PHILIP GLASS - Numilog

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AUTANT EN EMPORTELE TORRENT

Dans la boĂźte oĂč je bosse, on ne choisit pas sa sonnerie de tĂ©lĂ©phone. Avant, les tests psychotech-niques des sous-traitants en ressources humaines vĂ©rifiaient si votre tempĂ©rament collait Ă  celui de l’entreprise. Aujourd’hui c’est la personnalitĂ© de la firme qui est sans cesse modifiĂ©e en fonction des utilisateurs, ce mot vide qui fĂ©dĂšre mollement ex-clients, employĂ©s, consommateurs, cadres et managers. VoilĂ  pour l’aplatissement lexical e-votĂ© il y a six mois Ă  32% par les petits investisseurs de IGV.com. International Global Village, mon employeur.

CrĂŽa crĂŽa, tchiiiitchiiip. CrĂŽa crĂŽa, tchiiiitchiiip.

L’ajustement constant aux utilisateurs, c’est le credo du marketing social et citoyen auquel ma boite adhĂšre de maniĂšre trĂšs concrĂšte : Ă  65 dĂ©cibels, au doux son de croassements et pĂ©piements dĂ©naturĂ©s. C’est bien parce que cette sonnerie a Ă©tĂ© tĂ©lĂ©chargĂ©e 65 402 fois la semaine derniĂšre que l’entreprise l’a uploadĂ©e sans prĂ©venir sur les portables de tous les employĂ©s, pardon, « utilisateurs opĂ©rateurs ». Et ça n’arrĂȘte pas : les messages qui dĂ©ferlent, signalĂ©s par ce concert animal free-jazz, sont du mĂȘme ordre:

« Ton statut a changĂ©. Qu’est-ce qui se passe ? »

Un seul Ɠil ouvert, j’essaie de me connecter Ă  mon compte IGV pour vĂ©rifier mon statut social. Sur l’écran de mon iPhone, un austĂšre message bleu sur fond blanc m’annonce « Erreur. L’utilisateur n’existe pas». Mon second Ɠil s’ouvre. J’appuie frĂ©nĂ©tiquement du doigt sur l’écran tactile qui finit par me demander de prouver que je suis un humain : je dois suivre le contour d’un genre de test de Rorschach (aujourd’hui en forme de tĂȘte de clown) tout en rĂ©citant le poĂšme de Verlaine qui dĂ©file en arriĂšre-fond. J’accĂšde enfin aux paramĂštres de mon profil, pour constater que l’indice de mon statut social a en effet dramatiquement baissĂ©. Pourtant, aucun des paramĂštres rĂ©els sur lesquels il est calculĂ© n’a bougĂ© : nombre de contacts enregistrĂ©s, types de produits commandĂ©s, services rendus Ă  la communauté 

Pas de panique, il doit y avoir un bug. C’est pas que je sois inquiet, mais il faut que je trouve une solution. Un statut aussi Ă©loignĂ© du score mĂ©dian signifie, en gros, que j’ai Ă©tĂ© virĂ©. Je suis tentĂ© d’appeler mon supĂ©rieur direct mais, d’une part, il est 6h du matin, d’autre part, tout mon rĂ©seau professionnel a Ă©tĂ© automatiquement supprimĂ© du rĂ©pertoire. Une visite au syndicat de modĂ©-ration s’impose.

Le vĂ©ritable drame de la situation, c’est que mon abonnement gold aux Transports PersonnalisĂ©s vient d’ĂȘtre bloquĂ©. En fait, tous mes abonnements le sont : mobilitĂ©, musique, shopping, tĂ©lĂ©vision. Me voilĂ  revenu Ă  l’offre par dĂ©faut, gratuite, celle – horreur - proposĂ©e par le service public, ce qui Ă©quivaut Ă  goĂ»ter Ă  tout sans en profiter. Je fouille un peu pour me familiariser avec l’interface des transports en commun: connexion au Doodle qui super-vise les horaires collaboratifs en temps rĂ©el. Si un minimum de six personnes demandent que le bus passe dans le quartier dans le quart d’heure qui vient, il y a des chances pour qu’il arrive juste en bas de chez moi. Avec Ă  peine trois connexions ce matin, c’est ratĂ©. L’arrĂȘt collectif le plus proche est Ă  des plombes, va falloir marcher. Comme prĂ©vu, ma base de donnĂ©es musicale – celle qui est conçue pour coller trĂšs prĂ©cisĂ©ment Ă  mes goĂ»ts, mĂȘme ceux que j’ignore encore – est inaccessible. Reste le top 100 suĂ©dois, « Ă©coutĂ© par 125 526 personnes en ce moment ». Au bout de trois titres, j’éprouve finalement une certaine reconnaissance envers l’offre gratuite : chaque chanson est automatiquement coupĂ©e aprĂšs une minute.

CRÔA CRÔA, TCHIIIITCHIIIP. CRÔA CRÔA, TCHIIIITCHIIIP

PAR GRÉGORY MEURANT& ELEA VON PICNIC

THEN CAME THE LAST DAYS

OF MAYL’AMOUR

ET UNE PARTIE À TROISPAR PIERRE MIKAÏLOFF

Puis, avec les derniers jours de mai, vint Catherine.

Je l’avais beaucoup regardĂ©e au cours de l’hiver, la prenant pour un garçon. Si c’était une fille, me di-

sais-je, elle serait la girlfriend parfaite. Fine comme Keith Richards, sombre comme Johnny Thunders,

écorchée et craintive comme
 Peu importe comme qui finalement. Elle traßnait alors avec un fils de

bonne famille qui jouait du jazz chaque vendredi, sous l’égide d’un prof de lettres vaguement beat.

Je pensais donc qu’il s’agissait d’un couple de garçons. De toute façon, il avait l’air beaucoup moins

dangereux qu’elle avec son Burberry’s. Et puis, ils n’ont plus traĂźnĂ© ensemble. Enfin, elle, je ne l’ai plus

trop vue. Dans un lycĂ©e qui compte un gros millier d’élĂšves, il arrive de ne pas croiser pas certains

visages pendant plusieurs semaines. Un jour que j’étais assis dans le grand hall Ă  cĂŽtĂ©

du rĂ©fectoire, elle avait fait sa rĂ©apparition. Pas de doute, c’était bien ma direction qu’elle prenait. Elle

fonçait droit sur moi. Avant que j’ai pu rĂ©alisĂ© ce qui m’arrivait, elle Ă©tait en train de me parler. Putain, oui, elle me parlait ! Sa voix Ă©tait incroyablement

douce en me demandant cette cigarette que je n’avais pas. Je ne me doutais pas qu’une fille pouvait

avoir cette voix. Ou plutĂŽt : c’est ainsi que les filles parlaient dans mes rĂȘves les plus fous, mais je ne savais pas que ça existait dans la rĂ©alitĂ©. Comme

je n’avais pas de cigarettes, que je ne trouvais rien Ă  dire de plus qu’un stupide « DĂ©solĂ©, je n’en ai

pas
 » et qu’elle semblait avoir Ă©puisĂ© ses rĂ©serves d’audace, elle avait disparu.

DÚs lors, bizarrement, on a plus cessé de se croiser. Et plus besoin de prétextes idiots pour se parler.

On restait simplement ensemble, Ă  se regarder, Ă  deviser et Ă  oublier de manger. Ce genre de choses.

Fatalement, on avait Ă©voquĂ© le « guitariste de jazz ». D’un mot, elle l’avait taillĂ© en piĂšce : « Ce puceau, il n’était bon qu’à mal jouer du jazz. Incapable de

te sortir un riff saignant ! » Catherine était bien la femme de ma vie.

Il lui arrivait aussi de jouer Ă  un jeu bien particulier quand elle prenait le bus avec moi. Un jour, par un chaud dĂ©but d’aprĂšs-midi, alors que nous retournions au lycĂ©e et qu’elle chantonnait Then came the last days of may, du Blue Öster Cult, elle avait remarquĂ© que le chauffeur ressemblait Ă  Eric Bloom. C’était un peu vrai, chevelure frisĂ©e assez longue et Ray Ban fumĂ©es
 Elle m’avait dit : « Comme c’est facile ! Je suis en train de fixer ce connard Ă  travers son rĂ©troviseur depuis cinq bonnes minutes. Au dĂ©but il n’a rien remarquĂ©, mais depuis qu’il a saisi mon regard, il ne surveille plus la route que par intermittence, je suis sĂ»re que si je continue, il va finir par envoyer son bus et ses quarante passagers dans le dĂ©cor. Amusant, non ? »

On ne se quittait plus. Catherine Ă©tait trĂšs fiĂšre de l’influence nĂ©faste qu’elle prĂ©tendait avWir sur moi. Elle jubilait tandis que ma Telecaster restait dĂ©sespĂ©rĂ©ment dans son Ă©tui. Elle me provoquait en prĂ©disant que bientĂŽt je serais incapable d’aligner trois notes sur une guitare. Et elle avait raison, je ne pratiquais plus. Je commençais Ă  m’en inquiĂ©ter. Elle savourait sa victoire sans modestie aucune, j’étais sur le point de devenir sa chose et je n’avais pas assez de volontĂ© pour l’éviter. De temps en temps, je m’éner-vais, je la foutais dehors en lui disant : « Il faut que je joue maintenant ! » Et cela me faisait terriblement mal de la voir partir. Nos jeux n’étaient pas si drĂŽles que ça, tout compte fait.Un aprĂšs-midi, on avait Ă©tĂ© chez elle. Son pĂšre Ă©tait un ancien contrebassiste devenu Ă©norme et alcoolique. Son instrument Ă©tait appuyĂ© contre un mur dans le petit vestibule de leur appartement. Il ne devait plus en jouer beaucoup. Il avait d’autres occupations : vider des litres de mauvais vin et traiter sa fille de salope. On s’était assis autour de la table pour partager son dĂ©jeuner et il devisait aimablement avec moi, me parlant de Gainsbourg qu’il avait accompagnĂ© jadis, etc. Ca se passait pas si mal. Jusqu’au moment oĂč il Ă©tait entrĂ© dans une fureur incontrĂŽlable. Et toute sa rage Ă©tait dirigĂ©e

s’est dĂ©roulĂ© un jour dont j’ai oubliĂ© le nom et la date. Un matin. J’ai Ă©tĂ© rĂ©veillĂ© par l’urgence. Ma mĂšre me secouait comme la fois oĂč un voisin s’était fait sauter avec le gaz. Il Ă©tait barbu et brun dans mes souvenirs. Il vivait quelques Ă©tages plus haut, je crois, un peu plus sur la droite de la barre. Cette nuit-lĂ , nous avions cru qu’un avion s’était Ă©crasĂ© sur notre citĂ© en briques rouges. A cause de la puissance de la dĂ©tonation. Ce ne pouvait ĂȘtre que cela. Je crois que sa femme l’avait quittĂ©. Tous les habitants Ă©taient sortis en pyjama dehors. Ils attendaient au pied des immeubles et regardaient les flammes aux fenĂȘtres. Cette fois-ci, ce fut une explosion silencieuse. Elle eut lieu dans la tĂȘte dans mon pĂšre. C’était un matin. Cela avait dĂ» rĂ©veiller ma mĂšre. Cette annĂ©e-lĂ , je dormais encore dans le canapĂ©-lit du salon, je n’avais toujours pas de chambre. Nous vivions au sixiĂšme Ă©tage d’un immeuble avec vue sur l’A4. Et plus loin, sur la Seine et de l’autre cĂŽtĂ©, Ivry. Ce qui avait explosĂ© en mon pĂšre l’avait rendu gogol, il bavait je crois. Mes souvenirs sont imprĂ©cis sauf la puissance du sentiment de panique. L’inĂ©luctable a le visage de l’évidence. Il a cette façon de vous remplir toutes les veines et conduits d’un mĂȘme liquide primordial. Mon pĂšre ne pouvait pas parler, il Ă©tait allongĂ© dans le lit comme pĂ©trifiĂ©. Avec un rictus indĂ©chiffrable sur le visage. Puis, pendant qu’une ambulance devait se prĂ©cipiter vers notre citĂ© en briques rouges, il est peu Ă  peu revenu Ă  lui. Il m’a parlĂ©. TrĂšs difficilement. D’abord, je ne le compris pas. Comme s’il bĂ©gayait. Je devais Ă©normĂ©ment pleurer ou ĂȘtre figĂ© par la terreur. Il n’a prononcĂ© qu’une seule phrase intelligible, je crois. Des choses qu’on dit quand on sait que l’on va mourir dans quelques instants. Et qu’on ne rĂ©pĂšte pas, plus de vingt-cinq ans aprĂšs, mĂȘme quand on dĂ©crit la scĂšne en question pour une revue. Je ne me souviens pas de l’arrivĂ©e des secours. Je ne revois qu’une seule autre chose : moi en train de courir en bas de la citĂ© en briques rouges, passant devant les ateliers, pleurant et tentant sans doute pour la premiĂšre fois de m’adresser Ă  la personne qui plane au-dessus de toutes les citĂ©s, moi qui, dĂ©jĂ , ne croyais pas en son existence, je lui adressai une priĂšre, pour que cette personne, mĂȘme si elle n’existait pas, sauvĂąt mon pĂšre. Je courrais vers une autre citĂ© en briques rouges, situĂ©e en contrebas, plus prĂšs de l’autoroute, celle oĂč vivait ma grand-mĂšre. La mĂšre de mon pĂšre. Ma mĂšre Ă  moi m’avait laissĂ© seul la rejoindre.

Signe que c’était bien la fin.

Quelques jours plus tard, les mĂ©decins trouvĂšrent dans la tĂȘte de mon pĂšre un autre vaisseau prĂȘt Ă  exploser. DiffĂ©rent de celui qui nous avait rĂ©veillĂ©s ce matin-lĂ . Le premier avait servi de sentinelle violente, le second conclurait l’affaire. Pour empĂȘcher la prochaine dĂ©tonation, ils trĂ©panĂšrent mon pĂšre. Dans l’immense hĂŽpital de la PitiĂ©-SalpĂ©triĂšre prĂšs de la gare d’Austerlitz. Prendre ce petit vaisseau et l’entourer d’un clip protecteur. Je crois que le chirurgien s’appelait le Dr Philippon, Ă  moins que ce fut le professeur de neurologie. Un mot nouveau pour moi. AprĂšs, mon pĂšre dĂ»t subir des artĂ©riographies, un examen qui consiste Ă  envoyer de l’iode dans les vaisseaux du cou et du cerveau pour mieux les radiographier. Un peu comme quand le Professeur, Dr Cornelius et Carol Hines, font couler de l’adamantium dans les os de Logan pour en faire Wolverine dans « l’Arme X », la bande-dessinĂ©e de Barry Windsor-Smith.

C’est du moinsce dont je me souviens.

Mon pĂšre devait avoir Ă  peu prĂšs mon Ăąge quand cela s’est rompu en lui. Je le revis plus tard dans le jardin du Luxembourg prĂšs d’une statue. Il portait un bonnet. Et dessous, il avait la tĂȘte rasĂ©e, sa boĂźte crĂąnienne Ă©tait bosselĂ©e, creusĂ©e et parcourued’une longue cicatrice. Certains disent que ce genre de dĂ©tonation est hĂ©rĂ©ditaire. Ainsi, il y a peut-ĂȘtre un autre vaisseau qui bat la chamade lĂ -hautdans ma tĂȘte.

Si tant est qu’il y soit et qu’il s’apprĂȘte Ă  me faire hara-kiri, il n’aura pas rĂ©ussi Ă  empĂȘcher que je parle ici pour la premiĂšre fois de la premiĂšre rupture de ma vie.

MY OWN PRIVATE SEPTEMBER THE 11THRÉCIT D’UN VAISSEAU ROUGE ÉCARLATE

PAR ARNAUD SAGNARD

L’évĂ©nement

SOMMAIRE

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On dit que beaucoup d’enfants ont Ă©tĂ© conçus pendant la grande coupure d’électricitĂ© de 2012, quand la lumiĂšre n’est vraiment revenue qu’au bout de deux semaines. C’est en tout cas vrai pour Krystal, ma fille, qu’on a conçue avec sa mĂšre la derniĂšre nuit de la panne. À l’époque on vivait encore prĂšs de chez mes parents, Ă  Soubazac dans le Gers, dans une petite ferme retapĂ©e oĂč c’était tout le temps le squat avec la Play, la Wii et Warcraft. Caroline avait fini son Ă©cole de coiffure et commençait Ă  bosser comme stagiaire dans un salon. Moi je vendais des fringues sur les marchĂ©s avec mon oncle, et surtout je faisais pousser de la ganja. Krystal est nĂ©e dans les odeurs de beu, pas qu’on l’ait voulue, mais Caro avait oubliĂ© de prendre la pilule. AprĂšs il y a eu l’hiver — j’ai finalement passĂ© le niveau 800 de la Guilde de Paladins et j’ai pu accĂ©der au Monde suivant.

Quand l’autoroute Ă  TrĂšs Haut DĂ©bit est passĂ©e par Soubazac, on a pas tardĂ© Ă  rouler double et Ă  permuter vers Los Angeles Californie, dans le luxe et la dĂ©cadence, Ă  foutre le ouaille Ă  Beverly Hills et Wisteria Lane sur des grooves gangsta mĂ©tal. On a eu les premiĂšres playlists de mix intelligent, avec le truc cognitif, karaokĂ© Ă  la demande — on a eu les Mondes tamagotchi japonais, directement jouables sur tĂ©lĂ©phone — Supermario les courses de kart intĂ©grĂ©es sur Facebook dans les forums de jeux sur Windows Live — c’était incroyable. J’ai regardĂ© toutes les premiĂšres sĂ©ries interactives avec Caro, mĂȘme celles de romance Ă  deux balles - c’était hallucinant la façon dont on avait vraiment l’impression que les gens du film te parlaient Ă  toi.

Et quand on a tapĂ© la discute avec Michel Drucker en 4D dans l’émission aprĂšs sa mort, et qu’on l’a fait bugger Ă  force de dire des conneries, je te dis pas la barre de rire.

Je sais pas trop comment c’est arrivĂ©, mais Ă  un moment mon oncle est mort et on s’est retrouvĂ©s dans la merde. Caro faisait du mi-temps pour pas trop lĂącher la petite, et quelques coupes Ă  domicile, mais ça suffisait pas pour tout payer, la bouffe, les couches, l’essence pour qu’elle aille au salon qui Ă©tait Ă  16 kilomĂštres. Et puis Krystal Ă©tait tout le temps malade, mes parents m’ont dit on en a marre, on est trop vieux pour vos conneries, et c’est vrai que mes parents commençaient Ă  fatiguer, avec leur Ă©cran gĂ©ant, leurs charentaises, jamais contents de rien, tristes français de souche, cons et pauvres. Ensuite on est venu me faire chier pour les plantations et la revente — il y a eu une histoire de dĂ©lation, les gendarmes sont venus. C’était

I.R.L.(2010-2020)IN REAL LIFE PAR ALEX D. JESTAIRE

ALEX D. JESTAIRE EST ADAPTATEUR DE DOUBLAGES POUR LE CINÉMA, MAIS ON LE CONNAÎT SURTOUT COMME AUTEUR AU STYLE DÉPOUILLÉ-DÉCAPÉ AYANT ACCOUCHÉ DU PAVÉ D’ANTICIPATION SOCIALE « TOURVILLE » EN 2007.

ILLUSTRATION : POCHEP

Tout ça remonte Ă  loin, prĂšs de 30 ans, et la mĂ©-moire n’est pas infaillible, c’est en partie quelque chose que nous construisons. Je ne peux donc ĂȘtre sĂ»r que ce que je dis lĂ  est conforme aux choses telles qu’elles se sont passĂ©es.

A ma sortie d’hĂŽpital j’essayais juste de mettre en forme les idĂ©es que j’avais accumulĂ©es durant ce sĂ©jour. J’avais passĂ© presqu’un an sans autre chose Ă  faire que rester au lit et Ă©couter ce qui se passait dans ma tĂȘte. Au bout d’un moment j’avais fini par visualiser un ensemble. Ça devait reprĂ©senter quarante minutes de musique. Je ne pouvais pas retenir plus. Je m’étais dit que ça pourrait faire un album. J’étais donc content de pouvoir me remettre au travail. Mon ambition Ă©tait des plus modestes : trouver le moyen de continuer Ă  faire de la musique alors que je ne pouvais plus ĂȘtre batteur. A l’hĂŽpital, dĂšs que j’avais repris conscience, je l’avais dit aux musiciens « Je crois que vais rester lĂ  un moment. Je ne vais pas pouvoir continuer Matching Mole. » La vie de groupe, les tournĂ©es, tout ça pour moi c’était fini. En un sens c’était libĂ©rateur, mais c’était une libertĂ© effrayante. Sans les musiciens de talent qui m’avaient accompagnĂ©, je n’étais pas sĂ»r de pouvoir refaire un disque.

J’avais toujours fait partie d’un groupe. A mes dĂ©buts, dans les annĂ©es 60, avec un groupe local, nous reprenions des standards de pop, de country et de rythm’n’blues pour faire danser les gens dans les bars. J’essayais de chanter ça en y mettant ma patte. Des mecs comme Joe Cocker et Rod Stewart excellaient Ă  ce jeu-lĂ . S’approprier l’accent amĂ©ricain et les voix viriles de Sam Cook et de Ray Charles, c’était vraiment leur truc. Moi pas. J’avais un timbre trop androgyne et j’aimais trop les voix de femmes comme celles de Dionne Warwick et du label Motown. Il fallait que je trouve ma propre façon de chanter et de faire de la musique. Les alĂ©as de ma vie m’ont poussĂ© dans ce sens. Aujourd’hui ma musique n’est ni rock ni vraiment jazz et j’utilise ma voix comme un instrument. Ça ne veut pas dire que la voix est un instrument comme les autres. La voix n’est pas un instrument comme les autres. C’est un instrument plus limitĂ© que les autres, mais c’est le seul que tout le monde entende et que tout le monde sache jouer. A notre naissance, via notre mĂšre, c’est mĂȘme notre contact privilĂ©giĂ© avec le monde. Tout ça en fait un instrument spĂ©cifique, qui implique certaines attentes et certaines responsabilitĂ©s.

Je ne me suis jamais considĂ©rĂ© comme un chanteur mais peu de temps avant mon accident, j’avais com-mencĂ© Ă  dĂ©velopper ma propre idĂ©e de ce que je devais chanter. Ça impliquait que je me mette au clavier et que je me considĂšre comme un compositeur-arrangeur malgrĂ© mes maigres compĂ©tences techniques. Avant de faire Ă©ventuellement appel Ă  d’autres musiciens, je devais pouvoir retranscrire seul les atmosphĂšres que j’avais en tĂȘte. A l’époque je m’étais remis Ă  composer, je travaillais sur le matĂ©riel censĂ© nourrir le troisiĂšme album de Matching Mole, j’avais des bouts, des liens entre les morceaux. Je frĂ©quentais Alfie depuis peu. Elle me disait qu’elle aimait ce que je jouais depuis dix ans, mais qu’elle trouvait ça trop dense, trop crispĂ©. Pour elle, j’avais tout Ă  gagner Ă  ralentir le tempo, simplifier les structures. Aller vers l’espace, vers la lumiĂšre. Elle m’avait offert un petit clavier. C’est la base du son de Rock Bottom. De mon cĂŽtĂ©, je m’étais lancĂ© dans des improvisations vocales avec des amis comme Gary Windo. Ce genre de chant se retrouve sur le disque.

Peu importe ce qui a Ă©tĂ© fait avant ou aprĂšs l’accident. Peu importe que je sois en train de jouer du clavier Ă  Venise auprĂšs d’Alfie ou clouĂ© sur mon lit d’hĂŽpital Ă  rĂ©flĂ©chir et rĂȘver.

L’album se situe sur un autre plan. Je ne dis pas que l’accident n’y est pour rien. En un sens, j’ai eu de la chance d’ĂȘtre allĂ© Ă  l’hĂŽpital. Pendant prĂšs d’un an je n’avais eu aucune responsabilitĂ©. Je n’avais pas eu Ă  chercher de travail, Ă  me faire Ă  manger, Ă  payer de loyer. Ne pouvant plus marcher, je n’avais rien d’autre Ă  faire qu’à rester au lit et Ă©couter ce qui se passait dans ma tĂȘte. Curieusement, il y avait un piano dans la salle des visites. Elle Ă©tait constamment vide parce qu’en toute logique les visiteurs restaient dans la chambre de leurs proches. Mais c’est lĂ  que j’ai composĂ© tous les passages de piano de Rock Bottom. Les paroles, elles, ont autant Ă©tĂ© Ă©crites avant qu’aprĂšs l’acci-dent. Elles n’en dĂ©coulent pas. Souvent les mots n’y ont d’ailleurs aucun sens prĂ©cis. Je me suis juste projetĂ© dans l’espace que j’avais en tĂȘte, j’ai chantĂ© et c’est ce qui est sorti.

Le 1er juin 1973, l’esprit chantant des cymbales de Soft Machine et de Matching Mole fait une chute de quatre Ă©tages qui le laisse paraplĂ©gique ad vitam. Six mois avant c’était un amant transi vĂ©nitien ; un an plus tard ce sera l’auteur du monument progressif Rock Bottom.

ROCKBOTTOM L’ESPACE DU DEDANS PAR ROBERT WYATT PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVAIN FESSON, AVEC L’AIDE DE BERTRAND BURGALAT

CHEESEBURGERL’ESTHÉTIQUE DU MOUVEMENTPAR LITTLE JOHNNY JET

Notre Ă©poque est une chrysalide qui Ă©volue, et maintenant que tout le monde baigne dans le pessimisme, j’ai plus de plus en plus de plaisir Ă  ĂȘtre 100% le contraire. La crise passera, la sociĂ©tĂ© se transforme Ă  la vitesse de l’humain, nous sommes dĂ©jĂ  en gestation de la nouvelle. L’économie qui s’écroule ? C’est merveilleux,

Je fais confiance Ă  l’ĂȘtre humain, parce que je m’observe, parce que je suis plein de bons sentiments, et que les rĂ©actions humaines comme la gĂ©nĂ©rositĂ©, la crĂ©ativitĂ©, l’amour, tout ce qui donnent espoir
 tout cela existe. Pourquoi ne pas y croire ? J’ai dĂ©passĂ© l’art de l’absurde, et cette histoire de fin de siĂšcle en malaise me semble totalement artificielle. Le temps est une notion crĂ©e par l’homme, mais le temps n’existe pas en dehors de nos consciences.

L’homme vit dans un dĂ©veloppement continuel, et les mouvements de contestation tels que le futurisme, tout en Ă©tant incontournables, restent marginaux et terriblement fasciste. Le futurisme reste un mouvement qui chante la guerre, tellement stupide que ses fondateurs partirent se faire tuer Ă  la guerre ! Comme toutes les rĂ©volutions ont Ă©chouĂ©, il y a un changement collectif qui s’opĂšre en nous, nous nous dirigerons vers une communication mondiale et le mouvement collectif. Internet, le tĂ©lĂ©phone portable, toutes ces choses nouvelles datent du 21° siĂšcle, ce ne sont que des prolongements de notre dĂ©veloppement, nos mutations.

SURE REALISM

COMMENTDÉPASSER LE FUTURPAR ALEJANDRO JODOROWSKY

Etre positif au 21Ăšme siĂšcle, c’est l’état de rĂ©bellion avancĂ©.La vulgaritĂ©, dans le monde actuel, c’est ĂȘtre nĂ©gatif.

Comme ma recherche de l’Incal voilĂ  quarante ans, le livre portable, la tĂ©lĂ©pathie, et les nouveaux jeux vidĂ©os sauront guider vers l’illumination, Dieu appelle ces technologies les « impensables », le chemin vers la conscience universelle. L’univers est une entitĂ© qui pense, et nous, humains, avons Ă©tĂ© programmĂ© pour dĂ©velopper les techniques, les intĂ©grer Ă  notre fonctionnement. L’individu est mortel, l’humanitĂ© lui survit, et ces renouveaux, ne sont pas l’annonce d’un nouveau futur. Comme l’acte de psychomagie que je pratique, ce n’est pas dire la vĂ©ritĂ©, c’est un art, pas un travail. Il aide les gens Ă  se rĂ©aliser, les pousser vers leurs rĂ©alisations. Le guide va toujours devant, moi je pousse vers la rĂ©alisation.

Je ne vois pas le futur, je ne donne pas de conseils, ma voix c’est de proposer des options. L’esprit doit ĂȘtre dans un premier degrĂ© androgyne, puis dĂ©passer cette Ă©tape, atteindre le niveau de la conscience pure, Mais il ne faut pas confondre les corps, l’esprit est androgyne, mais le physique, lui, doit rester masculin ou fĂ©minin. Une sociĂ©tĂ© de transsexuels et d’androgynes n’a pas d’avenir, alors que l’univers, dans un sens, possĂšde paradoxalement une conscience qui dĂ©passe le problĂšme de la reproduction.

Comme le karatĂ©, la conscience a des degrĂ©s, des dĂ©veloppements majeurs de la technique reprĂ©sentĂ©s par des niveaux Ă  dĂ©passer. Quand on arrive au sommet de la conscience, tout disparaĂźt, la sexualitĂ© avec. La pornographie, par exemple, n’est qu’une partie de la relation humaine, ce n’est pas une relation complĂšte.

L’apocalypse de St Jean n’est pas nĂ©gative, elle donnera Ă  l’ĂȘtre humain l’immortalitĂ©. Il faut comprendre l’apocalypse comme l’arbre qui donnera l’immortalitĂ© aux hommes, comme la rĂ©solution de la genĂšse biblique. Adam et Eve mangent les fruits de l’arbre de la connaissance, ils connaitront la mort, l’apocalypse est donc une mutation vers l’éternel, c’est l’autre versant. Dans une Ă©poque religieuse, la musique suit, dans une Ă©poque rationnelle, la musique se joue sur sept notes, quand l’époque est spirituelle, on va vers du soufi, dans une Ă©poque sans valeurs, c’est le disco, quand l’humanitĂ© est angoissĂ©e, c’est la musique actuelle, technologique.

La musique, les chansons, sont le reflet des Ă©poques, et l’état de conscience de l’homme l’amĂšnera simplement Ă  d’autres musiques, le retour au divin dans le sens de conscience.

A travers les nouvelles technologies, nous devenons simultanément des méta-humains et des méta-idiots. La technologie offre tout cela à la fois. Les vrais mutants sauront contrÎler les débordements technologiques.

L’avenir de l’humanitĂ©, c’est l’interactivitĂ© artistique.

Pouvoir crĂ©er grĂące aux machines des musiques qui lui sont propres, chanter parfaitement l’opĂ©ra et « ĂȘtre » Edith Piaf Ă  travers les machines. Il y aura des salons silencieux et 100.000 personnes danseront Ă  leurs propres rythmes, sur leurs propres mĂ©lodies, dans le grand silence collectif. C’est la notion de public qui disparaitra, et si l’artiste ne peut mourir, il se rĂ©invente. Tout le monde sera artiste, et les gens se regrouperont par famille. C’est cela l’avenir ; un sentiment extrĂȘmement positif.

Alejandro Jodorowsky est essayiste, rĂ©alisateur, acteur, scĂ©nariste, poĂšte, auteur de bande dessinĂ©e, disciple dumime Marceau et expert en psychomagie. Quatre-vingts ans, dont cinquante de carriĂšre au compteur, et il reste l’un des piliers de la science-fiction du XXiĂšme siĂšcle. Vi-sion-naire.

PROPOS RECUEILLIS PAR BESTER L.

ARCHIPELDans les années 80, le rock alternatif était à la province, ce

que le zouk est aux ßles. Une bande-son, un folklore. « Le monde est une vraie porcherie/ Les hommes se comportent

comme des porcs ! », bienvenue Ă  Vesoul, Laval, Montpellier, Roubaix, Carpentras
 Aloha !

Dans l’archipel de Saint-Étienne, il Ă©tait hors de question de contourner les BĂ©ruriers Noirs, Ludwig Von 88, Parkinson Square, Washington Dead Cats, OTH,

les Sheriffs, Mano Negra, Los Carayos, Les Rats ou les Garçons Bouchers
 Et, finalement, tant mieux. Sans eux, nous Ă©tions bons pour Uzeb Ă  la MJC, des groupes de quarantenaires du cru, les tĂȘtes d’affiches de la variĂ©tĂ© « qualitĂ©

France » ou, pire que tout, les troupes de théùtre.

Les groupes alternatifs montaient des labels avec une volontĂ© d’acier, Ă©cumaient le moindre coin de France pour se faire entendre. Cet acharnement Ă©tait leur

force et leur immense mĂ©rite. Aujourd’hui, le Velvet et Coltrane s’écoutent Ă  15 ans et il est de bon ton de railler cette scĂšne. Mais chaque adolescent provincial

des 80’s le sait bien, au fond : il a une dette envers ces groupes. On peut tordre le nez et lever le petit doigt en se remĂ©morant les salles dĂ©gueulasses, les sonos de

bal, les stands anarchistes, les bandes de punks à chiens et les Doc Martens basses mais tout cela a sauvé pas mal de nuits. RéguliÚrement, une baston concluait la

soirĂ©e. On revenait sourds, on avait eu les foies, merci mon Dieu
C’était aussi une pĂ©riode un peu schizophrĂšne. Les playlists du jour ne

correspondaient pas forcĂ©ment Ă  celles de la nuit. Tomber en arrĂȘt Ă  l’écoute de The world won’t listen des Smiths, le faire tourner des heures durant avant d’aller voir Les Rats le soir mĂȘme nĂ©cessitait une maĂźtrise certaine du grand Ă©cart. Il ne

fallait pas y penser plus que ça et, de toute façon, Morrissey semblait Ă©prouver quelques difficultĂ©s Ă  situer Saint-Étienne sur une carte. Et puis Les Rats ne

lisaient peut-ĂȘtre pas Oscar Wilde avec un bouquet de fleurs dans les fesses mais ils ne jouaient pas Ă  l’économie. GlaĂŻeuls contre glaviots ? C’était tranchĂ©.

Mieux vaut un vendredi soir dans une salle de concert qu’à la table familiale. Non ?

MOELLONS- Parabellum joue samedi, on se retrouve devant ?- Ils sont avec qui ? - Je sais pas, on verra.

Vers 1988, l’enthousiasme s’émoussait. Revoir Parabellum pour la cinquiĂšme ou sixiĂšme fois, forcĂ©ment
 Mais le permis de conduire Ă©tait encore loin et les boĂźtes de nuits ne constituaient mĂȘme pas une option (« je te jure, ils passent U2, ils dansent sur cette merde ! Ils lĂšvent les bras et tout
 »). Alors, Parabellum, one more time, pourquoi pas ?

A tout seigneur, tout honneur, ils jouaient en dernier. Il fallait donc s’envoyer d’abord 45 minutes de percussions africaines, accompagnĂ©es de danses tribales. Insupportables, mĂȘme Ă©coutĂ©es de l’extĂ©rieur, Ă  travers les couches de bĂ©ton. Il faisait beau, la fin d’aprĂšs-midi s’étirait et le soleil descendait derriĂšre un panneau de basket. « Panier » a murmurĂ© Jean-François, une fois le soir tombĂ©, en essayant de retenir la bouffĂ©e du jointencore quelques secondes.

- Ces trous du cul de percus de merde ont jouĂ© de jour, mĂȘme pas eu l’idĂ©e d’attendre
 Vraiment de gros nazes. - C’est qui aprĂšs ?- Les Thugs.

Je connaissais. Un certain Sylvain m’avait passĂ© un maxi, intitulĂ© Dirty white race et mĂȘme un album Ă  la pochette rouge et jaune. J’avais rapidement classĂ© ça dans la catĂ©gorie « hardcore », sans doute parce que c’était l’appartenance officielle du Sylvain en question. Il devait ranger les disques que je lui prĂȘtais dans la case « pop, trop mĂ©lodique, un peu pĂ©dĂ© » puisque je dĂ©fendais les Smiths en public.

- Bon on va voir ce que ça donne ? Ca ne peut pas ĂȘtre pire. Nous avons regagnĂ© la salle en montrant le coup de tampon sur nos poignets Ă  un type au crĂąne rasĂ©, en grande discussion sur le « straight edge » avec un punk en fauteuil roulant. Un vendredi soir, un de plus. Il allait pourtant ĂȘtre le dernier de son espĂšce.

Ce concert a fait voler en Ă©clats quatre ou cinq ans – sans doute beaucoup plus, en rĂ©alitĂ© – d’habitudes, de prudence, de fainĂ©antise prĂ©coce. Les Thugs n’étaient pas du tout impressionnants au moment de monter sur scĂšne, en t-shirts et mĂȘme pour l’un d’entre eux en bas de survĂȘtement je crois. Aujourd’hui, ce dĂ©tail me fait l’effet d’une ruse pour bĂ©nĂ©ficier de l’effet de surprise.

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ET MAINTENANTUNE BD DÉCALÉEET LÉGÈREMENTCORROSIVEPOUR REPOSERVOS YEUXPAR DAV GUEDIN

LA GUERRE TIÈDE

NEW-YORK, BERLIN, ENGHIEN-LES-BAINS
 OU LA GUERRE DES TRONCHÉS.PAR GUY-MICHEL THOR

Ancien blouson noir des sixties reconverti « hippie par dĂ©pit », Guy-Michel Thor reste un acteur incontournable de l’underground français. En cinquante ans, l’essayiste rock’n’roll a rencontrĂ© les plus grands, de Ringo Ă  Johnny en passant « par Grace Jones (« croisĂ©e par hasard ») et l’androgyne Marie France (« baisĂ© pas rasĂ©e »). Depuis son bunker d’Enghien-les-Bains, Guy-Michel analyse le monde tel qu’il n’est plus.

5En fixant les vinyles posés au sol du parquet flottant,

soixante-deux ans aprÚs ma naissance, je sens bien que quelque chose a déconné. Faut pas croire pourtant,

passĂ© un certain Ăąge, on s’habitue presque Ă  tout. Le mariage, la calvitie, les mauvaises rĂ©Ă©ditions des Stones (et Charden hein), bobonne qui veut plus parce qu’elle met plus de tampon, Johnny en chaise roulante


Ce matin lĂ , en me grattant l’entrejambe, je suis retombĂ© sur mon fils Brandon. Par hasard hein ; passĂ© un certain Ăąge on cherche aussi Ă  Ă©viter sa descendance. Y’avait son futal descendu jusqu’aux genoux (la mode, moi j’y comprends plus rien depuis la fin du perfecto, ceux de mon ami Mourousi), le tĂ©lĂ©phone qui fait haut-parleur et ses albums de fiottes jouĂ©s par trois garçons coiffeurs de seconde zone.

« Comment ça s’appelle ce truc-lĂ , ouais lĂ , le truc avec des guitares de tarlouze pas branchĂ©es et la voix de canard passĂ©e au 220V. SOAN, tu dis ? »

Faire du sport, manger des lĂ©gumes, boire de l’eau minĂ©rale. Aller voir mamie Ă  l’hospice, regarder les remakes d’émissions dĂ©jĂ  ringardes dans les annĂ©es 1980 prĂ©sentĂ©es par des types qui ont ratĂ© leur vocation de VRP. S’affaler dans son canapĂ© rose saumon achetĂ© chez La Foir’Fouille un dimanche de pluie, Ă©couter les gouttes rĂ©sonner contre la vitre en rythme sur le dernier des cĂ©dĂ©s des EnfoirĂ©s. Perdre ses pupilles dans le reflet d’une vie sans relief. S’en griller une, et envier les volutes de fumĂ©e qui s’envolent, libres dans l’air.

ArrĂȘte de rĂȘvasser, Philippe. Ta tĂ©lĂ©, ta femme et ton chat persan t’accusent du regard. T’avais raccrochĂ© depuis un quart de siĂšcle. Les Camel et les dents jaunes, c’est rien qu’un vestige de ta jeunesse. Quand, au lycĂ©e, ton prof de philo vous encourageait Ă  suivre ses thĂ©ories au son des cigarettes qu’on allume. Barbu et imbu, maoĂŻste et individualiste, fumiste et hĂ©doniste ; le seul instant de bravoure de ce pauvre connard c’était d’avoir osĂ© – quand ses hormones se sont affolĂ©es et ses neurones l’ont dĂ©mangĂ© – Ă  prendre la parole en amphi un jour de mai, une annĂ©e en huit. Il pensait changer les hommes en leur enseignant la libertĂ©, mais c’était sans compter qu’il passait aprĂšs Dylan (l’autre chevelu lĂ , qui raconte des trucs pas clairs, tu t’es ressorti Blood On The Tracks lors du dernier bouchon sur le pĂ©riph’). A la libertĂ© en microsillon, t’avais rajoutĂ© le style. Parce que tous mariaient les tiges blanches incandescentes aux Wayfarers, aux Richelieu, aux regards hallucinĂ©s typiques des Mods. T’as fait les 400 coups avant d’aller travailler chez Truffaut, t’as tentĂ© de ressembler Ă  Keith Richards avant d’imiter Lecanuet, t’as mĂȘme rĂ©citĂ© les paroles d’Initials B.B. Ă  ton premier flirt.

Et puis t’as rencontrĂ© Sylvianne.

JAUNE POUMONLE GRAND TABAC SCHISME PAR VIC VEGA

31Ian F. Svenonious (nom masculin d’origine amĂ©ricaine, Washington D.C.) : Chanteur des Nation of Ulysses dĂšs 1988, puis auteur et animateur tĂ©lĂ© placide, le Svenonious porte bien le costume, n’aime pas l’AmĂ©rique capitaliste et reste un maillon fiable dans l’histoire du post-punk sĂ©cessionniste.

Jacques Now1853-2019

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crÉdIts, (de)LUXe INTÉRIeUR NumÉro ILuxe INtÉrIeur est uNe revue dIgItaLe pILotÉe par Le sIte

GoNzaI.com et ÉdItÉe par Le dIabLe vauvert.

GonzaĂŻ, 11 rue Duvergier 75019 Paris, [email protected] Au Diable Vauvert, Route de la Laune 30600 Gallician, [email protected]

Directeur de publication : Bester LangsRĂ©dacteur en chef : Hilaire PicaultConception graphique et direction artistique :Terreur Graphique & JĂŒĂŒlMaquette : Terreur Graphique

Rédacteurs :Benoit Bidoret, Bester L., Syd Charlus,Colocho, Sylvain Fesson, Dav Guedin, Stéphane Guinet, Johnny Jet, Grégory Meurant, Ursula Michel, Guy-Michel Thor, Pierre Mikaïloff, Hilaire Picault, Loic H. Rechi, Arnaud Sagnard, Clément Sakri, Marjolaine Sirieix, Serlach, Vernon, Vic Vega, Eléa Von Picnic.

Ont contribué à ce numéro :

Alejandro Jodorowsky, Robert WyattRemerciements :Bertrand Burgalat, Dieu, Google©, Marion Mazauric, Charles Recoursé, Louise Rossignol, Nicolas Ungemuth

Garanti sans encre ni papier, ce numĂ©ro n’est techniquement pas je-table sur la voie publique.Les articles publiĂ©s n’engagent que la responsabilitĂ© de leurs auteurs, tous droits de reproduction rĂ©servĂ©s, mais nous partageons leurs opinions et vous demandons d’essuyer vos pieds avant d’entrer.

Pour toute réclamation, insulte ou

Dans « GonzaĂŻ », on voit bien d’oĂč vient la premiĂšre partie du mot (de gonzo, genre journalistique subjectif et speedĂ© crĂ©Ă© par Hunter S. Thompson). Mais la terminaison vient-elle de banzai (pour le cĂŽtĂ© rentre-dedans) ou de bonsaĂŻ (la devise du site : «Seul le dĂ©tail compte») ? (TĂ©lĂ©rama, novembre 2008)

A l’origine, GonzaĂŻ est un site internet tournĂ© vers les

cultures de demain et celles « cultes » devenues depuis intemporelles. Brandissant depuis mars 2007 le parti-pris comme un dogme rĂ©dactionnel, GonzaĂŻ s’inspire du gonzo journalism (H. S. Thompson, Lester Bangs, Bukowski, etc) et s’affirme comme un prescripteur en matiĂšre de tout et n’importe quoi (rock, pop, littĂ©rature, art et ses diffĂ©rents mouvements). PersuadĂ©s qu’on n’attrape pas les mouches

avec du vinaigre, Bester Langs, Little Johnny Jet, Syd Charlus (fondateurs du site) s’interpellent par des noms

Ă©trange(r)s et fĂ©dĂšrent depuis une frange d’auteurs fiers et plus ou moins jeunes (Hilaire Picault, Pierre MikaĂŻloff, Arnaud Sagnard, Sylvain Fesson, etc) pour monter ensemble ce qui reste aujourd’hui l’un des seuls sites tout autant rĂ©actionnaire que musical, subjectif et littĂ©raire. Toutes les semaines, une horde de fans maniaque des journaux Ă  la papa s’escriment con-tre ces auteurs aux pseudos « pompĂ©s

et prĂ©tentieux» lorsque d’autres vieux briscards s’émerveillent « des prou-esses rĂ©alisĂ©es avec presque rien ».

Aujourd’hui reconnu par les mĂ©dias dits « traditionnels » (Technikart, Le Mouv, TĂ©lĂ©rama, Magic, Le Monde, LibĂ©ra-tion, Elle, etc), GonzaĂŻ a su prouver qu’il existait non seule-ment un public pour le journalisme subjectif et pointu mais Ă©galement qu’il n’était pas nĂ©cessaire de poster des vidĂ©os de chiens unijambistes dans des caddies et autres inter-views fleuves de gens ratĂ©s pour susciter l’émotion digitale.

Conçue par le « clan » GonzaĂŻ comme un bras d’honneur Ă  tout et n’importe quoi, Luxe IntĂ©rieur contient en son nom l’essence mĂȘme de ce que

doit ĂȘtre une revue ; peu de discours mais beaucoup de sujets, tous rĂ©unis autour d’une thĂ©matique semestrielle. Disponible gratuitement en digitale sur www.luxe-interieur.com,

la revue éditée au Diable Vauvert propose de rendre intemporels des sujets accessibles à

tous mais pas Ă  n’importe qui. DĂ©pourvue de papier, la revue permet de perdurer et de ne plus ĂȘtre seulement lue par une poignĂ©e de lecteurs. Faisant fi des « maquettes Ă©purĂ©es et du ton corrosif lĂ©gĂšrement gratte-poil », Luxe IntĂ©rieur reste une occasion de ne plus seulement Ă©voquer le Culte mais de toucher enfin au SacrĂ©. Seul, face Ă  son Ă©cran lumineux. Dans ce PDF teaser sobrement intitulĂ© (de)Luxe IntĂ©rieur,

vous pourrez ainsi trouver une compilation des meilleurs textes illustrant le post-prĂ©sent, un mot compliquĂ© illustrant l’incapacitĂ© de l’homme moderne Ă  penser la rupture autrement qu’avec des mots de yuppie en manque de lexique. Bref. Le post-prĂ©sent, un thĂšme qui vous va si bien au teint, vu par une tripotĂ©e d’auteurs pour la majeure partie non publiĂ©e qui ne trinquent pas au ralenti au CafĂ© de Flore mais utilisent quand mĂȘme des citations en italique (souvent incomprĂ©hen-sibles) pour introduire leurs pensĂ©es. Et qu’y trouver, dans ce

premier numéro ? En ouverture, un excel-

lent essai - plutĂŽt bĂąclĂ© si vous voulez mon avis - de Guy-Michel Thor sur la guerre tiĂšde vue d’Enghien-les-Bains, entre le Solex et la bombe H. Plus loin, un tĂ©moign-age exclusif de Robert Wyatt sur la genĂšse de « Rock Bottom » racontant son passage Ă  l’horizontal aprĂšs une nuit trop arrosĂ©e. Pas mal. Plus loin, on trouve les prophĂ©ties futuristes d’Alejandro Jodorowsky (trĂšs connu chez les plus de quinze ans) en-chainĂ©es avec une Ă©chappĂ©e romanesque Ă 

St Etienne pour revivre l’apogĂ©e des Thugs en concert. Pour faire une pause dans ce PDF qui donne mal aux yeux (surtout chez les plus de quinze ans), une incomprĂ©hen-sible BD qui crayonne l’incroyable histoire

d’amour entre un ours nu et un Davy Crockett complĂštement gay. TrĂšs drĂŽle. Suivront, dans le dernier virage, un flashback pas trĂšs clair (mais la fin est bien quand mĂȘme) sur le Guinness book des records comme mĂštre-Ă©talon de l’homme invincible, puis un essai jaune poumon contre les non-fumeurs qui

reste l’une des piĂšces maitresses de cette magnifique revue. En clĂŽture, parce que c’est dĂ©jĂ  presque la fin, un dossier histoire trĂšs Google Books © sur Ian Svenonious (rassurez-vous, vous n’ĂȘtes pas le seul Ă  ne pas connaĂźtre cet homme) et enfin l’histoire touchante d’une rupture d’anĂ©vrisme

Luxe IntĂ©rieur est une revue digitale Ă©ditĂ©e par le Diable Vauvert dont le premier numĂ©ro a pour thĂ©matique le post-prĂ©sent, un concept flou oĂč s’entrechoquent rock’n’roll, art de la rupture et liquidation des stocks. Comme chez GonzaĂŻ, Luxe IntĂ©rieur c’est l’art de connaĂźtre beaucoup sur peu de choses. Car dans un monde globalisant et rĂ©ducteur, seul le dĂ©tail compte.

PrĂ©sentation critique du premier numĂ©ro deLuxe IntĂ©rieur Ă  l’adresse du journaliste en mal

d’inspiration pour son article dithyrambique.Par Bester Langs

Disponible gratuitement en avril 2010 sur www.luxe-interieur.com, la revue pilotée par le collectif Gonzaï donne la parole à Robert Wyatt, Alejandro Jodorowsky, Alex D.

GonzaĂŻ Au DiableVauvert

&

Entre les dĂ©sastres industriels de Vaulx-en-Velin et le parfum chimique de Feyzin, la bien nommĂ©e bourgade de Saint-Romain-au-Mont-d’Or ne se trouve pas sur toutes les cartes au trĂ©sor. En zoomant sur ce point du nul part, on dĂ©cĂšle pourtant trĂšs clairement la croix qui cache un butin: marquĂ©e d’un X par son fondateur Thierry Ehrmann, la Maison du Chaos, est ici belle comme un bouton de pus au milieu du paysage.

A l’entrĂ©e du village, on est d’abord frappĂ© par la concentration quasi record de citoyens assujettis Ă  l’I.S.F. ceux dont on devine les berlines sportives parquĂ©es dans les garages luxueux. Vision idyllique d’un pays oĂč les trottoirs sont toujours propres, les serre-tĂȘtes de jeunes cathos bien sous tous rapports. Saint-Romain-au-Mont-d’Or, c’est d’abord un exemple pour le sain futur de nos jolies petites tĂȘtes blondes. Un modĂšle pour saluer une rĂ©ussite bien de chez nous, dĂ©nichez une mine d’or chabrolienne, sortir quelques joyaux façonnĂ©s pour l’élite nationale qui porte le pull nouĂ© sur les Ă©paules.

Seulement prudence. A la simple Ă©vocation de Thierry Ehrmann, la star locale, le village aux allures d’American Beauty version bocage est sujette aux tremblements. Ca hoquĂšte au pays des jacquards et du Lacoste, et on les comprend : Salamandre, Artprice, 12 kangourous, Minitel rose, loi Malraux, Voie sĂšche, 11 Septembre, machine Ă  sous, Ă©changisme, 999, indignation, franc-maçon, procĂšs, boites de nuit, secte, satanisme, banque de donnĂ©es, borderline biennale, Ă©sotĂ©risme, Rolls Royce bĂ©tonnĂ©e, chapelle protestante, Hummer, plasticien, bourgeois, Opus Dei, mĂ©galo, musculation, millionnaire fou, viol architectural, camĂ©ras, surveillance, RĂ©publique du chaos et encore et encore
 bienvenue Ă  la Demeure du Chaos, debout depuis 1999.Une fois le nom lĂąchĂ©, le clichĂ© du village du bonheur Ă  la française se transforme en son nĂ©gatif. Une musique an-goissante jaillit comme dans une reconstitution poubelle des Ă©missions judiciaires de la TNT, la voix off est monocorde, le ton tragique, les enfants se rĂ©fugient derriĂšre les jambes de leurs mĂšres, les mĂ©dias braquent leurs camĂ©ras, la thĂ©orie du complot prend forme, la maladie revient sur les poules et le fruit de la discorde pourrit ce jardin d’Eden aux allures d’image d’Épinal. SĂ»r que le petit village ne pourra dĂ©sormais plus concourir pour le bourg le mieux fleuri de France, la tĂąche noire de Rorschach est lĂ , machiavĂ©lique.

LA MAISON DU CHAOS THIERRY EHRMANN : DU DÉSORDRE, AVANT TOUTE CHOSE.PAR SERLACH

DENNIS HOPEDARK SIDES OF A MOON PAR LOÏC H. RECHI

Trente piges. Trente pour devenir multi-million-naire. Dans un monde qui dĂ©fait aussi rapidement les hommes et les fortunes qu’un atelier de production chinois Ă©labore une paire de pompes, trente annĂ©es constituent un espace-temps bien long. Mais en devenant multi-millionnaire en com-mercialisant la Lune, oui, ce bout de caillasse, la notion de temporalitĂ© devient soudainement vaine. Car au delĂ  du crĂ©dit financier tout relatif, Dennis Hope restera assurĂ©ment comme le premier. Le premier Ă  avoir Ă  avoir entubĂ© la Terre entiĂšre grĂące un concept simplement lunaire.

Accrochez vos ceintures, ce conte n’est pas une fiction. Dennis Hope est un enfant des sixties. Comme tout bon rejeton du hippisme, la contestation constitue une marque indĂ©lĂ©bile de sa conception de l’eugĂ©nisme, un marqueur de son Ă©poque. LĂ  oĂč certains de ses camarades, habitĂ©s par une volontĂ© de changer le monde, prennent le parti d’attaquer l’establishment de front, Dennis Hope dĂ©cide de se farcir les institutions en attaquant Ă  revers, s’ingĂ©niant Ă  trouver la faille juridique plutĂŽt que physique. Pas autant par idĂ©ologie que par cupiditĂ©, car Dennis a dĂ©jĂ 

une idĂ©e derriĂšre la tĂȘte. Et un peu d’espoir aussi, cela va sans dire.Pourtant, son fascinant dĂ©lire mĂ©galomaniaque aurait dĂ» tourner au fiasco. Dennis Hope – dont il est difficile de croire qu’il puisse s’agir de son vrai patronyme – aurait alors terminĂ© sa vie dans une ferme texane Ă  bĂȘcher des grains de sable. C’était sans compter sur son astre de fortune. Car des mecs connus – probablement autant intriguĂ©s par la dĂ©marche d’un illuminĂ© que blindĂ©s de blĂ© – allaient le suivre et investir dans son affaire. Des mecs connus rĂ©pondant aux noms de Ronald Reagan, Jimmy Carter ou John Travolta. L’affaire dĂ©collerait bientĂŽt et Hope en profiterait pour donner une dimension supplĂ©mentaire Ă  ce qui commençait Ă  ressembler Ă  son oeuvre.

«En 2001, j’avais environ 163 000 emails de clients et nous avons commencĂ© Ă  nous demander com-ment nous pourrions protĂ©ger ces terrains que nous vendions aux gens. La rĂ©ponse fut de crĂ©Ă©r une rĂ©publique dĂ©mocratique, le Gouvernement Galactique. Nous avons passĂ© trois annĂ©es Ă  rĂ©diger une constitution. Une fois terminĂ©e, elle fut mise en ligne, Ă  la disposition de nos 3,7 millions de propriĂ©taires en mars 2004 et sa ratification fut

plĂ©biscitĂ©e Ă  hauteur de 99,9% des votes. Depuis, j’ai passĂ© la majoritĂ© de mon temps Ă  sceller des alliances avec les autres gouvernements de cette planĂšte.»

Personnage farfelu mais dotĂ© d’une foi invĂ©tĂ©rĂ©e dans son projet, Dennis Hope est depuis devenu un inĂ©narrable businessman, intĂ©grant Ă  mer-veille le potentiel Ă©nergĂ©tique infini et de l’HĂ©lium 3, une source d’énergie quasiment inexistante sur Terre. La Lune en abriterait des millions de tonnes dans ses sous-sols, une vingtaine suffirait Ă  assurer les besoins Ă©nergĂ©tiques d’un pays comme les Etats-Unis pendant une annĂ©e entiĂšre. RĂȘvant tout Ă  coup non plus de petits millions mais plus de gros milliards, Hope – vraisemblablement perdu pour le monde des vivants – se rĂ©vĂ©la tout Ă  coup ĂȘtre le digne hĂ©ritier idĂ©ologique d’un Ray Bradbury.

«En se basant sur les tests thĂ©oriques et techniques que nous avons rĂ©alisĂ©, je suis en mesure de vous annoncer que nous avons brevetĂ© un vaisseau qui nous permettra de rejoindre la Lune en une trentaine de minutes. Nous avons dĂ©sormais comme grande ambition de coloniser la Lune en construisant une ville pyramide de trois kilomĂštres de long de large et de hauteur. Cette pyramide abritera exactement le mĂȘme genre d’infrastructures que l’on peut trouver dans une ville terrestre tout en bĂ©nĂ©ficiant des protections nĂ©cessaires contre les radiations du soleil et autres contraintes inhĂ©rentes Ă  la lune. Nous planifions de commencer Ă  bĂątir dĂšs fin 2011 ce qui deviendra de facto la premiĂšre ville lunaire. Nous pensons dans la foulĂ©e ĂȘtre capables de proposer des allers-retours entre la Terre et la Lune pour un prix aux alentours

de 15 000 dollars.»A l’écouter disserter, la conduite de Hope serait guidĂ©e avant tout par un souci profondĂ©ment humaniste, une volontĂ© de crĂ©er un nouvel ordre mondial. Les humains y seraient des ĂȘtres heureux, habitĂ©s par des sentiments honorables, loin des querelles guerriĂšres et vellĂ©itaires qui ont toujours fait le sel et le poivre de notre espĂšce. Son obsession pour ses terres, sa Lune, et surtout l’hĂ©lium 3 pourrait pourtant bien causer sa perte.

«DĂ©sormais, l’exploitation des ressources de la Lune ne pourra se faire sans un accord prĂ©alable nĂ©gociĂ© entre nos deux nations. S’ils choisissaient de ne pas conclure cet accord d’exploitation, ceux-ci ne doivent pas rester sans ignorer que nous possĂ©dons dĂ©jĂ  les moyens techniques de dĂ©truire n’importe quel vaisseau s’approchant de nos planĂštes.»

«Nos deux nations»? Dennis Hope me parle ici de la Chine, qui envisage trĂšs sĂ©rieusement aussi de forer la surface Lune pour ramener de l’HĂ©lium 3 sur Terre. Pas la trace d’un sentiment anti-chinois, car Hope dans son esprit clair comme de l’eau de Mars, envisage rĂ©ellement de dĂ©foncer la gueule de tout ceux qui tenteraient d’exploiter les ressources de la Lune. On aimerait y croire. Parce qu’ĂȘtre le mec qui dĂ©clencherait la premiĂšre guerre lunaire, ça aurait quand mĂȘme vachement

«On Ă©tait en 1980, je venais juste de divorcer, j’étais complĂštement fauchĂ©. Je me suis rappelĂ© d’un cours de sciences politiques Ă  la fac en 1968 durant duquel on avait Ă©tudiĂ© le TraitĂ© de l’Espace de l’ONU signĂ© une annĂ©e auparavant. Un truc en rapport avec l’article II avait interpellĂ© mon attention. Cet article stipulait que les Etats n’avaient pas le droit de clamer la souverainetĂ© ou d’occuper la Lune ou n’importe quel autre corps cĂ©leste, ce qui signifiait qu’ils ne pouvaient pas possĂ©der de terrains, crĂ©er de lois. En d’autres mots, ils n’avaient aucun pouvoir. J’ai donc dĂ©cidĂ© de revendiquer la possession de la Lune et les autres planĂštes.»

Aujourd’hui, le journalisme d’investigation est simplement devenu un plĂ©onasme apparent. Pas de vague, juste du consensus. Pas d’en-quĂȘte, juste du suivisme. Pas de traitement, juste de la mĂ©diatisation. La presse a rendu les armes ? Qu’importe, elle les aura peut-ĂȘtre vendues, aussi, qui s’en soucie ? Ecrire que les comptes d’exploitation des rĂ©dactions sont dans le rouge, voilĂ  donc une autre Ă©vidence. La dĂ©gringolade des tirages (800 000 lecteurs en moins entre 1997 et 2003 selon l’EuroPQN) a depuis obligĂ© la presse Ă  pactiser avec les annonceurs. Les grands industriels comme LagardĂšre (liste trop longue), Rothschild (pour LibĂ©ration) Dassault (pour le Figaro) ou encore Arnault (pour les Echos) sont dĂ©sormais les nouveaux patrons de rĂ©daction. Soumise aux diktats de rentabilitĂ© de ses nouveaux diktats, la presse modifie ses contenus pour survivre, ne pas dĂ©plaire. Et l’Etat, philanthrope patentĂ©, offre 282 millions d’euros sous forme de subventions. Evidemment, pas de contrepartie, ni de renvoi d’ascenseur. Tout le monde sait bien que l’on peut mordre sans honte la main nourriciĂšre. Le lecteur sait mais ne dit rien. Les journa-listes non plus. Qui s’en offusque ?

Combien de couleuvres faut-il avaler pour pouvoir ĂȘtre nommĂ© responsable d’une rubrique, ou pire, rĂ©dacteur en chef ?

Dans ce marasme de silence et d’autocensure, rares sont les plumes Ă  encore oser mouiller l’encre. Exception confirmant la rĂšgle, le rĂ©dacteur en chef d’un hebdo du Mercredi, Claude Angelli rĂ©siste Ă  l’ancienne, vieux war-rior d’une autre Ă©poque Ă  la tĂȘte d’un Canard plus dĂ©chaĂźnĂ© que jamais. Avec des sources qui abreuvent sa mare, le Canard EnchaĂźnĂ© dis-tille chaque semaine le off des arriĂšre-cours,

les cuisines d’un monde politico-financier omnipotent. Alors que la presse gĂ©nĂ©raliste entame sa dĂ©gĂ©nĂ©rescence annoncĂ©e, normal que le lecteur se tourne vers d’autres pourvoyeurs d’histoires, forcĂ©ment gratuites. Quitte Ă  lire la chronique des chiens Ă©crasĂ©s, autant que ça ne coĂ»te pas un centime. « En temps de crise, Ă©conomisez », c’est la presse qui le dit, qui saurait la contredire ?

Le monde tourne Ă  l’envers. Les journalistes qui ne veulent pas distraire mais informer (ils ne peuvent quand mĂȘme pas tous bosser au Canard !) se tournent vers l’édition. PlutĂŽt que du papier journal, du papier livre.

Embouteillages au rayon essais. On lit des journalistes en sortant d’une librairie et des Ă©crivains en s’éloignant du kiosque. BHL squatte les pages des quotidiens, libĂ©rant des espaces d’étagĂšres pour Denis Robert. Vases communicants entre presse et littĂ©rature, il fallait y penser. Pourtant, subsistent quelques professionnels, dĂ©ontologie et Ă©thique sous le bras. Loin de Lundi Investigations, Paul Moreira a crĂ©e sa propre agence : PremiĂšres Lignes. Il enquĂȘte sur l’argent occidental qui coule Ă  flot sur l’Afghanistan, signe des livres sur Les nouvelles Censures dans les mĂ©dias (Robert Laffont 2007). RĂ©percussions publiques ? Ca fait pschitt
 Pire : Denis Robert, le poil Ă  gratter du Luxembourg, dĂ©monte un systĂšme de « blanchiment » (ah tiens, je m’autocensure
) sensĂ© alarmer les juges. Mission rĂ©ussie : Denis Robert subit procĂšs Ă  rĂ©pĂ©tition, perquisitions, cassation. Toute l’armada judiciaire contre un seul homme, mĂȘme journaliste, cela fait beaucoup. Rencon-trĂ© au fond de son refuge (prĂšs d’un cimetiĂšre, un signe ?) il explique : « on ne peut isoler la question du journalisme et de la justice. C’est parce que la justice n’est plus indĂ©pendante que nous [les journalistes] sommes attaquĂ©s de la sorte ». Justice sous financĂ©e, dĂ©pendante du pouvoir exĂ©cutif (hĂ©rĂ©sie rĂ©publicaine qui devrait faire bondir tout citoyen),

1915-2001 :CI-GÎTNOTRE

REGRETTÉEINVESTIGATION

Investigation (nom fĂ©minin) : dĂ©signe la capacitĂ© Ă  chercher la vĂ©ritĂ©. Recherche minutieuse qui prend la forme d’une enquĂȘte. Les grands journaux nationaux ont troquĂ© l’investigation contre des pactes de collusion avec l’industrie.

Journalisme (nom masculin) : fonction de celui qui creuse les apparences, qui porte son attention lĂ  oĂč personne ne regarde, qui lutte contre le consensus. Il est loin le temps oĂč le grand reporter Albert Londres dĂ©crivait de l’intĂ©rieur le rĂ©gime soviĂ©tique naissant de LĂ©nine et rendait compte des conditions d’emprisonnement Ă  Cayenne.

A bas les définitions.

Chez Matin Bonsoir, l’information n’a pas de prix. C’est mĂȘme pour ça qu’on la donne. C’est la punchline du journal, depuis sa crĂ©ation, affichĂ©e en gros sur tous les murs porteurs de l’immeuble rachetĂ© en urgence dans la banlieue parisienne. «Pendant que les crĂšve-la-dalle de la presse payante pensent encore qu’on peut faire un journal sans publi-rĂ©dac’ pour Haribobo, nous, chez Matin Bonsoir, on rĂ©volutionne le journalisme». Ca les avait d’abord faire sourire, Sylvie et Mathilde, mais aprĂšs le speech de bienvenue du directeur, il avait bien fallu se mettre au travail. Bah oui, mettre en branle un journal neutre, faut dire que ça demande beaucoup de temps quand on a le Q.I. d’une pintade et l’ambition d’un Albert Londres. Cahier des charges et esprit Matin Bonsoir oblige, la maxime d’Albert («Le journalisme, c’est porter la plume dans la plaie») s’était rapidement transformĂ©e en pub allĂ©gĂ©e pour cicatriser les angoisses du lecteur. Mais pas de jugement, c’est dĂ©jĂ  l’heure de prĂ©parer le sommaire du lendemain: - « Pfiou... trop crevant c’mĂ©tier» souffle Sylvie. - « Bah oui, et c’est que lundi matin» rĂ©pond Françoise.

- Heureusement qu’on est payĂ©es comme les mecs maintenant. Comme quoi mai 68 a eu du bon, dans le fond. - « Ah ça... c’est pas faux.

Collées comme deux bonbons, Sylvie et Françoise ont désormais les dents longues avec du petit four coincé entre les dents. Et plus question de se laisser

UNE JOURNÉE CHEZ MATIN BONSOIR PAR BESTER L.

Soirées showcase, pots de départ ou réunions

d’anciens Ă©tudiants avec des «demi-grosses de la Presse

Quotidienne RĂ©gionale», elles le rĂ©pĂštent Ă  qui veut l’entendre: Sylvie et Mathilde sont JOUR-

NA-LISTES. Aspirées par la nouvelle presse gratuite

et fraßchement embauchées par Matin Bonsoir, Sylvie et Mathilde tutoient leur

rĂȘve au quotidien: Informer gratuitement le peuple,

devancer l’actualitĂ© avec de l’info objective et de grandes

photos pour faire rĂȘver les «connards du mĂ©tro de 8h du mat». Professionnalisme

aidant, Sylvie et Mathilde sont toujours les premiÚres arrivées à la cantine.

dicter des choix par un directeur marketing qui «aurait mĂȘme pas fait Bac+3». L’avenir il est droit devant mais il doit partir Ă  l’impression Ă  «17H grand max’ sinon aprĂšs c’est trop tard».

- Bon alors, on met quoi pour la couv’, demain, Françoise? - J’sais pas, j’ai pas encore allumĂ© Google.

- T’es con Françoise, faut qu’on se magne. Ce midi c’est pizza Ă  la cafet’. - Ce serait pas mal de titrer sur la mort de Super Nanny non? TOUT LE MONDE EN PARLE ! Hier soir avec Jean-Marc on a regardĂ© les rediffusions, y’avait mĂȘme l’épisode oĂč elle avait foutu sous l’eau froide le gamin qui voulait foutre un balai dans le cul de sa mĂšre. Trop touchant quoi.- « Pas bĂȘte, on pourrait mĂȘme titrer «Super Nanny: Nounou quitte pas», un truc dans le genre.- Ah ça... c’est pas faux. Quelle icĂŽne quand mĂȘme.

Le cafĂ© finit de couler, un avion passe dans le ciel et un ange dans la salle de rĂ©union. Mince, impossible d’ouvrir sur Super Nanny, Matin Bonsoir n’est plus sous contrat avec M6 depuis que la chaĂźne refuse de payer l’achat des couv’. Vite, un dĂ©ca’ et une clope au menthol, l’information n’attend pas:

Comme Ă  la grande Ă©poque de la presse intraitable et prĂ©sente sur tous les fronts, Sylvie Ă©ponge le sien Ă  la recherche d’une idĂ©e. AĂŻe, impossible d’ouvrir sur un portrait de ministre, dejĂ  deux semaines que Matin Bonsoir cire les pompes ministĂ©rielles avec du portrait et des dossiers dĂ©tournĂ©s. A force, ça risquerait de se voir.

- Tu sais Françoise.. des fois je regrette de pas gagner trois fois plus que les journalistes du Monde, eux au moins ils peuvent Ă©crire ce qu’ils veulent... DĂšs fois j’me dis que tout ces publi-rĂ©dac de merde sur Le Coq Sportif, BricomarchĂ© ou EDF, ça ne remplacera jamais la vĂ©ritable investigation de terrain, les mains dans la boue ... - Nan mais attend t’es sĂ©rieuse lĂ ? - Mais non Françoise, je dĂ©conne, ah ah ah! Tu crois

qu’ils partent aux Maldives deux fois par an tout ces culs-serrĂ©s?

Sylvie et Françoise rient de bon cƓur sur le coin de bureau du septiĂšme Ă©tage. A dĂ©faut d’avoir des bagages,

Sylvie et Françoise possĂšdent quand mĂȘme une trousse Ă  idĂ©es. Logique, chez Matin Bonsoir, y’a toujours du monde au balcon; l’info elle-mĂȘme y est pigeonnante.

- T’as vu le biopic sur Gainsbourg? Tout le monde m’a dit que c’était vachement Ă©mouvant et que l’acteur, mince, c’est quoi dĂ©jĂ  son nom, Ă©tait vachement ressemblant. Comme le sosie de l’original.

- En plus parait qu’il y avait beaucoup de monde Ă  la projection presse. Et puis Gainsbourg, tout le monde connaĂźt en plus, c’est vachement actuel. Elle fumait pas Super Nanny, par hasard? Nan parce que sinon on pouvait faire un encart sur ... - Attend, ta gueule! Je vois le titre d’ici: «Gainsbourg, une vie sans filtres». Pas mal non? - J’ai pas compris. Mais il se finit comment le film au fait? - J’sais pas moi, tu crois que j’ai le temps de voir les films? Bon allez, contacte la production du film, qu’ils nous faxent un dossier de presse. AprĂšs tu demandes au service marketing de faire son boulot, z’auront qu’à Ă©crire un questions/rĂ©ponses avec Joan machin et on botte Charlotte en album de la semaine, pas grave si elle chante comme un autiste en sourdine. En plus c’est trĂšs «valeurs de droite» tout ça, le jeune immigrĂ© qui rĂ©ussit tout seul pour s’élever au rang d’icĂŽne, la moche qui chantonne avec un amĂ©ricain, on va pĂ©ter les scores Françoise, ça sent bon l’augmentation! Pense bien Ă  ressortir le portrait d’Eric Besson en page 3, ça fera kiffer les actionnaires. Putain, passe moi une menthol, j’suis crevĂ©e lĂ . - Ah ça... c’est pas faux. On va manger maintenant?

Bienvenue dans la nouvelle presse qui lave plus blanc que blanc, usine Ă  rĂȘves pour les gens qui se lĂšvent tĂŽt : Une accroche sur un film kleenex sans intĂ©rĂȘts, une news sur le nouveau Meetic pour les couples en manque d’adultĂšre, des doubles-pages qui narrent la vie d’entreprises partenaires... Chez Matin Bonsoir, c’est la loterie du dĂ©sespoir. Qu’on gratte un ticket ou qu’on lise des pages vierges, difficile de dire qui est le grand perdant. Mais tout cela n’a pas d’importance. Chez Matin Bonsoir, cela fait dĂ©jĂ  longtemps que l’information n’a plus de prix. C’est mĂȘme pour cela qu’on la vend gratuite.

UNE DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE DU CYBERESPACE

PAR JOHN PERRY BARLOW

HOTPLACES ! BE THEREOR BE SQUARE,BAROMÈTRE DES VILLES OÙ IL FAU-DRA ÊTRE EN 2109.

PAR B. BIDORET / HILAIRE PICAULT

13°La Mecque (Arabie Saoudite): L’étroitesse, la transparence sans nuditĂ© de la peau : le Burqatichism ne pouvait trouver son refuge que dans les crĂ©ations ahurissantes de la Mecque. Sa fashion-week est Ă  prĂ©sent le haut lieu de la mode pour tous les stylistes en vue. Plein feu sur les rayons ultravoilĂ©s.

20° Le PĂ©riphĂ©rique (France) :Dans le but de restreindre les Ă©missions de gaz Ă  effets de serre, la circulation des vĂ©hi-cules individuels a Ă©tĂ© restreinte. De 1h Ă  5h du matin le pĂ©riph n’est plus qu’une aurĂ©ole dĂ©serte, l’after idĂ©al pour choper, toper ou errer. La pĂ©riphĂ©rique-party est devenu le repĂšre des nĂ©o-yuppies: tous les dix mĂštres, des cercles d’inconnus papillonnent entre feux de joie et balades Ă  pleine vitesse contre les glissiĂšres de sĂ©curitĂ©. Ahhh Parisiennes

24° Le Vatican (Vatican) : L’Eglise a bien dĂ» se rĂ©nover et son premier Cyber-Pape a pris ses fonctions en l’an 2100 en organisant d’immenses soirĂ©es prosĂ©lytes au Saint-siĂšge. Aux ‘S.S. White Nights’, les jeunes catholiques viennent prier comme des forcenĂ©s au milieu d’apparitions holographiques de la Sainte Vierge. Attention Ă  la crise de foi.

25° JĂ©rusalem (IsraĂ«l) :GrĂące Ă  la grande rĂ©conciliation israĂ©lo-palestinienne en 2051 et l’inondation de Stockholm pour cause de Gulfstream dĂ©faillant, JĂ©rusalem est devenu le nouveau lieu de remise du Nobel de la paix. Elle abrite Ă  cette occasion le festival ’Pro-fĂȘte’, rĂ©servĂ© Ă  tous les nĂ©o-hippies en mal d’amour et de spiritualitĂ©. Gaza n’en dĂ©bande pas.

37°Pyongyang (CorĂ©e du Nord) : Le miracle corĂ©en ! Depuis la chute de la dictature en 2032, Pyon-Yang est enfin prĂȘte Ă  accueillir les dĂ©localisations chinoises en travaillant pour une misĂšre. La CorĂ©e du Nord est alors devenue le creuset de toute une gĂ©nĂ©ration de techniciens-bidouilleurs Ă  l’origine de la SiliDrone Valley, scĂšne Ă©lectro minimaliste rĂ©volutionnaire sur rĂ©seaux sociaux. Quand l’Asie mute, les baffles dĂ©gustent. A essayer une fois : la tibetan transe-goa !

39°Barrow (Alaska) :Les allumĂ©s de la nature se rejoignent tous au bord de l’Alaska, au-dessus du cercle polaire. Le trip ultime ? Amener un max de Bankise – une drogue de synthĂšse mĂ©langeant cocaĂŻne et azote liquide – et se laisser dĂ©river sur les morceaux de glace qui se dĂ©tachent jusqu’à la fonte. Plus excitant que les vacances de Mr N. Hulot ! Ma friandise c’est Mister freeeeeeeeze.

42°La mer Caspienne (Iran/ Russie) :Avec l’assĂšchement des nappes de pĂ©trole, les plates-formes Offshores dorĂ©-navant obsolĂštes se sont transformĂ©es en squats. HĂŽtes d’un underground pirate, leurs’Offshore sessions’ clandestines sont devenues le lieu privilĂ©giĂ© des expĂ©rimentations post-liquidStone rock. People like you just fuel my fire !

46°Khartoum (Soudan) :Pour dĂ©couvrir le mĂ©lange ChƓurs de l’ArmĂ©e rouge/garage-rock des fjords, rendez-vous Ă  la Cave Blanche de Khartoum. Si le rĂ©chauffement climatique a engendrĂ© la grande migration du continent Africain, personne n’avait prĂ©vu le contre-exode massif de blondinets russes et scandinaves indisposĂ©s par la noirceur du nouveau monde. Depuis, ils cohabitent plus ou moins bien avec les locaux, leur apport monĂ©taire a permis de rĂ©nover la plupart des infrastructures. Pour Ă©chapper Ă  la chaleur infernale, les suĂ©dois ont mĂȘme creusĂ© cette excitante citĂ© souterraine en dĂ©dale de galeries, niche de vĂ©ritables renouveaux artistiques pour les albinos. C’est ici que la subculture (under)gronde.

52°Chichen Itza (Mexique): L’effondrement de l’économie comme de tout service public a permis la dĂ©pĂ©nalisation de la non-assistance Ă  personne en danger. La bonne nouvelle ? L’ancien temple Maya est redevenu le lieu de fĂȘtes orgiaques dĂ©mentielles oĂč les dĂ©sespĂ©rĂ©s de la Terre viennent s’achever au suicide collectif. Tumeur

18° VerticalHattan (U.S.A.) : AprĂšs la destruction du second World Trade Center, plus beau et plus haut, le jeu de ’qui a la plus grande’ a vu la victoire provisoire des kamikazes. Manhattan sous l’eau et New-York en cendres, il ne restait qu’une solution. La reconstruire en une seule tour, un bloc par Ă©tage, sur le New-Jersey. I <3 V-H.

Alex Turner & The Arctic MonkeysThe definite Domino Years

On pourrait s’étonner de la parution de cette long-box moins de deux ans aprĂšs la rĂ©Ă©dition des trois premiers albums du kid de Sheffield en 320kbps et du Singles Pack Ă  noĂ«l dernier, mais la justification de ce remaster tient Ă  un seul nom : Jarvis Cocker. L’ancien dĂ©tracteur, qui avait officiellement cĂ©dĂ© sa place de chief conductor officiel du Grand Manchester Or-chestra au jeune maestro simiesque, offre ici un dĂ©poussiĂ©rage classieux. Toutes les pistes ont Ă©tĂ© re-mixĂ©es en parant de zĂ©ro, rendant enfin honneur aux prises de dĂ©mos de 2005 et rajoutant une ribambelle de vidĂ©os (2 DVD, dont le Glastonbury 2007) et de collaborations et reprises (ce qui bien souvent hĂ©las signifie se coltiner l’affreux Miles Kane).

David BowieComplete Discography

L’intĂ©grale en version orginale, 320kbps, 2 flash memory et 10 VOD, chez Universal, tout est dit. C’est triste Ă  avouer, mais voilĂ  dix-sept ans qu’on a pas pressĂ© quelque chose de bien sur sa majestĂ© Bowie. L ‘horrible Thin White MTV Duke (MTV, 192kbps), la collection Stage!!! (Sony, 320kbps), l’insultant David Bowie MultiChanges (The Whale Records, 160kbps – sic !)... Aucune des compilations de cette dĂ©cennie ne sera parvenu Ă  convaincre de son talent ceux qui ne l’ont pas connu avant son mutisme. Sans fiertĂ©, persistons : c’est encore le vĂ©tuste Berliner Glass Nacht (DifferAnt, 320kbps, 2.1) qui mĂ©rite le plus sa place au dessus de votre media-station ; les soirs oĂč dancing ne rime pas forcĂ©-ment avec machine, c’est encore ces cuivres cocainĂ©s lĂ  qui font le plus d’effet.

QueenInnuendo Quelqu’un de toquĂ© chez Parlophone voulait rĂ©Ă©diter du Queen et on se demande bien qui l’a laissĂ© faire. Les albums avaient Ă©tĂ© remasterisĂ©s en 2009 avec tous les bonus pas encore ren-tabilisĂ©s en single, et les versions 320kbps trainent toujours dans les toplists de n’importe quel Digital Media Store. Les visuels en .tiff HQ (4 Go) et les clips joints n’y font rien : on connait tout ça depuis longtemps. En mĂȘme temps, justement, y a t-il une seule gĂ©nĂ©ration qui n’a pas Ă©coutĂ© les orchestrations opera-(hard)rock ? D’un coup la lumiĂšre se fait : oui, il vaut mieux ressortir Queen que l’intĂ©grale de Muse ou Mars Volta, de Soundgarden ou Pearl Jam, de Deep Purple ou Dio
 et la liste s’allonge chaque jour. Comme ma femme.

Franz FerdinandTake Me Out (Gold edition)

Au dĂ©but des annĂ©es 2000, une poignĂ©e d’écossais rĂ©ussissaient le miracle de joindre les deux bouts de ce que tout le monde attendait : le retour des guitares et le faire-danser-quand-mĂȘme. Dix ans avant son remariage avec la diva Santogold, Alex Kapra-nos se retrouvait dĂ©jĂ  sur toutes les couvertures, mondialement reconnu et saluĂ©. Et Ă  l’écoute du premier album rĂ©Ă©ditĂ© (Domino, 320kbps, 7.1), il est temps de se demander pourquoi. Le conseil du chef: lui donner le nom de tous ceux qui ont un jour fait de la musique pour saisir une opportunitĂ© extra-musicale : Duran Duran, Eurythmics, Indochine... Parce que chatouiller une fille qui pleure c’est le plan drague le plus mi-nable qui soit. Conchions la facilitĂ©.

Damon Albarn Live at the Apollo

On a beau se repasser les albums de Gorillaz chaque Ă©tĂ© au camping, il reste que l’électronique vieillit mal. L’évolution permanente des progiciel de studio affadit complĂštement chaque dĂ©cennie d’enre-gistrements, et Damon Albarn est le mieux placĂ© pour le savoir. Le live at the Apollo (Food/EMI, avec une bĂ©dĂ© de Hewlett comme d’habitude), pris en pleine tournĂ©e Damon Albarn Brass Band, crĂšve les oreilles avec ces 190 pistes mixĂ©es par titre en moyenne. Et si votre media-station n’est pas Ă©quipĂ©e du son 5.1 autant dire que vous allez esquin-ter vos tweeter et puis c’est tout. Les chants maliens, la mideastern-dance, le world balkanic avec six titres issus des albums en collaboration avec Brian Eno, et quelques reprises de Blur (Alex James tenant encore la basse cette annĂ©e-lĂ ) : tout y passe. On frĂŽle l’indigestion quant ce n’est pas la tourista.

Special Delivery(compilation)

AprĂšs le Fuzz me in the arse du mois dernier rĂ©unissant l’intĂ©gralitĂ© du Seattle Sound (Sub-pop, 160kbps) la mode des compilations des prĂ©tendus ‘mouvements’ se propage aux anglais (sans toutefois la remas-terisation par Albini). Il n’y a bien que les labels qui voient des scĂšnes dans chaque garage. Cette compilation-lĂ  (Rough Trade / EMI, 320kbps + 2DVD) sur l’Ɠuvre sĂ©minal de Peter Doherty et Carl Barat et des groupes qui leur sont plus ou moins liĂ©s (des Libertines aux Reve-rends en passant par les ‘Shambles, The Call, et les DPT). En baille trĂšs vite en se demandant ce que les Kinks et Phil May ont fait pour mĂ©riter ça. A ranger dans le mĂȘme rĂ©-pertoire que Supersonic Oasis avant de passer Ă  autre chose.

RÉ(É)DITIONS,SANS COMPROMISArctic Monkeys

SPECIALDELIVERY

QueenInnuendo

Soins palliatifs du show business, le disque n’est pas mort, mais dur dur de faire du blĂ© quand tous les champs ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© fauchĂ©s. Voici un aperçu de ce que sera la page rĂ©Ă©dition quand la sortie standard consistera en un gros fichier de 65 Mo, covers en jpg comprises.

Coldplay Viva Coldplay / Blue Room

En 2010 tout le monde attendait dĂ©jĂ  la fin (an-noncĂ©e) du fairtrade-rock band. Le rĂšgne des pĂ©dales de reverb n’avait que trop durĂ© et une fois les milliers de dollars rendus en tickets de concert Ă  une industrie en difficultĂ©, chacun Ă©tait

parti monter son projet solo. Avec le succĂšs que l’on (ne) sait (que trop). Étrangement les coffrets et rĂ©Ă©ditions habituelles (avec leur lot de duo/reprise/remix) ont mis du temps Ă  sortir. ConsĂ©quence probables des rĂ©ticences du groupe lui-mĂȘme dont on connait les prises de position (l’énorme R.E.M.otivated avait eu les mĂȘmes difficultĂ©s). Autant Viva Coldplay (Parlophone, 320kbps, son 5.1) ne fait que prolonger la liste des bidouilleries inutiles de l’époque visĂ©e (dont un do-cumentaire 55mn sur leur combat vu par Bono ! A mourir), autant le chĂ©tif Blue Room (Rosetti recordings, 192kbps) brille par sa sympathie. Une vingtaine de titres faisant re-monter ce que Coldplay fut sur ses premiers enregistrements (dĂ©mos de Parachutes et des EP, plus les EP eux-mĂȘmes) qui donnerait presque envie d’imaginer ce que le groupe serait devenu s’il n’avait pas trouvĂ© major Ă  son (grand) pied...

Arcade Fire The

Arcade Fire

L’intĂ©rĂȘt de la rĂ©Ă©dition c’est de permettre de rattraper le wagon qu’on a ratĂ© Ă  l’époque parce qu’on avait les yeux ailleurs. Il y eu ce groupe de canadiens qui jouaient

une sorte de du folk Ă  la Talking Heads Ă  douze mains – et autant de tĂȘtes parce qu’il y avait une chorale. Ils enregis-trĂšrent deux albums avant de disparaitre dans le tourbillon de guitares en bois et chemises Ă  carreau du moment. Ils faisaient les gros titres, avaient vendu du disque de 2004 Ă  2010, et certains d’entre vous s’en souviennent peut ĂȘtre.

Ce pack (Rough Trade/Merge, 320kbps, 3.1) contient la totalitĂ© des enregistrements dont deux lives et honnĂȘtement on se

Get my money back25 Cents invente le tube rembour-sable (voir conditions). Get ripped or try dying est téléchargeable sur le site de la C.P.A.M.

Bad Karma PoliceSuite au suicide collectif des membres de Radiohead aprĂšs la perte de leur disque dur 458 teraoctets, leurs 45 managers annoncent une prochaine mise aux enchĂšres de collectors et inĂ©dits (enchĂšres dĂ©butant Ă  45€ le titre). La police a dĂ©clarĂ© : « Thom Yorke avait un sourire sur le visage ». Sa veuve envisage de porter plainte contre les forces de l’ordre pour calomnie posthume.

Fat ClubLe crĂȘpage de chignon entre Warp et Ipecac autour du DVD de Bonnie Tyler-Durden traĂźne depuis la grĂšve du syndicat des avocats du showbu-siness rĂ©clamant toujours 1% des droits voisins. En cause, la question concernant les bonus ‘coiffure’ qui devrait initialement ĂȘtre tĂ©lĂ©char-geables sĂ©parĂ©ment pour 2,50€. Une baston semble se dessiner pour rĂ©soudre le problĂšme. Rappelez-vous : « No shirt, no shoes ».

Le poids des ansEniĂšme projet de nouvel album pour les Pixies. La derniĂšre tentative avait avortĂ© parce que Franck Black ne passait plus les portes des studios. Ce coup-ci, le groupe envisage d’ins-taller un studio directement chez lui. Ne reste plus qu’à convaincre Kim Deal. Certaines choses ne changent jamais.

ENNUYEUSE-LETTEREN VITE EN BREF, QUELQUES FLASH EXPRESS DE LA PRESSE DU FUTUR

Too too U2Le design du nouvel I-Phone aux couleurs de U2 sera dĂ©signĂ© par So Me, le manipulateur d’image de Ed Banger Records. Et 0,1 % sera renversĂ© aux victimes irlandaises du botox frelatĂ© chinois.

Derby Crashed Diffusion d’une belle rĂ©trospective de Marc Bolan pour la sortie du coffret d’archives finalement titrĂ© ‘Juras-Sick’ (Neil Young dĂ©tenant les droits du terme Archives) ce weekend, au salon du MIDEM. DĂ©claration de Hunter S. Thompson Jr prĂ©sent ce soir lĂ  : « J’y comprendrais jamais rien aux courses de bagnole ».

Bof PeopleMadonna 2.0 annonce qu’elle va adopter Pascal NĂšgre. L’avocat de Courtney Love et de Stuart D. Price a d’ores et dĂ©jĂ  indiquĂ© que ces derniers exigeait la primautĂ© de l’offre nataliste. Qui a dit « vache Ă  lait » ?

Poil au sonSuite Ă  son partenariat exclusif avec Gilette, le dernier album du prophĂšte du bĂ©ton aztĂšque Kou-dlam ne sera disponible que sur la plateforme Razor’s Edge, unique-ment Ă©coutable via rasoir-Pod et tondeuses avec lecteur MP3 intĂ©-grĂ©. Les fans de la premiĂšre heure hurlent Ă  la trahison. L’artiste, sur son overblog, leur a rĂ©pondu : « La fin du monde tardant Ă  arriver, je prĂ©pare ma retraite. Et je vous emmerde ». Au poil.

CƓur de rockerLe remix collector E-Mule d’I Will Survive par GrĂ©gory Lemarchal sera dans les numĂ©ri-bacs juste avant noĂ«l. Le featuring de Grand Corps Malade reste Ă  confirmer.

ƒuvre au noir Les discours de Barack Obama rejoignent le catalogue PNL (PascalNĂšgreLibrary) aux cĂŽtĂ©s des entretiens Madoff/ Mick Taylor, My taylor is rich, et des allocutions radio-pĂ©nitenciaires de StĂ©phane Guillon (Folsom Prison broom). Carla Bruni-Sarkozy a Ă©voquĂ© un possible featuring sur son prochain single.

Duo Ă©carlateGringo Starr et Barry Write vien-nent de terminer l’enregistrement du Write album. Version collector livrĂ©e avec un tacos et un porte-clĂ© bibiphoque.

Optique : 2000La rĂ©Ă©dition du premier Amadou & Mariam (encodage de luxe), fait un carton et s’envole sur I-Thunes. « On a rien vu venir » ont sobrement dĂ©clarĂ© les intĂ©ressĂ©s.

I & MaillesAprĂšs son acquisition de la cĂ©lĂšbre marque de cornichons, EMI continue les dĂ©penses, annonçant le rachat des exten-sions d’images tiff et jpg : les millons de royalties Ă  rĂ©cupĂ©rer sur la vente de toutes les pochettes tĂ©lĂ©chargĂ©es. Starbucks Coffee – dĂ©jĂ  possesseur du .midi – a immĂ©diatement lancĂ© une O.P.A. sur le bitmap.

e-Mule Variations Pour la deuxiĂšme fois cette annĂ©e, Tom Waits a encore changĂ© de label, se retrouvant dans celui, plus petit, de Trent Reznor. Comme David Byrne, il poursuit sa course Ă  l’indĂ©pendance qui l’avait contraint a quittĂ© McCartney Ltd devenue « trop puissante » aprĂšs le succĂšs de son single (vendu Ă  106 exemplaires).

PAR VERNON & HILAIRE PICAULT

Arles, 21 dĂ©cembre 2008, silence proche du larsen, aprĂšs beaucoup de bruit pour rien. Le tirage de rideau sonore sur des annĂ©es 2000 se referme sur un constat : il n’y a pas pire sourd que celui qui ne peut plus entendre.

Presque mort. La tĂȘte Ă  cĂŽtĂ© des enceintes. Autour, une foule informe s’agite, se tord et a l’air de jouir. Ca va faire une heure que Simian Mobile Disco joue, ils en sont au climax : basses Ă©normes, beat marteau et aiguĂ«s en lianes s’enroulant tout autour, s’adressant direct au systĂšme nerveux. Les bras sont en l’air, soulevĂ©s, avec ou sans ecstasy, avec ou sans alcool, avec ou sans un deuxiĂšme paquet de cigarettes. L’armĂ©e est blanche, elle tient Ă  faire savoir que la sueur coule Ă  flot et qu’elle possĂšde une bonne raison de s’échapper de tous ces corps en transe. UNE BONNE RAISON. Trouvez moi une seule bonne raison.

Je rĂȘvais de dieux intouchables, Ă©lancĂ©s, fiers et vertueux, et j’ai trouvĂ© des corps vautrĂ©s dans des canapĂ©s, piochant mollement dans un paquet de chips. La bouteille de Clan Campbell sur la table comme cerise sur le gĂąteau empoisonnĂ© ; j’avais l’air fin en Blanche Neige du rock effarouchĂ©e face aux sept nains et leurs barbes de trois jours, la main dans le caleçon et une haleine de poney en fin de carriĂšre.

Au lieu de ça : Ă©couter le vide se dĂ©verser par paquets de watts, toutes les quatre mesures. Au lieu de ça : faire la fĂȘte.Au lieu de ça : mon plus gros virement bancaire jamais effectuĂ© pour une once de surprise.

AccoudĂ© au bar. Une biĂšre XXL dans la main, mes oreilles cherchent un silence qui n’existe pas. J’attrape une cigarette, hĂ©site Ă  la manger et puis je me fais une raison ; je l’allume. Un individu s’approche du bar pour commander, me reconnaĂźt, tend la main, j’hĂ©site
 aucune bonne raison ne me vient
 « Ca joue, hein ! C’est du bon son, non ? ». Je hausse les sourcils d’un air impressionnĂ© en guise de rĂ©ponse, m’empĂȘchant de lui rĂ©pondre qu’il parle Ă  un hologramme et que lui aussi m’a tout l’air d’en ĂȘtre un. La tentation de lui passer le bras au travers du corps me vient, pour lui prouver que j’ai raison : des images de Blade Runner me reviennent (replican, pas replican ?), des images de David Lynch me reviennent (y’a t-il quelqu’un dans la piĂšce, pourquoi ai-je si peur ?), des images de Georges Romero (quoi de plus effrayant qu’un zombie ? Qu’un MORT VIVANT ?) et pour finir des images de Fear and Loathing in Las Vegas (ne rien comprendre, voilĂ  qui fait froid dans le dos), je rehausse les sourcils, je le salue, je m’en vais. Sur la route, je renverse la moitiĂ© de ma biĂšre en essayant d’avoir l’air cool de celui qui peut boire et marcher en mĂȘme temps.

En vĂ©ritĂ©, le rock n’était pas un trĂšs bon ami. Les 00’s, un long festival rempli de couleurs criardes, de sons prĂ©machĂ©s, de cris de joie pour rien, de tickets boisson, de rires Ă©touffĂ©s sous les lignes de coke. 00’s, dieu que ta jeunesse s’est mis la tĂȘte ! Moi, tout ce que j’aurais voulu, c’est me faire encore avoir. Comme une bonne blague

dont on n’a pas vu la chute arriver.

Au lieu de ça : fluokids, slim trop petit. Au lieu de ça : cynisme et caisse enregistreuse.Au lieu de ça : de l’hĂ©donisme discount.

Je danse. Je danse comme un dĂ©ratĂ©. Je transpire. A peine si je frĂŽle les gens autour de moi. Pour quelques instants, DJ machin me tient dans le creux de sa main, je pense boule Ă  facettes, baskets trouĂ©es, mouvement de foule, fantĂŽme chevauchant une comĂšte de smarties, je pense dĂ©hanchĂ©, Ă©lectricitĂ©, dĂ©esse Ă©lectricitĂ©, la seule l’unique, je pense rock, rock et encore rock, je pense c’est toujours marrant ces mecs qui hurlent qu’ils ne sont pas furieux, je pense colĂšre, colĂšre et beautĂ© mĂ©lange explosif Ă  se damner je pense c’est quoi l’ñme, je pense mais qu’est ce qu’il fout ce mec lĂ -bas avec ses lunettes de soleil alors qu’il est presque 4h du matin, je pense « bouge bouge bouge », je pense absolu, infini, je pense « ĂŽ temps suspend

ton vol » je pense crie, hurle, saute Ă  deux mĂštres de haut, je pense Ă  dĂ©chire tes vĂȘtements, je pense

aux litres de whisky, je pense quelle belle grimace, je pense agencement, design et

architecture musicale, je pense « cha-cun sa danse et merde à dieu ». Je

cherche une seule bonne raison et puis je ne pense plus.

Bienheureux les simples d’esprit. Seule concession

sociologique : avoir 30 ans dans les années 2000, ça ne ressemblait plus à un riff définitif. PlutÎt à une

prod-studio hyper léchée avec deux couinements sur le refrain

pour faire comme si. Jennifer cherchait son rouge Ă  lĂšvres sous la

console
 Mais ne cherchez pas de Lipstick traces. Il n’y en a pas. Il n’y en

a plus. Le vernis a tout supplanté. On nous a rebattu les oreilles avec les ambiances fin de

siÚcle. Mais personne ne nous avait prévenu : les débuts qui suivent sont en creux.

La suite ? Voir plus haut. La suite ? Du business plan en binaire.La suite ? Vomir et vomir encore. La suite ? Un Crash pas Ideal du tout.

J’avais rĂȘvĂ© cicatrice, on me parlait mercurochrome. Quelque chose n’allait pas. N’allait pas du tout. Concert : 1h30, montre en main. Le kilo de paillette ? Hors de prix. Penser Ă  parler du light show. Penser Ă  rĂ©cupĂ©rer les titres des morceaux. Penser Ă  recoller les morceaux. Penser par morceaux. Puzzle rock inachevable ou trĂšs moche une fois accrochĂ© au mur. Coller un poster Ă  la place ? Non

mais vous plaisantez.

Aujourd’hui, il y a des tableaux, sur mes murs. Je dis ça sans snobisme aucun. Croyez moi. Je ne sais pas mentir. Et j’ai admirĂ© ceux qui savaient le faire : mensonges parpaings dans les gencives, mensonges hurlements au vocoder, mensonges attitudes, mensonges papier glacĂ©, mensonges no concession. D’ailleurs, tant qu’on y est, Phil Anselmo est un type formidable. Pantera, ça vaut Shellac. Si, si.

La bite Ă  la main, le verre coincĂ© dans ma bouche, je regarde tout autour de moi, du haut de cette pissotiĂšre gĂ©ante. LĂ -bas, une jeune fille maigre en treillis tape un rail de quelque chose, juste Ă  cĂŽtĂ© de moi, un Ă©chalas Ă  casquette de travers secoue mollement son bidule, plus loin, un groupe de trois ou quatre trĂšs jeunes gens ont l’air de bien se marrer, Ă  cĂŽtĂ© d’eux, une mini-enclave Ă  bobos se passent et se repassent un tĂ©lĂ©phone portable, il semble y avoir un problĂšme TECHNIQUE, ça ne marche pas.

Alors donc, quelque chose a changĂ©. Ah ça oui. Quelque chose s’est cassĂ©. Quelque chose a rompu. Quelque chose a dit « the dream is over ».

Premier rĂ©flexe ? Ne pas Ă©couter. Ne pas prĂȘter l’oreille aux milliers de chuchoteurs de la perversitĂ© s’invitant en microsillons MP3isĂ©s dans nos salons. Second rĂ©flexe ? Crier au gĂ©nie trop vite, fabriquer des statues en carton qui s’effondreront Ă  la premiĂšre pluie. Le troisiĂšme? Observer une plage de silence. Observer un temps mort. Reprendre sa respiration. Ensuite
 le temps des hĂ©sitations, la tentation de renoncer, celle d’insulter le gars du S.A.V. qui ne rĂ©pond jamais, dĂ©poser des RE-CLAMATIONS de-ci de lĂ  (euh, des blogs, par exemple), se renseigner sur le camp d’en face (euh, le paradis, par exemple), vaciller, quoi.

Dans la nuit du 20 au 21 dĂ©cembre 2008, mon pĂšre m’a envoyĂ© une douloureuse piqĂ»re de rappel : la vie est trop courte pour baisser son pantalon. Putain de 00’s.

Presque mort. Les doigts dans la mayonnaise. Quelle blague ! Je ferme les yeux. La frite trouve tant bien que mal son chemin jusqu’à ma bouche, l’envie de vomir est en train de passer, celle de chialer, un peu moins. Dans cinq minutes, je quitte le festival, un taxi vient me prendre sur le bord de la route, je lui souffle l’adresse, lui demande s’il peut Ă©teindre la radio, ce qu’il fait. Alors je colle mon front contre la vitre et je regarde dĂ©filer les lumiĂšres de la ville, ce qui est un lamentable clichĂ© pour dire que j’ai l’ñme qui se tord mais comme c’est vrai, je serai Ă  moitiĂ© pardonnĂ©. Pour l’instant, je mange une frite molle dĂ©goulinante de mayonnaise.

00’SCONCESSION« MEMORY OF A FESTIVAL »

LAMUSIQUEACTUELLEPOURLES NULSPAR TERREUR GRAPHIQUE & DAMPREMY JACK

DEUX POINGS : ZÉROTroisiùme client

aujourd’hui. Et Oracular

Spectacular vient de s’achever

dans ses oreilles. Une aprĂšs-midi

consternante. Deux heures que derriĂšre

la surface vide du revĂȘtement plaxĂ©

imitation hĂȘtre, Jeremy s’emmerde.

PAR BILLY HP

Un pouce routinier enclenche Coldplay mais s’attarde sur l’iPhone. Des violons synthĂ©tiques dĂ©collent lourdement. Des oies sauvages gavĂ©es de farine enrichie en protĂ©ines. Marre...

Au dĂ©but c’était plutĂŽt sympa d’avoir enfin du temps libre pour rĂ©pondre Ă  ses mails et lire les blogs qu’il ne prenait jamais le temps de suivre. Ensuite il s’était mis Ă  regarder des trucs idiots, des pages qu’on lui forwardait, les vidĂ©os Ă  la con, les piĂšces jointes. Puis les Powerpoint aussi, avec leur musique niaise coupĂ©e au dĂ©but, mute, mais maintenant qu’il Ă©tait seul dans le maga-

sin il pouvait mettre le son, cela ne changeait rien. Cela ne changeait rien.

Viva la vida, mon cul... Vide la vida plutĂŽt.

Vinrent alors les vidéos. Toutes. Celles des blogs, des clips, puis les vidéos qui font du buzz, les trucs dont tout le monde parle. Puis des pornos. Des multiples équivalents salaces de youtube, plus ou moins crade, plus ou moins amateurs. Plus ou moins pratiques à utiliser aussi. Parfois il

galĂ©rait tellement Ă  comprendre leur navigation qu’il quittait le site avant d’avoir vu le moindre tĂ©ton.

Ce client Ă©tait revenu comme tous les autres pour dire que, finalement, il souhaitait repousser son achat,

stopper la commande.

Jeremy lui avait fait le mĂȘme speech qu’à chaque fois, qu’on ne remboursait pas des arrhes, qu’il comprenait, que c’était comme ça, que c’était dur pour tout le monde ces jours-ci, tout ça. Mais en moins motivĂ©, comme si Ă  force de rĂ©pĂ©ter il n’y croyait plus lui mĂȘme. De toute façon, c’était le commercial qui allait encore en prendre plein la gueule, si ses clients se rĂ©tractaient. Lui il s’en foutait. DĂ©jĂ  qu’ils n’étaient plus beaucoup et qu’on leur foutait une pression de dingue.

Tout cela tournait Ă  la routine. Une fois, il avait failli se faire chopper Ă  s’astiquer sous son bureau par un fournisseur. Il reconnaissait Ă  l’oreille le bruit des diffĂ©rentes voitures entrant sur le parking en gravier, maintenant qu’il y en avait de moins en moins souvent. Il savait dire si c’était un des trois commerciaux, son boss, ou les estafettes des livreurs. Pantalon Dockers ouvert, slip tirĂ© sur le cĂŽtĂ©, un rouleau de sopalin fauchĂ© dans la rĂ©serve dressĂ© sur le bureau, avec ces minettes sans traits ni poils qui s’agitent sur l’écran. Celle-lĂ , aux joues duvetĂ©es et lĂšvres rose pĂ©tale, pliĂ©e en deux pour ĂŽter son jeans taille-basse, les genoux comprimant sa poitrine et le ballet des pieds qui papillonnent en l’air, ça l’excitait. Ainsi que la courbe parfaite de son sexe et l’épilation de ses aisselles. Mais quand mĂȘme il s’emmerdait et s’astiquait molle-ment. La nouvelle MĂ©gane du fournisseur Ă©tait trĂšs silencieuse, et Jeremy ne l’avait remarquĂ© au travers de la vitrine qu’aprĂšs le grincement de la porte automatique. Juste le temps de refermer son froc, en priant pour ne pas avoir les joues en feu. D’ailleurs il ne s’était pas levĂ© pour accueillir le reprĂ©sentant, au cas oĂč la gaule aurait dĂ©formĂ© son pantalon.

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crÉdIts, (de)LUXe INTÉRIeUR NumÉro ILuxe INtÉrIeur est uNe revue dIgItaLe pILotÉe par Le sIte

GoNzaI.com et ÉdItÉe par Le dIabLe vauvert.

GonzaĂŻ, 11 rue Duvergier 75019 Paris, [email protected] Au Diable Vauvert, Route de la Laune 30600 Gallician, [email protected]

Directeur de publication : Bester LangsRĂ©dacteur en chef : Hilaire PicaultConception graphique et direction artistique :Terreur Graphique & JĂŒĂŒlMaquette : Terreur Graphique

Rédacteurs :Benoit Bidoret, Bester L., Syd Charlus,Colocho, Sylvain Fesson, Dav Guedin, Sté-phane Guinet, Johnny Jet, Grégory Meurant, Ursula Michel, Guy-Michel Thor, Pierre Mikaïloff, Hilaire Picault, Loic H. Rechi, Arnaud Sagnard, Clément Sakri, Marjolaine Sirieix, Serlach, Vernon, Vic Vega, Eléa Von Picnic, Alex Jestaire, Pochep, Terreur Graphique, Marjolaine Sirieix.

Ont contribué à ce numéro :Alejandro Jodorowsky, Robert Wyatt

Remerciements :Bertrand Burgalat, Dieu, Google©, Marion Mazauric, Charles Recoursé, Louise Rossi-gnol, Nicolas Ungemuth

Garanti sans encre ni papier, ce numĂ©ro n’est techniquement pas je-table sur la voie publique.Les articles publiĂ©s n’engagent que la res-ponsabilitĂ© de leurs auteurs, tous droits de reproduction rĂ©servĂ©s, mais nous partageons leurs opinions et vous demandons d’essuyer vos pieds avant d’entrer.

Pour toute réclamation, insulte ou demande de remboursement, merci

PHILIP GLASS ART OF GLASS, WHEN TALK IS CHEAP PHILIP GLASS ART OF GLASS, WHEN TALK IS CHEAP PHILIP GLASS ART OF GLASS, WHEN TALK IS CHEAPPAR BESTER L.

De Throbbing Gristle Ă  Pierre Henry en passant par le Metal Machine Music de Lourd Reed, l’avant-garde est un mot qui rĂ©sume souvent Ă  lui seul un siĂšcle d’esbroufes musicales. Au milieu du royaume des apĂŽtres, un dieu : Philip Glass, compositeur de la musique minimale. Pour les siĂšcles des siĂšcles.

Quoiqu’ingrat et atroce, l’enfance reste un bel Ăąge. On y dĂ©couvre le rythme des mots, le poids du silence et les prĂ©misses d’une grande musique qui jamais ne s’arrĂȘte, dĂšs lors qu’on est en mesure de parler, de rĂ©pĂ©ter. Longtemps d’ailleurs, Ă  la nuit tombĂ©e, mon passe-temps fut invariablement le mĂȘme, huilĂ© comme un rituel mĂ©canique : seul dans le noir, choisir un mot, le rĂ©pĂ©ter machinalement jusqu’à s’en user la salive, le rĂ©pĂ©ter jusqu’à le broyer sur la gencive, le rĂ©pĂ©ter jusqu’à le vider de son sens. Puisqu’il n’en reste que l’essence : un son. Un jeu d’enfant me direz-vous, universel mĂȘme, qu’on retrouvera plus tard sur son chemin. Sous d’autres formes, en d’autres nuits. Jusqu’à Philip Glass.«L’avant-garde». Ecrit ainsi, vous pouvez ĂȘtre sĂ»r que l’expression a de grandes chances de faire fuir les passants. Les enfants aussi. Si ce mot n’était pas devenu, lui aussi, un terme galvaudĂ© sous le poids des langues, sĂ»rement Philip Glass aurait-il pu se rĂ©sumer Ă  cela. On aurait ainsi pu faire l’impasse sur l’incroyable destin du grand compositeur amĂ©ricain nĂ© en 1937, un homme ayant rencontrĂ© le DalaĂŻ-Lama et Ravi Shankar Ă  mĂȘme pas quarante ans, compagnon de route de Patti Smith, Allen Ginsberg, Brian Eno, et pourtant si mĂ©connu du grand public. DĂ©finir sa musique minimaliste et rĂ©pĂ©titive, son influence musicale sur les soixante derniĂšres annĂ©es Ă©coulĂ©es, la puissance de ses compositions quasi pastorales, s’avĂšre de fait impossible. RĂ©sumer Philip Glass avec des mots ? Autant parler de la mĂ©lodie des vagues qui s’écrasent sur le sable, de ces roulis qui avancent sur la mer sans encombre. DiscrĂšte parce que puissante, minimale parce que contemplative, l’Ɠuvre de Glass reste encore un secret bien gardĂ©. DivisĂ©e en son sein par la Seine, Rouen a ce soir des couleurs de ville aquatique. La pluie s’abat lentement sur les piĂ©tons ; ici comme ailleurs, rares sont ceux qui connaissent son existence. Pourtant Philip Glass est lĂ  pour trois soirs, dĂ©barquĂ© des States pour y jouer ses Ɠuvres les plus connues, de Piano Solo Ă  Music in Twelve Parts, son «zĂ©nith» de quatre heures composĂ© Ă  l’aube des seventies, mais surtout reconnu sur le tard. La postĂ©ritĂ©, c’est surtout une question de patience, alors Glass enchaĂźne dĂ©sormais les tours du monde et les rĂ©citals en best-of. MĂȘme Ă  Rouen. Et maintenant que son style piano-violon est pompĂ© partout, des musiques publicitaires aux bandes originales de films, le compositeur Ă  tĂȘte de savant fou s’exporte, surprise, beaucoup plus facilement. C’est aussi ça la musique minimale, avoir trente ans d’avance et devoir patienter. L’exact contraire, finalement, d’une destinĂ©e de rockeur.

Sous la bruine de l’automne rouennais, la fĂȘte foraine bat son plein sur le bord de Seine. Enfants, parents et caissiĂšres, les visages se mĂ©langent comme des notes sur une partition, Ă  peine troublĂ©s par la valse des autos-tamponneuses, le regard fixe sur les attractions. J’ai tout potassĂ©, tout rĂ©visĂ© avant la rencontre, mais la barbapapa peine Ă  m’égayer ; interviewer Glass Ă©quivaut Ă  demander audience au tout puissant. Et rĂ©sumer la vie d’un vieil homme Ă  quelques questions – dont on connaĂźt souvent les rĂ©ponses Ă  l’avance, comme dans pareille situation - relĂšve du bachotage monomaniaque, celui qu’on pensait rĂ©servĂ© Ă  d’autres. Lui parler de son initiation Ă  la «grande musique» aux cotĂ©s de Nadia Boulanger, elle qui «éduqua» Michel Legrand, Quincy Jones ou Gershwin ? Trop facile. Les dĂ©buts du jeune Glass Ă  New-York en 1968 avec Music in the Shape of a Square, ses partitions tellement longues qu’elles obligent les musiciens Ă  se dĂ©placer pour suivre la mesure ? Trop Ă©vident ! Son chemin de croix en tant que plombier puis taxi, pour payer les factures ? Trop pittoresque, allons... A bien y rĂ©flĂ©chir, la seule vĂ©ritĂ© qui tienne encore sous la bruine, c’est une phrase de Glass, figĂ©e dans l’espace, lĂąchĂ©e en 1982 au journaliste en mal de questions : « I consider myself as a working musician, more than an avant-garde (mu-sician) ». La messe est dĂ©jĂ  dite. Car l’Ɠuvre de Glass est une dĂ©rive en perpĂ©tuel mouvement, Ă  placer entre la rigueur chaleureuse de Bach et l’excentricitĂ© glacĂ©e de Kraftwerk. Pour qui sonne le glas(s) ? En remontant les trottoirs dĂ©pouillĂ©s de Rouen, la question m’obsĂšde. Par quel miracle, quelle alchimie, des monuments tels que Mad rush parviennent encore Ă  s’ériger comme des blocs indĂ©passables. Des messes pour le temps prĂ©sent, sans mots, sans paroles, qui continuent elles aussi d’avancer. Nul doute qu’il emportera ce secret dans sa tombe, sĂ»rement rejoint par d’autres, laissant l’école du minimalisme amĂ©ricain sans descendance. Parce qu’aujourd’hui, comme le dit Pascal Comelade, « la musique instrumentale n’est pas entendue », que le mouvement rĂ©pĂ©titif initiĂ© par Glass, Terry Riley ou Steve Reich ressemble dĂ©sormais Ă  une manufacture sur le point de fermer ses portes. Lorsqu’ils Ă©teindront la lumiĂšre, ces gĂ©ants de l’infiniment petit laisseront tout de mĂȘme derriĂšre eux quelques partitions, le souvenir d’une nuit d’automne, d’une poignĂ©e de main, qui en disent plus long que les meilleurs rĂ©cits. Et mon interview avec Philip Glass, alors ? Rien que je ne savais dĂ©jĂ . Fermez les yeux, Ă©coutez, vous verrez ; Glass works.

ILLUSTRATION : MARJOLAINE SIRIEIX

Roy Sullivan, garde forestier amĂ©ricain, a Ă©tĂ© frappĂ© par la foudre Ă  sept reprises entre 1942 et 1972. S’il a perdu Ă  chaque dĂ©charge cĂ©leste quelques membres et couches d’épiderme, se pelant peu Ă  peu tel un oignon humain, Roy a nĂ©anmoins Ă©chappĂ© Ă  la mort Ă  chaque coup. Mais plus que tout, Roy est devenu un exemple, un ĂȘtre INCROYABLE rĂ©vĂ©lĂ© par sa malchance. De la fĂȘlure «approved by Guinness» viendra l’humanité  Il mĂ©rite bien cette belle entrĂ©e dans le classement du Guiness World Records. Bravo, on l’applaudit bien fort !

Des chiens qui font du skate, des portables qui convertissent le maĂŻs en pop corn : l’incroyable est devenu banal, se dissimulant Ă  tous les coins de fenĂȘtre Youtube. Heureusement, il existe encore un livre balayant d’un coup sec toutes ces pignolades numĂ©riques : Le Guinness Book des Records, LE GUIDE DE L’EXTRAORDINAIRE. Je vois des sceptiques dans l’assistance, pas de problĂšme, l’objet est accompagnĂ© d’un sympathique argumentaire : 55 annĂ©es Ă  recenser les exploits aux quatre coins du monde, en Ă  peu prĂšs 40 000 notices attestant d’un Guinness World Record (GWR), et ce pour 3 millions de lecteurs avertis. OK les gars ? Vous en d’mandez encore?

CĂŽtĂ© contenu, le livre parvient encore Ă  tenir en haleine le plus difficile des curieux puisqu’il donne accĂšs Ă  un univers, euh, totalement remarquable, oscillant entre Jeune et Jolie et Modes et Travaux. Entre le record du plus grand poil de barbe de femme (27,9cm tout de mĂȘme) et celui de la plus grande pizza du monde. Dans un monde oĂč tout se calcule, le tĂ©ton-objectif pointant toujours plus vers le risque zĂ©ro, l’insolite et le hasard ont cependant Ă©tĂ© priĂ©s de plier bagage au fil des Ă©ditions du Guinness. Suivant la tendance sociĂ©tale, les performances se sont ainsi fragmentĂ©es en de multiples variantes, abusivement hĂ©tĂ©roclites. Prends ça dans ta gueule, la fĂȘlure «approved by Guinness»...

Pour comprendre, quoi de mieux qu’une grande question existentielle : qui est l’hommele plus fort du monde ?

Guinness n’est pas une biùre. C’est le who’s who des anonymes qui repoussent encore et

toujours les limites de l’absurde. Parce qu’un homme de 2m30 est parfois moins important

que la plus grosse paire de seins du monde, le Guinness Book of World Records s’érige en Barnum des temps modernes, aux monstres

chaque jour plus effrayants.

GUINNESS

BOOKDESREC

ORDSTOUJOURS PLUS HAUT, TOUJOURS PLUS FORT, TOUJOURS PLUS VAIN !

PAR CLÉMENT SAKRI

Le livre dit : tout dĂ©pend de la puissance de votre membre
 Car en effet, le record de « poids soulevĂ© » se dĂ©cline sous plusieurs formes : par la barbe, par le cou, par l’auriculaire, par l’oreille, les orbites et la tĂȘte, alouette [1]. Sans compter les monomaniaques des dents : les Ă©diteurs du Guinness essaient mĂȘme de nous refourguer une camelote similaire sous plusieurs formes. Deux notices-doublons « record de poids soulevĂ© avec les dents » sont ainsi prĂ©sentes Ă  la page 93 et 96 de l’édition 2009 ! Des performances qui peuvent ĂȘtre confrontĂ©es au « sprint de 10m le plus rapide avec une table et une charge portĂ©es avec la bouche [2] » ainsi qu’au « record de bancs portĂ©s avec les dents ».

Quelle est la performance la plus louable ? Un frigo est-il plus dur Ă  soulever qu’une table ? Est-ce la mĂąchoire qui porte ou les dents ? Se fout-on de notre gueule ? Un juge Guinness, dans son costard flambant neuf, vous rĂ©pondra que non, il n’est pas question de « record de poids soulevĂ© avec les dents », mais du « record de nombre de bancs soulevĂ©s avec les dents ». Certes...

A ce compte-lĂ , la mise en abime proposĂ©e par le Guinness se rĂ©vĂšle vertigineuse, quitte Ă  nous faire bouffer du mot « record » Ă  toutes les sauces. Et c’est ainsi qu’entre en scĂšne Ashrita Furman, l’homme au plus grand nombre de records du Records Guinness ! Non content du record de la plus longue distance parcourue en pogo-stick[3], du plus grand nombre de verres tenus en Ă©quilibre sur le menton, du plus grand nombre de marelles en 24 heures et de l’ascension la plus rapide de la tour CN (Ă  Toronto, haute de 553,33 mĂštres) en pogo-stick (encore), il dĂ©tient 183 records GWR, dont 76 toujours inĂ©galĂ©s.

Bon sang
 Il a raison ! La rupture opĂ©rĂ©e par le Guinness dans les annĂ©es 2000 doit perdurer et aller plus loin. La spĂ©cialisation croissante de la dĂ©funte rubrique Insolite laisse entrevoir la dĂ©mocratisation de la devise « Toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus fort ». Les portes de la perception s’ouvrent ainsi, avec notamment l’éventualitĂ© de cross-overs toujours plus nombreux. Les DJ’s et la salade niçoise ont montrĂ© la voie : l’avenir se trouve dans la fusion des genres.

À grands renforts de complĂ©ments grammaticaux – et une fois sautĂ©e la limite posĂ©e par le S.E.X.E. – le Guinness Book pourrait bientĂŽt compter les performances suivantes : - La plus longue barbe du plus gros porteur du virus du Sida - Le paraplĂ©gique le plus rapide en fauteuil en cabrant sur 100 mĂštres - La plus grosse rĂ©duction mammaire pour une mĂ©nopausĂ©e - Le nain lançant le plus de frigos en une minute- Le poids le plus lourd soulevĂ© avec les dents en sautant en pogo-stick- Le plus de ballons de foot Ă©clatĂ©s par un marteau-piqueur - Le cercueil le plus gros jamais fabriquĂ© par des aveugles - ...

Cette liste est tout bonnement dĂ©mocratique, quantifiable, pas dangereuse pour un sou et rĂ©pond aux critĂšres posĂ©s par la vĂ©nĂ©rable institution britannique
 De quoi guider le peuple vers les horizons les plus rĂ©jouissants : suivant ce principe « un record pour tous », chaque ĂȘtre sur Terre pourra inscrire son nom dans une notice du Guinness Book des Records. Noirs ou blancs, valides ou invalides, hommes ou femmes, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, Ă  roulettes ou en pogo stick.Immortels, nous serons immortels, tels 300 Spartiates dĂ©glinguant des milliers de Perses, plongeant avec allĂ©gresse dans un puits sans fond de gloire warholienne


Et ce puits s’appelle

[1] En marseillais dans le texte : signifie « avoir peur »  [2] Et toujours pas de portĂ© par le phallus... Plus globalement, Guinness rejette toute allusion aux « membres » reproducteurs, y compris dans la section « Poils et cheveux ». A la page 26 de l’édition 2009, il y a bien la plus grande lunette astronomique qui s’érigĂ© fiĂšrement tel un gros pĂ©nis bionique, mais bon
 [3] On le voit sur la photo, la charge est en fait une femme : cette notice est donc un brin misogyne. [4] Une sorte de pompe Ă  vĂ©lo sur ressort, permettant de sauter tel un vif kangourou.

[1] En marseillais dans le texte : signifie « avoir peur »  [2] Et toujours pas de portĂ© par le phallus... Plus globalement, Guinness rejette toute allusion aux « membres » reproducteurs, y compris dans la section « Poils et cheveux ». A la page 26 de l’édition 2009, il y a bien la plus grande lunette astronomique qui s’érigĂ© fiĂšrement tel un gros pĂ©nis bionique, mais bon
 [3] On le voit sur la photo, la charge est en fait une femme : cette notice est donc un brin misogyne. [4] Une sorte de pompe Ă  vĂ©lo sur ressort, permettant de sauter tel un vif kangourou.

Et PogoStickMan s’en rĂ©jouit : « Bizarre ? Pour vous peut-ĂȘtre. Mais pour moi, ça dĂ©montre bien les capacitĂ©s illimitĂ©es de

Page 3: PHILIP GLASS - Numilog

LA GUERRE TIÈDE

NEW-YORK, BERLIN, ENGHIEN-LES-BAINS
 OU LA GUERRE DES TRONCHÉS.PAR GUY-MICHEL THOR

Ancien blouson noir des sixties reconverti « hippie par dĂ©pit », Guy-Michel Thor reste un acteur incontournable de l’underground français. En cinquante ans, l’essayiste rock’n’roll a rencontrĂ© les plus grands, de Ringo Ă  Johnny en passant « par Grace Jones (« croisĂ©e par hasard ») et l’androgyne Marie France (« baisĂ© pas rasĂ©e »). Depuis son bunker d’Enghien-les-Bains, Guy-Michel analyse le monde tel qu’il n’est plus.

5En fixant les vinyles posés au sol du parquet flottant,

soixante-deux ans aprÚs ma naissance, je sens bien que quelque chose a déconné. Faut pas croire pourtant,

passĂ© un certain Ăąge, on s’habitue presque Ă  tout. Le mariage, la calvitie, les mauvaises rĂ©Ă©ditions des Stones (et Charden hein), bobonne qui veut plus parce qu’elle met plus de tampon, Johnny en chaise roulante


Ce matin lĂ , en me grattant l’entrejambe, je suis retombĂ© sur mon fils Brandon. Par hasard hein ; passĂ© un certain Ăąge on cherche aussi Ă  Ă©viter sa descendance. Y’avait son futal descendu jusqu’aux genoux (la mode, moi j’y comprends plus rien depuis la fin du perfecto, ceux de mon ami Mourousi), le tĂ©lĂ©phone qui fait haut-parleur et ses albums de fiottes jouĂ©s par trois garçons coiffeurs de seconde zone.

« Comment ça s’appelle ce truc-lĂ , ouais lĂ , le truc avec des guitares de tarlouze pas branchĂ©es et la voix de canard passĂ©e au 220V. SOAN, tu dis ? »

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PPDA annonçait la chute du communisme et Guy-Michel poussait fort pour ouvrir les portes d’un autre paradis, ah ah ah ! Cette nuit-lĂ , je l’avais limĂ© trĂšs fort la dĂ©mocratie, c’était une ex-groupie de TĂ©lĂ©phone devenue fan de Goldman sur le tard. LĂ  aussi, j’aurais pourtant dĂ» me mĂ©fier, tous les signes Ă©taient au rouge, moi y compris. « On l’appellera comment s’il y a un accident ? J’ai oubliĂ© ma pilule » avait-elle criĂ©, sur la face B de Lou, en sueur. « Ce sera Brandon, en l’honneur des amĂ©ricains », avais-je rĂ©pondu l’air trĂšs solennel, mi-sĂ©rieux mi-vidĂ© par tant d’émotions.

How do you think it feels / when you’re speeding and lonely, come here baby / How do you think it feels / when all you can say is if only

(How do you think it feels, in Berlin)

Alors, aprĂšs Berlin, quoi ? Mon espoir s’était simplement perdu au fond d’une impasse, d’un vagin, appelez ça comme vous voulez, ce serait la fin des doctrines, le dĂ©but des idĂ©es au logis : On aurait des enfants, des Ă©crans plus plats que nos femmes et des implants pour frimer dans les galeries marchandes en Ă©coutant U2. Ca rappelait la guerre, c’était dĂ©jĂ  ça de gagnĂ©, pour nous les rĂ©formĂ©s du rock’n’roll.

Comme tous les vieux empapaoutĂ©s de 68, j’ai tout connu. De loin, bien sĂ»r. A chaque Ă©poque ou presque, des riffs, des filles et des guerres, parfois mĂȘme tout Ă  la fois. Et sans payer. Oh bien sĂ»r, je vous lis d’ici : « Qu’est-ce qu’il vient nous bassiner le vieux Guy-Michel, avec ses histoires d’anciens combattants et son bol de RicorĂ© qui refroidit ? ». Bande de jeunes cons, vous ĂȘtes tous des Brandon en puissance, dĂ©pourvus de combats et d’ennemis. Pourtant, jusqu’à votre naissance, la guerre c’était comme la moustache : honteuse, plus personne n’en voulait mais on la voyait partout. C’était surtout l’assurance des lendemains meilleurs. Pendant trente ans, tout s’était enchaĂźnĂ© aussi facilement qu’une cystite Ă  Woodstock, on y avait cru dur comme barre de fer Ă  nos rĂ©volutions :

On avait vĂ©cu l’aprĂšs-guerre, VLAM, les dĂ©buts du rock’n’roll, la crise de Cuba en 1962, HOP, le dĂ©but des Beatles, la guerre du Viet-Nam, ZWIM, c’était les Who Ă  l’Isle de Wight (pour les copains, moi j’étais malade. Naturisme + Guy-Michel = bronchite aigĂŒe). Quoi, le choc pĂ©trolier de 1973 ? Ca donnait les New York Dolls pardi ! Pour les nostalgiques de la premiĂšre guerre en Afghanistan en 78 (contre les soviets, bang bang !), restaient les dĂ©buts du Disco et pour les autres
 le punk. Les annĂ©es 80. Silence ou presque, dĂ©jĂ  plus difficile de trouver une bataille, c’était le tressautement des fusils, plus personne n’y croyait vraiment et Bowie jouait hĂ©las du synthĂ© pendant que je « libĂ©rais » les derniĂšres groupies du Palace. Jusqu’à ce maudit soir de 1989
 Vous connaissez la fuite.

Mes derniers jeans trouĂ©s, ils datent de la derniĂšre vraie guerre, en 1991. Enfin, si seulement
 Les dĂ©buts du grunge plutĂŽt, pour une poignĂ©e d’irakiens sans piste de dance, foi de Guy-Michel, avant le silence radio. La suite, vous la connaissez mieux que moi. Les annĂ©es du vide, vos annĂ©es zĂ©ro, un Boeing qui s’écrase sur un malentendu, des remakes d’affrontements qui n’existent pas dans des pays dĂ©jĂ  visitĂ©s et une tripotĂ©e de lopettes en jeans serrĂ©s avec une cuillĂšre d’argent coincĂ©e au fond du gosier. Alors ouais, une bonne guerre
 Mais qu’on ne parle plus jamais de tempĂ©rature. Souvent le soir, quand bobonne et Brandon sont au pieu, il m’arrive parfois de me relever pour remettre un vinyle sur la chaine, remettre quelques instants encore le doux son de la guerre froide sur les enceintes. Vingt ans plus tard, je comprends enfin, foi de rockeur, que le monde ne fut plus jamais pareil aprĂšs la chute du mur. Et surtout plus un seul bon album de Lou Reed. VoilĂ , en fait, la fin de la guerre froide, ça se rĂ©sume Ă  cela :

plus jamais un seul disque potablede cette grosse feignasse

de Lou Reed.

Caught between the twisted stars the plotted lines the faulty map / that brought Columbus to New York / Betwixt between the East and west he calls / on her wearing a leather vest.(Romeo Had Juliet, in New York)

BAM. MĂȘme pas dix heures du matin et voilĂ  Brandon avec sa premiĂšre trempe de la journĂ©e, direction les jupes plissĂ©es de sa vieille fripĂ©e. De mon temps au moins, ça cravachait Ă  la ceinture, ça partait faire son service militaire, ça partait en

Indochine pour faire la... Bordel ! J’avais tout compris d’un coup. « Les jeunes d’aujourd’hui, il leur manque surtout une bonne guerre », comme disait dĂ©jĂ  mes vieux. Tout ça pour dire qu’aprĂšs la torgnole au morveux, j’ai repris un Temesta, le LSD des anciens yĂ©yĂ©s. Pour tout oublier.

N’empĂȘche. On pourra vous enfoncer toutes les bondieuseries du monde au fond du rectum, le meilleur ami de l’Homme, c’est le vinyle. Plus prĂ©cis qu’une femme, moins encombrant qu’un chien, ça fait remonter le souvenir plus vite qu’un album photo. Le gamin, on l’avait conçu en 1989, Ă  la chute du Mur de Berlin, en Ă©coutant Lou Reed, justement. Cette fois-ci c’était New-York, comme un signe, dĂ©jĂ , que le monde avait changĂ©. Je me souviens trĂšs bien, on en avait parlĂ© avec les potes au studio de Bagnolet : « Incroyable le retour du LouLou hein, son meilleur album depuis Street Hassle ».

On l’avait mĂȘme passĂ© Ă  notre gala de province pour la reformation de notre groupe, les Saint-Etienne Dolls. Bref. Cette soirĂ©e lĂ , le vinyle tournait en boucle, c’était dĂ©jĂ  ma derniĂšre soirĂ©e d’homme libre :

« Tiens prend-toi ça entre les jambes, tu la sens ma libertĂ© au fond de tes reins ? Et lĂ , tu l’aimes mon monde rĂ©unifiĂ© ? ».

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Notre Ă©poque est une chrysalide qui Ă©volue, et maintenant que tout le monde baigne dans le pessimisme, j’ai plus de plus en plus de plaisir Ă  ĂȘtre 100% le contraire. La crise passera, la sociĂ©tĂ© se transforme Ă  la vitesse de l’humain, nous sommes dĂ©jĂ  en gestation de la nouvelle. L’économie qui s’écroule ? C’est merveilleux,

Je fais confiance Ă  l’ĂȘtre humain, parce que je m’observe, parce que je suis plein de bons sentiments, et que les rĂ©actions humaines comme la gĂ©nĂ©rositĂ©, la crĂ©ativitĂ©, l’amour, tout ce qui donnent espoir
 tout cela existe. Pourquoi ne pas y croire ? J’ai dĂ©passĂ© l’art de l’absurde, et cette histoire de fin de siĂšcle en malaise me semble totalement artificielle. Le temps est une notion crĂ©e par l’homme, mais le temps n’existe pas en dehors de nos consciences.

L’homme vit dans un dĂ©veloppement continuel, et les mouvements de contestation tels que le futurisme, tout en Ă©tant incontournables, restent marginaux et terriblement fasciste. Le futurisme reste un mouvement qui chante la guerre, tellement stupide que ses fondateurs partirent se faire tuer Ă  la guerre ! Comme toutes les rĂ©volutions ont Ă©chouĂ©, il y a un changement collectif qui s’opĂšre en nous, nous nous dirigerons vers une communication mondiale et le mouvement collectif. Internet, le tĂ©lĂ©phone portable, toutes ces choses nouvelles datent du 21° siĂšcle, ce ne sont que des prolongements de notre dĂ©veloppement, nos mutations.

SURE REALISM

COMMENTDÉPASSER LE FUTURPAR ALEJANDRO JODOROWSKY

Etre positif au 21Ăšme siĂšcle, c’est l’état de rĂ©bellion avancĂ©.La vulgaritĂ©, dans le monde actuel, c’est ĂȘtre nĂ©gatif.

Comme ma recherche de l’Incal voilĂ  quarante ans, le livre portable, la tĂ©lĂ©pathie, et les nouveaux jeux vidĂ©os sauront guider vers l’illumination, Dieu appelle ces technologies les « impensables », le chemin vers la conscience universelle. L’univers est une entitĂ© qui pense, et nous, humains, avons Ă©tĂ© programmĂ© pour dĂ©velopper les techniques, les intĂ©grer Ă  notre fonctionnement. L’individu est mortel, l’humanitĂ© lui survit, et ces renouveaux, ne sont pas l’annonce d’un nouveau futur. Comme l’acte de psychomagie que je pratique, ce n’est pas dire la vĂ©ritĂ©, c’est un art, pas un travail. Il aide les gens Ă  se rĂ©aliser, les pousser vers leurs rĂ©alisations. Le guide va toujours devant, moi je pousse vers la rĂ©alisation.

Je ne vois pas le futur, je ne donne pas de conseils, ma voix c’est de proposer des options. L’esprit doit ĂȘtre dans un premier degrĂ© androgyne, puis dĂ©passer cette Ă©tape, atteindre le niveau de la conscience pure, Mais il ne faut pas confondre les corps, l’esprit est androgyne, mais le physique, lui, doit rester masculin ou fĂ©minin. Une sociĂ©tĂ© de transsexuels et d’androgynes n’a pas d’avenir, alors que l’univers, dans un sens, possĂšde paradoxalement une conscience qui dĂ©passe le problĂšme de la reproduction.

Comme le karatĂ©, la conscience a des degrĂ©s, des dĂ©veloppements majeurs de la technique reprĂ©sentĂ©s par des niveaux Ă  dĂ©passer. Quand on arrive au sommet de la conscience, tout disparaĂźt, la sexualitĂ© avec. La pornographie, par exemple, n’est qu’une partie de la relation humaine, ce n’est pas une relation complĂšte.

L’apocalypse de St Jean n’est pas nĂ©gative, elle donnera Ă  l’ĂȘtre humain l’immortalitĂ©. Il faut comprendre l’apocalypse comme l’arbre qui donnera l’immortalitĂ© aux hommes, comme la rĂ©solution de la genĂšse biblique. Adam et Eve mangent les fruits de l’arbre de la connaissance, ils connaitront la mort, l’apocalypse est donc une mutation vers l’éternel, c’est l’autre versant. Dans une Ă©poque religieuse, la musique suit, dans une Ă©poque rationnelle, la musique se joue sur sept notes, quand l’époque est spirituelle, on va vers du soufi, dans une Ă©poque sans valeurs, c’est le disco, quand l’humanitĂ© est angoissĂ©e, c’est la musique actuelle, technologique.

La musique, les chansons, sont le reflet des Ă©poques, et l’état de conscience de l’homme l’amĂšnera simplement Ă  d’autres musiques, le retour au divin dans le sens de conscience.

A travers les nouvelles technologies, nous devenons simultanément des méta-humains et des méta-idiots. La technologie offre tout cela à la fois. Les vrais mutants sauront contrÎler les débordements technologiques.

L’avenir de l’humanitĂ©, c’est l’interactivitĂ© artistique.

Pouvoir crĂ©er grĂące aux machines des musiques qui lui sont propres, chanter parfaitement l’opĂ©ra et « ĂȘtre » Edith Piaf Ă  travers les machines. Il y aura des salons silencieux et 100.000 personnes danseront Ă  leurs propres rythmes, sur leurs propres mĂ©lodies, dans le grand silence collectif. C’est la notion de public qui disparaitra, et si l’artiste ne peut mourir, il se rĂ©invente. Tout le monde sera artiste, et les gens se regrouperont par famille. C’est cela l’avenir ; un sentiment extrĂȘmement positif.

Alejandro Jodorowsky est essayiste, rĂ©alisateur, acteur, scĂ©nariste, poĂšte, auteur de bande dessinĂ©e, disciple dumime Marceau et expert en psychomagie. Quatre-vingts ans, dont cinquante de carriĂšre au compteur, et il reste l’un des piliers de la science-fiction du XXiĂšme siĂšcle. Vi-sion-naire.

PROPOS RECUEILLIS PAR BESTER L.

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Tout ça remonte Ă  loin, prĂšs de 30 ans, et la mĂ©-moire n’est pas infaillible, c’est en partie quelque chose que nous construisons. Je ne peux donc ĂȘtre sĂ»r que ce que je dis lĂ  est conforme aux choses telles qu’elles se sont passĂ©es.

A ma sortie d’hĂŽpital j’essayais juste de mettre en forme les idĂ©es que j’avais accumulĂ©es durant ce sĂ©jour. J’avais passĂ© presqu’un an sans autre chose Ă  faire que rester au lit et Ă©couter ce qui se passait dans ma tĂȘte. Au bout d’un moment j’avais fini par visualiser un ensemble. Ça devait reprĂ©senter quarante minutes de musique. Je ne pouvais pas retenir plus. Je m’étais dit que ça pourrait faire un album. J’étais donc content de pouvoir me remettre au travail. Mon ambition Ă©tait des plus modestes : trouver le moyen de continuer Ă  faire de la musique alors que je ne pouvais plus ĂȘtre batteur. A l’hĂŽpital, dĂšs que j’avais repris conscience, je l’avais dit aux musiciens « Je crois que vais rester lĂ  un moment. Je ne vais pas pouvoir continuer Matching Mole. » La vie de groupe, les tournĂ©es, tout ça pour moi c’était fini. En un sens c’était libĂ©rateur, mais c’était une libertĂ© effrayante. Sans les musiciens de talent qui m’avaient accompagnĂ©, je n’étais pas sĂ»r de pouvoir refaire un disque.

J’avais toujours fait partie d’un groupe. A mes dĂ©buts, dans les annĂ©es 60, avec un groupe local, nous reprenions des standards de pop, de country et de rythm’n’blues pour faire danser les gens dans les bars. J’essayais de chanter ça en y mettant ma patte. Des mecs comme Joe Cocker et Rod Stewart excellaient Ă  ce jeu-lĂ . S’appro-prier l’accent amĂ©ricain et les voix viriles de Sam Cook et de Ray Charles, c’était vraiment leur truc. Moi pas. J’avais un timbre trop androgyne et j’aimais trop les voix de femmes comme celles de Dionne Warwick et du label Motown. Il fallait que je trouve ma propre façon de chan-ter et de faire de la musique. Les alĂ©as de ma vie m’ont poussĂ© dans ce sens. Au-jourd’hui ma musique n’est ni rock ni vraiment jazz et j’utilise ma voix comme un instrument. Ça ne veut pas dire que la voix est un instrument comme les autres. La voix n’est pas un instrument comme les autres. C’est un instrument plus limitĂ© que les autres, mais c’est le seul que tout le monde entende et que tout le monde sache jouer. A notre naissance, via notre mĂšre, c’est mĂȘme notre contact privilĂ©giĂ© avec le monde. Tout ça en fait un instrument spĂ©cifique, qui implique certaines attentes et certaines responsabilitĂ©s.

Je ne me suis jamais considĂ©rĂ© comme un chanteur mais peu de temps avant mon accident, j’avais commencĂ© Ă  dĂ©velopper ma propre idĂ©e de ce que je devais chanter. Ça impliquait que je me mette au clavier et que je me considĂšre comme un compositeur-arrangeur malgrĂ© mes maigres compĂ©tences techniques. Avant de faire Ă©ventuellement appel Ă  d’autres musiciens, je devais pou-voir retranscrire seul les atmosphĂšres que j’avais en tĂȘte. A l’époque je m’étais remis Ă  composer, je travaillais sur le matĂ©riel censĂ© nourrir le troisiĂšme album de Matching Mole, j’avais des bouts, des liens entre les morceaux. Je frĂ©quentais Alfie depuis peu. Elle me disait qu’elle aimait ce que je jouais depuis dix ans, mais qu’elle trouvait ça trop dense, trop crispĂ©. Pour elle, j’avais tout Ă  gagner Ă  ralentir le tempo, simplifier les structures. Aller vers l’es-pace, vers la lumiĂšre. Elle m’avait offert un petit clavier. C’est la base du son de Rock Bottom. De mon cĂŽtĂ©, je m’étais lancĂ© dans des improvisations vocales avec des amis comme Gary Windo. Ce genre de chant se retrouve sur le disque.

Peu importe ce qui a Ă©tĂ© fait avant ou aprĂšs l’accident. Peu importe que je sois en train de jouer du clavier Ă  Venise auprĂšs d’Alfie ou clouĂ© sur mon lit d’hĂŽpital Ă  rĂ©flĂ©chir et rĂȘver.

L’album se situe sur un autre plan. Je ne dis pas que l’accident n’y est pour rien. En un sens, j’ai eu de la chance d’ĂȘtre allĂ© Ă  l’hĂŽpital. Pendant prĂšs d’un an je n’avais eu aucune responsabilitĂ©. Je n’avais pas eu Ă  chercher de travail, Ă  me faire Ă  manger, Ă  payer de loyer. Ne pouvant plus marcher, je n’avais rien d’autre Ă  faire qu’à rester au lit et Ă©couter ce qui se passait dans ma tĂȘte. Curieusement, il y avait un piano dans la salle des visites. Elle Ă©tait constamment vide parce qu’en toute logique les vi-siteurs restaient dans la chambre de leurs proches. Mais c’est lĂ  que j’ai composĂ© tous les passages de piano de Rock Bottom. Les paroles, elles, ont au-tant Ă©tĂ© Ă©crites avant qu’aprĂšs l’accident. Elles n’en dĂ©coulent pas. Souvent les mots n’y ont d’ailleurs aucun sens prĂ©cis. Je me suis juste projetĂ© dans l’espace que j’avais en tĂȘte, j’ai chantĂ© et c’est ce qui est sorti.

Le 1er juin 1973, l’esprit chantant des cymbales de Soft Machine et de Matching Mole fait une chute de quatre Ă©tages qui le laisse paraplĂ©gique ad vitam. Six mois avant c’était un amant transi vĂ©nitien ; un an plus tard ce sera l’auteur du monument progressif Rock Bottom.

ROCKBOTTOM L’ESPACE DU DEDANS PAR ROBERT WYATT PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVAIN FESSON, AVEC L’AIDE DE BERTRAND BURGALAT

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A l’époque de sa sortie Alfie l’ignorait ; elle ne savait mĂȘme pas que Sea Song parlait d’elle. Elle pensait que ça parlait de choses plus abstraites. En un sens c’était vrai, mais c’était surtout une description d’elle et de ce que ça signifie de vivre avec une femme. C’est un immense privilĂšge. Leur sang est liĂ© avec la lune et la mer. Comme elles, elles ont des cycles qui les affec-tent. Ce n’est pas un scoop de le dire. D’ailleurs beau-coup de clichĂ©s ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©crits Ă  ce sujet. Mais Sea Song en remettait une couche ! Tout ça pour dire que ce n’est pas parce qu’on aime quelqu’un au point de former cet animal qu’on appelle « un couple » qu’on sait tout de lui. Notre partenaire peut traverser des choses dont on n’a pas idĂ©e, ne serait-ce parce qu’elle a son propre espace, ses pensĂ©es. C’est quelque chose qu’il ne faut pas l’oublier.

Pour la pochette de Rock Bottom, Alfie – qui rĂ©a-lise seule l’artwork de mes disques – voulait quelque chose de sobre pour prendre le contre-pied de tous ces disques psychĂ©dĂ©liques et colorĂ©s qui envahissaient les bacs Ă  l’époque. Elle s’était mise en tĂȘte de faire une image nostalgique, Ă©voquer ces souvenirs issus de l’enfance qui incarnent une certaine conception du bonheur, de l’innocence, ce genre de choses archaĂŻques qui restent dans l’inconscient collectif. Le dessin du Steam Ship en est une par exemple. C’est un gros bateau Ă  vapeur, ça ne se fait plus aujourd’hui.

Alfie a eu l’idĂ©e de deux enfants qui jouent sur la plage, d’une fille et d’un garçon qui passent un moment comme ça, isolĂ©s.

Elle a aussi dessinĂ© des reproductions de dessins de flore sous-marine. Elle avait trouvĂ© ça dans de vieux livres de sciences naturelles. C’était des ouvrages

Pendant la fin de l’enregistrement – qui a surtout eu lieu au studio The Manor de Richard Branson – Mike Oldfield Ă©tait souvent lĂ . Le gros son Ă  base de gui-tares et de claviers de la derniĂšre partie du disque, c’est son idĂ©e. Je n’y avais pas pensĂ© car je ne suis pas portĂ© sur instruments Ă©lectriques, je prĂ©fĂšre les acoustiques. C’est en partie pour ça que j’écoute peu de rock. Aujourd’hui je n’écoute quasiment pas de musique chantĂ©e.

Le chant qu’on entend sur le dernier morceau du disque est d’Ivor Cutler, un poĂšte Ă©cossais qui venait nous voir jouer presque tous les week-ends du temps de Matching Mole, et qui montait souvent sur scĂšne pour rĂ©citer ses poĂšmes sur fond d’harmonium. Sa participation Ă  Rock Bottom est un hasard. Il avait une voix trĂšs particuliĂšre. Je ne m’étais pas prĂ©occupĂ© de savoir si la mienne convenait au texte que j’avais Ă©cris, je lui ai demandĂ© de le lire et comme ça rendait bien j’ai laissĂ© sa voix. Du coup je n’y chante rien, mais ce n’est pas grave. Je me fichais que ce soit ma voix ou pas, je voulais juste retrouver le son que j’avais en tĂȘte. Le transport. Je ne pense pas m’en ĂȘtre Ă©loignĂ©. Enfin je dis ça, je n’ai vraiment su ce qui m’habitait que le jour oĂč j’ai commencĂ© l’enregistrement avec les musiciens.

Il y a environ deux ans sur son album intitulĂ© The Bairns, le groupe folk de Rachel Unthank, The Winter-set, a repris Sea Song. Leur version est plus sobre que la mienne, mais trĂšs belle. Quand je l’ai entendue je me suis souvenu que c’était plus ça que j’avais ini-tialement en tĂȘte. Le solo de la pianiste est vraiment trĂšs proche de ce que je souhaitais atteindre. Le mien est complĂštement parti ailleurs une fois que je l’ai enregistrĂ©. L’improvisation vocale de la fin, les sons bizarres, la production de Nick Mason, tout ça s’est ra-joutĂ© en studio, mais si Rock Bottom avait dĂ» ĂȘtre un vrai album solo, Sea Song aurait plutĂŽt sonnĂ© comme ce qu’en a fait Rachel Unthank.

Sea Song est la premiĂšre plagede Rock Bottom.

T.S. Eliot a dit une belle chose. Il a dit que ses lec-teurs comprennent sans doute mieux ses poĂšmes que lui-mĂȘme. Je vois trĂšs bien ce qu’il veut dire : quand j’écoute de la musique, par exemple celle de Duke Ellington ou de Charles Mingus, je sais parfaitement ce qu’elle signifie pour moi, mais je n’ai aucun moyen de dire si c’est ce que le type avait en tĂȘte. Ce que l’ar-tiste vise et ce que les gens voient dans son Ɠuvre sont deux choses diffĂ©rentes. De toute façon je ne crois pas que la musique parle de tristesse ou de bonheur, de so-leil ou de ciel gris. C’est comme se dire « De quoi parle une fleur ? » Penser la musique en ces termes peut donc dĂ©tourner de sa vraie nature, de ce qu’elle a Ă  offrir. Je pense que ma musique Ă©chappe Ă  ces critĂšres mĂ©tĂ©orologiques simplistes. Nos Ă©tats d’ñmes aussi. Ils sont plus complexes. Alors bien sĂ»r, parfois ils se radi-calisent, c’est notamment le cas lorsque nous sommes dĂ©primĂ©s. Mais moi, quand je le suis je n’arrive Ă  rien. Si je finis un morceau et qu’il se retrouve sur disque, ça veut donc dire que je me sentais plutĂŽt bien quand je l’ai Ă©crit et confiant quand je suis sorti de studio.

Une fois que j’ai eu toute la matiùre – six morceaux et pas un de plus si mes souvenirs sont bons – j’ai voulu accueillir d’autres couleurs.

Sur certains morceaux je ne me sentais par exemple pas capable de jouer telles parties de basse, et encore moins de la trompette. Et, autant sur certains mor-ceaux je pouvais me contenter de mes propres per-cussions, autant sur d’autres je voyais bien que j’avais besoin d’un autre batteur. Pendant l’enregistrement, j’ai donc fait appel Ă  des musiciens en fonction des be-soins spĂ©cifiques de chaque chanson. C’était la bonne mĂ©thode de travail. J’ai tour Ă  tour sollicitĂ© les ser-vices de Gary Windo Ă  la clarinette et au sax tĂ©nor, de Montgezi Feza aux trompettes, d’Hugh Hopper et de Richard Sinclair Ă  la basse et de Laurie Allan Ă  la bat-terie. D’autres contributions sont plus accidentelles, notamment celle Mike Oldfield et d’Ivor Cutler.

datant des dĂ©buts de la rĂ©volution industrielle. Ils parlaient d’un monde oĂč la nature avait plus de place dans la vie des gens, oĂč la photographie n’existait pas encore. Ils montraient donc de beaux dessins d’oiseaux, d’arbres, de plantes. On en achetait plein. Surtout ceux qui parlaient de dĂ©couverte de la vie sous-marine. Les gens rĂȘvent souvent de voyage dans l’espace, de rencontres extraterrestres, mais en un sens pour nous cette vie sous-marine a toujours Ă©tĂ© plus fascinante. Cette autre forme de vie, on est sĂ»r qu’elle existe. Au fond des mers de notre planĂšte vivent vraiment des ĂȘtres qui n’ont plus rien de com-mun avec les poissons et tous les autres animaux que nous connaissons. On ne peut juste pas la voir ! Enfin maintenant on peut car nos instruments ont atteint ces zones de pressions mortelles et ramener des pho-tos, mais ça reste du domaine de l’incroyable.

Cette vie sous-marine m’a toujours Ă©voquĂ© ces autres mondes qu’on a en tĂȘte et qui resurgissent parfois lorsqu’on crĂ©e. Ce n’est qu’une mĂ©taphore mais la vie vient des ocĂ©ans. Nous sommes que des crĂ©atures aquatiques qui tentent de vivre sur terre. Je crois que c’est ce genre de livres qui m’a donnĂ© l’idĂ©e d’appeler ce disque Rock Bottom.

Je ne pensais pas que cet album aurait un pu-blic. Quand je l’ai fini, comme Ă  chaque fois que je fini un disque, je me suis dit « Ça y est, la source s’est tarie, je suis cuit ». J’étais donc heureux que les gens l’aiment. En France, on m’a mĂȘme dĂ©cernĂ© un prix spĂ©cial, le Prix Charles Cros que je suis allĂ© recevoir Ă  Paris. Ça m’a rĂ©confortĂ© de voir qu’on acceptait ma nouvelle façon de travailler.

Un jour, des annĂ©es aprĂšs sa sortie, Rock Bot-tom a Ă©tĂ© rĂ©Ă©ditĂ©. Alfie a alors pensĂ© que l’artwork n’était plus en phase avec l’époque. Elle a eu une nouvelle idĂ©e. Elle a fait une peinture trĂšs colorĂ©e qui met l’accent sur les enfants qu’on voyait dans l’ar-riĂšre plan de la premiĂšre pochette. Je crois que l’idĂ©e lui a inconsciemment Ă©tĂ© soufflĂ©e par la rĂ©vĂ©lation du sens de Sea Song. Quelque part, cette femme et cet homme qui rejoignent la flore sous-marine, c’est nous.

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ARCHIPELDans les années 80, le rock alternatif était à la province, ce

que le zouk est aux ßles. Une bande-son, un folklore. « Le monde est une vraie porcherie/ Les hommes se comportent

comme des porcs ! », bienvenue Ă  Vesoul, Laval, Montpellier, Roubaix, Carpentras
 Aloha !

Dans l’archipel de Saint-Étienne, il Ă©tait hors de question de contourner les BĂ©ruriers Noirs, Ludwig Von 88, Parkinson Square, Washington Dead Cats, OTH,

les Sheriffs, Mano Negra, Los Carayos, Les Rats ou les Garçons Bouchers
 Et, finalement, tant mieux. Sans eux, nous Ă©tions bons pour Uzeb Ă  la MJC, des groupes de quarantenaires du cru, les tĂȘtes d’affiches de la variĂ©tĂ© « qualitĂ©

France » ou, pire que tout, les troupes de théùtre.

Les groupes alternatifs montaient des labels avec une volontĂ© d’acier, Ă©cumaient le moindre coin de France pour se faire entendre. Cet acharnement Ă©tait leur

force et leur immense mĂ©rite. Aujourd’hui, le Velvet et Coltrane s’écoutent Ă  15 ans et il est de bon ton de railler cette scĂšne. Mais chaque adolescent provincial

des 80’s le sait bien, au fond : il a une dette envers ces groupes. On peut tordre le nez et lever le petit doigt en se remĂ©morant les salles dĂ©gueulasses, les sonos de

bal, les stands anarchistes, les bandes de punks à chiens et les Doc Martens basses mais tout cela a sauvé pas mal de nuits. RéguliÚrement, une baston concluait la

soirĂ©e. On revenait sourds, on avait eu les foies, merci mon Dieu
C’était aussi une pĂ©riode un peu schizophrĂšne. Les playlists du jour ne

correspondaient pas forcĂ©ment Ă  celles de la nuit. Tomber en arrĂȘt Ă  l’écoute de The world won’t listen des Smiths, le faire tourner des heures durant avant d’aller voir Les Rats le soir mĂȘme nĂ©cessitait une maĂźtrise certaine du grand Ă©cart. Il ne

fallait pas y penser plus que ça et, de toute façon, Morrissey semblait Ă©prouver quelques difficultĂ©s Ă  situer Saint-Étienne sur une carte. Et puis Les Rats ne

lisaient peut-ĂȘtre pas Oscar Wilde avec un bouquet de fleurs dans les fesses mais ils ne jouaient pas Ă  l’économie. GlaĂŻeuls contre glaviots ? C’était tranchĂ©.

Mieux vaut un vendredi soir dans une salle de concert qu’à la table familiale. Non ?

MOELLONS- Parabellum joue samedi, on se retrouve devant ?- Ils sont avec qui ? - Je sais pas, on verra.

Vers 1988, l’enthousiasme s’émoussait. Revoir Parabellum pour la cinquiĂšme ou sixiĂšme fois, forcĂ©ment
 Mais le permis de conduire Ă©tait encore loin et les boĂźtes de nuits ne constituaient mĂȘme pas une option (« je te jure, ils passent U2, ils dansent sur cette merde ! Ils lĂšvent les bras et tout
 »). Alors, Parabellum, one more time, pourquoi pas ?

A tout seigneur, tout honneur, ils jouaient en dernier. Il fallait donc s’envoyer d’abord 45 minutes de percussions africaines, accompagnĂ©es de danses tribales. Insupportables, mĂȘme Ă©coutĂ©es de l’extĂ©rieur, Ă  travers les couches de bĂ©ton. Il faisait beau, la fin d’aprĂšs-midi s’étirait et le soleil descendait derriĂšre un panneau de basket. « Panier » a murmurĂ© Jean-François, une fois le soir tombĂ©, en essayant de retenir la bouffĂ©e du jointencore quelques secondes.

- Ces trous du cul de percus de merde ont jouĂ© de jour, mĂȘme pas eu l’idĂ©e d’attendre
 Vraiment de gros nazes. - C’est qui aprĂšs ?- Les Thugs.

Je connaissais. Un certain Sylvain m’avait passĂ© un maxi, intitulĂ© Dirty white race et mĂȘme un album Ă  la pochette rouge et jaune. J’avais rapidement classĂ© ça dans la catĂ©gorie « hardcore », sans doute parce que c’était l’appartenance officielle du Sylvain en question. Il devait ranger les disques que je lui prĂȘtais dans la case « pop, trop mĂ©lodique, un peu pĂ©dĂ© » puisque je dĂ©fendais les Smiths en public.

- Bon on va voir ce que ça donne ? Ca ne peut pas ĂȘtre pire. Nous avons regagnĂ© la salle en montrant le coup de tampon sur nos poignets Ă  un type au crĂąne rasĂ©, en grande discussion sur le « straight edge » avec un punk en fauteuil roulant. Un vendredi soir, un de plus. Il allait pourtant ĂȘtre le dernier de son espĂšce.

Ce concert a fait voler en Ă©clats quatre ou cinq ans – sans doute beaucoup plus, en rĂ©alitĂ© – d’habitudes, de prudence, de fainĂ©antise prĂ©coce. Les Thugs n’étaient pas du tout impressionnants au moment de monter sur scĂšne, en t-shirts et mĂȘme pour l’un d’entre eux en bas de survĂȘtement je crois. Aujourd’hui, ce dĂ©tail me fait l’effet d’une ruse pour bĂ©nĂ©ficier de l’effet de surprise.

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Le premier accord, la premiĂšre seconde a tout balayĂ©. Un bloc, un rĂ©acteur d’avion, que sais-je
 aucune comparaison ne rendrait justice aux son des Thugs sur scĂšne. Je me souviens tout de mĂȘme avoir pensĂ© Ă  une muraille de moellons, grise, dure, rĂȘche qui surgissait devant moi et s’élevait avec le morceau. Et le plus beau, c’est que l’on entendait tout dans cette dĂ©flagration, mĂȘme les fameux choeurs noyĂ©s dans la rĂ©verb. Plus vite, plus fort, mieux. Un style, un vrai, de ceux que l’on ne peut approcher qu’en les imitant grossiĂšrement. J’étais un peu Ă©tonnĂ© d’entendre ce son dans ma ville d’enfance comme s’il ne convenait pas au climat, un orage inattendu, « y’a plus de saison, on ne sait plus comment s’habiller, on vient pour un Parabellum des familles et voila ce qui nous tombe dessus. »

A la fin du premier morceau, le « Bonsoir, on s’appelle les Thugs et on vient d’Angers » de rigueur, puis le titre du suivant. Et de nouveau, la raclĂ©e, Ă  fond. Leur musique Ă©tait tellement radicale, Ă  part, qu’elle sonnait forcĂ©ment comme un point final. Il fallait abandonner quelques excĂ©dents de bagages pour suivre ces types.

Quand Schultz, le chanteur de Parabellum, est arrivĂ© plus tard sur scĂšne, j’ai vu qu’il Ă©tait ĂągĂ©. Pour la premiĂšre fois en six concerts, j’ai rĂ©alisĂ© que nous n’étions pas nĂ©s la mĂȘme annĂ©e, pas du tout. Il a dĂ» dire quelques mots sympathiques que j’ai trouvĂ©s dĂ©placĂ©s, vaguement gĂȘnants, comme pour un oncle avec un verre de trop dans le nez. Quand le groupe a attaquĂ©, je tapais du pied deux fois plus vite que leur tempo, encore au rythme des Thugs. L’impression d’écouter un bĂšgue, de patienter poliment pour que ça sorte. Leurs guitares Ă©voquaient dĂ©sormais Status Quo, plus l’ombre d’un doute. Un Status Quo bĂšgue...

Les grandes ruptures « de sociĂ©tĂ© » ne sont connues qu’à posteriori, recousues dans le bon ordre par des historiens officiels. Les seules « rĂ©volutions » que l’on peut comprendre dans l’instant sont personnelles, circonscrites Ă  un crĂąne et une existence. Je venais de vivre, tout Ă  fait consciemment, en direct, les yeux grands ouverts, un changement d’époque, une rupture tectonique. Ce sĂ©isme n’avait vrombi que sous mes semelles de Converse mais je n’en avais pas manquĂ© une miette. Je savais qu’il y aurait un aprĂšs diffĂ©rent, des lendemains autres, j’étais une manif Ă©tudiante Ă  moi tout seul, sans affiche ni slogan, simplement accompagnĂ© d’un mur de guitare dans la tĂȘte. Aujourd’hui encore, je pense qu’il ne peut rien arriver de mieux Ă  un jeune type. Les foules sont bonnes pour se dĂ©fouler ou se fondre, certainement pas pour prendre une dĂ©cision et tenter de s’y tenir. Militants, engagĂ©s, Les Thugs dĂ©testeraient sans doute cette morale individualiste. Mais on ne contrĂŽle pas les ravages des sĂ©ismes que l’on dĂ©clenche. Quand Parabellum a attaquĂ© le deuxiĂšme morceau, j’étais parti.

GRAND’RUE 1 – Monter absolument un groupe. Quoiqu’il arrive. Sortir une dĂ©mo le plus vite possible. Faire des concerts aussi. 2 – Chanter en anglais. Ce n’est pas un problĂšme, les Thugs le font.3 – Acheter, Ă©couter encore plus de disques. ProblĂšmes de budget Ă  rĂ©gler. PossibilitĂ© de vendre les Supertramp de ma sƓur et mes Parabellum.3bis – Accepter s’il le faut ce job d’étĂ© de merde. »

Saint-Étienne est une ville pratique pour qui veut rĂ©flĂ©chir en marchant. La « grand’rue », une interminable avenue, rythmĂ©e par les stations de tramway, relie les deux extrĂ©mitĂ©s de la ville sans le moindre virage. Pour les grandes dĂ©cisions, les mises Ă  plat et les soirs de tabula rasa, on descend gĂ©nĂ©ralement la totalitĂ© de la rue sans mĂȘme s’en rendre compte.

4 – ArrĂȘter ces conneries de dilemme pop/pas pop, typique des alternos. MĂ©lodie avant tout.5 – Ne plus aller voir les concerts de groupe que l’on aime plus, simplement par habitude. Se dĂ©merder autrement. RĂ©pĂ©ter Ă  la place.6 – En finir avec ce complexe de lunettes. Voir chanteur des Thugs.6bis – Ne plus s’excuser pour tout et rien. En finir avec la modestie obligatoire. »

C’était bon de dĂ©valer la « grand’rue » pour autre chose qu’un problĂšmede fille. Je ne chĂŽmais pas, il y avait du pain sur la planche et pas mal de temps dĂ©jĂ  perdu. Allez ! Au pas de charge, au rythme des Thugs. J’ai dĂ» ensuite les voir une dizaine de fois sur scĂšne, attendant Ă  chaque fois

qu’ils dĂ©vastent Little Vera’s song, ce titre qui me flanque le frisson simplement en l’écrivant. Un soir, Ă  Londres, ils ont mis une dĂ©culottĂ©e Ă  Sonic Youth. Les new-yorkais vĂ©nĂ©rĂ©s ont vĂ©cu quelques minutes dans la peau de Parabellum.

7 – Quoiqu’il arrive, ne pas moisir ici. Lyon, dans un premier temps. Paris, aprĂšs ? A voir.7bis – L’échec, le seul impardonnable, ce serait de rester et de revoir un concert de Parabellum. »

Pour tirer les choses au clair, Paris est tout de mĂȘme moins bien fichue que Saint-Étienne et son artĂšre rectiligne. Mais qui vient ici pour rĂ©flĂ©chir ? On attend au contraire que cette ville tranche et dĂ©cide. Les sous-prĂ©fectures ne manquent pas pour se forger patiemment une opinion sur le monde avant de fumer la pipe. Paris a toujours eu le dernier mot sans tenir compte de mes principes, sans jamais Ă©couter mes peurs venues des lotissements de province, cette pondĂ©ration innĂ©e que la classe moyenne transmet comme un patrimoine immobilier.

Le concert parisien de l’ultime tournĂ©e des Thugs, la der des ders, vient de se terminer. Les lumiĂšres se rallument sur les anciens combattants de l’alternatif et quelques fans de noisy-pop, d’indie-rock dĂ©garnis. Le boulevard s’apprĂȘte Ă  nous aspirer pour dissoudre 15 ans d’histoire avec les Thugs, passer Ă  autre chose.

Ils Ă©taient bons, encore. Ils ont mĂȘme jouĂ© Brand new Cadillac, preuve de leur classe intacte. Le sol ne s’est pas ouvert une deuxiĂšme fois mais les ondes de la premiĂšre secousse se sont faitsentir. Je traverse Pigalle en snobant SacrĂ© CƓur et Sexodrome, avec le souvenir d’une salle des fĂȘtes stĂ©phanoise en tĂȘte. Touristes nordiques, AmĂ©ricaines parfumĂ©es devant le Moulin rouge, rabatteurs de peep-show, mateurs, vendeurs de kebabs
 tous semblent au ralenti. Ce soir, Paris piĂ©tine devant moi. Slalom, esquive, insultes retenues de justesse, je cavale sans mĂȘme m’en rendre compte. Au galop, la tĂȘte encombrĂ©e et le regard vide.Encore au rythme des Thugs.

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ET MAINTENANTUNE BD DÉCALÉEET LÉGÈREMENTCORROSIVEPOUR REPOSERVOS YEUXPAR DAV GUEDIN

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Roy Sullivan, garde forestier amĂ©ricain, a Ă©tĂ© frappĂ© par la foudre Ă  sept reprises entre 1942 et 1972. S’il a perdu Ă  chaque dĂ©charge cĂ©leste quelques membres et couches d’épiderme, se pelant peu Ă  peu tel un oignon humain, Roy a nĂ©anmoins Ă©chappĂ© Ă  la mort Ă  chaque coup. Mais plus que tout, Roy est devenu un exemple, un ĂȘtre INCROYABLE rĂ©vĂ©lĂ© par sa malchance. De la fĂȘlure «approved by Guinness» viendra l’humanité  Il mĂ©rite bien cette belle entrĂ©e dans le classement du Guiness World Records. Bravo, on l’applaudit bien fort !

Des chiens qui font du skate, des portables qui convertissent le maĂŻs en pop corn : l’incroyable est devenu banal, se dissimulant Ă  tous les coins de fenĂȘtre Youtube. Heureusement, il existe encore un livre balayant d’un coup sec toutes ces pignolades numĂ©riques : Le Guinness Book des Records, LE GUIDE DE L’EXTRAORDINAIRE. Je vois des sceptiques dans l’assistance, pas de problĂšme, l’objet est accompagnĂ© d’un sympathique argumentaire : 55 annĂ©es Ă  recenser les exploits aux quatre coins du monde, en Ă  peu prĂšs 40 000 notices attestant d’un Guinness World Record (GWR), et ce pour 3 millions de lecteurs avertis. OK les gars ? Vous en d’mandez encore?

CĂŽtĂ© contenu, le livre parvient encore Ă  tenir en haleine le plus difficile des curieux puisqu’il donne accĂšs Ă  un univers, euh, totalement remarquable, oscillant entre Jeune et Jolie et Modes et Travaux. Entre le record du plus grand poil de barbe de femme (27,9cm tout de mĂȘme) et celui de la plus grande pizza du monde. Dans un monde oĂč tout se calcule, le tĂ©ton-objectif pointant toujours plus vers le risque zĂ©ro, l’insolite et le hasard ont cependant Ă©tĂ© priĂ©s de plier bagage au fil des Ă©ditions du Guinness. Suivant la tendance sociĂ©tale, les performances se sont ainsi fragmentĂ©es en de multiples variantes, abusivement hĂ©tĂ©roclites. Prends ça dans ta gueule, la fĂȘlure «approved by Guinness»...

Pour comprendre, quoi de mieux qu’une grande question existentielle : qui est l’hommele plus fort du monde ?

Guinness n’est pas une biùre. C’est le who’s who des anonymes qui repoussent encore et

toujours les limites de l’absurde. Parce qu’un homme de 2m30 est parfois moins important

que la plus grosse paire de seins du monde, le Guinness Book of World Records s’érige en Barnum des temps modernes, aux monstres

chaque jour plus effrayants.

GUINNESS

BOOKDESREC

ORDSTOUJOURS PLUS HAUT, TOUJOURS PLUS FORT, TOUJOURS PLUS VAIN !

PAR CLÉMENT SAKRI

Le livre dit : tout dĂ©pend de la puissance de votre membre
 Car en effet, le record de « poids soulevĂ© » se dĂ©cline sous plusieurs formes : par la barbe, par le cou, par l’auriculaire, par l’oreille, les orbites et la tĂȘte, alouette [1]. Sans compter les monomaniaques des dents : les Ă©diteurs du Guinness essaient mĂȘme de nous refourguer une camelote similaire sous plusieurs formes. Deux notices-doublons « record de poids soulevĂ© avec les dents » sont ainsi prĂ©sentes Ă  la page 93 et 96 de l’édition 2009 ! Des performances qui peuvent ĂȘtre confrontĂ©es au « sprint de 10m le plus rapide avec une table et une charge portĂ©es avec la bouche [2] » ainsi qu’au « record de bancs portĂ©s avec les dents ».

Quelle est la performance la plus louable ? Un frigo est-il plus dur Ă  soulever qu’une table ? Est-ce la mĂąchoire qui porte ou les dents ? Se fout-on de notre gueule ? Un juge Guinness, dans son costard flambant neuf, vous rĂ©pondra que non, il n’est pas question de « record de poids soulevĂ© avec les dents », mais du « record de nombre de bancs soulevĂ©s avec les dents ». Certes...

A ce compte-lĂ , la mise en abime proposĂ©e par le Guinness se rĂ©vĂšle vertigineuse, quitte Ă  nous faire bouffer du mot « record » Ă  toutes les sauces. Et c’est ainsi qu’entre en scĂšne Ashrita Furman, l’homme au plus grand nombre de records du Records Guinness ! Non content du record de la plus longue distance parcourue en pogo-stick[3], du plus grand nombre de verres tenus en Ă©quilibre sur le menton, du plus grand nombre de marelles en 24 heures et de l’ascension la plus rapide de la tour CN (Ă  Toronto, haute de 553,33 mĂštres) en pogo-stick (encore), il dĂ©tient 183 records GWR, dont 76 toujours inĂ©galĂ©s.

Bon sang
 Il a raison ! La rupture opĂ©rĂ©e par le Guinness dans les annĂ©es 2000 doit perdurer et aller plus loin. La spĂ©cialisation croissante de la dĂ©funte rubrique Insolite laisse entrevoir la dĂ©mocratisation de la devise « Toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus fort ». Les portes de la perception s’ouvrent ainsi, avec notamment l’éventualitĂ© de cross-overs toujours plus nombreux. Les DJ’s et la salade niçoise ont montrĂ© la voie : l’avenir se trouve dans la fusion des genres.

À grands renforts de complĂ©ments grammaticaux – et une fois sautĂ©e la limite posĂ©e par le S.E.X.E. – le Guinness Book pourrait bientĂŽt compter les performances suivantes : - La plus longue barbe du plus gros porteur du virus du Sida - Le paraplĂ©gique le plus rapide en fauteuil en cabrant sur 100 mĂštres - La plus grosse rĂ©duction mammaire pour une mĂ©nopausĂ©e - Le nain lançant le plus de frigos en une minute- Le poids le plus lourd soulevĂ© avec les dents en sautant en pogo-stick- Le plus de ballons de foot Ă©clatĂ©s par un marteau-piqueur - Le cercueil le plus gros jamais fabriquĂ© par des aveugles - ...

Cette liste est tout bonnement dĂ©mocratique, quantifiable, pas dangereuse pour un sou et rĂ©pond aux critĂšres posĂ©s par la vĂ©nĂ©rable institution britannique
 De quoi guider le peuple vers les horizons les plus rĂ©jouissants : suivant ce principe « un record pour tous », chaque ĂȘtre sur Terre pourra inscrire son nom dans une notice du Guinness Book des Records. Noirs ou blancs, valides ou invalides, hommes ou femmes, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, Ă  roulettes ou en pogo stick.Immortels, nous serons immortels, tels 300 Spartiates dĂ©glinguant des milliers de Perses, plongeant avec allĂ©gresse dans un puits sans fond de gloire warholienne


Et ce puits s’appelle Guinness.

[1] En marseillais dans le texte : signifie « avoir peur »  [2] Et toujours pas de portĂ© par le phallus... Plus globalement, Guinness rejette toute allusion aux « membres » reproducteurs, y compris dans la section « Poils et cheveux ». A la page 26 de l’édition 2009, il y a bien la plus grande lunette astronomique qui s’érigĂ© fiĂšrement tel un gros pĂ©nis bionique, mais bon
 [3] On le voit sur la photo, la charge est en fait une femme : cette notice est donc un brin misogyne. [4] Une sorte de pompe Ă  vĂ©lo sur ressort, permettant de sauter tel un vif kangourou.

[1] En marseillais dans le texte : signifie « avoir peur »  [2] Et toujours pas de portĂ© par le phallus... Plus globalement, Guinness rejette toute allusion aux « membres » reproducteurs, y compris dans la section « Poils et cheveux ». A la page 26 de l’édition 2009, il y a bien la plus grande lunette astronomique qui s’érigĂ© fiĂšrement tel un gros pĂ©nis bionique, mais bon
 [3] On le voit sur la photo, la charge est en fait une femme : cette notice est donc un brin misogyne. [4] Une sorte de pompe Ă  vĂ©lo sur ressort, permettant de sauter tel un vif kangourou.

Et PogoStickMan s’en rĂ©jouit : « Bizarre ? Pour vous peut-ĂȘtre. Mais pour moi, ça dĂ©montre bien les capacitĂ©s illimitĂ©es de l’esprit humain. »

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Faire du sport, manger des lĂ©gumes, boire de l’eau minĂ©rale. Aller voir mamie Ă  l’hospice, regarder les remakes d’émissions dĂ©jĂ  ringardes dans les annĂ©es 1980 prĂ©sentĂ©es par des types qui ont ratĂ© leur vocation de VRP. S’affaler dans son canapĂ© rose saumon achetĂ© chez La Foir’Fouille un dimanche de pluie, Ă©couter les gouttes rĂ©sonner contre la vitre en rythme sur le dernier des cĂ©dĂ©s des EnfoirĂ©s. Perdre ses pupilles dans le reflet d’une vie sans relief. S’en griller une, et envier les volutes de fumĂ©e qui s’envolent, libres dans l’air.

ArrĂȘte de rĂȘvasser, Philippe. Ta tĂ©lĂ©, ta femme et ton chat persan t’accusent du regard. T’avais raccrochĂ© depuis un quart de siĂšcle. Les Camel et les dents jaunes, c’est rien qu’un vestige de ta jeunesse. Quand, au lycĂ©e, ton prof de philo vous encourageait Ă  suivre ses thĂ©ories au son des cigarettes qu’on allume. Barbu et imbu, maoĂŻste et individualiste, fumiste et hĂ©doniste ; le seul instant de bravoure de ce pauvre connard c’était d’avoir osĂ© – quand ses hormones se sont affolĂ©es et ses neurones l’ont dĂ©mangĂ© – Ă  prendre la parole en amphi un jour de mai, une annĂ©e en huit. Il pensait changer les hommes en leur enseignant la libertĂ©, mais c’était sans compter qu’il passait aprĂšs Dylan (l’autre chevelu lĂ , qui raconte des trucs pas clairs, tu t’es ressorti Blood On The Tracks lors du dernier bouchon sur le pĂ©riph’). A la libertĂ© en microsillon, t’avais rajoutĂ© le style. Parce que tous mariaient les tiges blanches incandescentes aux Wayfarers, aux Richelieu, aux regards hallucinĂ©s typiques des Mods. T’as fait les 400 coups avant d’aller travailler chez Truffaut, t’as tentĂ© de ressembler Ă  Keith Richards avant d’imiter Lecanuet, t’as mĂȘme rĂ©citĂ© les paroles d’Initials B.B. Ă  ton premier flirt.

Et puis t’as rencontrĂ© Sylvianne.

JAUNE POUMONLE GRAND TABAC SCHISME PAR VIC VEGA

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Aujourd’hui, Sylvianne, c’est une vraie enragĂ©e. AbonnĂ©e au flux RSS du site de la DNF, elle y a trouvĂ© tout un tas de combines qui changent la vie. Vous avez pu changer de voisine pour une moins bruyante sous prĂ©texte que l’ancienne fumait au balcon et pourrissait vos plantes, vos symboles de vie et de symbiose de l’homme avec son environnement. Vous vous faites toujours rembourser l’addition au restau. C’est toujours un peu gĂȘnant les scandales en public parce que ça devrait ĂȘtre interdit de fumer en terrasse aussi (« y’a des enfants, merde », qu’elle lĂąche toujours en tremblant de la lĂšvre infĂ©rieure.Ah, cette foutue grĂšve de la fellation) mais ça vaut le coup : avec les Ă©conomies vous avez pu vous offrirune Kangoo pour partir en vacances. Et quand Bruno,ton patron, annonce des restrictions de budget, tu peux toujours pointer le fait que les fumeurs sont moins productifs avec leurs pauses auxquelles t’as pas le droit.

Mais aujourd’hui, t’es de l’autre cĂŽtĂ© de la barriĂšre. Faire coulisser la roulette de ton briquet, c’était brandir une hache de guerre cancĂ©rigĂšne Ă  ta viede merde. Sur ton canap’, tu fronces les sourcils et tente de masquer les spasmes qui t’agitent Ă  l’intĂ©rieur. Sue pas des doigts, tu vas l’éteindre.Tu la regardes dans les yeux, Sylvianne, y’a que la tĂ©lĂ© pour briser le silence. Charles Bronson, c’est toi, lĂ . Ennio Morricone dans la tĂȘte, pour tous tes congĂ©nĂšres d’ennui mortel t’es un hĂ©ros. DĂ©barrasse-toi de ta cendre sur le tapis, sois un homme.LĂąche rien, bordel.

Tarlouze, Philippe. T’as rien compris. Tu t’es Ă©crasĂ© le bout, encore une fois. Ca ne changera rien, tu sais. Tu pourras encore te la foutre derriĂšre l’oreille ce soir. Et demain, Sylvianne, tu l’aideras Ă  coudre des Ă©toiles jaunes. Jaune poumon. Pour que chacun Ă  l’extĂ©rieur sache comment c’est Ă  l’intĂ©rieur, pourri de pulsions de mort d’égoĂŻsme. Et si ça ne tenait qu’à Sylviane, tu leurs coudrais Ă  mĂȘme la peau, une fleur nĂ©e fanĂ©e au travers du pyjama rayĂ©. Un viseur en plein poitrail pour qu’on puisse les cibler et Ă©viter leurs odeurs et leur contagion. Bruno, tu l’aideras Ă  construire des endroits rien que pour eux, oĂč ils apprendront le sens de l’effort et de la productivitĂ© (« travailler c’est respirer - travailler rend libre » qu’ils rĂ©pĂštent Ă  la DNF). Et tes gosses, tu leurs apprendras Ă  les regarder de travers, qu’ils connaissent enfin le goĂ»t salĂ© de la honte sociale, du rejet de la communautĂ©.

Elle aimait les plantes et les animaux Sylvianne, alors t’as laissĂ© tomber tes fantasmes d’autre monde, et tu t’es retrouvĂ© Ă  Ă©couter les alter-mondialo et les Ă©colos. Elle aimait tellement les plantes et les animaux, Sylvianne, qu’elle voulait absolument les partager avec toi, le samedi aprĂšs-midi dans les bois, et en respirant bien fort. Manque de bol, c’était pas sexuel, seulement sportif. T’as troquĂ© tes Levi’s contre des survĂȘtements avec des pressions sur le cĂŽtĂ©. On n’a pas bien chaud dedans, mais c’est assez laid pour dissuader la Sylvianne et ses nouveaux bourrelets de t’emmener faire des courses, chezIkĂ©a ou Ă  la Fnac.

Et voilĂ , Philippe. OĂč tu en es.T’as la clope au bec et t’oses mĂȘme pas regarder le paquet Ă  cause de l’inscription grosse comme ta carte vitale. Ca dit que fumer ça te rendra impuissant, que t’honoreras plus Sylvianne, qu’elle se barrera avec son collĂšgue de bureau grisonnant du caillou qui verra lĂ  sa derniĂšre chance, et que tu te retrouveras avec tes clopes et TĂ©lĂ©foot, le dimanche matin. Et puis tiens, Sylvianne aussi, elle te reluque interloquĂ©e maintenant. Elle pensait avoir Ă©tĂ© suffisamment claire, en soutenant Ă©nergiquement la loi Evin. Bien sĂ»r, tu l’avais laissĂ© dĂ©battre avec son risotto aux courgettes, puisque tu ne l’écoutes plus depuis qu’elle a reconduit sa grĂšve de la fellation. Elle y croyait, elle en voulait. Elle avait croisĂ© les doigts le jour oĂč la loi avait Ă©tĂ© votĂ©e Ă  l’AssemblĂ©e, en 1991.

Elle a mĂȘme ressorti les fanions plus rĂ©cemment, en 2006 pour l’interdiction de fumer dans les lieux publics, et en 2007 pour son extension aux lieux « de convivialitĂ© ». Elle vote Ă  droite aujourd’hui de toute façon, en pensant Ă  vos gosses, qu’elle raconte.

Parfois mĂȘme, elle pense Ă  Papy et honore sa mĂ©moire en s’adonnant consciencieusement Ă  ses loisirs de temps de guerre. Elle dĂ©nonce des fumeurs sur le site des droits des non-fumeurs (DNF). Elle les aime bien, les gars de la DNF. Il en a eu du cran, Denis Valet, de s’opposer Ă  un monde qui produisait des cancers du poumon Ă  la chaĂźne. Il partait de rien, en plus, il Ă©tait fonctionnaire, enfin prof, dans l’Est de la France, Ă  l’époque oĂč les feignasses ont pris le contrĂŽle des administrations de l’Etat. C’étaient les annĂ©es soixante-dix, le fĂ©minisme pensait avoir gagnĂ©, les trotskards n’avaient plus que le terrorisme comme moyen d’expression et les pandas ne crevaient pas assez bruyamment pour que ce soit bouleversant. Fallait bien un truc pour l’occuper Sylvianne, d’autant que Polnareff s’était envolĂ© en mĂȘme temps que sa naĂŻvetĂ©.

Elle regardait par la fenĂȘtre, Fame A La Mode s’est arrĂȘtĂ© de tourner sur le mange-disque et la voisine du dessus lui a jetĂ© son mĂ©got sur le poignet. Un appel divin.

T’as fait le con, Philippe.

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31Ian F. Svenonious (nom masculin d’origine amĂ©ricaine, Washington D.C.) : Chanteur des Nation of Ulysses dĂšs 1988, puis auteur et animateur tĂ©lĂ© placide, le Svenonious porte bien le costume, n’aime pas l’AmĂ©rique capitaliste et reste un maillon fiable dans l’histoire du post-punk sĂ©cessionniste.

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Pas sĂ»r que grand monde aurait pariĂ© sur ceux-lĂ . Ca me fait plutĂŽt rire de donner gagnant le gratin du hardcore U.S. aujourd’hui. En une dĂ©cennie, une bande de nostalgiques a revisitĂ© quarante annĂ©es de produc-tion musicale. Le point commun de tout ce qui a dĂ©filĂ© dans nos iPod ? Avoir su satisfaire notre attrait pour la rĂ©fĂ©rence bien froide en faisant surtout gaffe Ă  Ă©touffer l’arnaque. De toute façon, je ne suis mĂȘme pas sĂ»r qu’on aurait vraiment pu la voir arriver, la grosse baffe. Pas une Ă©motion Ă  l’écoute d’une chanson qui ne nous file entre les doigts aussi vite qu’on envoie un mail, pas une qui ne nous donne envie d’avoir quelqu’un en qui croire, c’est triste. Promis, je vous fais pas le grand classique – Ah ouais, c’est sĂ»r que c’était bien pourri, heureuse-ment qu’il y avait les rĂ©Ă©ditions ! ce genre... Au final, les rĂ©tro-modernes qui ont rĂ©coltĂ© tous les paris se mordent la queue et dĂ©chantent. Prions-les d’aller se faire voir.

SASSY BOYS

Un petit livre rose est sorti en 2006, il s’intitule The Psychic Soviet et a Ă©tĂ© Ă©crit par un homme derriĂšre une multitude de groupes que (rĂ©ellement) pas grand monde n’écoute. Ian F. Svenonius, en son temps Ă©lu ‘Sassiest Boy in America’, le mec le plus insolent d’AmĂ©rique. Selon qui ? Sassy Magazine, Ă  la grande Ă©poque des chemises Ă  carreaux et du skate. Comme Cobain, le magazine ne survivra pas Ă  l’annĂ©e 1994, mais Ian continue encore aujourd’hui d’occuper un bon bout de terrain du cĂŽtĂ© des prĂȘcheurs. Plus qu’un insolent, c’est surtout le modĂšle du petit ami idĂ©al que le magazine voulait mettre en avant. Aujourd’hui, les gamines ne doivent sĂ»rement plus le re-connaĂźtre


Tout au long de The Psychic Soviet se trouvent une mul-titude de rĂ©fĂ©rences aux Beatles. Lorsque ceux-ci sortent Rubber Soul en 1965, le simple fait que quatre mecs – qui au demeurant devaient bien aussi se laver les mains aprĂšs ĂȘtre allĂ©s aux toilettes – s’affichent avec les cheveux long influ-ence tout une gĂ©nĂ©ration. Celle de vos parents peut-ĂȘtre, de vos grands-parents pourquoi pas. Clairement, la pochette fait office de propagande. Rien de plus simple aprĂšs ça pour construire un mythe, ne reste qu’à imprimer la lĂ©gende.

Pour Svenonius, que les Fab’ aient utilisĂ©le medium pop pour diffuser des idĂ©es

subversives n’a rien d’impossible.

Quand John Lennon prĂ©sente son groupe comme plus populaire que JĂ©sus, il est clair qu’il est conscient de son impact sur la culture et donc la sociĂ©tĂ©. Charles Manson ne s’en est mĂȘme jamais vraiment remis, des Beatles. Que Lennon l’ouvre sur la guerre du Vietnam, idem. Pour les sapes Ă  l’époque, c’est finalement pareil. D’aprĂšs Ben Sher-man, ses chemises font totalement parties de la culture je-une, crĂ©ent un rassemblement. En fait il s’agit plutĂŽt de la culture mods, pour qui porter la bonne chemise c’est dĂ©jĂ  gagner la bataille. En plus de communiquer une esthĂ©tique donc, les groupes des annĂ©es 60 communiquent aussi des idĂ©es, quelque chose Ă  adorer. Evidemment, le tout partic-ipe au denier du culte de la pop culture. Sauf qu’en 2009, une pochette de disque comme une affiche de recrutement pour l’ArmĂ©e Rouge, rideau ! Plus possible ! Il y a plusieurs mois, quand on regardait une bande de fluokids se recoiffer dans les toilettes avec le casque autour du cou, on pouvait logiquement penser que rien n’avait changĂ©. Le piĂšge c’était de tomber dans le panneau de la grande mythologie du rock’ n roll en terminant sur un bon mot en forme de

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poncif, un dĂ©finitif c’était mieux avant. Penser que tout est terminĂ©, la maladie des 00s. Dans l’introduction d’un chapitre d’A Whore Juste Like The Rest, le rock crit-ic Richard Meltzer dĂ©cide que tout se termine en 1967 : « trop de groupes, signĂ©s sur trop de labels, enregistrant trop de disques avec des budgets dĂ©mesurĂ©s, avec comme rĂ©sultat de tous sonner comme de la meeeeerde ». 1967-2007, le choc des gĂ©nĂ©rations, sans doute!

ROCK’ N ROLL KRASH

« Les groupes de rock’ n roll ont eu leur temps, mais ils n’ont pas vraiment rĂ©ussi Ă  tout faire exploser. Ils n’étaient pas aussi rĂ©volutionnaires qu’ils ne le prĂ©tend-aient [
] Ce rĂ©cit du rock’ n roll et l’importance de ces quelques personnes ainsi que leur place dans l’histoire,

c’est des conneries »Village Voice, 2009.

En 1991, lorsqu’il est l’élu des petites, Svenonius est Ă  la tĂȘte de Nation Of Ulysses. Comme tous les au-tres groupes de Washington D.C. il signe chez Dischord, le label de Ian McKaye (Minor Threat, le Straight Edge et plus gĂ©nĂ©ralement les mecs rasĂ©s de prĂšs en dĂ©bardeur blanc). A part ĂȘtre musicalement au dessus du lot, ce que Les Nations d’Ulysses ont plus que les autres, c’est un con-cept, une image. Chez eux, le rock n’est qu’un moyen, le groupe se dĂ©crivant comme un parti politique. Entre MC5 et crise d’ado, Ian et ses amis enregistrent deux disques, 13-Point Program To Destroy America (1991) et surtout Plays Pretty For Baby (1992). Leur programme est sim-ple et pour le situer, ne citons qu’un seul titre: A Kid Who Tells On Another Kid Is A Dead Kid. PuĂ©ril et sec comme un coup de coude dans le menton : botter le cul des plus

vieux par une armĂ©e de jeunes gens cools et s’affranchir une bonne fois pour toute de la culture de leurs parents ! Agressif comme une hyĂšne, sur scĂšne Svenonius remue alors comme un singe en se secouant les couilles, pour mieux rentrer dans le tas en aboyant. C’est un performer, un James Brown des fonds marins.

ParaĂźtrait mĂȘme qu’il lui est arrivĂ© une fois de payer les filles de devant 1$ pour qu’elles s’évanouissent,

façon Sinatra du pauvre.

Plus tard, on a eu Ă  peu prĂšs les mĂȘmes en Europe. Dennis LyxzĂ©n avec Refused puis The (International) Noise Conspiracy. Pour rĂ©sumer, trois ans avant que les Strokes n’ouvrent le bal du revival en 2001, le titre New Noise de Refused reste un must quasi-visionnaire : « How can we excepting anyone to listen if we’re using the same old voice ? We dance to all the wrong songs. We enjoy all the wrong moves. We dance to all the wrong songs. We’re not leading ». Le point commun entre LyxzĂ©n, Svenonius et tous les vieux que ce dernier interviewe sur VBS – et dont plus personne n’a grand-chose Ă  cirer, avouons-le – c’est de venir du hardcore. Donc du Do It Yourself, la bonne attitude que l’on peut rĂ©sumer ainsi : No Rock Star. De tous ces mecs, Svenonius est trĂšs certainement un des seuls Ă  rester valable, aux cĂŽtĂ©s de Jello Biafra ou Henry Rollins. Et encore
 quand Rollins raille la musique Ă©lec-tronique dans ses spoken-words, on rigole doucement. Si le dernier des manchots a le droit de prendre une guitare pour monter sur scĂšne, autant accepter qu’il puisse aussi faire la nique aux poseurs en tripotant des boutons.

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Dans le petit livre rose de Svenonious, il y a Ă©galement Rock’N’Roll As Real Estate, un chapitre important. Au lieu de penser que l’émergence d’une nouvelle scĂšne folk ne prouve qu’un goĂ»t prononcĂ© pour la tradition, Sveno-nius met cela sur le compte de la gentrification des villes et donc de l’inflation du prix des loyers. Puisqu’on n’a plus la place pour jouer autrement que dans sa chambre de bonne et au casque, autant abandonner la batterie. Ce qui revient sensiblement Ă  parler de la fin du rock’n’roll en tant que rĂ©alitĂ©, parlant pour et par son Ă©poque. Si le temps oĂč l’on pouvait rĂ©pĂ©ter dans son garage ou dans un squat– notamment Ă  New York bien avant que Giuliani ne devienne maire et ne vire tout le monde un par un- est terminĂ©, alors le rock’ n roll comme phĂ©nomĂšne cul-turel est dĂ©sormais une farce. Avoir eu les yeux rivĂ©s sur le rock et ses faux espoirs c’est n’avoir pas su regarderen face une bonne partie de son Ă©poque. Avoir voulu justi-fier l’importance de faire de la musique en accumulant les rĂ©fĂ©rences sous une paire de Wayfarer, c’était faire le mauvais pari sur l’avenir. Le dĂ©bat sur les fringues rock H&M, la meilleure blague des annĂ©es 00.

« Je ne suis pas dans la qualitĂ©. Je prĂ©fĂšre la camel-ote. Je pense que tout ça est trĂšs attirant. Je crois que la chose la plus excitante Ă  propos de la musique pop amĂ©ricaine, depuis les sixties ou autres, c’est la qualitĂ© mĂ©diocre de celle-ci [
] Le problĂšme avec la musique,

c’est l’importance qu’elle a. »

FAUX-PROPHETES ET GUERILLEROS

Des modĂšles de rock star, il suffit de s’abaisser pour en ramasser, d’Elvis Ă  Paris Hilton. Dans Metaculture, l’anthropologiste Greg Urban dĂ©veloppe le fait que les hom-mes n’ont jamais vraiment eu dans l’idĂ©e de reproduire les choses de maniĂšre totalement exacte, mais se sont attachĂ©s Ă  une culture de la nouveautĂ© dans laquelle chaque chose se rĂ©plique en s’efforçant de passer un coup de balai sur ce qu’on ne peut plus exploiter sans se sentir un peu honteux. Evidem-ment, si le socle de rĂ©fĂ©rences n’est pas assez solide, la nou-veautĂ© ne prend pas. A l’inverse, si ce qui est neuf s’établit trop rapidement, cela ne prend pas non plus, ne laissera pas une empreinte indĂ©lĂ©bile. Coupons court Ă  l’historique. Depu-is l’apparition du format disque, soit la musique enregistrĂ©e, celle-ci a pris une part de plus en plus importante au quoti-dien, sans forcĂ©ment que l’on s’en rende compte. La musique au restaurant, dans le mĂ©tro ou en salle d’attente, personne ne peut contester le fait qu’elle soit partout, tout le temps. C’est en substance le propos de Genesis P-Orridge dans Soft Focus, l’émission de Svenonius. Et mĂȘme, elle est devenue gratuite. La force d’un rĂ©seau social comme Myspace, d’un site comme Deezer, c’est d’avoir totalement dĂ©valuĂ© le caractĂšre sacrĂ© de la musique en quelques clics et en libre accĂšs. On ne tient plus que rarement une pochette entre les mains, un disque comme Rubber Soul passerait trĂšs probablement inaperçu au-delĂ  de la musique et d’une posture. Aujourd’hui, on scrolle iTunes et on voit qui a le plus de titres comme on baisse son slip Ă  la rĂ©crĂ© : sĂ»r de soi et sans retenue, comme ça pour comparer. Pas la peine de crier au scandale. C’est ainsi, les aigris ne peu-vent qu’ĂȘtre forcĂ©s de l’accepter.

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C’est comme ça, tragique et gĂ©nial Ă  la fois : plus une tronche sur une pochette pour changer une vie, et plus de groupes pour rassembler autour d’un petit quelque chose Ă  dire, un petit quelque chose Ă  prouver au plus grand nombre.

On s’en est tous rendu compte. Internet a brĂ»lĂ© en une bonne dĂ©cennie le concept de rock-star qui a fait te-nir debout trente Ă  quarante ans de musique au prĂ©sent. C’est lĂ  que cette Ă©poque est remarquable. Parce qu’elle est le signe qu’on ne tardera pas Ă  s’amuser de nouveau. Si la musique a perdu toute son importance, alors il n’y a plus de problĂšme. A chercher partout des rĂ©ponses lĂ  oĂč il n’y en a plus devant un tas de groupes plus ou moins valables, on en a oubliĂ© l’essentiel. Le libre-arbi-tre et la conscience de soi, ĂȘtre moderne quand tout est Ă  portĂ©e de main. Tout ce qu’ont rĂȘvĂ© Svenonius, Biafra ou Rollins.

Sans vraiment le vouloir, avoir vu se dĂ©truire toutes nos obsessions promet une victoire sur trois niveaux. L’ouverture d’un monde sans rĂ©fĂ©rences. Une minoritĂ© polarisĂ©e contre le rĂ©tro. Un grand coup sournois der-riĂšre la nuque de l’establishment.

« Je suis le Seigneur de mon Eglise. J’ai Ă©cris le Livre. Je suis l’homme sur la croix et je saigne. Amen »,

Henry Rollins.

S.G.

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Jacques Now1853-2019

uN JeuNe mort trĂšs moderNe

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crÉdIts, (de)LUXe INTÉRIeUR NumÉro ILuxe INtÉrIeur est uNe revue dIgItaLe pILotÉe par Le sIte

GoNzaI.com et ÉdItÉe par Le dIabLe vauvert.

GonzaĂŻ, 11 rue Duvergier 75019 Paris, [email protected] Au Diable Vauvert, Route de la Laune 30600 Gallician, [email protected]

Directeur de publication : Bester LangsRĂ©dacteur en chef : Hilaire PicaultConception graphique et direction artistique :Terreur Graphique & JĂŒĂŒlMaquette : Terreur Graphique

Rédacteurs :Benoit Bidoret, Bester L., Syd Charlus,Colocho, Sylvain Fesson, Dav Guedin, Sté-phane Guinet, Johnny Jet, Grégory Meurant, Ursula Michel, Guy-Michel Thor, Pierre Mi-kaïloff, Hilaire Picault, Loic H. Rechi, Arnaud Sagnard, Clément Sakri, Marjolaine Sirieix, Serlach, Vernon, Vic Vega, Eléa Von Picnic, Alex Jestaire, Pochep, Terreur Graphique, Marjolaine Sirieix.

Ont contribué à ce numéro :Alejandro Jodorowsky, Robert Wyatt

Remerciements :Bertrand Burgalat, Dieu, Google©, Marion Mazauric, Charles Recoursé, Louise Rossi-gnol, Nicolas Ungemuth

Garanti sans encre ni papier, ce numĂ©ro n’est techniquement pas jetable sur la voie publique.Les articles publiĂ©s n’engagent que la respon-sabilitĂ© de leurs auteurs, tous droits de repro-duction rĂ©servĂ©s, mais nous partageons leurs opinions et vous demandons d’essuyer vos pieds avant d’entrer.

Pour toute rĂ©clamation, insulte ou demande de remboursement, merci d’appuyer directe-ment sur la touche SUPR de votre ordinateur.

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Ont contribué à ce numéro :Alejandro Jodorowsky, Robert Wyatt

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Dans « GonzaĂŻ », on voit bien d’oĂč vient la premiĂšre partie du mot (de gonzo, genre journalistique subjectif et speedĂ© crĂ©Ă© par Hunter S. Thompson). Mais la terminaison vient-elle de ban-zai (pour le cĂŽtĂ© rentre-dedans) ou de bonsaĂŻ (la devise du site : «Seul le dĂ©tail compte») ? (TĂ©lĂ©rama, novembre 2008)

A l’origine, GonzaĂŻ est un site internet tournĂ© vers les cultures de demain et celles « cultes » devenues depuis intemporelles. Bran-dissant depuis mars 2007 le parti-pris comme un dogme rĂ©dac-tionnel, GonzaĂŻ s’inspire du gonzo journalism (H. S. Thompson, Lester Bangs, Bukowski, etc) et s’affirme comme un prescripteur en matiĂšre de tout et n’importe quoi (rock, pop, littĂ©rature, art et ses diffĂ©rents mouvements). PersuadĂ©s qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, Bester Langs, Little Johnny Jet, Syd Charlus (fondateurs du site) s’interpellent par des noms Ă©trange(r)s et fĂ©dĂšrent depuis une frange d’auteurs fiers et plus ou moins jeunes (Hilaire Picault, Pierre MikaĂŻloff, Ar-naud Sagnard, Sylvain Fesson, e seuls sites tout autant rĂ©actionnaire que musical, sub-jectif et littĂ©raire. Toutes les semaines, une horde de fans maniaque des journaux Ă  la papa s’escriment contre ces auteurs aux pseu-dos « pompĂ©s et prĂ©tentieux» lorsque d’autres vieux briscards s’émerveillent « des prouess-es rĂ©alisĂ©es avec presque rien ». Aujourd’hui reconnu par les mĂ©dias dits « traditionnels » (Technikart, Le Mouv, TĂ©lĂ©rama, Magic, Le Monde, LibĂ©ration, Elle, etc), GonzaĂŻ a su prouver qu’il existait non seulement un pub-lic pour le journalisme subjectif et pointu mais Ă©galement qu’il n’était pas nĂ©cessaire de poster des vidĂ©os de chiens unijambistes dans des caddies et autres interviews fleuves de gens ratĂ©s pour susciter l’émotion digitale.

Conçue par le « clan » GonzaĂŻ comme un bras d’honneur Ă  tout et n’importe quoi, Luxe IntĂ©rieur contient en son nom l’essence mĂȘme de ce que doit ĂȘtre une revue ; peu de discours mais beaucoup de sujets, tous rĂ©unis autour d’une thĂ©matique semestrielle. Disponible gratuitement en digitale sur www.luxe-interieur.com, la revue Ă©ditĂ©e au Diable Vauvert propose de rendre intemporels des su-jets accessibles Ă  tous mais pas Ă  n’importe qui. DĂ©pourvue de papier, la revue permet de perdurer et de ne plus ĂȘtre seule-ment lue par une poignĂ©e de lecteurs. Faisant fi des « maquettes Ă©purĂ©es et du ton corrosif lĂ©gĂšrement gratte-poil », Luxe In-tĂ©rieur reste une occasion de ne plus seulement Ă©voquer le Culte

mais de toucher enfin au SacrĂ©. Seul, face Ă  son Ă©cran lumineux. Dans ce PDF teaser sobrement intitulĂ© (de)Luxe IntĂ©rieur, vous pour-rez ainsi trouver une compilation des meilleurs textes illustrant le post-prĂ©sent, un mot compliquĂ© illustrant l’incapacitĂ© de l’homme moderne Ă  penser la rupture autrement qu’avec des mots de yup-pie en manque de lexique. Bref. Le post-prĂ©sent, un thĂšme qui vous va si bien au teint, vu par une tripotĂ©e d’auteurs pour la majeure partie non publiĂ©e qui ne trinquent pas au ralenti au CafĂ© de Flore mais utilisent quand mĂȘme des citations en italique (souvent incom-prĂ©hensibles) pour introduire leurs pensĂ©es. Et qu’y trouver, dans ce premier numĂ©ro ? En ouverture, un excellent essai - plutĂŽt bĂąclĂ© si vous voulez mon avis - de Guy-Michel Thor sur la guerre tiĂšde vue d’Enghien-les-Bains, entre le Solex et la bombe H. Plus loin, un tĂ©-moignage exclusif de Robert Wyatt sur la genĂšse de « Rock Bottom » racontant son passage Ă  l’horizontal aprĂšs une nuit trop arrosĂ©e. Pas mal. Plus loin, on trouve les prophĂ©ties futuristes d’Alejandro Jodor-

owsky (trĂšs connu chez les plus de quinze ans) enchainĂ©es avec une Ă©chappĂ©e romanesque Ă  St Etienne pour revivre l’apogĂ©e des Thugs en concert. Pour faire une pause dans ce PDF qui donne mal aux yeux (surtout chez les plus de quinze ans), une incomprĂ©hensible BD qui crayonne l’incroyable histoire d’amour entre un ours nu et un Davy Crockett complĂštement gay. TrĂšs drĂŽle. Suivront, dans le dernier virage, un flashback pas trĂšs clair (mais la fin est bien quand mĂȘme) sur le Guinness book des records comme mĂštre-Ă©talon de l’homme invincible, puis un essai jaune poumon contre les non-fumeurs qui reste l’une des piĂšces maitresses de cette magnifique revue. En clĂŽture, parce que c’est dĂ©jĂ  presque la fin, un dossier his-toire trĂšs Google Books © sur Ian Svenonious (rassurez-vous, vous n’ĂȘtes pas le seul Ă  ne pas connaĂźtre cet homme) et enfin l’histoire toucha-nte d’une rupture d’anĂ©vrisme qui fait trembler le cortex mais qui se finit bien quand mĂȘme.

AprĂšs tant de belles promesses, vous avez bien Ă©videmment le droit de ne pas souscrire Ă  ce manifeste dĂ©matĂ©rialisĂ©, ne pas lire cette revue, penser qu’il y a trop de couleurs ou trop de mots ou simplement ne pas avoir d’avis sur la question. En attendant le premier numĂ©ro de Luxe IntĂ©rieur Ă  paraĂźtre en mars 2010 avec l’intĂ©gralitĂ© des textes, vous pouvez encore changer de pays, con-sulter un opticien ou nous montrer que vous savez faire mieux. Luxe IntĂ©rieur, deep Inside. Ah et au fait
 bonne lecture, puisque le temps reste la seule monnaie d’échange de cette revue sans prix.

Luxe IntĂ©rieur est une revue digitale Ă©ditĂ©e par le Diable Vauvert dont le premier numĂ©ro a pour thĂ©matique le post-prĂ©sent, un concept flou oĂč s’entrechoquent rock’n’roll, art de la rupture et liquidation des stocks. Comme chez GonzaĂŻ, Luxe IntĂ©rieur c’est l’art de connaĂźtre beaucoup

sur peu de choses. Car dans un monde globalisant et réducteur, seul le détail compte.

PrĂ©sentation critique du premier numĂ©ro deLuxe IntĂ©rieur Ă  l’adresse du journaliste en mal

d’inspiration pour son article dithyrambique.Par Bester Langs

Disponible gratuitement en avril 2010 sur www.luxe-interieur.com, la revue pilotĂ©e par le collectif GonzaĂŻ donne la parole Ă  Robert Wyatt, Alejandro Jodorowsky, Alex D. Jestaire et plusieurs autres invitĂ©s dont on taira ici le nom pour attiser votre curiositĂ© d’homo-sapiens accros au buzz viral.

GonzaĂŻ Au DiableVauvert

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