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    Contrles aux frontires de lEurope

    Frontex et lespace Schengen

    Julien JEANDESBOZ

    Apparue dans lactualit travers les oprations dinterception de migrants

    venus des rives sud de la Mditerrane, Frontex est une agence europenne mconnue.

    Entre police des frontires et organe de coordination et de surveillance au service des

    tats, elle exemplifie la manire dont lespace Schengen sest doubl dune zone de

    contrle extrieure lUnion aux fondements juridiques plus quincertains.

    Frontex, lagence en charge des frontires extrieures de lUnion europenne, sest

    trouve rcemment au centre de lattention mdiatique, militante et politique . la requte du

    ministre grec en charge de la protection des citoyens, le dispositif d intervention rapide aux

    frontires dont elle a la charge, dit RABIT1 a t dploy pour la premire fois entre

    novembre 2010 et mars 2011 sur la frontire grco-turque. Lopration Posidon 2011 a

    immdiatement suivi, pour tendre les oprations de surveillance et dinterception de lagence

    la mer Ege. Cest sous le patronage dune autre divinit grecque que Frontex a par ailleurs

    lanc, partir de fvrier 2011 et la demande du ministre de lIntrieur italien, lopration

    Herms 2011 pour dtecter et intercepter les personnes quittant la Tunisie en pleine

    rvolution. Lopration a galement servi lgard des personnes fuyant la guerre en Libye.

    1 Rapid Border Intervention Teams , cres en 2007, voir :

    http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l14124_fr.htm.

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    Cette squence peut contribuer renforcer lide, commune aux reprsentations des

    mdias, des militants, des bureaucrates ou des hommes politiques, que Frontex est le principal

    oprateur du durcissement des frontires extrieures de lUE ; un durcissement dautant plus

    difficile tolrer quil contraste fortement avec la leve des contrles permanents aux

    frontires entre les tats membres de lUnion. Plusieurs organisations telles quAmnesty

    International ou Human Rights Watch ont dailleurs dnonc le rle de lagence dans le

    renforcement de la forteresse Europe une dsignation refuse par dautres acteurs,

    comme le ministre franais de lImmigration et de lidentit nationale, Brice Hortefeux, pour

    qui, en 2008, ne devait exister ni une Europe forteresse, ni une Europe passoire 2. Le grand

    mrite de la notion de forteresse, et de la faon dont elle a t utilise, est pourtant de mettre

    en lumire les effets de violence lis aux pratiques contemporaines de contrle des frontires

    europennes.

    Cet affrontement de reprsentations masque la transformation du contrle des

    frontires en Europe, cur des activits de Frontex. Lagence est moins loprateur principal

    que la manifestation la plus visible de ce changement, dont leffet le plus notable est la

    diffrenciation croissante entre la frontire des droits (dont peuvent se rclamer les personnes

    souhaitant entrer dans lUE) et la frontire des contrles (qui visent rguler et le cas chant

    empcher cette entre)3. Une des caractristiques de ce changement, nous en ferons

    largument ici, est lextraterritorialisation du contrle policier des frontires, processus par

    lequel le contrle des entres sur le territoire seffectue de plus en en plus en amont de la

    frontire territoriale tablie par le droit. Faire cette observation implique de se dprendre de la

    thorie juridique et politique formelle de la souverainet, dans laquelle les frontires tatiques

    et nationales, les frontires du droit et des droits, et les frontires du contrle de lentre sur le

    territoire national sont, trs littralement, alignes. La cration et les activits de Frontex

    refltent en ralit la gnralisation de la diffrenciation entre frontires des droits etfrontires des contrles, et son application potentielle lensemble des frontires extrieures

    de lUE, quelles soient ariennes, maritimes ou terrestres.

    2 Le pacte ne promeut ni une Europe forteresse, ni une Europe passoire , entretien ralis loccasion de laconclusion du Pacte europen sur limmigration et lasile,Le Monde, 7 juillet 2008 (dition en ligne).3

    Sur ce point, voir: Tugba Basaran, Security, Law, Borders : Spaces of Exclusion , International PoliticalSociology, vol. 2, n2, 2008, p. 339-354.

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    LEurope : quatre frontires

    La terminologie en vigueur depuis une dizaine dannes pour qualifier la direction

    gnrale des politiques europennes de contrle des frontires est celle de la gestion

    intgre des frontires . On peut la considrer comme une doctrine, tout en gardant lesprit

    quelle constitue dans les faits un ensemble de prescriptions htrognes faonn par les luttes

    entre des acteurs bureaucratiques bruxellois diviss sur le mode de prise de dcision en la

    matire. Faut-il privilgier une concertation intergouvernementale, o les reprsentants des

    tats membres au sein du Conseil de lUnion conservent leur primaut, ou basculer vers un

    mode de dcision communautaire, o la Commission dtient le droit dinitiative et le

    Parlement europen le statut de co-lgislateur? Cette question informe la mise en place de la

    coopration Schengen partir de 1985. On la retrouve au moment de la formation du

    troisime pilier au sein des structures de lUnion europenne sur la base du Titre VI du

    trait de Maastricht de 1992 ; puis lors du partage temporaire des comptences entre

    Commission europenne et Conseil de lUnion europenne dans les domaines relevant du

    nouveau Titre IV du trait tablissant les Communauts europennes (TCE ; trait

    dAmsterdam de 1997).

    Au cours de chacune de ces ngociations, les reprsentants des ministres de

    lIntrieuront cherch prserver leurs prrogatives dans le cadre institutionnel et juridique

    de lUE, tant vis--vis de leurs collgues des ministres des Affaires trangres et

    europennes que des agents des bureaucraties de lUnion. La position de ces derniers a

    longtemps t compromise par labsence dune administration ddie aux questions de justice

    et affaires intrieures (JAI) au sein de la Commission europenne. Finalement tablie en 1999,

    celle-ci se voit immdiatement contrainte de lgitimer son existence face des reprsentants

    des tats membres rompus la coopration dans le cadre de Schengen et du troisime pilier

    de lUEface aussi une administration concurrente plus ancienne, cre ds 1993 au seindu secrtariat du Conseil de lUnion.

    La rticence des reprsentants des tats membres donner un cadre juridique

    europen au contrle des frontires a contribu centrer les dbats sur les questions de

    scurit. Cest au nom de celle-ci, au nom aussi de la promotion dun sentiment

    dappartenance parmi les citoyens europens que la DG JAI de la Commission europenne

    publie en mai 2002 un document sur la gestion intgre des frontires. Il sagit avant tout

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    dintgrer le droit applicable au contrle des frontires, en transposant ou modifiant le corpus

    lgal hrit de Schengen. En dautres termes, de faire concider la frontire du droit

    (communautaire) et celle du contrle. La frontire des droits, elle, nest pas voque. Le dsir

    dune lgislation communeest cependant loin dtre partag par les reprsentants bruxellois

    des ministres de lIntrieur et des administrations concernes. Le plan relatif la gestion des

    frontires extrieures, adopt par le Conseil de lUE un mois aprs la communication de la

    Commission, place dabord laccent sur la ncessit dune meilleure coordination

    oprationnelle.

    Il faut attendre 2006 pour voir ladoption dun texte de loi communautaire sur le

    sujet, le code frontires Schengen . Dans le mme temps, au cours du deuxime semestre

    2006, les reprsentants des tats membres au sein du Comit stratgique pour limmigration,

    les frontires et lasile (CSIFA), un des groupes en charge des questions lies au Titre IV

    TCE, vont ngocier et adopter sous les auspices de la prsidence finlandaise de lUE un

    document stratgique formalisant les composantes de la doctrine de gestion intgre des

    frontires.

    Le document rappelle dabord une disposition dj spcifie dans le cadre de la

    coopration Schengen : le contrle des frontires comporte des activits de vrification qui

    impliquent lexamen des personnes souhaitant franchir la frontire extrieure de lUE un

    point de passage dsign, et des activits de surveillance qui concerne les zones situes entre

    ces points de passage et qui impliquent la dtection et linterception des personnes tentant de

    franchir la frontire hors des accs prvus. Par ailleurs, le contrle des frontires se dcline

    dans le cadre dun modle quatre niveaux : il commence dans les pays de dpart et de

    transit, par le biais des politiques de visa et la coopration avec les autorits locales ; se

    poursuit par la surveillance des zones frontalires, puis par les contrles aux frontires ; et seprolonge lintrieur de lespace Schengen par les changes dinformation entre services

    policiers et par lorganisation doprations de contrle temporaires. Ces prescriptions viennent

    sanctionner formellement le diffrentiel qui sest cr dans la pratique entre la frontire du

    droit et celle du contrle : la premire sarticule en rfrence lespace Schengen et ses

    contours par le biais du code frontires Schengen, la seconde se dcline en quatre frontires

    diffrentes.

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    Une organisation au service des tats

    La cration de Frontex sinscrit dans la ligne des luttes voques ci-dessus4. tablie

    en octobre 20045, lagence est le produit dune srie de discussions menes entre

    reprsentants des tats membres (ministres de lIntrieur, polices des frontires et garde-

    frontires) depuis la fin de lanne 2001. Le contexte est important : aprs le 11 septembre,

    ladministration Bush formule des demandes explicites en matire de contrle des personnes

    entrant et sortant de lUE. En raison de lopposition de certains gouvernements (britannique et

    sudois en particulier), la structure qui merge de ces discussions, au bout de trois annes de

    ngociations, dispose de responsabilits oprationnelles limites. Sa dsignation officielle

    souligne dailleurs ces limites : Frontex est officiellement l Agence europenne pour la

    gestion de la coopration oprationnelle aux frontires des tats membres de lUnion

    europenne . Elle coordonne, mais les oprations dont elle a la charge ne lui appartiennent

    pas en propre ; lEtat qui en fait la demande en prend la responsabilit juridique et politique.

    Son mandat est prsent comme technique, elle ne contribue pas dfinir la politique

    europenne en matire de contrle des frontires. De plus, les frontires dont elle a la charge

    ne sont pas celles de lUnion, mais de ses tats membres. Elles sont exclusivement dfinies en

    termes de contrle. Selon le texte du rglement tablissant Frontex, lagence participe ainsi

    la politique communautaire relative aux frontires extrieures de lUnion europenne [qui]

    vise mettre en place une gestion intgre garantissant un niveau lev et uniforme de

    contrle et de surveillance 6.

    La seule rfrence aux droits fondamentaux dans le premier rglement de Frontex ne

    se trouve mme pas dans le corps du texte, mais dans son prambule, qui spcifie que

    linstrument respecte les principales obligations de lUE en la matire. Cette absence a

    soulev une certaine inquitude, notamment au sein du Parlement europen. Dans une opinion

    de fvrier 2004 sur ladoption du rglement Frontex, les parlementaires expriment notamment

    4 Nous nous permettons de renvoyer ici aux travaux raliss dans le cadre du programme intgr Challenge,financ par le 6e Programme cadre de recherche et de dveloppement communautaire :http://www.libertysecurity.org/article2489.html. Voir galement Julien Jeandesboz,Reinforcing the Surveillanceof EU Borders : The Future Development of FRONTEX and EUROSUR, Brussels : CEPS, aot 2008, disponiblesur :http://www.ceps.be/book/reinforcing-surveillance-eu-borders-future-development-frontex-and-eurosur.5Rglement (CE) n 2007/2004 du Conseil du 26 octobre 2004 portant cration dune Agence europenne pourla gestion de la coopration oprationnelle aux frontires extrieures des Etats membres de lUnion europenne,JO n L 349 du 25.11.2004, p. 1-11.6 Comme le rappel le prambule du rglement No. 2007/2004.

    http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l33216_fr.htm.

    http://www.libertysecurity.org/article2489.htmlhttp://www.libertysecurity.org/article2489.htmlhttp://www.ceps.be/book/reinforcing-surveillance-eu-borders-future-development-frontex-and-eurosurhttp://www.ceps.be/book/reinforcing-surveillance-eu-borders-future-development-frontex-and-eurosurhttp://www.ceps.be/book/reinforcing-surveillance-eu-borders-future-development-frontex-and-eurosurhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l33216_fr.htmhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l33216_fr.htmhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l33216_fr.htmhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l33216_fr.htmhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l33216_fr.htmhttp://www.ceps.be/book/reinforcing-surveillance-eu-borders-future-development-frontex-and-eurosurhttp://www.libertysecurity.org/article2489.html
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    leur proccupation de voir confier lagence des responsabilits dans le domaine des

    oprations de retour, et le risque de voir Frontex se transformer en agence dexpulsion au

    service des reconduites la frontire effectues par les administrations nationales7.

    Ces lments juridiques tracent les contours dune organisation au service des

    pratiques tatiques, focalise sur la question du contrle, ce que confirment les activits de

    lagence au cours des dernires annes. Si les reprsentants des services de police des

    frontires et de gardes-frontires sont prsents dans la dfinition des orientations gnrales de

    lagence par le biais de son conseil dadministration, ils ont galement t longtemps

    incontournables dans la gestion de Frontex au quotidien. En 2009, une valuation externe

    soulignait ainsi que le personnel excutif de lagence tait compos pour moiti dexperts

    nationaux dtachs de leurs administrations respectives (en gnral pour des priodes de six

    mois)8. Cette situation a volu depuis, mais les effectifs propres de lagence restent faibles au

    vu de son mandat qui englobe la totalit des frontires extrieures de lUnion : moins de 300

    en 2010, dont 143 agents temporaires et 79 agents contractuels, et 76 experts nationaux

    dtachs9. De la mme manire, le dispositif RABIT, mis en place partir de 2007 et voqu

    en introduction, ne constitue pas une allocation de personnel oprationnel directement plac

    sous le contrle de lagence. Ses quipes sont constitues dofficiels des services nationaux de

    police et de garde-frontires mis disposition par les tats membres participants, et sont

    placs sous lautorit du pays hte lors de leur dploiement.

    Les parcours professionnels des principaux responsables de lagence confirment le

    rapport entre la trajectoire de lagence et celles des services nationaux auxquels elle est reli e.

    Le directeur excutif de lagence, Ilkka Laitinen, est un ancien haut responsable du service

    des gardes-frontires finlandais. Sa carrire se situe au croisement entre responsabilits

    nationales et europennes, Laitinen ayant longtemps reprsent son pays au sein des structuresissues de la coopration Schengen (groupe de travail du Conseil sur lvaluation Schengen) et

    de la cration du Titre IV TCE (notamment le Comit stratgique sur limmigration, les

    7 Voir :http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A5-2004-0093+0+DOC+XML+V0//FR.8http://www.statewatch.org/news/2009/may/frontex-eval-report-2009.pdf.9 Les agents temporaires et contractuels sont le personnel propre de lagence. Les agents temporaires bnficientdun statut quivalent celui dun fonctionnaire, lexception de la dure de leur contrat qui ne peut treindtermine. Labsence de fonctionnaires de plein droit est une caractristique commune plusieurs agences de

    lUE. Voir Frontex, Rapport Gnral 2010, Varsovie : FRONTEX, 2011, disponible en ligne :http://www.frontex.europa.eu/gfx/frontex/files/general_report/2010/general_report_fr.pdf.

    http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A5-2004-0093+0+DOC+XML+V0//FRhttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A5-2004-0093+0+DOC+XML+V0//FRhttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A5-2004-0093+0+DOC+XML+V0//FRhttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A5-2004-0093+0+DOC+XML+V0//FRhttp://www.statewatch.org/news/2009/may/frontex-eval-report-2009.pdfhttp://www.statewatch.org/news/2009/may/frontex-eval-report-2009.pdfhttp://www.statewatch.org/news/2009/may/frontex-eval-report-2009.pdfhttp://www.statewatch.org/news/2009/may/frontex-eval-report-2009.pdfhttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A5-2004-0093+0+DOC+XML+V0//FRhttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A5-2004-0093+0+DOC+XML+V0//FR
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    frontires et lasile, au sein du Conseil nouveau). Il a galement dirig un des centres ad hoc

    dont la cration a prcd celle de Frontex, le Centre danalyse des risques (RAC) bas

    Helsinki en 2002-2003. Son adjoint, Gil Arias Fernandez, a fait une grande partie de sa

    carrire au sein de la police espagnole, tout en tant impliqu dans les questions europennes

    ds les premiers temps de la participation de lEspagne Schengen. Il reprsente lEspagne au

    sein du groupe sur lvaluation Schengen au mme titre que Laitinen, et a un temps prsid le

    groupe de travail du Conseil sur les frontires. Arias Fernandez et Laitinen sont donc des

    hauts fonctionnaires nationaux, passs lEurope par le biais de la coopration Schengen

    avant de prendre en charge Frontex. On retrouve, au travers de ces deux parcours

    professionnels, le poids des luttes et des tensions fondatrices du rapport entre frontires du

    droit et des droits et frontire du contrle, et leurs effets sur les montages institutionnels

    tablis au sein de lUE.

    Lobservation des budgets toujours croissants de Frontex montre par ailleurs que la

    majeure partie des fonds allous lagence sont utiliss pour ses activits oprationnelles

    (70% en 2010). Ces montants ne constituent cependant pas des fonds propres dont lagence

    peut disposer son gr, mais sont distribus aux tats membres pour couvrir leurs frais de

    participation aux oprations coordonnes par Frontex. Lagence est ce titre tout autant un

    dispositif de coordination oprationnelle quun mcanisme de redistribution, portant pour

    lanne 2010 sur environ 65 millions deuros.

    Frontex nest donc pas une police des frontires au sens traditionnel. Lagence est

    conue avant tout comme un point nodal dans une architecture de contrle des frontires en

    rseau, auquel se connectent les praticiens et les pratiques tatiques de contrle des frontires.

    Pour les oprations Hra dployes depuis 2006 au large des les Canaries par exemple, ce

    sont les accords confidentiels conclus entre lEspagne, dune part, la Mauritanie et le Sngalde lautre, qui autorisent lagence coordonner des activits jusque dans les eaux territoriales

    de ces deux pays10.

    Nombre dpisodes rappellent au demeurant que la connexion des appareils de

    scurit nationaux par le biais de Frontex nest pas toujours aise. En 2008-2009, des tensions

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    Pour une analyse des premires oprations Hra, voir : Sergio Carrera, The EU Border Management Strategy :FRONTEX and the Challenges of Irregular Immigration in the Canary Islands, Bruxelles : CEPS, mars 2007.

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    ont ainsi oppos le gouvernement italien et le gouvernement maltais dans le cadre de la srie

    doprations Nautilus, coordonne par lagence en Mditerrane centrale et impliquant

    notamment la zone maritime entre Malte, la Sicile et la Libye. Qui avait la charge des

    personnes interceptes ? Pour le gouvernement italien, cette responsabilit devait choir

    ltat membre hbergeant la mission, en loccurrence Malte. Pour le gouvernement maltais,

    lapplication du droit international ncessitait que les personnes interceptes soient

    dbarques dans le port sr le plus proche, en loccurrence un port sicilien et notamment lle

    de Lampedusa. Lincapacit des deux gouvernements se mettre daccord sur cette question,

    et ladoption en mars 2010 dun rglement Frontex modifi tranchant la dispute en faveur de

    lItalie, ont abouti au retrait de Malte du dispositif Frontex.

    Une agence de surveillance

    Le fait que Frontex soit un dispositif sous tension nimplique pas que sa mise en

    place et ses activits soient dpourvues deffets. Deux lments peuvent ici retenir

    lattention : lextra-territorialisation du contrle des frontires, et la remise en cause des

    frontires comme lignes continues de contrle.

    Lextra-territorialisation tait envisage ds le dbut des annes 2000. La mise en

    place de Frontex a autoris sa systmatisation. Les oprations Hra se droulent ainsi non pas

    seulement sur la frontire maritime espagnole, mais galement en haute mer, dans les eaux

    territoriales mauritaniennes et sngalaises, et partir du Cap Vert. De la mme manire, les

    rcentes discussions autour de la rvision du rglement fondateur de lagence ont suggr que

    Frontex puisse, terme, soit disposer de ses propres agents de liaison positionns dans

    certains pays tiers considrs comme prioritaires, soit sappuyer sur le rseau des officiers de

    liaison immigration officiellement dploys dans les ambassades et consulats des tats

    membres de lUE depuis 2004. Il sagit l encore de permettre Frontex doprer au -del desfrontires extrieures de lUnion.

    Lenjeu nest plus ds lors le contrle de la frontire en tant que telle, mais celui des

    personnes qui pourraient tre amenes la franchir. Il sagit danticiperleurs dplacements et,

    le cas chant, de les empcher. Le contrle nest plus focalis principalement sur ce que le

    code frontires Schengen appelle la vrification, cest--dire le moment o lofficier en charge

    dun point de passage frontalier spcifique se retrouve face la personne souhaitant franchir

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    la frontire et effectue le contrle, mais sur la surveillance. Les zones frontalires sont mises

    sous observation pour dtecter les dplacements potentiellement suspects et intercepter les

    personnes concernes. Plus que la coordination oprationnelle, part importante de son budget,

    mais verrouille par les administrations nationales, la surveillance constitue le cur des

    activits de Frontex. Celle-ci se veut dailleurs une agence de renseignement. Le terme, ici,

    fait moins rfrence des activits despionnage qu une srie de pratiques policires plus

    connues dans la littrature anglophone sous lappellation dintelligence-led policing : des

    activits de police fondes sur la collecte et lanalyse dinformation en amont, ne reposant pas

    uniquement sur la fonction denqute criminelle traditionnellement considre comme le cur

    des mtiers policiers.

    Frontex pratique ainsi la collecte et lanalyse statistique, en sappuyant notamment

    sur les informations partages par les services de police et dimmigration des tats membres

    via le systme ICONet11dont lagence a le contrle entier depuis 2010. Elle recourt aussi aux

    oprations de seconde ligne, qui reposent sur linterrogation des personnes interceptes lors

    doprations coordonnes par lagence. Une troisime dimension, qui nest encore

    quembryonnaire lheure actuelle, implique lusage de technologies de surveillance. Depuis

    2008, linitiative Eurosur envisage ainsi la mise en place dun systme europen de

    surveillance des frontires12. Si ce projet devait aboutir, il reposerait sur linterconnexion des

    appareils de surveillances des tats membres ayant la responsabilit dun secteur frontalier

    maritime. Eurosur mettrait par exemple en communication le systme espagnol SIVE,

    originellement dvelopp pour intercepter les embarcations franchissant irrgulirement le

    dtroit de Gibraltar, et le systme franais SPATIONAV, actuellement contrl par la Marine

    nationale, autorisant ainsi un accs en temps rel aux informations collectes. Dans ce

    dispositif, Frontex serait charge de synthtiser les renseignements disponibles sur la situation

    en amont de la frontire, cest--dire les mouvements de personnes dans les pays tiers et dansles zones internationales situs aux frontires de lUE.

    11 Lanc en 2006 par la Commission europenne, et plac au service des tats membres par le biais du Centredinformations, de rflexion et dchanges en matire de franchissement des frontires et dimmigration(CIREFI) tabli au sein du Conseil. Voir :http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/57&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en.12

    http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l14579_fr.htm.

    http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/57&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=enhttp://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/57&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=enhttp://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/57&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=enhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l14579_fr.htmhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l14579_fr.htmhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l14579_fr.htmhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l14579_fr.htmhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l14579_fr.htmhttp://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l14579_fr.htmhttp://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/57&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=enhttp://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/57&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en
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    Dans les activits de Frontex, la frontire devient donc zone, lorsque les oprations

    coordonnes par lagence consistent mettre sous surveillance un espace gographique

    particulier, notamment pour ce qui concerne les tendues maritimes. Mais elle aussi

    ponctuelle, lorsque cette surveillance autorise la dtection et linterception de personnes. Les

    frontires du contrle en acquirent une fluidit bien suprieure celles des frontires des

    droits. Les activits de lagence viennent ainsi appuyer la remise en cause de la conception

    linaire de la frontire comme enveloppe territoriale de ltat, mais galement comme

    frontire du droit et des droits. Il aura ainsi fallu attendre mars 2010 pour que le lien entre les

    activits de Frontex et le code frontires Schengen soit inscrit en droit ; et, comme indiqu ci-

    dessous, ce nest quen 2011 que la responsabilit de lagence en matire de respect des droits

    et des liberts fondamentales est explicitement dfinie dans son rglement fondateur.

    Qui est vraiment responsable du contrle aux frontires ?

    La question de limpact des activits de Frontex sur les droits fondamentaux des

    personnes dtectes et interceptes a t continuellement pose depuis les dbuts de lagence.

    Amnesty International comme Human Rights Watch nont pas hsit mettre en cause la

    responsabilit de lagence dans de possibles violations lors du renvoi de personnes sur les

    territoires libyen, mauritanien ou sngalais. Les publications de lagence reconnaissent

    dailleurs quelle ne prend pas assez en compte les droits fondamentaux. Le dernier rapport

    annuel disponible de Frontex, celui de 2010, relve par exemple que ce thme a occup le

    devant de la scne dans le travail de lagence 13au cours de lanne coule, suggrant quil

    nen tait pas ainsi par le pass, et que la question est aujourdhui loin dtre rgle.

    Lutilisation par lagence de donnes personnelles dans le cadre de la coordination

    doprations dexpulsion de personnes en situation irrgulire est un cas dcole : lagence a

    requis en 2009 lopinion du Protecteur europen des donnes personnelles sur la lgalit de

    cette pratique, dveloppe en labsence dune base juridique explicite dans son rglementfondateur. En 2010, le Protecteur a finalement conclu que ces expulsions pouvaient tre

    autorises titre temporaire et dans lattentedune rvision du mandat de Frontex. Reste que

    pendant une priode de deux ans environs, lagence a fait usage de donnes personnelles dans

    un cadre juridique loin de garantir pleinement le respect des droits des personnes concernes.

    13

    Frontex,Rapport Gnral 2010, Varsovie : FRONTEX, 2011, p. 6,http://www.frontex.europa.eu/gfx/frontex/files/general_report/2010/general_report_fr.pdf

    http://www.frontex.europa.eu/gfx/frontex/files/general_report/2010/general_report_fr.pdfhttp://www.frontex.europa.eu/gfx/frontex/files/general_report/2010/general_report_fr.pdfhttp://www.frontex.europa.eu/gfx/frontex/files/general_report/2010/general_report_fr.pdf
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    Lpisode renforce les interrogations portant sur la capacit de lagence viter les violations

    de droits fondamentaux dans les autres aspects de ses activits.

    La version rvise du rglement fondateur de lagence adopte fin 2011 par le

    Parlement europen et le Conseil mentionne de manire dtaille les obligations lgales

    observer au cours des oprations des Frontex, y compris celles menes par les tats membres.

    Elle accorde galement une place particulire au principe de non-refoulement14. Ce nouvel

    instrument fait galement mention explicite du code frontires Schengen, esquissant ainsi la

    perspective dune concidence entre frontires du droit, des droits, et du contrle.

    Les effets de ces rformes devront tre suivis avec attention, car les activits de

    Frontex posent avec force la question de la dtermination des responsabilits juridiques et

    politiques dans le cadre des politiques europennes de contrle des frontires. Largument,

    frquemment dvelopp par les reprsentants de Frontex, selon lequel lagence ne serait quun

    organe technique de mise en uvre des orientations dcides par les tats membres de lUE,

    pose problme. Il est vrai que certaines oprations coordonnes par Frontex, en Mditerrane

    et dans lAtlantique, sont dabord lies des dcisions tatiques, quil sagisse de laccord (le

    trait damiti ) conclu en 2008 entre lItalie et la Libye, ou les traits bilatraux entre

    lEspagne dune part, la Mauritanie et le Sngal dautre part. Une agence europenne na-t-

    elle toutefois pas pour objectif de mettre en uvre le droit communautaire et dassurer son

    respect ? La question est devenue cruciale avec lentre en vigueur du trait de Lisbonne, qui

    met toutes les entits lies lUE dans lobligation de respecter et de faire respecter la Charte

    europenne des droits fondamentaux, une obligation qui a peu inform les activits de

    lagence.

    Un autre argument, mis en avant cette fois par les reprsentants des gouvernementsnationaux de lUE, consiste prsenter Frontex comme linstrument de la solidarit entre

    tats membres face des flux de personnes considrs comme menaants. Il pose tout

    autant question, car cette solidarit ne semble jamais stendre jusquau partage des

    responsabilits. En tmoignent notamment les fortes tensions entre gouvernements nationaux

    ds lors quil sagit dtablir quel tat est charg de recevoir les personnes interceptes dans

    14 Inscrit dans la Convention de Genve relative aux rfugis, celui-ci interdit lexpulsion et le renvoi de

    personnes dans des Etats o leur vie ou leur libert pourraient tre menaces en raison de leurs opinionspolitiques ou religieuse ou de leur appartenance une nationalit ou un groupe social.

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    le cadre des oprations coordonnes par Frontex et dexaminer leurs situations individuelles.

    Un des effets de ces tensions est que ce sont les pays aux capacits les plus limites, comme la

    Grce, qui se voient chargs dassumer les responsabilits des orientations dcides par les

    tats membres dans leur ensemble en matire de contrle des frontires, avec les effets

    dramatiques que lon sait.

    De manire bien plus proccupante en effet, ce sont les personnes cibles par les

    pratiques contemporaines de contrle des frontires des tats europens et de lUE qui sont

    appeles en dernire instance subir les consquences de ces dsaccords. Il est frappant de

    relever que llaboration de politiques europennes communes en matire de contrle des

    frontires semble avoir dans lensemble fait empirer les conditions dans lesquelles ces

    personnes sont appeles voyager et faire lexprience de lEurope. De constater, en

    somme, que les mcanismes institutionnels europens autorisent le dvoiement mme des

    principes sur lesquels ils sont fonds, comme la libre circulation des personnes.

    Publi dans laviedesidees.fr, le 10 janvier 2012

    laviedesidees.fr

    http://www.laviedesidees.fr/http://www.laviedesidees.fr/