs et, plus tard, ceux qui s'installerontdurablement sur ces nouvelles terres, à des adaptations permanentes dès leur arrivée, tant vis àvis de la faune et de la flore que de la morphologie insulaire et de ses caractéristiques.

Cook, Australes, Société, Tuamotu, Gambier, Marquises, des six archipels constituantla Polynésie centrale, ce dernier est les plus éloigné de tout continent. 6000 km le séparent descôtes de l'Equateur, 5000 km de la Californie et 6500 km de l'Australie. Les îles océaniennesles plus proches sont à 450 km au sud, avec les atolls les plus septentrionaux des Tuamotu. Lespremières îles hautes, avec Tahiti au sud-ouest, sont à 1500 km. L'île de Pâques se trouve àplus de 3000 km à l'est et, au nord, Hawaii est à près de 4000 km. Situées entre 7°50 et 10°35de latitude sud et 138°25 et 140°50 de longitude ouest, ces îles sont à la fois les plus voisinesdu cercle équatorial et les plus exposées aux courants froids du Pacifique qui remontent, àpartir de l'Antarctique, le long des côtes amérindiennes pour s'incurver, à l'approche del'équateur, vers l'ouest en direction des îles Marquises. Ces courants froids et la trajectoirequ'ils suivent expliquent, en partie, la faiblesse des développements coralliens de cet archipel,et sa relative sècheresse.

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Figure 1 : le Pacifique

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Figure 2 : lès îles Mnrquises

Terres composées d'une vingtaine d'îles et hauts-fonds, s'échelonnant sur les 350 kmenviron d'une chaîne sous-marine orientée nord-nord-ouest/sud-sud-est, ces édificesvolcaniques ont surgi des fonds océaniques, à près de 4000 mètres de profondeur. Leurformation s'échelonne d'un peu plus d' 1 million d'années pour les plus récents, situés au sud,tel Fatu Riva, à environ 7 millions d'années pour les plus anciens situés au nord, conune Eiao.Cette grande jeunesse du groupe explique la puissance de son relief, un paysage jeune etprofondément escarpé. La superficie totale des Marquises est de 1300 km2

, mais le relief renddifficilement habitable une bonne partie de l'archipel. Celui-ci est séparé en deux groupes,nord et sud, par un espace maritime de 110 km, qui n'empêcha pas les conununications inter­insulaires, même s'il favorisa l'émergence de particularismes régionaux. L'île principale dechacun des groupes représente à peu près un quart de la surface totale de l'archipel : 340 km2

pour Nuku Biva, au nord, et 320 Km2 pour Biva Da, au sud. En dehors de ces îles principales,les autres îles habitées sont Ua Pou et Ua Buka pour le groupe nord, Tahuata et Fatu Biva pourle groupe sud 1. La population totale actuelle approche les 9000 habitants, dont plus de 2000vivent à Nuku Biva.

Nuku Biva, avec Biva Da, présente un ensemble de plateaux intérieurs avoisinant les800 mètres. Mais, dans l'ensemble, les escarpements qui constituent l'épine dorsale de cesanciens volcans forment de véritables barrières entre les différentes côtes des îles et les valléesqui sont compartimentées par diverses crêtes prenant naissance sur cette arête centrale. Les

1 Dans le passé, 2 autres îles, plus petites, étaient également habitées: Mohotani au sud et Eiao au nord.

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nuages, accrochés aux plus hauts sommets, alimentent des torrents qui arrosent régulièrementles plus importantes vallées; il.n'en va pas de même pour les plus petites et les vallons, surtoutceux situés sous le vent, dont les cours d'eau sont alors intermittents ou inexistants. Une autrecaractéristique importante de ces îles est qu'elles ne présentent pas réellement de plainecôtière, ni de platier corallien. La côte est formée de falaises basaltiques culminant parfois à200 et 300 m au-dessus des vagues. Seuls les débouchés des vallées viennent rompre cesimposantes murailles et, parfois, déployer à l'arrière des plus larges baies une petite plainealluviale. La plage offre alors une belle frange de sable, matériau moins répandu cependantque les gros galets lisses, typiques des grèves marquisiennes.

Les Marquises connaissent un climat sub-tropical pouvant être aride. La dimension desîles, l'exposition aux vents et le relief notamment, expliquent la variété des micro-climatsrencontrés. L'archipel est un des groupes du Pacifique à être le moins arrosé, avec desprécipitations oscillant entre 1000 et 3000 mm par an. La saison la plus humide, située aumilieu de l'année, dure de deux à trois mois. La température moyenne y est de 26°C, l'humiditévarie beaucoup selon l'endroit et avoisine, en moyenne, les 80%. Ces indications généralesreflètent mal la situation vécue. En effet, la variation de pluviosité entre les vallées, entre lesîles et selon les années est importante. De longues périodes de sécheresses périodiques ontentraîné de graves disettes, qui semblent avoir été un des facteurs de dispersion desMarquisiens vers d'autres terres polynésienne. Elles marquèrent également certains traits deleur culture, dont celui de préparer et de stocker, dans des silos familiaux et communautaires,d'importantes réserves de fruits d'arbre à pain, sous forme de pâte qui se conservait plusieursannées et pouvait suppléer aux déficiences des récoltes.

Les divers éléments naturels, climat, vents, cyclones, géomorphologie des îles... , ontconditionné le développement d'une flore et d'une faune à la fois restreintes, par leur isolementau sein du Pacifique, leur éloignement de toute masse continentale, mais également uniques,car hautement spécialisées et dépendantes des niches écologiques spécifiques où elles se sontdéveloppées. On compte actuellement prés d'une centaine de plantes endémiques auxMarquises. La faune terrestre se limitait aux lézards et geckos, et à des nombreux insectes ...en dehors des animaux introduits par l'homme: cochon, chien, poulet et petit rat polynésien.Le monde marin est quant à lui riche. Aux coquillages, oursins, crustacés... et poissons deroche ou de proche littoral, s'ajoute une faune de haute mer, souvent abondante, de grandetaille et variée : scombridés, requins, raies, tortues et cétacés. La flore tout comme la faune secaractérise donc par une relative pauvreté et un très fort endémisme, d'autant plus fort que lelieu est isolé. Ainsi, 80% des oiseaux, 55% de l'entomofaune, 50% de la flore indigène, etmême 12% des mollusques sont endémiques. Cet endémisme, source de la richesse biologiquede ces îles, explique également leur grande fragilité écologique, les espèces indigènes ayant dumal à lutter contre des végétaux ou animaux nouvellement introduits, contre lesquels ils n'ontdéveloppé aucune défense. Ainsi, notamment, certains oiseaux nichant au sol ou dans deslieux trop aisément accessibles, ont mal résisté à l'arrivée de l'Homme et ont constitué une partnon négligeable de l'alimentation des premiers découvreurs. Au sein des plantes introduitesaux temps anciens, la très grande majorité est d'origine indo-malaise. Font exception, parmi lesplus appréciées, le kava -Piper methysticum-, originaire de Mélanésie occidentale, la canne àsucre, originaire de Nouvelle-Guinée sans doute et la patate douce, qui fut vraisemblablementintroduite à la suite de contacts entre Polynésiens et Amérindiens.

L'un des premiers apports des végétaux aux besoins humains est d'abord alimentaire.La classification bipartite de leurs aliments par les Marquisiens révèle l'importance de certainsfruits et tubercules. A kaikai qui s'applique à tout ce qui est comestible et désigne l'aliment

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d'origine végétale par excellence, qui est ressenti comme fondamental, s'oppose 'ina'i,l'aliment d'origine animale. Ce dernier n'est qu'un complément qualitatif, très apprécié maissouvent limité. Ceci permet de mieux saisir pourquoi et comment cette société fut sidépendante des récoltes de l'arbre à pain, considéré comme aliment de base. Le taro, la patatedouce et l'igname ne furent jamais cultivés intensément en raison de la nature du sol et duclimat qui, au contraire, convenaient à merveille à l'arbre à pain. De cette extrême dépendancenaquit une pyramide de comportements sociaux et religieux primordiaux qui façonnèrent lasociété. Ils apparaissent sur le plan des pratiques alimentaires, dans l'appréciation du prestigedes chefs, aux sources du système de redistribution et des alliances, aussi bien que dansl'enchaînement des tètes, des rites, des activités, des collectes et des restrictions qui rythmaientla vie des communautés. De là enfin l'obligation, au prix de sa vie parfois, du respect despréceptes et tabous -tapu- touchant à l'exploitation du règne animal et végétal. Ces interdits nevisaient qu'à éviter un déséquilibre de la production et donc à écarter le risque de ces temblesfamines périodiques. Les espaces les moins fréquentés jouaient un rôle essentiel en tant queréserves alimentaires lors des périodes de soudure entre les récoltes du fruit de l'arbre à pain etlors des disettes.

Mais le rôle des plantes est loin de se limiter à leur valeur nutritive. Elles sontomniprésentes dans les multiples aspects de cette culture polynésienne. Du jour de sanaissance à sa dernière heure, le règne végétal accompagnait l'être humain, l'enduisait, lebaignait, l'ornait, le parfumait, le protégeait et le soignait, le nourrissait, l'enivrait et enfin leconduisait au-delà de la mort. Ces plantes sont alimentaires, mais aussi médicinales,tinctoriales, textiles..., elles étaient utilisées pour la confection de remèdes, de poisons, demauvais sorts, de charmes ou cosmétiques... Ichtyotoxiques, elles secondaient les pêcheurs oufournissaient leurs fibres qui permettaient de confectionner lignes, filets et cordages. Lespirogues étaient creusées dans le tronc de certains arbres, les balanciers taillés dans d'autres.Ces végétaux étaient encore amplement utilisés des parois de l'habitation à sa toiture. Sousforme de tapa ils vêtaient les Polynésiens, sous forme de couches et de nattes, ils tapissaientleur lits. Les Marquisiens en tiraient leur musique, et reposaient enfin en eux, pour toujours,oints, embaumés, enroulés dans le tapa, cachés au sein des racines et des troncs.

2- L'état de la question - facteurs de peuplement et recherches archéologiques

Situé dans la partie centrale du Pacifique, l'archipel des Marquises est un des pluséloignés de tout continent, ce qui lui valut d'être découvert tardivement, par des navigateursaustronésiens, venant de Polynésie occidentale. Leurs très lointains ancêtres avaient quittél'Asie du Sud-Est il y a 7000 ans, se déplaçant progressivement vers l'est, dans un univers deplus en plus insulaire qui façonna un peuple pour qui l'océan n'était pas un obstacle mais unmoyen de subsistance, de communication et de découverte. Vers 2500 BC, les archéologuespensent repérer les ancêtres des Océaniens vers le nord de la Nouvelle-Guinée, les Bismarck etles Salomon où entrent en contact différentes populations, dont certaines sont présentes depuisle Pléistocène. Bien plus à l'est, vers 1500-1200 BC, les îles Tonga et Samoa sont atteintes,elles constituent le lieu d'origine des Polynésiens orientaux et donc de ceux qui s'installerontsur l'archipel des îles Marquises. Mais l'étendue océanique, les distances et la dispersion desîles, retardèrent ces découvreurs en Polynésie orientale, où les datations les plus anciennesproviennent des Marquises, qui serait un des premiers centres d'installation puis de dispersionen Polynésie de l'est. Depuis quelques années, ces datations et ce schéma de peuplement sontremis en question et des dates anciennes ont été obtenues aux îles Cook, un vaste archipelfaisant liaison entre la Polynésie occidentale et la partie centrale de la Polynésie orientale. Aux

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Marquises, à défaut de dates anciennes incontestables, le premier peuplement a été rajeuni auxalentours des 6ème_8ème siècles AD.

Les premiers groupes austronésiens qui accostèrent l'archipel conservèrent nombred'éléments des îles d'origines mais développèrent, sur ces nouvelles terres, une cultureoriginale que découvrirent, à la fin du 16ème siècle, Portugais et Espagnols puis, aux 18ème et19ème

, Anglais, Français, Russes, Américains'" À la suite de ces nouveaux découvreurs,vinrent les navires de commerce et leurs équipages, qui transformèrent les relations humaineset altérèrent la vie des insulaires. Des maladies provoquèrent une hémorragie démographiquevertigineuse. De près de 100 000 âmes, la population chuta à 2094 en 1926. Elle atteintaujourd'hui presque 9000 habitants, sans compter les Marquisiens vivant en dehors de leursîles, et sans doute aussi nombreux. Les Marquises, un des cinq archipels de la Polynésiefrançaise, fut le premier rattaché à la France, en 1842, c'est-à-dire à une époque où la sociétémarquisienne était déjà fortement perturbée par le contact avec l'extérieur: chutedémographique, perte de repères, remise en cause de ses valeurs, destruction de sa culture etde sa structure sociale. Des vallées autrefois remplies de vie s'éteignaient et se vidaient.L'ancienne culture agonisait, mais partout des vestiges étaient présents et quelques « vieux »savaient encore nommer les terres et les tribus, ils avaient conservé quelques légendes, deschants, de rares danses... et surtout leur langue et des modes de vie avec des techniques et dessavoirs qui caractérisaient leur identité. Une part du patrimoine culturel, malgré des pertesconsidérables, se transmettait de générations en générations et particulièrement lorsd'événements festifs exceptionnels et communautaires qui rassemblaient les personnes et lessavoirs. Ce patrimoine se manifestait de plus en plus ouvertement et, grâce à des volontéslocales ainsi qu'à une reconnaissance par l'extérieur, son expression ne resta plus, commeautrefois, confinée aux limites de l'archipel mais réussit à acquérir une diffusion océanienne,voire internationale. Cette reconnaissance extérieure, due notamment à l'augmentation descommunications et aux médias, fut également suscitée par les recherches en sciences humainesqui y furent menées, depuis plus d'un siècle.

Celles-ci remontent notamment aux travaux de l'ethnologue allemand Karl von denSteinen qui, en 1897-98, se concentra sur l'art sous toutes ses formes, dont le tatouage et surles structures d'habitat (Steinen 1925-28), puis aux années 20-21 avec une expéditionaméricaine d'Hawaii, à laquelle participaient l'ethnologue Handy (1923, 1930) qui s'intéressaparticulièrement aux structures sociales et aux légendes, son épouse qui fit une travail précieuxsur l'art (1922, 1938), ainsi que le premier archéologue à s'intéresser à l'archipel: R. Linton.Ses travaux portèrent sur la culture matérielle (1923) et sur les sites archéologiques (1925). Cefut essentiellement un travail d'inventaire de surface car, à l'époque, on considérait lepeuplement de ces îles comme récent et il était donc inutile de rechercher dans le sol ce quel'on pouvait simplement inventorier, observer et collecter en surface (Garanger 1986). Plustardivement, après les premières fouilles qui eurent lieu en Nouvelle-Zélande puis aux îlesHawaii, après la seconde guerre mondiale, les Marquises bénéficièrent des premiers travauxarchéologiques scientifiquement conduits (fouilles stratigraphiques, sériations typologiques etchronologiques du mobilier, datations absolues par la méthode alors récente du 14C). C'est R.Suggs qui inaugurait ce type de recherche en 56-58 à Nuku Hiva, une des deux principales îlesde l'archipel. Ce faisant, il allait contribuer à la renommée des Marquises, avec leur propulsiondans des débats qui alimentèrent l'archéologie océanienne durant toute la seconde moitié du20ème siècle et jusqu'à aujourd'hui.

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- Les fouilles :

Suggs effectua un travail qui fait toujours référence. À partir des résultats obtenus,notamment à Haatuatua, autant par ses fouilles que par ses relevés de structures de surface, ilfit de l'archipel un des premiers peuplés de la zone, avec une date remontant à 150 BC, etproposa une division de l'évolution de la culture marquisienne en cinq périodes, où leschangements socio-politiques, comme le développement de l'architecture monumentale, sontétroitement liés aux ressources disponibles et à l'accroissement de la population. Bien quecritiqué, ce schéma constitue une base constamment utilisée par les recherches quis'attachèrent à l'affiner, au fur et à mesure de leurs avancées. Les résultats de Suggs,l'ancienneté des datations obtenues, antérieures à notre ère, faisaient en effet reculer de près demille ans la préhistoire de la Polynésie orientale telle qu'on la concevait alors. Un autrerésultat, non moins inattendu, fut la découverte de tessons de céramique alors que la poteriepréhistorique était inconnue en Polynésie orientale et... qu'elle le reste encore aujourd'hui.L'archipel, le plus anciennement peuplé du triangle Polynésien, avait dû en constituer l'un despremiers centres de dispersion (Suggs 1961). Dès sa parution, cette thèse suscita beaucoup decommentaires, si elle ouvrait des perspectives nouvelles, on en critiquait certains aspects. Cetravail de pionnier avait besoin d'être contrôlé et complété par de nouvelles recherches.Celles-ci furent entreprises par Y. H. Sinoto qui mena, de 1964 à 68, des recherches similairesà Ua Huka, Nuku Hiva (sur Haatuatua même) et Hiva Oa. Son principal objectif était depréciser les étapes de la préhistoire de l'archipel et son rôle dans le processus de peuplementdu Pacifique oriental. En fonction des dates bien plus récentes qu'il obtint, notamment sur ladune de Hane, à Ua Huka, il allait rajeunir l'ensemble de la chronologie de Suggs, tout engardant sa terminologie et, par déduction de ses travaux, faire remonter les premièresimplantations humaines aux Marquises vers 300-600 AD (Sinoto 1970, 79), au lieu des 100BC de Suggs. Il allait aussi revoir et compléter le tableau de l'évolution de la culturematérielle établi par son prédécesseur, associant ainsi un inventaire des principaux témoinsmobiliers mis au jour dans les sites marquisiens, à une chronologie relative. A la suite desrésultats acquis aux Marquises, de la découverte du site de Maupiti aux îles de la Société(Emoryet Sinoto 1964) et des travaux effectués par d'autres en Nouvelle-Zélande, Hawaii etîle de Pâques, Sinoto fit de l'archipel marquisien le plus ancien centre de dispersion desPolynésiens de l'est (Sinoto 1966, 68, 70). Les îles de la Société, notamment Rai'atea,perdaient ainsi leur rôle traditionnel de terre d'origine des autres populations de la zone. Leschéma général, proposé pour les Marquises et le peuplement du Pacifique oriental, n'estqu'une hypothèse de travail basée sur les résultats obtenus par Suggs et Sinoto au début desannées 60 (Garanger 1986). Il devait servir de référence pour l'ensemble de la préhistoire de laPolynésie orientale, il fut peu à peu modifié par la suite (Jennings 1979), sans de réelle remiseen cause.

Dans les années 1950-60, l'orientation de l'archéologie océanienne se portait donc surles questions relatives à l'origine, au peuplement et aux étapes de l'occupation humaine de cesîles, et ainsi sur la recherche de sites anciens, bien délimités, à stratigraphie profonde etpotentiellement riches en matériel conservé. Ces conditions idéales étaient réunies sur les sitesde plage et dans les abris-sous-roches. Ces derniers, surtout ceux fouillés, étaient en généralaussi en bord de mer, c'est-à-dire aux endroits les plus visibles et les plus accessibles, avec unminimum de prospection. La préférence pour ce type de sites était aussi guidée par les travauxantérieurs, effectués notamment aux Hawaii où les sites de pêcheurs avaient permis deretrouver des vestiges coquilliers et osseux abondants, permettant de suivre les changementsdans la faune collectée, associés à des artefacts bien conservés, dont de très nombreuxhameçons. Leur étude avait permis l'établissement d'une typologie bien développée et

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prometteuse, qui en faisait de précieux fossiles directeurs et particulièrement en l'absence depoterie qui, en Mélanésie comme ailleurs, jouait ce rôle privilégié. Tout ceci expliqua l'intérêtpour les sites de bord de mer, de la part de Sinoto d'abord et de bien d'autres chercheurs quisuivirent, dans les années 60 (P. Bellwood, A. Skjolsvold), ou plus tard dans les années 80-90et depuis 2000 (P. Ottino, C. Christino, B. Rolett, E. Conte, P. Sellier, M. Allen...).

Si les travaux des premiers se firent dans la foulée immédiate de Suggs et de Sinoto, ens'intéressant aux sites permettant d'obtenir une bonne stratigraphie, des matériaux et desdatations, ceux des seconds se firent dans des optiques plus différenciées. Ceux de Ottino, sefirent dans une île, Ua Pou, qui n'avait pas encore connu de fouilles archéologiques et enassociant diachronie et synchronie. Ainsi, il étudia en parallèle l'organisation des structureslithiques au sein d'un territoire, afin d'appréhender les deux aspects de la vie marquisienne :l'un orienté sur le littoral, la pêche et l'évolution culturelle qui pouvait y être observée depuisle plus lointain passé; l'autre orienté sur l'intérieur des terres où se concentrait l'habitat, enprenant en compte l'importance des vallées, l'organisation des structures lithiques de surface,la répartition et l'usage des différents territoires (Ottino 1995). La date de 150 BC ± 95 qu'ilobtint à Anapua, un abri-sous-roche réservé aux activités liées à la pêche, par du charbonprélevé dans une structure de combustion, à la base d'une puissante stratigraphie, allaitparticiper au re-vieillissement de l'occupation de ces îles, affirmé des années auparavant parSuggs. Dans les mêmes périodes, le schéma proposé par Sinoto était décortiqué, par P. Kirchnotamment. En effet, la révision des données accessibles, l'étude du matériel le plus ancienprovenant des fouilles effectuées aux Marquises et la présence de tessons de céramique,incitèrent les chercheurs, dans les années 80, à repenser ce schéma de peuplement, passé dustatut d'hypothèse à celui de modèle définitif. Ils considérèrent que la préhistoire de laPolynésie orientale pouvait remonter aux tout premiers siècles de notre ère et même bien avant(Kirch 1986, Irwin 1992). Tout ceci relança les débats et une recherche de sites anciens.Ainsi, le Département d'Archéologie de Tahiti, mena aux Marquises des prospections et dessondages, effectués dès la fin des années 80, notamment par C. Christino et E. Conte qui seplaçaient dans la même optique que les pionniers des années 50-60, à savoir: rechercher dessites anciens en bord de mer avec une bonne stratigraphie et un riche matériel. Les travaux deB. Rolett à Tahuata, s'inscrivaient dans le même mouvement, il y adjoignait une enquêteethnographique sur les techniques de pêche et cherchait à documenter l'évolution culturelledurant un laps de temps donné, en espérant qu'il soit le plus long possible. Le site dunaire deHanamiai (Rolett 1998) permet de retracer cette évolution durant environ 800 ans, de sonpremier peuplement vers 1100 AD jusqu'au milieu du 19ème

• Une part originale de son travail(initié sur l'archipel par E. Pearthree en 1993) s'appuie sur les informations fournies par lesanalyses géochimiques des lames d'herminettes, permettant de déterminer leur lieu d'origineet documenter les relations inter insulaires (jusqu'à 130 km au sein de l'archipel).

Ne trouvant pas de sites aussi anciens que ceux de leurs prédécesseurs et la date deAnapua ayant été contredite par une nouvelle datation, effectuée cette fois sur du matérielcoquillier provenant du même niveau que l'échantillon de charbon (Leach, Davidson et al.1997), Rolett et Conte estimèrent que pour dénouer enfin ces incertitudes liées aux sitesanciens, ou considérés comme tels, le mieux était de les fouiller de nouveau. Ceci fut fait, dansles années 90, pour Haatuatua (le site fouillé par Suggs en 57, puis par Sinoto en 66), avec uneéquipe d'archéologues américains dont E. Pearthree, D. Addison, S. Millerstrôm, et R. Suggslui-même pour une des campagnes. L'ancien niveau remis au jour fut re-daté et la date obtenues'avéra beaucoup plus récente: 1300 AD! Ce rajeunissement de plus d'un millénaire,l'absence de dates anciennes incontestables et les critiques de plus en plus fortes du nouveauschéma de peuplement proposé par Kirch, remirent une nouvelle fois en cause un peuplement

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précoce des Marquises et de l'ensemble de la Polynésie orientale (Spriggs et Anderson 1993,Anderson et al. 1994, Conte et Anderson 2003) et relancèrent certaines recherches sur les sitesanciens, témoins du premier peuplement (Rolett et Conte 1995, Conte 2000). Actuellement,les archéologues ont tendance à rajeunir l'ensemble du peuplement, mais ils sont partagés et sehasardent de moins en moins à avancer une date définitive. En effet, les théories basées, tropétroitement, sur les datations et les données archéologiques accessibles résistent difficilementà de nouvelles découvertes. Aujourd'hui, plutôt que d'indiquer un archipel comme lieud'origine, on préfère, à l'échelle du Pacifique et des voyages inter-insulaires, privilégier devastes régions océaniques, à l'intérieur desquelles le peuplement s'est fait quasi simultanémentet où se sont mis en place une communauté de pensée, une organisation sociale et religieuse,des modes de vie assez voisins. Les Marquises perdraient ainsi leur rôle pionnier mais non leurspécificité et se rattacheraient à une plus vaste sphère, formée des archipels des Tuamotu,Société, Australes et Cook. C'est à partir de cette vaste région que les îles extrêmes furentpeuplées: île de Pâques, Hawaii et Nouvelle-Zélande.

A la suite des travaux de Conte à Ua Huka, qui comportaient des sondages, des relevésde surface et des études pédologiques et géomorphologiques assurées par Y. Poupinet (avec laparticipation de O. Labat, P. Murail, P. Sellier et N. Tartinville), les fouilles de P. Sellier sur lesite de Manihina (une dune à l'ouest de Hane, sondée par Sinoto en 62, le Départementd'Archéologie en 86 et Conte en 91), innovaient véritablement en élargissant les thèmes derecherche et en mettant l'accent sur les vestiges anthropologiques et les pratiques funéraires, lesite fut daté de 1400-1500 AD (Sellier 1998). Plus récemment les fouilles de M. Allens'intéressent, quant à elles, aux techniques de pêche et à l'économie d'un groupe installé enbord de mer dans une rare baie marquisienne qui comporte un récif frangeant: Anaho, à NukuHiva. L'environnement littoral et marin fut exploré par des biologistes marins. Aux fouilles,sont associés les relevés des structures lithiques de surface et des sondages en vue de datationsrelatives et absolues. Allen veut apporter des clarifications chronologiques qui font toujoursdéfaut aux découvertes et aux séquences culturelles de Suggs, et propose une énième révision,qu'elle étaye par des fouilles et plusieurs dates récentes rigoureusement contrôlées. A la lueurdes dernières données, elle recadre ces séquences: le Peuplement de l'archipel daterait de 700­noo AD, la période de Développement de nOO-1300 AD, celle d'Expansion de 1300-1600AD et la Classique de 1600-1970 AD. La date la plus ancienne qu'elle obtint à Teavau'ua(Anaho), mais qui ne marquerait pas sa première occupation, est de 1289-1432 AD (Allen,2004).

- Les structures lithiques :

En dehors des fouilles, portant principalement sur la datation du premier peuplement etles étapes de l'évolution culturelle, avec leurs caractéristiques matérielles, économiques etsociales, la recherche s'est également portée, avec des intérêts divers, sur les structureslithiques de surface, vestiges les plus visibles et les plus caractéristiques de l'archipel.L'intérêt de Linton était, pour ainsi dire, par défaut, il s'intéressait à ce qui était le plus visibleet accessible, dans une optique générale d'inventaire et de comparaison avec les autres régionsocéaniennes. Son inventaire, forcément partiel, mais encore inégalé, concerne l'ensemble desîles. Suggs aborda largement les structures lithiques, sur une île et dans une perspectiveessentiellement diachronique; il s'agissait de caractériser l'évolution de ces constructions etde les associer à des séquences chronologiques et culturelles définies par ses fouilles. En 1956,l'expédition archéologique norvégienne sur l'île de Pâques et le Pacifique oriental, s'intéressaaux Marquises, mais dans le but de renseigner des recherches menées sur l'île de Pâques. Ils'agissait d'effectuer des fouilles dans une région pas encore ou très peu fouillée et, aux

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Marquises, de remonter aux origines, du moins à une étape antérieure, du développement de lastatuaire monumentale de l'île de Pâques. Les recherches se focalisèrent sur la fouille etsurtout la datation des deux grands centres de la statuaire de l'archipel : Oipona (Iipona enfait) et Paeke, considérés par certains comme les ancêtres directs des statues pascuanes. Mais,après datations de ces sites, vers les 14ème 116ème siècles, leurs statues ne pouvaient plus en êtreles prototypes. L'expédition apportait cependant nombre d'informations précieuses sur lapréhistoire marquisienne et sur la datation de ces monuments remarquables, qui furent étudiés,relevés, fouillés et sondés par une équipe pluridisciplinaire. Le site de Iipona à Puamau, setrouve sur Hiva Oa, l'île principale du groupe sud des Marquises, le moulage de Takaii (statuemonolithe de 2,73m) fut effectué par Skjolsvold et Figueroa, pour le Kon-Tiki Museum à Oslo(Heyerdhal 1965). Quant au site de Paeke (1516 AD), il se trouve à Taipivai, sur Nuku Hiva,l'île principale du groupe nord. Un autre site, ne comportant pas de statues conservées maisquelques pétroglyphes et bas-reliefs, celui de Pekia à Atuona sur Hiva Oa, fut étudié, pour sonarchitecture notamment, par Smith (T. Heyerdhal, E. N. Ferdon, C.S. Smith, A. Skjolsvold, G.Figueroa, E. Sanchez, ... 1961-65).

Le véritable intérêt pour les structures d'habitat de surface en elles-mêmes, vint plustardivement, dans les années 60-70, alors qu'on se penchait de plus en plus sur l'organisationde l'habitat, les settlement patterns. Alors qu'elle assistait Sinoto dans ses fouilles à Ua Huka,de 62 à 64 et notamment sur la fameuse dune de Hane, M. Kellum s'attacha également àl'intérieur des terres afin d'avoir une vision d'ensemble de l'occupation de la vallée, par sesvestiges de surface et leur organisation spatiale, et au moyen de prospections, relevés etcollecte de vestiges mobiliers. Le but était de corréler, si possible, les données des fouilleslittorales avec celles, obtenues sans fouilles, de l'intérieur des terres, et de faire la liaison entreles deux occupations. Une part importante de son étude repose ainsi sur les données fourniespar les structures de surface et par les habitants de Hane. L'aménagement de l'habitat y estrévélé à travers l'organisation fonctionnelle et spatiale des aménagements lithiques, les uns parrapport aux autres et aussi par rapport à l'environnement. En l'absence de fouilles,l'interprétation se base sur la situation et la fonction possible des éléments, sur le mobilierdécouvert. L'effectif de la population est aussi estimé (entre 300 et 400), en se fondant surtoutsur la longueur de la partie dévolue au dortoir commun, dans les habitations. En comparaisonavec le mobilier de fouille de la dune et en s'appuyant notamment sur un type d'herminette(koma), comme sur des datations C14, Kellum suggère que la zone côtière était habitée avantl'intérieur, dont l'occupation daterait d'environ 1600 AD et aurait été motivée parl'augmentation de la population et par des conflits plus fréquents (Kellum 1971).L'implantation actuel du village, en oblitérant une bonne part des anciennes structures de labasse vallée, ne permit pas une reconstitution territoriale complète des anciens habitats.

Cet essai d'approche globale traduit la volonté d'appréhender l'habitat le pluscomplètement possible et de comprendre la vallée en tant qu'entité sociale, économique etpolitique. A la suite de Kellum à Hane, d'autres chercheurs s'intéressèrent à ce thème, commeP. Bellwood, F. Peltier et F. Mayer à Hanatekua (Bellwood 1972) ; cette vallée non habitée deHiva Oa permit d'enregistrer, selon l'auteur, 95%· des structures. Bellwood s'est aussiintéressé à la description, la classification des structures lithiques et à l'estimation de lacapacité productive des 30 hectares de la vallée, afin d'estimer sa population (422 habitants auminimum). Par extension, il estime la démographie de l'archipel à la fin de la périodepréhistorique, vers 1800, à 27 500 personnes (les estimations anciennes et aussi actuellestournent autour de 80 000). Selon la concentration et le type de structures, il divise la vallée entrois zones bien marquées : la basse vallée serait réservée à des plantations peu exigeantes et àdes activités cérémonielles; la moyenne vallée concentre les habitations et un fort, qui en font

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le centre communautaire; la haute vallée était essentiellement économique, avec denombreuses terrasses pour le taro. F. Peltier fit le même genre de travail dans une valléevoisine, plus grande et habitée, celle de Hanaiapa (F. Peltier 1973).

Sur Ua Pou, grâce aux travaux de l'ethnologue H. Lavondès sur la tradition orale del'île et de l'archéologue 1. Garanger, au Vanuatu et à Tahiti, P. Ottino s'intéressa à la vallée deHaka'ohoka, désertée à la suite d'une épidémie et donc bien conservée (Ottino et de Bergh1990), puis sur Nuku Hiva, aux grandes vallées de Hatiheu et Taiohae notamment (Ottino1999). Il s'intéressa aux structures en elles-mêmes, à leur description et analyse pour en saisirles caractéristiques et les nuances, puis à des groupes de structures, des ensembles de plus enplus vastes au sein de leur contexte immédiat et environnemental, géographique... afin desaisir de façon le plus exhaustif possible le système d'organisation d'une tribu marquisienneau sein de son territoire, constitué principalement par la vallée avec des zones d'extension plusou moins fréquentées, sur terre comme sur mer. Avec M.-N. de Bergh, il proposa des schémasd'organisation où l'espace, l'habitat et l'individu étaient étroitement liés tant par descaractéristiques naturelles que par un imaginaire collectif et des conceptions symboliquespropres à ces populations (Ottino, 2002). Leurs recherches visent à intégrer les donnéesarchéologiques, ethnohistoriques et environnementales afin d'appréhender au mieux cettepopulation, sans la réduire à un modèle unique, rigide (Ottino-Garanger 1998, 2001). Ellesparticipent aussi à la valorisation de certains sites, en collaboration étroite avec les populationspar, notamment, des travaux de mises au jour et de restaurations des constructions lithiques, dereconstitution des superstructures en matériaux végétaux; ceci dans une optique tantscientifique, que sociale et culturelle. Ces recherches ont ainsi été progressivement intégrées àdes enjeux locaux, en participant au développement culturel et économique de ces îles, commeà leur expression identitaire, notamment lors des grandes manifestations collectives et festivesqui drainent nombre de Marquisiens, d'autres Polynésiens et des visiteurs extérieurs (Ottino2001,03).

L'intérêt pour les structures de surface se manifesta aussi dans l'optique d'un inventaire,comme celui de T. Wild pour la vallée de Paaumea à Ua Pou (1995), de T. Maric et E. Conte(2002), à l'échelle de Ua Huka et avec l'aide d'étudiants comme A. Noury pour le plateau deVaikivi et N. Tartinville, pour la vallée de Hokatu. E. Edward, S. Millerstrëm, H.Baumgartner, G. Cordonnier, ... participèrent à un projet d'inventaire de l'art lithique auxMarquises, lancé par le D.A. en 1985. Sur Nuku Hiva, D. Addison travailla sur les sites decultures à Hatiheu et, avec M. Allen à Anaho, pour les travaux dont nous avons parlé (2002,2004). Enfin les travaux de C. Chavaillon et E. Olivier (2003-4), à Hiva Oa, dans denombreuses vallées, s'inscrivent dans un projet d'inventaire ambitieux, allié à une volonté desauvegarde et de valorisation des sites. D'autres études concernèrent surtout des prospectionsgénérales comme celles de J.-L. Candelot, à Ua Pou et Eiao (1980), de M. Charleux à Eiao,pour documenter cette île septentrionale très difficile d'accès, véritable site d'extraction pourun basalte de qualité, particulièrement recherché pour le façonnage de lames d'herminettes,que l'on retrouve sur les autres îles de l'archipel et aussi sur d'autres archipels (H. Rolett 1998,M. Weisler 1998). P. Erhel Hatuuku, sur Ua Pou, effectue depuis quelques temps (Erhel2002), des relevés au sein des villages et le long de sentiers aménagés, dans le but de participerà la sauvegarde du patrimoine, de le promouvoir auprès d'un large public et de former desguides qualifiés. A ces données s'ajoutent des informations archéologiques occasionnellesobtenues par M. Eddowes sur Fatu Huku et J. Tchong à Ua Pou. Quelques prospectionspartielles furent effectuées par des amateurs comme F. Mazière dans les années 50 sur FatuHiva et F. Ollier dans les années 1970, il effectua également quelques moulages depétroglyphes... dont certaines empreintes sur la roche sont encore visibles aujourd'hui! Tout

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dernièrement, l'architecture et la datation des grands sites cérémoniels retiennent, dans uneoptique océanienne générale, l'attention d'un archéologue norvégien R. Solsvik. Dans ledomaine muséographique, l'apport d'A. Lavondès est essentiel (1976,82). Par la connaissancedes objets, s'enrichit la culture de cette population. C. Ivory y contribue admirablement parson regard sur l'art marquisien. Le succès de l'actuelle exposition au Metropolitan Museum ofArt de New York en est une belle démonstration (Kjellgren et Ivory 2005). Nous ne parleronspas des sources ethnographiques et ethnohistoriques qui apportent, surtout dès la fin du 18ème

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nombre d'informations précieuses.

- Les demien travaux de l'IRD et du CNRS:

Cette recherche de l'histoire du peuplement de l'archipel, non encore pleinementrésolue, tient toujours une place importante dans l'archéologie océanienne mais, depuis lesannées 60-70, elle se dédouble en une archéologie des structures de surface, rejoignant par làles travaux précurseurs de Linton et d'Emory. Le premier peuplement de l'archipel pose doncencore problème et généra de nombreuses recherches afin d'établir une chronologie fiable desoccupations. Pour cette raison, elles furent souvent réalisées sur des sites de plage ou desabris-sous-roche, à stratigraphie profonde et faciles d'accès, mais d'usage très spécifiques eten marge des établissements plus habituels des anciennes populations, qui se concentraient ausein des vallées, là où les conditions naturelles leur étaient le plus favorable. C'est donc cesderniers aménagements, à la fois les plus nombreux et paradoxalement peu connus, quiretiennent l'attention des dernières recherches axées sur les structures d'habitat, leur fonctionet leur organisation, sur l'ensemble archéologique de Tahakia-Kamuihei-Teiipoka, dans lavallée de Hatiheu, à Nuku Hiva. Ce site, centre de vie d'une des plus importantes tribu de lavallée, fut étudié, relevé puis mis en valeur et en partie restauré. Des enquêtes, prospections etrelevés ont permis la mise au jour et l'étude des différentes structures réparties sur 10 hectares,une superficie suffisamment grande pour être représentative. Les divers travaux entreprisprirent en compte les structures d'habitat avec leur association et leur organisation au seind'un environnement naturel et humanisé, ce qui donne une vision d'ensemble permettant decorréler entre eux les divers éléments qui composent le territoire d'une tribu marquisienne.C'est à partir de cette vision générale, et afin d'avoir un aperçu plus précis, qu'une part de cecomplexe architectural fut retenue pour mener des fouilles archéologiques et d'autres étudesliées à l'environnement: sondages à la tarière pour tracer les lignes principales de lastratigraphie, comprendre les phénomènes d'érosion et de sédimentation (M. Orliac),prélèvements dendrologiques (H. Guiot) et palynologiques pour aborder lepaléoenvironnement (A.M. Sémah et W. Gourdon). Parallèlement à cette approche, uneenquête ethnographique sur le fonctionnement de l'écosystème insulaire, où les mondesvégétal, animal et humain sont étroitement liés, fut entamée (H. Guiot). Cette étude menée encollaboration avec le GDR nOl170, puis n02834 du CNRS, le fut sur la partie haute du site, quinous était apparue bien préservée et particulièrement importante, tant par sa situation générale,que son environnement immédiat, la végétation, l'aménagement des structures lithiques, leurscaractéristiques et leurs types. Si nombre de sites de plage ont été prospectés et sondés pardivers archéologues, les sites d'intérieur l'ont été nettement moins; la difficulté du terrain, laforte humidité et la densité de la végétation ont retardé ces études et peu de dates sontdisponibles. Le premier sol d'habitat, de la partie haute et reculée de Kamuihei-Teiipoka, futdaté entre 1420 et 1670 AD. Quant à la première occupation importante de la vallée deHatiheu et sans doute de la région nord-est de l'île de Nuku Hiva, elle pourrait remonter aui me siècle de notre ère. Cette date2 est en accord avec le rajeunissement actuel du peuplement

2 Une date calibrée (2 sigma) entre 660 et 1015 AD (Beta-170319) a été obtenue pour un niveau enfouicharbonneux, au pied d'une colline près du littoral (Ottino et alü 2002, Orliac 2003).

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de l'archipel, mais elle ne peut suffire à le certifier (Ottino, Orliac, Guiot, Sémah et Valentin2002, Orliac 2003).

Des différents sondages et fouilles effectués, il ressort que ces aménagements étaientorientés sur le religieux et le funéraire. La présence d'une élévation rocheuse, de pétroglyphes,de vestiges céphaliques humains et de restes osseux d'animaux ayant une importance de parleur valeur psychopompe, la présence de certains arbres aussi dont notamment des banians,apportent des éléments de confmnation à l'hypothèse de départ, basée sur des observations desurface et confirmée par les fouilles. Le religieux n'était pas un monde clos à l'écart deshumains, de lui dépendait la bonne santé des hommes et, sur ce lieu-même, des foyers et desstructures traduisent cette préoccupation matérielle de la vie. L'étude des structures permetainsi de comprendre leur fonction, leur organisation et leur évolution au cours des temps, sanspouvoir dater précisément les réaménagements successifs. La fouille fine d'une fosseparementée apporte un éclairage nouveau sur ce type d'aménagement énigmatique, pourlequel différentes interprétations furent avancées, tant par la population que les archéologues.Elle avait été destinée à la conservation du fruit de l'arbre à pain, sous forme de pâte en milieuanaérobique. Ce fruit était, aux Marquises, la base de la nourriture et la conservation d'unepart des récoltes était fondamentale sur cet archipel victime de sécheresses récurrentes, quiprovoquaient de redoutables famines. Cette fosse, initialement fosse-silo, connut au cours deson histoire un changement d'attribution pour finir, à l'époque du contact avec les Européens(lS_19ème

), de sépulture. La série de crânes mis au jour nous informe, entre autres, sur despratiques funéraires encore méconnues. C'est ce site de Hatiheu, avec les études de l'IRD, puiscelles menées en collaboration avec le CNRS, qui retiendra notre attention. Afin de mieux lesituer, il est nécessaire de le replacer dans le contexte insulaire et local et aussi, auparavant, dedonner un aperçu de l'organisation traditionnelle de l'habitat aux îles Marquises, tel qu'il seprésentait au moment du Contact.

3- Adaptation humaine - société, environnement et habitat

Les îles des Marquises sont relativement proches les unes des autres etcompartimentées par de hautes lignes de crêtes en une succession de vallées. Les raresplateaux et les crêtes demeurèrent peu habitables, à cause de la nature des sols, du relief ou duclimat, mais aussi en raison d'un état de guerre endémique, ou encore de conceptionssymboliques de l'écosystème où le centre de l'île, souvent frais et humide, était fondamentalau renouvellement de la vie et donc protégé par de nombreux interdits (H. Guiot, 2003), etaussi par des craintes. Encore à présent l'univers connu d'un Marquisien, celui où il vit et dontil se réclame, s'exprime par le terme henua ou fenua et correspond avant tout au territoired'une vallée qui, par son humidité et la richesse de sa terre, son ouverture sur la mer et le reliefde ses crêtes, assurait sécurité et prospérité à ses occupants. Dans ces vallées s'implantèrentdes groupes familiaux au sens très large du terme. Chacune de ces grandes familles, de cesclans, portait un nom et entretenait un réseau d'alliances qui s'étendait sur l'île et parfois ausein de l'archipel. La tribu comprenait en général plusieurs clans et occupait une vallée, ou lapartageait avec d'autres, selon l'importance des terres. Habituellement, l'île entière étaitpartagée entre deux grandes unités tribales dont la rivalité remontait aux temps immémoriaux.

Les premiers navigateurs océaniens qui abordèrent les Marquises trouvèrent unterritoire suffisamment riche pour permettre l'implantation définitive d'une population. Celle-ciallait devenir très importante. Les nombreux vestiges en sont la trace et même dans desendroits très isolés et des îles ou îlots à présent inhabités. L'implantation humaine et

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l'organisation de l'espace varièrent au cours des siècles en fonction de divers facteurs. Ilsdépendaient, au début, de la faible population et des habitudes acquises. Avec ledéveloppement démographique, la nécessité d'exploiter plus de terres se fit sentir. La pressioncroissante des habitants, les contraintes locales (côtes au-vent et donc mieux arrosées, côtesouest sous-le-vent, bien plus sèches mais aux eaux plus clémentes pour la pêche, orientationdes vallées, espaces disponibles, sécheresses ...) et les raids ennemis, modifièrentl'implantation de l'habitat. L'essentiel du terroir était distribué au sein même de la vallée. ANuku Riva et Riva Oa surtout, les deux plus grandes îles, certaines vallées étaientsuffisamment vastes pour abriter plusieurs tribus aux territoires reconnus. La vallée étaitorganisée en fonction du genre de vie et de l'imaginaire des habitants. L'usage et lasurveillance de la mer, les activités liées au centre communautaire, les pratiques culturales,religieuses, funéraires, de défense... s'inscrivaient dans le paysage où l'adaptation auxconditions écologiques et topographiques jouait un rôle essentiel.

Entre terre et mer, l'aire littorale offre souvent une étendue bien plus plane que le restedu territoire. Cette zone est cependant sensible aux mouvements de la mer, notamment auxtsunamis3

, mais offre les produits de la mer en abondance. La forêt primaire de pu'atea,Pisonia grandis, laissa progressivement place aux plantations d'arbres à pain, cocotiers,bananiers, mais aussi aux mi '0, Thespesia populnea, et tou, Cordia subcordata... Le solpouvait cependant y manquer d'eau pour des récoltes assurées. L'autel des pêcheurs, lafréquente présence d'un lieu de rassemblement, parfois d'un site religieux, montrentl'importance que revêtait cette portion de la vallée. Ce domaine côtier était celui des gens de lamer, de ceux qui en échangeaient ou distribuaient les produits à ceux qui vivaient plus àl'intérieur des terres. Ouvert sur l'océan, en bordure de territoire, c'était aussi une zone decontact où l'étranger pouvait aborder et un lieu privilégié des accrochages et enlèvementsintertribaux. C'était donc là que séjournaient de préférence ceux qui réglaient les relationssuscitées par ces rapports amicaux ou hostiles avec l'extérieur et les autres.

Devenus peut-être plus terriens que marins, les Marquisiens étaient très attentifs àl'environnement, au temps et aux propriétés de leur terre. Ils répartirent les espaces cultivablesen fonction des qualités du sol, de l'humidité et de l'ensoleillement. Les endroits reculés,offrant des peuplements d'aracées, de bananes plantains... assuraient des réserves de plantesdont on n'avait qu'épisodiquement besoin. Ils constituaient des lieux de cueillette, deramassage du bois, de collecte de plantes... et aussi de refuge, lors de disettes ou de combatsnotamment. Pour les espèces dont on pratiquait régulièrement la culture, les jardins variaienten fonction des besoins des plantes et de la fréquence de leur usage; souvent de faibleétendue, ils étaient répartis entre la basse vallée, le centre communautaire, le fond du territoireet jusque sur ses flancs. L'arboriculture, des arbres à pain notamment, semblait l'emporter surla culture des tubercules4

. Le développement démographique amena à cultiver de plus en plusde terrain, à contrôler l'érosion, le ruissellement, le débordement des torrents. Les terresaisément inondables furent égalisées, des parcelles de culture créées et retenues par desmurets. L'épierrement optimisait les surfaces tout en fournissant d'abondants matériauxnécessaires à la construction des nombreux murs et des plates-formes d'habitat.

Une plus forte densité des structures lithiques et des plates-formes d'habitationmarquait le coeur de la communauté. Il se situait souvent à bonne distance de la côte et bien

3 l'absence de barrière récifale et la configuration des baies canalisent et amplifient l'énergie engendrée par lestsunamis, qui peuvent ainsi occasionner de gros dégâts aux aires littorales et basses des vallées marquisiennes.4 Sur ces îles, les pratiques culturales étaient beaucoup plus orientées, sur l'arbre à pain, le châtaignier dePolynésie et les bananiers, que sur les plantes à tubercules, qui y viennent plus mal.

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avant d'arriver aux lieux encaIsses, humides et sombres du fond des vallées, soit,généralement, dans la moyenne vallée où pénètre largement la lumière et où le relief n'est pasencore trop accusé. De part et d'autre des torrents principaux, s'égrènent les résidencesfamiliales. La vie s'y articulait autour du lieu de rassemblement communautaire, à proximitédes bâtiments formant l'unité d'habitation du chef, qui se distinguait par son étendue et desdétails spécifiques : poteaux anthropomorphes, matières rouges dans la construction... Auxalentours se trouvaient les édifices tapu - sacrés - destinés à la célébration des événementsimportants. Des prêtres pouvaient y habiter et les entretenir. Dans le même secteur était édifiéela maison des hommes qui servait de lieu de réunion au chef et à ses compagnons, spécialistes,conseillers et guerriers. Ils y prenaient leurs repas ou s'y retiraient pour discuter et préparer lesactivités intéressant la collectivité. Les étrangers de passage pouvaient y être abrités. Latopographie et les éléments remarquables du paysage étaient admirablement utilisés et,souvent, une hiérarchie des aménagements épousait le relief des vallées. Les parties les plusimportantes et les plus tapu se trouvaient généralement sur une éminence ou plus en hauteurpar rapport aux aménagements plus communs, à ceux destinés au quotidien et à l'alimentation.

La vie familiale se déroulait autour d'un bâtiment principal élevé sur une plate-fonnelithique imposante, de fonne rectangulaire et à deux niveaux: le paepae (fig.3). La vie sepassait largement sur le premier niveau: une terrasse avant non couverte, où les repaspouvaient être pris. La partie arrière, plus élevée que la terrasse de 40 à 80 cm en moyenne,était recouverte d'une charpente maintenant des parois murales de perches et supportant unetoiture de feuilles. C'était le ha'e oufa'e. Cet intérieur, protégé par de nombreux tapu, étaitréservé au sommeil et à la conservation des objets précieux de la famille. Le ha'e pouvait fairel'objet d'une décoration soignée: sculpture des poteaux porteurs, tressage ornemental de lapoutre faîtière et autres points de fixation... Pour les bâtiments les plus prestigieux, les blocsbasaltiques à l'avant de l'espace couvert, formant une haute marche, étaient remplacés par desdalles rectangulaires, taillées dans un tuf volcanique de couleur rouge et posées sur chant, lepavage intérieur était fait de beaux et grands galets. Aux alentours se déroulait la plupart desactivités familiales courantes, dont la cuisine qui se présentait comme un appentis abritant unfour creusé dans le sol. Une construction, sur une petite terrasse ou sur pilotis, servait auxhommes; elle avait une fonction de garde-manger et d'atelier, voire d'abri à l'homme âgé quiavait perdu sa compagne. Ces divers aménagements étaient complétés de petits enclos pour lesplantes à soigner ou d'usage courant. S'y ajoutait l'autel familial, dressé dans un lieu sacré.

Les lieux de rassemblement et de festivités communautaires, tohua ou taha koina,correspondaient à une vaste cour rectangulaire qui pouvait n'être délimitées que par lesbâtiments, déjà évoqués, dépendants de l'autorité du chef. Pour les plus grands et sans douteles plus tardifs, des gradins furent édifiés sur tout le pourtour de cette cour, selon le principedes paepae. Un paepae plus important accueillait chefs et guerriers, d'autres étaient consacrésaux ancêtres et aux prêtres, d'autres aux femmes et aux enfants, aux hommes âgés ou bienencore aux visiteurs... Un rocher servant de piédestal, de petites plates-fonnes disposées àl'avant des terrasses pavées, pouvaient accueillir les musiciens et les personnes destinées à êtremises en vue. Les tohua pouvaient atteindre 160 m de long et 50 m de large, pour les plusgrands. L'ensemble des aménagements du pourtour pouvait abriter largement plusieursmilliers d'individus pour les plus grands. Le clan qui invitait avait à sa charge ses hôtes, venantaussi bien des vallées voisines que d'autres îles. Il s'y préparait pendant des mois et une grossepart des ressources de la vallée pouvait y être consommée. Contrairement au me'ae,éminemment sacré et interdit à la plupart, le tohua était le plus souvent accessible à tous. Saconstruction dépendait de la volonté du chefet nécessitait l'ensemble de la communauté.

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La période proto-historique (l6èmel18ème) a donc laissé dans le paysage marquisien detrès nombreux vestiges de ces anciens aménagements, encore visibles en surface. Les plusmarquants sont ces plates-formes lithiques d'habitations ou paepae (fig.3), souventspectaculaires par leur nombre et leur emprise monumentale, que l'on rencontre sur l'ensembledu territoire avec de fortes concentrations dans les vallées et sur les pentes les mieux arrosées,au sol fertile et à la végétation riche. Plus en hauteur, sur les crêtes et les versants trop abrupts,trop rocheux et encore peu stabilisés, les lignes de crête ... les aménagements sont plus rares etplus spécifiques. Du fait de leur isolement et parce qu'ils étaient souvent marqués par un tapu,ajoutant à leur inaccessibilité géographique, ces zones eurent souvent une vocation funéraire,

Les endroits marqués par une présence sacrée étaient légion. Il pouvait y en avoir unsitué à l'une des extrémités du tohua ou sur un de ses longs côtés, ou encore dans ses prochesenvirons, mais le plus tapu se trouvait à l'écart ou dans un lieu éloigné. Seuls les prêtres etleurs assistants avaient accès à ces me/ae, dont étendue, l'aspect et la nature même variaient enfonction de l'endroit et des circonstances qui avaient présidé à leur élaboration. Cette absencede plan type est, si l'on peut dire, un de leurs traits particuliers et la topographie y jouait unrôle déterminant. L'ombre même qui y régnait, notamment celle des banians, était sacrée.Quant aux pics, arbres et rochers, le lien qu'ils figuraient entre le ciel et la terre, le fait qu'ilsen émanent, que la cosmogonie fasse de rochers les ancêtres des humains, leur conféraient unevaleur essentielle qui ancrait les structures, tant concrètement que symboliquement. Celles-ciconsistaient en un ensemble de plates-formes, dont la plus élevée pouvait présenter lessupports des divinités: poteaux de bois, prismes basaltiques et autres pierres dressées, pierressculptées en bas-relief ou véritables sculptures anthropomorphes. Aux abords, il pouvait yavoir la case d'inspiration du grand prêtre et divers abris, dont ceux où étaient préparés lescorps des défunts.

Figure 3 : Lill habitat ion ur a plate-forme de pierr .

fJll1!.IJae­plafefom1e lithique

pakellO - fosse parementée

tua - pan arrière ou "mur" du fond

/kl('ava 0'0 - panne sablière

JI:~;~~:;:iiIllli\C ~~~~~~/~ tu'utu'u - poteau de fa~ade~ _pa'ekutu - filière de tOI!

•:~:i;~~~~~if ;.-.----llalina - poteler de façade_-a'uII'u - sablière basseTL..J~#r:::l--ke'etu - dalles de tuf taillées

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défensive ou de surveillance, de passage, de préservation d'espaces de collecte et de refuge...Cette occupation du territoire, par son étendue, traduit sans doute une période d'optimumdémographique, pendant laquelle les Marquisiens acquirent une connaissance quasi exhaustivede leur univers et s'implantèrent partout où nécessaire. Par la fréquentation de la mer, ilsétendaient encore leur univers insulaire, connaissant parfaitement tous les lieux de pêche, leshauts-fonds, l'état de la mer, les moindres rochers, les abris dans les falaises qui fournissaientdes points de repère, des haltes temporaires, des ateliers... Les Marquisiens appuyaient leuréquilibre sur les caractéristiques écologiques, physiques et symboliques de l'ensemble de leurterritoire et sur une spécialisation de l'espace et des sites. L'importance de la population fut àl'origine de cette reconnaissance insulaire, de ces connaissances et de ces innombrablesconstructions qui atteignirent des proportions mégalithiques vers le 1i me siècle, aboutissant àces fameux sites monumentaux et communautaires que sont les tohua, qui concentraientl'ensemble de la tribu lors des nombreuses cérémonies qui rythmaient la vie des vallées. À lasuite de la terrible hémorragie démographique que connut l'archipel à la fin du 19ème et audébut du 20ème siècle, l'abandon des vallées, le regroupement d'une population, réduite à l'étatde « relique », sur quelques points géographiquement très limités, provoqua une désertion desanciens sites d'habitat, leur envahissement par une végétation prolifique et un oubli plus oumoins important, selon leurs localisations et les classes d'âge de la population. La re­découverte de ces structures, avec le souci de les comprendre en relation avec les autresaménagements, comme avec la végétation ancienne, le relief et des éléments marquant dupaysage, oriente l'archéologie à prendre en compte des zones suffisamment vastes pourpermettre une vision d'ensemble; à la fois générale pour se rendre compte de l'organisationdes vestiges au sein d'un paysage autrefois fortement humanisé, et suffisamment précise poursaisir les caractéristiques de chaque construction.

Au départ, cette vision d'ensemble est impossible tant est dense la végétation etaccidenté le relief, aussi l'inventaire, la description et l'analyse de ces vestiges commencent parl'étude de structures individuelles et, au fur et à mesure de l'avancée des travaux, abouti sipossible à celle d'ensembles associés s'étendant sur plusieurs hectares voir sur la quasi totalitéd'un territoire, permettant ainsi de saisir les logiques de l'occupation de l'espace d'un lignageou d'une tribu et son adaptation à l'environnement. Bien que nombreux et relativement peuanciens, ces aménagements lithiques, souvent perdus sous la dense végétation de l'intérieurhumide des vallées, sont encore peu connus. En effet, la plupart des recherches furent, nousl'avons vu, conduites dans le but de dater un premier peuplement et d'établir une chronologiede son évolution; aussi les archéologues choisirent-ils essentiellement des sites de plage oudes abris-sous-roches, à stratigraphie profonde, géographiquement plus accessibles etcirconscrits, mais aussi en marge des zones de fortes concentrations humaines quis'établissaient donc à l'intérieur des vallées et particulièrement au sein de la moyenne vallée.Parallèlement à ces structures et à leur étude archéologique, des informations liées àl'environnement, à l'ethnohistoire et aux traditions orales associées, quand elles sontconservées, permettent de mieux cerner l'anthropisation du milieu et de tenter d'aborder laperception de cet espace insulaire qu'avaient les anciennes populations qui ont abordé ces îles,s'y sont installées et auxquelles elles lièrent étroitement leur sort. La géomorphologie des îleset le climat influencèrent cette société océanienne et son univers mental et environnemental,contribuant à des installations humaines assujetties au système orographique. Il s'y développaainsi une organisation des territoires par vallées, où les divers espaces, déterminés notammentpar le relief et l'écologie (très succinctement basse, moyenne et haute vallée), répondaient àdes fonctions précises. C'est à la compréhension de cette notion essentielle de fenua - pays,univers, terre patrie -, qui aux Marquises correspond avant tout au cadre de la vallée, que tente

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de contribuer la recherche menée à Nuku Hiva, en mettant l'accent sur l'espace médian quiétait donc le plus favorable et le mieux protégé des incursions des hommes et aussi de la mer.

4 - Milieu insulaire et peuplement -l'exemple de Nuku Riva

Dans l'histoire de l'humanité, la Polynésie, par sa situation et son éloignement, fut larégion du monde reconnue et peuplée le plus tardivement, l'Antarctique mis à part. Celanécessitait des connaissances astronomiques, de navigation et de construction navale quiforcent encore l'admiration; ailleurs les peuplements purent s'effectuer par cabotage ou pardérive. Les premiers Européens n'y accédèrent qu'à l'extrême fin du 16ème siècle. Bien avanteux, les premiers navigateurs austronésiens, venant de l'ouest, atteignirent la Polynésieoccidentale vers 1200 BC. Après avoir rencontré les archipels centraux des Cook, des îles dela Société et des Tuamotu, ils découvrirent l'archipel des Marquises (fig. 1 et 2 ) autour dudébut de notre ère ou lors du premier millénaire. Cet archipel présente un étalement de ses îlessur 350 km S-S-E/N-N-O, soit une orientation favorable à sa découverte par des piroguesremontant les alizés, c'est-à-dire en suivant un cap qui leur assurait une sécurité en leurpermettant de regagner plus facilement leur point de départ, plus à l'ouest et donc sous le vent.Les îles du sud furent peut-être touchées en premier mais il est fort probable qu'elles furenttoutes découvertes dans un court laps de temps, compte tenu des distances inter-îles. Dugroupe sud, Hiva Oa, la plus grande avec ses 35 km de longueur étirés d'est en ouest, offraitaux pirogues une longue terre et de nombreux points d'atterrages, par ses baies ouvertes sur lacôte sud notamment. L'île de Nuku Hiva, au nord de l'archipel, bien qu'un peu moins longue,30 km sur 20, offrait également quelques larges baies ouvertes au sud.

0c='-=~~5 km

NUKU HIVAArchipel dei llel MarqulIel

localisation des v.II••• et de. polnle. princlp.lel

figur 4: Nuku Hiva

Des îles du groupe nord, Nuku Hiva la plus grande, était celle qui offrait le plus devariétés dans son écosystème. Sa large superficie, son altitude et son haut plateau intérieur,limité par une haute ligne de crête en arc de cercle (entre 900 et 1200 m), lui assuraient de

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notables ressources en eau douce et l'alimentation régulière de rivières. Les 340 km2 de NukuHiva correspondent à la moitié nord du grand volcan bouclier de Tekao affecté par unecaldeira, à l'intérieur de laquelle s'est édifié le volcan de Taiohae, avant d'être lui aussi affectépar une caldeira de dimension plus réduite. Les parties méridionales de ces deux volcansimbriqués se sont effondrées dans l'océan permettant l'ouverture de trois larges baiesméridionales: Hakaui, Taiohae et Taipivai. Sur la côte ouest et nord-ouest de l'île, les pentesdu Tekao sont bien conservées et les vallées y sont étroites et très encaissées; les parties nordet nord-est sont largement érodées, ce qui permit le creusement de vastes vallées. A l'est, lacôte est surtout constituée de hautes falaises verticales battues en permanence par les alizés etla houle d'est. Seule Haatuatua offre une vallée suffisamment large, favorable àl'établissement d'une population importante. Le plateau central de Toovii, situé entre les deuxvolcans à 800 m d'altitude, trop élevé et trop frais pour nombre des végétaux introduits alors,n'offrait pas les conditions propices à l'implantation humaine, comme pouvaient le faire lesvallées.

La géomorphologie de l'île, la direction des courants et de la houle, ainsi que l'apportdes alizés constituent des facteurs majeurs qui déterminent et caractérisent chaque territoire,oufenua. Les embouchures des vallées, plus ou moins vastes et aisées, sont les seuls points dedébarquement possibles sur le pourtour d'îles au volcanisme jeune, non protégées par unecouronne récifale. Les rivages n'offrent d'ordinaire que des falaises abruptes ou unassemblage chaotique d'écueils et de pointes déchiquetées. Sur la côte sud, les baies de Hakauiet Taipivai présentent de larges possibilités de débarquement et des rivières alimentées enpermanence par le plateau de Toovii. Elles sont largement arrosées, ce qui est essentiel pourl'implantation humaine comme pour les plantes cultivées qui constituent la base du quotidien:de l'alimentation aux soins, de la construction à la navigation... L'orientation de ces valléesvers le sud et leur profil en V, leur valaient un ensoleillement moindre d'où la persistance del'humidité. La baie de Taiohae, à l'intérieur de la caldeira du volcan interne, estadmirablement protégée et sa large vallée, en D, est plus ouverte à l'ensoleillement. Al'inverse des deux autres, elle n'est guère alimentée par le plateau central et ses rivières sontdonc moins régulières, parfois même à sec. Toute la côte ouest de l'île, à l'abri des alizés étaitencore plus sèche. Les nuages, retenus par la haute ligne de crête formant barrage à l'ouest, sedéversaient préférentiellement sur la partie orientale et centrale de l'île. Les vallées, découpéesdans les pentes du volcan initial du Tekao y sont étroites et fort encaissées. Elles ne ménagentguère d'espace pour des occupations nombreuses. Leur orientation vers l'ouest leur valaitégalement un long ensoleillement, jusqu'à l'extrême fin du coucher du soleil, ce qui accentuaitla sécheresse inhérente à cette zone, due en partie à l'effet de Fœun. Cette partie de l'île,encore appelée Terre Déserte, au microclimat de type tropical aride ou subaride, ne convenaitguère à une implantation humaine importante, par contre l'accès à l'océan est facile car cedernier, à l'abri de l'île, y est particulièrement calme. C'est donc une zone privilégiée depêches fructueuses, même lorsque ailleurs les sorties en mer et les campagnes de pêche sontdifficiles, voire périlleuses. Le côté nord de l'île, surtout à partir de Motuee, présente ànouveau des vallées spacieuses et bien arrosées, donc favorables aux hommes. D'ouest en est,l'accentuation de l'érosion façonna des vallées de plus en plus vastes et des rivages de plus enplus variés. Hatiheu, au nord-est, est une des plus importantes vallées de cette côte, ainsiqu'Aakapa, plus à l'ouest. Sur la côte orientale, seule la vallée de Haatuatua présente une bellesuperficie, mais son orientation plein est lui vaut d'être constamment battue par les vagues etla houle du grand Océan, accentuant les difficultés pour l'accostage et la mise à l'eau despirogues, notamment par mauvais temps. Les premiers arrivants s'implantèrentvraisemblablement dans les vallées disposant de bonnes rivières, d'une terre richesuffisamment vaste et de points d'atterrages commodes et sûrs. C'était le cas de Taipivai et

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des baies voisines, de Hakaui ou Taiohae au sud, de Motuee, de Pua, de Aakapa et de Hatiheuau nord, un peu moins de Haatuatua.

Morphologiquement les vallées marqulslennes, dépassant rarement 3 à 4 km deprofondeur, se présentent en général sous deux types bien différents. L'un est une valléeallongée, étroite et encaissée, issue d'une érosion rapide dans les flancs du volcan. L'autre estle fruit d'une érosion plus forte, alliée à une tectonique cassante ayant emporté une part de lamasse volcanique. La vallée est alors souvent large, subcirculaire, au profil transversal en Uouvert. Ces deux types de vallées sont généralement bordés d'une ligne de crête aux versantsplus ou moins pentus et parfois de falaises aux parois abruptes, qui délimitent souvent defaçon continue ces territoires des autres parties de l'île. En dehors des vallées, le territoireinsulaire n'offrait que très peu d'espace habitable, seuls les deux îles principales, Hiva Oa etNuku Hiva, nous l'avons vu, disposent de plateaux surélevés, mais ce sont des terres tropélevées pour les plantes alimentaires introduites par les anciens Polynésiens, la patate douce etcertaines variétés de bananiers mis à part. Elles ne connurent pas un habitat important... ce quiaurait pu se produire avec une augmentation plus forte de la population et le besoin de mise envaleur de ces hautes terres, qui nécessitaient une adaptation culturelle nouvelle, des pratiquesculturales et un habitat quelque peu différents. À la suite de ces caractéristiques géographiquesde l'île, nous en venons à la vallée de Hatiheu, cadre du programme de l'UR Adentrho, avecnotamment une attention particulière à un ensemble architectural comprenant des habitationsnombreuses associées à des aménagements agricoles, cérémoniels et religieux...

5 - Morphologie de la vallée et installation -l'exemple de Hatiheu

Hatiheu, au nord-est de l'île, appartient au second type de vallée. Ouverte vers le nord,elle est spacieuse avec 2,3 km de longueur sur une largeur est-ouest de 4 km, ce qui lui vaut unbel ensoleillement. Son profil transversal en large U et sa forme en fer à cheval l'ouvrent surl'océan par une ample baie. Les crêtes qui la bordent ne sont pas trop élevées, surtout côté estoù elles laissent filtrer les rayons du soleil assez tôt le matin, comme elles laissent largementpasser les nuages qui l'arrosent généreusement, avant d'être chassés au-dessus de l'île. Lavallée connaît ainsi une bonne alternance entre pluies et périodes ensoleillées. La partie est dela vallée, comme sa zone littorale, sont plus ensoleillées et donc assez sèches. Au sud-ouest, lahauteur de la crête retient les nuages tout en abritant du soleil de l'après-midi, ce qui ménageune humidité très précieuse en temps de sécheresse. C'est aussi là que se déverse la cascade deKahuvai, la seule provenant du plateau central de Toovii. Cette richesse en eau estfondamentale dans cet archipel où les cycles de sécheresse, pouvant durer plusieurs années,sont récurrents. Ils ont provoqué des pénuries dramatiques, des famines et suscités sans doutedes départs vers d'autres contrées insulaires, avec en contrepartie des périodes d'humiditécroissante et des pluies parfois diluviales. Ces alternances climatiques laissèrent des tracesprofondes sur la société et déterminèrent de multiples attitudes culturales et culturelles. Ainsi,la première des quatre récoltes annuelles de l'arbre à pain marque le début de l'année et joueun rôle essentiel quant au sens accordé à la place du chef dans la société; il était responsabledu bien-être des siens, garant des récoltes et re-distributeur de nourriture. L'implantation decet arbre, Artocarpus altilis, du littoral jusqu'en altitude, ainsi que les très nombreuses variétés,sélectionnées en fonction d'usages ou de propriétés particulières (alimentation, écorce pour letapa, bois de construction, sève pour la glue et le calfatage...), sont les plus riches connues enOcéanie.

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Figur 5: Hatiheu

Au cours de l'année, les alizés oscillent en latitude. Durant 6 mois, ils proviennent del'est/sud/est, la baie de Hatiheu et toute la côte nord de l'île sont alors calmes. A partir du moisd'octobre, ils remontent plus au nord, rendant la mer forte à très forte. Les parties de pêchesont alors risquées et moins fructueuses, les embruns et les vents mettent à malles plantationscomme les toitures établies en littoral. La baie est frangée de sable gris et recouverte, parendroits, de gros galets (kiva) qui furent utilisés de façon privilégiée pour des constructionsmarquantes. Les extrémités de la plage sont flanquées de gros rochers qui laissent la place, surles côtés de la baie, à une plate-forme d'abrasion marine à l'est et à un versant rocheux trèspentu à l'ouest puis, vers le large et des deux côtés, à des parois rocheuses pratiquementverticales. Cette côte rocheuse et abrupte s'étire, au nord, sur une belle distance et ménageainsi une protection à toute attaque surprise par la mer. La distance et le manque de cachesentre ces pointes rocheuses et la plage laissaient du temps pour évaluer la situation et prendreles dispositions nécessaires. Par temps de paix, la longue plage de sable facilitait la mise àl'eau et l'atterrage des pirogues. Les anciennes structures dédiées à la pêche furent établies làoù les gros galets et autres roches étaient disponibles pour leur construction mais aussi là oùdébouchait un cours d'eau. Ces conditions ne déterminèrent que deux endroits: les extrémités,est et ouest, de la grève.

En arrière de la plage, la zone littorale est relativement plane. Elle s'élèveprogressivement jusqu'aux versants dont les pentes sont très raisonnables pour cet archipel oùles terrains plats sont l'exception. Ce vaste espace habitable, ainsi que ses ressources en eau,favorisèrent une implantation humaine importante, comme en témoignent les nombreuxaménagements. Plus en arrière encore, les versants se relèvent pour atteindre une ligne decrête, entre 500 et 800 m d'altitude, qui délimite parfaitement la vallée, sans pour autant

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l'enfermer: le col vers Anaho, à l'est, ne se situe qu'à 217 m et celui vers Taipivai, au sud, està 460 m. À l'Ouest, l'alignement des pitons déchiquetés de Te Heu marque une frontière versAakapa. De la crête principale, descendent des arêtes secondaires, bien visibles en hauteur ;plus bas, elles se fondent progressivement dans un paysage homogène, où la végétation estdominée par les plantations de cocotiers qui remplacèrent, à la période coloniale, les anciennesessences : des arbres à pain surtout. Ces arêtes, couvertes de fougères sèches et de hautesgraminées coupantes, délimitent naturellement des territoires traversés chacun de torrents plusou moins fournis. Elles constituent aussi des voies d'accès privilégiées pour joindre le plateauqui, vers 700 m d'altitude, faisait office de réserve pour la collecte de ressources végétales etd'espace de liaison possible entre les différentes vallées de la partie orientale de l'île.

Le littoral, où la ligne de séparation entre les clans5 de la vallée était marquée parl'embouchure de quatre torrents, était moins habité et moins construit que l'intérieur de lavallée. A la moindre qualité de ses terres, plus sèches et soumises aux embruns, s'ajoutait lerisque de tsunamis qui, aux Marquises pouvaient être dévastateurs pour les parties basses desvallées6

• Ce littoral se caractérisait par la présence de deux ensembles associés à la pêche: àl'est celui des Atikea et à l'ouest celui des Puhioho, les deux clans probablement les plusprestigieux de la vallée. Un espace communautaire, associé aux réjouissances animées par undes pans marquant de la société: le groupe des jeunes ou ka 'ioi, réunissait l'ensemble deshabitants sur une place de danse en bord de mer: le tohua Tameni. Cette partie, basse et plussèche, était donc réservée à des activités spécifiques. La population vivait plus haut, lespremiers espaces d 'habitat dense se trouvent à environ 300 m de la côte. De la même manièreles six autres tohua, ou places communautaires?, se trouvent répartis d'est en ouest, à hauteurdes premières pentes. Ces périmètres, mi-sacrés mi-publics, dont les superficies s'échelonnententre 3350 m2 et 6775 m2 sont exceptionnels, aussi bien pour le reste de l'archipel que pour lesautres îles polynésiennes, au regard notamment des aménagements liés au relief et dudéplacement de matériaux, dont des masses basaltiques de plusieurs tonnes. Ils correspondentà des travaux collectifs considérables aboutissant à de vastes esplanades, bordées de terrasseset gradins pavés, de plusieurs mètres de large et courant sur 100 à 150 m Leur répartitionmontre une occupation équilibrée et très dense de l'ensemble de la vallée. Aux alentours setrouvent les unités d'habitations et jardins de tout un chacun ainsi que les aménagementsassociés à l'autorité politique et religieuse partagée entre le chef et les prêtres. Ces travauxd'aménagements étaient pour le chefune occasion de souder la communauté et d'afficher sonprestige auprès des siens, comme celui de la tribu vis à vis de l'extérieur.

Les abords des cours d'eau furent mis à profit pour l'établissement de terrasses decultures inondées, ou facilement irrigables. Les débordements lors des crues pouvaient y êtremaintenues par de gros murets et les habitations se tenaient précautionneusement en hauteurdu lit du torrent. Hatiheu avait la chance de bénéficier d'espaces horticoles variés, allant deceux bien drainés à de plus marécageux et ce, des basses pentes, où les terrains étaientrelativement larges et plats, jusqu'au fond de vallons où les parcelles, plus réduites,s'étageaient sur des pentes de plus en plus fortes. Quant aux crêtes, quelques-unes, bienexposées et ventilées, se prêtaient tout spécialement au traitement des corps, comme Te IviMaikuku, qui se situe sur un emplacement idéal à cet égard. De toutes les autres crêtes,descendant vers la mer, c'est celle qui se trouve dans l'axe central de Hatiheu, ce qui lui

5 Les Atikea, Atipapua, Atipuku, Puhioho, Tapatea, Tuuoho, pour les principaux.6 Le raz-de-marée de 1946, présent dans toutes les mémoires, pénétra à plus de 200 m à l'intérieur des terres, etendommagea les sites littoraux.7 En dehors de Tameni en bord de mer, Hikokua est à environ 500 m de la côte et les autres à près de 1000 mavec Naniuhi, Maikuku, Pahumano, Tahakia et Kamuihei.

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permet d)embrasser l'ensemble de la baie) de la vallée et de la population qui y vit) de domineren quelque sorte le monde des vivants. Cette élévation) judicieusement placée) permet uneliaison directe avec le fond de vallée) le plateau élevé et) plus généralement) l'intérieur reculéde l'île, soit l'espace associé au monde des esprits) bien à l'écart du monde habituellementfréquenté par les êtres humains. Quant à la crête ouest, nettement plus élevée, difficile d'accèset stratégique, qui se situe à la frontière du territoire de Hatiheu et des voisins de Aakapa : lachaîne qui aboutit aux pics Te Heu, un rôle de veille et de protection lui fut assigné. Leslégendes rapportent qu'aux temps anciens, le redoutable guerrier Hahana s'y tenait poursurveiller les alentours.

- Territoires et clans:

Selon les traditions, deux frères sont à l'origine de la partition de la population de l'îlede Nuku Hiva. Un affront irréparable provoqua une dissension entre eux et ils partagèrentalors l'île en deux territoires. La partie ouest fut attribuée à l'aîné, Teiinuiahako, et l'est aucadet, Taipinuiavaku. Leurs descendants, Teii8 d'un côté et Taipi de l'autre, répartis en deuxgrandes familles tribales opposées, perpétuèrent cette hostilité légendaire, animéed'escarmouches et de raids cruels, jusqu'à l'époque contemporaine. Les grandes vallées deTaipivai, Hooumi et Hatiheu étaient Taipi, celle de Haatuatua et Anaho également. Les Teii àl'ouest comptaient la vallée très peuplée des Hapaa, celles de Taiohae et Hakaui. Le nord,jusqu'à Aakapa était également peuplé de Teii. Plus à l'ouest et jusqu'à Hatiheu, les petitesvallées, avec Haaume, optaient pour l'un ou l'autre camp, position inconfortable entre sesgrands voisins. Il n'y eut jamais, si ce n'est très tardivement et pour un cas unique, de chefdominant effectivement l'ensemble d'une île. De tout temps, la vallée constitua naturellementle cadre géographique, économique, social et politique où agissaient en alternance de grandesfamilles aux ancêtres prestigieux. Au sein de celle-ci, chaque individu jouissait decompétences spécifiques et était d'abord membre d'un clan et d'une vallée, puis d'une tribu.Si les oppositions entre Teii et Taipi l'emportaient, des rivalités entre vallées de même bord,voire entre clans d'une même vallée pouvaient survenir. Le caractère indépendant de chacun etle refus d'une autorité imposée, à fortiori extérieure, en étaient la cause. La ligne de crête entreHapaa et Taipivai était donc très sensible. Cette frontière, d'où pouvait à tout moment survenirle danger était surveillée en permanence; elle se prolongeait dans la grande baie,géographiquement commune à Hooumi, Taipivai et Hapaa, mais territorialement partagée. AuNord, Hatiheu était également une vallée stratégique par sa situation, garante de la frontièreseptentrionale entre Taipi et Teii.

Par rapport aux autres vallées du nord-est de l'île, Hatiheu semblait occuper uneposition dominante tant par sa superficie, sa richesse que la densité de sa population... Nousavons vu que Haatuatua ne dispose d'aucune protection face aux alizés et aux vagues del'océan. Anaho au contraire est réputée pour sa baie très abritée, mais cette vallée est de petitedimension et ses ressources en eau douce sont réduites. Elle ne pouvait pas être indépendantede ses deux grandes voisines et devait constituer un lieu privilégié pour abriter les pirogues deHaatuatua et de Hatiheu, du moins certaines et selon les saisons. Ses habitants étaient très liésau clan des Atikea, leurs proches voisins de Hatiheu sur leur flanc ouesë. Il en allait de mêmeavec leurs voisins de l'est, ceux de la vallée de Haatuatua, elle-même alliée à Hatiheu. La

8 F.W. Christian, 1910, Delmas, 1927, E.S.C. Handy, 1929; H. Lavondès et les souvenirs de Tahiaiko, dans lesannées 1965, Hati dit Kapana Touatini et Yvonne Katupa ces dernières années, communications personnelles.9 Le clan des Atikea était partagé à Hatiheu en sous-clans: les Maeka, Atihe'u'u et Atitapuihina. Le clan desAtipapua semble n'avoir été implanté qu'à Hatiheu ainsi que celui des Atipuku et Tapatea ; quant aux Kaniho, ilsn'étaient présents qu'à Anaho. Pour Ha'atuatu'a, on parle surtout des Ati'eka, des Mava'epu et des Atiku'a.

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qualité exacte de leurs relations n'est pas vraiment connue, mais la solidarité semble avoirprédominé ainsi ~u'une divinité: Te Vanauaua, vénérée à la fois à Anaho, à Haatuatua et aussipar les Puhioho1

, clan important de la partie ouest de Hatiheu ; la divinité majeure de cettevallée étant Tau'amanaoa : le «grand-prêtre au vaste pouvoir ». À l'Ouest par contre, lesalliances semblent n'avoir pas été aussi favorables. La grande vallée de Aakapa se trouvaitpartagée entre clans de la branche cadette et clans de la branche aînée et les petites valléesintermédiaires furent revendiquées, ou occupées, tour à tour par de petits clans en situationdifficile, hostiles tantôt à l'une, tantôt à l'autre de ces deux grandes familles tribales. Unmassacre à Tuipi entre ceux de Hatiheu et de Aakapa reste vivace dans les mémoires et lesderniers soubresauts de ces hostilités se manifestèrent jusqu'à l'extrême fin du 19ème

L'espace sur lequel nous allons nous pencher concerne une part du territoire desPuhioho. Situé sur les premières pentes à l'arrière sud-ouest de Hatiheu, il s'étend sur plus de10 hectares et était particulièrement important ne serait-ce que par sa situation (fig.5 et 6). Eneffet, c'est le plus proche de territoires voisins et souvent hostiles. On y avait un accès directpar le col le séparant de Taipivai. Ce col, s'il pouvait être utilisé par les gens de Taipivai,l'était aussi par des tribus Teii ayant traversé l'île par l'intérieur des terres et le plateau deToovii, comme le faisaient les clans hostiles de la grande vallée de Hakaui, au sud-ouest del'île, pour passer inaperçu et surprendre ceux de Hatiheu. Une légende conserve les détailsd'épisodes de ces attaques déjouées par un grand guerrier de Hatiheu: Keikahanui, dontl'habitation se situait sur le paepae de l'extrémité est du tohua de Tahakia. La tradition oraleconserve donc encore le souvenir de deux des plus grands guerriers de Hatiheu : Hahana etKeikahanui, tous deux membres des Puhioho. Leur territoire était donc le premier touché pardes incursions venant du sud, mais aussi de l'ouest et donc de la vallée de Aakapa. Al'est,nous l'avons vu, les vallées de Anaho et de Haatuatua étaient apparentées à celles de Hatiheu.Les Puhioho, connus pour la valeur de leurs guerriers ainsi que leur nombre, étaient donc enpremière ligne et assuraient ainsi la protection du reste de Hatiheu, comme des vallées voisinesdu nord-est. La partie cartographiée ne concerne qu'une part de leur territoire, qui s'étendaitplus au nord jusqu'à la mer et plus à l'intérieur des terres en direction de l'ouest, dans la zonede Kahuvai par exemple, zone très riche et humide qui semblait surtout vouée à la culture(arboriculture et horticulture) et pouvait constituer une réserve importante de nourriturevégétale pour les Puhioho mais aussi l'ensemble des tribus de la vallée, lors de disettes. Par lavariété et l'importance des structures, la partie cartographiée constitue la zone centrale,quoique lâche et étendue, de ce territoire. Si sa localisation géographique lui confère donc uneimportance stratégique et défensive, comme nous venons de l'observer, son implantation, ausein de la vallée même, lui apporte un autre facteur d'importance, résultat d'un choix sansdoute autant symbolique, si ce n'est plus, que matériel.

- Habitat et structuration des espaces -le choix de l'emplacement

La vallée se présentait donc comme un large éventail, délimité par une crête principaleet des arêtes secondaires qui en descendaient en direction du littoral. L'ensemble des pitons TeHeu en sont les éléments les plus caractéristiques et attirent immédiatement le regard, ils ontd'ailleurs donné leur nom à la vallée. En dehors de ce point remarquable, aucun accidentgéologique ne marque particulièrement le paysage du vaste amphithéâtre que forme la vallée.Les lignes de crêtes secondaires se signalent certes, mais surtout par leur végétation rase etleur couleur plus jaune. Leur élévation, quoique raide par endroits, se fait régulièrement; laseule exception est celle qui coiffe le site qui nous intéresse, formé par les ensembles de

10 Les Puhioho, localisés uniquement à Hatiheu, étaient également partagés en Atikeikahanui, Atipapua,Atitomoho'i, Atiheko.

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Teiipoka, Kamuihei et Tahakia. Descendant de la crête principale, cette arête, contrairementaux autres, s'interrompt en un abrupt rocheux qui émerge en éperon: Te Moui. Celui-ci sedistingue par sa forme: sommet relativement horizontal et paroi rocheuse quasi-verticale, parsa matière et sa couleur: roche affleurante gris-sombre contrastant avec les fonds verts desalentours, et enfin par sa végétation: sommet couronné de pandanus et d'arbres de fer auxfeuillages caractéristiques et très différents de ceux des versants. Sur ce replat unique etremarquable ayant vue sur l'ensemble de Hatiheu et de sa baie, les anciens avaient élevé unepetite structure de surveillance à laquelle la tradition associe le souvenir d'une «femme­guetteur». Disposant d'une vue panoramique, tant sur la mer et la côte que sur les lignes decrêtes, cette femme veillait sur le territoire et, si besoin, donnait l'alerte par un cri retentissantqui se répercutait sur toute la vallée.

L'ensemble de Kamuihei (place communautaire, bâtiments associés et parcellescultivées) ainsi qu'un espace sacré sont installés juste en contrebas, là où de nombreux rochersdétachés de la paroi de Te Moui se sont accumulés et où l'érosion a dégagé les roches. Cesrochers furent mis à profit pour les nombreuses constructions, à caractère parfoismégalithique, mais d'autres restèrent en place; parmi eux, un certain nombre portent despétroglyphes variés. Ils forment l'ensemble de pétroglyphes le plus dense de l'espacecartographié, mais toute la vallée est remarquable également en ce domaine. Le choix del'emplacement ne s'explique pas uniquement par le simple fait de cette disponibilité dematériaux en abondance. Cette avancée rocheuse frappante, sa matière, sa paroi et sonélévation constituaient un lien avec les ancêtres. En effet, les 'enana ou 'enata, les êtreshumains ou autochtones, se considéraient issus de Papa : la roche stratifiée, dont la strate dubas représentait la mère originelle et la strate du haut le père fondateur. Leurs enfants, ancêtresdes 'enata, avaient dû s'arc-bouter pour séparer leur étreinte et ainsi pouvoir venir au monde,voir enfin la lumière du jour. Au terme de leur existence terrestre, les êtres humainsretournaient dans ce monde sombre qui les avaient fait naître et rejoignaient les rochesmatricielles, abrités sous de gros rochers, dans des parois rocheuses et au creux des falaises.Les anciens Marquisiens répugnaient en effet à enterrer les corps; ils les conservaientlongtemps auprès d'eux, avant de confier les restes ultimes des leurs aux roches ou aux racinesde grands arbres dont les banians. Ces arbres, symboles des chefs par les liens qu'ilsétablissent entre la terre et le ciel, s'ancrent souvent sur des amas rocheux ou aux pierres desplates-formes remarquables. Ainsi, à la base de cet éperon rocheux et à l'écart de toute zonefréquentée, les parties les plus sacrées de l'espace concerné, ou me'ae, abritent structuresfunéraires et pétroglyphes qui, pour une part d'entre eux, se hissent jusque sur ses flancs,comme pour mieux assurer la liaison entre les aménagements en contrebas et Te Moui. Ainsi,à la présence fondamentale et peut-être fondatrice de cette élévation rocheuse, s'ajoutait unehiérarchie spatiale qui épousait harmonieusement la topographie de l'endroit. Avec l'élévationprogressive des terrains et le rapprochement vers Te Moui, l'on passe des aménagements lesplus ordinaires et profanes, à des structures plus importantes, redoutées et sacrées.

- L'ensemble architectural de Tahakia-Kamuihei-Teiipoka - occupation du sol etrépartition des structures :

Légende: Ce vaste ensemble architectural de 10 hectares fut établi sur un terrain en pente, de 22 % enmoyenne. A 40 m au-dessus du niveau de la mer, en bas et au nord du site, le terrain s'élève jusqu'à 120 m enhaut des aménagements relevés; on se trouve alors au pied de Te Moui, dont le sommet culmine à 250 m.Plusieurs constructions architecturales remarquables sont présentes dont notamment le tohua de Tahakia (le plusgrand de Hatiheu et un des plus imposants de l'archipel avec ses 155 m de longueur et ses 42 m de large) et celuide Kamuihei (142 m de long et 38 m de large) auquel s'ajoute le me'ae de Te l'ipoka. Ce dernier, de part etd'autre du torrent principal, se répartit en deux ensembles: l'un à l'ouest et l'autre au sud-ouest de Kamuihei et

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plus en hauteur. Entre et aux alentours de ces sites majeurs pour la vie de la communauté (lieux de festivités et deréunions communautaires d'une part, tohua, lieux religieux et funéraires d'autre part, meae), diverses structuresnécessaires à la vie quotidienne sont également présentes et nombreuses. Il s'agit notamment de plates-formesd'habitations surélevées, paepae, de fosses-silos, ua ma, dans lesquelles était conservé le fruit de l'arbre à painsous forme de pâte fermentée, de murs et murets qui stabilisent la pente, délimitent des enclos, retiennent desparcelles de terre destinées aux jardins, maintiennent un cheminement sur un terrain pentu. L'ensemble du site secaractérise également par de très nombreux pétroglyphes. Si certains ont été piquetés sur des pierres utilisées enparement ou en pavage des structures lithiques, la très grande majorité a été tracée sur des rochers volumineuxqui n'ont pas été déplacés et se situent généralement à côté des structures construites, en dehors de quelques-unsqui y ont été intégrés, mais lors de réaménagements ultérieurs. Ces rochers ornés, à proximité des constructions,font partie intégrante du lieu et des aménagements, au même titre d'ailleurs que certains végétaux et arbresmajestueux qui apportent leur ombrage et leur valeur, où le symbolisme dépasse souvent leur intérêt alimentaireet économique.

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Plus on s'éloigne de l'éperon rocheux de Te Moui, en allant vers le nord, plus ondescend vers la mer. Cette partie basse de la vallée est humide car les résurgences y sontnombreuses, au nord surtout, dans une zone que nous n'avons pas cartographiée, mais ellesapparaissent déjà à l'est et à l'ouest de Tahakia. Elles transforment en immense jardin inondé,ou facilement irrigable, une vaste dépression couverte d'un réseau serré de murs et murets deretenues. Les paepae d'habitation y sont rares, localisés sur les éminences les plus rocheuses.Cette zone réservée dans son ensemble à la culture, devait être exploitée de façoncommunautaire ou du moins destinée à l'ensemble du groupe. Dans ces plantations en terrainhumide et détrempé, devaient prédominer les aracées associés à un couvert de châtaigniers dePolynésie encore présents, qui abritaient également les jeunes pousses de taro, Colocasiaesculenta, des ardeurs trop violentes du soleil; anguilles et crevettes pouvaient aussi y trouverun milieu favorable ... et apporter un appoint protéinique appréciable à une alimentationessentiellement végétale. Plus en hauteur, le terrain un peu plus pentu est moins humide et areçu de nombreux aménagements destinés à des habitations. Des murets y délimitentégalement des espaces non construits mais de dimensions plus grandes que dans les zonesbasses. Les murets s'appuient souvent sur les paepae en place et ici, les parcelles, encloses,semblent attenantes aux habitations. Étaient-elles davantage destinées aux habitants de cespaepae ou également à l'ensemble du groupe? Si ces parcelles sont plus vastes, la topographieet la nature du sol semblent en être la cause. Ici en effet, le terrain est plus sec et donc se tientmieux, il n'a pas besoin d'une multitude de murs pour le retenir. L'absence d'eau suintant ensurface n'impose pas non plus le même type de façonnage paysager que dans les zones plusbasses et détrempées. La parcellisation du terroir ne semble pas obéir à des contraintesfamiliales ou de propriété mais, tout simplement, à celles du relief et de la nature de sol. Cettezone, comme les parcelles inondées plus bas, était sans doute également destinée à lacollectivité. Un autre fait porte également à considérer l'usage communautaire de la zonecomme étant la règle: la présence de ua ma ll de grandes dimensions uniquement. Ici 13grandes fosses ont été répertoriées dont 8 particulièrement volumineuses, tandis que les autressont encore bien grandes pour un usage familial. Peu de petits silos de type familial ont étéidentifiés12

• Ces fosses témoignent de l'importance des anciennes plantations d'arbres à pain,qui ont souvent disparu à l'époque coloniale, au profit de plantations d'intérêt commercial.Bien que plus sèche, cette zone recevait tout de même de l'eau, mais sous forme de petits litstorrentiels. Elle y était davantage canalisée par des murs que freinée et barrée par des muretsdont le but est de l'étaler en la répartissant sur des parcelles horizontales et sur le maximum desurface. Ici l'eau devait être simplement captée selon les besoins des plantes, et les jardins yabritaient des variétés de culture plus sèche que celles des zones basses. Les plants y étaientarrosés de façon individuelle. A une arboriculture, sans doute essentiellement constituéed'arbres à pain ici et non de châtaigniers, devaient s'associer des plants de bananiers et despatates douces par exemple.

Plus en hauteur encore, la pente devient plus forte en se rapprochant du pied del'avancée rocheuse de Te Moui. Le tohua de Kamuihei, ouvert à toute la population lors desgrandes festivités, y fut construit perpendiculairement au versant. Ce choix est fréquent, pourles grandes structures notamment, afin de faciliter le travail d'aplanissement du terrain etd'apport des matériaux de construction. Depuis sa cour et ses gradins, la paroi rocheuse le

Il Les ua ma, fosses-silos pour le fruit de l'arbre à pain, souvent circulaires, sont creusés dans un sol ferme etimperméable. Les fosses familiales ont de 1 à 2 m de diamètre et à peu près autant de profondeur. Les grandesfosses communautaires ont de 3 à 6 m de diamètre pour 3 à 4 m de profondeur, parfois bien davantage.12 Par contre, certaines fosses quadrangulaires maçonnées - pakeho -, dans les terrasses avant de paepae, traitcommun à Nuku Riva, auraient pu être de petites fosses « alimentaires» destinées aux maisonnées, voire des uama bien que cette dernière hypothèse n'ait jamais été retenue par les gens de Nuku Riva.

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dominant est bien visible, comme le sont les pandanus et arbres de fer qui recouvrent sonsommet. On se trouve alors directement sous la protection et le regard de Te Moui. Plus àl'ouest, de l'autre côté du torrent, le me 'ae de Te l'ipoka comprend trois paepae alignés,impressionnants, de 8 à 10 m de côtés et élevés d'environ 3 m en façade; un immense banian(Ficus prolixa, var. marquesensis : aoa), l'un des plus grands des Marquises, recouvre enpartie l'un d'entre eux. Ce me'ae est séparé du tohua, à vocation publique, par le lit creusé dutorrent. Ce qui n'empêche pas le tohua d'être placé sous les auspices du me'ae: unecérémonie pouvait aisément se dérouler de part et d'autre du torrent, débuter par exemple surle tohua pour se terminer sur le me'ae. Ces trois paepae sacrés se distinguent, outre laprésence du grand banian et leur position dominante, par l'existence de fosses reliquaires dansdeux d'entre eux et, pour le troisième, par trois niveaux de pavage, chiffre au symbolismeimportant à rapprocher notamment des trois divinités des chefs : Teuutoka, Teuuhua etTehitikaupeka. L'utilisation de dalles de grès de plage de couleur blanche, couleur réservée aumonde religieux et funéraire, est également remarquable, d'autant plus qu'il n'en existe pas decette teinte sur le littoral de Hatiheu, au sable gris-noir. Il faut aller les chercher, en pirogue,sur la plus éloignée des plages de Anaho, à 8 km à l'est, près de Haatuatua.

À l'ouest du tohua, dans son prolongement exact d'ailleurs et en contrebas du me'ae,se trouve un très grand paepae, de 20 m sur 12. Il n'est pas orienté comme de coutume vers lebas de la pente, mais vers le haut, car il s'oriente vers l'espace sacré, ou me'ae, tout en étant àbonne distance. Entre eux, le terrain en pente est libre d'aménagements lithiques notoires,mais compte plusieurs rochers émergeant du sol, dont beaucoup sont ornés de pétroglyphes.Ce paepae qui est le seul à afficher de si grandes dimensions parmi la centaine relevé danscette vaste zone, était sans doute un lieu de réunion et de décisions, la maison du chef et desguerriers, des notables ayant une fonction importante au sein de la société. Son associationavec un vaste espace communautaire tout à côté et un site religieux qui le domine, estintéressante. Elle souligne le caractère particulier de cette construction imposante, trèssoignée, et ornée d'un long alignement de ke'etu (tuf volcani~ue de couleur rouge, taillé engrandes dalles), qui était réservé aux plus belles constructions 3. La place importante qu'elleoccupe visuellement reflète sans aucun doute celle qu'elle tenait dans la société, à mi-cheminentre sacré et profane, entre un lieu de festivités et d'échanges et un lieu de décisions, à la foispoint de contact avec les hommes et lien avec les divinités. La restauration de ce paepae et laconstruction du ha'e (maison, case) qui le recouvrait, permit, entre autres, de mesurer la massede matériaux nécessaires. Pour la simple couverture du ha'e de 20 m de long, 6 m de haut et 5m de large, il fallut 4000 palmes de cocotier tressées. Or, l'usage le plus courant autrefois dansl'archipel était plutôt de couvrir les bâtiments de petits paquets de feuilles d'arbre à pain... Là,il serait plutôt question de dizaines de milliers de feuilles à préparer, sans compter la massebasaltique qu'il fallut déplacer et agencer, la quantité de bois qu'il fallut préparer, pour lacharpente, les centaines de mètres de fibres pour les ligatures... De tels efforts, les problèmesarchitecturaux à résoudre, donnent idée de la qualité des maîtres es construction et de laparticipation d'une main-d'oeuvre non spécialisée mais fort efficace et habituée aux grandstravaux d'envergure, qui n'ont pas manqué dans cette vallée.

En hauteur et en arrière de ces trois paepae au grand banian, toujours en liaison étroiteavec les hommes et les guerriers qu'ils dominent, s'étage ce qui est sans doute l'autre pan du

13 Le choix des autres blocs utilisés est aussi révélateur: grands blocs cubiques dépassant le mètre en façade,majorité de gros galets parfaitement lisses pour son pavage avant et exclusivement pour son pavage intérieur. Cesgalets provenaient de la grève de Hatiheu, mais les dalles de lœetu étaient taillées à Haataivea, une petite valléesèche entre Anaho et Haatuatua. Le filon affleure la côte et la terrasse d'abrasion marine. Les dalles,probablement arrimées à des radeaux, devaient être remorquées par des pirogues.

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me 'ae Te l'ipoka : un autre monde, concrètement plus en retrait et plus élevé encore. Ici, à labase du promontoire de Te Moui, deux banians y trônent toujours et apportent encore leurombre, considérée autrefois comme sacrée, à l'extrémité d'un espace de forme rectangulairequi se présente un peu comme un petit tohua délimité, côté montagne, par des gradins et, côtémer, par des paepae diversement alignés, qui témoignent de l'évolution du lieu au cours destemps. S'agit-il encore d'un autre site communautaire? Mais ses dimensions sont tellementréduites qu'il ne pouvait abriter l'ensemble de la tribu. Nous aurions tendance à y voir un sitedestiné à des cérémonies particulières, sans doute à caractère plus religieux et fréquenté pardes prêtres surtout. Les structures de ce petit « tohua » comportent énormément de pierres àcupules, ce qui dénote une intense activité liée à des gestes, des préparations sortant duquotidien tels des remèdes, charmes ou onguents... destinés à des rites cérémoniels, autraitement des corps par exemple... sous la patronage des prêtres. Enfin, les bancouliers(Aleurites triloba, 'ama) abondent à cet endroit et leurs noix fournissaient non seulement lalumière et le pigment servant à la préparation de l'encre du tatouage, mais aussi une huiledesséchant la peau... effet recherché dans la conservation des corps. Tout près, plus à l'est, futcreusé un grand ua ma, le plus important de cet ensemble. Ces constructions constituent lesaménagements les plus en hauteur de l'ensemble de Kamuihei et juste au pied du piton. Quantaux structures funéraires, elles se situent immédiatement à l'arrière de ce petit tohua, sur unpavage fait de gros blocs, implanté sur la pente même des premiers contreforts. Ce pavagen'est donc pas horizontal, contrairement à tous les autres, mais s'élève avec le pendage duterrain, il présente des structures quadrangulaires d'assez petites dimensions. Elles étaientdestinées à recevoir des corps lors du traitement de dessiccation, ou des ossements.Aujourd'hui effondrées, elles sont à présent à peine identifiables tant elles se mêlent auxcoulées de pierrailles qui endommagèrent l'endroit. Ce petit tohua fut en effet construit à lalimite du raisonnable: le plus haut possible sur les terrains aménageables et il en pâtit. Lesruissellements et les colluvions comblèrent progressivement sa cour, des paepae virent leursmurs disparaître sous les dépôts de pente et des murets furent élevés pour retenir cet apportincessant. .. nous dûmes dégager les sédiments sur parfois 1m d'épaisseur pour retrouver lesanciennes structures enfouies.

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Plus à l'ouest de ce tohua et un peu plus en hauteur, entre le pied du versant pentu et letorrent, à l'arrière d'un long amas rocheux de très grands blocs, deux gros rochers sontcouverts de pétroglyphes. Ils étaient étroitement associés à deux paepae dont l'un, contre le litde ruissellement, fut presque entièrement détruit par les crues du torrent. Un des rochers portesurtout des figures anthropomorphes, représentations d'ancêtres ou de divinités ? L'autre(fig.7) est consacré en grande partie à une faune marine prestigieuse : grands poissons (requinspour les uns, dorades coryphènes pour d'autres...) et nombreuses tortues, ce qui est rare auxMarquises, surtout par rapport aux îles de la Société et aux Tuamotu. Cet animal prestigieux,étonnant par son comportement, son allure, frappa en effet l'esprit des Océaniens : vivant dansla mer, il semble voler comme un oiseau et vient sur terre y confier sa progéniture qui, une foiséclose, émergera du sable et n'aura qu'une hâte, regagner l'océan... Animal symbolisant parexcellence la notion de passage d'un monde à l'autre, la tortue relie l'univers des hommes àcelui des ancêtres et des dieux. Cet animal pouvait également interférer auprès des divinitéspar son sacrifice, qui équivalait celui d'un être humain. Sa consommation était réservée auxdieux, aux prêtres et aux chefs. La localisation de ces motifs, dans la partie la plus élevée dusite, juste à la base des flancs de Te Moui, ajoute à leur importance et au rôle de médiateurqu'ils jouèrent probablement entre les hommes et les puissances ancestrales divines. Ainsi aufur et à mesure de notre déplacement, des terrains les plus bas et les plus proches de la mer,vers ceux les plus élevés, les plus proches de l'intérieur des terres et de l'élévation rocheuse deTe Moui, l'on passe de lieux voués à l'alimentaire et à la vie la plus quotidienne, à des espacesconstituant le coeur social de la communauté et des structures qui en assurent sa cohésion : letohua et le lieu de réunion où se rassemblaient chefs et guerriers, pour aboutir enfin à l'espacesacré où était ravivé le lien avec les divinités, par l'intermédiaire des prêtres séjournant auxpoints dominants de ce territoire.

- Recherches conjointes sur Teüpoka :

L'étude des structures d'habitat nécessite un gros travail de prospection, dedégagement et de relevé des divers aménagements découverts parmi une abondante végétationqui, parfois, cache les structures à moins de 4 m du chercheur. Les relevés en sont d'autantplus délicats, longs et fastidieux. Cette végétation comporte également nombre d'espèces quitraduisent la richesse, l'intérêt et parfois la fonction du lieu et mérite d'être préservée. Petit àpetit, cette étude permet une vision globale du site et de sa situation au sein de la géographieplus vaste de la vallée. Elle permet aussi les échanges indispensables entre chercheurs etpopulation au sein de laquelle s'effectue tout travail archéologique. Ce temps passé et leséchanges qui s'ensuivent garantissent une familiarisation à une curiosité scientifiqueconsidérée habituellement avec étonnement lorsqu'elle ne suscite pas le rejet pur et simple, àla suite souvent de recherches antérieures menées trop hâtivement et par des personnes tropétrangères car peu connues de la population, des recherches émanant trop souventd'institutions et de responsables extérieurs et lointains, qui n'ont aucune idée du fosséimmense existant entre leurs propres problématiques, les instances dirigeantes et les intérêtsdes personnes chez qui et avec qui se fait réellement la recherche. Ce n'est donc qu'après cestravaux de surface et de reconnaissance qui permettent en outre de bien connaître le terrain etde localiser les divers points d'intérêt d'un site pris dans sa totalité, que l'on pourra mieuxchoisir ce que l'on désire mieux connaître et les points qui méritent plus d'attention. Seule lafouille, qui sera alors mieux acceptée, car sinon ressentie comme une agression et un vol,pourra confirmer ou infirmer les observations et hypothèses préalables et apporter lesinformations indispensables à la connaissance du site, l'histoire de son implantation, de sonévolution et de ses divers usages.

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Après les travaux d'étude et de mise en valeur du site de Hatiheu, l'association del'IRD-UR 92 et du GDR 1170-CNRS permit d'entamer, en 2002, une étude pluridisciplinairesur une part importante de cet ensemble, à savoir la partie la plus élevée et la plus reculée ducomplexe architectural de Tahakia-Kamuihei-Teiipoka (fig.6 et 8). C'est l'étude etl'observation préalable de tout ce vaste ensemble archéologique qui nous amena à décelerl'intérêt et les particularités de cette partie haute de Teiipoka qui, en outre, semblait avoir étérelativement bien préservée des dégradations des hommes comme des altérations dues à lanature elle-même. La présence de colluvions nous faisait également espérer une relativeconservation des dépôts et du matériel éventuellement enfouis. La variété des recherchespermit d'avoir un premier aperçu de la richesse de cet espace qui se présente donc comme unesorte de petit tohua (fig.9). De 58 m de long sur 26 m de large seulement, il est bien trop petitpour accueillir une large population, mais suffisant pour un groupe particulier de personnesoeuvrant à des tâches spécifiques, telles des activités religieuses et funéraires. L'objectif duprogramme est de mieux comprendre la fonction et l'usage de certaines structures, tout enobtenant des informations complémentaires concernant la stratigraphie sous jacente, lacouverture végétale et les périodes d'occupation du site.

Les travaux se déroulèrent essentiellement sur et autour des structures n° 8 à 25, ilsconsistèrent en sondages à la tarière, avec un sondage plus large afin d'avoir un aperçu de lastratigraphie et d'obtenir des échantillons de datation. Deux dates calibrées (2 sigma) de 1420­1670 AD permettent de dater les premiers aménagements du site; une troisième, en zonelittorale, entre 660 et 1015 AD correspond probablement à la première occupation importantede la vallée, avec une installation déjà permanente dans la basse vallée. Ces sondagespermirent aussi, avec d'autres prélèvements de sédiments, d'obtenir des échantillons pouranalyses palynologiques dans le but de faire la part entre les plantes qui existaient avantl'arrivée des Polynésiens, celles qu'ils ont introduites, et de suivre l'évolution de la végétationpendant et après l'occupation du site par l'homme. En dehors du site lui-même et afin d'avoirdes données plus générales sur le contexte de la vallée et le paléo-environnement végétal del'île, des prélèvements furent effectués ailleurs dans la vallée de Hatiheu et sur le plateau deToovii, au centre de Nuku Riva. Nombre d'études ne sont pas terminées, comme d'ailleurs lestravaux de terrain. Ainsi l'analyse palynologique des prélèvements et celle des échantillonsdendrologiques sont en cours, celle des profils stratigraphiques presque terminée; nous n'enparlerons donc pas ici. Des travaux menés, nous n'exposeront que l'étude descriptive desstructures et les résultats préliminaires de la fouille d'un pakeho, ou fosse parementée,aménagé dans la partie avant d'unpaepae14

Légende de la figure 8 : le tolll/a Teiipoka et ses structures associées1 : restes d'unpaepae presque entièrement détruit.2 :paepae dont la terrasse avant est plus grande que sa partie arrière.a et b : rochers avec nombreux pétroglyphes: tracés anthropomorphes, grands poissons et nombreuses tortues. Lerocher a, vu du sud-ouest notamment, présente d'ailleurs la forme d'une tortue qui a dû retenir l'attention de ceuxqui lui attribuèrent sa fonction.3 à 7: structures funéraires sur une forte pente rocheuse; nous sommes au pied de Te Moui, cette éminencerocheuse visible de loin.S : pavage étendu fait de grands blocs, contre et en amont du petit tohua de Te l'ipoka, en suivant la penteascendante du terrain. C'est sur ce pavage que furent implantées les petites structures funéraires précédentes.9 et 10: gradin amont, dont la partie avant ménage une fosse quadrangulaire parementée ou palœho, qui étaitinvisible sous les dépôts de pente.11 : petite structure entourée de dalles de lœ 'etu, destinée sans doute à surélever une personne pour la mettre àl'honneur. Ce pouvait aussi être une plate-forme destinée aux offrandes et sacrifices.

14 Pour plus de détails, cf. : Ottino, Ouiot, Orliac, Sémah, Valentin 2002.

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12 et 13 : gradins pavés, ménageant entre son côté ouest et le gradin 14 un petit couloir destiné au passage deseaux de ruissellement. Le second palier présente, sur son bord est, quatre dalles-dossiers.14 : long gradin, faisant pendant avec 9 et 10.15 : paepae d'extrémité ouest du tohua. La partie avant, en très grande partie recouverte de colluvions, était peuvisible; une fosse, ou pakeho, y a été conservée. De nombreuses pierres furent réutilisées pour desréaménagements encore visibles aujourd'hui, comme les entourages circulaires qui pourraient border des fosses­silos.16 : structure enfouie sous les colluvions et les racines du banian.17 : paepae orienté sur la cour du tohua.18, 19, 20: structures construites pour retenir les colluvions provenant de la pente amont et qui ontprogressivement envahi la cour.21 : paepae bien endommagé qui semble avoir été orienté vers l'aval de la pente.22 : paepae d'extrémité est du tohua ; contrairement au modèle classique, il est à 3 niveaux.23 :paepae allongé très abîmé, adossé à la pente.189 : très grand 'ua ma. Un passage entre 10 et 22 permet d'y accéder aisément à partir de la cour du tohua. Enamont, la forte pente présente de nombreux rochers à pétroglyphes.24 : très beau paepae orienté vers l'amont et aligné avec le paepae 25. Deux pakeho, de 120 et 210 cm deprofondeur ont été ménagés dans son pavage avant.25 : beau paepae comprenant aussi deux pakeho (profonds de 80 et 135 cm actuellement).26: paepae adossé à la pente. Il est très abîmé et semble avoir été partiellement démonté.27: paepae adossé à la pente, très abîmé.28,29 et 30: paepae sans doute avec un pavage avant très étendu et une petite structure élevée sur le côté: à rôlefunéraire?

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- Données physiques du terrain - choix et contraintes:

La partie concernée par la fouille est, au sein de l'ensemble de Teiipoka-Kamuihei­Tahakia, très particulière. Il s'agit en effet des structures les plus en hauteur, elles se situent àenviron 120 m du niveau de la mer et juste au pied de l'avancée rocheuse de Te Moui. Cetemplacement a dû déterminer son implantation et la fonction de ces aménagements, commenous l'avons déjà vu. Les structures sont aménagées en pierres, la partie arrière des paepae etdes gradins, qui étaient couverte par les ha 'e, comporte généralement une partie frontale pavéeet une partie arrière qui ne l'était pas et qui était réservée au repos, au sommeil. Ilss'organisent par rapport à la pente, en étant soit perpendiculaires, cas le plus fréquent, soitparallèles. Contrairement à la plupart des structures, dont la surface est horizontale,l'aménagement du grand pavage 8 présente la particularité d'avoir une surface en pente quisuit le pendage naturel du terrain. Il se caractérise aussi par la dimension de ses «pavés »,dépassant le mètre pour certains, par son implantation, la plus en hauteur du tohua et par lesstructures funéraires qu'il supporte (cf. légende de la fig.8). Cette implantation, comme cependage sans doute, devaient répondre à des représentations symboliques et conceptuelles dufunéraire et de l'au-delà marquisiens, où les parties les plus en arrière et les plus en hauteurétaient également les plus tapu et les plus proches des divinités.

Construire sur un terrain pentu est cependant malcommode, notamment par lesproblèmes d'érosion et de colluvionnement que cela entraîne et qui compliquent grandementl'élaboration des structures, comme leur entretien et leur pérennité. Pourquoi donc avoir choisiun tel emplacement, en dehors de la valeur symbolique du lieu ? Face aux prouessestechniques révélées par les constructions marquisiennes, il n'est pas pensable que lesarchitectes ignoraient les problèmes de stabilité, de ruissellement et de colluvions... On nepeut croire qu'ils construisirent à un endroit aussi malaisé sans savoir ce qui les attendait etattendait leurs structures. À des conceptions trop mécanistes, où les contraintes physiquesjouent un rôle déterminant, devaient prévaloir d'autres considérations. Ainsi peut-on sedemander si l'évolution des aménagements, en quelque sorte «naturelle» car due àl'écoulement des eaux et aux dépôts de pente, n'était pas en fait recherchée. De même que lesanciens Marquisiens confiaient les ossements des leurs aux plates-formes de pierres, auxtroncs et racines des banians, qui progressivement les enveloppaient et les recouvraient jusqu'àles intégrer totalement, de même peut-on se demander si la sédimentation, avecl'enfouissement de certaines structures, ainsi que du matériel qu'elles exposaient ourenfermaient, n'était pas en fait recherchée. Le recouvrement tenant lieu non pas d'oubli etd'abandon mais d'intégration, de fondement et de fortification du pouvoir et de la valeurmême du lieu, des structures et des matériaux qui lui étaient associés. L'évolution que l'onobserve, au cours du temps, dans les structures et leur organisation, progressivement modifiée,était peut-être plus attendue qu'elle ne fut imposée par une nature, qui apparaîtrait à priorihostile à nos yeux. Constructions et reliques humaines étaient confiées aux phénomènesnaturels et non détruits par eux, affirmant ainsi une conception du monde où culture et natureétaient en complète osmose, comme étaient étroitement associées la vie et la mort.

La topographie du lieu imposa divers aménagements à l'implantation de ce petit tohua.Situé au pied de Te Moui, perpendiculairement à la pente, l'élaboration des structures anécessité des travaux de déblais et de remblais. A l'ouest, la rivière constituait une limitenaturelle, comme aussi l'amoncellement imposant de rochers de très grandes dimensions quidominent le site et ne peuvent être intégrés aux constructions; par contre ils peuvent traduireou acquérir une fonction spécifique: c'est justement sur une part de ces gros rochers, les plus

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élevés du chaos, que les anciens Marquisiens gravèrent deux panneaux parmi les plus grandset les plus fournis des quelques 80 rochers portant des pétroglyphes, observés sur cet ensemblearchéologique. Rivière et chaos rocheux forment la limite ouest du tohua qui s'appuie surl'extrémité nord de cet amas en intégrant et recouvrant certains de ses derniers blocs, côtéaval. Plus à l'est, le sol descend pour former une concavité dont le fond doit se trouver vers lesstructures 12, 13, 18 et 25 ; plus à l'est encore le terrain remonte, il contient quelques grandsrochers, mais bien moins que ceux de l'ouest. Il s'agit ici d'une partie convexe moins érodée,encore recouverte de terre et particulièrement pentue. À l'ouest, l'amas chaotique qui faitpendant a été dégagé de son sédiment englobant et de ses plus petits blocs par lesdébordements de la rivière qui mit à nu les plus gros rochers, que les crues ne pouvaient guèredéplacer. Ce ne fut pas le cas à l'est où aucun ruissellement permanent ne passe. C'est aussi làque les Marquisiens creusèrent une immense fosse-silo pour conserver le fruit de l'arbre àpam.

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Figure 9 : 1 rolllW Teiipoka

Avec une telle implantation, les Marquisiens ont dû creuser aux deux extrémités ouestet est, parties les plus élevées du terrain, pour obtenir leurs matériaux de constructions etcombler la partie centrale plus en déclive. Ce faisant, il s'exposaient donc à voir le centre de

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leurs aménagements envahir par les ruissellements et les apports de pente. Afin de faciliterl'écoulement des eaux, ils construisirent les paliers 12 et 13 plus bas que les autres gradinsamont (9, 10 et 14) et aménagèrent, sur leurs côtés ouest, une rigole d'évacuation. De la mêmefaçon ils ménagèrent entre les paepae 24 et 25 et à l'ouest de ce dernier, des passages puis,sans doute plus tard, un étroit passage entre le paepae 25 et le 17, qui semble avoir étéconstruit bien ultérieurement. Ces passages permirent certes à l'eau de s'évacuer et avec elleune partie des apports terrigènes mais cela ne suffit pas, ils virent ainsi la façade du paepae 25disparaître sous cet apport et durent construire ou rehausser le mur bordant, au nord, lesstructures 18, 19 et 20. Ces ruissellements coulant à travers l'ensemble du tohua, assuraientainsi son drainage mais, à cet aspect fonctionnel, pouvait s'ajouter une valeur symboliquefondamentale. Indispensables à la croissance des végétaux comme à l'existence des hommes,les eaux de pluies, en passant à travers les structures funéraires et ce tohua, se chargeaientsymboliquement de la valeur des ancêtres, avant d'irriguer, en contrebas, les constructionsdestinées aux vivants, ainsi que le grand tohua de Kamuihei. Les réunions et festivités qui s'ydéroulaient, et qui réunissaient une grande partie de la population, se tenaient ainsi directementsous les auspices, la protection et la présence même des ancêtres. A une élévation du terrain dubas vers le haut, où les aménagements humains devenaient de plus en plus importants et deplus en plus sacrés, répond un retour du haut vers le bas, de la partie la plus tapu : monde desprêtres, des ancêtres et des divinités, vers le monde des vivants à qui elle assure vie etprospérité. Là encore, se révèle l'idée d'un cycle, d'un échange, d'une chaîne où chaque partiede l'univers est indispensable à l'autre, où nature et culture ne s'opposent pas, où vie et mortne sont pas en contradiction, où divinités et êtres humains sont aussi nécessaires les uns auxautres.

Avec les constructions et la topographie du lieu, la végétation elle-même caractérise cetensemble, en le mettant à part des autres aménagements plus en contrebas. Outre les nombreuxihi (châtaigniers de Polynésie), qui sont plutôt associés à l'humidité du lieu et assurent unenourriture appréciable par ses fruits, on trouve des ama (bancouliers), utilisés pour desremèdes, l'éclairage, le tatouage et la préparation d'onguents destinés à dessécher et conserverles corps, indice supplémentaire à la fonction funéraire du lieu. On y trouve surtout deuxgrands aoa (banians), qui « ancrent» le tohua à son extrémité ouest. Rappelons qu'il n'y a que4 banians sur le vaste ensemble cartographié de dix hectares, et que celui au nord-ouest dutohua de Teiipoka serait le plus ancien. Doit-on faire de cette partie l'une des plus anciennesdu site, en se fondant sur l'âge estimé des banians et la tradition orale? Notons enfin qu'unjeune puatea (Pisonia grandis) pousse dans les racines de ce banian, est-il le descendant d'unautre plus ancien et qui aurait disparu? Le puatea semble, d'après nos observations,également associé aux espaces funéraires; la rapidité de sa croissance, sur des terrainsparticulièrement secs et ingrats, éboulis ou amas rocheux mêmes, la couleur de son écorceaussi, très blanche et donc associée à la vieillesse et à la mort, ainsi que la fréquence, chez lesvieux sujets, à présenter une base creuse pouvant servir de reposoir à des ossements, ont dûinfluencer ce rôle spécifique dévolu à cet arbre majestueux et caractéristique de la forêtprimaire marquisienne. Le banian quant à lui est sans doute le plus majestueux et le plusétonnant des arbres polynésiens. Dans le plus ancien du site, des crânes humains furentdécouverts parmi ses racines, ainsi que des fagots d'os longs, encore enserrés entre sesbranches. Cet arbre servit donc de dernière sépulture, et son implantation à l'ouest de ce petittohua et donc en direction de Havaiki, ou monde des ancêtres, n'est peut-être pas due auhasard. Il est aussi intéressant de se rappeler que la grande fosse-silo fut creusée à l'est dutohua, soit à l'opposé de ces banians qui établissent un lien avec les ancêtres. Ancêtres etHavaiki d'un côté, réserve de nourriture et vie de l'autre; à un axe vertical entre le bas et lehaut, entre la mer et la montagne, tai et uta, s'en ajoute un autre horizontal entre l'ouest et

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l'est, les ancêtres et les vivants, la mort et la vie. Ce petit tohua faisant liaison, ici quasiparfaite, entre ces différents mondes.

- Structures et chronologie relative:

Plusieurs phases de constructions peuvent être distinguées par la simple observationdes structures. Ainsi, les gradins amont présentent un alignement frontal est-ouest relativementrégulier. Un décalage dans l'alignement est cependant visible entre les structures 12-13-14 etles 9-10. En outre, les blocs de base de 10 reposent sur le pavage 13 ce qui en font unaménagement postérieur. Les gros blocs de bordure des gradins 9-10 et 14 sont de mêmecalibre (comme ceux de la façade du grand pavage 8), on serait tenté de leur attribuer unerelative contemporanéité. Ils présentent également des analogies dans la dimension des blocsavec les façades des paepae 24 et 25 qui, plus en aval, leur sont parfaitement parallèles. Lesfaçades de ces deux derniers paepae sont dans le prolongement l'une de l'autre et leursimilitude de construction, comme leurs fosses respectives, nous les font associer l'un àl'autre. Il semble ainsi que les lignes principales aient été données assez tôt, par l'implantationde ces deux alignements parallèles et se faisant face : les gradins 9 à 14 s'orientant vers le basde la pente et les paepae 24-25 s'orientant vers le haut de la pente, soit les gradins supérieurs.La disposition habituelle des paepae étant de s'adosser à la pente et de s'orienter vers le bas,dans le cas contraire, c'est qu'ils s'orientent alors sur quelque chose d'important et à laquelleils sont associés. Afin de limiter ces deux axes à leurs extrémités, les paepae 15 et 22, l'un àl'ouest et l'autre à l'est, vinrent fermer ce rectangle et mieux délimiter une sorte de courinterne et commune. Les blocs de bordure avant, utilisés pour ces deux paepae, ne sont pas demême grandeur que ceux des structures précédentes; y a-t-il eu un changement de style entreces deux événements? ou tout simplement des contraintes techniques: les plus gros blocsayant déjà été utilisés, il ne restait alors que des blocs de dimensions inférieures (en dehors desénormes rochers intransportables), hypothèse qui ferait des ces deux paepae des constructionsultérieures aux principales lignes données au départ par les structures 9 à 14 et 24-25.

A ce stade, le pavage avant du paepae 25 était encore visible et devait dépasser le solamont d'une bonne hauteur, c'est-à-dire d'au moins 1 m et peut-être 1,50 m si l'on en juge parles proportions des blocs de façade. Précisons que lors de la découverte du site, cette façadeétait quasiment invisible car en grande partie recouverte par les colluvions de pente. Ce n'estqu'après un comblement partiel de la cour que les structures 18-19-20 furent construites et lemur, qui les retient côté nord, monté. Ce mur a l'inconvénient d'être trop proche de la bellefaçade du paepae 25, ce qui ôte à sa majesté et empêche de l'admirer, mais a permis de laprotéger d'un recouvrement inéluctable. Ce mur, s'il avait existé dès le départ, auraitégalement considérablement gêné, pour ne pas dire empêché, la construction du paepae 25 etsurtout la mise en place des imposants blocs de sa façade. À ce stade d'évolution et donc avantle montage du mur nord, le ruissellement devait se faire principalement à l'ouest du paepae25, dans le prolongement exact du couloir ménagé à l'ouest des gradins 12-13 ainsi que, dansune moindre mesure, entre les paepae 24 et 25. La construction des structures 18-19-20accélérèrent sans doute le remplissage de la cour et le rehaussement successif du mur nord.

Le paepae 17, tel qu'il se présente aujourd'hui, fut construit alors que le remplissagede la cour avait presque atteint son niveau actuel, la partie arrière de ce paepae s'appuied'ailleurs contre le mur nord de la structure 18. Les Marquisiens ménagèrent encore un espaceentre l'angle sud-ouest du paepae 25 et la partie nord-est du paepae 17 mais trop étroit pourune bonne évacuation des eaux. Reste la position des structures 16 et 21 dont les vestigesvisibles sont trop succincts pour bien les interpréter. Des sondages ou des fouilles

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permettraient de les organiser chronologiquement par rapport aux autres structures mais pourle moment... elles sont sans doute antérieures aux aménagements 17 à 20. La structure 16pourrait être antérieure ou contemporaine du paepae 15 dont elle soutient le pavage avant. Elleest aussi largement recouverte par le plus vieux banian, tandis que le second banian entame àpeine la partie arrière du paepae 15. Quant au paepae 21, recouvert par des colluvions, ilsemble bien antérieur au paepae 22, et fut partiellement arasé et pillé d'une bonne part de sespierres. Il ne fut pourtant pas totalement détruit; pour qu'elle raison? Recevait-il unestructure, avait-il une fonction ou simplement traduisait-il une valeur passée conservée par sesvestiges, comme l'on conservait les os des ancêtres? La présence de dalles de keetu et ladimension de ses blocs de bordure, son orientation aussi, parallèle et vers le paepae 24pourrait en faire une structure ayant eu une période de fonctionnement contemporaine à cedernier. Tous deux préservent un espace plan entre eux, bien protégé de l'érosion et quipouvait constituer, par le passé, un passage important, voir le plus important au tohua, du côtéaval. Dans l'hypothèse proposée, il est bien évident que nous n'avons tracé que les grandeslignes de la situation des structures les unes par rapport aux autres. Seules des fouillesétendues permettraient de suivre sûrement l'évolution de cet ensemble avec ses diversescomposantes. Elle nous montre déjà que ces structures, telles que nous les voyons aujourd 'hui,sont le fruit d'une longue évolution et de réaménagements qui façonnèrent progressivementlS

l'architecture marquisienne, pour aboutir aux constructions que nous pouvons observer encorede nos jours.

Dans l'hypothèse de ces deux alignements primordiaux (9-14 et 24-25), il est certainque la différence de niveau, plus de 3 In, entre ces deux composantes du site, rend nécessairela présence de structures ou de paliers intermédiaires, qui doivent se trouver fossilisés sous leremplissage de colluvions servant de substrat au sol actuel. Les structures 16 et 21 pourraientfaire partie de ces anciennes constructions, dont les plus profondes sont, elles, totalementenfouies. En se basant sur les contraintes du relief et le goût des Marquisiens pourl'organisation et l'équilibre donnés à leurs structures, nous ne pouvons, pour le moment,qu'envisager ces constructions enfouies mais, pour les recherches futures et la compréhensionde ce qui est observable aujourd'hui, il n'est pas inintéressant de poursuivre le raisonnement.En reprenant nos deux axes principaux 9-14 et les paepae 24-25, nous nous apercevons que laprésence d'une structure côté aval et à l'ouest (que ce soit un mur ou un paepae) auraitl'avantage de contenir le terrain et de finir d'aménager un espace de forme régulière avecl'alignement amont 9 à 14. Cette structure permettrait en outre de ménager un espacerelativement plan au lieu du terrain initial qui était très pentu (cf. fig.8 et 9). Ce mur seraitpeut-être encore en partie visible, mais occulté par le banian et les aménagements plus récents.En effet, il est tentant de déceler dans le mur nord de la structure 16 une partie de cet ancienaménagement qui s'allongerait probablement plus vers l'est, sous le paepae plus récent 17, endirection de l'angle sud-ouest du paepae 25. Ce mur aurait l'avantage d'être aligné sur lesfaçades des paepae 24-25, ce qui est souvent le cas dans les aménagements complexes de typetohua, de délimiter ainsi une forme rectangulaire, régulière, et qui donnerait à cet alignementaval une longueur équivalente à celle des gradins amont 9 à 14. La coupe transversale du plandu tohua permet de visualiser approximativement cette ancienne structure 16, qui aurait aussiservi de base à la construction ultérieure du paepae 17, dont la partie arrière se serait appuyéesur ce mur 16; ce qui est visible aujourd'hui du côté est, le côté ouest étant pris dans lesracines du banian.

15 surtout en quelques 3 ou 4 siècles, si on se base sur une datation du l5ème ou 16ème siècle pour les premiersaménagements du lieu, jusqu'à la première moitié du 19ème

, qui vit sans doute l'abandon du site.

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La pierre est un basalte dense mais rugueux, ce qui est dû aux cristaux que renferme la roche età leur altération. Le piquetage est bien marqué avec une largeur de 8 à 15 mm pour les tracésprincipaux et une profondeur de 3 à 6 mm. Seul le piquetage de la tête, ou des deux crochets, est peuprofond, de 1,5 mm, ainsi que le corps intérieur du scolopendre, de 2 mm, ce qui le met en très légercreux par rapport à la surface du bloc. Les points d'impact de l'outil utilisé sont de 1,5 à 3 mm dediamètre.

Si le mata li/d (fig. 11) ou représentation de tête ou de crâne humain, est classique et sans douteassocié à la commémoration d'une personne défunte, la représentation d'un vei, est, à ce jour, la seuleconnue sur l'archipel. L'emplacement de ces deux pétroglyphes montre qu'ils furent piquetés dès ledébut des aménagements du tohua, car ils se situent sur ses structures les plus anciennes. Ici, la figureoccupe toute la face d'un bloc à la base du gradin 10, il est en parement nord et donne sur la cour dutohua. Ce bloc est aujourd'hui au niveau du sol, ce qui n'était pas le cas quand il a été piqueté. Le solétait alors bien plus bas et cette pierre faisait partie d'une structure antérieure au gradin 10, visibleaujourd'hui. Le sommet actuel de ce gradin est à 1 m au-dessus de la partie supérieure de ce bloc auvei.

20cm

Figure 10 : pétroglyphe d l'ei ou S l)1 pendre

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- Pétroglyphes et pierres remarquables:

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10 20cm

Figur 11 : pétroglyph d /1/0tll riki. vi ag LI 1 le

La figure occupe une partie de la face du bloc, qui est actuellement en parement nord de lastructure 16 et donne sur l'extérieur du tohua. Les racines de banian rendent difficile son accès et unebonne vision du parement. Ce bloc est aujourd'hui au niveau d'une surface terreuse en pente qui necorrespond pas à la base du mur, recouverte par des éboulis; il est à 60 cm du mur ouest du paepae 17et à environ 1 m sous la cour actuelle du tohua. Ce bloc fut probablement réutilisé lors de laconstruction du mur, car le visage est à l'envers. Les racines du banian empêchent de voir l'ensemblede la pierre, qui fait au moins 70 cm de largeur et 60 cm de hauteur, ce qui en fait un bloc relativementgrand par rapport aux autres pierres de ce parement. Ceci permettrait de le considérer comme un blocde bordure sommitale qui, lors d'un rehaussement du mur, aurait été redressé, comme cela a étéobservé à plusieurs reprises sur le site et ailleurs, pour gagner de la hauteur. Le mata tiki, piquetéoriginellement à l'horizontale, se serait alors retrouvé placé verticalement et à l'envers par rapport ausol.

La pierre est un basalte dense, la rugosité de la surface est due à l'altération des cristaux querenferme la roche et à de petites vacuoles. Le tracé par piquetage est large et profond Il n'y a pas dedifférence de couleur et d'aspect de surface entre les tracés et le cortex non touché de la roche. Lestracés sont larges de 13 à 15 mm et profonds de 1 à 5 mm. Les points d'impact de l'outil utilisé sont de2 mm en moyenne; ils sont moins marqués que ceux du pétroglyphe de vei car le motif est plusmartelé ici et sans doute plus altéré. Est-il plus ancien que le vei ?

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La découverte de deux pétroglyphes (fig.10 et 11) est intéressante car ils se trouventsur des blocs de parement de constructions sans doute parmi les plus anciennes du site. L'un setrouve en effet sur un bloc du mur nord de la structure 16, pris dans les racines du banian, etl'autre à la base du gradin 10. Ce gradin 10 est plus complexe qu'il n'y paraît. En effet lepétroglyphe a été piqueté sur un bloc de base... ce qui n'est guère commode actuellement caron doit se baisser et même s'allonger au raz du sol pour le tailler. Trop bas pour que l'onpuisse y travailler aisément, cette gêne disparaîtrait s'il avait été taillé à un moment où le solétait bien plus bas; ce qui fut le cas comme l'a démontré le sondage établi au pied du gradin10 et devant ce pétroglyphe. Non seulement le sol était bien plus bas, lors des premiersaménagements, mais ce bloc qui porte le pétroglyphe fait partie d'une assise que l'on suit plusà l'est et surtout plus à l'ouest et qui déborde légèrement, en façade, le parement du gradin 10.Le sommet de cette assise est en outre régulière et plane, et les blocs sont tous de dimensionshomogènes. Ce que nous avions pris pour l'assise de base du gradin 10, correspond en fait àl'assise sommitale d'une structure plus ancienne, en grande partie enfouie, contemporaine,voire identique, au gradin 13 et sur lesquels les Marquisiens aménagèrent, plus tard, le gradin10, en rehaussant et en s'alignant sur l'ancienne plate-forme. Quant au second pétroglyphe, ilsemble lui aussi être un indice d'antériorité de la structure 16 (voir à son sujet la légende de lafigure). La présence de pétroglyphes sur ces anciennes parties du site, ainsi que leurscaractéristiques, montrent que leurs tracés remontent aux premiers aménagements construitsdu lieu et qu'ils perdurèrent tout au long de l'occupation de l'endroit.

La présence de dalles de keetu, un tuf volcanique, ornant le niveau médian des paepaeet des gradins, est également intéressante, elles se rencontrent sur les structures 9-10, 24 et 25où elles sont de belles dimensions, les restes du paepae 21 en conserve deux seulement, cellesdu paepae 17 sont plus irrégulières et hétéroclites. Le gradin 14 ne possèdent pas de dalles dekeetu mais des dalles de basaltes souvent sur chant, les gradins 12-13 présentent surtout desblocs de basalte, quant aux paepae 15 et 22, il n'y a pas de keetu mais des blocs ou,accessoirement, des dalles de basalte. On ne peut déduire de ces constatations, des hypothèsestrop définitives mais on serait tenté de noter que pour le parement de façade du second niveaudes paepae, dans les structures les plus anciennes (gradins 12-13 et 14 par exemple), onutilisait des blocs de basalte et l'usage des dalles sur chant était apprécié mais elles étaientalors également en basalte et donc en roche trouvée sur place, avec pas ou peu de travail detaille; vint ensuite l'usage des dalles taillées et la préférence portée à un tuf volcanique, keetu,qui se prêtait plus facilement à la taille que le basalte et présentait une couleursymboliquement recherchée: le rouge. On utilisa alors de belles et grandes dalles (gradin 10,paepae 24 et 25). Plus tard enfin, même si l'on préférait toujours associer dalles de keetu etgalets de plage, on utilisa avec moins de constance ces dalles de keetu, les mélangeant avec ceque l'on avait à disposition et même des blocs de basalte non taillé, pas forcément mis surchant mais présentant une face plane en façade (paepae 15, 17 et 22). Cette évolution a sonparallèle dans le choix des formes et la dimension des blocs utilisés: gros blocs dans les tempsanciens puis blocs moins gros, et préférence pour les galets de mer en pavage, du moins pourcertaines structures et parties surélevées de structures. Mais l'importance de la construction etsa fonction surtout jouaient bien sûr un rôle, peut-être plus important encore, dans la qualité etle choix des matériaux.

,Un précieux témoignage à la fonction du site est sans doute apporté par des blocs

portant des cupules et des surfaces d'émeulage. Sur ce petit tohua Teiipoka, 108 blocs portent

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des cupules et, ou, des traces de polissage16• ce qui représente un nombre très important,

notamment par rapport à la dimension du site et en comparaison avec d'autres aménagementsarchitecturaux. Il est certain que cette profusion dénote une fonction très particulière du lieu, etaussi une possible ancienneté; les sites ayant peu de pierres à cupules ou de polissoirs pouvantavoir été utilisés moins longtemps que d'autres. Cette durée de fonctionnement n'expliquecependant pas tout et c'est la fonction même de ces pierres qui pourrait éclairer l'usage et lerôle de ces structures. Hélas très peu d'informations ethno-historiques ou orales concernent cetype de pierres. Malgré leur présence assez fréquente, la fonction des cupules est loin d'êtreclaire pour la population comme pour les chercheurs. Elles furent interprétées comme des bolspour préparer l'encre du tatouage, ce qui n'est pas impossible, ou comme des surfaces depolissage du tranchant de certaines porcelaines servant d'épluchoirs à fruits ou tubercules, cequi semble moins probable. En effet lorsque l'on observe ces cupules, qui sont généralementde dimensions approchantes, leur surface est bien régulière mais elle n'est pas polie, ce quiaurait été le cas avec le frottement circulaire et appuyé d'un objet en vue de le polir ou del'affùter. La surface est au contraire relativement grenue, comme si elle avait en fait servi demortier, se façonnant progressivement avec le temps et l'usage. La forme elle-même descupules, en dehors de la surface de leurs parois, indique également le rôle de mortier qu'ellesont dû avoir. En effet elles sont rarement parfaitement rondes et présentent un profillégèrement asymétrique, indiquant le sens du mouvement effectué avec le pilon et donc laposition de la personne qui oeuvrait. Des galets allongés ont été retrouvés, leurs formes sontnaturelles mais ils possèdent une ou les deux extrémités écrasées et abrasées par l'usage. Ils'agit en fait de pilons, en général non façonnés mais usés par leur fonction et leur fréquenced'utilisation; ils s'adaptent parfaitement aux différentes cupules plus ou moins profondes, quiont pu servir à casser ou broyer des graines, écorces, feuilles, fruits, des herbes ou des matièresanimales et minérales... rentrant dans des préparations diverses, destinées sans doute à lapharmacopée locale ou à des traitements destinés aux défunts (massages, conservation etdessiccation des corps par exemple...). La présence de ces pierres à cupules et leur nombreferait alors de ce site un lieu privilégié et destiné à un usage médical et, ou, funéraire,apportant ainsi un indice supplémentaire à la fonction du lieu déjà signalée par sonemplacement, certains arbres et la présence de pétroglyphes, dont les représentations detortues (fig.7), animal dont des ossements furent également mis au jour lors des fouilles. Cesdescriptions et hypothèses, s'appuyant sur des observations et des comparaisons avec d'autresstructures semblables de la vallée et de l'île, permettent une première approche de cetensemble, que les fouilles et l'apport d'autres études spécialisées permettront de préciser. Atitre d'exemple, la fouille d'un pakeho ou fosse quadrangulaire parementée et aménagéehabituellement lors de la construction du paepae, apportera des informations complémentairesprécieuses. Cette prochaine partie est extraite d'un article de Ottino et alii, paru à Tahiti en2003, l'étude anthropologique est due à F. Valentin.

- Une structure particulière, le pakeho :

Les pakeho sont des fosses quadrangulaires à parois parementées, généralementcomprises dans la plate-forme avant des paepae. D'après plusieurs auteurs et nos observations,elles participent de leur construction et descendent jusqu'au niveau du sol originel. Suggs(1961) a fouillé, dans plusieurs sites de l'île de Nuku Hiva, plusieurs sortes de fosses - carrées,oblongues ou ovoïdes - qu'il nomme « fosses de véranda », et a montré, entre autres, qu'ellespeuvent se prolonger sous la surface du sol environnant. Dans la vallée de Hane (Ua Huka),

16 Sur ce total de 108 pierres, 80 portent une ou plusieurs traces d'émeulage avec ou sans cupules, et 69 une ouplusieurs cupules, sans ou avec une ou plusieurs surfaces d'émeu1age; 48 blocs ne portent qu'une seule cupule et14 en portent 2 ; le maximum observé et de 9 cupules sur un bloc qui ne présente pas de traces de polissage.

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les fosses quadrangulaires examinées par Kellum-Ottino (1971) sont ordinairement carrées etleur côtés varient entre 0,90 m et 1,60 m. Des dimensions et forme d'ouverture analoguescaractérisent les pakeho visibles au niveau de la plate-forme antérieure des paepae des tohuade la vallée de Ratiheu et notamment ceux de Kamuihei et de Teiipoka. D'après l'étudeethnographique de Randy (1923) des fosses parementées avaient pour fonction de recevoir unou des corps ou simplement des crânes, réalisant ainsi l'étape finale d'un rituel funéraire enplusieurs temps où le cochon, en particulier sa tête, occupait également une place importanteen tant qu'offrande accompagnant le défunt. Selon son informateur de Nuku Riva, on pouvaitaussi jeter les restes de sacrifices et des objets sacrés dans certaines d'entre-elles appeléespakeho. Les sacrifiés étaient des êtres humains qui, parfois, étaient remplacés par des tortues.Les êtres humains impliqués dans le rituel sacrificiel étaient des hommes, des femmes, desenfants: victimes de guerre ou prisonniers, déjà morts ou encore vivants. S'ajoutant à cetusage en rapport avec deux traitements particuliers du corps humain : funéraire et sacrificiel,Linton (1925) rapporte que les fosses quadrangulaires, tout comme les fosses circulaires,auraient pu servir à la conservation du ma, pâte produite à partir du fruit de l'arbre à pain.Kellum-Ottino (1971), qui n'a pas fouillé ce type de structure, estime à l'opposé que les fossesquadrangulaires examinées sont impropres à la conservation du ma et à l'utilisation commefour. Suggs, quant à lui, associe les « fosses de véranda» avec la conservation du fruit del'arbre à pain. Cependant, les fouilles qu'il a effectuées dans de telles structures ayant révéléesaussi bien l'absence de vestiges que la présence d'ossements de cochon, chien, poisson, desquelettes et d'ossements humains, de charbon et pierres chauffées, d'objets européens, ilconclut aussi qu'elles ont eu des usages variés et multiples. Elles ont servi pour inhumer,cuisiner, déposer les objets tapu, les déchets, et encore pour stocker le fruit de l'arbre à pain.Après cet aperçu, il semble délicat de définir si ces fosses ont, ou non, une fonction spécifiqueet la préciser. La fouille plus systématique de ces fosses pourrait pallier cette incertitude. Danscette perspective, deux pakeho du tohua de Teiipoka ont fait l'objet d'une fouille. Sontprésentés ici des résultats préliminaires concernant la fouille du pakeho du paepae 15. De plus,l'attention se focalisera sur une des catégories de vestiges découverts : les restes humains.

Le pakeho étudié se trouve dans la plate-forme antérieure du paepae 15, qui constitue lalimite ouest du tohua de Teiipoka. Il est à moins de 5 m du plus vieux banian, dans lequel descrânes ont été découverts. Cette fosse a été choisie car elle était peu visible du fait del'éboulement de blocs de bordure sommitale du parement et d'une forte sédimentation,facteurs favorables à la protection des éventuels vestiges sous-jacents. Son ouverture a uneforme carrée, d'I,40 m à 1,50 m de côté. La fouille a été menée jusqu'à une profondeurd'environ 125 cm, où le substrat naturel, formé du produit de décomposition des rochesvolcaniques, apparaissait dans les angles nord-ouest et nord-est mais pas encore au centre. Lafouille y montre la présence de ce qui paraît être une fosse centrale creusée dans le substrat.L'indique notamment le pendage, en direction du centre, de plusieurs blocs et de certainsrestes humains. La fouille a permis la découverte de nombreux vestiges lithiques et surtoutosseux, pris dans de très nombreuses pierres. Il s'agit d'éclats de retouche d'herminette, d'unepartie distale d 'herminette, de rares ossements de poisson, d'ossements de cochon enparticulier du crâne et des dents, d'ossements de tortue et surtout d'ossements humains. Lesrestes humains sont attribuables à au moins sept personnes. Ils représentent presqueexclusivement l'extrémité céphalique: sept neurocrânes plus ou moins complets, deuxmandibules, sept dents isolées et des fragments de calotte et de face ont été identifiés. Uneclavicule et une côte complètent l'assemblage. Ce constat évoque fortement la sélection d'unepartie du corps : la tête qui, chez les anciens Marquisiens, était hautement importante car lesiège du mana, ou pouvoir de la personne.

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Ces restes crâniens ont appartenu à des adultes jeunes et âgés. Il n 'y a pas été retrouvé derestes d'enfant. La détennination du sexe de ces individus est délicate en l'absence de critèresdéfinis sur des séries de référence océaniennes. On peut pourtant retenir qu'il n'apparaît pasd'uniformité des caractères généralement impliqués dans le dimorphisme sexuel du crâne. Cequi tendrait à indiquer que les deux sexes sont représentés par leurs restes crâniens. Un descrâne, celui d'un homme âgé, présente des traces de traumatisme et une trépanation, tous deuxcicatrisés sans trace d'infection osseuse, indiquant la survie de la personnes et la compétencedes anciens chirurgiens. S'il n'est pas apparu de trace incontournable de mort violente sur lesrestes exhumés, les vestiges ne sont pas suffisamment bien conservés pour y retrouver leséventuelles traces d'extraction des yeux ou de retrait du cerveau signalées sur un crâne-trophéede Nuku Hiva (Boës et Sears, 2002). Si certaines absences osseuses peuvent être expliquéespar la fragilité des zones concernées, d'autres en revanche sont plus étranges. Par exemple,une mandibule est dépourvue de ses condyles et apophyses coronoïdes et les portionsmanquantes n'ont pas été retrouvées dans la zone fouillée. Le fait le plus remarquabletoutefois est le petit nombre de dents retrouvées dans le remplissage : 22 pour 7 à 8 crânesadultes. Toutes pourtant ne sont pas tombées avant la mort: 2 pertes antemortem ont étédénombrées alors que 32 alvéoles sont vides. Les dents ont chu après la décomposition desparties molles les fixant à l'os alvéolaire. Elles ont dû tombées ailleurs, sur le lieu dedécomposition du corps ou de conservation des crânes? Il semble alors plausible que l'on aitapporté des crânes secs dans le pakeho et que le temps entre les décès et le (ou les) dépôt(s) aitété relativement long. Hypothèse confirmée par le fait que les crânes, partiellement vides aumoment de leur découverte, contenaient le même sédiment que le reste de la structure. Cedépôt de restes céphaliques secs s'inscrit bien dans le traitement spécifique des morts et leschéma funéraire complexe des anciens Marquisiens, décrit par les auteurs du 19ème siècle etmis en évidence par les fouilles archéologiques, comme celles du site de Haatuatua à NukuHiva (Suggs, 1961) et de Manihina à Ua Huka (Sellier, 1998) où des corps sans tête ont étéexhumés. S'il ne s'agit pas de restes de sacrifiés, leur présence dans un site cérémonielpourrait indiquer un culte des ancêtres, voué à des personnages sans doute importants de lasociété.

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La majorité des restes osseux humains et animaux ont été retrouvés autour de 100 cmde profondeur. La figure n012 présente de façon schématique et synthétique leur répartitionentre 100 et 120 cm de profondeur. Les vestiges humains se retrouvent en différents points del'espace fouillé. Des ensembles crâniens sont apparus sur le pourtour dupakeho : au milieu dela paroi ouest, dans l'angle nord-ouest, au milieu de la paroi nord, au milieu de la paroi estainsi qu'au centre pour deux d'entre eux. Ces neurocrânes montrent de nombreusesfracturations mais rien n'indique qu'ils ont été jetés dans la fosse. Au contraire, ils sont écraséssur place laissant supposer qu'ils ont plutôt été posés à l'endroit où la fouille les a exposés.Les positions de dépôt sont variables mais on peut remarquer que la composante latérale droiteest présente dans quatre cas. La partie antérieure de la boîte crânienne montre en gros deuxdirections: vers le nord ou vers le sud-ouest. Ainsi, malgré le petit nombre de cas examinés,certaines tendances semblent se dégager, suggérant une certaine intentionnalité dansl'assemblage. Une particularité de l'arrangement observé le long de la paroi nord renforcecette possibilité. On y a en effet découvert deux crânes placés sur des restes de carapace detortue et recouvert par un morceau de bois très altéré dont la forme, légèrement convexerappelle celle d'un cercueil ou d'un récipient destinés à recevoir la tête du chef défunt (Handy,1923). Mais il demeure difficile de conclure que cet arrangement, ces positions et orientationsont une signification particulière. Par ailleurs, la position des restes crâniens dont certains dansun état d'équilibre précaire, la face plongeant vers le fond de la structure laisse supposer unrapide colmatage de la structure après le dépôt des crânes. S'il en a été ainsi, alors un descrânes dont les constituants sont dispersés sur une distance de 60-70 cm, était déjà disloqué aumoment de son dépôt. Dans cette optique, à titre d'hypothèse de travail, on peut penser que ledépôt des crânes relèverait d'un événement unique et non pas d'un usage répété, successif, dela structure. Contrairement à l'exemple fouillé par Suggs, à Teiipoka les êtres humains ne sontpas les seuls vertébrés présents dans la structure. En effet, à l'exception des quelques os depoissons et d'un fragment de mandibule de chien, deux autres catégories animales sontlargement représentées: la tortue et le cochon. Les restes de tortue correspondent à plusieursindividus. Ils sont indiqués par la carapace mais aussi par des éléments du plastron et dusquelette appendiculaire, laissant supposer que l'on a pu mettre des animaux entiers dans lepakeho. Les restes de cochon signalent également la présence de plusieurs individus d'âgedifférent. Cet animal semble représenté principalement par son extrémité céphalique même sides éléments du squelette postcrânien ont été exhumés. Ces deux animaux étaient importantschez les anciens Marquisiens. Le cochon accompagnait les morts sous forme d'offrandes ouétait consommé durant les cérémonies funéraires. À Nuku Hiva, les offrandes placées avec ledéfunt consistaient en une tête de cochon et une racine de kava (Piper methysticum). La tortue,quant à elle, pouvait se substituer à l'être humain dans les rituels sacrificiels.

L'association de ces restes osseux est particulièrement intéressante, pour l'éclairage dela fonction du lieu dont l'aspect funéraire semble ainsi se confirmer par la fouille, après lesnombreuses observations de surface. En résumé, les crânes ont été disposés intentionnellementdans cette fosse parementée, après un temps d'exposition à l'air libre et donc en dehors decette fosse. Mis à part ces crânes humains, les restes osseux sont caractérisés par ceux decochons et de tortues. Outre le cochon, dont nous avons vu l'importance funéraire, la tortue estsignificative car cet animal était réservé à certaines personnes et certaines occasions. Saprésence sur ce site est un élément de confirmation de la particularité du lieu; sa dispositiondans cette fosse, avec des crânes humains est également importante: restes d'offrandes etaussi valeur symbolique de cet animal qui, de par de sa nature psychopompe, pourrait avoirdéterminé cette association pour accompagner les restes humains vers le Havaiki, de personnescertainement importantes au sein de la communauté, notamment des prêtres. Il est également

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Le dépôt des crânes ici est plus aléatoire à interpréter. Comme nous venons de le voir,ils ont probablement été conservés ailleurs, durant un certain laps de temps ... dans lesbâtiments recouvrant les paepae de ce site par exemple, ou dans certains arbres, abrités dansdes cercueils 7 Nous serions alors tentés de nous orienter sur le plus vieux banian du site, quicontient encore des ossements humains, dont des crânes, cachés au plus profond de ses racineset de ses branches. Pourquoi, dans ce cas en avoir déplacé certains (les plus exposés ouaccessibles 7) pour les enfouir dans cette fosse 7 La rapidité du dépôt et du recouvrementlaisse penser à un geste fait en urgence; effectué sans doute tardivement, peut-être au momentdu contact avec les Européens, à un moment où les Marquises perdaient leur population, où resvallées étaient progressivement désertées et les sites abandonnés, soit à la fin du 19ème ou tout

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intéressant de rapprocher la présence de ces ossements avec les représentations de tortuespiquetées sur un grand rocher voisin qui est, rappelons-le, le seul à comporter des motifs detortues parmi les quelques 80 rochers à pétroglyphes relevés sur ce site de plus de 10 hectares.Ce rocher présente également une fonne remarquable qui l'identifie à une énonne tortuepétrifiée dont la tête serait dirigée vers le bas de la pente et donc vers la mer, soit son milieunaturel et un des Havaiki polynésien.

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début 20ème siècle. Plutôt que de laisser les crânes de leurs ancêtres exposés sur un site quiperdait son pouvoir, devenant vulnérable à l'abandon et aux visites d'étrangers, comme à denouvelles pratiques religieuses et «d'inhumations », certains Marquisiens préférèrent sansdoute protéger ces reliques sacrées par un recouvrement rapide de pierres au fond d'unè fosseparementée, avec un accompagnement d'ossements de tortues et de cochon, un fragment decercueil, satisfaisant ainsi, dans la précipitation, à un minimum de pratiques funérairesancestrales. Nous pourrions alors parler d'une sépulture ultime destinée à préserver cesdernières reliques ancestrales, en les soustrayant à une destruction et profanation étrangère.Geste ultime effectué sans doute à une époque charnière où les temps avaient déjàirrémédiablement changés.

6 - Synthèse: symbolique océanienne et insulaire

- Univers océanien et horizontalité:

Le monde océanien, est un monde maritime où l'océan n'est pas un handicap mais, aucontraire, un moyen de liaison et de découverte, ce n'est pas un monde vide, loin de là! C'estau contraire un monde parsemé d'îles plus ou moins grandes, plus ou moins dispersées et seprésentant souvent en groupe, en archipel étiré, ce qui facilite grandement leur découverte etleur exploration. Dès le départ à l'ouest, c'est-à-dire dès l'origine, il y a plusieurs milliersd'années, l'homme s'est accoutumé à cet univers et dans des conditions idéales, si l'on peutdire, afin qu'il apprenne la navigation avec le maximum de sécurité et considère cet universmarin comme peuplé de terres nombreuses et accessibles, même si beaucoup restent un tempsinvisibles à la vision humaine. La morphologie du Pacifique, d'ouest en est, etparticulièrement de l'Indonésie à l'immense terre de Nouvelle-Guinée et ses grandes îlesmélanésiennes, permit à l'homme d'améliorer progressivement ses techniques de navigation,comme ses connaissances nautiques, géographiques et astronomiques. Au départ, les massescontinentales sont immenses, les îles également, les vents de moussons permettent facilementde dériver, puis de naviguer vers l'est, vers des terres que l'on voit, car les espaces maritimesne dépassent pas les 100 km Plus à l'est, ces distances augmentent, mais très progressivement,comme diminuent également très sensiblement la dimension des terres. Certaines terres nesont alors plus visibles de la terre d'origine, mais le deviennent lorsque l'on est en mer,d'abord pas trop loin de la terre que l'on a quittée, puis de plus en plus loin. Parfois même, ceshommes, qui inventent la navigation, perdent de vue leur île-patrie avant de voir une autreterre. Cette perte de vue d'abord courte, devient aussi de plus en plus longue. On profiteégalement des vents pour faciliter les déplacements, d'ouest en est et inversement. Enavançant vers l'est et donc contre les vents dominants, on s'assure d'un retour plus facile versla terre que l'on a quittée. Ainsi ce Pacifique occidental constitue un milieu privilégié, unberceau idéal à l'apprentissage de la navigation. Tous les indices facilitent le repérage desmarins : une fumée, un nuage émanant des masses insulaires, des bois et végétaux flottés, lescourants et la direction de la houle, la présence et le vol de certains oiseaux, les vents et lesétoiles enfin. Petit à petit, les connaissances indispensables à une vraie navigation se mettenten place, mais très progressivement, au fil des générations. G. Irwin (1992) a parfaitementdécrit et reconstitué cette progression régulière, cette logique d'un peuplement volontaire desîles du Pacifique. Cet archéologue possède également les compétences d'un marin, qui luipermirent de compléter admirablement ses connaissances scientifiques et mieux saisir cemonde océanien.

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Cette adaptation des peuples d'Océanie à l'univers maritime est unique dans l'histoirede l'humanité, et la géographie de la région y joua assurément un rôle essentiel. Ailleurs eneffet, les masses continentales sont telles que les hommes ont déjà eu fort à faire pour explorerleur espace terrestre. Il était si vaste que l'exploration maritime, où les terres ne semblaientd'ailleurs pas très nombreuses, parfois lointaines et isolées, n'apparaissait ni comme unenécessité ni comme une priorité, lorsqu'elle n'était pas jugée périlleuse; à la rigueur, lesterriens devinrent des caboteurs d'abord, puis des marins bien plus tard. En Océanie, aucontraire et de tout temps, l'espace maritime fut un espace de communication et un lien entrede nombreuses terres. Pour ces pionniers de la navigation, il est évident que l'océan ne futjamais une immensité vide. Il leur était évident qu'à l'est il y avait d'autres terres, et ils ledémontrèrent admirablement en découvrant l'ensemble des îles du plus vaste océan de laplanète. Il est également probable que, dans leurs périples, ils atteignirent l'Amérique dont ilsne pouvaient pas ne pas rencontrer les rivages, en allant toujours plus vers le soleil levant. Cemouvement volontaire, d'ouest en est, profondément ancré dans les mentalités océaniennes etpolynésiennes, est encore vivant bien des siècles plus tard quand ceux qui deviendront desMarquisiens découvrent leur archipel. C'est cet état d'esprit qui les fit prendre la mer etdécouvrir leur nouveaufenua, ou terre patrie. C'est sans doute lui qui influence encore nombrede leur comportement et leur vision du monde. Ainsi en quittant l'ouest pour l'est, en quittantsa terre d'origine pour une nouvelle terre, il n'est pas possible de ne pas faire une distinction etune liaison entre ces deux pôles d'un même itinéraire. Ainsi l'ouest sera associé à la terrepatrie, l'ancienne, la terre d'origine, mais aussi le monde des parents, des ancêtres et desdivinités, le monde que l'on a quitté et où se couche le soleil. L'est représente la nouvelleterre, la terre d'avenir, qui deviendra une nouvelle patrie mais qui est une terre encore jeune;elle est aussi dans la direction où se lève le soleil, promesse de lumière et de vie. C'est, danstous les sens du terme, une terre d'avenir et d'espoir. Une terre de jeunesse aussi.

Il semble donc assez logique qu'arrivés sur cette nouvelle terre, les premiers habitantsy transplantent de nouveau cette dichotomie. Aux Marquises par exemple, les deux plusgrandes îles, Nuku Riva et Riva Da connaissent la même histoire: deux frères en sont lesancêtres fondateurs et une dissension née entre eux sera à l'origine de la partition de l'île endeux. Cette partition se fait nord/sud afin de partager l'île en deux moitiés égales: l'une àl'ouest et l'autre à l'est. A l'aîné sera attribuée la partie ouest et au cadet la partie est. Celas'intègre harmonieusement à la conception polynésienne du monde. Le soleil levant, le jeune,l'avenir sont à l'est, le plus âgé, les racines et le passé à l'ouest. Mais ce qui est jeuneaujourd'hui deviendra vieux demain, et ce qui est vieux permettra aujeune de grandir et partir,comme une terre à l'est deviendra occidentale pour une nouvelle terre encore plus orientale, àdécouvrir et peupler. Plutôt qu'un axe, une trajectoire à sens unique, entre deux pointsantinomiques, on a l'impression d'une boucle, qui joint et mêle ces entités, non pas opposéesmais complémentaires, indispensables l'une à l'autre, comme les maillons d'une chaînecontinue et solidaire, qui relie l'espace géographique tout autant que les générations humaines,où un individu n'est pas seul mais représentant d'une lignée associant à la fois ce qui est passéet ce qui est à venir, une lignée où les ascendants et les descendants sont aussi présents quel'individualité actuelle. Cette conception, les Marquisiens l'ont appliqué à l'univers maritimecomme à leur univers insulaire et, si possible, l'univers de leurs vallées et sans doute à leursaménagements, ou à certains d'entre eux. Ainsi sur l'île, l'est représente la direction d'oùviennent les alizés porteurs d'eau, promesses de récoltes futures et de vie, l'ouest, sous le vent,est la partie de l'île la plus sèche, où la vie peut être très difficile pour la végétation et doncpour les hommes. C'est aussi la partie la plus proche et en direction de l'Ravaiki: terremythifiée d'origine, monde des morts et au-delà des Polynésiens orientaux. A Riva Da, sur lapointe Kiukiu, la plus à l'extrémité de la partie la plus sèche et la plus occidentale de l'île, les

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âmes s'y rendent afin de plonger dans l'océan et rejoindre ainsi l'Havaiki des ancêtres. Cettepointe y mène, comme les vents, les nuages, les courants et la houle dominants qui balayentinlassablement l'immense Pacifique d'est en ouest. À Hiva Oa toujours, la vallée de Taaoa, laplus grande et la plus à l'ouest de l'île est considérée comme la première à avoir été peuplée;elle serait à l'origine des populations-filles qui essaimèrent sur le reste de l'île et l'ensemble del'archipel. À Nuku Hiva, la vallée de Hakaui, la plus grande et la plus à l'ouest de l'île,renferme dans ses falaises occidentales nombre d'abris funéraires. A Hatiheu, sur le petittohua de Teiipoka, les crânes des anciens et les banians sont placés côté ouest, la fosse-silo,réserve de nourriture et assurance de vie, est à l'opposé, soit à l'est. Le tohua fait ainsi liaisonentre les deux mondes complémentaires et garants de l'existence humaine. Cette dispositiontémoigne-t-elle d'un arrangement volontaire, en accord avec la conception du monde de cespopulations ?

- Univers insulaire et verticalité:

A cet axe fondamental ouest/est élaboré à différentes échelles, de la plus large,couvrant l'ensemble du Pacifique, à la plus réduite, pouvant s'appliquer à l'agencement desconstructions anthropiques, s'ajoute un second axe typiquement insulaire et qui dépend sansdoute de la façon dont arrivent les Polynésiens sur leur nouvelle terre. En arrivant forcémentpar la mer, l'homme découvre une ligne, un rivage puis une élévation plus ou moinsimportante selon le relief de l'île. Après des semaines en mer, le rivage est le premier touché,porteur d'espérance, frontière entre les deux mondes, déjà terre mais encore baigné par la mer,les roches y sont autant façonnées par la terre que par la mer. Sur cet espace hybride, la vie estsalée, sèche et chaude; elle y prend mal, on y trouve des débris, sans vie, rejetés par lesvagues, on n'y trouve pas encore de plantes luxuriantes et les espèces alimentaires n'ypoussent pas, se dessèchent et meurent. Mais cet espace entre vie et mort, à la jonction entredeux mondes est porteur d'espérance, annonciateur de vie prochaine, de végétation dense etd'eau douce, indispensable à la vie. Si ce rivage est reconnu dès que l'on met pied à terre, laterre boisée et luxuriante, à l'arrière, l'est moins ; elle affiche sa richesse mais ne se dévoilepas totalement, il faut s'y enfoncer et souvent monter, s'élever, grimper. La végétation est plusdense à l'intérieur des terres, l'eau y est plus présente et l'eau vient de l'intérieur, des partiesélevées de l'île. Avec cette élévation progressive du rivage vers les terres, du bas vers le haut,du devant vers l'arrière, de l'extérieur vers l'intérieur, on remonte vers l'origine de la vie, verssa source qui est réellement et symboliquement source d'eau douce. Mais cette eau se trouvesouvent dans les parties les plus denses, les plus sombres, les plus reculées, les plus lointaines,les plus centrales et élevées du territoire. Cette source qui irrigue la vie de l'île, est un mondequi ne se découvre pas immédiatement et que l'on mettra plus de temps à reconnaître, si on lefait un jour.

Avec cette élévation vers l'intérieur de l'île se fait un déplacement de ce qui est connuet immédiatement visible vers ce qui l'est moins ou pas du tout. On passe de la mer et dusoleil, de la chaleur, à la montagne et à la pluie, à la fraîcheur. On pénètre dans un monde deplus en plus végétal, mais plus loin et plus haut les terres deviennent franchement pentues,voire instables, sombres et humides, le soleil et la lumière y pénètrent difficilement, gênés parl'encaissement des vallons et la dense couverture végétale. Si on s'élève encore, nombre deplantes apportées par les hommes ne pourront y croître ou être productifs, le cocotier nedonnera plus de fruits, l'arbre à pain n'y poussera pas. Par contre quantité d'espèces ypoussent naturellement et à profusion, atteignant parfois des dimensions impressionnantes.Certaines fourniront une alimentation d'appoint, appréciable lors des disettes et circonstancesdramatiques, d'autres des ressources en préparations médicinales ou en fibres, en bois d'œuvre

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de qualité que l'on ne trouve pas plus bas... Ce milieu n'est pas franchement celui deshommes qui s'y sentent un peu des intrus; il est à la fois inhospitalier, inquiétant par lapénombre et l'humidité excessive qui y règnent mais aussi réserve, refuge, oasis indispensableà la fertilité des terres plus basses, où vivent les hommes, source de vie et de prospérité quibénéficie donc aux êtres humains sans qu'ils aient besoin d'y intervenir. Il vaut d'ailleurs peut­être mieux qu'ils n'interviennent pas, qu'ils ne dérangent pas. Cet espace reculé, ces fonds devallées, ces intérieurs des îles, difficilement accessibles et souvent craints, sont garants de lavie terrestre, de l'équilibre insulaire des végétaux, des animaux et des hommes!7. Ce monde àl'écart des hommes, n'aura pas besoin d'être trop fréquenté, les vivants s'en tiennent d'ailleurséloignés et n'y pénètrent que rarement, dans des circonstances particulières, avec infinimentde précautions. Cet univers sombre, humide et caché doit le rester, il constituera souvent unepartie sacrée du territoire.

Entre l'intérieur des terres et le rivage, entre ces deux pôles extrêmes reliés par leterritoire de leur vallée où ils s'installeront, les hommes prérereront s'implanter largemententre eux, presque à égale distance de l'un et de l'autre, là où le terrain n'est plus salé et l'eausuffisante, là où le soleil arrive mais sans dessécher la végétation, les récoltes et les hommescomme sur le rivage, là enfin où l'espace est suffisant, pas trop pentu pour un confortd'installation appréciable, avec une terre riche et abondante. L'implantation des hommessemble donc se faire entre ces deux pôles géographiquement opposés, comme pour mieuxassurer leur équilibre, profiter de l'un et de l'autre, avec une certaine distance. Cette situationest écologiquement, économiquement et symboliquement équilibrée, elle permet uneintégration harmonieuse au sein d'un environnement dont on respecte les caractéristiques, touten y plaçant l'être humain en son centre. Ainsi, de la mer à la montagne, avec l'élévation desterrains, un déplacement s'effectue vers des parties sacrées du territoire, c'est sans doute aussipour accompagner ce mouvement que les hommes ont construit leurs édifices les plus sacrésdans des lieux reculés, en hauteur, sur des éminences, ou sur des terrains élevées et en pente,comme pour mieux assurer cette liaison entre le monde sacré et le monde des hommes. Sur lesite de Hatiheu par exemple, plus on s'élève et plus on accède à des espaces importants:cultures en contrebas, lieux de réunion et de décision plus haut, lieux religieux et funérairesencore plus haut; le tohua de Teiipoka se trouve au pied du piton de Te Moui, assurant ainsi laliaison entre le grand tohua de Kamuihei en contrebas et l'avancée rocheuse à la paroiverticale dressée vers le ciel, soit entre le monde des hommes et celui de l'intérieur des terres,associé aux divinités et aux ancêtres.

Cette orientation verticale de l'île et des structures anthropiques, passant de partiesbasses et accessibles vers celles qui le sont moins, en hauteur et donc plus sacrées, se retrouveégalement dans l'organisation même de la construction de base qu'est la plate-forme de pierre,ou paepae, et bien sûr dans l'image du corps humain où la partie la plus élevée, la tête, estcelle qui est la plus sacrée de la personne. Toucher la tête d'un enfant était aux Marquises ungeste inconcevable et, lors des batailles, à défaut du corps, c'est la tête de l'ennemi que l'ontentait d'obtenir, c'est elle que l'on offrait en sacrifice sur les lieux sacrés, c'est son crâne quel'on portait en trophée, c'est aussi celui des ancêtres que l'on conservait en précieuse relique.Les tiki, ces images anthropomorphes qui représentaient des ancêtres prestigieux et divinisés,traduisaient également l'importance de cette partie du corps, en arborant une tête énorme, quiconstituait un tiers de la représentation totale. L'organisation du paepae s'harmonise aveccette conception de l'être et du milieu environnant. La surface sommitale de cette plate-formelithique surélevée est constituée de deux niveaux; le premier est entièrement pavé et

17 Sur les représentations culturelles de l'écosystème insulaire polynésien, voir H. Guiot 2003.

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découvert, il est bien sûr surélevé par rapport au sol environnant et donc moins profane que laterre alentour; on y accède si on y est invité. Le second niveau encore plus élevé est celui quisupporte la maison qui abrite les hommes. Avec ce nouveau seuil, plus élevé et abrité par unecouverture végétale, on entre dans un espace plus intime et plus sacré. À l'intérieur, la partieavant est pavée, el1e permet d'accéder à l'espace de couchage, le plus en arrière et le plusprotégé de l'habitation. Les Marquisiens y dormaient la tête orientée vers l'arrière et donc versla partie la plus reculée, la plus abritée, les pieds vers l'avant et donc vers la partie la moinssacrée. L'espace ultime, entre la tête et le pan arrière de la toiture, était réservé aux dieux. Lepaepae lui-même est habituel1ement construit sur un versant puisque la majorité des terrainssont en pente aux Marquises. C'est donc la partie arrière du paepae, soit sa partie la plusélevée qui s'appuie sur le haut de la pente. Il est donc orienté vers le bas, vers la mer ou larivière, comme le corps au repos qui y dort les pieds vers l'avant ou le bas et la tête versl'arrière et le haut: orientations qui sont à la fois cel1es du corps humain, du paepae et de l'îleel1e-même, arrière et haut s'apparentant à l'intérieur, au sacré et aux divinités. Une harmonieconstante se retrouve ainsi du microcosme au macrocosme, de l'être humain à sonenvironnement tant construit que naturel, où un équilibre, une symétrie, une analogie règneentre les divers éléments de cet univers insulaire.

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INTERIEURARRIEREHAUTTAPUSACRÉPO NUIT,CE QUI N'EST PAS VISIBLE

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Table des matières et des figures

Environnement, occupation du solet appréhension de l'espace

aux iles Marquises.

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1- Présentation générale de l'aire géographiqueFig.1 Le PacifiqueFig.2 Les îles Marquises

2- L'état de la question - facteurs de peuplement et recherches archéologiques- Les fouilles:- Les structures lithiques :- Les derniers travaux de l'IRD et du CNRS:

3- Adaptation humaine - société, environnement et habitatFig.3 Une habitation sur sa plate-forme de pierre.

4 - Milieu insulaire et peuplement - l'exemple de Nuku HivaFig.4 : Nuku Hiva

5 - Morphologie de la vallée et installation - l'exemple de HatiheuFig.5 : Hatiheu

- Territoires et clans:- Habitat et structuration des espaces - le choix de l'emplacement:- L'ensemble architectural de Tahakia-Kamuihei·Teiipoka - occupation du

sol et répartition des structures :Fig. 6 : L'ensemble de Kamuihei, Tahakia et Te l'ipokaFig. 7 : rocher en forme de tortue, couvert de pétroglyphes

- Recherches conjointes sur Teiipoka :Fig. 8 : le tohua Teiipoka et ses structures associées

- Données physiques du terrain - choix et contraintes:Fig. 9: le tohua Teiipoka

- Structures et chronologie relative:- Pétroglyphes et pierres remarquables:

Fig. 10 : pétroglyphe de veit ou scolopendreFig. 11 : pétroglyphe de mata tiki, visage ou tête

- Une structure particulière, le pakeho :Fig. 12: répartition des vestiges dans la moitié nord du pakehoFig. 13 : répartition des vestiges dans le pakeho. os de tortue et de

cochon. état du décapage vers -130cm

6 - Synthèse: symbolique océanienne et insulaire- Univers océanien et horizontalité:- Univers insulaire et verticalité:

Fig. 14 : paepae et symbolisme

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