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REVUE HISTORIQUE, CULTURELLE ET LITTÉ RAIRE LiteraruS 6, 2016 (¹ 5 en langue française)

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REVUE HISTORIQUE, CULTURELLEET

LITTÉRAIRE

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La revue est publiée en Finlandeavec le soutien du Ministère de l’éducationet de la culture de la Finlande

ISSN-L 2323-198X ISSN 2323-198X

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Ludmila Kol

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La revue a 6 parutions par an dont N°N°1 – 4 en langue russe

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LiteraruSY-tunnus : 1538941-8

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REVUE HISTORIQUE, CULTURELLE ET LITTÉRAIRE

SOMMAIRE

POEMESPoésie russe (Traduit par Vladimir Serguéev) .............................................................................. 5

ASPECTS CULTURELS ET HISTORIQUESValéri Vozgrin. Notes du « Casanova danois » ou Le premier duide de Copenhague ................... 10Timo Vihavainen. La Russie et l’Europe, telles que je les voyais ................................................ 16

EURONEWSSi vous arrivez à Helsinki ................................................................................................................ 21

PROSE CONTEMPORAINEJulie Laloi. Bacou ....................................................................................................................... 22Igor Volovik. Fenêtre sur rue ....................................................................................................... 26Ludmila Kol. Personnages ......................................................................................................... 29

INTERVIEWIouri Korotkov. Moscou-Sacramento .......................................................................................... 34

ARTOlga Martikaïnen ......................................................................................................................... 40

PHILOLOGIEIrina Savkina. « Prochain arrêt : Place de la Révolution » .......................................................... 46

CIVILISATIONVéra Survo. Broderie traditionnelle de Carélie, ses formes, sa sémantique,son contexte rituel ........................................................................................................................ 52

OPINIONPolina Kopylova. L’asphyxie artistique du « DOUBLE JE » ....................................................... 60

EMIGRATION RUSSE EN FRANCEL’arrivée des soldats russes à Marseille le 20 avril 1916 ............................................................. 65

URBAINPour un nouveau rayonnement d’une petite ville dynamique et de son territoire(par Igor Volovik) ........................................................................................................................... 70

ACTUALITE CULTURELLEInformations recueillis (par Julie Laloi) ........................................................................................ 74LiteraruS-50 .................................................................................................................................... 81

Pages 1 et 4 : Olga Martikaïnen. Fleurs de Finlande.

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POEMES

Evgueni EVTOUCHENKO

LES ADIEUX DE PIAF

Sur une scène parisienne des clowns se déchaînent,Des saltimbanques y gesticulent et s’esclaffent.Ils singent l’art devant un riche mécène.Tout cela avant que n’apparaisse Piaf !

La voilà qui sort, visage de marbre,Idole païenne, qui s’est trompée de porte,Ou masque tragique, qu’éclairent les candélabres,Qui chante à se faire exploser l’aorte !

Une mélodie s’envole, entraine Edith fragile,Si mince avec ses grands yeux de chouette.Elle sait électriser la foule fébrile,La prendre par les tripes, elle prie et la fouette !

Elle crache ses malheurs, mais chante ses rêves,Le son des cloches, les étoiles filantes.Petite chanteuse de rue qui lève son glaiveSur nous, Lilliputiens, car elle devient Géante.

Ainsi était Piaf à la fin de sa carrière.Une folle Egérie chantant son âme.C’était un ange gardien ou une chimère, Tombée sur scène du haut de Notre Dame !

Poésie russeTraduit

par Vladimir Serguéev, Paris 2015

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POEMES

Vladimir VYSSOTSKI

NOUS, LES FEMMES QUI RESTONS…

Nous, vos femmes, nous disons – Bonne route !Fouettez vos chevaux, bonne chance !Que les vents de la steppe soient douxEt rappellent à vous nos caresses.Mais après, revenez sans un doute,Sous les toits de l’enfance,Car sans vous tous nos saulesEt sorbiers sont en pleurs sans cesse.

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POEMES

Constantin BALMONT

***O, femme telle une enfant, tu joues comme tu respiresDe ce regard doux, d’un baiser alanguiDevrais-je te mépriser ? Devrais-je te haïr ?Hélas ! Je t’aime fort, perdu, je me languis !Je ne prie que pour toi, je t’aime, je pardonne,Tu es ma raison de vivre, mon mal et ma passion,Au gré de tes caprices mon âme je te donne !Je nie la vérité, je vis dans l’illusion !Esclave de tes tortures, je rêve de revoirTon univers fantasque, si beau et irréel.Mauvais esprit ou ange, pourrais-je le savoir ?Qui est la femme pour nous ? Mystère éternelle …

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POEMES

Igor SEVERYANIN

***Chef d’œuvre exquis signé GuerlainNous porte l’arôme de verveineTel un poème de VerlaineIl nous soulage de toutes nos peines.

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POEMES

Les 23 et 24 mars 2017

LiteraruS

organiseun séminaire littéraire

à Helsinki.

Nous vous convions chaleureusementà cette manifestation.

Suivez les annonces sur notre sitewww.literarus.org

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ASPECTS CULTUREL ET HISTORIQUE

Timo VahavainenTimo Vahavainen

La Russie etl’Europe,telles que jeles voyais

C

Professeur d’histoire russe à l’Institut desCultures du monde de l’Universitéd’Helsinki

Extraits du discoursdu professeur Timo Vihavainen,prononcé lors son cours magistralfinal à l’Université d’Helsinki,le 6 mai 2015

Cela ne fait pas moins de deux siècles queles relations entre la Russie et l’Europesont abondamment débattues. Lorsque jesuis entré en fonction, il y a plus de dixans à présent, j’ai tenu une conférencesur ce sujet, voilà pourquoi je ne merépéterai pas. Une multitude d’ouvragestraitent des relations russo-européennes etje suis moi-même l’auteur de deux d’entreeux. Aujourd’hui, je vais vous parler deschangements qui affectent les relationsentre la Russie et l’Europe et de la façondont celles-ci ont été perçues pendantprès de cinquante ans du point de vueeuropéen, par l’Université d’Helsinki. Cetendroit s’appelait autrefois l’InstitutRenvall et j’espère que bientôt, il portera ànouveau ce nom.

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ASPECTS CULTUREL ET HISTORIQUE

***C’est seulement après une longue périodeque les changements radicauxcommencent à être conscientisés. Il estclair que l’URSS de 1996 et la Russiede 2015 sont fondamentalementdifférentes l’une de l’autre. Cependant,la Russie est loin d’être la seule à susciterl’étonnement. En effet, en un demi-siècle,notre pays, la Finlande, a elle aussi connudes changements profonds, intervenustant dans le domaine de la culture quedans le mode de pensée. L’Europe, ainsique les relations que la Finlande entretientavec elle, a également changé.

Point de départ : symposium de 1966,rapprochement entre l’URSS etl’Europe et début de la« finlandisation »

Prenons comme point de départ lesannées 1960. Je crois bien me souvenir decette époque. À l’automne 1966, je merappelle que Heikki Ylikangas, l’un de nosprofesseurs, nous avait invités dansun petit amphithéâtre pour que nous yécoutions le premier symposium soviéto-finlandais consacré à l’histoire. Engénéral, on ne peut pas considérer qu’unséminaire fait partie des événementsscientifiques importants, mais le simplefait qu’il ait été organisé témoignait dela volonté de l’Union soviétiqued’entrouvrir une fenêtre sur l’Europe. Cesymposium témoignait de la volontéde la Finlande d’en connaître plus longsur son voisin de l’Est, sa curieuse façonde penser et sa culture. Les orateursmarmonnaient des rapports interminableset je n’y comprenais presque rien.Les vers qu’ils récitaient sonnaient fauxaux oreilles du public. Vassili GrigorievitchBazanov, membre de l’Académiedes sciences de l’URSS, lisait de manièreinsipide et monotone une « chanson à

boire » écrite en Finlande en 1822 parAnton Delvig. C’est probablement EinoKarhu qui avait rédigé le compte-rendude Bazanov. Je ne connaissais ni l’un nil’autre, et leurs travaux ne suscitaient pasle moindre intérêt chez moi. Tout celaétait d’un ennui mortel mais était, enmême temps, empreint d’une partde mystère. Je me suis rendu compte quela Russie était un mystère pour moi et quetoutes ces étrangetés me poussaient àessayer de comprendre au moins quelquechose.

***Il est désormais évident que c’estprécisément lors du symposium de 1966qu’une nouvelle culture politique s’estesquissée, qui recouvrait la notionde finlandisation. Il était symptomatiquede cette époque, et était lié auxchangements survenus dans les relationsrusso-européennes.

La Finlande éprouvait le désir decomprendre l’Union soviétique et sonhistoire. C’est à cette période charnièreque fut fondé l’Institut d’histoire, àl’initiative de Pentti Renvall, et un posted’assistant fut ouvert au sein dudépartement d’histoire de l’Europe del’Est. On ne parlait alors ni de la Russie nide l’Union soviétique, mais de l’Europe del’Est. Les mots « Russie » ou « Unionsoviétique » n’étaient jamais mentionnés.L’Europe de l’Est n’a d’ailleurs jamais faitl’objet d’un cours au sein de l’Institutd’histoire et son histoire n’y était pas nonplus enseignée. À cette époque, l’Europede l’Est n’était qu’un simple intitulé, toutcomme l’était la « politique étrangère »qui, à ce moment-là, rimait presqueexclusivement avec « relations finno-soviétiques ».

Au début, l’homme qui occupaitla fonction d’assistant était presque

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ASPECTS CULTUREL ET HISTORIQUE

le seul, en Finlande, à étudier l’Unionsoviétique. Il y avait bien quelquespersonnes qui travaillaient au seindu département de langues slaves, maisc’était tout. Ce n’est que bien après quele nombre de russisants a augmentéen Finlande, à tel point qu’ils pouvaientremplir un taxi entier et même, un peuplus tard, un minibus. Toutefois, dans unpremier temps, les volontaires pourétudier l’Union soviétique sous tous sesaspects se faisaient rares.

Certes, la Finlande était également isoléede l’Union soviétique, et seulement deuxmille Russes y vivaient. La langue russeainsi que tout ce qui touchait à la Russieen général étaient perçus comme quelquechose d’exotique. Dans les ruesd’Helsinki, on rencontrait rarementdes Russes, mais on croisait parfoisdes petits groupes accompagnés d’unguide qui les emmenait sur les traces deLénine. Ce n’est que dans les années 1970que de nouveaux immigrants ontcommencé à faire leur apparition, aprèsle lancement de projets finlandaisde construction en Union soviétique.

Triomphe de la « finlandisation » etnouvelle ouverture pour la Russie

Les scientifiques possèdent une doublefonction : d’une part, ils essaient de toutcomprendre et de prendre conscience detout. D’autre part, ils luttenten permanence contre la bêtise, ce lourdfardeau qui nous tire constamment versle bas. C’est précisément ce défi qu’a dûrelever l’Institut d’histoire.

À l’Institut Renvall, ce travail étaitcourageusement effectué par OsmoJussila ; quant à moi, assistant audépartement de l’Europe de l’Est, j’ai étéson adjoint pendant de nombreuses

années. En fait, le professeur Jussila étaitpratiquement le seul chercheur du pays às’intéresser à l’histoire de la Russie et, àune certaine époque, il était égalementle critique le plus éclairé de l’Unionsoviétique. Ses points de vue nereposaient pas seulement surles sentiments et les émotions, mais sefondaient également sur de solidesarguments historiques. Et si, autrefois,quelqu’un avait déclaré que la Russiedécernerait l’Ordre de l’Amitié à OsmoJussila lui-même, cela en aurait faitsourire plus d’un. Le professeur Jussila apar tous les moyens transgressé tousles tabous possibles et imaginables del’époque de la finlandisation, la culturepolitique des années 1970.

Dans les années 1980, Jussila a écrit surla Finlande russe et sur la guerre d’Hiver,ce qui a affolé les journalistes etles hommes politiques. Avec le recul, il estnaturel de penser qu’alors, on percevaitdéjà les faibles signaux annonciateursd’un véritable raz-de-marée qui afinalement débouché sur la perestroïka etla chute de l’Union soviétique. Mais, àcette époque, personne n’aurait puprédire, ni même envisager cette situation.Imaginer une telle chose ? On aurait taxéde folie des gens pour bien moins que ça.

L’Institut Renvall est étroitement lié àun autre événement. En effet, la premièreHistoire de la Russie et de l’Unionsoviétique1 est paru en 1985, ce quisignifie que les textes ont été rédigésavant la perestroïka. Les membresde l’Institut Renvall, y compris leprofesseur Osmo Jussila et moi-même,avons activement participé à leurélaboration. À l’époque, le courageinattendu des Finlandais suscitaitde l’étonnement : « Comment ont-ilsl’audace d’écrire l’histoirede la Russie ? » De nombreusesinterprétations ont été perçues comme

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ASPECTS CULTUREL ET HISTORIQUE

antisoviétiques, car elles divergeaientdes versions soviétiques officielles. Uncritique anglais a constaté avecstupéfaction que dans cet ouvrage, il n’yavait aucune trace de finlandisation.

Victoire des sentiments antisoviétiqueset renversement des valeurs

Par après, ce sont précisément lesopinions antisoviétiques qui se sontimposées en Russie et qui y ont remportéla victoire dans l’arène politique. Pourle grand public, cela dépassaitl’entendement. Et c’est justement notreinstitut qui a eu l’audace de secouerles fondements sacrés et intouchables dela politique et de la science, bien avant quece phénomène ne devienne à la mode.

Le communisme s’est soldé par un échecet l’Union soviétique s’est effondrée. Onpouvait enterrer la hache de guerre,le danger était écarté. Le monde entiers’est mis à délaisser l’étude de la Russie.Selon l’Europe, la Russie ne méritait pasd’attention particulière, car elle était moinspeuplée que l’URSS, ce qui lui conféraitmoins d’importance.

Les connaissances des Finlandais surla Russie se sont avérées utiles lorsquela Finlande a intégré l’Union européenne,dont l’adhésion était en grande partie liéeà l’effondrement de l’Union soviétique.Tous étaient convaincus que les Finlandaisétaient de brillants experts de la Russie.

En vérité, seul un cercle restreint descientifiques étudiait la Russie. Je merappelle que nous avions presque tousparticipé à la rédaction du recueilGorbachev and Europe2. Le « taxi » quej’ai mentionné auparavant était déjà plein,mais nous avions en plus proposé àquelques étrangers d’embarquer avecnous pour cette rédaction. Le livre a étépublié en 1990.

Il contenait des chapitres que j’avaisrédigés sur les relations russo-européennes, sur l’URSS en tant quecontinuité de la Russie impériale et surles questions soulevées dans les années1830 déjà par Tchaadaïev, et qui sonttoujours d’actualité. En définitive, j’airessenti la marche du temps plusfortement que je ne l’avais imaginé. Dèsles années 1970, l’Union soviétique a vurenaître le courant slavophile. Dès ledébut de la perestroïka, ce dernier a prisde plus en plus d’ampleur et, de nosjours, c’est presque le courant principalde la pensée russe.

***En science, rien ne se passe commeen politique. Les chercheurs des deuxpays ont longtemps entretenudes relations étroites. En effet, chaqueannée se tenaient des symposiums russo-finlandais consacrés à l’histoire, àl’économie et à l’histoire sociale. Cesséminaires scientifiques avaient lieuchaque année, imaginez-vous ! En outre,toutes les communications étaienttraduites et publiées. Grâce à ceséchanges de réflexion, les spécialistesdes deux pays devenaient de plus en plusqualifiés.

Mais, paradoxalement, quand l’Unionsoviétique s’est effondrée, le financementde ces symposiums a pris fin, alors quec’est précisément à ce moment-là que cesderniers étaient de plus en plusindispensables. Cependant, ils n’ontretenu l’attention ni de l’État ni du milieuuniversitaire. À l’évidence, tout celasentait un peu la finlandisation.

Retour de l’incompréhension

De nos jours, les tentativesde comprendre la Russie provoquentl’agressivité des gens superficiels et des

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hommes politiques à la poursuite d’unepopularité bon marché ; les émotionsprennent la place de la raison. C’est peut-être aussi lié à la volonté d’interpréterl’histoire à la lumière des préoccupationsactuelles.

Il est à nouveau temps de se tournervers l’histoire, afin de percevoir danstoute leur ampleur les changementsradicaux intervenus dans les relationsentre la Russie et l’Europe.

***En résumé, le symposium de 1966 entrela Finlande et l’Union soviétique a été pourmoi d’un ennui mortel. Je ne comprenaispas de quoi il était question, alors que jecomprenais chaque mot. À présent, je lisles rapports de ce symposium d’un autreœil. Non seulement parce que je suisdevenu plus intelligent, mais parce quedes changements ont bouleverséla Russie, l’Europe et les relations entreelles.

Aujourd’hui, je ne considère la« Chanson à boire » de Delvig (Es kannschon nicht immer so bleiben3) ni fausseni ampoulée, mais je la vois plutôt commede la véritable poésie. En 1822, sur la basenavale militaire de Rotchensalm,les officiers de la marine avaient le temps,le goût et le talent pour faire éclorela poésie :

Rien n’est immortel ou invincibleSous l’éternelle et traître luneToute chose fleurit et toute chose se fane,Tout pousse de cette terre misérable.…Désormais confiants et réunisTous autour de ce calice,À toi, éternelle amitié, quiPar ton feu, nous tient à jamais ! »

Cette chanson pourrait devenir le symbolede la coopération entre la Russie etl’Europe, non seulement entreles scientifiques, mais également entreles militaires. En effet, c’est à euxqu’échoit le lourd fardeau de lutter contrela bêtise. Quel plaisir de voir la barbariemontante faire place à la passionde la poésie ! Au sein des écoles militaires,par exemple.

1 Titre en russe dans le texte : ÈñòîðèÿÐîññèè è Ñîâåòñêîãî Ñîþçà (IstoriaRossii i Sovietskovo Soiouza)

Traduit initialement du finnois : Venäjän jaNeuvostoliiton historia, Kirkinen Heikki,Otava, 1986.

2 Titre original en anglais dans le texte.3 Titre original en allemand dans le texte.

Traduit parMorgane Milcent et Alison

Raone et révisé par RomaneGrégoire, Hervé Kerff,Alexandra Mariman etMartin Rome, sous la

rédaction de Anne Delizée,Faculté de Traduction etd’Interprétation – École

d’InterprètesInternationaux, Université

de Mons, Belgique

TVTV

ASPECTS CULTUREL ET HISTORIQUE

L’EUROPE ET LA RUSSIE

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Le système scolaire en Finlande

est constamment renouvelé

et amélioré.

Un nouveau programme de réforme

scolaire a démarré à Helsinki en 2012.

Les écoles primaires de la ville

d'Helsinki s’appelleront désormais les

« écoles mobiles » (Liikkuvia de kouluja).

Cela signifi e que dans chacune des 117

écoles, de nouvelles méthodes seront mises

en œuvre permettant de mener

à bien le processus d’apprentissage actif :

les élèves passeront moins de temps assis

à leurs bureaux dans les salles de classes ;

ils auront plus de travaux pratiques, exerceront

plus d'activité physique lors des récréations

et se rendront à l’école à pied ou à vélo.

Jeunesse Helsinki va de l’avant et apprend

à imposer son infl uence.

La jeunesse de la capitale fi nlandaise ne peut pas se

plaindre que sa voix n’est pas entendue ou que son

opinion est ignorée.

En novembre 2016, la Mairie de Helsinki a lancé

le programme RuutiExpo. L'objectif principal de cette

action est de permettre à chacun des jeunes citoyens

de trouver sa propre voie. RuutiExpo devra préparer

les jeunes à leurs futures activités professionnelles.

Ce programme donnera

la possibilité aux jeunes de participer à des master

classes, à des séminaires, à des conférences et à des

échanges d'idées mais aussi de pouvoir rencontrer

les autorités municipales, des responsables

gouvernementaux, des organisations non-

gouvernementales et les entrepreneurs. C’est un

dialogue constructif dans lequel tout le monde

a le droit de poser des questions, d'être écouté et

de partager ses idées.

Le programme RuutiExpo initie la jeunesse

à la recherche de solutions à diff érents

problèmes sociétaux, tels que les problèmes

juridiques, environnementaux, d’urbanisme

social, économiques et d’enseignement scolaire

; il apprend à être actif et à faire preuve

d'initiative. A travers cette démarche, on

propose aux étudiants des questions destinées

à les faire réfl échir sur leur existence et sur

leur avenir : "Cette étape de votre vie, au

croisement de diff érents chemins, est-elle

considérée comme dangereuse ? Dans quel pays

européen souhaiteriez-vous aller et pourquoi ?

Que pouvez-vous dire à propos de votre

environnement et que la nature représente-t-elle

pour nous tous ? "

Les jeunes sont là pour améliorer Helsinki !

Helsinki prépare l’avenir des jeunes

www.hel.fi /www/helsinki/en www.hel.fi /www/helsinki/fr

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PROSE CONTEMPORAINE

Julie LaloiJulie Laloi

Bakou

J’ouvre la porte de la maison qui donnesur le jardin, il fait un soleil éblouissant. Jedescends prudemment les escaliers, il nefaudrait pas tomber. Je vadrouille sur lechemin et ramasse une cerise desséchée.Elle est tombée de l’arbre et traîne parterre depuis quelques jours déjà, petite etfripée, toute dure, fortement parfumée.Elle est presque noire et, j’en suis sûre,très sucrée… Hop, je l’engloutis.

Je continue ma route, vers les pieds detomates, et j’enjambe vite mais avecprécaution un grand serpent gris toutglabre. C’est un tuyau, mon grand-pères’en sert pour arroser le jardin le soir,pour qu’on puisse s’endormir plusfacilement quand il fait chaud. Ah, voiciles tabourets avec les plateaux de pâtes de

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PROSE CONTEMPORAINE

fruits. C’est délicieux, légèrement acide etsucré à la fois. La pâte est liquide audébut, mais si on ne la touche pas, elledevient dure. Elle est rouge-orangé etgluante, et ça sent si bon ! Je n’aime pasbeaucoup quand elle est fine et sèche,mais quand elle est roulée en coucheépaisse, toute molle… Un délice !

Et partout autour poussent des roses,elles sentent très bon aussi, mais on s’ypique. Comme les framboises, ces baiesrouges qui pendent au-dessus de ma tête.J’aime bien parler avec elles : toi je temange, toi je laisse, toi tu es encore touteverte...

J’entends qu’on m’appelle à la maison,mais personne ne peut me voir ! De toutefaçon, je me suis perdue. Il n’y a pas desentiers entre ces framboisiers, et je megriffe partout, je ne dois pas aller tropvite. De temps en temps, des grenouillesme surprennent, je tombe sur des limacesou de très gros escargots bien jolis, quilaissent des traînées comme s’ils bavaient.Pourquoi sortir de là alors qu’il y a encoredes framboises, ici, et ici aussi ?

Il fait chaud. Les scarabéesbourdonnent. Oh, voilà qu’une framboiseest tombée et s’est égarée ! Comme c’esttriste, j’ai envie de pleurer… Il y a desfeuilles vertes et des branches pleinesd’épines partout. Et là, un trou, on y voitdes pommes et une toile d’araignée. Çaveut dire qu’il y a un arbre, et donc unchemin, et donc le sauna, et donc là leportail des voisins, je suis sauvée ! Lesoleil et ses rayons inondent à nouveau lejardin, et des grappes de cerises jonchentles dalles du chemin, des doubles, destriples.

Je suis chez papi et mamie. J’ai troisans, à Bakou…

Où s’en va l’enfance ?Dans quelles villes ?1

La mienne n’a pas disparu. Elle estsimplement restée pour toujours à Bakou.Dans cette maison, où d’énormes mûres

blanches et noires tombaient des arbres dela cour et où, dans le jardin, voletaient cespétales délicats, rose vif, magiques etparfumés qui tapissaient le sol et dont onfait un jus délicieux pour les poupées – lespétales du pêcher en fleur.

Il fallait, patiemment, les faire rentrerdans une bouteille au goulot étroit, ensuitey verser de l’eau, remettre le bouchon,secouer et attendre que le mélange rosetourbillonnant à l’intérieur s’arrête, seréchauffe au soleil et macère.

Et aussi, dans la piscine gonflable,armés d’une « vraie » canne à pêcheaimantée, on pouvait pêcher des poissonsrouges en plastique au nez métallique etaux écailles en relief. On pouvait aussijouer avec la fille des voisins quand ellevenait pour les vacances. Elle était grande,ordinaire, mais il y avait chez elle une deces Alionouchka ! Elle me laissait parfoissa poupée pour la nuit (avec tous sesvêtements !), mais je devais lui en donnerune des miennes. Quel accord difficile :échanger ! Moi, on peut me faireconfiance, mais elle ? Et si elle ne me larendait pas ? Ou si elle la cassait ? Non, jene donnerais rien ! Et puis de toute façon,pourquoi fallait-il absolument donnerquelque chose en échange ?

On peut aussi jouer de l’autre côté de lamaison, dans la cour. Il y a une sorte debureau d’administration à côté : quelquesmarches et un large perron sur lequel lesarbres sèment de petites feuilles fines àtige jaune. On va les balayer ! Une lourdeporte avec une plaque est entrouverte, etsur la plaque, des lettres à la calligraphieélaborée. Des gens vont et viennent detemps en temps, mais on ne peut pas s’yaventurer. Une rampe en bois bordeaux,tantôt lisse, tantôt rugueuse, fissurée etsillonnée de rainures, borde les deux côtésdu perron. C’est si amusant d’y laisserglisser ses mains !

Bakou, c’est aussi un parc traversé parun chemin bordé de hautes clôtures de

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PROSE CONTEMPORAINE

cyprès. Là, sur la gauche, il y a unmonument autour duquel il est gaide tourner, de se remplir les pochesde pommes de pin ou de petits cônesde cyprès. Un peu plus loin il y ades manèges à pièce. Il suffit de grimpersur une petite marche puis de se hisserjusqu’à l’avion et de s’emparer du volant.Ensuite, mamie met une pièce, et toutcommence à tourner dans tous les sens,les petites lumières s’allument et la sirèneretentit. Au fond du parc se trouve uncinéma en plein air, une enceinte debriques blanches « à trous » le longdu chemin d’asphalte et des messieurs quijouent aux dominos, assis à table. Monpapi est avec eux…

Bakou, c’est la mer. Il y fait toujourstrès chaud et la plage est parseméede coquillages qui piquent les pieds. Dansla mer, il y a de petits crabes et desméduses, ils me font peur. La mer estloin, il faut y aller en bus, rentrer parl’avant et déposer quelques kopecks surla tablette du chauffeur, où s’entassentles pièces, et ensuite, rester debout unlong moment. On peut parfois s’asseoir etregarder par la fenêtre l’entrée desdifférents camps de pionniers, lescomparer et voir lequel est le meilleur,compter les chevalets de pompage quimontent et qui descendentmachinalement, répètent ce mouvementsans jamais s’arrêter, comme s’ils étaientpunis, et moi avec. Ce va-et-vientennuyeux a un côté un peu angoissant,comme si ça devait durer toujours et quenous n’allions jamais atteindre notredestination. En haut, en bas, en haut, enbas. Lentement, platement.

Irrémédiablement, en silence, toujoursplus bas. Il fait très chaud, on étouffe, çasent le pétrole et la transpiration. Je mesens mal, où est cette ligne bleue àl’horizon ? Une fois arrivé, tout le mondese rue hors du bus en même temps, et ilfaut avancer entre les dos, les ventres,

les jambes poilues, les bonnes femmesobèses en bas de maillot de bain énormes.Il y a longtemps que tout est plein sousle grand paravent de plage, unique sourced’ombre, et le soleil tape tellement fortque je ne veux déjà plus aller à la mer.Les gens mangent des œufs, des tomateset des tartines sur leurs serviettesde plage. Ma mamie demande qu’on nousfasse une petite place à l’ombre, justepour abriter la tête, mais moi j’ai déjà desmouches devant les yeux. De l’eau, vite,de l’eau !

Oui, Bakou, c’est la mer. Une merd’amour. Sauf que moi, je n’y connaisencore rien. Il y a juste papi et mamie.Mamie coud d’abord ma robe préférée,celle en dentelle rose. Plus tard, elle m’enfera une bleue. Papi attache une poire àl’arbre (parce que dans une simpleassiette, je ne la mangerais pas). Et voilàque mamie prépare des aubergines. J’enchipe quelques-unes, recrache lesmorceaux de peau, et ensuite, quand papis’endort, je lui grimpe dessus.

Tous les matins, papi va au marché, etmamie demande ce que je veux, et coupeexprès du poulet en tranches ; et je râlede plus belle, quand je disais « tranches »,je parlais du blanc de poulet, et mamie n’apas compris…

Mamie me prend avec elle chez unede ses connaissances, où on nous laissejouer dans une grange, une vraie maisonde poupées où il y a de la vaisselle et unfour. J’ai même la permission de toucherà tout ! Sur le chemin du retour, on entredans une librairie, où je prends mon tempspour choisir une carte postale dePinocchio, et je dépose trois kopecks surle comptoir. On sort dans la rue, et tout àcoup, quelle surprise ! Il y a en fait deuxcartes postales, elles étaient collées !

À Bakou, toujours, un magasinde seconde main vend un manteaude fourrure jaune. Il est un peu grand,mais on s’en va l’acheter. Nous venons

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PROSE CONTEMPORAINE

de loin spécialement pour ça, et pour je nesais quelle raison, le magasin est fermé !C’est dommage, on va devoir revenir, onvoit le manteau à travers la vitrine. Prixde consolation : on va manger une coupede glace, en terrasse sous un parasol. Ilfaut la manger tout doucement, sinon çafait mal à la gorge. Il y a d’autres typesde glace, comme les esquimaux parexemple. C’est quoi, un esquimau ? Je nesais pas, mais c’est ma maman qui me l’adit. Mais une glace sur un bâton,vraiment, c’est encore meilleur !

Même qu’à Bakou, on donne aussides spatules en bois. Je les collectionne etles ramène chez moi. Ce sont de longsbâtons de bois plats dont les extrémitéssont arrondies. On peut les sucer etles cacher. Je les récupère à la cliniqueaprès d’horribles visites au cabinet où l’onme badigeonne l’intérieur de la gorge.

On va jusqu’à la fontaine, une spatule àla main. Le fond de la fontaine est ornéd’un crocodile en mosaïque et d’autreschoses de la mer. Il n’y a pas d’eau dansla fontaine et tous les enfants y dénichentdes pierres multicolores, et moi aussi j’enveux, des vertes brillantes pour« être riche ».

Quand on rentre à la maison, on peut seprécipiter chez les voisins par un portillon.C’est une grande famille arménienne. Ilsont une cour spacieuse, un chienhargneux et des treilles au plafond. Ilsdéjeunent dehors, à une grande table. Ilsnous invitent à les rejoindre, mais on adéjà mangé. Aujourd’hui, ils mangent desfeuilles de vigne farcies, c’est comme duchou farci, mais avec des feuilles devigne. Parfois, l’après-midi, la grande filledu voisin prépare des gâteaux à la crèmesur cette même table. Je sais qu’elle lesfait sur commande, avec de vraies roseset des volutes, comme au magasin. Ons’assied, impatients et salivant à l’idéede pouvoir lécher la poche à douille vide,chacun à son tour.

Les petites filles courent autourde la table. Petites ? Ça veut dire que jesuis déjà plus grande ? Je dois avoir septans. Parce que quand on m’a offert unpoupon pour mon anniversaire, mamanm’a dit que c’était le dernier, car enautomne je rentrais à l’école.

Bakou, ma ville à moi… C’est quandtout le monde est sain et sauf et que toutva bien. Quand on ne doit pas sortir unefeuille de laurier toute sèche d’un bocalpour la rajouter dans la soupe. Il enpousse des belles vertes là-haut, surl’arbre dans le jardin. Quand une figuecoûteuse ne coûte rien, parce qu’elle pendà une branche, mais que je n’en veux pasdu tout (pour que plus tard, dans uneautre ville, dans une autre vie, pendant desannées, je me demande : « C’est quoi unefigue ? À quoi ça ressemble ? »). C’est unfeijoa avec un petit goût de fraise, unfruit, ou peut-être bien une baie, qu’on netrouve pas facilement. Bakou… C’est uneville, où notre train de Stavropol arrivela nuit sans franchir de frontières, il y ade cela trente-cinq ans.

1 Chanson populaire russe.Limoges

Traduit par Hadrien Hacha et révisé parZarema Baisagurova, Hervé Kerff,

Alexandra Mariman et Morgane Milcent,relu par Romane Grégoire et Charlotte

Thomas, sous la rédaction d’Anne Godartet de Nastasia Dahuron.

Faculté de Traduction et d’Interprétation– École d’Interprètes Internationaux,

Université de Mons, Belgique

JLJL

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EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

L’arrivéedes soldats russes

à Marseillele 20 avril 1916

Il y a un siècle, le 20 Avril 1916, dixmille soldats russes débarquaient dansle port de Marseille.

Puis dans les années qui suivirent, ils ontconnu en France l’atrocité de la guerre.Après s’être mutinés au printemps 1917et avoir été parqués et réprimés au campmilitaire de La Courtine en Creuse, aprèsavoir connu les compagnies de travailforcé en France et les déportations enAlgérie, après s’être engagés pourquelques centaines dans la « Légion russepour la France » et pour quelquescentaines d’autres avoir fondé une familleen France, c’est entre 1919 et 1920 quel’immense majorité des anciens soldats ducorps expéditionnaire russe regagnèrent

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EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

la Russie, un pays totalement transformépar la guerre et la Révolution de 1917.Le colloque, organisé le 30 avril 2016 parl’association « La Courtine 1917 »en partenariat avec le Musée d’Histoirede Marseille et le soutiende la Municipalité, sous le patronagescientifique de trois historiens, visait àéclairer une page d’histoire encore assezméconnue de la guerre de 1914-1918en France, tout en la resituant dans lesgrands bouleversements internationauxde cette période.

LiteraruS s’est entretenue à propos dece colloque avec Jean-Louis Bordier,président de l’association « La Courtine1917 », et Eric Molodtzoff, petit-filsd’un soldat de la 1ère brigade russe quidébarqua à Marseille le 20 avril 1916.

Jean-Louis BordierPrésident de l’association« La Courtine 1917 »

Ce colloque scientifique s’est tenu dansle cadre prestigieux du Musée d’Histoirede Marseille pour commémorerle centenaire du débarquement du corpsexpéditionnaire russe dans le portde la ville.

En ouvrant le colloque, j’ai tenu à salueret remercier le public d’être venunombreux. Cent trente personnes étaientprésentes, parfois de loin, de très loin,bien qu’il faille relativiser quand on penseau périple qu’accomplirent les soldats ducorps expéditionnaire russe.

Le premier intervenant du colloque futMonsieur Serguey Molchanov, ConsulGénéral de la Fédération de Russie àMarseille. Heureux de participer à cestravaux de recherche historique surl’histoire du corps expéditionnaire russeen France, il a indiqué qu’une cérémonie

aurait lieu le 12 mai 2016 à Marseille sousl’égide de l’Ambassade de Russieen France et du Consulat de Marseillepour l’inauguration d’une plaquecommémorant le 100ème anniversaire dudébarquement des troupes russes.

La première communication d’historien,celle de Jean-Yves Le Naour, traita avecbrio de la situation internationale etde la guerre en 1914 et 1915 pour aborderensuite, dans la deuxième partie del’intervention, l’arrivée des soldats russesà Marseille le 20 avril 1916. La projectionde 4 minutes de films d’époque montral’accueil plus que chaleureux réservé parles marseillais aux soldats russes.

Des extraits du carnet de guerre dusoldat russe Stéphane Gavrilenko furentlus par son fils, Jean Gavrilenko. Ce futensuite au tour de Françoise Barlési de lireen russe un poème du carnet de guerrede Sergueï Ivanoff dont la petite fille,Claudine Cimatti-Ivanoff, présenta latraduction en français. Et puis, Jean-PaulGady donna lecture d’un texte de RodionMalinovski relatant son arrivée à Marseillele 20 avril 1916.

L’historien Jean-Jacques Marie clôturala matinée par la présentation de sacommunication intitulée « De laconférence de Kienthal d’avril 1916 audéclenchement de la révolution russe ».Son propos montra de façon très détailléecomment les militants internationalistescombattirent pour le refus de la guerre,contre le vote des crédits de guerre dansles différents parlements, un combat lié àl’exigence de la sortie des ministressocialistes des gouvernements d’Unionsacrée.

En début d’après midi, l’historien RémiAdam, spécialiste de l’histoire du corpsexpéditionnaire russe, nous présenta cetteépopée avec l’histoire de la mutineriede la Courtine. Il le fit en montrant avecprécision et force de détails comment etpar quels canaux la « contagion » que

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EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

portaient les soldats russes en arrivant enFrance s’était étendue et avait innervél’ensemble du corps expéditionnaire etcomment la révolution s’était frayée unchemin jusque dans les tranchées du fronten Champagne.

Fut ensuite projeté le film de PatrickLe Gall « 20 000 moujiks sansimportance » suivi d’un débat etd’échanges nourris pendant près d’uneheure entre les participants et leshistoriens.

Les publications des historiens etles revues de l’association « Les cahiersde la Courtine » dont le hors-série « Lessoldats russes de l’Ile d’Aix, 1917-1920 »eurent un grand succès.

Le colloque fut conclu en donnantrendez-vous à tous les participants pourles trois jours d’évènementscommémoratifs du centenaire

de la répression de la mutineriede La Courtine en septembre 2017.

Eric Molodtzoff,petit-fils de Michel Molodtzoff,soldat de la 1ère brigade russe

La création de l’association « La Courtine1917 » en 2012, et surtout de son siteInternet en 2014, ont permis auxdescendants en recherche d’informationssur leurs aïeux ayant appartenu au CERFde trouver un lieu d’échange. Nouspartageons tous un point commun : nousétions tous isolés dans nos recherches.Beaucoup d’entre-nous s’étaient tournésvers l’ASCERF (Association du Souvenirdu Corps Expéditionnaire Russe enFrance), la plus ancienne association

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EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

de descendants. Il s’est avéré que c’estun lieu fermé. Nous avons tous été reçusavec courtoisie mais il y règne un entre-soi qui pose rapidement les limitesde l’échange.

L’ASCERF a pour but de préserverle souvenir et la culture de l’ancienneRussie tsariste. S’y retrouvent en majoritédes descendants d’officiers « blancs »orthodoxes. Les descendants des simplessoldats n’y sont pas admis et aucune aiden’est à attendre de ce côté (rien ou si peuautour du destin des soldats russes aprèsl’offensive Nivelle et la répressionde la Courtine de septembre 1917).

L’association « La Courtine 1917 » adonc toute sa place pour combler ce videen ramenant en pleine lumière ce quela censure a caché pendant un siècle.

Elle nous permet de nous retrouver,de sortir de l’isolement, et de partager noshistoires ainsi que les informations etdémarches nécessaires pour avancer dansnos recherches respectives.

Ainsi, depuis deux ans, une quinzainede familles nous ont contactés. Nousavons pu les aider dans leurs démarches,souvent avec succès. De nombreuxéchanges ont eu lieu par mail. Nous avonspartagé des textes, des documents etdes photos.Le colloque de Marseille a été un

moment fondateur. Pour l’association biensûr, mais aussi pour les descendants. Il aété l’occasion pour les familles de serencontrer et d’échanger de vive voix.Nous avons immortalisé ce moment avecun cliché de groupe. C’est une photode famille très émouvante. Car nousformons une famille. Hier dispersée,aujourd’hui réunie.Pour clôturer le colloque, le président

Jean-Louis Bordier a souhaité me donnerla parole et je vous livre en guisede conclusion les deux réflexions qui mesont venues à l’esprit :

La première est la valeur d’exemple quereprésente l’histoire des soldats du CERF.Elle prouve que des hommes, condamnéspar un pouvoir hiérarchique à poursuivreun destin qu’ils refusent, peuvent déciderde ne plus subir. C’est d’autant plusméritoire que les soldats russes venaientd’une société écrasée par un régimeautocratique fondé sur l’injusticede classe et la répression de toute velléitéde liberté. Je pense que cette leçon esttoujours actuelle.

La seconde est la puissancede la censure. Il aura fallu près de 70 anspour que l’histoire du CERF, en tout casla partie cachée de la mutinerie et de sarépression, soit sortie des oubliettesde l’histoire.

Je voudrais saluer le travaildes historiens. On sait leur rôlefondamental dans la société, mais vouspouvez imaginer sans peine l’immenseaide qu’ils nous apportent dans nosrecherches familiales respectives. Jusqu’àun passé récent les descendants devaientse débrouiller seuls pour reconstituerl’histoire de leurs aïeux avec, commemaigre point de départ, quelques photos etanecdotes pour les plus chanceux. Grâceaux travaux des historiens nous avons pureplacer chaque destin individuel dansla grande histoire du CERF.

Je ne voudrais pas que ce colloques’achève sur une image totalementnégative.

En effet, la France qui a réprimé cessoldats est aussi celle qui, après la guerre,va accueillir ceux qui souhaitaient rester.Elle leur donnera la nationalité françaisepour la plupart, leur donnera du travail etleur permettra de fonder une famille.Nous, descendants, nous sommes aussile résultat de cette France-là.

Nos échanges à l’occasion de cecolloque nous ont permis égalementde constater que notre père, grand-pèreou arrière-grand-père respectif n’avait pas

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EMIGRATION RUSSE EN FRANCE

souhaité nous transmettre la langue etla culture russe.

En analyser les raisons nécessiterait unautre colloque. Cent ans après les faits,la question de nos origines russes faitirruption dans notre présent. Ainsi nous nesommes jamais quittes avec notre histoire.

Voici un siècle nos aïeux étaientcamarades.Ensemble ils tentaient de survivre dans

l’horreur des tranchées. Je serais curieuxde savoir ce qu’ils penseraient de voir,cent ans après, leurs descendants réunisen leur nom.

Moment d’émotion : onze descendants de soldats russes, enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, qui purent se connaître, grâce tout particulièrement à deux membresde l’association « La Courtine 1917 », Claudine Cimatti et Eric Molodtzoff.

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URBAIN

Pour un nouveau rayonnementd’une petite

ville dynamiqueet de son territoire

Par Igor Volovik

Vue générale sur le centre et la partiesud de la ville : on distingue le bourg intra-

muros et le carré de l’esplanade duChamp de Mars.

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URBAIN

des sols liée à l’étalement urbain.Les objectifs poursuivis pour le centre-bourg sont les suivants : l’affirmationde la centralité du bourg par rapport aubassin de vie ; le renforcement del’attractivité et du rayonnement de la villepar rapport à son territoire ; la créationde nouvelles dynamiques économiques,sociales et démographiques ;la valorisation des patrimoines historiques,paysagers et naturels ; le renouvellementurbain ainsi que le renforcement des liensentre le centre et la périphérie.

La candidature de la ville Saint-Marcellin aété retenue parmi les 50 communes sur302 communes de France éligibles dansle cadre de l’expérimentation nationale.Malgré sa petite taille (8.500 habitantsenviron), Saint-Marcellin jouit d’une

EEn 2014, le Gouvernement français adécidé de lancer un programmeexpérimental, sous forme d’appel à projetpour la revitalisation des centres-bourgsdes petites villes de moins de 10.000habitants situées en milieu rural.Le maillage équilibré du territoire, avecla présence de centres-bourgs vivants etanimés, est un enjeu majeur du principed’égalité des territoires. Le programmenational en faveur de la revitalisationdes centres-bourgs vise à dynamiserl’économie des bassins de vie ruraux etpériurbains, en développant des activitésproductives et résidentielles, à améliorerle cadre de vie des populations, en offrantnotamment des logements de qualité et unmeilleur accès aux services de proximité et à accompagner la transition écologiquedes territoires et limiter l’artificialisation

Vue sur l’estacade de la ligne du cheminde fer Grenoble-Valence, construite en

1864, les faubourgs dans la partie sud dela ville et le massif du Vercors.

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URBAIN

renommée internationale grâce à lafabrication du fromage mais aussi grâce àses noyers. Mais l’importance de la villeva bien au-delà de sa renommée. Cettepetite – en taille – ville historique était auMoyen Age la deuxième capitale duDauphiné accueillant des magistrats, avantde devenir, au cours des XVIIIe et XIXesiècles, une Sous-préfecture duDépartement de l’Isère. Aujourd’hui,chef-lieu d’une agglomération de plusde 20.000 habitants, la ville va devenir, en2017, le centre d’une agglomérationélargie, de 40.000 habitants. La villecontinue de rayonner à l’échellede la vallée du Sud Grésivaudan, grâcenotamment à son Hôtel des Impôts, à sescollèges et lycées, à son marché et, biensûr, grâce à sa nouvelle et très modernesalle de spectacles de 600 places :le Diapason. La ville est égalementnommée une des villes-centres au Schémade Cohérence Territoriale de la RégionUrbaine Grenobloise, au même titre queGrenoble et Voiron.

Saint-Marcellin est une ville dynamique.Avec ses clubs sportifs de qualité et ses

résultats aux compétitions nationales, la ville s’est vue décerner le Prix « La villeplus la plus sportive de France de 2013 ».Sur le plan culturel, elle accueillele Festival Barbara. Saint-Marcellin estaussi une ville-projet : elle mènede nombreuses études en urbanisme,environnement et patrimoine historique, eteffectue des aménagements des espacespublics et des quartiers. Ces actionsciblent la planification, et l’innovation.Ainsi, afin de mettre en cohérencel’ensemble de ses projets, la ville s’estdotée d’un Agenda 21, labellisé en 2013.

Une des particularités, qui a permisà la ville d’être sélectionnée pourla revitalisation de son centre-bourg, estla mise en place d’un « Dialoguecompétitif ». Grâce à cette procédure,trois bureaux d’études, ayant de largescompétences en urbanisme, architecture,paysage, sociologie, économie, etc., ontpu dialoguer durant plus d’une année avecles élus et les services municipaux. Cela aabouti à la création d’un nouveau schémadirecteur qui va guider la revitalisationdu centre-bourg.

Aujourd’hui, Saint-Marcellin est en

Le marchéde samediaccueilledesmaraîcherset des clientsde la valléedu SudGrésivaudan,des collinesdesChambaranetdescontrefortsdu Vercors.

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URBAIN

pleine mutation, face à de nouveauxenjeux sociaux, économiques etenvironnementaux. Mais si cette ville-centre veut écrire une nouvelle pagede son histoire urbaine, elle doittransformer ces défis en nouvellesdynamiques, et développer ses atoutsde centralité au sein d’un territoire dontelle est le cœur. Cette revitalisation ne se

Une terrasse de caféet, au fond,l’Hôtel de Villeconstruit en 1906dans un stylegothique-Renaissance.

Photos : Tavarès et servicecommunication de la ville

de Saint-Marcellin.

fera qu’en harmonisant tous les élémentsessentiels qui font vivre une ville et sonterritoire : redonner une impulsion auxcommerces, adapter l’habitat auxchangements de population, développerles services aux habitants, rénoverles équipements, le tout en continuantde s’inscrire dans une politiquede développement durable.

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ACTUALITE CULTURELLE

En écho à la saison russede l’Opéra de Limoges, le Musée limougeaud

des Beaux-Artsa accueilli une exposition-dossier d’une durée

de six semaines consacréeaux Ballets Russesde Serge Diaghilev.

Ballets russes à Limoges

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ACTUALITE CULTURELLE

Chorégraphed’origine russe –Nadejda Loujine,ancien professeurà l’École du Balletde l’Opéra nationalde Paris,spécialistede dansede caractère, puiseson inspirationcréatrice dansla traditionpopulaire russe.

Visite guidée parJean-BernardCahours d’Aspry –historien d’art,auteur denombreux livressur la culture russe,Saint-Pétersbourget les saisonsrussesde Diaghilevà Paris.

Ce projet culturel a vu le jour grâce à un partenariat avec l’association parisienne « Pourun Musée de la Danse », représentée par Jocelyne Meunier et présidée par la danseuse

étoile et chorégraphe d’origine géorgienne Ethéry Pagava.Les visiteurs ont pu découvrir des documents et objets originaux de l’époque issus des

collections privées : programmes, photographies, statues, aquarelles et croquis descostumes de théâtre.

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ACTUALITE CULTURELLE

LiteraruS – 50Le séminaire

« LiteraruS dans l’espace de la culture européenne »a eu lieu à Helsinki

du 23 au 24 mars 2016.Il a été consacré

à la50ème parution de la revue en langue russe.

Les participants duséminaire lors d’une visitedes quartiers historiquesde Porvoo, Finlande.

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ACTUALITE CULTURELLE

La ville historiquede Porvoo

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ACTUALITE CULTURELLE

La revue adresseses remerciements

aux enseignants et étudiantsde la Faculté de Traduction

et d’Interprétationde l’Université de Mons

pour la traduction d’articleset de textes de fiction

ainsi que pour leur soutien lorsde la préparationde ce numéro.

UMONS