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Intérêts et limites de la biologie délocalisée dans la prise en charge des douleurs
thoraciques
Patrick Ray1, Guillaume Lefèvre
2
1 Service d’Accueil des Urgences et
2Service de Biochimie et Hormonologie, Groupe
Hospitalier Tenon-Saint Antoine, 4, rue de la Chine, F-75020 Paris, Université Pierre et Marie
Curie-Paris 6, Paris, F-75013, France.
2
Résumé
La biologie délocalisée (POCT pour point of care testing chez les anglo-saxons) est une
approche séduisante car elle permet à l’urgentiste d’avoir à sa disposition et dans des délais
extrêmement courts les résultats des principaux dosages notamment de biomarqueurs
cardiaques. Son besoin est réel dans certaines situations cliniques ou organisationnelles et
institutionnelles. La médecine fondée sur des preuves démontre un gain de temps
indiscutable, et une étude interventionnelle montre également un intérêt clinique certain dans
la prise en charge des douleurs thoraciques vue aux urgences. Sa mise en place nécessitera
une discussion et une collaboration étroite entre cliniciens et biologistes.
3
INTRODUCTION
La biologie délocalisée (POCT pour point of care testing pour les anglo-saxons) pose
un vrai problème pour le clinicien. Intuitivement, pour les cliniciens qui travaillent dans
l’urgence, l’idée d’avoir à sa disposition et dans des délais extrêmement courts les résultats
des principaux dosages biologiques est très séduisante. Cette idée concerne aussi bien le
réanimateur qui doit adapter au mieux les paramètres ventilatoire du respirateur chez un
patient sous ventilation non-invasive pour une décompensation hypercapnique de
bronchopneumonie chronique obstructive (BPCO) et qui a besoin de connaitre le pH et la
PaCO2, par la mesure des gaz du sang arétriel (GdS), que l’urgentiste pré-hospitalier qui
devant un électrocardiogramme suggestif voudrait une confirmation rapide d’une
hyperkaliémie, ainsi que l’urgentiste hospitalier qui veut connaître précocement le résultat de
dosage de troponine cardiaque (cTn) chez un patient ayant une douleur thoracique pour savoir
s’il peut éliminer un infarctus du myocarde (IDM) et faire rentrer à domicile et avec sécurité
ce patient de façon précoce, sans oublier l’anesthésiste qui prend en charge un patient en choc
traumatique pour lequel une correction de l’hémostase (plaquettes, TP, TCA, fibrinogène et
calcium ionisé) est fondamentale. Cependant, les études démontrant l’intérêt clinique de la
biologie délocalisée sont encore rares. Cette revue générale a pour objectif de montrer
l’intérêt, mais aussi les limites de la biologie délocalisée et de discuter sa place en médecine
d’urgence.
GENERALITES
Les biomarqueurs peuvent avoir un but diagnostic, être utilisés pour estimer la
survenue d’une maladie ou un but pronostic, pour suivre la réponse à une intervention
thérapeutique ou de substitution [1-4]. En urgence, les biomarqueurs sont le plus souvent
utilisés à visée diagnostique (cTn, D-Dimères, NT-proBNP, fraction N terminale du B-type
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natriuretic peptide) mais la plupart d’entre eux peuvent avoir également un intérêt
pronostique (cTn, lactate). Le plus souvent la biologie délocalisée permet de mettre à
disposition du clinicien (dans l’ambulance du SAMU, en salle de réanimation ou aux
urgences), un analyseur permettant un dosage rapide des paramètres biologiques
« critiques » : ionogramme, créatinine, urée, TP, TCA, HCG, Hémoglobine, cTn T ou I (et
plus rarement maintenant myoglobine et fraction MB des CPK), BNP ou NT-proBNP, D-
Dimères, lactate et mesure des GdS sont les plus fréquents. Nous nous limiterons à quelques
exemples au vue des publications afin de démontrer l’intérêt et les limites de la biologie
délocalisée. Actuellement en France environ 40% des ambulances de SAMU sont équipées
d’un appareil pour doser le BNP ou NT-proBNP ou la cTn au domicile du patient et de
nombreuses unités de soins intensifs cardiologiques ont également un « analyseur au lit du
patient » pour doser les marqueurs cardiaques (BNP ou NT-proBNP, cTn I ou cTnT). La mise
en place d’une analyse délocalisée peut avoir plusieurs motifs. La justification médicale
d’une réponse rapide, les analyses « délocalisables » devant correspondre à celles impliquées
dans les urgences vitales ou les urgences organisationnelles. Les contraintes des relations
laboratoire/ service clinique sont aussi à considérer : contraintes géographiques,
fonctionnelles principalement. Notamment, il est intéressant que ce dispositif puisse être
contrôlé en temps réel par le laboratoire central, de façon à mettre en œuvre rapidement les
actions correctives voire le cas échéant bloquer l’analyseur en cas de dysfonctionnement
majeur.
Trois questions principales peuvent être posées en préalable à l’utilisation d’un dispositif de
biologie délocalisée :
Question 1 : Est ce que l’analyseur utilisé en biologie délocalisée présente des caractéristiques
analytiques (sensibilité, précision, linéarité, interférence, etc…) suffisantes et acceptables
pour être validées comme tout autre analyseur de biologie ?
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Question 2 : Est-ce que les patients qui ont bénéficié du dosage délocalisé en retire un
bénéfice par rapport à ceux pris en charge « comme d’habitude », c'est-à-dire avec une
analyse réalisée au laboratoire central ? C’est la réponse donnée par les études d’impact ou les
études interventionnelles. Différents critères de jugement selon les situations peuvent être
proposés : temps de passage aux urgences (exclusion précoce d’un IDM), délai entre la prise
de sang et la prise en charge adaptée à la maladie (prescription d’antiagrégants plaquettaires et
d’anticoagulant pour un syndrome coronarien aigu (SCA), diagnostic précoce d’insuffisance
cardiaque aiguë devant une dyspnée), réduction du pourcentage d’hospitalisation ou de la
durée d’hospitalisation ou de la mortalité.
Question 3 : est-ce que l’organisation interne de l’institution nécessite réellement l’installation
de la biologie délocalisée ?
Enfin, la dernière question qui a longtemps cristallisé les relations entre biochimistes et
urgentistes, est : Qui s’occupe de la maintenance de l’appareil et est-ce que la biologie
délocalisée est dans tous les cas du domaine du biologiste et qui en est responsable ?
LA BIOLOGIE DELOCALISEE : LE POINT DE VUE DE L’URGENTISTE.
Le temps de séjour aux urgences pour un patient donné dépend de nombreux facteurs :
données issues du patient (âge, pathologie, gravité) et autres variables : temps passé pour les
examens radiologiques, intervention des autres spécialistes, raisonnement et prescription
médicale et soins infirmiers, temps passé pour les résultats biologiques… Ce dernier
paramètre peut être décomposé en différentes étapes : prescription médicale, prélèvements
proprement dits, identification, étiquetage, acheminement, analyse en laboratoire central,
validation technique et biologique, retour du résultat et interprétation, et finalement
incorporation dans la démarche diagnostique ou thérapeutique. Certaines études ont montré
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que le temps d’analyse biologique (au laboratoire) proprement dit représente de 19 à 47 min,
un délai variable selon les analyses demandées et l’activité (jour ou garde) [5]. De plus, la
prescription d’un bilan biologique concerne une minorité des patients aux urgences. Pourtant,
les urgentistes « râlent » souvent sur le délai de retour des résultats, selon eux toujours trop
long. S’il est vrai qu’il existe des recommandations (rendu de la cTn dans l’IDM voir ci-
dessous), les situations sont rares où les recommandations sont aussi précises et opposables.
Situations où la prise en charge ne dépend pas de la biologie.
C’est le dans le cas d’une douleur thoracique évocatrice avec un ECG suggestif (sus-
décalage du segment ST, SCA ST+), des examens biologiques (dont le dosage de la cTn)
seront quand même prescrits. Mais, sans attendre le résultat, le patient sera soit orienté en
cardiologie pour une coronarographie urgente soit une thrombolyse sera réalisée en structure
d’urgence immédiatement. Un patient admis pour une complication hémorragique grave sous
anti-vitamine K (choc hémorragique, hémorragie intra-cérébrale, hémorragie digestive,…)
doit être immédiatement « antagonisé » par du concentré de complexe prothrombinique
(ancien PPSB) et de la vitamine K sans attendre le résultat de l’INR ou du TP (même si ceux-
ci seront bien entendu prélevés). Lors de la prise en charge d’une douleur abdomino-
pelvienne chez une patiente en âge de procréer, la présence de métrorragie et d’une anémie et
d’un test urinaire HCG positif suffit pour poser le diagnostic de grossesse extra-utérine sans
attendre la confirmation par le dosage sanguin.
Situations où la prise en charge dépend de la biologie.
En revanche, les situations cliniques où l’utilité de biologie délocalisée est
intuitivement importante sont nombreuses et leur prévalence en structure d’urgence également
(liste non exhaustive) : suspicion de SCA non ST+, ou la positivité d’une cTn confirme le
7
diagnostic d’IDM (mais une négativité ne l’élimine pas !) Un dosage répété à H6, voire à
seulement H3 avec les troponines de haute sensibilité) et apporte un élément pronostic
péjoratif, utile pour la stratégie thérapeutique (souvent plus « agressive ») ; dyspnée aiguë
chez un patient âgé avec de nombreuses co-morbidités, où la précocité d’un traitement
adéquat (vasodilatateurs et/ou diurétiques) améliore le pronostic d’un œdème pulmonaire
cardiogénique [6] et où le dosage précoce du NT-proBNP ou du BNP est fondamental (état de
choc avec dosage du lactate) [7].
Indépendamment, de toutes les situations cliniques citées ci-dessus, de plus en plus de
« petites » structures d’urgence hospitalières (souvent privées) n’ont pas de service de
biologie proche et sont obligés de collaborer avec des laboratoires centraux souvent éloignés
ce qui entraîne des délais d’acheminement difficilement compatibles avec les urgences. La
mise à disposition dans le service d’urgence d’un analyseur de biologie délocalisée permet de
gagner énormément de temps. De plus, il est clair que les SMUR/SAMU utilisent maintenant
très largement la biologie au chevet du patient pour les douleurs thoraciques, les dyspnées et
que ces dosages aident au diagnostic même si la médecine sur les preuves reste encore floue
(voir plus loin) [8].
LA BIOLOGIE DELOCALISEE : LE POINT DE VUE DU BIOLOGISTE
La définition des analyses de biologie délocalisée a fait l’objet de plusieurs rédactions
successives. Selon la norme ISO 22870 ce sont « toutes les analyses réalisées à proximité du
patient ou à l’endroit où il se trouve dont le résultat peut entraîner une éventuelle modification
des soins prodigués au patient ». Selon le rapport Ballereau, la biologie délocalisée est
organisée et placée sous la responsabilité du biologiste responsable [9]. La biologie
délocalisée concerne les examens de biologie médicale réalisés en dehors des laboratoires de
biologie médicale. Elle concerne les examens réalisés soit dans les unités mobiles
8
hospitalières (UMH), dans les services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) dans les
services de réanimation et de soins intensifs, ou les blocs opératoires. Dans tous les cas, ce
sont des analyses de biologie médicale effectués dans les établissements de soins par les
médecins non biologistes ou le personnel soignant en dehors des locaux dédiés à la biologie
médicale. Les analyses de biologie délocalisée sont différentes de celles relevant d’un acte
infirmier (article R.4311-5, 39°, du Code de la Santé) « recueil des données biologiques
obtenues par des techniques à lecture instantanée comme : glucose, acétone, protéine,
recherche de sang, pH dans l’urine : glycémie, cétonémie dans le sang .
Les analyses utilisables auprès des patients sont essentiellement réalisées soit avec des
analyseurs « miniaturisés » permettant une interprétation des résultats et intégrant idéalement
un contrôle de qualité, soit des « bandelettes » à lecture subjective, quantitatifs ou semi-
quantitatifs (ex. : tests de diagnostic unitaire, tests rapides…). Les progrès technologiques
actuels favorisent le développement de ces dispositifs [10]. Les principales caractéristiques de
ces évolutions sont la robotisation, la miniaturisation, l’informatisation permettant la
simplification de la démarche technique, l’accélération du temps d’analyse, et la
simplification de la maintenance.
Les critères de qualité de l’analyte sont fondamentaux : les performances analytiques
du dispositif délocalisé doivent être proches à celles de l’analyseur de référence. De plus, les
valeurs doivent être comparables de façon à interpréter correctement les variations des valeurs
entre deux analyses successives. La robustesse des analyseurs « délocalisés » doit être
importante et l’analyte doit être analytiquement « robuste » vis-à-vis des interférences
analytiques notamment l’hémolyse (non quantifiable sur la plupart des dispositifs et
malheureusement souvent trouvée dans les prélèvements réalisés en urgence). Le dispositif
délocalisable doit être de conception et d’utilisation simple, nécessitant une formation
9
« courte » pour un personnel non formé aux techniques biologiques. Le cahier des charges
d’un analyseur délocalisé idéal est rappelé sur le tableau I.
ANALYSE DE LA LITTERATURE : EXEMPLE DE L’IDM
En ce qui concerne plus spécialement les POCT « marqueurs cardiaques », les
problèmes spécifiques sont principalement analytiques, l’absence de standardisation
notamment des dosages de cTn se traduisant par une absence de concordance entre les valeurs
des troponines délocalisées et celle des laboratoires centraux, source d’erreur d’interprétation.
Ainsi la concordance n’est pas parfaite même pour des dispositifs d’une même société en ce
qui concerne le dosage de la cTn et l’utilisation du seuil décisionnel actuellement
recommandé (99e percentile) [11]. Cependant, Hicks et al. insistent sur la nécessité d’un
temps de retour des résultats de 1 heure, voire ½ heure (TAT : turn around time) : si ce délai
ne peut être respecté l’installation d’un dispositif délocalisé est recommandée [12]. Les
dosages semi-quantitatifs ne sont pas recommandés dans le cadre des dosages des marqueurs
cardiaques, leur fiabilité aux concentrations basses en Tnc étant moyenne. Une liste des
principales caractéristiques des dispositifs délocalisables permettant le dosage des marqueurs
cardiaques est résumée dans le tableau III.
Nous détaillons ici (liste non exhaustive) quelques études méthodologiquement
acceptables sur la prise en charge des patients suspects d’IDM.
Résultats des travaux observationnels
Une des premières études a été publiée en 1996 par Parvin qui a comparé sur presque 5000
patients, le temps de passage aux urgences avant et après la mise en place de la biologie
délocalisée (ionogramme, glycémie et urée) au département d’urgence. Le délai médian
n’était pas modifié, même pour les douleurs thoraciques (152 vs. 172 min. avec la biologie
10
délocalisée) [13,14]. Sur une série de 60 patients avec douleur thoracique suspecte de SCA,
Di Serio et al. [15] démontrent que le temps pour obtenir le résultat (cTnI, myoglobine, CPK-
MB) avec la biologie délocalisée (TriageMeter®, Biosite/Alere) était diminué
significativement de 27 vs. 83 min. avec le dosage au laboratoire central. En revanche, cette
étude n’apportait pas d’argument pour démontrer que la biologie délocalisée améliorait le
pronostic du patient à court ou moyen terme. Lee-Lewandrowski [16] et al. ont évalué 369
patients consultant aux urgences avant et après mise en place de la biologie délocalisée :
glycémie, h-CG, CPK-MB et cTnI (Spectral Diagnostics, Stratus®). En moyenne, le temps
pour obtenir le résultat avec la biologie délocalisée était diminuée de 87%, avec un temps
diminué de passage aux urgences de 41 min. (p=0,006). La satisfaction des cliniciens passait
de 2,0 (sur une échelle de 1 : peu satisfait à 5 : très satisfait) à 4,3 après la mise en place de
l’appareil de biochimie délocalisé. Loten et al. [17] n’ont pas réussi à démontrer un gain de
temps par le dosage de cTnI par une méthode délocalisée (i-STAT®, Abbott) chez plus de
900 patients suspects de SCA non ST+dans deux services d’urgences australiens. Cependant,
la méthodologie de l’étude était très discutable (problème de randomisation). Singer et al. [18]
ont montré, chez des patients avec douleur thoracique suspecte de SCA, dans une étude avant
(n=232) et après (n=134) que l’introduction d’un appareil de biologie délocalisé (Stratus
SC®, Siemens) permettait de réduire de façon majeure le temps entre la prescription du
dosage et le résultat (15 vs. 83 minutes !!), et de diminuer également le temps de séjour aux
urgences (5,2h vs. 5,8h), tout en conservant une excellent sensibilité (100%) et spécificité
(96%), par rapport aux données issues du laboratoire central. Ordonez-Llanos et al. [19] ont
montré dans une étude prospective (1410 patients suspects de SCA) que l’association
myoglobine + cTnT avait le même pouvoir prédictif des complications cardiovasculaires
qu’elle soit dosée aux urgences (POCT par la méthode Cardiac reader® de Roche) ou au
laboratoire central. Un résultat confirmé par Collinson et al. [20] sur un travail réalisé en unité
11
de soins intensif de cardiologie (USIC). Les performances diagnostiques des deux tests étaient
identiques. Les 263 patients randomisés entre POCT (Cardiac T®, Roche) et dosage au
laboratoire central (Elecsys®, Roche) ont eu la même mortalité. Dans le sous-groupe (n = 64)
des patients non admis, il existait une réduction significative de la durée d’hospitalisation en
USIC (145 vs. 80 h) et de la durée totale d’hospitalisation (209 h vs. 150 h) pour les patients
randomisés dans le groupe POCT. Apple et al. suggèrent dans une étude de type avant
(n=271) et après (n=274) que la mise en place d’un appareil de biologie délocalisée (Stratus
CS®, Dade Behring) diminue le temps de rendu du résultat de cTnI au clinicien (médiane de
76 avant vs. 20 minutes après; p<0.001) et les coûts de 25% [21]. Venge P. et al. ont réalisé
la plus grande étude multicentrique à ce jour chez 1069 patients suspects de SCA et n’ont
cependant pas réussi à démontrer l’intérêt d’un dosage précoce et délocalisé de la cTnI (i-
STAT®, Abbott) : l’analyseur délocalisé était moins sensible dans la prédiction des
évènements défavorables que les dosages réalisés au laboratoire central [22]. Lee-
Lewandrowski ont comparé les résultats donnés par un automate de laboratoire central
(Elecsys®, Roche), par rapport à ceux obtenus de 2 méthodes de POCT (Triage® de
Inverness et i-STAT®, Abbott) , chez 204 patients suspects de SCA aux urgences, dont 22
avec IDM confirmés. La méthode automatisée de dosage de cTnT avait une meilleure
sensibilité (0,88 vs. 0,55, 0.63 respectivement) que les deux POCT, même si l’aire sous la
courbe des trois méthodes était identique (0,87 vs. 0,80, 0.88 respectivement) [23]. Enfin
Collinson et al. ont évalué l’intérêt de l’association de 3 biomarqueurs (TnIc, myoglobine,
CKMB réalisé sur Stratus CS, Siemens) dans une étude multicentrique incluant 1125 patients
en utilisant la définition universelle de l’IDM de 2007 comme critère principal. Cette étude
confirme que la troponine à elle seule possède un intérêt diagnostic équivalent à l’association
de la Troponine aux autres marqueurs [24].
12
Résultats des études randomisées
A notre connaissance, quatre études méthodologiquement correctes ont réalisées. La première
étude était monocentrique et française avec randomisation des patients. En 2008, Renaud et al
a comparé le temps écoulé entre l’admission et le moment de prescription du traitement
cardiaque (prescription d’antiagrégants plaquettaires, d’anticoagulant et de β-bloquants pour
un SCA). Au total, 860 patients suspects de SCA non ST+ ont été inclus, dont 113 avec un
diagnostic final de SCA non ST+. Dans le groupe biologie délocalisée (Stratus SC®, Dade
Behring), 428 patients ont été randomisés et 432 dans le groupe laboratoire central
(Dimension RxL-HM®, Dade Behring). Le temps entre la prise de sang et le résultat de la
cTnI était diminué dans le groupe biologie délocalisée (38 vs. 109 minutes ; p<0,001). Le
temps entre l’admission et la prescription du traitement médicamenteux était également
diminué (151 vs. 198 minutes ; p<0,001). Malheureusement, la durée de séjour aux urgences
était identique (309 vs. 307 minutes). De plus, le pourcentage de patients recevant le
traitement médicamenteux (prescription d’antiagrégants plaquettaires, d’anticoagulant et de β-
bloquants était de 85% dans les 2 groupes), ou la coronarographie (47% vs. 45%
respectivement) était identique dans les deux groupes de même que le taux d’admission en
cardiologie, la durée d’hospitalisation ou la mortalité à court et moyen terme [25].
Ryan et al. ont réalisé une grande étude randomisée à ce jour avec 1000 patients inclus dans le
bras délocalisée (i-STAT®, Abbott) et autant dans le bras contrôle. Les auteurs avaient estimé
que la biologie délocalisée ferait « gagner » 20 min. pour le rendu du résultat. Malgré la
biologie délocalisée, le temps médian de retour à domicile (4,6 vs. 4,5 h) ou de transfert dans
une autre unité (5,5 vs. 5,4 h) n’étaient pas différents entre les 2 groupes [26].
L’étude RATPAC (pour Randomised Assessment of treatment using Panel Assay of Cardiac
Markers) a comparé la prise en charge des patients avec ou POCT (Siemens Stratus® CS
analyser) permettant le dosage de la myoglobine, des CK et de la cTnI. 1125 Plus de 2000
13
patients ont été inclus dans 6 centres différents anglais. Goodacre et al.. ont montré que la
mise en place du POCT permettait de faire sortir les patients plus facilement (32% vs. 13%),
et sans augmenter le risque de réadmission grave à court terme. Le nombre de patients sans
admission était plus nombreux dans le groupe POCT (54 vs. 40%) et les patients randomisés
POCT recevaient plus de clopidogrel (21 vs. 16%) et étaient plus souvent hospitalisés en unité
de soins coronaires (4 vs. 2%). [24]
Than et al. ont réalisé une étude prospective de validation d’un protocole clinico-biologique
d’une durée de deux heures pour évaluer les patients avec une douleur thoracique [27]. Pour
chaque patient, le score TIMI était évalué, ainsi que le dosage de la myoglobine, cTn ou CK-
MB par un appareil de biologie délocalisé (TRIAGE® ou CardioProfilER® de Alere), à H0 et
à H2. Sur 32 mois, 3582 patients ont été inclus et ont complété le suivi dont 370 considérés
comme ayant un bas risque, et 3260 de haute probabilité (modification électrique ou score
TIMI supérieur ou égal à 1, ou valeur du biomarqueur > seuil). Dans le groupe à bas risque,
seulement 3 patients ont eu des complications cardiaques. La sensibilité de cette combinaison
(modification ECG + score TIMI > 1 + positivité du biomarqueur), était de 99,3 %
[IC95%=97,9-99,8], la valeur prédictive négative de 99,1 [97,3-99,8] et le ratio de
vraissemblance négative de 0,1 [0,00-0,02].
EXPLICATIONS DES RESULTATS PARFOIS NEGATIFS
En dehors des explications strictement méthodologiques (qualités parfois médiocres
des études), d’autres explications peuvent être données pour comprendre pourquoi les
résultats des études d’impact sont globalement négatifs.
1. A l’exception de l’IDM avec ST+ (ou l’accident vasculaire cérébral de
moins de 4,5 heures), il existe peu de pathologies pour lesquelles un
traitement est vraiment urgent, c'est-à-dire qu’un délai supplémentaire d’une
½ avant l’administration du traitement serait préjudiciable. Et
14
malheureusement (ou bien heureusement), tous les travaux ont évidemment
exclu les patients avec SCA ST+, pour lequel le clinicien ne doit pas
attendre le biomarqueur avant de décider la thérapeutique urgente
(coronarographie avec dilatation ou thrombolyse). En revanche, il n’y a pas
de travaux démontrant que l’administration précoce (1 heure de moins) du
traitement médicamenteux (prescription d’antiagrégants plaquettaires,
d’anticoagulant et de β-bloquants) améliore les patients avec SCA non ST+
(en dehors peut-être des patients à très haut risque qui représentent moins de
5% des patients avec SCA non ST+).
2. L’intérêt des biomarqueurs est n’est pas démontré dans toutes les situations
cliniques graves où les cliniciens les utilisent, quelle que soit le lieu
d’analyse (laboratoire central ou délocalisé). Ainsi, toutes les études
d’impact évaluant l’intérêt du dosage du NT-proBNP ou du BNP chez les
patients dyspnéiques ne sont pas probantes [27], alors même que ce
biomarqueur est recommandé par la Société Européenne de Cardiologie
depuis 2007, pour évaluer un patient dyspnéique suspect d’insuffisance
cardiaque.
3. Une donnée fondamentale est celle de l’utilisation du résultat. Si le résultat
est donné tôt et que pour autant le clinicien ne prend pas la bonne décision
thérapeutique, l’intérêt d’un dosage précoce s’effondre devant le mauvais
choix thérapeutique de l’urgentiste.
4. L’utilisation par des hôpitaux de la biologie délocalisée varie énormément
selon différents facteurs et pas toujours de façon de compréhensible
(organisation interne, procédure opérationnelle, relation entre laboratoire et
service d’urgence, architecture, historique des pratiques, etc.…) [28].
15
Les critères de jugement utilisés sont différents d’un travail à l’autre. La majorité
essaye de démontrer une réduction du temps de passage aux urgences qui
intuitivement est évidente !! Mais, gagner du temps (20 min. par exemple) pour un
patient avec un SCA non ST+ est-ce suffisant pour décider de la mise en place d’un
appareil de biologie délocalisée dans un service d’urgence ?! Sûrement lorsqu’on parle
de SAMU pour lequel il n’y a pas d’alternative à la biologie délocalisée, mais plus
discutable lorsqu’on s’adresse à un centre hospitalo-universitaire qui aurait une
organisation interne satisfaisante. Il n’en reste pas moins que selon les
recommandations, le résultat de cTn doit être donné dans l’heure qui suit la
prescription médicale, ce qui doit amener les cliniciens et les biologistes à définir
ensemble les critères pour obtenir cet objectif, quitte à introduire un appareil
délocalisé aux urgences. Enfin, il est important de rappeler que les dernières
recommandations de la Société Européenne de Cardiologie insiste sur l’apport
diagnostique des troponines de haute sensibilité dont la définition analytique
(CV<10% au 99ème
percentile) ne les rend malheureusement pas disponibles
actuellement sur les appareils de biologie délocalisée.
CONCLUSION
La biologie délocalisée et sa mise en place nécessitent une collaboration étroite entre
cliniciens et biologistes. Elle est intuitivement très séduisante pour un urgentiste prenant en
charge les patients avec douleur thoraciques suspectes de SCA. Son besoin est réel dans
certaines situations organisationnelles et institutionnelles. Plusieurs études sérieuses
méthodologiquement ont démontré son intérêt. Néanmoins, d’autres évaluations et travaux
scientifiques sont encore nécessaires pour en préciser la place, ses avantages et ses limites.
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Tableau I : Principales caractéristiques des analyseurs délocalisés (marqueurs cardiaques)
•Qualité analytique équivalente à celle des analyseurs des laboratoires centraux (précision,
justesse, interférences, etc ..)
•Sang total préférentiellement
•Simplicité d’utilisation
•Rapidité d’exécution (< 20 min)
•Résultats quantitatifs (préférentiellement)
•Contrôle qualité externe et interne
•Conformité à la Norme NF EN ISO 22870 (responsabilité biologique)
22
Tableau II : Délai de rendu des analyses en fonction de leur importance clinique (d’après
Casagranda [8]).
Analyses immédiates
Gaz du sang
Electrolytes
Lactate
Hémoglobine / hématocrite
Analyse urinaire élémentaire
Analyses rapides (délai rendu < 60 min.)
Troponine I ou T
Facteur Natriurétique de Type B (BNP) ou NT-proBNP
D-dimères
Temps de prothrombine
Hormone ChorioGonadotrophique (HCG)
C-réactive protéine
Numération formule sanguine
Procalcitonine
Amylase /Lipase
Analyse urinaire
Liquide céphalo-rachidien (cytologie, biochimie, bactériologie)
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Tableau III : Principales caractéristiques des analyseurs de biologie délocalisée pouvant réaliser les dosages des marqueurs cardiaques
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Analyseur Type Dosage Echantillon Temps d’analyse Tests réalisables
Stratus CS (Siemens) Analyseur de paillasse Immunométrie plasma LiHep 15 min. CKMB
2 sites Myoglobine
Troponine I
i-Stat (Abbott) Analyseur transportable Immunométrie plasma/sang total 10 min. Troponine I
Triage Cardiac (Alere) Analyseur transportable Immunométrie plasma/sang total 10 à 15 min. Troponine I
EDTA CKMB
Myoglobine
Cardiac Reader (Roche) Analyseur de paillasse Immunométrie Sang total LiHep 8 min. Myoglobine
12 min. Troponine T
12 min. NT-proBNP
AQT 90 (Radiometer) Analyseur de paillasse Immunométrie Sang total 18 min. Troponine T ou I
CKMB
Myoglobine
NT-proBNP
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CKMB : fraction MB des CPK, LiHep : héparinate de Lithium ; EDTA : Ethylène Diamine Tetracétique (sel de potassium)