Guide pratique des mécanismes endogènes de...
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-Prof LEZOU Dago Gérard
-Dr MALANHOUA Kouassi Aimé
GUIDE PRATIQUE DES MECANISMES ENDOGENES DE
PREVENTION, DE GESTION ET DE RESOLUTION DES
CONFLITS EN AFRIQUE DE L’OUEST
ED/TLC/CGE/2015/03
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Introduction :
Koroba Fama est chef coutumier et originaire du nord de la Côte d’Ivoire,
précisément dans l’aire culturelle sénoufo. Lors d’un conflit qui oppose les
éleveurs nigériens et les autochtones, il s’adresse à ses compatriotes en leur
affirmant que « Vient qu’on vive ensemble est égal à vient qu’on fasse
palabre ». Toute l’assemblée était stupéfaite de savoir que les conflits soient
inhérents à nos sociétés.
Ces sociétés humaines auto-génèrent des valeurs et des mécanismes qui
consolident les relations entre ces membres. Ces mécanismes dits endogènes
participent à l’émergence d’une nation qui prévoit ses propres outils de
prévention, de gestion et de résolution des conflits. Le continent africain en
regorge des centaines dont l’essentiel peut se limiter aux proverbes, aux contes,
aux masques, aux alliances à plaisanterie et dérivés, aux totems, etc.
Le proverbe est une formule langagière de portée générale contenant une
morale, expression de la sagesse populaire ou une vérité d’expérience que l’on
juge utile de rappeler. Il est une formule figée, une métaphore, qui exprime une
vérité d'expérience ou une vérité de bon sens, un conseil. Dans un contexte de
conflit ou de difficultés, les Maîtres de la parole, peuvent ramener la sérénité et
le calme avec une parole de sagesse ou le proverbe.
Le masque se définit comme un esprit qui ne meurt pas. Et personne ne
connaît sa date d’existence dans la tradition. Cela sous-entend que le masque est
immortel voire atemporel. Le masque a la capacité de s’incarner dans la matière.
Il est la représentation de l’irréel et du réel.
Les alliances à plaisanteries sont un phénomène social, caractéristique des
relations humaines. De même qu’il existe dans certaines sociétés, certaines
civilisations, des échanges et des hiérarchies entre les membres de familles, de
même il existe des liens entre les membres de clans différents.
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Le totem est un objet matériel auquel l’individu témoigne un certain
respect, parce qu’il croit qu’entre sa propre personne et l’objet déterminé, il
existe un lien qui gouverne sa vie. Le totémisme forge une conscience collective
et crée une communauté de personnes liées par le même totem et qui sont
obligées de se porter assistance et de ne jamais porter atteinte de quelle que
manière que ce soit à un membre de cette communauté. Par ailleurs, toutes les
communautés ayant le même totem constituent des fratries et sont liées par un
pacte de non-agression.
Ces méthodes et mécanismes endogènes, propres à l’Afrique ont été
éprouvés par les civilisations occidentales au moment de la colonisation et le
choc continue de se produire dans toutes les dimensions de la vie sociale. On
s’en apercevra dans la présente étude : les cas pratiques sont rares parce que les
acteurs africains intellectuels, politiques ou décideurs ne pensent plus, ni dans
leurs cultures, ni dans leurs langues. La vie politique n’est pas en marge, surtout
avec les nombreux conflits que connait le continent africain dont les solutions
sont parfois importées de l’extérieur sans prise en compte des réalités locales.
Les curricula des systèmes scolaires et universitaires sont en déphasage avec le
vécu et les cultures des populations qui les consomment. Ce choc de civilisation
doit motiver l’étude approfondie des outils endogènes de prévention, de gestion
et de résolution des conflits en Afrique, afin que les communautés africaines
retrouvent leurs repères.
Le présent travail s’est donné pour objectif de contribuer à cette mission
qui s’inscrit dans la vision de l’UNESCO à travers la série de séminaires et de
colloques qu’elle entreprend depuis plus d’une décennie. Il s’inscrit dans la
même logique du programme initié par la Chaire UNESCO pour la culture de la
paix relatif à une étude plus large de ces mécanismes au plan continental.
L’ouvrage constituera sans doute, une matière qui nourrira la réflexion dans le
cadre de la communauté des bonnes pratiques initiée au lendemain de la
rencontre d’Addis-Abeba, du 20 au 21 septembre 2013.
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PROVERBES
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Identification du mécanisme
« Vient qu’on vive ensemble est égal à vient qu’on fasse palabre »
� Explication : Le conflit est inhérent à toute vie en société. Dès lors, la
survenue des crises ne doit pas être une raison de division, de séparation.
Bien au contraire, elle doit contribuer à promouvoir la cohésion. Le
conflit est un facteur avec lequel, il faut compter dans les relations
humaines.
Origine
Côte d’Ivoire (Dioula)
Fonctionnement
Les valeurs de ce proverbe sont diverses : la tolérance, la maitrise de soi, le
pardon, le dépassement de soi.
Il est évoqué dans des situations de règlement de conflits afin d’amener les uns
et les autres à se pardonner, à dépasser leurs différends.
Forces
Cet énoncé est un appel à la banalisation des conflits en vue de maintenir
l’équilibre et la cohésion sociale. Il faut savoir transcender les conflits et les
mésententes pour une paix durable.
Faiblesses et limites
Un esprit moins mature pourrait l’interpréter à un niveau littéral et penserait que
ce proverbe invite à des querelles constantes. Pour ce dernier, ce proverbe serait
une sorte d’apologie du conflit.
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Suggestion pour utilisation
On peut l’utiliser pour la résolution de conflits entre membres d’une même
communauté. Ce proverbe et sa signification doivent faire l’objet de
sensibilisation et d’une large diffusion dans les foyers de belligérance et, surtout,
dans les communautés post-crise comme en Côte d’Ivoire. Il peut être proposé
comme commentaire ou analyse littéraire dans les classes lors des
enseignements de la littérature ou des traditions orales.
Cas pratique
Dans le même registre…
« Les dents et la langue se cognent souvent »
Identification du mécanisme
« Deux eaux chaudes ne peuvent se refroidir »
� Explication : la cohésion sociale et la paix entre les hommes nécessitent
des sacrifices et des concessions de part et d’autre.
Origine
Côte d’Ivoire (Dioula)
Fonctionnement
Les valeurs de ce proverbe sont la concession de part et d’autre lors des litiges,
le dépassement de soi, la tolérance ; dans un sens large, ce proverbe fait appel au
sens du civique et de la démocratie : il évoque implicitement la nécessité
d’oppositions constructives. Il est évoqué dans un contexte de réconciliation et
d’apaisement des belligérances.
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Forces
Succinct.
Suggestion pour utilisation
Ce proverbe pourrait faire l’objet d’affichage sur des pancartes dans le cadre de
campagne de sensibilisation en faveur de la réconciliation et de l’apaisement des
oppositions. Pour les institutions scolaires et universitaires ayant déjà engagées
l’enseignement de la littérature et traditions orales ce proverbe, par sa
construction en litote est une phrase indiquée pour une exploitation maximale
dans les cadres soit des commentaires, d’analyses ou de dissertations.
Dans le même registre…
« Quand les habitants de la case se soumettent les uns aux autres ça donne longue vie à la
case », (Proverbes Dioula, p.)
« Deux hommes tombés ne peuvent pas se relever l’un l’autre » (Proverbes Dioula, p.25)
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Identification du mécanisme
« C’est quand l’intérieur de la termitière est refroidi qu’elle fait sortir des
champignons » Taki, Oya Robert, Proverbe Gban, p.29
� Explication : L’intérieur refroidi évoque la fertilité, la production,
l’apaisement et la paix. La paix est la condition fondamentale du
développement social, de l’épanouissement et du bien-être des
populations.
Origine
Côte d’Ivoire, Centre-Ouest (Gban)
Fonctionnement
L’intérêt de ce proverbe réside dans le fait qu’il renvoie aux langues nationales
donc facilement interprétable par les populations : un ventre ou un intérieur
froid renvoie au calme, à la paix. Un ventre chaud à la colère. Ce proverbe
valorise de la paix en tant que préalable au bonheur des populations.
Il est utile en période pré et post conflictuelles. Dans le premier cas, il attire
l’attention sur la nécessité de conserver la stabilité sociale en vue du
développement. Dans le second, il a vocation à inviter à taire les antagonismes
dans l’intérêt de la communauté. Une juste et intelligente extrapolation peut
assimiler « l’intérieur de la termitière » à la nation ou à la communauté. Une
nation, une communauté, unie et solidaire, en paix noue plus facilement des
relations pacifiques, durables avec les autres nations et les autres peuples.
Forces
Expressif, émane de la culture du terroir et donc facilement assimilable. Il est
applicable à la situation sociale que vit actuellement la Côte d’Ivoire.
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Suggestion pour utilisation
Ce proverbe pourrait être intégré aux manuels scolaires pour apprendre aux
élèves le civisme. Il peut servir de slogan pour les campagnes de sensibilisation
aux conditions du développement. Il peut servir en situation électorale en vue de
faire prévaloir la paix.
Identification du mécanisme
« Un seul bois de chauffe ne cuit pas la sauce » Taki, Oya Robert, Proverbe
Gban, p.32
� Explication : L’union fait la force. Dans une communauté, la
participation de tous est indispensable à la réalisation de projets d’utilité
publique.
Origine
Côte d’Ivoire, Centre-Ouest (Gban)
Fonctionnement
Ce proverbe met l’accent sur les valeurs que sont la solidarité, l’entraide,
l’union.
Il est dit dans des situations qui invitent à une conjugaison des efforts dans le
sens d’édification ou de la construction d’un idéal commun.
Ce proverbe a un caractère inductif : puisqu’il faut plusieurs bois de chauffe
pour cuire la sauce, il est nécessaire que tout le monde soit solidaire pour faire
parler de leur communauté, la développer et se développer ensemble. Il émerge
le concept de co-développement qui ouvre des perspectives d’exploitation.
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Forces
Proverbe simple du point de vue de l’image, dont le sens se laisse cerner sans
réflexion. Il est même de compréhension universelle (« l’union fait la force »).
Aussi apparait-il comme un fait avéré avec une potentialité susceptible de
s’actualiser en plusieurs sens.
Suggestion pour utilisation
Ce proverbe pourrait être utilisé pour fédérer toutes les forces autour de la
gestion de la chose publique, pour un résultat plus efficient.
Il peut servir dans le cadre des campagnes de prévention de crise en ce sens qu’il
évite les cas de frustration et les sentiments de manquement ou de
marginalisation.
Cas pratique :
Le chef du village de Wawakro voulant exhorter ses administrés à se joindre à
lui afin d’œuvrer pour le rayonnement du village, avait cité ce proverbe. La
pensée du chef ayant une valeur inductive, elle implique que pour être fort, le
groupe doit être solidaire. Un bois de chauffe symbolisant une personne et la
sauce le but à atteindre pour le bien de tous.
Dans le même registre…
« C’est les deux mains qui se lavent »,
« Les deux mains se lavent mutuellement »,
« C’est ensemble que les Fourmies font leur nid »,
« Quand un arbre tombe sur une personne, c’est une autre personne qui peut le secourir »,
(Proverbes Gban),
« Un seul doigt ne peut pas prendre le caillou »,
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« si tu vois un vautour sur la maison de ta marâtre, ne dit pas : lève-toi sur elle, mais : lève-
toi sur nous »
« un seul arbre ne fait pas la forêt » (proverbe baoulé)
« Quand les tisserands se lèvent ensemble, ils font grand bruit » (Proverbe sénoufo)
Identification du mécanisme
« Des querelles ne peuvent casser un village qui s’appelle village entente »,
Proverbe Dioula, p.
� Explication : L’entente est le ciment qui évite la division et la déchirure
de toute société.
Origine
Côte d’Ivoire, Nord (Dioula)
Fonctionnement
Ce proverbe met l’accent sur la nécessité de maintenir l’entente dans une
communauté d’individus.
Il sied dans le cadre de prévention de crises. Même après une crise il est
opérationnel pour inviter les uns et les autres à aller dans le sens de la paix.
Forces
Enonciation claire, le sens se laisse cerner sans réflexion poussée.
Suggestion pour utilisation
Ce proverbe pourrait être utilisé pour fédérer toutes les forces autour de la
gestion de la chose publique, pour un résultat plus efficient.
Il peut servir dans le cadre des campagnes de prévention de crise en ce sens qu’il
appelle à l’union, à l’unité, la fusion.
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Les médias (presses écrites, radios, télévisions) pourraient être des relais
efficaces pour la vulgarisation de tels messages surtout dans le cas de pays qui
sortent de crises comme la Côte d’Ivoire.
Cas pratique :
Dans le même registre…
« Les tam-tams s’accordent bien, les balafons s’accordent bien, les flûtes s’accordent bien,
mais il est encore mieux quand les hommes s’accordent bien » (Proverbes Dioula, p.)
Identification du mécanisme
« Si tu veux te passer de tous les bois fumants de ton feu, il s’éteindra »,
Proverbe Dioula, p.
� Explication : Il faut accepter les autres avec leur défaut.
Origine
Côte d’Ivoire, Nord (Dioula)
Fonctionnement
Ce proverbe rappelle l’importance de la solidarité, de l’acceptation mutuelle, du
pardon dans la vie communautaire. Il insiste sur la nécessité de faire abstraction
de la variété des sensibilités individuelles pour une stabilité sociale garantie.
Dans la même logique, l’on y lit le facteur différentiel comme un déterminant
d’une société forte et paisible ; le ciment de cette force étant cette diversité.
Forces
Enonciation claire, le sens se laisse cerner sans réflexion poussée.
Le rythme binaire favorise la lisibilité et la mémorisation du discours…
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Suggestion pour utilisation
Dans un contexte marqué par l’imminence d’une crise ou fragilisée par un
conflit ayant pour facteur déclencheur la diversité des points de vue, ce proverbe
pourrait servir d’arguments de prévention et de règlement du conflit. Il suffit,
pour s’en convaincre, de voir son appel à l’acceptation des différences et de
l’utilité de les considérer comme nécessaires à la réalisation de l’idéal des uns et
des autres.
Sa large diffusion suivie de commentaires à travers les manuels scolaires, les
médias (presses écrites, radios, télévisions) pourrait être des relais efficaces pour
la vulgarisation de tels messages surtout dans le cas de pays qui sortent de crises
comme la Côte d’Ivoire.
Cas pratique :
Fonctionnaire à la retraite, le sexagénaire N’dja Blou à Bouaké tenait à dire au
chef et aux notables de son village que, compte tenu de leur nombre croissant et
de leur savoir-faire, les jeunes, les handicapés et les indigents devraient
désormais être associés à la gestion du village. Ainsi, pendant une réunion il
avait cité ce proverbe.
Dans le même registre…
« Si tu n’as que du gros bois pour allumer ton feu, il ne prendra pas ; il te faut ajouter des
brindilles. » (Proverbes baoulé)
« Dieu n’a pas créé les doigts d’égale longueur » (Proverbes dioula)
« C’est grâce au cou que la tête arrive à s’asseoir » (Proverbe sénoufo, nord Côte d’Ivoire)
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Identification du mécanisme
« Lorsque les poules picorent, chacune respecte l’œil de sa voisine », Proverbe
sénoufo.
� Explication : Il est important de ne point chercher noise à nos semblables
dans nos relations.
Origine
Côte d’Ivoire, Nord (Dioula)
Fonctionnement
On lit à travers ce proverbe l’importance qu’il y a à agir avec prudence et
circonspection dans les relations interindividuelles. Cette attitude garantit les
intérêts des uns et des autres et in fine, constitue un facteur essentiel de la
cohésion sociale et de la paix.
Forces
Cet énoncé a le mérite de partir d’une image accessible à tous pour la découverte
de sa signification. Autrement dit, son caractère dénoté facilite sa
compréhension par la plus grande masse.
Suggestion pour utilisation
Dans la mesure où ce discours met l’accent sur l’attitude précautionneuse qui
doit prévaloir dans les relations entre les membres d’une même communauté, il
serait très adapté à une situation de prévention des crises.
Pour un bon écho de ce type de message sur les populations et la réalisation de
cet idéal, l’on devrait enseigner les différents chefs de communauté, les guides
religieux, les leaders d’opinion ainsi que tous les responsables qui ont des
pouvoirs de décision à être des relais de ce type de message au sein des groupes
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sur lesquels il exercent leur influence. Mais eux-mêmes, devraient u prêter
attention pour la préservation des intérêts des autres.
Cas pratique :
Fonctionnaire à la retraite, le sexagénaire N’dja Blou tenait à dire au chef et aux
notables de son village que, compte tenu de leur nombre croissant et de leur
savoir-faire, les jeunes, les handicapés et les indigents devraient désormais être
associés à la gestion du village. C’est pour cela que pendant une réunion il avait
cité ce proverbe.
Dans le même registre…
« L’on ne pile pas du foutou devant la case de son ennemi » (Proverbes sénoufo)
« Si ta souris doit être obligatoirement initiée au poro1, ce n’est pas le chat qui doit en être
chargé » (Proverbes sénoufo)
« Regarde ! Regarde ! Si tu ne vois pas, quand l’objet va te piquer dans l’œil, tu le verras»
(Proverbe dioula)
1 Société initiatique en pays senoufo dans le nord de la Côte d’Ivoire.
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Identification du mécanisme
« Celui qui va se noyer saisira même un fer rougi au feu pour se sauver »
MANDE Zanaw, Proverbes dioula.
� Explication : Pour aller à la paix, et devant la nécessité de survie, aucun
sacrifice n’est trop fort.
Origine
Côte d’Ivoire, Nord (Dioula)
Fonctionnement
L’accent dans cet énoncé discursif est mis sur la nécessité du sacrifice à
consentir par les individus d’une communauté quel que soit le préjudice subi, en
vue de parvenir à la paix.
La mise en résonnance de la situation périlleuse encourue ici, symbolisée par la
noyade, et la saisie du fer rougi qui se présente comme la mortification ou le
geste difficile, permettant d’éviter la mort, se lit comme le sacrifice extrême (les
plus inimaginables) à consentir pour conjurer le mal. Dans le cas des pays en
conflit, il s’agit des sacrifices à faire ou à accepter de faire dans le sens du
pardon et de la paix. Pour la paix, on peut tout accepter.
Forces
Enonciation claire, le sens se laisse cerner sans réflexion poussée.
Rythme binaire permettant une lisibilité de la signification du discours…
Ce proverbe a un caractère inductif. S’il est clair qu’aucun sacrifice n’est de trop
ou trop fort à digérer, on doit surmonter nos blessures causées par le conflit,
surmonter nos frustrations.
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Suggestion pour utilisation
Certaines personnes ayant souffert lors de conflits ont du mal à dépasser leurs
blessures et à accepter la réconciliation, ruminant sans cesse vengeance. Ce
proverbe est indiqué pour les amener au pardon, au dépassement de soi, à la
nécessité d’accepter même ce qu’on pourrait appeler une pilule amère.
Sa large diffusion à travers les manuels scolaires, les médias (presses écrites,
radios, télévisions) pourrait être des relais efficaces pour la vulgarisation de tels
messages surtout dans le cas de pays engagés dans un processus de
réconciliation post-crise, et où les cœurs restent ulcérés et les clivages encore
très profonds comme la Côte d’Ivoire.
Cas pratique :
Dans le même registre…
« Si tu n’as que du gros bois pour allumer ton feu, il ne prendra pas ; il te faut ajouter des
brindilles. » (Proverbes baoulé)
« Dieu n’a pas créé les doigts d’égale longueur » (Proverbes dioula)
« C’est grâce au cou que la tête arrive à s’asseoir » (Proverbe sénoufo, nord Côte d’Ivoire)
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CONTES
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Œuvre : Cun Cakica, Abidjan, Edilis, collection Alpha et
Développement, 2002
Titre du conte : « Taureau blanc, taureau noir, taureau rouge », pp.15-20
Auteur : Kalilou Tera
Identification du mécanisme
Trois taureaux très solidaires réussissaient toujours à faire opposition à un lion
qui voulait les dévorer. Ayant compris que la solidarité était le véritable obstacle
à l’assouvissement de son appétit, le lion use de ruse et parvient à désolidariser
les trois amis en brisant leur union. Désormais esseulés, chacun se retrouve à la
merci du lion qui les dévore l’un après l’autre.
Fonctionnement
Ce genre de conte est dit à titre préventif pour prévenir les discordes, les cas de
désolidarisation ou de dissensions dont on ne prévoit pas toujours l’issue. En
tant que tel, il fait ressortir les valeurs d’union et de solidarité, gage d’une
société forte.
Forces
- Ce conte montre clairement l’importance de l’union, de la solidarité.
- Il souligne la nécessité d’user de discernement dans l’appréhension des
informations que l’on reçoit surtout quand celles-ci sont de nature à semer
le trouble, la division.
- Ce récit insiste sur le fait que chacun, à quelque niveau qu’il se situe, est
un noyau essentiel de la cohésion sociale. En clair, la force et la survie de
toute communauté ne résident que dans l’union de ses membres.
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Suggestions pour utilisation
Ce texte pourrait servir de support de formation pour les ONG militant pour la
cohésion sociale et surtout pour la prévention des crises intercommunautaires.
Sensibilisation des populations (avant et après) face aux risques de crise liées à
l’intoxication. Cette sensibilisation peut s’effectuer à tous les niveaux (écoles,
confession religieuses, ONG, associations politiques).
Œuvre : Cun Cakica, Abidjan, Edilis, collection Alpha et
Développement, 2002
Titre du conte : « Le lion et la souris », pp.27-30
Auteur : Kalilou Tera
Identification du mécanisme
Un lion revenant bredouille d’une longue journée de chasse, capture une souris.
Celle-ci le supplie d’épargner sa vie. Pris de compassion, malgré la faim, le lion
relâche sa proie. Quelques jours plus tard, le lion se retrouve pris dans un piège,
la souris qui passe par là le voit et le délivre du danger.
Fonctionnement
Ce conte dégage deux valeurs : le sacrifice et la gratitude. Ces deux valeurs sont
importantes pour la culture de la paix en ce sens qu’elles évitent à la société de
tomber dans une spirale de vengeance et de violence gratuite.
Ce récit est efficace dans les autres cas d’incidents malheureux, de frustration,
d’ingratitude souvent observés dans nos sociétés.
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Forces
Le récit du lion et du rat encourage le dépassement de soi et le sacrifice. Il
souligne également l’importance de tous (petits et grands, majorité et minorité,
forts et faibles) dans la construction et la consolidation d’une nation.
Ce texte est très instructif et recèle une forte valeur pédagogique. Il est facile à
comprendre, le message se perçoit clairement permettant ainsi d’atteindre plus
facilement une cible ou un public plus large, même les plus jeunes.
Suggestions pour utilisation
Ce genre de texte serait opérationnel dans les manuels scolaires, notamment
dans les cas de programmes de formations civiques. Il permettrait d’encourager
le don de soi pour le bien de tous.
On pourrait l’utiliser également dans les cas de protestations contre des mesures
discriminatoires ou lois contraignantes en insistant surtout sur le sacrifice de soi.
Œuvre : Cun Cakica, Abidjan, Edilis, collection Alpha et Développement, 2002
Titre du conte : « Querelles de margouillats », pp.21-26
Auteur : Kalilou Tera
Identification du mécanisme
Le coq, témoin d’une querelle entre deux margouillats, se retrouve incapable de
les séparer. Il court demander de l’aide au bélier, au bœuf et au cheval. Ceux-ci
refusent prétextant la futilité de cette querelle. La situation dégénère contre toute
attente et cette querelle de margouillats finit par embraser la maison. Tous
périssent à l’issue de cette querelle qu’ils avaient pourtant la possibilité de
juguler dès le départ.
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Fonctionnement
Ce conte insiste sur la nécessité pour les membres d’une collectivité,
quelle que soit leur différence (âge, sexe, religion, politique, opinion…) de se
mettre ensemble et veiller à gérer les crises à l’état embryonnaire (étouffer le
problème dans l’œuf)
Forces
Le conte pointe directement du doigt la passivité des individus et leur
négligence face aux conflits sociaux à l’état larvaire. Ce désintérêt entraine des
conséquences désastreuses à tous les niveaux.
Ce conte dénonce aussi les cas d’indifférence des uns face aux malheurs
des autres, le manque de solidarité.
Suggestions pour utilisation
Faire la promotion de ce genre de conte dans les médias. Restaurer les
concours de conte intitulé il était une fois… et les émissions télévisées de conte
intitulées mensonge d’un soir.
En fonctionnement, ce conte a une forte potentialité d’actualisation qui
pourrait, par exemple, s’appliquer à la gestion des problèmes d’identité négligés
en Côte d’Ivoire, qui a débouché selon certaines sources sur une crise militaro-
politique entre 2002 et 2010. De telles initiatives permettraient non seulement de
promouvoir le conte dont l’intérêt au niveau de la population est fortement en
baisse tout autant qu’elles serviraient de mode prise de conscience afin que l’on
ne laisse pas éclater les crises et les gérer dès que les premiers germes se font
sentir.
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Œuvre : Cun Cakica, Abidjan, Edilis, collection Alpha et Développement, 2002
Titre du conte : « Cun Cakica », pp.21-26
Auteur : Kalilou Tera
Identification du mécanisme
Deux amis tambourineurs, Cun et Cakica, jouaient de deux instruments
qui se complétaient harmonieusement. Ils devaient ainsi leur succès à la mélodie
créée par la différence de leurs instruments. Mais un jour, présumant être
exploité par son ami Cakica à qui il reprochait d’être opportuniste et moins
indispensable, Cun décide de se séparer de lui et va faire carrière seul.
Désillusionné par son insuccès, il retourne vers son ami afin de reconstituer
l’équipe célèbre d’antan.
Fonctionnement
Ce conte met l’emphase sur l’esprit de solidarité, de complémentarité et
d’union qui doit prévaloir entre les membres d’une communauté quelles que
soient leurs différences.
Par ailleurs, il attire l’attention sur le danger qu’il y a à faire prédominer
les intérêts personnels ou individuels dans les relations interindividuelles.
Il fonctionne sur un mode binaire ; la situation de départ, marquée par
l’union des membres, entraîne le succès alors que la désolidarisation et
l’individualisme débouche sur l’échec et la fragilisation du corps social. C’est ce
que va comprendre le personnage de Cun qui symbolise tous ceux qui se laissent
submerger par leur prétention d’être plus utiles que les autres, ignorant que leur
prétendue force vient de l’effort conjugué de tous.
Ce conte est dit dans les circonstances où les ambitions individuelles ont
tendance à prendre le dessus sur les intérêts de la communauté.
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Forces
La moralité de ce conte réside dans le courage et l’humilité de se mettre
en question après s’être trompé. Il promeut également des valeurs comme la
solidarité, la complémentarité en tant que socle d’une société forte et paisible.
De cause à effet, ce conte invite à rejeter des vices comme l’égoïsme et le
nombrilisme qui fragilisent la cohésion et la stabilité sociale. Ce conte s’adresse
aux leaders politiques des États africains surtout, qui parfois ont du mal à se
réconcilier dans l’intérêt de la nation.
Faiblesses et limites
Le conte s’achève brusquement pouvant ainsi laisser l’auditeur perplexe
quant à l’issue de l’histoire. Mais en optimisant, cette fin brutale peut favoriser
le prolongement de la réflexion personnelle.
Suggestions pour utilisation
Cet énoncé pourrait être utilisé à des fins didactiques et éducatives pour
l’initiation des enfants à la culture de la solidarité, à la citoyenneté et au
patriotisme, gages de paix.
Il pourrait faire l’objet de représentation théâtrale ou autre productions
artistiques.
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Œuvre : Le murmure du roi, Abidjan, NEA, 1984.
Titre du conte : « L’homme qui vola le coq de sa belle-mère », pp.8-10.
Auteur : François-Joseph Amon D’Aby
Identification du mécanisme
Un homme, rentrant de visite de chez sa belle-mère, lui subtilise son coq,
le plus gros de sa basse-cour. Ayant compris le forfait de son gendre, celle-ci se
lance à sa poursuite. L’ayant rattrapé, une discussion s’engage. Un passant
chargé d’arbitrer le litige comprend le comportement indélicat du gendre et
l’amène à rembourser la valeur du coq à sa belle-mère sans pour autant le
dénoncer ouvertement. Le voleur et la femme seront tous deux satisfaits du
jugement ; l’un ayant évité le déshonneur et l’autre étant rentrée dans ses droits.
Fonctionnement
Une sagesse africaine déclare que « la vérité toute nue se cache au fond
de son puits » pour dire que lorsqu’une vérité est de nature à écorcher ou à
fragiliser la cohésion sociale, il vaut mieux l’entourer de diplomatie et de
sagesse. L’essentiel c’est de pouvoir rendre justice à qui en a droit sans humilier
l’autre.
Ce conte met donc l’accent sur la nécessité pour un juge, (symbolisé ici
par le passant) dans la gestion des antagonismes, de faire preuve de finesse, de
sagesse et d’esprit de conciliation de sorte que la situation ne s’embrase pas ou
que les honneurs de différentes parties ne soient pas affectés.
Forces
La force de ce conte réside dans la diplomatie usitée dans le règlement du
litige. La finesse avec laquelle, celui qui arbitre le litige dénoue la crise, suggère
la vérité et situe les responsabilités, sans frustrer les uns et les autres, est un cas
de grande sagesse.
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Faiblesses et limites
La vérité est restée sous-entendue, elle n’éclate pas au grand jour.
Suggestions pour utilisation
Ce message devrait faire l’objet d’une large diffusion auprès des autorités
judiciaires dans le cadre du règlement des litiges (litiges fonciers, conflits entre
clans…).
Ce texte peut avoir une place dans les anthologies de conte aux programmes
des enseignants primaires et secondaires.
Œuvre : Le murmure du roi, Abidjan, NEA, 1984.
Titre du conte : « La caisse de vérité », pp.51-62.
Auteur : François-Joseph Amon D’Aby
Identification du mécanisme
Pour sauver sa tête, un homme contracte un prêt important auprès de son
ami. Le moment de remboursement arrivé, il nie avoir emprunté cette somme et
refuse alors de restituer à son ami la somme due. L’ingéniosité du roi permet de
démasquer le débiteur indélicat
Fonctionnement
Tout en dénonçant la fourberie, la malhonnêteté, l’abus de confiance et
l’ingratitude, ce conte promeut des valeurs comme la loyauté, la sagesse : il
constitue un rappel pour les membres d’une fratrie de faire preuve de probité et
de loyauté les uns envers les autres en vue du maintien de la cohésion et de la
paix au sein de la communauté.
Il est évoqué dans une circonstance où le coupable d’un forfait, se croyant
à l’abri de tout témoin gênant pouvant dévoiler son méfait, se permet de mentir à
27
sa guise et finit par être démasqué. Dans le cas de ce texte, un témoin dissimulé
dans une caisse que doivent transporter les protagonistes recueille les aveux du
fautif à son insu ; toutes choses qui le compromettent devant la cour et permet
au roi de rendre justice.
Il a une valeur incitative pour dire que la vérité finit toujours par
triompher sur le mensonge, facteur d’embrasement des liens sociaux.
Forces
Ce récit a le mérite de dénoncer ouvertement la malhonnêteté et le faux
témoignage. Aussi souligne-t-il le triomphe de la vérité sur le mensonge. Cette
vérité se traduit également par cette sagesse africaine affirmant : « quelle que
soit la longueur de la nuit, le jour finit toujours par arriver ».
Faiblesses et limites
Ce conte et surtout le récit du procès ouvre un pan sur les limites de la
tradition orale en général. Il montre à bien des égards que le manque d’actes
écrits et signés peut fragiliser considérablement le suivi des contrats et
conventions dans nos sociétés essentiellement orales où la plupart des accords se
scellent par simple échange des contractants sans témoins ni actes signés.
Suggestions pour utilisation
On pourrait utiliser cette histoire en insistant sur le risque de non-
remboursement de sa créance qu’a effleuré Ahon faute d’actes signés et de
témoin pour sensibiliser le monde rural à formuler par écrit et à faire légaliser
tout type de contrat ou acte de vente contracté entre différentes parties afin de
donner une force auxdits contrats devant la loi. Un telle démarche permet en
aval d’éviter les discordes surtout dans les cas de conflits fonciers observés,
surtout en Côte d’Ivoire.
28
Œuvre : Le murmure du roi, Abidjan, NEA, 1984.
Titre du conte : « Le chat qui revient de pèlerinage », pp.11-16.
Auteur : François-Joseph Amon D’Aby
Identification du mécanisme
Chats et rats vivent ensemble dans un royaume dirigé par un chat. Les
premiers se nourrissant des seconds les traquent nuit et jour. La cohabitation de
ces deux communautés était marquée par cette situation de prédation sans fin
jusqu’au jour où le roi, devant effectuer un pèlerinage, prend une disposition qui
suspend le temps du voyage, et par ricochet la chasse aux rats. Les deux groupes
vivent alors une situation de cohésion relative. Au retour du roi, les rats, inquiets
de leur devenir, s’en réfèrent à lui sur la place publique. Celui-ci par un propos
détourné, sépare chats et rats dos-à-dos. En effet, le roi ne recommande pas que
les rats soit mangés par les chats, mais il ne l’interdit pas non-plus.
Fonctionnement
Ce récit situe la responsabilité du chef de communauté dans le maintien
de la cohésion à travers le type de discours à tenir en cas de mésententes ou de
discordes entre les membres de la société dont il a la charge.
Ce texte est dit dans des situations où la duplicité du discours d’un chef
aurait tendance à mettre à mal la stabilité sociale.
Forces
Ce récit dévoile le double discours du leader. Il dénonce ainsi le non-
respect de l’engagement pris de certains dirigeants dont la duplicité fragilise
davantage la cohésion sociale plus qu’il n’en garantit la survie.
Autant que les propos les actes du leader politique doivent être
rassembleurs et viser l’intérêt général.
29
Faiblesses et limites
La faiblesse de ce texte réside dans l’ambigüité du discours du chef qui laisse
l’auditeur perplexe.
Suggestions pour utilisation
Ce message viendrait à point nommé pour attirer l’attention des chefs et
les leaders d’opinion sur leurs différentes déclarations et le suivi des
engagements qui en découlent.
Dans le sens de la préservation de la paix, ce message interpelle les
leaders dont le double-jeu ou le double-discours fragilise le contrat social.
Il est opérationnel pour révéler aux chefs leur implication dans les confits
inter-religieux ou intercommunautaires.
30
MASQUES
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Nom du masque : Le masque calao
Identification du mécanisme :
Masque-Cimier en bois et au dos large représentant une tête d’oiseau. Une base
supporte un long cou à la base duquel est sculptée une ornementation en relief
représentant un serpent. La tête de l’oiseau est surmontée d’une crête et
prolongée par un large et long bec. Son ventre ballonné symbolise un réservoir
de connaissance.
Origine :
Côte d’Ivoire (Sénoufo)
Fonctionnement
Dans la cosmogonie sénoufo, le calao fait partie des cinq animaux qui figurent
dans le mythe de la création du monde. Ainsi, le masque Calao est entouré d’une
forte charge significative allant dans le sens de la cohésion sociale. En effet, le
dos large qui le caractérise est à comprendre comme sa capacité à endurer les
frustrations et les avanies sans toutefois répondre. Prônant l’esprit de tolérance,
ce masque est la forme hypostasiée du sacrifice de soi, du dépassement de soi
pour la survie de l’entente et de la stabilité. Son long bec et l’exubérance de son
ventre sont également le signe de la sagesse qui le caractérise ; le ventre étant le
32
siège du savoir dont il dispose et le bec son manque de prolixité dans les
situations précaires.
Forces
La valeur de ce masque passe aussi d’abord par son sens esthétique au-delà de
laquelle s’inscrit la vision d’un infini spirituel. L’excellence dans l’exécution
témoigne d’une certaine efficacité. La forme stable n'est qu'un jeu de forces
secrètes, de puissances vitales. Ce caractère peut révéler un intérêt pour
l'abstraction, pour l'épuration des formes et pour les structurations savantes.
Faiblesses et limites
Une faiblesse essentielle du masque se retrouve dans ses interdits. En effet, les
nombreux interdits qui l’entourent rendent complexes sa connaissance et sa
compréhension. Dans les sociétés qui l’emploient, seule une poignée d’initiés en
maitrise l’usage et les implications (et sont d’ailleurs tenus d’en garder le secret)
ce qui limite fortement sa vulgarisation et sa connaissance auprès des
populations.
Suggestions pour utilisation
Les festivals artistiques sont indiqués pour faire connaitre ce genre de masque et
en utiliser le message ou la valeur sociopolitique dans le sens de la diffusion des
messages de retenu, d’acceptation toute chose allant dans le sens de la paix.
33
MASQUES BOBO
Nom du masque : Le masque bobo
Identification du mécanisme :
Ce masque représente un buffle. Il est sculpté de motifs géométriques, et de
cercles concentriques autour des yeux. La forme du masque et les motifs
géométriques constituent les éléments d'un système de communication basé sur
les symboles. Ceux-ci varient non seulement d'un groupe à l'autre, mais aussi au
sein d'un même village.
Origine :
Burkina Fasso (Afrique de l’Ouest)
Fonctionnement
Ce masque représente aux yeux des profanes les esprits de la brousse (su) qui
agissent comme intermédiaires entre les ancêtres et l'humanité. Pour les initiés,
le masque prend un sens plus profond : il est un rappel de l'ordre social,
politique et religieux propre à sa communauté. Ce masque est utilisé pour
apporter fertilité, santé et prospérité à la communauté et à son détenteur.
34
Forces
Ce masque à une valeur plastique qui s’accorde bien avec ses fonctions sociales.
Une autre de ses forces réside dans sa capacité de fascination, dans la curiosité
qu’il suscite, invitant au décryptage du message qu’il cache. En tant que signe et
symbole, il charrie un langage, des traditions et formes artistiques, qui englobent
et embrassent à la fois histoire, philosophie, spiritualité et mythes.
Faiblesses et limites
Comme tous les masques africains, il est entaché de beaucoup d’ignorance ou
d'idées préconçues et de préjugés.
Suggestions pour utilisation
Ce masque pourrait faire l’objet d’exposition dans le but le faire connaitre. Il
peut aider à expliquer le fonctionnement de nos sociétés car il est généralement
considéré comme le dépositaire de la culture d’une communauté. Les hommes
se succèdent, les peuples se déplacent, la société évolue, mais le masque reste
depuis sa création le témoin de ces multiples changements et mutations.
35
MASQUES GELEDE
Nom du masque : Les masques Gèlèdè
Identification du mécanisme :
Les masques Gelede, en bois léger polychrome sont bâtis sur un même principe :
un visage (masque-heaume) et une scène qui se développe sur le haut du
masque.
Origine :
Bénin et Nigéria (Afrique de l’Ouest)
Fonctionnement
Les cérémonies au cours desquelles ces masques se produisent ont pour
but d’apaiser la colère des mères c'est-à-dire les femmes dont la potentialité
génitrice est perçue comme une force occulte régissant le mystère de la vie. Il
s’agit de solliciter leur aide et leur protection, leur rendre hommage afin
d’assurer l’harmonie au sein de la société, c'est-à-dire d'équilibrer le jeu du bien
et du mal, des forces positives et négatives.
Le rituel Gèlèdè consiste en des mascarades virtuelles après les récoltes
ou à l’occasion de calamités (sècheresse, épidémie…) et d’événements
importants (festivals, funérailles…). Il est en étroite connexion avec le culte du
36
couple divin Obatala-Odouadoua: cette déesse est " la Mère de tous ", l'entité
créatrice des groupes ethniques yorouba qui transforme le sang en enfants. Ces
cérémonies ont lieu dans la journée. Les masques Gèlèdè sortent la nuit et les
danses se poursuivent jusque vers l'aube ; alors Odouadoua elle-même prend
possession de sa prêtresse. Puis les masques "de la nuit" se retirent pour laisser
place, dans la journée qui suit, aux masques "du jour", dont la fonction est plus
divertissante que sacrée.
Forces
Ce masque accorde une place de choix à la femme dans la société. Cela
est intéressant à plus d’un titre surtout dans nos sociétés réputées
phallocratiques.
Intervenant dans des cérémonies : rites de passage, purification, sacrifice,
conjuration... le Gèlèdè joue un rôle essentiel dans le rétablissement de l'ordre
social. Ils représentent des ancêtres et Dieu, ils sont bons et justes. Ils punissent
ceux qui apportent le désordre et l'insécurité.
Faiblesses et limites
Comme tous les masques africains, il est entaché de beaucoup d’ignorance ou
d'idées préconçues et de préjugés.
Suggestions pour utilisation
Ce masque pourrait inspirer un festival dont le but serait d’en faire connaitre les
valeurs régénératrices et pacificatrices. De fait, s’il est clair que le masque
Gèlèdè est susceptible d’apporter paix et prospérité lors des calamités sociales,
sa promotion apparait tout à fait appropriée dans les pays sortant de crise
(guerre).
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MASQUE GOLI GLOUIN
Nom du masque : Goli Glouin
Identification du mécanisme :
Le masque Goli est un masque sacré Baoulé d’origine Wan. Taillé dans du bois
mi-dur et qui présente des cornes d’antilope, un visage de crocodile sur lequel
figure un éléphant, symbole de force et de sagesse. Sur les côtés deux disques
rouges symbolisant le soleil, au milieu desquels sont plantés des yeux qui
symbolisent le regard protecteur du masque sur la communauté. Le masque
porte un costume composé d’une cape en peau d’antilope sur un amas de fibres
de feuilles de palmier fraiches.
Origine :
Côte d’Ivoire, (Afrique de l’Ouest)
Fonctionnement
Agissant au nom de la protection et du bien-être des hommes, le Goli ne
sort en communauté Baoulé que pour les grandes occasions. Il est appelé à
participer à certaines festivités commémoratives telles que les funérailles et les
grands sacrifices collectivistes. Il a donc une fonction de purification, de
protection de la communauté. Autrefois très sacré, le Goli ne faisait son
apparition que pour les cérémonies spéciales : funérailles de chefs, des initiés et
dépositaires du masque au cours desquelles des sacrifices sont faits pour
38
conjurer le mauvais sort qui pourrait atteindre le village. Aujourd’hui le Goli est
devenu un spectacle d’une journée qui implique tout le village pouvant se danser
lors de divertissement de tout genre, toutefois sa sacralisation a été conservée
car avant la prestation du masque, il lui est offert un poulet et une bouteille de
liqueur.
Forces
La force du Goli est qu’il est fédérateur. Objet de transfert culturel,
puisqu’emprunté à la culture Wan, ce masque est une garantie du brassage de
culture et de l’interculturalité, facteurs d’un vivre ensemble d’une cohésion
sociale.
Il est moins contraignant dans la mesure où il peut passer rapidement du sacré à
la réjouissance
Faiblesses et limites
Aujourd’hui, le souci du plaisir et la modernité font tomber le Goli dans une
profanation et une désubstantialisation, voire une désacralisation préjudiciable à
la nouvelle génération qui reste ignorante des valeurs sociales qu’un tel masque
peut apporter dans le sens de la recherche ou du maintien de la cohésion sociale.
Comme tous les masques africains, il est entaché de beaucoup d’ignorance ou
d'idées préconçues et de préjugés.
Suggestions pour utilisation
Le Goli pourrait inspirer les dirigeants dans leur politique du vivre ensemble en
l’utilisant comme symbole de campagne de sensibilisation. Son caractère
interculturel peut être exploité dans les messages ou appels au brassage des
peuples.
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MASQUE WAMBELE
Nom du masque : Wambèlè
Identification du mécanisme :
Le « wambelê » est un masque senoufo symbolisant le savoir et la lutte
constante entre le bien et le mal. Grand masque biface, connu principalement
sous le nom de « wanioug » qui veut dire « visage de celui qui lance les
maléfiques », le Wambelê représente des figures animales mystérieuses qui
s'opposent pour former l'union des contraires.
Origine :
Côte d’Ivoire, (Afrique de l’Ouest)
Fonctionnement
Appartenant à la catégorie des masques bienfaiteurs agissant sous les auspices
du poro (rituel des sociétés sécrètes senoufo), le Wambelê a la réputation d'être
nuisible, susceptible de semer des maladies, de provoquer la stérilité ou même
d'inciter au meurtre en cas d'insubordination et de désobéissance. En fait, cette
dureté tient a sa fonction de dissuasion et de punition des coupables de
transgression de l’ordre social et de dissuasion de toute volonté
d’insubordination ou d’insurrection. Les figures animales mystérieuses opposées
40
qui le représentent, traduisent l'union des contraires ; le bien affrontant le mal,
l'avenir faisant face au passé, le blanc se mêlant au noir.
Ce masque emblématique fait son apparition lors des cérémonies de funérailles.
Forces
Le Wambelê entretient une peur au sein de la population à cause des risques de
punitions sévères encourues en cas de violation des interdits sociaux. Le masque
a donc une fonction dissuasive permettant de maintenir la paix et la cohésion au
sein des populations. Plutôt qu’un objet répressif et maléfique, c’est un
instrument d’harmonie sociale.
Faiblesses et limites
C’est un masque trop rigoureux, systématique dans l’application de ses
sanctions. Certains pourraient dire qu’il n’encourage pas la tolérance.
Suggestions pour utilisation
Dans une société hantée par le spectre de la mort, de l’insubordination et de la
désobéissance civile, le Wambèlê peut servir d’agent régulateur.
41
TOTEM
42
Construction sociale répandue dans la plupart des pays dont la population
reste fortement attachée aux croyances ancestrales, le totem semble mobiliser
d’importantes valeurs liées au fonctionnement de la société. Sa fonction de
régulation et d’intégration en fait un atout efficace dans notre processus de
recherche et de consolidation de la paix entre les peuples d’Afrique de l’ouest.
Identification du mécanisme
Objet de culte, le symbole totémique peut être végétal, animalier ou tout
simplement un objet fabriqué. Son institution dans un clan donné ne se fait pas
par hasard. Selon les mythes et légendes, le choix de l’animal ou de l’arbre
totem du clan se détermine généralement dans des situations d’extrêmes
difficultés où l’ancêtre est sauvé par cet être vivant. Aussi diverses que possible,
ces situations peuvent résulter de conflit, de famine, de sécheresse au cours
desquelles l’intervention de « l’objet » s’est avérée salvatrice pour l’individu.
Cet individu, son clan ou sa tribu entretient un pacte de dévotion, de
respect et d’adoration avec cet esprit protecteur.
Vu sous cet angle, on comprend nettement qu’il existe un contrat, un lien
qui engage l’une des parties comme esprit protecteur et l’autre comme sujet
reconnaissant et obéissant.
Le totem, une fois institué, devient le siège d’une confiance absolue et
d’une dévotion totale.
Mode de fonctionnement
Entre le totem et le groupe social, il existe un rapport de type vertical ; le
totem constituant l’esprit tutélaire ayant fonction de régulation des rapports
sociaux et de la protection de la collectivité, et le groupe lui vouant culte et
obéissance. Il ne doit être objet de chasse ni de prédation de la part des
personnes qui l’ont comme esprit tutélaire au risque de subir la punition de
l’esprit contenu dans cette divinité.
43
De fait, le totem fonctionne comme un système d’identification, et
d’interdits sociaux dont l’observance garantit une cohésion sociale. Il entretient
une sorte de confraternité entre les groupes l’ayant en partage. Par exemple,
chez les peuples malinké (Côte d’Ivoire, Mali, Burkina Faso, Guinée), les
Doumbia et les Kéita qui ont en commun la Panthère comme totem se
considèrent comme des frères. Le totem s’établit dans ces conditions comme
facteur rassembleur ou objet de reconnaissance ou d’identification qui fonde
désormais l’unité sociale. On déduit qu’une valeur du totem est qu’il induit un
dépassement du lien direct de sang et étend la solidarité fraternelle à tous les
membres des clans qui ont en partage un même totem. C’est bien le propos de
Freud qui, dans Totem et Tabou affirme que « Les membres d’un clan totémique
se considèrent comme frères et sœurs obligés de s’entraider de se protéger
réciproquement ».
Plus qu’un phénomène culturel, le totem est alors un facteur de prévention
des conflits
Force
L’institution du totem dans les pratiques culturelles a le mérite de prôner
le brassage culturel et le respect de la différence. Vu dans ce sens, il se
positionne comme un élément clé de promotion de la cohésion sociale. Il
raffermit les liens de fraternité.
Il est en effet constaté que le totem est bien des fois, surtout dans la
tradition malinké, associé à un patronyme. Du coup, toutes les personnes ayant
en partage (en commun) un patronyme quelconque sont supposées avoir le
même ancêtre. Dès lors, parce qu’unis par le lien de cet aïeul, il se constitue en
une fratrie, même si ces personnes n’appartiennent pas à une même micro ou
macrostructure spatiale.
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Limites et faiblesses
L’occidentalisation conjuguée aux effets des religions judéo-chrétiennes a
considérablement contribué à la dévalorisation des symboles totémiques tout
comme elle a fait oublier les valeurs fondamentales de nos sociétés africaines.
De plus en plus très peu de jeunes connaissent leurs totems.
Suggestions pour utilisation
Nous proposons que le totem soit enseigné dans nos écoles. Chacun, à quelque
niveau où il se situe, gagnerait à retourner s'abreuver aux valeurs du totem. De
façon pratique, la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) en
charge de la réconciliation en Côte d’Ivoire pourrait s’appuyer sur cette richesse
culturelle qui l’aiderait bien à réconcilier les Ivoiriens.
45
PARENTÉS À
PLAISANTERIE
46
De façon générale, l’alliance se définit comme un accord entre des
individus ou des collectivités. Elle s’assimile à la parenté en cela qu’elle instaure
un lien indissoluble entre les personnes ou les communautés contractantes. Objet
de sa réflexion, Amoa Urbain précise que « le système de parenté est un
ensemble cohérent de relations existants entre les parents d’une même famille,
d’un même groupe ; lorsque ce système se caractérise par un jeu ou une
plaisanterie au moyen d’une jonglerie langagière en vue de la libération de soi
et dans le respect de l’autre, uniquement dans le dessein d’amuser, on parle
alors de parenté à plaisanterie. En ce sens, une alliance interethnique peut avoir
comme partie visible une plaisanterie sans qu’elle en soit le synonyme. » (
Amoa Urbain, Synergie…)
L’on distingue quatre types de relation à plaisanterie, à savoir les
alliances intercommunautaires ou interethniques, les alliances intrafamiliales,
les alliances patronymiques et les alliances matrimoniales. Fondés sur la même
logique, ces différents liens de fratrie obéissent à un schéma classique dont les
principes structurants présentent un intérêt collectif.
Les alliances intercommunautaires
Identification du mécanisme
Ce type d’alliance s’établit entre deux ou plusieurs communautés. Il se lie
de différentes manières en fonction des peuples : pacte de sang, pacte
d’assistance mutuelle, accord de voisinage, le tout se résumant en une sorte de
pacte de non-agression, de solidarité, de respect dont l’objectif final serait le
métissage des valeurs, des langues, et des cultures.
Les alliances intercommunautaires ou interethniques trouvent leurs
origines dans plusieurs facteurs. Elles résultent de situation de règlement de
conflits divers et faits sociaux comme les conflits armés déclenchés par des rapts
de femme, la conquête de Samory Touré, les divers antagonismes suscités par la
47
transhumance etc.. Dans d’autres cas, elles tirent leur fondement de récits
mythiques ou légendaires.
Quel que soit le problème duquel il résulte et les formes par lesquelles
elles ont vu le jour, toujours est-il que l’alliance à plaisanterie est un ciment
efficace qui soude et fédère les cultures, les langues, les régions et même les
pays.
Fonctionnement
Soucieux du vivre ensemble, les peuples contactent des sortes de pactes
ou principes de tolérance à tous égards qu’ils s’engagent à respecter. L’alliance
à plaisanterie fonctionne sur la base de langage verbal et/ou gestuel résidant
dans le jeu. Elle se manifeste généralement par des propos injurieux ou
obscènes, des séquences de moquerie, des échanges de plaisanterie qui ne
doivent aucunement être interprétées comme haineux ou offensants. Tout
résidant dans le jeu et la plaisanterie, il n’est point permis aux individus d’avoir
une interprétation de nature conflictuelle vis-à-vis des attitudes de leurs parents
à plaisanterie encore moins de s’en sentir offensés. Entre des voisins, des
peuples alliés, il ne peut y avoir que des moments de gaies plaisanteries, jamais
de conflits.
C’est une forme de « guerre joyeuse » avec une forte charge préventive
qui absorbe toutes les tensions et permet de ne jamais arriver à la vraie guerre
destructive des biens et des hommes.
Force
L’alliance à plaisanterie a une forte valeur de régulation de tensions
sociales dans la mesure où elle permet de souder les liens entre des peuples
donnés. Le principe réside dans une forme de sagesse et maitrise de soi qui
invite à ne pas laisser affecter par les injures ou autres frustrations en quelques
occasions que soient.
48
Une autre de ses forces se situe au niveau thérapeutique et cathartique.
L’alliance est en fait un exutoire permettant de purger les tensions pouvant
s’élever entre les groupes sociaux déterminés, lequel exutoire serait fondé sur
une relation pacificatrice permettant ainsi de détendre l’atmosphère, de
dédramatiser des situations et d’éviter la violence.
Au-delà, l’alliance est aussi une forme d’ « école de rhétorique » dans la
mesure où elle implique pour l’individu une maitrise de l’art oratoire afin de ne
plier l’échine devant les injures publiques proférées par l’allié ou l’adversaire à
plaisanterie.
C’est donc une instance et un espace de réconciliation véritable puisque la
« guerre joyeuse » sur laquelle elle repose se désintègre d’elle-même dans le jeu
Faiblesses et limites
Aujourd’hui, on constate souvent une mauvaise utilisation de ces
alliances. Certaines personnes notamment les utilisent à des fins personnelles
pour régler leur compte à ceux qui les ont offensés. Des risques de dérives sont
donc bien réels, et pourraient affecter sérieusement le corps social. Il est aussi
souvent utilisé à des fins de commerce ou d’escroquerie détournant ainsi le jeu
de son essence ou de sa valeur d’origine.
La modernisation, l’urbanisme et l’économie mondiale avec leurs effets
d’individualisme ont fortement compromis l’autorité des chefs traditionnels
garants de ce genre de code de régulation sociale. Avec le déclin des pouvoirs
traditionnels, c’est tous ces héritages culturels qui en pâtissent.
49
Suggestions pour utilisation
La fracture sociale est de plus en plus profonde. Une idée efficace dans le
sens de la cohésion se retrouverait dans l’initiation, l’encouragement et la
promotion de conférences, d’émissions visant à faire connaitre et à faire vivre
ces alliances à plaisanterie. C’est l’exemple du « toupkè », un programme de la
radiotélévision ivoirienne, diffusé par sa chaine radio Fréquence 2. Dans ce sens,
on pourrait faire des sketchs ou autres productions artistiques à partir de ces
alliances et dont l’objectif serait d’attirer l’attention des uns et des autres sur la
nécessité de ses liens séculaires dans leur potentialité à promouvoir la paix.
On pourrait l’intégrer comme un module d’enseignement dans les
manuels scolaires ; toute chose qui aiderait les enfants à apprendre non
seulement à cultiver la non-violence, mais aussi à comprendre que l’autre est
mon allié, mon parent à plaisanterie et qu’entre nous il ne peut jamais y avoir de
rupture.
Cas pratique
Dans un article Alain Sissao rapporte un bel exemple d’utilisation des
alliances à plaisanterie comme modèle de régulation d’un conflit entre Zoose et
Yana au Burkina Faso :
« En 1995, au secteur 3 de Fada, un conflit éclata entre Zoose et Yana, la tension
était à son paroxysme. Le bilan fut désastreux, le marché du secteur brûlé, le chef moaaga
blessé. Mais le conflit a été résolu par les vieux à travers les liens particuliers qui
lient les Zoose aux Yana. La police avait refusé de régler l’affaire préférant qu’elle soit
réglée par l’alliance à plaisanterie. En effet, celle-ci a pu préserver la paix, éteindre
ce conflit. La pratique sauve l’individu dans certaines circonstances difficiles: par
exemple, un Yana est plus protégé à Tibga et Diabo (fief des Zoose) que chez lui à
Comin-yanga et vice versa. »
50
Quelques exemples d’alliances interethniques…
� En Côte d’Ivoire
Peuples Différents alliés
Sénoufo Yacouba, Koyaka, Lobi, Gouro, Maouka, Koulango
Koyaka Sénoufo, Djimini, Koulango, Tagbanan
Lobi Le grand groupe Sénoufo
Yacouba Sénoufo, Gouro, Djamala, Tagbanan, Mahou
Attié Dida, M’batto, Kroumen, Bakwé, Godié
Dida Attié, Abbey, Abidji, Kroumen, Godié, Aladjan
Abbey Dida, Godié
Ano Sénoufo, Koyaka, Djimini, Baoulé, Godê, Agni, Barbo, Bini,
Bona
Baoulé Ano, Agni
Godê Djamala, Dida, Baoulé, Anofouê, Koyaka, Mona, Wan,
Tagbanan
Gouro Peulh, Yacouba, Sénoufo, Tagbanan, Djamala, Djimini
� Au Burkina
Peuples Différents alliés
Bissa Gourounsi, Yarsé, Samo
Birifor Lobi, Gouin, Dafing
Bwaba Peulh, Semba, Dafing
Bobo-Dioula Peulh, Semba, Dafing
Bobo-fing Peulh, Dafing
51
Bozo Dogon,
Darfing ou Marka Peulh, Bobo-Dioula, Bwaba
Dagara Siamu, Sénoufo, Goin
Djan Goin
Fulsé Gourounsi, Gourmantché
Gourounsi, Bissa, Yarsé, Djjerma
Gourmantché Yarsé
Goin Lobi, Djan, Dagara
Jula Lobi
Lobi Jula, Goin, Birifor
Mossi Saino
Peulh Bobo, Yarsè, Bambara, Marancè, Dioussambé
Pougoli Dagara, Peulh, Goin, Bwaba, Turka, Sénoufo
Samo Dagara, Bissa
Sénoufo Mossi, Bissa
Sambla Dangara, Lobi, Djan
Siamu Toussian, Bobo-dioula, Bwaba
Toussian Djan, Lobi, Dagara, Pougoli
Turka Samba, Lobi, Dagara
Vigué Dagara, Lobi
Wini Peulh, Bissa, Goin, Largana, Djerma
Yana Zaoussé (Diabo)
Ces différents tableaux montrent que des alliances s’établissent au sein
même d’un même groupe qui peuvent déboucher sur des alliances entre peuples
de différents grands groupes (Mandé-Krou et Gur-Akan) dont des ramifications
52
s’observent souvent à l’échelle internationale. Par exemple, chez les Mandé l’on
a une alliance entre les Sénoufo et les Tagbanan. Cette alliance découvre un
autre niveau qui s’étend à l’international. Les Sénoufo du Burkina Faso sont les
alliés des Dagara, des Lobi et des Djan. Or les Lobi de Côte d’Ivoire sont les
alliés des Djimini, eux-mêmes alliés des Sénoufo qui sont les alliés des
Yacouba, alliés eux aussi des Gouro et des Godê. La chaine peut être encore
plus complexe, mais tout semble concourir à une amitié plus large entre les
peuples.
Les alliances intrafamiliales
Les alliances intrafamiliales sont des liens consentis entre les membres
d’une même famille, liées par des liens de consanguinité ou par les liens du
mariage. Ainsi constate-ton les liens à plaisanterie entre les petits-fils et les
grands parents, les gendres et les brus, les cousins et les cousines.
Fonctionnement
Ces types d’alliances lèvent le voile sur les protocoles généralement de
mise entre les générations et les positions sociales au sein d’une même famille
(respect strict des aînés ou des parents…).
Force
Elle consolide les liens intrafamiliaux. Il est à la base d’un esprit de
convivialité et de paix fondé sur ce pacte de souplesse dans les relations entre les
différents membres d’une famille.
53
Les alliances inter-patronymiques
Ce type d’alliance s’observe généralement dans les sociétés à caste
comme les Bambara, les Malinké, voire le grand groupe Manding. Son principe
est que chez ces communautés données, un individu qui porte tel patronyme est
systématiquement l’allié à plaisanterie de tel autre qui porte un autre patronyme
bien déterminé.
Fonctionnement
Cette forme d’alliances qui agit directement sur le nom est souvent plus
poussée entre deux individus, puisqu’elle est plus intime. Ainsi, plus que
garantir la cohésion sociale, elle s’applique directement à la préservation de
l’individu. Bien mieux qu’une amitié entre peuple fondée sur des plaisanteries,
l’alliance patronymique s’analyse comme une forme de prolongement de la
cellule familiale ou de la maison paternelle dans la mesure où le nom du père ou
d’un chef de famille, d’un chef de clan se retrouve directement associé à celui de
tel autre.
Force
L’alliance patronymique agrandit le cercle familial. Elle permet de former
une famille à un niveau macro structurel, sans tenir compte des limites
familiales, communautaires, nationales ou internationales.
Faiblesses et limites
La mondialisation a banalisé la valeur ou la charge culturelle de ces noms.
Plus encore, souvent les noms sont donnés par amitié ou par reconnaissance à un
ami, ce qui fait qu’on peut retrouver aujourd’hui un Konaté qui n’a rien à voir
avec les malinkés, tout comme un Agni peut s’appeler Mandela, sans rien à voir
avec la culture Zulu et ses alliés.
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Exemples d’alliances patronymiques
Alain Sissao rapporte ces différents types d’alliance
Patronymes/grande famille Patronyme alliés
Kéita Coulibaly
Diarra Coulibaly
Dembélé Traoré
Koné Traoré
Ouattara Coulibaly
Traoré Diarra, Koné
Coulibaly Koné
Touré Barro
Traoré Kanté
Combary Lompo
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Conclusion :
L’ensemble des mécanismes et méthodes endogènes de prévention, de
gestion et de résolution des conflits qui viennent d’être exposés seront
approfondis dans le cadre du projet de recherche panafricain initié par la Chaire
UNESCO pour la culture de la paix. Dans un bref délai, ils feront l’objet d’une
illustration qui contribuera à rendre digeste à travers des images, les
informations qu’ils souhaitent véhiculer.
Outre son élaboration, la prise en compte et l’effectivité de ces
mécanismes continuent d’être des défis actuels et difficiles à surmonter. Les
obstacles sont légion. Parmi ceux-ci l’on peut citer la primauté des règles
occidentales de gestion des conflits au plan du droit positif qui se mondialise de
plus en plus. Il y a aussi les intérêts des pays du Nord fondamentalement
orientés sur un néo-libéralisme dominant dans tous les secteurs d’activités et qui
ne saurait laisser la place à des mécanismes endogènes africains qualifiés de
« surannés » voire « inadaptés » à la vie contemporaine.
Dans le fond, cette vision étriquée des choses mérite d’être combattue par
des stratégies de diffusion des méthodes endogènes de prévention, de gestion et
de résolution des conflits. L’Afrique a, en son sein, des valeurs traditionnelles
qui peuvent contribuer à sa cohésion sociale et à son développement. Les
suggestions d’utilisation qui ont été présentées dans cette étude doivent être
mises en œuvre en impliquant au plus haut niveau les décideurs politiques et les
autres parties prenantes pertinentes.
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