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eflexions sur le programme de math´ ematiques des CPGE Pierre Colmez J’ai repris le cours de tronc commun ` a l’ ´ Ecole Polytechnique l’ann´ ee derni` ere, et j’ai ´ et´ e assez surpris par le contenu du programme des classes pr´ eparatoires. Il est clair qu’au fil des ann´ ees, le niveau en math´ ematiques ` a la sortie du lyc´ ee a baiss´ e dans des proportions consid´ erables (1) , mais j’ai quand mˆ eme du mal ` a comprendre comment, en r´ eunissant des enseignants comp´ etents et dispos´ es ` a consacrer beaucoup d’´ energie ` a leur enseignement, et des ´ el` eves motiv´ es par la pr´ eparation de concours qui vont conditionner leur avenir, on aboutisse ` a un programme aussi peu stimulant (2) . Ce programme donne assez nettement l’impression d’avoir perdu en cours de route l’objectif principal des classes pr´ eparatoires qui est de pr´ eparer aux ´ etudes dans les Grandes ´ Ecoles d’ing´ enieur (3) et pas de r´ eduire (4) le contenu dans le but que les ´ el` eves soient ` a mˆ eme d’avoir fait tous les exercices possibles et imaginables sur les notions du programme en (1) En raison de la diminution constante de l’horaire de math´ ematiques dans le secondaire pour des raisons budg´ etaires (si mes souvenirs sont bons, la France a ´ et´ e confront´ ee au d´ ebut des ann´ ees 1990 ` a une p´ enurie de professeurs de math´ ematiques au point qu’il avait ´ et´ e envisag´ e de faire appel ` a des ing´ enieurs pay´ es plus cher pour assurer les cours ; la solution finalement retenue a ´ et´ e nettement moins coˆ uteuse...) dissimul´ ees derri` ere des pr´ etextes de « sant´ e publique » (comme la surcharge de travail des ´ el` eves...), et des motivations id´ eologiques de certains de nos ministres de l’´ education. (2) Je parle du programme officiel. La r´ ealit´ e est moins sombre car les enseignants prennent souvent sur eux de boucher les trous les plus criants du programme. Je ne pense pas que ce soit une situation tr` es saine. Des discussions avec des polytechniciens fraˆ ıchement ´ emoulus m’ont r´ ev´ el´ e que certains avaient vu la th´ eorie de la mesure, d’autres la th´ eorie des espaces de Banach (incluant Banach-Steinhaus, le th´ eor` eme de l’image ouverte...), que des PC avaient vu le d´ eterminant en passant par Sn et la signature... Je ne peux que me f´ eliciter de ces d´ epassements de programme, mais leur diversit´ e fait qu’il est difficile de savoir ce que les gens que j’ai en face de moi savent r´ eellement (d’autant plus qu’ils savent aussi qu’ils ne sont pas cens´ es savoir, juridisme des concours oblige...). (3) Il est assez symptomatique que les « objectifs de formation » du programme ne mentionne pas une seule fois ce rˆ ole. (4) Ce processus de fractalisation a atteint un niveau assez sid´ erant : je comptais m’appuyer sur la forme nor- male d’une rotation dans R n pour expliquer ce que signifie la d´ ecomposition d’une repr´ esentation lin´ eaire d’un groupe fini en somme de repr´ esentations irr´ eductibles ; v´ erification faite, la notion est explicitement hors programme, ce qui en dit long sur la mani` ere dont le programme est r´ edig´ e (ce n’est pas que je pense qu’il s’agisse d’une notion tellement fondamentale que sa disparition constitue un scandale, mais le fait que les r´ edacteurs du programme aient pris le soin de rajouter un alin´ ea pour l’exclure officiellement est proprement incompr´ ehensible). 1

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Reflexions sur le programme de mathematiques des CPGE

Pierre Colmez

J’ai repris le cours de tronc commun a l’Ecole Polytechnique l’annee derniere, et j’ai eteassez surpris par le contenu du programme des classes preparatoires. Il est clair qu’au fildes annees, le niveau en mathematiques a la sortie du lycee a baisse dans des proportionsconsiderables(1), mais j’ai quand meme du mal a comprendre comment, en reunissant desenseignants competents et disposes a consacrer beaucoup d’energie a leur enseignement,et des eleves motives par la preparation de concours qui vont conditionner leur avenir, onaboutisse a un programme aussi peu stimulant(2).

Ce programme donne assez nettement l’impression d’avoir perdu en cours de routel’objectif principal des classes preparatoires qui est de preparer aux etudes dans les GrandesEcoles d’ingenieur(3) et pas de reduire(4) le contenu dans le but que les eleves soient a memed’avoir fait tous les exercices possibles et imaginables sur les notions du programme en

(1)En raison de la diminution constante de l’horaire de mathematiques dans le secondaire pour des raisons

budgetaires (si mes souvenirs sont bons, la France a ete confrontee au debut des annees 1990 a une penurie

de professeurs de mathematiques au point qu’il avait ete envisage de faire appel a des ingenieurs payes plus

cher pour assurer les cours ; la solution finalement retenue a ete nettement moins couteuse...) dissimulees

derriere des pretextes de « sante publique » (comme la surcharge de travail des eleves...), et des motivations

ideologiques de certains de nos ministres de l’education.(2)Je parle du programme officiel. La realite est moins sombre car les enseignants prennent souvent sur

eux de boucher les trous les plus criants du programme. Je ne pense pas que ce soit une situation tres

saine. Des discussions avec des polytechniciens fraıchement emoulus m’ont revele que certains avaient vu

la theorie de la mesure, d’autres la theorie des espaces de Banach (incluant Banach-Steinhaus, le theoreme

de l’image ouverte...), que des PC avaient vu le determinant en passant par Sn et la signature... Je ne peux

que me feliciter de ces depassements de programme, mais leur diversite fait qu’il est difficile de savoir ce

que les gens que j’ai en face de moi savent reellement (d’autant plus qu’ils savent aussi qu’ils ne sont pas

censes savoir, juridisme des concours oblige...).(3)Il est assez symptomatique que les « objectifs de formation » du programme ne mentionne pas une seule

fois ce role.(4)Ce processus de fractalisation a atteint un niveau assez siderant : je comptais m’appuyer sur la forme nor-

male d’une rotation dans Rn pour expliquer ce que signifie la decomposition d’une representation lineaire

d’un groupe fini en somme de representations irreductibles ; verification faite, la notion est explicitement

hors programme, ce qui en dit long sur la maniere dont le programme est redige (ce n’est pas que je pense

qu’il s’agisse d’une notion tellement fondamentale que sa disparition constitue un scandale, mais le fait

que les redacteurs du programme aient pris le soin de rajouter un alinea pour l’exclure officiellement est

proprement incomprehensible).

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vue du concours d’entree. Le decalage est assez grand avec les « objectifs generaux de laformation » qui donneraient presque(5) a penser que l’on va avoir droit a un programmecoherent (6), un peu ambitieux et menant quelque part.

1. Le programme actuel

1.1. Aspect culturel

Le probleme le plus aigu, a mon sens, du programme actuel est son etroitesse. Si oncompare le programme officiel des deux ans de la filiere MP (je n’ai pas fait l’exercicepour la filiere PC) a celui des deux premieres annees de l’Universite de Cambridge(7),on s’apercoit que ce programme correspond a environ 150 heures de cours magistraux aCambridge(8) . Meme en tenant compte de la difference de niveau a l’entree (qui n’est passi importante que cela), cela laisse un temps non negligeable en CPGE(9), ou l’on disposeau total de 700 heures environ, pour faire autre chose que ce qui est au programme officiel

(5)A part le paragraphe « Interpretation et delimitation du programme » qui fait mention de « l’appro-

fondissement d’un noyau limite de connaissances fondamentales » dont malheureusement le mot le plus

important semble a posteriori etre « limite ».(6)On y lit en particulier : « Il importe aussi que le contenu culturel des mathematiques ne soit pas

sacrifie au profit de la seule technicite... » On aimerait que la suite du programme fasse reference, ne

serait-ce qu’une fois, a ce contenu culturel. On aimerait plus generalement que le chapitre « Objectifs de

formation » ne se contente pas d’enoncer une serie de principes, mais repose sur des exemples concrets,

sinon on a l’impression d’avoir affaire a un exercice de pure rhetorique. Que signifie en pratique : « Il

convient de centrer l’enseignement autour de phenomenes et de problemes mathematiques. En particulier,

il est essentiel que l’approfondissement theorique ne soit coupe ni des problematiques qui le sous-tendent,

ni des secteurs d’intervention qui le mettent en jeu. » ? Le reste du programme fait tout pour donner

l’impression inverse...(7)Celui-ci est disponible a http://www.maths.cam.ac.uk/undergrad/documentation/schedules/

currentschedules/master.pdf.(8) La comparaison a un certain interet car les eleves de Cambridge et Oxford correspondent a peu pres (en

termes d’effectifs et de selection) aux classes etoilees des CPGE. (Pour faciliter la lecture du programme de

Cambridge, IA=premiere annee, IB=seconde annee, les nombres dans la marge correspondent au nombre

d’heures consacrees a chaque sujet ; en premiere annee, tous les cours sont obligatoires, en seconde annee,

c’est a la carte, mais les etudiants suivent en gros 4 cours en parallele. L’annee est divisee en 3 trimestres,

les deux premiers comportant 8 semaines de cours, le dernier 4 semaines de cours et des examens.)(9)Il n’est peut-etre pas inutile de rappeler que « CPGE » signifie « classe preparatoire aux Grandes Ecoles »et pas « classe preparatoire aux concours d’entree aux Grandes Ecoles ».

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(et donc soit du bachotage sterile, soit des depassements de programme formateurs, maislaisses a l’appreciation du professeur).

Les eleves des CPGE ne voient, a part peut-etre(10) Z/nZ, pas une seule construction(11)

d’objet mathematique en 2 ans, et le nombre de concepts et de vrais theoremes(12) qu’ilsrencontrent est incroyablement limite. Il me semble pour le moins curieux que l’on puissetrouver normal que des eleves soumis au regime des CPGE ne sachent pas ce qu’est ladenombrabilite ou que les groupes sont faits pour agir sur toutes sortes de choses, et n’aientque des notions tres approximatives de topologie generale (sans parler des disparitions,en filiere PC, de Z/nZ, du groupe symetrique, des suites de Cauchy, de la convergenceuniforme...(liste non exhaustive, helas)).

Les theoremes que j’ai reperes dans le programme de premiere annee sont :• le theoreme de Bolzano-Weierstrass,• le theoreme des valeurs intermediaires (qui a le mauvais gout d’etre visuellement

evident),• le theoreme de Rolle,• le theoreme fondamental de l’arithmetique (mais l’existence d’une infinite de nombres

premiers semble etre passee a la trappe),• le theoreme fondamental de l’algebre (sans demonstration),• le fait que la signature soit un morphisme de groupes,• det AB = detA det B,• dim(E + F ) + dim(E ∩ F ) = dim E + dim F .• l’inegalite de Cauchy-Schwarz.

(10)La maniere dont Z/nZ est presente peut laisser la place a des interpretations.(11)La generation precedente etait exposee aux relations d’equivalence et aux passages au quotient des

le plus jeune age, ce qui n’etait probablement pas optimal, mais il est etrange que l’on en soit venu a

considerer que ces notions sont trop abstraites pour etre presentees en CPGE. Le passage au quotient par

une relation d’equivalence est une operation mathematique fondamentale, et je ne vois pas de moment plus

propice a son introduction que la periode de la prepa.(12)Les mathematiques ne sont pas un jeu purement formel, et il y a lieu de faire une distinction entre un

resultat qui se contente d’exprimer une propriete d’une notion que l’on vient de definir (par exemple, si

on definit un compact en termes de recouvrements ouverts, demontrer qu’un espace metrique est compact

si et seulement si toute suite admet une valeur d’adherence est un resultat assez difficile (en tout cas, je

ne me vois pas improviser une demonstration au tableau), mais ne sort pas du cadre de la compacite ;

de meme, demontrer que les bases ont toutes le meme cardinal dans un espace de dimension finie est un

resultat difficile (idem), mais ne sert en gros qu’a definir la dimension d’un espace), et un vrai theoreme

qui repond a une question naturelle et dont la solution est un peu surprenante.

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En seconde annee :• le theoreme de Bezout et le lemme de Gauss (quid de celui des restes chinois ?),• la diagonalisabilite d’un endomorphisme annule par un polynome scinde a racines

simples,• le theoreme de Cayley-Hamilton,• la diagonalisation d’une matrice symetrique reelle en base orthonormee,• la formule de Taylor avec reste integral,• le theoreme du relevement (a moitie),• le fait qu’une fonction continue sur un compact est bornee et atteint ses bornes,• l’equivalence des normes sur un espace vectoriel de dimension finie,• le fait qu’une limite uniforme de fonctions continues est continue,• la densite des polynomes ou des polynomes trigonometriques dans les fonctions conti-

nues sur un intervalle (enfin, le resultat y est, mais pas sous cette forme...),• l’approximation uniforme de fonctions continues par des fonctions en escaliers,• le theoreme de convergence dominee (sous une forme un peu absurde et sans

demonstration),• le theoreme de Dirichlet sur la convergence ponctuelle des series de Fourier et la

formule de Parseval,• le theoreme de Cauchy-Lipschitz.La liste ci-dessus me semble un peu triste pour deux ans d’efforts (d’autant que les

enonces la composant n’ont pas tous la meme saveur). C’est d’autant plus dommageablequ’un vrai theoreme permet de mettre en perspective les notions introduites. Par exemple,j’ai eu droit en sup.(13) aux espaces de Banach (definition, theoreme des fermes emboites,theoreme du point fixe). Je pense que je n’en aurais plus aucun souvenir si l’introductionde cette notion n’avait debouche sur la demonstration du theoreme de Cauchy-Lipschitzqui fut un emerveillement : cette maniere inattendue de repondre a une question naturelledonnait un sens a tous ces enonces semi-intuitifs et, cerise sur le gateau, l’application dela preuve a l’equation differentielle y′ = y debouchait sur le developpement de ex en serieentiere ! Par contraste, le cours de spe que j’ai suivi etait tres oriente vers la preparationdu concours, avec des exercices en pagaille, des problemes de concours... Je garde unsouvenir excellent de la prestation du professeur, mais force m’est de constater que je ne

(13)Le cours en question avait surement pris des libertes assez grandes avec le programme de l’epoque mais,

avec le recul, je le trouve d’une coherence et d’une ampleur remarquable, assez similaire dans l’esprit avec

le programme de l’Universite de Cambridge.

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me souviens plus de rien de vraiment precis de son contenu(14) ni de celui des problemes(15)

a l’exception de l’escalier du diable et de la courbe de Peano qui avaient vivement frappemon imagination.

1.2. L’appauvrissement des concepts

Un autre probleme serieux est la denaturation de certains concepts, ce qui a pour effetde creer des obstacles psychologiques pour l’avenir, et de les rendre inutilisables une foisle concours passe. Je pense en particulier aux points suivants :• La caracterisation de la compacite (dans un espace metrique(16)) par les suites est d’un

maniement plus facile que celle par les recouvrements ouverts tant qu’il s’agit de verifierla compacite d’un ensemble, mais quand on veut utiliser la compacite pour demontrer devrais theoremes, c’est presque toujours la caracterisation par les ouverts que l’on utilise(sans parler du non-sens absolu que constitue la definition d’un compact comme etant unferme borne en filiere PC).• La connexite est certes moins intuitivement evidente que la connexite par arcs, mais

c’est quand meme la connexite qui est utilisee pour demontrer de vrais theoremes, laconnexite par arcs n’etant souvent qu’un moyen de prouver la connexite d’un espace.• Le theoreme de convergence dominee enonce en prepa est encombre d’hypotheses

inutiles le privant de sa souplesse incroyable (il faut avouer que c’est quand meme unprogres par rapport a ce qui etait enseigne il y a 30 ans, ou on passait une bonne partiede son temps a decouper les ε en morceaux). L’enonce du theoreme de Fubini laisse unpeu songeur...

Ceci pose un probleme assez serieux pour l’enseignement des mathematiques en GE. J’aiun peu de mal a voir comment une ecole d’ingenieur un peu ambitieuse peut se passer deparler de transformee de Fourier dans L2, de fonctions holomorphes et de probabilites a unniveau serieux (sans parler de structures algebriques pour la formation d’informaticiens un

(14)Pour etre honnete, il faut admettre que l’essentiel des mathematiques au programme ayant ete vu en

sup., il ne restait pas grand-chose de croustillant a nous proposer. Dans mon souvenir, la majeure partie

de ce qui n’avait pas ete vu en sup. a consiste en de la botanique des equations differentielles, et de la

geometrie des courbes et surfaces dont l’unique but etait de se ramener a cette botanique.(15)Je m’apercois que, 30 ans plus tard, les seuls problemes ayant laisse une trace dans ma memoire sont

ceux dont la problematique etait un peu surprenante ou ceux dont le but, clairement enonce, etait la

demonstration d’un theoreme hors programme avec un enonce parlant. Je ne sais pas si on peut en tirer

un enseignement sur le type de problemes a poser pour faire progresser les gens.(16)Enfin, dans un espace vectoriel norme sur R ou C d’apres le programme officiel...

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peu theoriciens). Definir L2(Rn) demande de pouvoir definir l’integrale de Lebesgue. Memeen prenant un point de vue axiomatique, il faut comprendre la notion de denombrabilitequi a disparu du programme de toutes les filieres, ce qui est probablement le point le plusincomprehensible du programme(17). Ensuite, il faut passer au quotient par les fonctionsnulles presque partout. Comme les passages au quotient ont ete evacues du programme,on s’en tire en agitant les mains et en expliquant qu’on considere comme egales deuxfonctions qui sont egales presque partout puisqu’il est impossible de les distinguer. Unefois L2 construit, vient le probleme de l’extension de la transformee de Fourier de L1 a L2,ce qui est un peu delicat pour un eleve venant de la filiere PC qui n’a aucune idee de cequ’est une suite de Cauchy et n’a pas ete expose a la notion de densite. Pour les fonctionsholomorphes, on a besoin de notions raisonnables de topologie(18). Toutes ces notions quel’on a jugees impossible d’enseigner pendant les 600 ou 700 heures de mathematiques enCPGE doivent etre assimilees par magie dans la petite centaine d’heures dont on dispose(dans les bons cas) dans les Grandes Ecoles.

2. Suggestion pour une refonte du programme

2.1. Role des CPGE

Il y a malheureusement deux realites difficiles a ignorer : d’une part, le niveau enmathematiques des eleves a l’entree en CPGE s’est considerablement degrade en 30 ans,d’autre part, le bagage mathematique dont est susceptible d’avoir besoin un ingenieur ouun scientifique a augmente de maniere non negligeable (les probabilites(19) occupent une

(17)Il semble que tout( ?) le monde en parle quand meme, ce qui fait qu’on se demande pourquoi ce n’est

pas au programme...(18)L’unicite du prolongement analytique se demontre naturellement par connexite, meme si la connexite

par arcs des ouverts de C2 permettrait de fabriquer une demonstration n’utilisant que cette notion ; la

compacite intervient regulierement et c’est souvent la caracterisation par les recouvrements ouverts que

l’on a envie d’utiliser.(19)Les probabilites ont ete introduites des la seconde, ce qui peut paraıtre une bonne chose. Malheureu-

sement, cette introduction s’est faite au detriment du langage de la theorie des ensembles et de la logique

formelle, et la decouverte de la notion de structures algebriques. Ceci semble un peu bizarre vu que le

langage de la theorie des ensembles est fort utile (peut-etre meme plus en probabilite qu’ailleurs), et si on

pouvait remplacer les probabilites des classes de seconde et premiere par un apprentissage du langage de

la theorie des ensembles et de la logique formelle, et la decouverte de la notion de structures algebriques,

cela ferait le plus grand bien a tout le monde. Il est un peu etrange qu’un eleve de terminale n’ait jamais

manipule d’espace vectoriel de dimension 2 ou 3 et de matrice 2 × 2. Par contre, il serait bon de garder

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place de plus en plus grande dans toutes les sciences (dures ou molles), l’arithmetiquedans Z/nZ et l’algebre lineaire sur F2 et ses extensions se sont retrouvees au coeur dela communication informatique, et les structures algebriques jouent un role certain danstoute une partie de l’informatique). Il me semble donc qu’il faut en tirer les conclusions etchanger assez substantiellement l’esprit dans lequel le programme des CPGE est concu. Enparticulier, il ne faudrait pas perdre de vue la continuite qui doit exister entre la formationen CPGE et celle en GE. Il faudrait reflechir a un partage des taches entre les CPGE etles GE, et eviter que les eleves ne sortent des CPGE en ne connaissant qu’un corpus troprestreint (mais sur le bout des doigts), ce qui transforme l’enseignement en GE en survolsuperficiel (en 5 fois moins de temps) d’un corpus plus etendu que celui vu en prepa.

La structure des CPGE presente d’enormes avantages par rapport aux autres structuresque je connais (comme l’universite) pour la formation des etudiants (en particulier parceque c’est le meme enseignant qui maıtrise la totalite des interventions), et la presence duconcours au bout des deux ans cree une stimulation qui, bien utilisee, permet d’obtenir desresultats, au niveau de l’acquisition de connaissances, qui seraient impensables autrement.Il est dommage que cette acquisition de connaissances porte plus sur la resolution d’exer-cices (dont certains reposent sur une virtuosite parfaitement superflue(20)) que sur desconcepts utilisables par la suite. Il faudrait donc arriver a un programme nettement plusambitieux(21) sur le fond et nettement moins sur sur le niveau de technicite attendu de lapart des eleves. Autrement dit, il faut diminuer la technicite au profit d’une augmentationdu nombre de notions enseignees (plus de savoir pour moins de savoir-faire !), et surtoutil faut enseigner ces notions d’une facon utilisable une fois le concours passe.

2.2. Que rajouter ?

Comme je l’ai deja signale (note 8), le programme actuel est traite en 150 heures decours magistral a l’Universite de Cambridge. Il ne me semble pas deraisonnable, vu le

des probabilites en terminale. La notion de probabilite conditionnelle me semble fondamentale pour la

formation d’un citoyen ; cela permet de debusquer des tas d’erreurs de raisonnement, volontaires ou non,

dans les discours de tous les jours.(20)J’ai ete confronte a un phenomene psychologique assez curieux : certains des eleves que je recupere ont

beaucoup de mal a admettre que le but d’un exercice puisse etre d’aider a comprendre comment on utilise

un theoreme et pas forcement de les pieger...(21)Au cours des deux dernieres decennies, on a fait exactement le contraire. Or, a chaque baisse du

programme, on assiste a une augmentation significative de la proportion de 5/2 (qui ont eu l’occasion de

voir le programme precedent en 3/2) parmi les recus au concours de l’X, ce qui tendrait a prouver que plus

on enseigne de choses aux eleves et plus ils ont de connaissances mobilisables (quelle surprise !).

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nombre d’heures dont on dispose en tout, d’arriver a un programme, en classe etoilee(22),correspondant a un peu plus de 200 heures de Cambridge. Ceci permettrait, sans tropdiminuer la familiarite avec les notions introduites necessaire pour affronter les concours,de rajouter au programme :• de la denombrabilite,• des structures algebriques (reclamees par les informaticiens et extremement forma-

trices),• des constructions(23) d’objets mathematiques par passage au quotient(24).• faire en sorte que les groupes agissent sur des ensembles(25) (c’est quand meme pour

ca qu’ils se sont imposes un peu partout en mathematiques...),• enseigner la topologie de maniere utilisable par la suite,• l’integrale(26) de Lebesgue sous une forme axiomatique(27),• des fonctions holomorphes(28),

(22)Comme la differentiation entre classes etoilees et non etoilees ne se fait qu’en seconde annee, il faut

reflechir un peu a la repartition entre les deux annees ; voir plus loin.(23)Je pense en particulier a Z/nZ, aux quotients de K[X] (et en particulier a C = R[X]/(X2 + 1)), a la

construction de R comme quotient de l’anneau des suites de Cauchy par l’ideal des suites tendant vers 0,

et a l’espace topologique R/Z.(24)Il faut depasser le « traumatisme » cause par l’irruption des mathematiques modernes dans le secondaire

il y a 40 ans. Ce traumatisme est d’ailleurs parfaitement relatif : j’ai relaye comme tout le monde l’idee

selon laquelle l’introduction des mathematiques modernes avait ete un desastre, jusqu’a ce que, recemment,

une mere de famille de ma generation, litteraire de formation, et dont un des fils a des difficultes avec le

programme de mathematiques du college, m’ait fait la declaration suivante : « Qu’est-ce que c’est que

ces stupidites sur le cercle et le triangle ? De notre temps, on faisait des intersections, des reunions ; on

comprenait quelque chose ; c’etait bien plus concret. » Depuis, je suis de l’opinion que ce qui traumatise les

parents, c’est de ne pas savoir faire les devoirs a la maison de leurs enfants... (et aussi d’avoir l’impression

que ce qu’ils ont appris n’a pas de valeur puisque ce n’est plus enseigne).(25)On pourrait par exemple envisager de faire agir les groupes GL(E) et SO(E) sur l’espace vectoriel E...(26)Je n’arrive pas a savoir si passer par l’integrale de Riemann donne une intuition pour l’integrale de

Lebesgue ou si on peut s’en passer et la deduire de l’integrale de Lebesgue (ce qui se fait sans probleme).

Si on peut s’en passer (ce qui me semble fort possible), cela permet de gagner un temps considerable...(27)Je pense a la maniere dont Bony presentait cette integrale aux eleves de la filiere PC : on admet

l’existence d’une integrale pour toutes les fonctions positives (ce qui est incompatible avec l’axiome du

choix, mais parfaitement justifiable) valant ce qu’on pense pour les fonctions en escalier, lineaire, et verifiant

le theoreme de convergence monotone. On admet aussi que toute fonction est limite presque partout d’une

suite de fonctions en escaliers.(28)Avec en point de mire un resultat frappant comme l’addition sur une courbe elliptique, le theoreme de

la progression arithmetique ou celui des nombres premiers.

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• des probabilites (sans theorie de la mesure).

Il faut absolument jalonner le programme de “vrais” theoremes, permettant de mettre enperspective les notions introduites, et d’elements d’histoire des mathematiques permettantde mettre en valeur les acquis(29). Par exemple, une maniere de mettre en valeur la notionde dimension d’un espace vectoriel, et les bases de la theorie des extensions de corps (qui,soit dit en passant, est fort utile pour les codes correcteurs ou non) est l’impossibilite dela duplication du cube a la regle et au compas. Expliquer aux eleves que ce qu’ils ontappris leur permet de repondre a une question qui a resiste aux assauts de nombreuxmathematiciens pendant deux millenaires, est une excellente maniere de valoriser leursavoir meme si l’utilite du resultat est a peu pres nulle. Transformer ce resultat en unprobleme (ce qui m’est arrive en sup.) est une idee raisonnable, mais insister sur l’aspecthistorique du probleme lui donne une autre saveur.

Il n’est pas necessaire de tout demontrer, mais il faut n’admettre que de vrais resultats,dont la demonstration est hors de portee, et dont l’utilisation est relativement aisee etsimplifie grandement la vie. Je pense principalement a l’existence de l’integrale de Le-besgue (en incluant le theoreme de convergence dominee (le vrai ; pas celui au programmeactuellement), et celui de Fubini), et a la formule de Cauchy et celle des residus. On peutdeleguer aux Grandes Ecoles le soin de faire un cours de theorie de la mesure dans lequell’existence de l’integrale de Lebesgue sera justifiee de la maniere adequate, mais il mesemble nuisible de se passer de sa souplesse, au moins en spe. La demonstration de laformule de Cauchy et de celle des residus peut probablement se faire a ce niveau, maisdemande d’utiliser un arsenal de notions (formule de Green ou des rudiments d’homotopiequi, bien que fort utiles par ailleurs, risquent de prendre un temps non negligeable pourune utilite un peu lointaine).

(29)A Cambridge, la premiere annee commence avec quatre cours de 24 heures en parallele dont un intitule

”numbers and sets” dans lequel on parle de theorie des ensembles, de relations d’equivalence, de Z/nZ, de

denombrabilite... Le cours se termine par la demonstration de l’existence de nombres transcendants par

des arguments de cardinal. En France, ceci serait typiquement relegue en exercice. Je pense que c’est une

erreur, et qu’il faut au contraire mettre le resultat en valeur, expliquer sa genese (echange de lettres entre

Cantor et Dedekind) et parler des reticences qui ont accueilli la demonstration de Cantor (polemique avec

Kronecker) ; cela a pour merite d’humaniser les mathematiques et d’expliquer aux eleves qu’ils ne sont pas

les seuls a avoir des problemes devant certaines notions. Dans le meme ordre d’idees, expliquer que Cauchy

a reussi a demontrer deux fois qu’une limite simple de fonctions continues est continue peut aider a bien

faire comprendre l’interet de la notion de convergence uniforme. On peut aussi raconter les deboires de

Poincare (episode du prix du roi de Suede).

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2.3. Problemes pratiques

L’introduction des probabilites en CPGE me semble incontournable vu l’importancecroissante que prennent les methodes probabilistes dans tous les secteurs scientifiques. Ils’agit d’une branche un peu a part dans les mathematiques (meme si elle a des connexionsavec beaucoup d’autres branches des maths), avec son propre langage, et dont les conclu-sions sont parfois deconcertantes pour les mathematiciens d’autres branches, et cela jus-tifierait une augmentation du volume horaire global de mathematiques. Qui sait ? Peut-etre que pour une fois les considerations scientifiques l’emporteront sur les considerationsbudgetaires..

Il y a clairement des eleves qui auraient un peu de mal a assimiler completement lenouveau programme en deux ans. Comme le concours reste incontournable(30), on peutenvisager un systeme a deux vitesses : une premiere annee avec un programme ambitieux(pas de concours a la fin de l’annee !), et une seconde annee avec de fortes differencesentre les programmes des classes etoilees et des autres. Dans les classes non etoilees, unebonne moitie du temps serait consacree a consolider les notions vues en premiere annee,et le reste du temps a l’acquisition de notions nouvelles. Dans les classes etoilees, oncontinuerait a un rythme assez soutenu en considerant que la consolidation des notions depremiere annee se fera naturellement en les utilisant pour demontrer des choses nouvelles(ce qui est la methode naturelle pour apprendre des mathematiques...). Un point positifde cette differentiation serait de permettre a un 5/2 d’une classe non etoilee de redoublerdans une classe etoilee et donc d’apprendre des choses nouvelles au lieu de revoir le memeprogramme. En fait, l’ideal serait que le programme des classes etoilees permette d’accederdirectement au M1 a l’universite. (Il est un peu absurde qu’avec le travail que fournissentles eleves des CPGE, ils soient en situation de perdre une annee par rapport aux etudiantsde la fac en cas de 5/2.).

Enfin, je n’ai pratiquement evoque que la filiere MP dans ce qui precede, mais le cas de lafiliere PC est nettement plus preoccupant, et il me semble que la differentiation des filieresdes la premiere annee est franchement dommageable par l’heterogeneite qu’elle cree. Jen’ai pas les moyens de savoir si cette differentiation a vraiment augmente le nombre devocations de physiciens et de chimistes. Si ce n’est pas le cas, il me semblerait judicieux derevenir au systeme anterieur ou le choix se faisait en seconde annee, de maniere peut-etreun peu plus reflechie.

(30)On pourrait quand meme envisager d’en modifier un peu l’esprit et de rajouter une petite touche

“examen”.

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