Bijou de la maison douce A et R Baruc

131
1

Transcript of Bijou de la maison douce A et R Baruc

Page 1: Bijou de la maison douce A et R Baruc

1

Page 2: Bijou de la maison douce A et R Baruc

2

Page 3: Bijou de la maison douce A et R Baruc

PRÉSENTATION

« BIJOU DE LA MAISON DOUCE », écrit spécialement pour le Cours élémentaire, est conçu comme un véritable roman. Son intrigue, facile à suivre, se compose de multiples épisodes; chacun d'eux, forme le sujet d'un chapitre. .U ouvrage, tout en le divertissant, touche la sensibilité de Y enfant, enrichit son imagination; il donne au merveilleux — encore si attirant à cet âge — une part discrète, mais opportune. L'expression correcte, simple et claire, sans platitude pourtant, reste toujours accessible. Tandis que le roman progresse, la phrase devient plus complexe sans jamais atteindre une ampleur qui déconcerterait relève. Les termes moins connus du vocabulaire, introduits souvent à dessein afin que s'enrichisse la langue de l’enfant, seront expliqués sans peine par le maître. Pour ne pas alourdir l''ouvrage, l’appareil pédagogique, en effet, ne porte que sur le sens du récit. Ce livre a pour ambition de plaire à la fois aux enfants et aux maîtres: la leçon de lecture est plus aisée à conduire si le texte intéresse l’instituteur. L illustration, d3une qualité très rare, ne peut qu'aider « BIJOU DE LA MAISON DOUCE » à atteindre son double but.

L'ÉDITEUR

3

Page 4: Bijou de la maison douce A et R Baruc

TABLE DES MATIERES

1. L'arrivée de Bijou 6 2. Les belles journées 93. Les Poissons rouges 124. Le serment 155. A l'aventure 186. L'enlèvement 217. Le réveil de Bijou 248. La nouvelle maison 279. Les bêtes sans yeux 3010. Une vie compliquée 3311. Inutiles recherches 3612. L'épervier 3913. Le complot 4214. Le refus de Bijou 4515. La visite du vétérinaire 4816. Le collier pour chats 5117. Les réponses de la Taupe 5418. L'évasion 5719. Sur les toits 6020. Vaurien, chat de gouttière 63

4

Page 5: Bijou de la maison douce A et R Baruc

21. Léon-la-Chanson 6622. Le restaurant du terrain vague 6923. Le ventre vide 7224. La tentation 7525. Bijou II 7826. L'incendie 8127. Chez la mère Caroline 8428. Le placard 8729. Séparation 9030. Le camion d'ours en peluche 9331. Nouvelle rencontre 9632. Mauviette 9933. A l'école 10234. Une nuit chez Guignol 10535. La dernière tentative de Mme Pastel 10836. Les craintes de l'Oiseau d'Argent 11137. Le crime 11438. Sauvé! 11739. La trop longue route 12040. Les retrouvailles 123

5

Page 6: Bijou de la maison douce A et R Baruc

1. L’ARRIVÉE DE BIJOU

.LA Maison Douce s'ouvrait comme une grande fleur au fond d'un grand jardin. A la belle saison, la brise balançait sur les pelouses les globes des pivoines ou les boutons des rosés. Les abeilles grondaient dans les grappes des troènes, les oiseaux chantaient dans les lauriers-rosés de la porte. L'hiver, sur la Maison Douce et son jardin, la neige étendait longtemps sa couverture de laine blanche. Car, dans ce pays, il faisait très froid l'hiver, très chaud l'été. A la Maison Douce habitaient les Enfants : deux garçons et une fille; ils ne cessaient de rire et de chanter. Ils étaient si heureux dans leur logis- de pierres claires, dans leur grand jardin, près de Papa terrible et de Maman chérie, leurs parents! Maman chérie parlait toujours avec douceur. Papa terrible, malgré son nom, était le meilleur des hommes, tout le monde l'aimait; seulement, il grondait parfois.

6

Page 7: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Depuis longtemps les Enfants demandaient un chat. C'était l'hiver; les petits chats n'étaient pas encore nés.

- Si vous êtes sages, si vous travaillez bien à l'école, le premier chaton du village sera pour vous, avait promis Papa terrible.

Ils furent sages. Us s'appliquèrent à l'école et attendirent. Un jour, la boulangère fit venir les Enfants :

— Regardez, leur dit-elle.Dans un panier, caché par la fourrure de sa mère, ils découvrirent un

chaton gris qui eût tenu dans leurs mains.- Il est né de bonne heure, ajouta la boulangère. De la neige, en effet,

traînait encore sur les prés. Les Enfants, après avoir longtemps admiré en silence le nouveau venu, voulurent l'emmener.

La boulangère sourit :— Laissez-le encore près de sa mère; quand il aura grandi, je vous le ferai

porter. Patientez.Les Enfants partirent en soupirant. Dès qu'ils furent à la Maison Douce,

Us parlèrent du chaton à Papa terrible et Maman chérie.- Nous verrons cette merveille, répondirent-ils.Chaque fois qu'Us le pouvaient, les Enfants couraient jusqu'à la

boulangerie. Ils ne regardaient plus les gâteaux; à peine sentaient-ils l'odeur des pains encore chauds. Ils se penchaient sur la corbeille de la chatte. Son petit grandissait. Il ouvrit enfin des yeux d'azur sombre.

7

Page 8: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Ils changeront de couleur, dit la boulangère, pour devenir jaunes, peut-être verts.

— Nous voulons qu'il ait des yeux verts, dirent les Enfants. Déjà, ils avaient donné un nom à leur futur compagnon : Bijou.

Un matin, Catherine, la fille du boulanger, la petite Catherine aux cheveux si sombres, apporta le chaton à la Maison Douce, dans son coquet tablier. Toute la famille s'occupa aussitôt de lui; il eut son coussin posé sur une chaise de la cuisine. Dans sa tasse, le lait fut versé à la chaleur qu'il aimait. Les jours suivants, il explora à petits pas la Maison Douce et même se hasarda dans le grand jardin. Puis, un matin, les Enfants s'aperçurent que les yeux de Bijou devenaient d'un vert très pur, comme ils l'avaient voulu.

— Ils sont beaux comme des émeraudes, dit Maman chérie.Les Enfants ignoraient ce qu'étaient des émeraudes; pourtant, ils dirent à

Bijou :— Bijou, tu as des yeux d'émeraude!Ils le serrèrent contre eux avec force, pour le remercier d'être si joli.— Ils m'étouffent, pensait Bijou, mais comme ils m'aiment!Les derniers bourgeons finirent de s'ouvrir, les feuilles les plus tardives se

déplièrent; dans le jardin commencèrent à se gonfler les globes des pivoines. Bijou, à présent, connaissait la Maison Douce et presque tout le jardin. La Maison Douce était bien chaude; le soleil emplissait le jardin.

— Rien que de la tiédeur, de l'espace, de la lumière, des caresses et des plats aussi bons que des caresses, que je suis heureux! se répétait Bijou.

Depuis longtemps, il avait oublié sa mère, la boulangère, le panier où il était né. Il n'avait pas reconnu Catherine quand elle était venue le voir. Sa vraie famille était à la Maison Douce.

L'ARRIVÉE DE BIJOU1 - Pourquoi les Enfants se trouvent-ils si heureux à la Maison Douce? Que leur manque-t-il pourtant?2 - Relevez tous les soins dont Bijou est l'objet dès son arrivée à la Maison Douce.3 - Bijou s'habitue-t-il à sa nouvelle demeure? A quoi le voyez-vous ?4 - Auriez-vous aussi aimé vivre à la Maison Douce? Dites ce qui vous y aurait plu.

8

Page 9: Bijou de la maison douce A et R Baruc

2. Les belles journéesLES jours de classe, Bijou restait seul de longues heures au jardin. Toutes

les fleurs s'y ouvraient maintenant; le petit chat gris aimait surtout le parfum des rosés ; il regardait avec crainte les dahlias dont les pétales s'allongeaient comme des flammes. Sur les pelouses, les courses des abeilles se mêlaient à la danse des papillons. Des sauterelles jaillissaient comme de tout petits ressorts. Bijou pourchassait, sans les atteindre, les sauterelles, les papillons et les abeilles. Il pourchassait même le vent dès qu'il agitait l'herbe.

Dès qu'au loin il entendait rire et chanter : « Les Enfants! » se disait-il. Alors, il courait vers la porte, dressait la tête, appelait. Bientôt de petits bras l'enlevaient, le pressaient sur des poitrines qui résonnaient de son ronron. Bijou suivait les Enfants, goûtait avec eux, avec eux revenait au jardin. Il y jouait à se cacher et disparaissait toujours sous les larges feuilles des pivoines. Les Enfants arrivaient. Bijou, alors, surgissait, faisait le gros dos, hérissait les poils, dressait la queue, feignant la colère. En riant, les Enfants saisissaient leur petit compagnon qui s'abandonnait puis s'échappait soudain pour disparaître encore dans ses pivoines.

D'autres fois, agrippé au tronc d'un arbre, il se hissait avec peine jusqu'aux premières branches et s'y installait. Vite, la tête lui tournait, il n'osait plus bouger. Comment redescendre ?

9

Page 10: Bijou de la maison douce A et R Baruc

De l’arbre tombaient de misérables miaulements. Dès qu'ils les entendaient, les Enfants accouraient. L'un d'eux montait sur une chaise, cueillait le chaton comme un fruit. Dans sa terreur le fruit s'agitait et n'était redescendu qu'avec beaucoup d'efforts. S'il pleuvait, Bijou et les Enfants jouaient dans la Maison. Il y devenait difficile à découvrir, se blottissait tantôt sous un meuble tantôt sous un autre. Parfois même il courait au grenier, se ramassait derrière des bûches ou des cartons. Les bruits de la maison ne montaient pas jusqu'à lui. Bijou s'endormait : plus de chaton jusqu'au soir! L'odeur qui s'échappait des casseroles atteignait pourtant le grenier. Bijou s'éveillait. En hâte il dévalait les marches de ses pattes encore trop courtes et se précipitait dans la salle à manger. « Le voilà!» criaient les Enfants.

10

Page 11: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Dans la salle à manger, Bijou retrouvait Papa terrible et Maman chérie. Pour eux, le petit chat gris avait beaucoup d'affection et de respect. Papa terrible. Maman chérie même le chapitraient souvent : défense de s'aiguiser les griffes aux tapis comme aux rideaux, défense de s'allonger sur les lits, défense de se promener sur la nappe parmi les plats qui sentaient si bon, défense de... Défense de tout! Bijou n'obéissait pas toujours, sa patte, très souvent, paraissait près d'une assiette. Une petite tape, qui le vexait, lui apprenait à mieux se tenir. Quand il était ainsi corrigé l'un des enfants lui

offrait sous la table, quelque bon morceau. Bientôt, de fines moustaches s'approchaient des doigts qui se tendaient.

11

Page 12: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Le geste de leurs enfants fâchait Papa terrible et Maman chérie : « Renvoyez ce chat », disaient-ils.

Nul ne se levait. Bijou se recroquevillait contre le pied de la table; il reparaissait ensuite si discrètement que Papa terrible et Maman chérie le regardaient en souriant. Bijou se savait pardonné.

— N'enseignez pas de mauvaises façons à votre chat, disaient-ils seulement à leurs enfants. Personne ne l'aimerait et nous ne pourrions plus le garder. Cette menace impressionnait Bijou : « Que deviendrais-je hors de la Maison Douce ? » se demandait-il. Mais les Enfants savaient que ni Papa terrible ni Maman chérie ne chasseraient jamais Bijou.

— Nous le garderons toujours, même pendant les vacances, dirent un jour les Enfants.

— Nous en reparlerons, répliqua Papa terrible. Peut-être vaudra-t-il mieux, pendant ce temps, le confier à des voisins.

- S'il faut laisser Bijou, nous préférons ne pas partir, répondirent les Enfants.Maman chérie dit alors avec sagesse, de sa voix douce :- Nous n'en sommes pas là, mes enfants.

LES BELLES JOURNEES1- Bijou aimait-il les Enfants? Quels détails vous le montrent?2 - Maman chérie grondait souvent Bijou ; pourquoi ? Bijou craignait-il Papa terrible malgré sa grosse voix? A quoi le voyez-vous?3- Bijou n'est encore qu'un tout petit chat. Donnez des exemples qui le prouvent.4- Quels sont, pour les vacances, les projets des parents ? Ceux des Enfants?

12

Page 13: Bijou de la maison douce A et R Baruc

3. Les poissons rouges

A. présent Bijou s'enfonçait dans le jardin, de plus en plus loin de la Maison Douce. Il allait jusqu'au garage, après avoir rencontré un crapaud, deux grenouilles et un petit loir toujours emmitouflé dans sa fourrure malgré les jours déjà plus chauds. Mais Bijou n'avait encore découvert ni l'Oiseau d'Argent ni les Poissons rouges. L'Oiseau d'Argent nichait loin des hommes, à la cime du vieux tilleul. Les Poissons rouges tournaient dans le bassin qui se trouvait au-delà du garage, derrière une haie très haute.

Un après-midi, Bijou, après avoir rencontré le crapaud, les deux grenouilles et le petit loir encore emmitouflé, atteignit le bassin des Poissons rouges. Un grillage l'entourait. Bijou s'en approcha. Il regarda avec attention ces objets qu'il ne connaissait pas. Les poissons se poursuivaient, se séparaient, se retrouvaient. Ils traversaient des reflets qui les faisaient briller, des ombres où ils disparaissaient. C'était merveilleux. « Regardons de plus près », se dit Bijou.

Il se glissa sans peine sous les mailles du grillage, en deux petits bonds fut au bord de l'eau. Sous lui, les Poissons rouges continuaient leurs rondes, leurs cabrioles, leurs poursuites. De plus en plus souvent des rayons traversaient leurs corps, allumaient leurs écailles. C'étaient d'autres jouets que les boulettes de papier ou la bobine vide lancées devant lui par les Enfants !

13

Page 14: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Les yeux de Bijou se tournaient en tous sens pour suivre la course des poissons. Elle lui donnait le vertige. Il se crut sur la branche d'un arbre, très haut, tout près du ciel. Alors, il ne regarda plus qu'un seul poisson, le plus beau. Sur sa robe, à présent, passaient des frissons de nacre. « Je prends celui-là », se dit Bijou.

Pour le saisir, il se ramassa, bondit... Il ne jaillit qu'une modeste gerbe d'eau; un cri très court s'éleva, les poissons se débandèrent. Dans le bassin, il n'y eut plus qu'une petite bête en détresse. — Je suis perdu, se dit Bijou qui tout de suite s'affola. Il se raidissait pour lutter contre l'eau qui l'engloutissait, coulait, revenait une seconde à la surface, les pattes sans vie. Déjà, il n'avait plus la force d'appeler. Dans la Maison Douce, personne, ni Papa terrible ni Maman chérie ni les Enfants ne savaient qu'un chaton se noyait. Le bassin était si loin de la maison, près du garage, derrière une haie plus haute qu'un homme !

14

Page 15: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Bijou avait cessé de se débattre, il ne savait même plus où il se trouvait; il avait fermé les yeux, comprenant seulement qu'il allait mourir.

Ce fut l'Oiseau d'Argent, celui qui nichait loin des hommes à la cime du vieux tilleul, qui vit Bijou flotter dans le bassin. L'Oiseau d'Argent ne pouvait seul sauver le petit chat. Il courut à la Maison Douce, frappa du bec à la fenêtre, cria, voleta. Les Enfants l'aperçurent.

— Que veut l'Oiseau d'Argent? se demandèrent-ils.Ils coururent vers leurs parents. Papa terrible et Maman chérie aussitôt

comprirent : « L'Oiseau d'Argent veut que nous le suivions! » Avec les Enfants, derrière l'Oiseau d'Argent, ils coururent au fond du jardin. Et là... Et là, dans le bassin des Poissons rouges, ils virent le corps de Bijou ballotté par les petites vagues de l'eau. Des poissons, avec prudence, tournaient autour de lui. Les Enfants crièrent. Déjà Papa terrible avait escaladé le grillage. Maintenant il repêchait Bijou, pauvre chiffon qui ruisselait. Alors on court à la cuisine, on allume le radiateur électrique. Par toutes sortes de mains, Bijou est séché, chauffé, frictionné. Papa terrible ne pense même pas à changer de pantalon. Hélas, le noyé ne bouge pas, son petit corps roule sous les doigts. Des larmes coulent sur le visage des enfants. Papa terrible et Maman chérie se regardent souvent, sans rien se dire. Ils persévèrent pourtant. Et tout à coup Bijou tousse, d'une toux presque éteinte. Il tousse encore, il tousse plusieurs fois avec plus de vigueur. Les Enfants rient :

— Il est sauvé !

LES POISSONS ROUGES

1 - Quelles bêtes Bijou a-t-il déjà rencontrées dans le jardin? Lesquelles ne connaît-il pas encore?2 - Pour quelles raisons Bijou trouve-t-il les Poissons rouges merveilleux? Pour quoi les prend-il?3 - Dites comment l'Oiseau d'Argent sauve Bijou. Comment ce dernier est-il soigné ensuite, par qui?

15

Page 16: Bijou de la maison douce A et R Baruc

4. Le serment

-Bijou, pourtant, n'était pas encore sauvé. Il fallut, pendant plus d'une heure, le frictionner devant le feu. Enfin, l'une après l'autre, il étendit les pattes, ses yeux s'ouvrirent, il miaula.

— Du lait bien chaud! crièrent les Enfants.

Dans leur hâte, ils versèrent à terre la moitié de la casserole. Le reste suffisait à Bijou. Il s'approcha de la soucoupe. Sa langue, un peu moins vite qu'à l'ordinaire, lapa le lait. Ensuite, il s'endormit. Sur la pointe du pied, la famille s'éloigna. Pendant toute la soirée, l'Oiseau d'Argent se demanda si le petit chat avait survécu. Que se passait-il dans la Maison Douce? Il entendait des cris, même des larmes. Enfin des rires éclatèrent. Alors l'Oiseau d'Argent replia ses ailes de lumière, et, pour la nuit, ferma ses yeux pleins d'amour. Le lendemain, Bijou trottait comme les autres matins. Dans le jardin, près du vieux tilleul, il retrouva l'Oiseau d'Argent.

— Oiseau d'Argent, je ne te connaissais pas; les Enfants m'ont dit que je te dois de vivre; pourquoi fus-tu si bon pour moi? lui demanda Bijou.

— J'habite ici depuis longtemps, répondit l'Oiseau d'Argent, les Enfants m'y ont toujours vu; ils savent que je vis seul mais que je suis un oiseau d'amour.

.

16

Page 17: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Sa voix était si douce que ces paroles semblaient une chanson. Il s'était installé sur la branche la plus basse, si près du petit chat que Bijou voyait le cœur soulever les plumes brillantes de la poitrine.

— Comment te remercier? reprit Bijou.— Pourquoi me remercierais-tu, je dois vivre pour faire le bien.Il s'apprêtait à regagner la cime du vieux tilleul. Il agita ses ailes où

semblèrent passer des flammes.— Reste encore un moment, lui cria Bijou. Dis-moi comment te remercier

de m'avoir sauvé.L'Oiseau d'Argent referma ses ailes :- Puisque tu m'en pries, je te le dirai. Bijou dressa la tête vers l'Oiseau

d'Argent.

— Écoute, ajouta-t-il, si tu veux me remercier de t'avoir sauvé, promets-moi de ne jamais attaquer mes frères.

Bijou répondit aussitôt qu'il le promettait. L'Oiseau d'Argent secoua la tête:

— Ne parle pas si vite, tu es jeune; tu ne sais pas encore qu'un serment ne doit pas se trahir.

La voix de l'Oiseau d'Argent devenait grave et lente. Mais, quoiqu'il fût encore un petit chat, Bijou comprenait la valeur d'un serment.

— Oiseau d'Argent, dit-il, de ma vie je ne m'attaquerai à tes frères, je te dois trop !

17

Page 18: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Souviens-toi, reprit l'Oiseau d'Argent, que tu devras toujours tenir ta parole, même si un jour tu meurs de faim !

Au pied du tilleul, Bijou demeurait sans bouger :— Je ne serai jamais un parjure, Oiseau d'Argent... Et jamais je ne mourrai de

faim à la Maison Douce.L'Oiseau d'Argent tourna la tête vers l'horizon puis, de nouveau, regarda le petit

chat :— Oui, à la Maison Douce, tu ne mourras jamais de faim... Sait-on pourtant ce

qui peut arriver ?Bijou eut soudain froid comme si le soir emplissait le jardin :— Mon Oiseau d'Argent tu me fais peur... Quoi qu'il arrive, je ne trahirai pas

mon serment.— A la vie, à la mort, tu peux donc toujours compter sur moi, dit l'Oiseau

d'Argent.Bijou sentit alors la lumière revenir dans le jardin. Les rosés sentirent plus fort

encore; au-dessus des troènes, les papillons dansèrent. La brise chanta, l'Oiseau d'Argent lui répondit.

— Comme l'Oiseau d'Argent chante bien aujourd'hui! murmurèrent Papa terrible et Maman chérie. Sans doute nous annonce-t-il une belle journée!

— Peut-être est-il joyeux d'avoir sauvé Bijou? répondirent les Enfants. Leurs parents sourirent :

— Peut-être...Ils n'y croyaient pas pourtant. Plusieurs heures, l'Oiseau d'Argent chanta. Bijou

toujours aussi recueilli, restait assis au pied du vieux tilleul. « Jamais je ne trahirai mon serment », se répétait-il. Il ne savait pas qu'un jour, beaucoup, beaucoup plus tard...

LE SERMENT1 - A quoi les Enfants et leurs parents voient-ils queBijou est vraiment sauvé? Montrez que le chaton est vite guéri.2 - Pourquoi l'Oiseau d'Argent a-t-il sauvé Bijou?3 - Que promet le petit chat? S'il tient sa promesse, sur quel ami pourra-t-il toujours compter?

18

Page 19: Bijou de la maison douce A et R Baruc

5. A l’aventure

Bijou n'avait jamais quitté le jardin de la Maison Douce. Dès qu'il n'apercevait plus le haut perron de la demeure, il se jugeait perdu. Alors, aussi vite qu'il le pouvait, il traversait les allées, franchissait massifs, pelouses et s'arrêtait sous les fenêtres de la maison. Là, rassuré, il ronronnait en passant et repassant la langue sur les poils dérangés par la course. Au loin, presque toujours à ce moment, éclatait la voix de Tom, le chien d'un fermier. Bijou, pendant des heures, n'osait plus quitter le perron.

Avec le temps, il devint plus courageux. Et un matin, sans même qu'il l'eût voulu, il atteignit le fond du jardin. Plus loin que le garage, plus loin que le bassin des Poissons rouges, il vit un trou sous les lauriers-rosés de la haie. Ce passage amusa beaucoup Bijou. « Poursuivons », dit-il en se glissant sous les branches qui lui chatouillaient les oreilles. En une seconde, il fut dehors.

Personne ne lui avait jamais dit qu'après les lauriers-rosés commençaient les champs, les prés et les bois, un monde où les petits chats couraient grand péril. Dans la Maison Douce, nul n'avait rien vu. Papa terrible était à son travail; les Enfants se trouvaient à l'école; Maman chérie passait l'aspirateur. Tom, par malheur, était au diable; s'il avait aboyé dans la ferme, Bijou se serait précipité vers le haut perron de la Maison Douce. Quant à l'Oiseau d'Argent, il somnolait dans son nid, entre les branches du vieux tilleul.

19

Page 20: Bijou de la maison douce A et R Baruc

La Maison Douce n'était séparée des champs que par un mauvais chemin de terre. Un air vif, venu de très loin, gonfla la poitrine de Bijou, lui donnant une folle envie de détaler. Il s'éloigna de la Maison Douce en courant, le malheureux! traversa des champs de blé vert, des prairies dont le printemps rajeunissait l'herbe. « Jamais, je n'aurais pensé que le jardin de la Maison Douce était si grand ! » se disait-il.

Quand il fut fatigué, il s'arrêta, examina des plantes qu'il ne connaissait pas, les flaira, moustaches relevées, se frotta à leur tige. Une seule alerte l'interrompit; il crut voir deux oreilles au-dessus des herbes : s'il rencontrait un lapin! Avec leurs dents qui remuaient sans cesse, ils effrayaient toujours le chaton. Il cessa de cajoler ces fleurs; il regarda, prêt à fuir : les oreilles avaient disparu. Bijou se remit à mordiller de petites feuilles tendres dont le goût amer ne lui déplaisait pas. Au loin, un chien, Tom peut-être, aboya, si loin que Bijou n'en fut pas ému. Puis une nouvelle bouffée de vent traversa la campagne et Bijou reprit sa course. Après s'être glissé sous une clôture, il fut au bord d'un ruisseau. Bijou n'en avait jamais vu.

C'était un ruisseau bien modeste qui se hâtait en descendant la pente des prés. Il s'amusait à sauter de pierre en pierre; des bruits inconnus se mêlaient au chant de l'eau : là-bas sifflait un train, plus près, un tracteur toussotait.

— Pourquoi les Enfants ne m'ont-ils jamais conduit jusqu'au bout du jardin ? se demanda Bijou.

20

Page 21: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Il eut envie de toucher ce ruisseau qui semblait vivre. Dès que sa patte en eut effleuré la surface, il fit un bond d'une hauteur extraordinaire : la fraîcheur de l’eau lui rappelait son accident. Aussitôt, il décida de rejoindre la Maison Douce.

C'est alors que tout près de lui, derrière une haie, une vache, une bonne vieille vache qui n'avait même pas vu Bijou, beugla. Son appel ébranla l'air : un vrai coup de canon! Dès qu'il l'entendit, Bijou s'affola, franchit le ruisseau sans même s'en rendre compte et fila droit devant lui. Un nouveau beuglement, quoiqu'il fût moins violent, l'atteignit encore. Les oreilles aplaties par l'épouvante, le petit chat courut plus vite encore. Adieu les coups de dents et les caresses aux plantes inconnues! Il ne s'arrêta qu'au bord de la grande route, la grande route dont il n'avait jamais entendu parler.

Les autos s'y poursuivaient avec furie. Bijou ne connaissait que la bonne voiture de la Maison Douce, où montaient parfois les Enfants avec Papa terrible et Maman chérie. Elle sortait du garage avec douceur, traversait le jardin sans froisser une seule fleur puis disparaissait en silence. Elle revenait avec autant de sagesse. Aussi, quand Bijou vit ce cortège de folles, resta-t-il sans bouger dans l'herbe du talus. Une voiture à droite, une voiture à gauche; deux voitures à droite, deux voitures à gauche, trois voitures à droite, trois voitures à gauche... La tête de Bijou s'agitait en tous sens. « Où suis-je; où suis-je? » se répétait-il, sans deviner qu'il était perdu.

A L'AVENTURE1 - Comment se fait-il que Bijou ne se sache pas hors du jardin?2 - A quoi s'amuse Bijou dans la campagne?3 - Pour quelles raisons Bijou s'affole-t-il? Où s'arrête sa course? Que fait-il alors?

21

Page 22: Bijou de la maison douce A et R Baruc

6. L'enlèvementM. et Mme Pastel revenaient d'un mariage dans leur belle voiture qui

roulait sans bruit. Cinq cents kilomètres encore les séparaient de leur maison. Pourtant M. Pastel, la prudence même, n'accélérait qu'avec mesure. Beaucoup d'autos les dépassaient; que lui importait ? Au moins, comme sa femme, avait-il le temps de regarder les fermes, les bois et les champs qui s'avançaient vers lui avant de disparaître. Il faisait chaud, Mme Pastel avait baissé la vitre...

Soudain, elle aperçut un petit chat qui s'aplatissait dans l'herbe et ne bougeait pas. Était-il mort? On eût dit un chiffon abandonné par le vent.

— Arrête! cria-t-elle à son mari.M. Pastel freina. Une petite secousse : la voiture s'arrêtait près de Bijou.

Mme Pastel s'avança vers lui.— Je ne m'étais pas trompée, dit Mme Pastel à son mari qui n'avait pas

quitté son siège, c'est un petit chat. Il n'est ni mort ni blessé !

Bijou avait vu venir puis s'arrêter la belle voiture. Il avait vu s'avancer vers lui une inconnue. Mme Pastel s'était baissée sur lui. Étourdi par le carrousel de la route, Bijou se laissa prendre. Mme Pastel le caressa en murmurant des mots qui rassuraient. Caresses et paroles calmèrent Bijou. Ses oreilles se redressèrent; il ronronna par petits coups.

22

Page 23: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Que tu es gentil, lui dit tout bas Mme Pastel, aussi gentil que joli! Maintenant, elle l'examinait. « Cette belle fourrure, ajouta-t-elle, ces yeux verts, quelles merveilles ! »

De la voiture, M. Pastel cria : « Quand repartons-nous? Dépêche-toi, il nous reste au moins sept heures de route! »

Mme Pastel, en dorlotant toujours le chaton, s'approcha de son mari :— Emmenons-le !— Nous avons déjà à la maison, répondit M. Pastel, deux perruches, deux

chiens, leurs puces, sans compter les ours en peluche de l'usine. » II fabriquait, en effet, des ours en peluche par centaines.

Mme Pastel s'entêtait :— Oui, nous avons deux perruches et deux chiens qui n'ont d'ailleurs

jamais de puces. Mais, justement, il nous manque un chat gentil et joli comme celui-là.

— Il ne nous appartient pas, dit encore M. Pastel.Sa femme lui montra la campagne : aucune maison ne s'y voyait.— Il s'est perdu, reprit Mme Pastel; une voiture l'écrasera; il est si petit ! Trop

de bêtes meurent sur les routes, ajouta-t-elle tristement.Elle avait fermé les yeux. M. Pastel soupira. Il avait eu le temps d'allumer une

cigarette : « Fais à ton gré. »

23

Page 24: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Il ne nous appartient pas, dit encore M. Pastel.Sa femme lui montra la campagne : aucune maison ne s'y voyait.— Il s'est perdu, reprit Mme Pastel; une voiture l'écrasera; il est si petit ! Trop

de bêtes meurent sur les routes, ajouta-t-elle tristement.Elle avait fermé les yeux. M. Pastel soupira. Il avait eu le temps d'allumer une

cigarette : « Fais à ton gré. »

Mme Pastel s'assit sur la banquette, posa Bijou sur ses genoux. Il se laissait faire; encore étourdi par le tonnerre de la vache et le fracas des voitures, il avait à peine entendu les paroles de Mme et M. Pastel; il se sentait bien, voilà tout. Il croyait vaguement que ces inconnus le reconduiraient à la

Maison Douce.L'auto démarra :— C'est un enlèvement, dit M. Pastel.— Un sauvetage, lui répondit sa femme.La voiture déjà filait. En quelques secondes, comme ils furent loin, Papa

terrible, Maman chérie, les Enfants, l'Oiseau d'Argent! Comme elle fut loin, la Maison Douce avec son jardin et son haut perron! Dans un dernier virage, un toit seulement apparut, à demi caché par la cime' d'un vieux tilleul. Mais Bijou ne vit rien : accablé par trop d'aventures, bercé par la voiture et le sifflement du vent le long des portières, il s'était endormi.

Nul n'avait vu Mme Pastel emmener Bijou, sauf Courte, la taupe, qui avait mis son nez à la fenêtre. Elle avait un moment regardé l'auto arrêtée près de ses galeries. Comme elle n'y voyait pas très clair, à peine avait-elle compris qu'un petit chat avait disparu. D'ailleurs les affaires des autres ne l'intéressaient pas.

L'ENLÈVEMENT1 - Mme Pastel murmure quelques mots à Bijou pour le rassurer. Devinez-vous ce qu'elle lui dit?2 - Pour quelles raisons Mme Pastel veut-elle emmener Bijou? Pour quelles raisons M. Pastel s'y refuse-t-il d'abord ?3 - « C'est un enlèvement », dit M. Pastel.- Un sauvetage, lui répond sa femme. A votre avis, lequel a raison ? Sauriez-vous dire pourquoi?

24

Page 25: Bijou de la maison douce A et R Baruc

7. Le réveil de BijouDANS la voiture, Mme Pastel ne regardait plus courir les bois, les champs

et les villages. Elle expliquait à son mari comment elle soignerait Bijou :— Je l'installerai dans la lingerie, il y fait toujours bon. Je lui donnerai

l'ancienne corbeille à linge et la vieille couverture de voyage; je lui achèterai des pâtés pour petits chats; s'il le faut, je demanderai conseil à notre vétérinaire... » Elle parla ainsi longuement. Elle était sûre que, dans sa maison, le petit chat se croirait au paradis. M. Pastel, qui écoutait sans répondre, dit seulement :

— Je me demande comment les chiens accueilleront ton protégé.— Kiki et Koko sont des amours, répliqua Mme Pastel. D'ailleurs,

Mme Marthe m'aidera à soigner le chaton.Mme Marthe était la femme de ménage. M. Pastel fit observer d'une voix

calme qu'elle serait trop occupée pour empêcher les animaux de se battre.— Jamais tu n'as aimé les bêtes, dit simplement Mme Pastel en soupirant.

M. Pastel ne répondit rien : c'était vrai, les animaux le laissaient indifférent; il n'avait d'affection que pour ses ours en peluche mais ceux-là, comme il les aimait!

25

Page 26: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Mme Pastel regarda de nouveau la route en caressant très doucement Bijou.

L'auto roulait toujours; Bijou ne s'était pas encore réveillé. Il n'avait même pas rêvé qu'il courait dans le jardin de la Maison Douce et se cachait sous les pivoines. Quand l'auto fut arrivée, Mme Pastel fit préparer le lit de Bijou par Mme Marthe. Elle y déposa avec beaucoup d'attention le voyageur toujours endormi.

— Qu'il est mignon! dit Mme Marthe en se penchant sur lui.— Et joli, ajouta Mme Pastel, ses yeux sont deux émeraudes ! Elle parlait

comme Maman chérie.

Bijou s'étira, ouvrit un œil puis l'autre aussitôt : où se trouvait-il ? Qu'étaient devenus sa chaise et son coussin? Il ne connaissait ni ce panier ni cette couverture de laine aussi douce que sa fourrure. Il leva la tête avec vivacité : il ne vit que des placards et, près de lui, une table à repasser. En regardant plus loin, par la porte entrouverte, il aperçut d'autres pièces; tout avait changé : ce n'étaient ni les mêmes tapis ni les mêmes tables ni les mêmes fenêtres. Aucun bruit : où donc se cachaient Papa terrible, Maman chérie et les Enfants qui riaient toujours si fort ? De très loin vint une chanson, reprise par une voix de femme. Bijou se dressa : que se passait-il, où avait-il entendu cette voix ?

Il sauta de sa corbeille, flaira, agita les moustaches : rien que des odeurs inconnues. Il n'osa plus bouger et n'eut qu'un petit miaulement désespéré.

26

Page 27: Bijou de la maison douce A et R Baruc

La musique l'étouffa, nul ne vint. Malgré ses pattes qui tremblaient, à petits pas prudents, il se dirigea vers la musique. A la Maison Douce, Papa terrible. Maman chérie et les Enfants écoutaient aussi de la musique. « Peut-être sont-ils là-bas », pensa Bijou. Alors, il courut, guidé par la chanson. C'était d'ailleurs très agréable de courir ici : partout des tapis. Soudain, sans qu'il ait aperçu aucune bête, des aboiements retentirent : Bijou s'engouffra sous un buffet, les aboiements se rapprochèrent, assiégèrent le meuble. Bijou se recula jusqu'au mur. De là, il ne voyait que l'ombre de huit pattes. Elles dansaient autour de son refuge. « Des chiens, se dit Bijou avec effroi, d'où viennent-ils ? » II n'y avait point de chien à la Maison Douce. Comment échapperait-il à ces monstres? A coup sûr, il serait dévoré s'il sortait de son abri. Qui viendrait le délivrer ?

La colère des chiens devenait effrayante. Bijou se ramassait contre la plinthe comme s'il eût pu entrer dans le mur.

LE RÉVEIL DE BIJOU1 - Comment Mme Pastel se propose-t-elle de choyer Bijou ?2 - Quels changements surprennent Bijou quand il s'éveille? Que suppose-t-il?3 - A quels détails se marque la méchanceté des deux chiens? Que faut-il craindre pour l'avenir?

27

Page 28: Bijou de la maison douce A et R Baruc

8. La nouvelle maison

Par bonheur, la voix qui chantait s'approcha :— Couché, Kiki, couché, Koko, dit-elle; quelles façons!Les grognements cessèrent, les partes disparurent. Une femme se pencha :— Voilà donc où s'était réfugié notre pauvre petit vagabond !Elle tendit le bras; Bijou laissa une paume le cueillir. Quand Mme Pastel l'eut

ramené au jour, elle pressa le chaton contre elle :— Tu trembles, mon chéri? Ils t'ont fait donc si peur, ces gros vilains? Pourtant,

ils ne sont pas bien méchants !La voix et les caresses de Mme Pastel rassurèrent Bijou comme elles l'avaient

calmé au bord de la grande route. La musique venue de la pièce éloignée devenait très douce :

— Mon pauvre petit, reprit Mme Pastel, à présent, tu dois avoir grand-faim ! Elle le porta jusqu'à la cuisine qui parut aussi grande à Bijou que toute la Maison Douce. Elle versa du lait dans une soucoupe, Bijou le flaira, il était glacé. Le chaton se recula et regarda Mme Pastel avec surprise. Elle ne connaissait donc pas ses goûts ?

28

Page 29: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Mme Marthe s'approcha :— Sans doute votre petit chat n'aime-t-il

pas le lait froid, dit-elle. Elle prit vivement l'assiette; quelques instants plus tard, Bijou retrouvait son déjeuner à la chaleur voulue. Il en fut si heureux qu'il commença à ronronner pour Mme Marthe. La femme de ménage le comprit. Elle sourit :

— Vraiment, qu'il est gentil. Madame !— Oui, il est gentil, répéta Mme Pastel.

Si je ne l'avais pas trouvé, il ne vivrait plus aujourd'hui.

M. Pastel revint quelques instants plus tard. Pour la première fois, Bijou le vit debout. L'homme était très grand, beaucoup plus grand que Mme Pastel, beaucoup plus grand aussi que Papa terrible. « C'est un géant, pensa Bijou. Les Enfants parlaient souvent des géants. » M. Pastel n'eut qu'un regard pour le chaton :

— Garderons-nous longtemps ces quelques grammes de poils? demanda-t-il à sa femme.

Elle leva les yeux vers son mari:— Tu es terrible! Si Mme Marthe et moi

ne l'aimions pas, cette bête serait bien malheureuse!

M. Pastel, cette fois, s'adressa à Bijou :— Et les chiens t'aiment sans doute

beaucoup aussi ? lui dit-il.Puis il partit après un petit rire. Ce petit

rire glaça Bijou : il se souvenait des cris qu'avaient poussés Kiki et Koko, des pattes qui couraient avec fureur autour du buffet.

La musique avait cessé, le silence de la maison plaisait à Bijou qui commençait à comprendre son aventure. Une inconnue l'avait recueilli quand il était en perdition au bord de la grand-route et l'avait emporté dans sa voiture.

A présent, puisqu'il était repu et reposé, pourquoi le gardait-elle, pourquoi ne le reconduisait-elle pas auprès de Papa terrible, de Maman chérie, des Enfants

29

Page 30: Bijou de la maison douce A et R Baruc

? Oui, Bijou, voulait retourner à la Maison Douce. Il miaula plusieurs fois pour le dire. Hélas ! Mme Pastel ne comprit pas cette prière :

— Ne pleure pas, mon chéri, nous t'aimerons bien. Je te présenterai à Kiki et Koko, vous deviendrez amis; je te présenterai aussi à la Perruche bleue et à la Perruche verte. Mais j'y pense, ajouta-t-elle, je ne t'ai pas donné de nom, je t'appellerai Chouchou. »

Elle répéta plusieurs fois : « Chouchou! » Bijou ne bougea pas : peu lui importait un nom qui n'était pas le sien. Mme Pastel n'insista pas. Bijou, qu'elle accompagna, regagna sa corbeille et sa couverture.

Quelques heures plus tard, Mme Pastel entra dans la lingerie.— Kiki et Koko sont d'excellente humeur, dit-elle. Allons les retrouver.

Ils ont beaucoup crié quand ils t'ont senti; à présent, ils t'accueilleront en frère, j'en suis sûre!

L'idée de revoir Kiki et Koko épouvanta Bijou. Il se raidit, tenta d'échapper à Mme Pastel. Elle le gronda d'une voix qui, pourtant, une fois encore le rassura :

— Ne t'affole pas, nigaud, je suis là! Bijou se laissa emporter.

LA NOUVELLE MAISON1. Quand les chiens l'ont effrayé, comment Mme Pastel calme-t-elle Bijou? Que pensez-vous d'elle? Mme Marthe est très bonne pour Bijou. Quels détails vous le montrent?2. « Tu es terrible », dit Mme Pastel à son mari. Pourquoi lui parle-t-elle ainsi? Que signifient ici ces mots? Qu'espéré finalement Bijou ? 3. Quelles sont, au contraire, les intentions de Mme Pastel?

30

Page 31: Bijou de la maison douce A et R Baruc

9. Les bêtes sans yeux

BIJOU n'oublia jamais sa rencontre avec Kiki et Koko. Mme Pastel, tenant toujours le petit-chat dans ses bras, se dirigea vers le hall de l'entrée, une splendeur ! Bijou put s'y contempler dans une succession de glaces.

— Koko, Kiki ! appela Mme Pastel.Bijou entendit trotter sur la moquette, tendit le cou hors du bras qui le

tenait. Les chiens parurent. Mme Pastel leva un doigt :— Kiki et Koko, je vous apporte un joli petit chat qui s'était perdu au bord

d'une route où passait le torrent des voitures. Tout à l'heure vous l'avez mal accueilli parce que vous ne le connaissiez pas. Regardez-le bien à présent : c'est un amour. Si vous l'aimez bien, il vous aimera bien aussi. Faites-lui mimi!

31

Page 32: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Elle posa Bijou devant eux. Il ne s'y attendait pas et ne sut comment fuir. Alors, il vit de près les deux chiens.

C'étaient deux horreurs. Les pattes soulevaient à peine le ventre au-dessus du sol; les poils couleur de rouille retombaient le long du corps. Surtout, ah! surtout, ils cachaient les yeux! Seules se voyaient, dans la face, des narines un peu mouillées et des lèvres que soulevaient des crocs. Malgré les recommandations de leur maîtresse, Kiki et Koko grondaient.

— S'ils font un pas vers moi, je me jette sur eux, pensa Bijou malgré sa peur. Il entendait encore leurs hurlements autour du buffet. Les deux affreux ne devinaient pas les pensées de Bijou. Leurs grognements finissaient en cris maintenant.

— Je me jette sur eux, se répéta Bijou. Pour la première fois de sa vie, la colère gonfla son corps, dressant sa fourrure. Pendant un instant, les trois bêtes restèrent ainsi puis, soudain, Bijou cracha au visage des chiens. Mme Pastel se précipita, reprit le petit chat gris :

- Vilain, ne me les abîme pas; des chiens d'une si belle race; ils valent une fortune !

Peu importait à Bijou. Il haïssait ces monstres sans regard. S'il les retrouvait, il y était décidé : "le premier, il mordrait ! Il eût même voulu tout de suite échapper au bras qui le tenait pour se lancer sur eux. Mme Pastel le comprit. Elle emporta Bijou à l'autre bout de l'appartement. — Nous ferons un autre essai, dit-elle à Bijou. Pour l'instant, allons saluer les perruches.

32

Page 33: Bijou de la maison douce A et R Baruc

La Perruche bleue et la Perruche verte habitaient, près d'une haute fenêtre, la plus belle cage que Mme Pastel eût trouvée. L'entrevue de Bijou et des Perruches fut sans histoire. Ni la Perruche bleue, ni la Perruche verte ne prirent garde au chaton qui ne s'occupa point d'elles. En les voyant, il pensa seulement à l'Oiseau d'Argent; il était si beau, dans le vieux tilleul; il chantait si bien, dans le grand jardin! Mme Pastel étendit une couverture sur la cage afin que ses pensionnaires puissent dormir malgré le jour. Puis, avant de reconduire Bijou vers Kiki et Koko, elle lui fit visiter l'appartement. Elle l'avait gardé dans ses bras, de longues recommandations accompagnaient ce voyage. Bijou ne les écouta pas, ne se souciant pas de savoir ce qui était permis ou défendu. Enfin, Mme Pastel ouvrit une croisée. Bijou crut qu'elle donnait sur le jardin de la Maison Douce. Il voulut s'échapper. Par bonheur, Mme Pastel put le retenir, la fenêtre ouvrait sur le vide. Au-dessous de lui, Bijou aperçut la cime des platanes qui bordaient une avenue; cachées par leur feuillage, des autos de toutes les couleurs se suivaient. Mme Pastel repoussa le battant. Cette fois, Bijou retrouva avec joie le calme de l'appartement.

Hélas! comme elle l'avait annoncé, Mme Pastel voulut, encore une fois, présenter Bijou aux deux chiens. Blotti dans les bras de Mme Pastel, le chaton, de nouveau, traversa une foule de pièces. Quand il revit les glaces du hall, il se débattit.

LES BÊTES SANS YEUX1 . Pour quelles raisons Bijou, dès qu'il les voit, déteste-t-il Kiki et Koko? Que trouvez-vous de particulièrement déplaisant dans les deux chiens?2 . Mme Pastel ne se décourage pas. Quelle réflexion vous le montre? Qu'espère-t-elle obtenir de Kiki, de Koko, de Bijou ?

33

Page 34: Bijou de la maison douce A et R Baruc

3 . Où croit arriver Bijou quand il tente de s'échapper? Comment s'explique son erreur?

10. Une vie compliquée

KIKI et Koko, de leur côté, remâchaient leur colère. Pourquoi leur maîtresse avait-elle adopté cet avorton ? Ni l'un ni l'autre n'aimaient les chats et ils n'avaient jamais rien vu de si laid que cette fourrure sans tache et ces yeux verts comme l'eau d'une rivière. Tous deux voulaient la maison pour eux seuls. Ils étaient même jaloux des perruches; elles les horripilaient. Ils se proposaient de les dévorer le plus tôt possible. Quand Mme Marthe nettoyait la cage, ils se relayaient pour épier de leurs yeux invisibles. Si la porte restait entrouverte une seconde, peut-être pourraient-ils saisir au moins l'une des deux bêtes ?

A présent, ils cherchaient d'abord comment se défaire du petit chat. S'ils montraient leur mauvaise humeur, Mme Pastel, pensaient-ils, renverrait son protégé d'où il était venu.

A l'appel de leur nom, Kiki et Koko s'approchaient sans se hâter.— Venez vite ! leur criait pourtant Mme Pastel.Ils parurent enfin. Mais cette fois, Bijou ne se laissa pas poser à terre. Il se

cramponna au bras de Mme Pastel, enfonçant même les griffes dans le lainage de la robe.

34

Page 35: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Petit, sois raisonnable, murmurait Mme Pastel. Kiki et Koko sont aussi mes chéris. Ils ne te veulent pas de mal, regarde! Kiki et Koko, en effet, ne semblaient pas agressifs. Les deux chiens s'étaient même assis. Ils attendaient que Bijou leur fût présenté pour laisser éclater leur fureur.

— Laisse-toi faire, mon petit, murmurait Mme Pastel. D'une main patiente, elle tentait d'extraire les griffes enfoncées dans le tissu.

— Si je l'écoute, je suis mort, pensa Bijou. Ils m'auront brisé les reins avant que je puisse me défendre.

Il se raidissait, se débattait, plantait dans un nouvel endroit les griffes dont s'était libérée Mme Pastel. Elle soupira :

— Patientons quelques jours.Elle repartit avec Bijou. En attendant que les trois bêtes se supportent, elle

jugea prudent de transporter la corbeille du petit chat à l'abri de Kiki et Koko.Elle discuta longuement avec Mme Marthe. Après toutes sortes de projets, les

deux femmes crurent trouver la solution de ce difficile problème. Le lit de Bijou fut placé dans un débarras qu'éclairait un vasistas. Le débarras ne contenait que de vieux meubles. Bijou pourrait s'amuser à les escalader.

35

Page 36: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Bijou fut promptement installé dans ce nouveau logis. Il s'y déplut d'abord

tant qu'il miaula pendant plusieurs heures. Mme Marthe et Mme Pastel se regardaient en hochant la tête. Enfin, Bijou parut se calmer.

Mais la vie devint bien compliquée. Il ne fallait jamais laisser la porte du débarras ouverte, sauf quand Kiki et Koko se promenaient avec leur maîtresse. A leur retour. Bijou réintégrait sa demeure. Souvent, alors, Mme Marthe devait le chercher interminablement sous les meubles. Mme Pastel demanda conseil à son mari.

Il lui recommanda « de jeter dehors toutes ses bestioles, perruches comprises ». Mme Pastel ne répondit que par un cri indigné.

Bijou prenait son mal en patience. Il croyait à présent que Mme Pastel le reconduirait à la Maison Douce. Alors, que lui importait d'avoir les deux horreurs pour amies ou pour ennemies ?

Une semaine passa, puis une autre. Alors, Bijou comprit qu'il avait pour prison le bel appartement. Jamais plus il ne reverrait la Maison Douce ni son jardin. Il pensait avec tristesse à Papa terrible, à Maman chérie, aux Enfants, à l'Oiseau d'Argent. Qu'étaient-ils devenus ? Pourquoi ne venaient-ils pas le chercher? Peut-être les avait-on enlevés aussi?

UNE VIE COMPLIQUÉE1 - Kiki et Koko ont toutes sortes de méchants projets; pourriez-vous les retrouver?2 - « Mme Marthe et Mme Pastel se regardaient en hochant la tête. » Que se passe-t-il alors ; que craignent les deux femmes ?

36

Page 37: Bijou de la maison douce A et R Baruc

3 - Pour quelles raisons Bijou s'attriste-t-il quand il pense à la Maison Douce? Que suppose-t-il alors?

11. Inutiles recherches

BIEN entendu, nul n'avait enlevé Papa terrible, Maman chérie ni les Enfants. Tous avaient en vain cherché le petit chat aux yeux d'émeraude.

Maman chérie, la première, s'était aperçue qu'il avait disparu. Un soir, à l'heure où elle préparait le dîner, Bijou qu'attirait d'habitude le parfum des casseroles, ne s'était pas montré. Point de Bijou encore au repas. La famille aussitôt s'agita, explora la maison, le jardin. « Bijou, Bijou! » Aucun cri ne répondait. Même ,1e garage fut fouillé, même la voiture dont les portes étaient pourtant fermées. Papa terrible, sans rien dire, alla jusqu'au bassin des Poissons rouges, redoutant de voir un petit corps flotter sur ses eaux.

La nuit était tombée, il fallut dîner. Après le repas, des lampes électriques errèrent dans le jardin. Des questions s'élevaient dans les ténèbres :

— Et sous les troènes ? Et près des rosiers ?Ils avaient cherché partout. Maintenant, il était très tard. Onze heures, oui,

37

Page 38: Bijou de la maison douce A et R Baruc

onze heures sonnèrent tristement au loin. « Allons dormir », dirent Papa terrible et Maman chérie. Pour rassurer les Enfants, ils ajoutèrent :

— Demain, il reviendra sûrement!Aussi la nuit ne fut-elle pas trop mauvaise pour les Enfants. Le lendemain

était un dimanche. La famille reprit ses recherches.- Sait-on quel caprice peut entraîner un petit chat? dit Maman chérie. Si

nous habitions près de la grand-route, ajouta-t-elle, nous aurions à craindre le pire. Mais sur notre chemin, sauf de vieilles charrettes, il ne passe presque jamais rien.

— Et jamais d'étrangers, ajouta Papa terrible. Sinon, des inconnus pourraient l'avoir volé.

Les Enfants poussèrent un cri puis répondirent que Bijou était déjà leste, qu'il savait courir et se défendre. Papa terrible hocha la tête. Finalement, à la Maison Douce, on décida de se renseigner dans le village : quelqu'un, peut-être, y avait aperçu Bijou ?

Pendant toute la journée, les Enfants allèrent de porte en porte. Seul le grand Alphonse, le cantonnier, qui se croyait beaucoup d'esprit, se moqua d'eux : « Vous me prenez donc pour le père Lustucru ? » leur demanda-t-il. Ailleurs, ils furent mieux accueillis. La mère Paulette, une vieille fermière, ou pépé Jacques, l'ancien épicier, furent parmi les plus compatissants : -

— Mes pauvres petits, je ne sais rien... Mais vous le retrouverez, votre Bijou ! Et, s'il ne revient pas, quand ma chatte aura des petits, je vous garderai le plus beau; vous n'aurez qu'un mot à dire!

Ils offraient des bonbons aux Enfants; pourtant ni les bonbons ni les promesses ne les consolaient. Aucun autre chat ne leur ferait oublier Bijou.

Ils revinrent à la Maison Douce en traînant la jambe. Ils n'étaient pas entrés à la boulangerie; ils n'osaient pas dire à la maman de Catherine que le petit chat gris était perdu.

— Nous avons cherché de notre côté, leur dirent Papa terrible et Maman chérie. Si Bijou ne se trouve pas dans le village, peut-être vagabonde-t-il loin d'ici!

Les Enfants regardèrent par la fenêtre; au-delà des prés tendus comme des draps verts, au-delà des champs s'étendaient les grands bois. Comment y retrouver Bijou ?

Quelques jours passèrent. A chaque retour de l'école, les Enfants espéraient que Bijou les attendait à la Maison Douce. Au seul regard de Maman chérie, ils avaient compris.

38

Page 39: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Dans le jardin, les rosés sentirent plus fort encore, le vieux tilleul fleurit, des boutons parurent au laurier-rose; le petit loir, toujours emmitouflé, vint jusqu'au perron. Les Enfants regardaient seulement très loin, vers une forêt qui n'avait pas de fin. Ils ne chantaient ni ne riaient plus.

— Nous pourrions publier une annonce ! dit alors Papa terrible.Elle fut aussitôt rédigée, envoyée le soir même au journal : « Perdu petit chat

gris répondant au nom de Bijou... » Les Enfants se reprirent à espérer. Ils guettaient le facteur, ils guettaient les rares passants : si l'un d'eux rapportait Bijou? Ils s'interrogeaient : « Bijou aurait-il beaucoup grandi? les reconnaîtrait-il? »

Le temps passa, personne ne répondit à l'annonce. Un soir, quand ils furent seuls dans leur chambre, les Enfants pleurèrent beaucoup. Puis, sur le mur, ils posèrent une photo en couleurs que Papa terrible avait prise : on y voyait Bijou qui se nettoyait la patte devant les pivoines en fleurs. A la Maison Douce, Papa terrible, Maman chérie et les Enfants parlaient sans cesse de Bijou :

— Vous rappelez-vous quand il jouait à cache-cache ?— Quand il disparaissait au grenier ?— Quand il voulait monter sur la table ?— Quand il était tombé dans le bassin des Poissons rouges ?Les Enfants croyaient alors Bijou toujours auprès d'eux. Puis ils se rappelaient

qu'il restait seulement de lui la jolie photo de leur chambre...

INUTILES RECHERCHES1 . Où cherche-t-on Bijou ? Pourquoi Papa terrible se dirige-t-il vers le bassin? Que craint-il?

39

Page 40: Bijou de la maison douce A et R Baruc

2 - Comment la mère Paulette et le pépé Jacques essaient-ils de consoler les Enfants? Pour quelles raisons n'y parviennent-ils pas? 3 - Que se passe-t-il après la publication de l'annonce rédigée par Papa terrible?

12. L’Epervier

.L'Oiseau d'Argent, celui qui nichait dans le vieux tilleul, n'avait pas vu Bijou s'enfuir par le trou de la haie. Il dormait déjà quand les habitants de la Maison Douce avaient cherché le petit chat gris dans la nuit. Le lendemain à son réveil, il crut d'abord que Bijou faisait la grasse matinée. Après que le soleil eut séché la rosée jusqu'au cœur des fleurs, l'Oiseau d'Argent pensa que son compagnon paraîtrait bientôt sur le haut perron de la Maison Douce.

Le déjeuner vint, l'après-midi passa. Bijou était-il malade? Comme les Enfants restaient invisibles aussi, l'Oiseau d'Argent se dit : « Par ce beau dimanche, ils auront emmené le chaton se promener. » Le soir, les Enfants revinrent seuls. L'Oiseau d'Argent comprit que Bijou avait disparu. — Je le chercherai partout, pensa l'Oiseau

40

Page 41: Bijou de la maison douce A et R Baruc

d'Argent; je l'ai sauvé quand il se noyait dans le bassin des Poissons rouges. Que de dangers doivent le menacer encore ! Il me faut le retrouver.

Comme pour s'envoler, il agitait ses ailes de lumière. Hélas! déjà des nuages étouffaient les feux du crépuscule. L'Oiseau d'Argent dut attendre une longue nuit avant de quitter son tilleul. Le lendemain, dès l'aube, il s'envola.

Il s'envola tout de suite vers les grands bois qui fermaient la campagne. Il allait avec prudence : depuis plusieurs jours, les ailes sans pitié d'un Épervier battaient le ciel au-dessus du pays. Déjà les lauriers-rosés de la Maison Douce n'étaient plus qu'un bouquet de fleurettes. Dans une prairie, il aperçut quelques mulots; il descendit vers eux : « Auriez-vous rencontré un petit chat gris? » leur cria-t-il. Sans l'écouter ni lui répondre, ils détalèrent : sans doute le prenaient-ils pour l'Épervier.

L'Oiseau d'Argent atteignit le ruisseau où Bijou, un moment, s'était arrêté. La vache qui l'avait effrayé se tenait encore dans le pré d'où avait jailli le tonnerre de sa voix. L'Oiseau d'Argent se posa sur un buisson près d'elle. Il lui fit le portrait du disparu, ,lui demanda si elle l'avait jamais vu. La vache regarda longuement l'Oiseau d'Argent; elle ne semblait pas comprendre et balançait sottement la queue.

L'Oiseau d'Argent allait répéter sa question quand, soudain, à côté de lui, dans un arbre, des mésanges se dispersèrent en criant d'effroi. L'Oiseau d'Argent comprit : sur les prés courait en s'élargissant l'ombre de deux grandes ailes. C'était l'Épervier. Comment lui échapper ? Au-dessus de lui, le rapace, à présent,

41

Page 42: Bijou de la maison douce A et R Baruc

dessinait les grands cercles de la mort. L'Oiseau d'Argent se crut perdu. Alors, il ne pensa plus qu'à Bijou.

Presque aussitôt, sur la route, là-bas, une auto ralentit puis s'engagea dans l'étroit chemin qui menait au ruisseau. Quand elle l'eut atteint, elle s'arrêta. « Me voilà peut-être sauvé ! » se dit l'Oiseau d'Argent qui s'engouffra sous elle. L'odeur de l'essence, le souffle encore chaud du moteur le suffoquèrent. Qu'importait! il restait blotti sous la voiture.

Les voyageurs étaient descendus; ils n'avaient pas aperçu l'Oiseau d'Argent. Dans cet endroit tranquille et frais, ils s'apprêtaient à pique-niquer. Soudain, ils virent l'Epervier foncer vers leur auto :

— La vilaine bête, quelle audace !Ils lui lancèrent les pierres du chemin.' L'Epervier d'abord tint bon; il

voulait sa proie. Un projectile, enfin, heurta plus rudement le rapace, froissant quelques plumes. Il disparut. « Nous nous retrouverons! » cria-t-il à l'Oiseau d'Argent. Aussitôt après, celui-ci quitta son abri; d'un seul coup d'aile, il regagna la Maison Douce. Il ne pourrait jamais s'en éloigner tant que ce monstre le guetterait.

Les jours suivants, pourtant, il tenta de repartir. Hélas ! l'Epervier n'avait pas menti. Dès que l'Oiseau d'Argent s'élevait au-dessus du jardin, du fond du ciel, l'Epervier s'élançait. L'Oiseau d'Argent regagnait en hâte le vieux tilleul.

- Si je ne puis quitter mon tilleul, se répétait-il tristement, jamais je ne reverrai mon ami. Il sera si loin, si loin!...

Un matin, au-dessus d'une ferme, une détonation claqua. Et l'Oiseau d'Argent vit choir du ciel un point sombre qui devint énorme. Le paysan savait viser, l'Epervier était couché. Il s'abattit derrière de hauts murs. On entendit Tom aboyer.

— Le voilà puni pour ses crimes, se dit aussitôt l'Oiseau d'Argent. Maintenant, la route est libre; partons!

L'EPERVIER1 - Quand Bijou a disparu, l'Oiseau d'Argent, d'abord, ne s'inquiète pas : que suppose-t-il?2 - Quelle sorte d'oiseau est l'Epervier? Pourquoi l'Oiseaud'Argent le craint-il?3 - Auprès de quel animal se renseigne l'Oiseau d'Argent.Pour quelles raisons n'obtient-il aucune réponse?

42

Page 43: Bijou de la maison douce A et R Baruc

4 - De quelle façon l'Oiseau d'Argent échappe-t-il àl'Epervier?

13. Le complot

Bijou n'exagérait guère quand il traitait Kiki et Koko de « chiens sans yeux ». Sous les poils qui tombaient du front, le regard ne se voyait pas. Toujours de mauvaise humeur, ils passaient leur vie à grogner ou à tenter de mordre les visiteurs. Depuis l'arrivée de Bijou, ils devenaient encore plus irascibles; même les caresses de Mme Pastel étaient mal accueillies. Kiki et Koko cherchaient toujours comment se défaire de Bijou.

— Traquons-le, énervons-le, affolons-le, disait Kiki; nous le dégoûterons de cette maison; alors, un jour, il s'entra.

Kiki et Koko ne cessèrent en effet de courir jusqu'à la porte du débarras où vivait Bijou. Ils s'y postaient, grondaient, jappaient, grattaient le bois. Mme Pastel soupirait :

— Mes chéris, que vous voilà déraisonnables ! Vous nous rendez la vie impossible !

43

Page 44: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Elle se plaignit encore à son mari. « Envoie ces bêtes au diable », lui dit-il une fois de plus. Pourtant, il commençait à se sentir quelque sympathie pour ce petit chat qu'assiégeaient deux forcenés.

Bijou les entendait hurler de l'autre côté de la porte, se démener. Il se savait en sûreté. Leurs cris l'auraient même amusé s'il n'avait sans cesse pensé à la Maison Douce, à Papa terrible, à Maman chérie, aux Enfants, à l'Oiseau d'Argent. Les reverrait-il un jour, comment échapperait-il à Mme Pastel? Devant le panneau, contre le chambranle, Kiki et Koko continuaient à pousser des cris variés.

Ce fut Koko qui, le premier, en eut l'idée.— Écoute, dit-il un jour à Kiki, si nous cessions de tourmenter le chat ? De saisissement, l'autre en demeura la gueule ouverte.— Oui, poursuivit Koko, mieux vaudrait nous en faire un ami !— Un ami ! répondit cette fois Kiki. Il n'en put dire plus. Koko balança la tête avec une sorte de bonhomie :— Un ami pour quelque temps au moins... Un ami afin qu'il nous débarrasse des perruches.

L'autre horreur commençait à comprendre. On put même voir un de ses yeux briller au travers des poils. Alors Koko, posément, en passant par instants sur sa gueule de petits coups de langue gourmands, s'expliqua. Il s'agissait de bien accueillir désormais le chat pour l'amadouer. Tous trois, en apparence, deviendraient bons camarades. Alors, le jour où Mme Marthe ouvrirait la cage des perruches, ils demanderaient à Bijou de s'y glisser. Il était leste; des oiseaux, il ne ferait qu'une bouchée.

44

Page 45: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— S'il refuse? dit Kiki.— Nous lui jurerons que nous lui offrons les perruches en gage de notre amitié;

il ne refusera pas. Avons-nous le choix, reprit Koko, à nous seuls, nous n'avons pu nous débarrasser de ces horribles oiseaux.

Kiki fut vite convaincu. Une question le tracassait pourtant :— Les perruches mortes, il nous faudra ensuite supporter le chat? Pour toute

réponse, Koko retroussa les lèvres.— Je comprends, reprit Kiki, je comprends, ensuite, son tour viendra! Koko

inclina la tête.Aussitôt les deux chiens témoignèrent à Bijou la plus grande affection. Ils

n'aboyèrent plus devant sa porte; quand ils s'en approchaient, c'était pour gémir doucement, comme s'ils appelaient un frère dont ils étaient séparés. Mme Pastel s'y laissa prendre. Elle consulta son mari qui haussa simplement les épaules. Mme Marthe resta très réservée :

— Je crains que ces deux bêtes n'aient quelque manigance en tête. A votre place, Madame, je me méfierais.

— Vous ne comprenez rien à mes chéris, répondit Mme Pastel à Mme Marthe comme à son mari.

Et, un jour, elle appela Kiki et Koko. Elle leur fit un long discours sur leurs devoirs envers le petit chat. Elle les prit ensuite dans ses bras et s'arrêta devant la porte de Bijou. Koko et Kiki jubilaient : bientôt, plus de perruches et plus de chat; la maison pour eux seuls!

45

Page 46: Bijou de la maison douce A et R Baruc

LE COMPLOT1. Kiki et Koko deviennent encore plus détestables. Cherchez comment se manifeste leur mauvaise humeur?2. Les deux chiens sont à la fois cruels et sournois.A quels détails le voyez-vous? En quoi consiste leur complot?3. Qui vous paraît la plus clairvoyante de Mme Marthe ou de Mme Pastel?

46

Page 47: Bijou de la maison douce A et R Baruc

14. Le Refus de Bijou

MME Pastel ouvrit le débarras. Koko et Kiki ne poussèrent pas un cri. Ils restaient sur le seuil, où Mme Pastel les avait laissés. Elle prit Bijou dans ses bras :

— Voilà, lui dit-elle, mon Kiki et mon Koko veulent devenir tes amis. A présent, nous serons heureux tous les quatre.

Bijou, d'abord, se méfia. Mais la voix de Mme Pastel était persuasive; les chiens semblaient repentants. Depuis plusieurs jours d'ailleurs, n'avaient-ils pas cessé de le tourmenter? « Après tout, se dit Bijou, peut-être sont-ils meilleurs que je ne le suis et meilleurs que je ne le supposais ? Je suis jeune, je ne sais rien de la vie... » Sans résister, il se laissa poser près des chiens, la griffe rentrée, le poil tranquille. Mme Pastel se pencha sur Kiki et Koko :

— A présent, faites-lui mimi !Les deux chiens, quels sournois! donnèrent à Bijou quelques coups de

langue. Il ne les reçut pas sans trembler; en même temps que la langue, il sentait des dents; des dents bien près de mordre! A son tour, il donna quelques coups de langue. Mme Pastel s'attendrit plus encore :

— Quelle joie vous m'apportez mes " chéris ! Je vous laisse ensemble. Pour célébrer votre amitié, je vous abandonne le salon. N'y faites pas les fous!

47

Page 48: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Les chéris restèrent ensemble mais ne s'amusèrent guère. Kiki et Koko ne savaient comment montrer à Bijou des sentiments qu'ils n'éprouvaient pas. Ils voulurent en finir vite. Dès le lendemain, ils dirent à Bijou :

— Camarade, tu semblés te méfier de nous... Croiras-tu à notre amitié si nous t'offrons un cadeau royal ?

Bijou, du regard, les interrogea. Koko, alors se rapprocha de lui. Il montra, à deux pas, la cage des perruches. Il expliqua longuement son plan : le coup serait sans risques. Sitôt que Mme Marthe aurait ouvert la porte de la cage, son frère et lui attireraient la femme de ménage à l'autre bout de la pièce. En deux coups de dents, tout serait fini. Et Bijou devait savoir que la chair des perruches était un régal! Bijou aussitôt s'insurgea.

— Réfléchis bien, lui dit Koko, ce sera les perruches ou toi.Mme Pastel survenait. Kiki et Koko firent à Bijou de grandes

démonstrations. Bijou était trop écœuré, il s'enfuit.— Le vilain, dit Mme Pastel.Pendant deux jours, Kiki et Koko ne s'occupèrent pas de Bijou.

Finalement, ils s'impatientèrent. D'un air toujours doucereux, ils entrèrent dans le débarras :

— As-tu réfléchi ? lui demanda Koko. La colère, déjà, étranglait sa voix.— Jamais je ne m'attaquerai aux perruches. Quel mal nous ont-elles fait?

Et j'ai donné ma parole à l'Oiseau d'Argent!... Vous êtes des monstres.

Il s'emportait. Kiki et Koko s'agitèrent avec fureur :— Si tu veux vivre, tu nous débarrasseras de la verte et de la bleue !Bijou s'était calmé tout à coup. « Je vous comprends, leur répondit-il, vos

caresses n'étaient que mensonges. Jamais je ne vous ai tant détestés! »Repris par la colère, il cracha au visage des deux chiens. Ce geste les

déchaîna; ils se ruèrent sur Bijou. Trois pièces de l'appartement furent traversées en trombe, une chaise tomba. Bijou avisa enfin un guéridon, y bondit; du guéridon, sauta au sommet d'une armoire. Les chiens l'y assiégèrent avec des hurlements.

Pendant ce temps, les perruches continuaient à dormir sous la couverture qui les protégeait du jour.

Mme Pastel entendit le vacarme. Elle accourut, renvoya les chiens, délivra Bijou. « Comme ton cœur bat, lui dit-elle. Que tu as eu peur... Si je savais qui a commencé? Peut-être toi », ajouta-t-elle douloureusement. Cette fois, ses caresses irritaient Bijou plus qu'elles ne l'apaisaient. Elle le porta jusqu'au débarras, l'y enferma. Seul et dans le silence, il se calma. « Quel malheur, quel malheur ! » murmurait Mme Pastel en regagnant son salon.

Quand M. Pastel sut cette aventure, il ne fit aucune réflexion. Mais, dès qu'il se trouva seul avec Bijou, il le prit sur ses genoux : « Mon pauvre petit, on t'a fait bien des misères! Si je savais où te reconduire! » Ces mots touchèrent

48

Page 49: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Bijou. Il comprit que M. Pastel; ce géant qui semblait indifférent, était devenu son ami.

LE REFUS DE BIJOU1 - Bijou finit par croire aux bonnes intentions de Kikiet Koko. Comment s'explique son erreur?2 - Pour quelles raisons Bijou refuse-t-il de s'attaqueraux perruches? Que pensez-vous de lui?3 - Comment l'histoire se termine-t-elle pour les deuxchiens, pour Bijou, pour Mme Pastel?

15. La visite du vétérinaire

49

Page 50: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Bijou fut heureux de se retrouver à l'abri de Kiki et de Koko. Sermonnés par Mme Pastel, les deux chiens ne criaient plus devant sa porte. Bijou entendait à peine des aboiements venus de très loin. La moquette étouffait les pas. Comme l'appartement paraissait silencieux!

Dès que Kiki et Koko partaient se promener avec leur maîtresse, Mme Marthe ouvrait à Bijou la porte de son réduit. La moustache en mouvement, il explorait toutes les pièces de la maison, surveillé par Mme Marthe. Quoiqu'elle aimât le petit chat, elle ne lui permettait pas d'aiguiser ses griffes sur les rideaux, les tentures, les tapis ni les fauteuils. De la rue montait le roulement des voitures. Bijou s'installait enfin près des perruches. Leur bavardage le fatiguait vite. Il ne les regardait pas et se rappelait l'Oiseau d'Argent qui l'avait sauvé du bassin. C'était un oiseau d'amour; pourquoi ne venait-il pas le délivrer? Puis Mme Pastel, Kiki et Koko reparaissaient, apportant la tiédeur du printemps. Mme Marthe enfermait Bijou dans le débarras. Peu de temps après, la porte s'entrouvrait : Mme Pastel, un moment, prenait Bijou dans ses bras. Sa robe gardait l'odeur des fleurs qu'elle s'achetait souvent.

— Mon pauvre chéri, répétait-elle à Bijou, pourquoi détestes-tu mon Kiki et mon Koko? Ils ne te veulent pas de mal : tu ne les entends plus gronder. J'aimerais tant que, chez moi, vous soyez heureux tous les trois. Elle le caressait, l'embrassait, posait contre sa joue le museau bien frêle

50

Page 51: Bijou de la maison douce A et R Baruc

encore. Bijou s'abandonnait sans comprendre : puisque Mme Pastel se montrait si bonne, pourquoi ne reprenait-elle pas avec lui le chemin de la Maison Douce?La Maison Douce : il ne l'oubliait pas! Après tant de JOUES, qu'étaient devenus Maman chérie, Papa terrible et les Enfants ? Peut-être croyaient-ils que leur petit chat les avait quittés parce qu'il ne les aimait plus? Alors, comme ils devaient être malheureux ! Cette pensée bientôt ne le quitta plus. Elle le rendit plus triste encore.

Il ne ronronnait plus quand Mme Pastel le pressait contre elle. Un jour même, pour répondre à ses caresses, il sortit ses griffes. « Le vilain! » s'écria Mme Pastel qui pardonna aussitôt. Bijou eut un peu honte de lui. Puis, peu à peu, il perdit l'appétit. En vain les meilleurs pâtés pour chats lui furent-ils offerts. De sa corbeille, sans bouger, il regardait son assiette et miaulait. Personne, vraiment, ne pouvait le comprendre? pas même Mme Marthe, vers laquelle il se tournait?

Il maigrissait, son poil devenait terne. Il passait son temps à dormir. Mme Pastel s'inquiéta; elle téléphona au vétérinaire. Il vint aussitôt car elle était bonne cliente. De sa mallette il sortit une blouse blanche qu'il enfila. Mme Pastel lui apporta Bijou. Il l'installa avec douceur sur ses genoux en murmurant : « Sois

51

Page 52: Bijou de la maison douce A et R Baruc

sage, mon minet, ne crains rien. » Bijou ne se rebiffa pas : les doigts de l'homme se posaient si délicatement sur son corps! Le chaton ouvrit grand les yeux : l'homme portait une belle barbe qui se penchait vers lui. Le cœur de Bijou battit : peut-être l'inconnu venait-il pour le reconduire à la Maison Douce?

Le vétérinaire le palpa, le retourna. Mme Pastel donna de longues explications.

— Je ne vois rien de grave, madame, lui dit enfin le praticien. Cette bête mène une vie contre, nature, voilà tout. Elle courait autrefois dans la campagne; à présent, vous la cloîtrez. Mieux vaudrait vous en séparer pour l'offrir à une personne qui possède un jardin.

Mme Pastel répondit qu'elle voulait garder son protégé.— Si chez d'autres il lui arrivait malheur, comment me le pardonner?

ajouta-t-elle.Le vétérinaire se résigna :— Dans ce cas, accordez-lui quelque liberté. Promenez-le. En attendant,

pour lui rendre ses forces, je lui fais une piqûre.Bijou ignorait ce qu'était une piqûre. Il vit sans s'émouvoir paraître une

seringue. Il se débattit quand il sentit l'aiguille. C'était déjà trop tard. Aussitôt après, il crut qu'un sang tout neuf courait dans son corps. D'un bond, il s'échappa.

— Le voilà guéri, dit le vétérinaire en souriant.Il rangea sa trousse, plia sa blouse, demanda à sa cliente comment se

portaient Kiki et Koko : ces derniers temps, n'avaient-ils pas souffert de leurs dents? Puis il prit congé.

LA VISITE DU VÉTÉRINAIRE1 - A qui Bijou pense-t-il souvent? Quelles sont alors les raisons de sa tristesse?2 - A quels détails voyez-vous que le vétérinaire aime les bêtes? Quelles causes donne-t-il à la maladie de Bijou? Se trompe-t-il?3 - La piqûre guérit-elle vraiment Bijou ? Quel était son but, quel est son effet?

52

Page 53: Bijou de la maison douce A et R Baruc

16. Le collier pour chat

PROMENEZ-LE, avait dit le vétérinaire à Mme Pastel en parlant de Bijou. Mais comment promener Bijou? Mme Marthe étant partie, Mme Pastel demanda conseil à son mari. Il lui recommanda à son tour de placer le petit chat à la campagne. Encore une fois, Mme Pastel refusa :

— J'ai vu promener des chats comme on promène des chiens, dit-elle d'un ton décidé. Notre petit rescapé aura sa laisse et son collier.

M. Pastel n'insista pas. Sa femme se rendit aussitôt chez le marchand qui avait toujours équipé ses bêtes. Elle retrouva la boutique encombrée d'animaux empaillés, chiens et chats, tous harnachés avec luxe. Le marchand écouta Mme Pastel, lui présenta divers colliers.

Après beaucoup d'hésitations, elle se décida : Bijou porterait du cuir rouge. Elle choisit les plus coûteux des colliers et des laisses. Elle voulut même compléter le collier par un grelot.

— Je ne vous le conseille pas pour l'instant, répondit le marchand. La sonnerie du grelot peut affoler votre chère petite bête. Au début, peut-être supportera-t-elle avec impatience le seul collier.

53

Page 54: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Mme Pastel repartit. Elle marchait vite; elle se voyait déjà dans le jardin public accompagnée de son chaton. Au bout de sa laisse, il marchait sagement auprès d'elle; parfois, elle s'arrêtait pour le laisser croquer un brin d'herbe ou regarder voler des papillons...

Bijou, qui ne se doutait de rien, vit sortir du carton le collier que lui présenta Mme Pastel. « C'était le plus beau... Tu seras mignon comme un amour quand tu le porteras. » Mais dès qu'elle l'eut assujetti au cou du petit chat, il fut pris d'une colère terrible. Arc-bouté sur trois pattes, de la quatrième, en grondant, il tentait d'arracher son carcan. La fermeture ne bronchait pas; Bijou changeait de patte, courait vers le pied des meubles où il se frottait le cou. Parfois, il faisait un bond terrible, comme pour échapper à cet horrible instrument. Mme Pastel essayait de raisonner sa victime :

— Calme-toi, mon petit... Grâce à ce collier, nous nous promènerons ensemble.

Elle lui parla des flâneries dont elle rêvait dans le jardin public où Kiki et Koko se plaisaient tant. Bijou n'écoutait pas. A présent, le collier l'étranglait. Il se débattit en forcené. Mme Pastel, à grand-peine, put le délivrer. Sitôt libre, Bijou se réfugia sous la bibliothèque. Il y resta toute la nuit. Le lendemain, Mme Pastel voulut recommencer une nouvelle tentative. « II s'habituera peu à peu au collier », se disait-elle. Elle s'avança vers Bijou, tenant le collier caché derrière son dos. Il ne se méfiait pas ; en une seconde, il l'eut au cou puis, du même geste, la laisse fut fixée au collier. En même

54

Page 55: Bijou de la maison douce A et R Baruc

temps, Mme Pastel reprenait ses cajoleries : il était le plus beau des chats, tous deux vagabonderaient dans le jardin public, le long de ses magnifiques parterres, de sa pièce d'eau où nageaient les cygnes...Bijou, cette fois, ne bougeait pas. Quand Mme Pastel tira sur la laisse, au lieu de se débattre, il s'aplatit contre le sol. Mme Pastel donna une nouvelle secousse. Elle ne fit que tramer le chat sur la moquette où il tentait de s'agripper.— Ne fais pas ta mauvaise tête, lui répétait-elle.Elle tira encore, déplaçant Bijou avec autant de peine qu'elle eût déplacé un meuble. A la fin, elle renonça. Elle rendit la liberté à sa victime en murmurant : « Tu découragerais les meilleures volontés. »Kiki et Koko, sans se faire voir ni entendre, avaient chaque fois, en jubilant, suivi la bataille de Mme Pastel et de Bijou. « Cette bête est si désagréable que notre maîtresse la battra et la jettera dehors », se disaient-ils. A cette pensée, ils se léchaient les babines.Les jours suivants, Mme Pastel demanda en vain leur avis à son mari et à sa femme de ménage. Comment accoutumer le chat au collier? Ils n'en savaient rien. Elle se rendit chez le marchand. Il lui suggéra d'abord de nouer un ruban au cou de Bijou. Hélas! dès qu'elle paraissait maintenant au seuil du débarras, il se réfugiait parmi les meubles qui s'y entassaient. Sans un déménagement, il était impossible de l'atteindre. Sur le dossier d'un fauteuil inaccessible, Bijou demeurait des heures entières. Il n'avait plus désormais qu'une seule idée : s'enfuir de cette maison où il était chaque jour plus malheureux.

LE COLLIER POUR CHATS1 - Mme Pastel, quand elle décide d'acheter le collier,a d'excellentes intentions; lesquelles?2 - Quel conseil et quel avertissement le marchand donne-t-il à sa cliente? A quoi rêve Mme Pastel en quittant la boutique?3 - Par deux fois Mme Pastel essaie de passer le collierà Bijou. Comment réagit-il la première fois? La seconde? Quelle décision prend-il ?

55

Page 56: Bijou de la maison douce A et R Baruc

17. Les réponses de la TaupeSitôt l'Épervier abattu, l'Oiseau d'Argent s'élança. Il survola de nouveau

les champs. Les blés pâlissaient; aux haies d'aubépine, les fleurs séchaient. « Que de temps perdu! » se dit l'Oiseau d'Argent. Plusieurs fois, il tourna au-dessus des grands bois; il lui sembla passer sur de la nuit. Si Bijou s'y était réfugié, comment l'y retrouver? Il revint vers les prés, revit la vache qu'il avait interrogée. A quoi bon la questionner encore ? Pour toute réponse, elle le regarderait en balançant sottement sa queue!

Pendant des heures et des heures, ses ailes de lumière emportèrent ainsi l'Oiseau d'Argent. Enfin, vers le soir, il se dirigea vers la grand-route où courait la file hargneuse des voitures. Comme il allait repartir, Courte, la Taupe, mit le nez au seuil de sa galerie :

— Tu tournes comme une âme en peine; que cherches-tu? L'Oiseau d'Argent se confia à l'inconnue.

— Je vois, je vois, dit-elle.Comme toutes ses sœurs, elle parlait ainsi justement parce qu'elle n'y

voyait

56

Page 57: Bijou de la maison douce A et R Baruc

presque rien. Puis elle se tut. Immobile dans sa robe aux reflets de soie, elle ne regardait même plus l'Oiseau d'Argent. Il s'impatienta.

— Que sais-tu?— Rien, répondit-elle assez mollement. L'Oiseau d'Argent vint tout près

d'elle :— Tu ne me dis pas la vérité! Je t'en supplie, ajouta-t-il, renseigne-moi;

de ta réponse dépend une vie!Ces mots ne semblèrent pas émouvoir Courte la Taupe. Après un long

silence, elle répondit :— Reviens au prochain quartier de la lune. Peut-être alors pourrai-je te

dire ce que tu veux savoir.L'Oiseau d'Argent la supplia encore en vain. Elle disparut.

Les jours qui suivirent, l'Oiseau d'Argent survola encore en tous sens les prés, les bois et les champs. Il attendait avec impatience le prochain quartier de la lune. Dès qu'il se fut dessiné dans le ciel, l'Oiseau d'Argent, en hâte malgré sa fatigue, s'en alla vers le bord de la grand-route pour retrouver Courte la Taupe. Elle le guettait. Elle n'attendit aucune question :

— Écoute, lui dit-elle aussitôt, voici longtemps déjà, au début de ce printemps, je prenais l'air comme l'autre jour. A deux pas de moi, j'aperçus un petit chat gris qui semblait très effrayé. Quoique je n'aime pas ces bestioles, j'ai voulu lui crier : « Ne traverse pas! » quand une voiture s'est arrêtée près de lui. Une femme en est descendue; elle a pris le chaton dans ses bras, l'a caressé; avec lui, elle est repartie dans sa voiture.

— On a donc enlevé Bijou, murmura l'Oiseau d'Argent.— J'ai même entendu, poursuivit la Taupe, ce qu'a dit le chauffeur quand

il a vu la femme revenir avec le petit chat...

La Taupe rapporta à l'Oiseau d'Argent la phrase de M. Pastel : « Nous avons déjà à la maison deux perruches, deux chiens, leurs puces, sans compter les ours en peluche de l'usine... »

Le cœur de l'Oiseau d'Argent battait bien fort, tandis que parlait la Taupe. L'Oiseau d'Argent posa cent questions à Courte; elle avait à peu près tout dit; elle ajouta pourtant :

57

Page 58: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— J'ai oublié le numéro de la voiture mais les chiffres du département, je m'en souviens.

Elle les avait vus, en effet, dans une sorte de brouillard. L'Oiseau d'Argent les répéta.

— Je te remercie, dit-il enfin, grâce à toi je retrouverai Bijou. La Taupe secoua la tête :

— Puisses-tu réussir! Mais tu cherches, comme disent les hommes, une aiguille dans une botte de foin.

— Je retrouverai mon ami, répéta l'Oiseau d'Argent. Hélas! pourquoi m'as-tu renseigné si tard?

— Je ne te connaissais pas; il me fallait le temps d'interroger toutes mes sœurs. Elles m'ont appris que tu étais un oiseau d'amour et que je pouvais t'aider.

De nouveau, elle disparut; elle avait vu l'ombre d'un chien.L'Oiseau d'Argent ne s'attarda pas; il fila le long de la grand-route, versla droite, du côté où était repartie la voiture de M. Pastel.Ses ailes de lumière battaient dans le frais matin; il se répétait :— Tant que je n'aurai pas retrouvé Bijou, je ne reviendrai pas à la Maison

Douce.Quand, à la Maison Douce, les Enfants virent que l'Oiseau d'Argent avait

disparu, ils dirent à leurs parents :— Peut-être est-il parti pour chercher Bijou?Papa terrible et Maman chérie se regardèrent avec un sourire un peu

triste : ces petits rêvaient.— Qui peut savoir? leur répondirent-ils pourtant.

LES RÉPONSES DE LA TAUPE1 - Quels renseignements Courte donne-t-elle enfin à l'Oiseau d'Argent? A votre avis, permettront-ils à l'Oiseau d'Argent de retrouver aisément Bijou ?2 - Pourquoi la Taupe ne s'est-elle pas expliquée plus tôt? Que pensez-vous de sa conduite?3 - « Qui peut savoir? » répondent Papa terrible et Maman chérie à leurs enfants. Que veulent-ils dire en parlant ainsi ?

58

Page 59: Bijou de la maison douce A et R Baruc

18. L’évasion

C’ÉTAIT le moment où Mme Pastel promenait Kiki et Koko. Bijou se trouvait seul au logis avec Mme Marthe. Il lui tenait compagnie dans la cuisine où elle repassait. Les autres jours, Bijou s'amusait de voir se balancer le fil qui joignait le fer à la prise. Il le guettait, cherchait à le saisir. Cette fois les pattes repliées sous lui, il ne le regardait même pas. Car, il l'avait décidé : aujourd'hui, il s'enfuirait.

Il s'enfuirait pour retrouver la Maison Douce et son jardin. Il s'enfuirait pour retrouver Maman chérie, Papa terrible et les Enfants. Il s'enfuirait pour retrouver l'Oiseau d'Argent. Il s'enfuirait pour retrouver les abeilles sur la pelouse en fleurs, les poissons rouges dans leur bassin, le petit loir toujours emmitouflé. Il s'enfuirait pour retrouver le vent qui frémissait dans sa fourrure et les étoiles qui s'ouvrent dans les grandes prairies de la nuit. Il s'enfuirait pour retrouver ce qu'il avait perdu et qu'il avait toujours aimé.

Mme Marthe observait Bijou en s'étonnant de le voir si sage.— Serais-tu de nouveau malade? Ah! si j'avais un jardin où tu puisses

59

Page 60: Bijou de la maison douce A et R Baruc

courir, je demanderais à Mme Pastel la permission de t'emporter chez moi! Puis, Mme Marthe acheva son repassage, regarda l'heure, rangea la planche, le linge, le fer. Avant de partir, elle dit comme d'habitude à Bijou : « Je te laisse seul, ne fais pas de sottises! » II ne bougea même pas la tête, son plan était fait; dès que Mme Pastel reviendrait avec Kiki et Koko, il se précipiterait vers la porte entrouverte.

Bijou se posta dans le hall. Il attendit; aucun bruit ne montait de l'escalier. Mme Pastel s'attardait. Alors l'idée lui vint de faire, avant de s'enfuir, tout ce qui lui était défendu. Il se déchaîna, d'une pièce à l'autre courut comme un fou. Il sauta sur les meubles, côtoya les vases et les bibelots, les frôla. Au moment où il sentait que leur chute était proche, il les abandonnait. Puis il bondissait sur un fauteuil, un divan, dont il éparpillait les coussins. Il prit même plaisir à foncer sur la cage des perruches qui faillirent mourir de peur. Un vrai démon! Il en oubliait qu'il voulait s'enfuir. Un saut le porta au pied d'une tenture de velours. Elle tombait du haut plafond devant la baie du salon. Bijou se ramassa, bondit et grimpa comme un écureuil au flanc d'un peuplier. Les griffes enfonçaient sans peine dans le tissu. A la

60

Page 61: Bijou de la maison douce A et R Baruc

cime du rideau, il demeura un moment, allongé sur la tringle comme sur une branche. De son observatoire, il détailla le salon, puis fit sa toilette. Soudain, dans l'escalier, des chiens aboyèrent, quelqu'un leur parla : Kiki, Koko, Mme Pastel! Bijou redescendit en hâte. Mais le rideau en se balançant le noyait dans ses plis. Il était encore loin du sol quand Mme Pastel entra.

Dès le seuil, elle vit Bijou dans la tenture, poussa un cri, lâcha les deux chiens. Sa main furieuse saisit Bijou et le corrigea sans faiblir :

— Garnement... un si beau velours... moi qui le lui avais défendu, il ira au coin!

Kiki et Koko ajoutaient leurs aboiements aux cris de leur maîtresse. Escortée par cette meute, Mme Pastel se dirigea vers le placard où elle voulait, pour quelques heures, enfermer le coupable. Bijou se débattait; la porte, restée ouverte, le fascinait. Pour fuir, comment échapper à Mme Pastel? Il sortit ses griffes; la pauvre femme sentit une éraflure; ses paumes se desserrèrent; Bijou s'échappa!

Au lieu de dévaler les marches, sans savoir pourquoi, il monta vers les étages supérieurs. Mme Pastel s'était précipitée sur le palier. De là, elle criait : « Arrêtez-le! » si fort qu'elle en perdait le souffle et devait se tenir à la rampe. Excités par ses appels, Kiki et Koko poursuivaient Bijou. Mais, attachés tous deux à la même laisse, ils ne pouvaient avancer : quand l'un montait trois marches, l'autre en redescendait deux, entraînant son compagnon.

— Ils ne m'auront pas, ils ne m'auront pas, se répétait Bijou.L'idée d'être libre, de retrouver bientôt la Maison Douce, de ne plus revoir

les deux horreurs, Mme Pastel et le collier, l'excitait. Il courait vite, toujours plus vite.

L'ÉVASION1. A quel moment Bijou est-il appelé « un vrai démon »?Pourquoi ? Énumérez tous ses méfaits.2. Comment Bijou parvient-il à s'enfuir? Pourquoi Kikiet Koko ne peuvent-ils le rattraper?3. Le petit chat gris sait-il exactement où se diriger?Quelle est sa seule intention ?

61

Page 62: Bijou de la maison douce A et R Baruc

19. Sur les toits

Bijou se trouvait loin du premier étage à présent. Mme Pastel habitait une haute et vieille maison. Bijou galopait toujours, les marches succédaient aux marches, les paliers aux paliers ; il allait, emporté par le tourbillon des escaliers. Mme Pastel n'appelait plus que d'une voix éteinte; beaucoup plus bas aussi, Kiki et Koko grondaient de fureur en se heurtant aux barreaux de la rampe.

Enfin Bijou atteignit le silence des combles. Il les parcourut en courant toujours; bientôt, il aperçut une lucarne à demi ouverte; d'un coup de reins il y fut et la franchit. Il déboucha sur les toits. Au-dessous de lui, comme un gigantesque moteur, grondait la ville. Au-dessus de lui riait le ciel.

« Me voilà sauvé! se dit joyeusement Bijou. Bientôt, je reverrai la Maison Douce. »

II prit le temps de lisser sa fourrure dérangée par sa fuite. Puis, en suivant la cime des toits, il courut dans la lumière et dans le vent. Quand Mme Tigre, la concierge, une bien brave femme malgré son nom terrifiant, avait entendu les cris de sa locataire, elle s'était imaginée que Mme Pastel se débattait avec un voleur. Par téléphone, elle avait appelé le commissariat. Tout de suite après, l'avertisseur de la police avait retenti,

62

Page 63: Bijou de la maison douce A et R Baruc

la voiture s'était arrêtée devant l'immeuble. Ses habitants dégringolèrent les étages, les passants accoururent. Mme Pastel, la sueur au front, essayait de s'expliquer en montrant les paliers éloignés où grognaient encore ses deux chiens. Tout le monde parlait à la fois, surtout ceux qui ne savaient rien. Enfin, petit à petit, Mme Pastel put se faire comprendre; les passants reprirent leur route, les locataires s'en retournèrent vers leurs logements. Seuls demeurèrent Mme Pastel, la concierge et les agents qui durent entendre un long récit des événements. Les agents consolèrent Mme Pastel que l'énervement faisait pleurer puis remontèrent dans leur voiture. Mme Pastel enfin quitta la loge et Mme Tigre commença à préparer la soupe. Sitôt chez elle, Mme Pastel s'effondra dans un fauteuil. « Tout ce qui arrive est épouvantable », murmurait-elle en regardant parfois ses chiens et parfois la tenture. Quand M. Pastel revint le soir, il trouva sa femme au lit « avec la plus forte migraine de sa vie ». En gémissant, elle supplia son mari de chercher Bijou dans les combles et jusque sur les toits.

— S'il en tombe, il se tuera, dit-elle.— Je ne veux pas en tomber moi-même, dit M. Pastel qui ne céda pas.

Mme Pastel finit par s'endormir.Au-dessus des maisons, Bijou trottait, surpris. Après des tuiles, des

ardoises,

63

Page 64: Bijou de la maison douce A et R Baruc

du zinc où glissaient ses griffes, de nouveau des tuiles, des ardoises, du zinc. Parfois, il s'arrêtait, flairait et regardait en tous sens : où se trouvait la Maison Douce? Pourquoi ne voyait-il pas la cime de son haut tilleul? Il s'éloignait, regardait toujours; mais, à l'horizon, rien que des tuiles, des ardoises, du zinc, des antennes aussi où il se frottait parfois. Comment redescendre ? Il s'agita en tous sens, tantôt suivant des chéneaux, tantôt s'agrippant à ses cheminées. Par quel chemin atteindre cette rue si loin de lui? Plusieurs fois, il faillit tomber, glissa jusqu'à l'extrémité de la dernière tuile ou de la dernière ardoise.

Alors, il regagna la cime des toits. Le vertige, à présent, tournait la tête du prisonnier de l'espace. Dans sa détresse, il appela comme il avaitmiaulé autrefois quand, au jardin de la Maison Douce, il ne savait comment descendre de l'arbre où il s'était perché. Peut-être les Enfants allaient-ils accourir?

Hélas, nul ne vint! il miaula, miaula encore. Alors surgit Vaurien, chat de gouttière.

SUR LES TOITS1 « Bientôt, je reverrai la Maison Douce », se dit Bijou. Est-ce vrai? Comment s'explique son erreur? 2 Pourquoi la concierge a-t-elle appelé la police? Quelles personnes accourent quand elle arrive? Comment se termine l'affaire pour Mme Pastel? 3 Dites pour quelles raisons Bijou est appelé « un prisonnier de l'espace.»

64

Page 65: Bijou de la maison douce A et R Baruc

20. Vaurien chat de goutière

.L.ES combats avaient emporté quelques morceaux de ses oreilles; les bourrelets des cicatrices zébraient une fourrure dont la poussière cachait la couleur. Se pouvait-il qu'un chat eût cet air de brigand? Bijou se recula en le voyant; l'autre l'apostropha :

— Qui es-tu, d'où viens-tu, serais-tu tombé d'une fusée? Il regardait Bijou sans complaisance et poursuivit :

— Réponds! je ne te mangerai pas.Toujours effrayé, Bijou se taisait. L'autre, plus doucement, reprit :— Sans doute as-tu fait quelques sottises. Tu peux tout me dire; je suis

Vaurien, chat de gouttière.

Bijou ne sut pas pourquoi ce renseignement le rassurait. Il cessa de reculer et, comme l'y invitait Vaurien, commença le récit de sa vie. II lui parla de la Maison Douce, de l'Oiseau d'Argent, de Mme Pastel qui l'avait enlevé. Comme le vertige l'étourdissait encore, il mêlait un peu tout. Son compagnon l'interrompit :

— Je ne t'en demande pas tant... Tu t'es échappé pour ne pas être maltraité,

65

Page 66: Bijou de la maison douce A et R Baruc

voilà tout. Les hommes sont tous les mêmes, poursuivit Vaurien avec une colère qui fit luire ses yeux, ils ne veulent que nous persécuter. Et pour l'instant, te voilà sans gîte et sans restaurant! Bijou hocha la tête et ce seul mouvement lui fit perdre l'équilibre, il se rattrapa de justesse. L'autre l'avait regardé avec une soudaine pitié :

— Écoute, mon petit, reprit-il, comme mon nom te le laisse penser, je ne vaux pas cher. Mais je n'ai jamais laissé un frère dans le malheur. Suis-moi. Et d'abord descendons dans la rue; j'ai vu que tu ne savais pas jouer les acrobates!

Bijou ne demandait qu'à abandonner ces hauteurs; il n'en pouvait plus, fermait les yeux, mais le bruit des voitures qui montait jusqu'à lui, le faisait alors trembler de peur.

— Suis-moi, reprit Vaurien, tu ne risqueras rien. Avant de se mettre en route, il se retourna :

— Tu ne m'as pas dit ton nom?— A la Maison Douce, ils m'appelaient Bijou. L'autre eut un rire qui

glaça Bijou :— Vaurien et Bijou, nous voilà bien mal assortis! Pour la troisième fois,

il invita Bijou à le suivre en lui conseillant d'imiter tous ses gestes, de placer les pattes où lui-même avait posé les siennes. Il connaissait le chemin : s'il était docile, Bijou ne risquait rien.

Alors Bijou se redressa et ne regarda plus rien que l'échiné de son guide. Il copiait tous les mouvements de Vaurien, quittait, comme lui, un toit

66

Page 67: Bijou de la maison douce A et R Baruc

pour un autre toit, une cheminée pour une autre cheminée, sautant sur des maisons toujours plus basses. Le parcours dura longtemps. Vaurien grognait contre les lenteurs de son compagnon tout en lui disant : Pas plus vite; tu te romprais les os. » Ils traversèrent sans façon plusieurs greniers. « Jamais je ne retrouverais ma route s'il le fallait », pensait Bijou. Il se consolait en pensant que chaque pas l'éloignait de Mme Pastel. Ils arrivèrent ainsi au-dessus d'une cour qu'emplissait une odeur de fromages. Vaurien se retourna vers Bijou :

— La maison de Pincedur, le crémier. Je t'en reparlerai. Il inspecta rapidement les lieux :

— Ce misérable a fermé sa remise... Continuons.Bijou, à présent, hésitait : où le conduisait cet inconnu? Son allure trop

hardie, ses cicatrices, son regard qui épiait, troublaient Bijou.— Je voudrais retourner à la Maison Douce, murmura-t-il. L'autre s'arrêta

:— Je n'ai jamais vu le pays dont tu me parles. S'il existe, sans doute se

trouve-t-il au diable. Pas de jérémiades; nous sommes entourés d'ennemis. Pour l'instant, avançons.

Bijou ne bougea pas :— Si je t'abandonne, reprit Vaurien, que deviens-tu? Tu finiras à la

fourrière. Moi, tout à l'heure, je t'offrirai une chambre et un repas puis je t'apprendrai à vivre libre. Tu n'auras jamais à obéir; tu feras ce que tu voudras.

Vaurien parlait avec tant d'ardeur que Bijou ne réfléchit pas davantage. Il suivit son compagnon. L'idée d'être libre le grisa. Il en oublia un moment la Maison Douce.

— Je ne te quitte pas, dit-il à Vaurien.Le chat de gouttière soupira : — Puisque tu deviens raisonnable, filons!

VAURIEN, CHAT DE GOUTTIERE1 - Cherchez ce qui déplaît à Bijou et ce qui le rassuredans Vaurien. Comment vous expliquez-vous ce nom ?2 - « Vaurien et Bijou, nous voilà bien mal assortis », dit le chat de gouttière. Pourquoi parle-t-il ainsi?3 - Pour quelles raisons Bijou accepte-t-il finalement de suivre Vaurien ?

67

Page 68: Bijou de la maison douce A et R Baruc

21. Léon - la - Chanson

Bijou et Vaurien trottaient à présent côte à côte. Les toits qu'ils parcouraient ne couvraient plus que des remises basses au fond de cours sans soleil. Bijou regardait parfois son compagnon, ses oreilles déchirées, ses cicatrices, ses poils en désordre. « Pourvu que je ne lui ressemble jamais! » pensait-il. Cette longue course finit par l'inquiéter : « Où allons-nous? » demanda-t-il à son compagnon, d'une voix embarrassée par la timidité. Vaurien eut le rire qui glaçait Bijou :

— Je ne te l'ai pas dit? Nous dînons chez Léon-la-Chanson. C'est un pauvre diable comme moi. Il chante sans cesse quoiqu'il n'ait pas un sou. Il m'aime, je l'estime et il reçoit toujours bien les amis que je lui conduis.

D'un dernier toit, Bijou et Vaurien sautèrent sur un monceau de caisses vides. Un dernier bond enfin leur fit toucher le sol. Bijou voulut se laver; il sentait sa fourrure chargée de poussière.

— Tu feras le coquet plus tard, lui dit Vaurien; maintenant, il nous faut traverser la rue.

Bijou ne se rappela jamais comment ils parvinrent à se faufiler entre les voitures. Seul, il eût été cent fois écrasé. Vaurien, au contraire savait courir, s'arrêter au milieu de la chaussée sans trembler quand une roue le frôlait;

68

Page 69: Bijou de la maison douce A et R Baruc

de nouveau se précipiter. Bijou imita tous les gestes de son compagnon. Il haletait quand il atteignit le trottoir. Vaurien continuait à galoper, coupant sa course de brusques arrêts. Il montrait à Bijou un uniforme au loin :

— Vite! les agents sont plus dangereux que les voitures. Avec eux, pas d'autre route que celle de la fourrière.

La fourrière! pour la deuxième fois, Vaurien prononçait ce mot qui semblait si redoutable. Le chat de gouttière vit que son ami n'en comprenait pas le sens. Malgré sa hâte, il s'arrêta et se retourna vers lui :

— La fourrière, dit-il, est un endroit où les agents conduisent les animaux sans maître. Aucune bête n'en revient jamais.

Sa voix disait son épouvante. Bijou frissonna. Mais, déjà, Vaurien avait repris sa course.

Il s'arrêta enfin devant une porte cochère, en franchit le seuil, traversa une cour. Il atteignit une remise dans laquelle une charrette, qui ne servait

plus, dressait ses brancards inutiles vers un reste de plafond. Un peu partout, d'antiques bottes de paille tombaient en poussière. Bijou, les flaira avec plaisir. Comme elles sentaient bon la campagne! A la Maison Douce, le vent apportait parfois de telles odeurs.

69

Page 70: Bijou de la maison douce A et R Baruc

"Dans la remise, Vaurien s'assit un moment •.— Nous voilà chez Léon-la-Chanson. Il demeure au rez-de-chaussée. Tu

habiteras avec moi au premier étage.Du regard, il montrait au-dessus d'eux le plancher délabré.— La charrette est mon ascenseur, poursuivit-il. Un coup de rein le lança

de sa plate-forme à la chambre.Bijou inspectait la remise, à petits pas et à coups de moustache attentifs.

Après le débarras de Mme Pastel, il la prenait pour un paradis. Il eût voulu tout de suite profiter de sa paille et de son silence. Mais Vaurien, de nouveau, s'agitait :

— Léon n'est pas encore revenu; nous le retrouverons plus tard. Allons, pour dîner, au restaurant du terrain vague.

Le chat de gouttière était infatigable! Bijou n'osa pas lui répondre qu'il préférait le sommeil au repas. Aussi, quand l'autre lui demanda : « Viens-tu? » sans hésiter, malgré sa fatigue, il le suivit.

Par bonheur, le terrain vague était proche de la remise. Bijou et Vaurien se glissèrent sous une haute et longue palissade :

— Nous voilà en sûreté, dit alors Vaurien : ni voitures ni agents. Rien que l'espace : de l'herbe pour s'y rouler, des arbres pour y grimper.

Il montrait à Bijou quelques touffes pelées et des troncs où s'étiolaient des feuilles.

— Ici, tout m'appartient, ajouta-t-il, en se donnant avec satisfaction deux ou trois coups de langue. Et quand tu verras le restaurant...

LËON-LA-CHANSON1 - Quels renseignements Vaurien donne-t-il à Bijou sur Léon-la-Chanson?2 - A quels détails voyez-vous que Vaurien connaît tous les dangers de la ville et qu'il sait les éviter?3 - Pourquoi son nouveau gîte plaît-il à Bijou? Où Vaurien conduit-il ensuite son compagnon?

70

Page 71: Bijou de la maison douce A et R Baruc

22. Le restaurant du terrain vague

BIJOU n'écoutait plus Vaurien. Malgré la misérable végétation, l'immensité du terrain vague lui plut. Il détala pour le parcourir à toute allure. En quelques secondes, il le traversa puis, encore plus vite, rejoignit son compagnon.

— Alors, mon petit chat de salon, lui demanda Vaurien, tu l'aimes donc la liberté?

— Oui, répondit Bijou avec un cri sauvage. Déjà l'autre se levait : « A présent, dînons! »

Bijou se demandait où se trouvait le restaurant du terrain vague. Il n'apercevait que des cailloux, de l'herbe et, là-bas, une carcasse de voiture. Pourtant, quand il eut, avec le chat de gouttière, escaladé une légère butte, il découvrit un tas d'ordures :

- La table est servie, tu feras un repas de roi! lui cria Vaurien qui s'élança « Un repas de roi! » disait Vaurien. Hélas, en voyant cette salle à manger Bijou eut un haut-le-cœur. Vaurien, qui fouillait déjà les immondices, se tourna vers son compagnon :

71

Page 72: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Approche, tu t'y habitueras. Moi aussi, la première fois, l'appétit m'a manqué.

Ses pattes écartaient les détritus, ses dents arrachaient des parcelles de viande à des os abandonnés. Vaurien, encore une fois, cria à Bijou de s'avancer : il avait découvert un reste de poisson. Bijou le grignota en fermant les yeux. « Courage, lui dit Vaurien, si tu veux être libre, il faut te nourrir comme un chat libre! »

Tous deux coururent ensuite à travers le terrain vague, s'amusèrent à se poursuivre, luttèrent, explorèrent la vieille voiture.

— Décidément, Bijou, tu me plais, dit le chat de gouttière. Nous sommes bien différents mais, autant que moi, tu aimes le vent des grands espaces. Ses courses avaient grisé Bijou. Il oublia les oreilles déchirées de son compagnon, ses cicatrices, sa fourrure en désordre. Avec élan, il répondit :

— Oui, rien ne nous empêche d'être amis!Le soir venait, un petit bout de lune se voyait déjà.— Cette fois, Léon est rentré, dit Bijou. Allons.Il ne tenait jamais en place. Bijou voulut se laver. Vaurien l'arrêta : « A

quoi bon? Au bout de dix pas, avec cette poussière, il te faudra recommencer. Ma mère disait souvent d'ailleurs qu'un chat sale court aussi vite qu'un chat propre. » Bijou rentra sa langue et suivit Vaurien.

Cette fois, dans la remise, quelqu'un chantait : Léon était de retour. Assis sur la charrette, il salua aussitôt les deux chats :

— Te voilà encore avec un compagnon, dit-il à Vaurien. Il se pencha vers Bijou : « Viens ici, petit gris! »

Sa voix cordiale plut à Bijou qui sauta sur les genoux de l'homme. Il était pourtant peu attirant avec sa balafre sur la joue et ses vêtements déchirés. « II ressemble à Vaurien », pensait Bijou qui se laissait caresser.

— Au moins, tu es sans façon, lui dit Léon.Puis il posa Bijou à terre en criant : « A présent, à table! » Les deux chats

firent un second dîner, attrapant au vol des restes de pâté, de pain et de saucisson : un vrai régal!

Au moment de se coucher, Bijou se trouva si lourd qu'il ne put, comme son ami, sauter de la charrette sur le plancher de l'étage. Alors Léon le prit dans sa main, leva le bras en disant : « Ascenseur pour Monsieur! » Bijou se retrouva près de Vaurien dans la paille qui s'émiettait. Au rez-de-chaussée, pipe entre les dents, Léon fredonnait des airs simples et tristes qui émurent Bijou.

72

Page 73: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Léon est le meilleur des hommes, dit-il à Vaurien. Celui-ci déjà somnolait; il bâilla :

— Avouons qu'il n'est pas un mauvais diable; il a ses bons côtés, mais s'il nous aimait, il ne fumerait pas. Je déteste la fumée de son tabac. Un jour, je lui cacherai sa pipe.

Il s'endormit. La pipe ne gênait pas Bijou. Un instant, il écouta chantonner Léon en pensant que la vie d'un chat libre était une vie merveilleuse. Mme Pastel, Kiki, Koko, les perruches, lui semblaient loin, loin, loin... Oubliait-il aussi la Maison Douce, le malheureux?

LE RESTAURANT DU TERRAIN VAGUE1. Relevez les détails vous montrant que Bijou aime le terrain vague.2. Dites ce que Vaurien appelle son restaurant. Pourquoi Bijou ne le trouve-t-il pas très attirant? 3. Cherchez ce qui rend Léon-la-Chanson sympathique. Quel seul reproche lui adresse Vaurien?

73

Page 74: Bijou de la maison douce A et R Baruc

23. Le ventre vide

PENDANT deux bonnes semaines. Bijou et Vaurien menèrent une vie sans souci : repas et nuits chez Léon, jeux et repas plus légers au restaurant du terrain vague. Puis un soir, Léon-la-Chanson ne reparut pas. Vaurien rassura son compagnon :

— C'est le moment des foins, Léon aura sûrement trouvé du travail loin de la ville. Quand il reviendra, nous ferons ripaille.

Bijou et Vaurien prirent alors tous leurs repas au restaurant du terrain vague. Bijou essuyait à présent d'une langue agile, sans dégoût, le fond de vieilles conserves; de sa patte, il cueillait ça et là des restes de viande. Comme les deux compagnons se trouvaient un matin à table, la clôture de leur domaine s'abattit sur une grande longueur, dans un craquement qui les glaça. Des hommes parurent, suivis d'énormes machines aux vives couleurs. Elles pénétrèrent lentement sur le terrain. Quelqu'un siffla; de gigantesques pelles aussitôt creusèrent des abîmes, recrachant la terre avec des hurlements qui montaient jusqu'au ciel. En une seconde, des arbres disparurent. Bijou n'osait bouger : pour quitter le terrain vague, il fallait passer près des monstres. Vaurien lui-même avait perdu tout courage.

— J'ai vu ailleurs travailler ces mécaniques, dit-il enfin; elles construisent des maisons d'une hauteur vertigineuse... Comme refuge, il ne nous reste que le jardin public. Et je le déteste.

74

Page 75: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Quand les monstres firent la pause, les deux chats s'enfuirent. Dans un arbre qui restait debout, un oiseau chantait.

— Allons chez la mère Caroline, dit alors Vaurien; elle m'a déjà nourri, mais elle est pauvre et ne nous donnera guère.

Dans une impasse, la mère Caroline habitait une maison minuscule : rien que deux pièces et un grenier. La porte en était fermée.

— Sans doute n'est-elle pas encore revenue de l'usine, dit Vaurien. Les deux chats s'installèrent sur le seuil. Près de deux heures passèrent. Le ciel se couvrit. Vaurien s'agita :

— Décidément, nous n'avons guère de chance en ce moment : pas même de mère Caroline!

La vieille ouvrière, pourtant, n'avait pas quitté sa maison : une mauvaise bronchite la tenait au lit.

Pour vivre, Bijou et Vaurien durent alors voler, disputer aux bêtes qui les assaillaient le morceau de viande, la saucisse ou le poisson happés aux étals. Si vous l'aviez rencontré en ce temps-là, vous n'auriez pas reconnu Bijou. Il avait grandi, grimpait sans vertige aux palissades, traversait les rues dans le flot des voitures. Il avait pris l'allure souple et méfiante de Vaurien, savait mordre et sortir ses griffes. Dans les combats, il avait perdu un petit bout de l'oreille droite. Peu lui importait : il ne faisait même plus sa toilette, répétant qu'un « chat sale court aussi vite qu'un chat propre ». En peu de temps, sa fourrure devint une broussaille. Oui, vraiment, du passé, il ne restait à Bijou que ses yeux d'émeraude. Par instants, ils semblaient regarder très loin comme s'ils apercevaient là-bas, là-bas, le toit d'une maison qu'ils avaient beaucoup aimée.

75

Page 76: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Dans le quartier, Vaurien et Bijou furent vite connus, épiés, poursuivis, chassés. Léon ne reparaissait toujours pas; chez la mère Caroline, la porte restait close. Les crampes de la faim, à présent, leur tordaient le ventre.

— Patientons, dit un jour Vaurien, voici le moment où les oisillons tombent sottement des nids. Viens.

En parlant, il entraînait Bijou jusqu'au jardin public. A tout instant, il levait les yeux vers des hêtres qu'emplissaient des pépiements. Bijou s'arrêta :

— Jamais, dit-il à Vaurien, je ne toucherai oiseau ni oisillon; j'aime mieux mourir de faim. Il rappela au chat de gouttière son serment.

— Quand tu as fait cette promesse à ton Oiseau d'Argent, lui répondit Vaurien sans cesser d'épier les nids, tu ignorais tout de la vie. Savais-tu qu'un jour tu crierais famine?... Après tout, agis à ton gré. Laisse-moi seulement te rapporter un proverbe que ma mère tenait des hommes : « II ne faut pas dire : Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. »

II tourna le dos. « Je pars en chasse, adieu. »Bijou le laissa s'éloigner. Il resta seul avec son ventre vide. Il fit un pas

vers Vaurien puis s'assit. Et ses yeux, encore une fois, regardèrent très loin.

LE VENTRE VIDE1 - Qui envahit un jour le terrain vague? A quoi serviront les engins qui effrayent Bijou et Vaurien ?2 - Bijou, maintenant, a beaucoup changé. Pouvez-vous retrouver de quelle façon? Que lui reste-t-il du passé? Quelles sont les raisons de ces changements ?3 - Comment Vaurien espère-t-il se nourrir à présent?Que lui répond alors Bijou?

76

Page 77: Bijou de la maison douce A et R Baruc

24. La tentation

VAURIEN reparut bientôt. Bijou le vit avec horreur : il tenait un oisillon mort entre ses dents. Il le posa devant Bijou : « Compagnon, je ne t'ai pas oublié.»

— J'ai juré... dit seulement Bijou. Vaurien s'emporta :

— Qu'as-tu juré, après tout : de ne pas tuer d'oiseau? Celui que je t'apporte ne vit plus : tu ne manqueras pas à ta parole en le mangeant. Préfères-tu mourir de faim? Je me suis privé pour toi, sot que tu es!

Dans sa colère, il sortait ses griffes. Enfin il s'apaisa et se tut. Depuis longtemps, Bijou avait clos les yeux pour ne pas voir l'oiseau mort. Il eût voulu aussi clore ses oreilles pour ne plus entendre son tentateur, clore ses narines pour ne plus respirer l'odeur du misérable gibier. Il eût voulu aussi ne plus sentir en lui ce grand creux qui le torturait. Le chat gris se trouvait si malheureux qu'il haletait. Vaurien eut pitié de lui :

— Mange, mon ami, ne souffre pas ainsi par ta faute! Les gens de la Maison Douce, l'Oiseau d'Argent, qu'ont-ils fait pour te secourir? Sans moi, tu le sais, tu aurais péri! Ne te soucie plus d'eux puisqu'ils ne se soucient pas de toi!

De telles paroles firent grand mal à Bijou. Oui, Vaurien avait raison : Papa terrible, Maman chérie, l'Oiseau d'Argent l'avaient oublié. S'il n'avait

77

Page 78: Bijou de la maison douce A et R Baruc

pas rencontré Vaurien, il serait tombé des toits ou les voitures l'auraient écrasé.

Pourtant, les yeux toujours fermés, il ne bougeait pas. Vaurien s'impatienta :

— Décide-toi!La douleur de son ventre vide devint soudain plus forte encore. Alors,

Bijou, le Bijou de la Maison Douce, celui que les Enfants pleuraient, celui que cherchait l'Oiseau d'Argent, les dents brusquement retroussées, fit le seul pas qui le séparait de sa proie, sans oser encore ouvrir les yeux.

— Enfin! dit Vaurien.Mais Bijou parut tout à coup de pierre. Même ses moustaches ne

bougeaient plus. Tant pis pour les souffrances venues de son ventre vide! Il avait fait un serment; il devait le tenir même si ceux de la Maison Douce avaient oublié leur petit chat gris. Non, Vaurien se trompait : la faim ne donnait pas tous les droits.

Bijou s'éloigna de l'oiseau mort; il lui semblait que ses pattes étaient de plomb. Vaurien l'entendit répéter d'une voix sans force :

— J'ai juré...

78

Page 79: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Alors, Vaurien de nouveau, s'emporta :— Tu n'as pas même le courage d'être un chat libre!Puis il se jeta sur l'oiseau. Bijou entendit à peine craquer des os frêles.— Fameux! dit simplement Vaurien.Bijou ne répondit pas. Les deux chats regagnèrent la remise.— Tes scrupules te passeront, dit Vaurien à son compagnon, quand ils

furent arrivés.— Je n'ai plus faim, répondit Bijou.C'était vrai. Il était si heureux de n'avoir pas succombé à la tentation qu'il

ne sentait plus ce grand creux dans sa chair.Vaurien le regarda avec surprise :— Tu n'as plus faim, tant mieux car, tu le vois, Léon n'est pas encore de

retour.Sa longue absence, à présent, inquiétait Vaurien. « S'il nous oublie,

comment vivrons-nous et que mangeras-tu? Vois-tu, ajouta-t-il, je lui pardonnerai de nous avoir si longtemps abandonnés si nous faisons ripaille quand il reviendra... » Bijou eut le courage de plaisanter :

— Et s'il ne rapporte pas sa pipe?— Exactement, dit Vaurien.Puis, comme il avait le ventre bien

rempli, il s'endormit aussitôt. Toute la nuit, Bijou eut des cauchemars. Il rêvait qu'il mangeait l'oiseau mort et n'en finissait pas de se laver pour enlever de sa fourrure quelques gouttelettes de sang.

LA TENTATION1 - « Sot que tu es », dit Vaurien à Bijou. Pour quelles raisons lui parle-t-il ainsi? Qui approuvez-vous : Vaurien ou Bijou ?2 - Comment Vaurien essaie-t-il de convaincre Bijou?Pourquoi ne réussit-il pas?

79

Page 80: Bijou de la maison douce A et R Baruc

3 - A quels détails voyez-vous que la tentation est très forte pour Bijou? A-t-il beaucoup de mérite à ne pas lui céder? S'il avait mangé l'oiseau, qu'auriez-vous pensé de lui ?

25. Bijou II

— PUISQUE Bijou ne reviendra plus, je sais comment consoler nos enfants, dit un jour Papa terrible à Maman chérie.

Il s'expliqua assez longuement.— Peut-être, répondit Maman chérie quand il eut terminé. Au moins

pouvons-nous essayer.Tous deux se rendirent chez la boulangère.Quelque temps après, Catherine, sa fille, la petite Catherine aux cheveux

si sombres, sonna à la porte de la Maison Douce. Dans ses bras, elle portait un petit chat gris. Maman chérie l'admira :

— Nous l'aimerons autant que son frère, dit-elle à Catherine.— Et, ajouta la fillette, comme il est plus grand, il ne se perdra pas.

Maman chérie donna des bonbons à Catherine qui repartit en chantonnant. Puis elle attendit les Enfants qui passaient la journée chez leur tante. Elle n'était pas sûre maintenant qu'ils aimeraient leur nouveau chat. Malgré ce que leur avait affirmé la boulangère, il ne ressemblait pas beaucoup à Bijou : ses yeux n'étaient pas deux émeraudes; des rayures se voyaient dans la fourrure grise. Et les

80

Page 81: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Enfants accepteraient-ils que Bijou soit remplacé ? En les attendant, elle installa le chat dans la corbeille où, jadis, avait dormi le disparu.

Dès que les Enfants parurent à la porte du jardin, Maman chérie les appela: « Venez vite! » Ils crurent aussitôt que l'Oiseau d'Argent et Bijou étaient revenus. Quand ils découvrirent, dans la cuisine, leur nouveau pensionnaire, ils l'observèrent en silence.

— Nous l'appellerons Bijou II, dit Papa terrible qui arrivait. Les Enfants ne lui répondirent pas.

— Êtes-vous contents ? leur demanda Maman chérie.— Oui, dirent-ils avec .indifférence. Puis ils quittèrent la pièce. Papa

terrible et Maman chérie se regardèrent en hochant la tête.Les jours suivants, les Enfants ne se soucièrent plus de Bijou II. Ils ne

l'appelaient même pas de son nom. Quand ils parlaient de lui, ils disaient : « le chat. » Certes, la petite bête était bien soignée; sa soucoupe, toujours propre, était bien remplie; un coussin très doux garnissait sa corbeille. Pourtant presque jamais de caresses ni de mots affectueux. Maman chérie était trop occupée, Papa terrible s'absentait du matin au soir. Aussi Bijou II ne savait-il pas même ronronner. Et, pour un chat, ne pas savoir ronronner...

Un après-midi, Bijou II disparut. Maman chérie le chercha, l'appela, interrogea les Enfants quand ils revinrent de l'école. Ils accueillirent la nouvelle

81

Page 82: Bijou de la maison douce A et R Baruc

sans s'émouvoir. A la nuit, Bijou II n'était pas retrouvé. Le lendemain, Catherine se présenta à la Maison Douce : — Je vous rapporte votre petit chat, dit-elle aux Enfants. Il était revenu chez nous.

Les Enfants remirent le chat à Maman chérie. Cette fois, elle leur fit des reproches :

— Si cette bête était heureuse, elle ne nous aurait pas quittés ! Les Enfants baissèrent la tête :

— Ce chat-là ne sait pas jouer avec nous comme Bijou!— Pourquoi jouerait-il avec vous ? leur répondit Maman chérie. On joue

avec ceux qu'on aime. Bijou II ne vous connaît même pas.Ils promirent de ne plus le négliger. Hélas, dès qu'ils l'apercevaient, ils

pensaient à Bijou, au vrai; alors, ils n'avaient pas le cœur de le caresser. Par bonheur, Bijou II, encore une fois, disparut; encore une fois, Catherine le rapporta.

— Ma petite, lui dit alors Maman chérie, ton chat ne s'habitue pas à notre maison, tu le vois. Sans doute s'était-il déjà trop attaché à la vôtre. Veux-tu le garder ? Ailleurs, il serait très malheureux.

Les deux retours de Bijou II à la boulangerie avaient beaucoup ému Catherine. .Elle obéit sans peine à Maman chérie. En route, elle murmura des mots tendres à son fardeau, le caressa. Alors, pour la première fois de sa jeune existence, Bijou II ronronna.

Quand ils apprirent que Catherine gardait Bijou II, les Enfants parurent soulagés.

— Puisque nous ne le remplaçons pas, Bijou, quand il reviendra, verra que nous ne l'avions pas oublié, dirent-ils.

Ils coururent au jardin; les fleurs s'étaient ouvertes dans la haie des lauriers-rosés.

— Comment les Enfants peuvent-ils croire que Bijou reviendra après tant de semaines ? se demandèrent Papa terrible et Maman chérie.

BIJOU II1 - Au début du chapitre, Papa terrible donne de longues explications à Maman chérie. Devinez-vous ce qu'il lui a dit?2 - A quels détails voyez-vous que les Enfants ne s'intéressent pas à Bijou II? Que pensez-vous de leur conduite?3 - Pour qui le chapitre se termine-t-il bien? Quelle question se posent encore Papa terrible et Maman chérie?

82

Page 83: Bijou de la maison douce A et R Baruc

26. L’incendie

Enfin, Léon-la-Chanson revint. Au moment des foins, il s'était engagé, pour plusieurs semaines, dans une ferme lointaine. Léon savait travailler; son patron avait été généreux. Quand il eut donné ces explications à Bijou et à Vaurien, Léon ajouta : « Maintenant, à table! » Comme l'avait prédit le chat de gouttière, les banquets commencèrent. Bijou et Vaurien purent même un jour savourer une part de brochet.

— Voilà de vrais repas de noces, les amis! leur disait Léon de sa voix joyeuse. Régalez-vous, je ne serai pas riche longtemps. Lui et les deux chats ne quittaient guère la remise. Il leur fallait quelques heures pour digérer d'aussi bons plats. Léon faisait la sieste, parfois l'interrompait pour fredonner quelques airs. Les deux chats ronronnaient. Ils se contentaient ensuite de quelques promenades sur les toits du quartier.

Cette vie tranquille ne déplaisait pas à Bijou. D'ailleurs, il aimait Léon et entendait ses chansons avec plaisir. Vaurien ne cessait de grogner contre la pipe:

— Si Léon avait vraiment de l'amitié pour nous, il ne fumerait pas, répétait-il.

Bijou ne protestait qu'avec timidité : l'âge et l'expérience de Vaurien l'impressionnaient toujours.

Un soir, encore une fois, les deux bêtes s'étaient couchées tôt. « Ne laissez pas une miette, leur avait dit Léon au repas. A présent, dans mes poches, je n'ai plus que des courants d'air. » II avait caressé les deux chats : « Vous êtes des

83

Page 84: Bijou de la maison douce A et R Baruc

chats libres, je suis un homme libre; voilà pourquoi nous nous entendons. Mais un jour, Léon repartira. » Puis il avait ajouté brusquement :

— Maintenant, au lit, sitôt finie sa bonne pipe, Léon fera dodo.

Ce fut la souffrance qui, dans la nuit, éveilla Bijou : il suffoquait. Il ouvrit les yeux, se dressa. Une fumée rousse, toujours plus épaisse, emplissait la grange. Vaurien, déjà, était debout :

— Le feu ! cria-t-il à son ami.Dans la paille du sol, Léon dormait encore. Les deux chats sautèrent sur le

corps de l'homme en miaulant comme des fous. Léon s'éveilla, comprit aussitôt :— Le feu, dit-il à son tour, sortons !

84

Page 85: Bijou de la maison douce A et R Baruc

La fumée les étouffait, cachait la porte, cachait la serrure. Enfin Léon poussa le vantail. Une flamme jaillit des gerbes défaites; le feu emplit aussitôt la grange. Léon traversa la courette en appelant. Déjà l'incendie grondait comme un ouragan. Vaurien et Bijou ne voyaient ni Léon ni même la rue.

Les phares d'une voiture les guidèrent. Ils détalèrent, poils quelque peu roussis. Malgré la nuit, des gens accouraient.

Bijou et Vaurien continuaient à fuir. Le canal qui longeait la ville les arrêta.

Sur la berge, ils commencèrent à lécher leur fourrure. Elle gardait l'odeur de la fumée. Ils en eurent le cœur soulevé.

Depuis longtemps, l'avertisseur des pompiers avait retenti au loin.— Nous l'avons échappé belle, dit Bijou. Comment retrouverons-nous

Léon?— Je l'ignore, répondit Vaurien qui semblait de méchante humeur.Il regarda le ciel qui, de l'autre côté de la ville, rougeoyait encore. Peu à

peu, la lueur s'éteignit. Alors Vaurien se tourna vers son compagnon :— Léon ? je pense que nous ne le reverrons jamais !Léon, en effet, avait quitté la ville. En marchant sur les routes que glaçait

l'aube, il se répétait : « Je n'y comprends rien... J'avais bien éteint la pipe; je l'avais posée sur une brique, loin de la paille... Non, je n'y comprends rien. »

Et vraiment, Léon n'était pas responsable du feu. C'était Vaurien qui, pour la cacher, avait, dans la nuit, poussé la pipe loin de Léon. Les cendres chaudes avaient allumé la paille. Longtemps, le feu avait couvé. « Non, je n'y comprends rien », dit Léon une fois de plus. Il pensa à Vaurien, à Bijou, ralentit le pas. « Après tout, je les ai prévenus », murmura-t-il en haussant les épaules. Il reprit sa marche.

La ville avait disparu. Léon recommençait à chanter. Une grande courbe de la route cacha l'homme. Bientôt, dans le silence du matin, seuls s'entendirent les appels des oiseaux.

85

Page 86: Bijou de la maison douce A et R Baruc

27. Chez la mère Caroline

86

Page 87: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Au matin, Vaurien s'étira :— Nous n'avons plus le terrain

vague, ni la remise ni Léon. Retournons chez la mère Caroline; elle nous donnera au moins quelques morceaux, dit-il. Bijou lui rappela qu'ils avaient toujours trouvé sa maison fermée.

— Peut-être sera-t-elle ouverte aujourd’hui! répondit Vaurien.

La mère Caroline était rétablie. Avant d'aller à l'usine, elle balayait le trottoir devant sa minuscule maison. Soudain, elle cessa de mouvoir son instrument :

— Ma parole; voilà Vaurien avec un compagnon !

Le chat de gouttière se frottait à ses jambes; à quelques pas, Bijou attendait :

— Approche, lui dit la mère Caroline; les bêtes sans maîtres ont toujours été bien reçues chez moi !

Bijou obéit et tourna autour de la mère Caroline en ronronnant poliment.

La vieille femme regardait les deux chats :

— Vous voilà bien dodus et bien roussis; que vous est-il donc arrivé? Moi, j'ai été très malade et je croyais, dit-elle en se penchant sur Vaurien, que tu m'avais oubliée, sacripant! Après tout, je ne puis demander à des bêtes d'être meilleures que les hommes.

Elle posa son balai, regarda le ciel :

87

Page 88: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Je suis pressée et il fait bien frais encore. Entrez si le cœur vous en dit. Sans se faire prier, ils franchirent le seuil.

La maison était vraiment petite : une cuisine, une chambre et, au-dessus d'elles, un grenier pour rire. Vaurien, voici longtemps, avait fait le tour du logis. Bijou l'explora : malgré ses dimensions, il lui plut; c'était une vraie demeure. Il se pelotonna dans le gros édredon qui couvrait le lit. Presque tout de suite pourtant la mère Caroline l'appela. Il accourut : dans une assiette ébréchée, elle avait versé un reste de bouillon.

— N'en laissez pas, jusqu'à ce soir, je ne puis rien vous donner d'autre. De ses mains raidies par l'âge, elle les caressa. Puis elle s'habilla : bientôt la sirène de l'usine retentirait. Avant de partir, elle dit encore à ses hôtes :

— Vous resterez ici tant qu'il vous plaira. Seulement, je ne suis pas riche... Il faudra, comme moi, vous contenter de peu!

Elle ferma sur elle la porte de la rue.

Bijou et Vaurien tournèrent un moment dans la maison.— Nous avons un toit, dit Vaurien, mais que mangerons-nous ? Ce

bouillon était si léger que je meurs encore de faim.Il parlait avec colère, Bijou fut surpris de cette mauvaise humeur : la

bonté de la mère Caroline le touchait; déjà il se plaisait auprès d'elle; il sentait encore la caresse de ses doigts ankylosés ; peu lui importait d'être au régime ! Vaurien se décida tout à coup :

— Attends-moi; j'ai trop faim!

88

Page 89: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Du grenier, il sauta sur le poulailler depuis longtemps vide, gagna le jardin puis la rue. Il ne revint que beaucoup plus tard en pestant : sans doute avait-il en vain poursuivi des oiseaux. Bijou essaya de le raisonner. Le lendemain, la mère Caroline servit encore à ses pensionnaires un reste de soupe. Après les avoir, comme la veille, caressés quelques instants, elle partit vers son usine. La colère de Vaurien éclata :

— Cette vieille nous affame !Bijou, cette fois encore, voulut calmer son compagnon :— La mère Caroline nous donne tout ce qu'elle peut nous donner. Vaurien

ne s'apaisait pas :— Tu parles à tort et à travers... Léon non plus n'était pas riche. Pourtant,

tu te souviens de nos repas auprès de lui! Je croyais que la mère Caroline était pauvre : elle me l'a répété assez souvent mais elle me mentait; elle n'est qu'avare et égoïste!

Cette fois Bijou protesta. Pour la première fois depuis longtemps Vaurien eut ce petit rire qui glaçait Bijou :

— Tu manges comme un petit chat de salon : trois miettes t'emplissent l'estomac. Moi, l'amoureux des grands espaces, rien ne me rassasie!

Puis sa colère tomba; il ajouta en bougonnant :— Allons, pardonne-moi, je ne veux pas te blesser. Après tout, si tu

m'aides, nous pouvons aujourd'hui manger à notre faim!

CHEZ LA MÈRE CAROLINE1. Quelles qualités trouvez-vous à la mère Caroline? Relevez les détails qui montrent sa pauvreté. 2. Pourquoi Bijou se plaît-il dans cette nouvelle maison ? 3. Que pense chacun des deux chats de la vieille ouvrière? Auquel donnez-vous raison?

89

Page 90: Bijou de la maison douce A et R Baruc

28. Le placardCes paroles inquiétèrent Bijou; il suivit pourtant Vaurien jusqu'au placard

de la cuisine :— Ouvre la porte, lui dit le chat de gouttière, tu auras une bonne surprise !

Bijou hésita, s'avança enfin. Il ne put ouvrir la porte; peut-être manquait-il d'adresse, peut-être se sentait-il mauvaise conscience : que méditait son ami ? Vaurien alors s'approcha du meuble : un coup de patte; le placard s'ouvrit. « Regarde », dit alors le chat de gouttière.

Sur une assiette se trouvait un morceau de viande. Sa bonne odeur, aussitôt, se répandit dans la cuisine. Les moustaches des deux chats frissonnèrent.

— Nous ne mourrons pas de faim, tu le vois ! dit Vaurien. Il se dressa sur ses pattes pour jeter à terre le reste du rôti.

Bijou se posta devant lui : « Non! » L'autre en retomba sur ses pattes :— Non?— La mère Caroline, reprit Bijou, peine pour gagner sa vie. Je l'aime

bien; nous n'avons pas le droit de lui voler sa nourriture.

90

Page 91: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— La mère Caroline se moque de nous, répondit simplement Vaurien. De nouveau, il se dressa vers le plat.

— Tu ne toucheras pas à cette viande ! Vaurien se montra patient :— Libre à toi de ne pas voler et de ne pas tuer des oiseaux mais, pour

donner des ordres à Vaurien, l'empêcher de prendre son bien où il lui plaît, je te trouve bien jeune, mon ami !

— Tu ne passeras pas ! lui dit Bijou.Il avait sorti ses griffes. L'autre regarda l'une après l'autre les pattes qui le

menaçaient :— Je crois que tu deviens fou ! murmura-t-il.Puis il s'éloigna en disant simplement : « Nous en reparlerons. » Toute la

journée il disparut. Toute la journée aussi, Bijou monta la garde. Quand la mère Caroline, à son retour, vit Bijou en sentinelle devant le placard ouvert, elle crut comprendre :

— Petit brigand, tu lorgnais ma viande... Peut-être as-tu essayé de lui donner un coup de dent. Tu es un bien mauvais acrobate !

91

Page 92: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Elle trancha un maigre morceau qu'elle lui jeta : « Tiens, voilà ta part mais ne vole jamais rien! » Elle coupa d'autres parcelles puis appela Vaurien. Il ne se montra pas. Alors, elle referma le placard sans toucher au reste du rôti puis se dirigea vers sa chambre.

Si elle avait levé les yeux, elle aurait aperçu Vaurien qui, installé sur la dernière marche de l'escalier, guettait.

Bijou avait suivi la mère Caroline. Quand elle se fut couchée, il s'étendit sur la légère carpette que la vieille ouvrière plaçait le long de son lit. Avant de s'endormir, ce soir-là, il pensa à Léon, à Mme Pastel, aux chiens sans yeux. Il se souvint avec effort d'une Maison Douce et d'un Oiseau d'Argent qui était un oiseau d'amour...

Le lendemain, avant l'aube, les cris de la mère Caroline l'éveillèrent; elle s'agitait dans sa cuisine :

— Vilaines bêtes; vous avez volé la viande; vous aurez de mes nouvelles! Ses pauvres mains serrées sur le balai, elle entra dans la chambre, fondit sur Bijou qui s'enfuit :

— La nuit, tu auras sûrement attrapé le rôti malgré tes airs de sainte-nitouche et tes beaux yeux verts ! Et tu en auras régalé ton ami !

La mère Caroline poursuivait Bijou. Il n'évitait pas tous les coups; le logis était si petit ! Puis, sous le lit, elle découvrit Vaurien et lança vers lui le balai :

— Après tout, si tu n'as rien volé, tu as conduit chez moi ce brigand. Vaurien bondit hors de la chambre. La mère Caroline s'essoufflait. Vaurien vit que la fenêtre de la cuisine était entrouverte; il se faufila entre les battants, passa sous le store et s'échappa, imité par Bijou. Tous deux coururent au hasard et finirent par se retrouver encore une fois au bord du canal.

Ils s'arrêtèrent sur le chemin de halage, près d'un peuplier qui tremblait au vent. L'eau, sans hâte, frôlait les berges; tout était calme; à coup sûr, la mère Caroline était loin.

LE PLACARD1 - Pour quelles raisons Bijou refuse-t-il de voler la viande? Comment Vaurien essaie-t-il de justifier ses intentions?2 - La mère Caroline corrige et chasse Bijou ; qu'a-t-elle supposé? Comment s'explique son erreur? Qui est le vrai coupable?3 - Où se retrouvent Vaurien et Bijou après cet événement? Pensez-vous qu'ils pourront encore vivre ensemble? Pourquoi?

92

Page 93: Bijou de la maison douce A et R Baruc

29. SéparationBijou et Vaurien s'étaient assis au pied du peuplier qui tremblait au vent. En

chuchotant, l'eau continuait à glisser le long de la berge. Sur le canal, une péniche passa. Bijou se tourna vers Vaurien qui s'étirait :

— Grâce à toi, nous sommes à la rue. Pendant que je dormais, tu as volé la viande.

Vaurien eut le petit rire qui glaçait toujours Bijou :— Qui est le coupable? Tu as abandonné ton poste!— J'ai honte de toi, répondit simplement Bijou.Il regarda la péniche, à présent très loin. Vaurien, de nouveau, s'étira :— Pourquoi nous quereller mon ami ? Je te l'ai déjà dit : la faim donne tous les

droits.— Elle ne te donnait pas le droit d'ôter sa nourriture à celle qui était notre

bienfaitrice malgré sa pauvreté.Cette fois, Vaurien cessa de s'étirer. Sa voix devint mauvaise :— Depuis que je te connais, j'ai fait pour toi ce que j'ai pu. Je t'ai aidé à trouver

gîte et nourriture. Je t'ai aidé à vivre libre comme tu le voulais. Grâce à moi, sans doute as-tu échappé à la fourrière. Pour tout remerciement, hier, sur moi, tu as levé la griffe !

93

Page 94: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Hélas, Vaurien, à présent, faisait horreur à Bijou :— Je ne te dois rien! Par ta faute, je me méfie des hommes parce que les

hommes se méfient de moi; tu as voulu que je trahisse mon serment. Pour toute liberté, tu ne m'as donné que celle de nuire !

Il se tut. Le vent agitait toujours avec douceur le haut peuplier; l'eau chuchotait toujours le long de la rive.

Vaurien, un long moment, se tut aussi. Des moineaux, étourdiment, se posèrent près de lui. Bijou vit frémir la moustache de son compagnon. Par bonheur, les oiseaux repartirent avec des cris de peur. Vaurien, après les avoir suivis des yeux, s'assit à côté de Bijou :

— Mon pauvre petit chat de salon, nous ne sommes pas faits pour nous entendre. Toi, tu as des scrupules; tu ne rêves que de coussins, de caresses et de belle vaisselle; tu ne veux que retourner à la Maison Douce. Moi, dans mes souvenirs, je n'ai pas de maison douce... J'étais tout petit encore quand j'ai été jeté à la rue; je ne sais par qui ni comment. Pour vivre, j'ai dû me battre.

— Pour vivre, tu pouvais aimer, répondit Bijou que touchait cette confession. Vaurien se dressa avec violence :

— Aimer ? Qui m'a jamais aimé, moi !

94

Page 95: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Bijou, de plus en plus ému, murmura :— Mon ami, j'aurais voulu t'aimer car tu as raison, je te dois la vie.

Laisse-moi t'en remercier.Sa voix s'était mêlée à la chanson du vent, à la chanson de l'eau. Vaurien,

après quelques pas, revint près de Bijou :— Je n'oublierai jamais les mots que tu viens de prononcer. Nous pouvons

nous quitter sans nous haïr. Tu es grand, tu es fort, séparons-nous. Comme je te l'ai dit, nous ne sommes pas faits l'un pour l'autre, voilà tout.

— Je quitterai cette ville, dit Bijou.— Elle est assez vaste pour que nous y vivions tous deux sans nous

rencontrer, dit Vaurien.Il sembla hésiter puis ajouta : « Adieu, mon ami. »Bijou, pour la dernière fois, regarda longuement son compagnon, sa

fourrure sans couleur, ses oreilles déchirées, ses cicatrices.— Adieu, dit-il à son tour, d'une voix bouleversée.Vaurien se leva brusquement, s'éloigna en trottinant, escalada le talus qui

séparait le canal de la route. Pas une fois, il ne se retourna. Bijou ne vit pas sans émotion un petit bout de queue disparaître dans les hautes herbes; le chemin de halage lui parut immense, le silence du canal l'accabla. Il se sentait si seul! Le temps passa; l'ombre du haut peuplier ne fut plus qu'une tache au pied du tronc. Le soleil collait la poussière à la fourrure de Bijou. Il se décida brusquement :

— A présent, lavons-nous !Depuis des semaines, il avait négligé sa toilette. Il commença à se lécher

avec application. Puis il s'arrêta : impossible de nettoyer ces poils! Il se rappela le mot de Vaurien : un chat sale court aussi vite qu'un chat propre. Il rentra sa langue fatiguée par tant d'inutiles efforts et, s'éloignant du canal, partit à l'aventure.

SÉPARATION1 - Quel bien et quel mal le chat de gouttière a-t-il faits à son compagnon depuis qu'il l'a rencontré?2 - Voyez-vous des excuses à la mauvaise conduite de Vaurien ? Lesquelles ? A votre avis, ne mérite-t-il pas surtout d'être plaint? Pour quelles raisons?3 - Êtes-vous satisfaits de voir Bijou et Vaurien se séparer?Pourquoi ?

95

Page 96: Bijou de la maison douce A et R Baruc

30. Le camion d’ours en peluche

Depuis des jours et des jours vole l'Oiseau d'Argent. La grand-route est sans fin. L'Oiseau d'Argent ne pense qu'à Bijou : « Sans moi, que deviendra-t-il ? Trop de dangers menacent les bêtes perdues ! » Alors, avant que l'étoile du berger disparaisse du ciel et jusqu'au moment où elle s'y rallume, l'Oiseau d'Argent vole, vole encore, vole toujours. Où se trouve la ville ? rien que des fermes, des hameaux, des villages; des fermes, des hameaux, des villages... Si Courte, la taupe, s'était trompée? Il poursuit son chemin pourtant, un peu à l'écart des voitures qui se succèdent en grondant. Il ne reviendra pas à la Maison Douce avant d'avoir découvert Bijou. Peut-être le rejoindra-t-il trop tard : Bijou ne le reconnaîtra pas ou ne voudra plus le suivre ! Tantôt le soleil de l'été flambe dans le ciel, tantôt l'immense cuve des nuages l'assombrit. L'orage éclate. Qu'importe! les ailes de lumière battent sans se lasser, portant toujours plus loin l'Oiseau d'Argent.

Un matin, comme il s'apprête à quitter le platane où il a passé la nuit, un camion s'arrête le long de la route. Des lettres d'azur se détachent sur l'or de sa carrosserie : « MAISON PASTEL, fabrique d'ours en peluche. »

96

Page 97: Bijou de la maison douce A et R Baruc

L'Oiseau d'Argent sursaute, vole sans bruit autour du véhicule. Courte avait bien lu! Maintenant, il lui suffira de suivre le camion, d'aller aussi vite que lui. A la fin du voyage, il retrouvera Bijou !

Pour la première fois depuis qu'il a quitté la Maison Douce, le cœur de l'Oiseau d'Argent, toc, toc, toc, toc, bat de joie, non de fatigue. Comme il bat vite !

Le chauffeur, un long moment, se repose dans la cabine. Puis le camion où les lettres merveilleuses brillent sur l'or de la -carrosserie, reprend la route. Il roule ainsi des heures et des heures. Comme les autres jours, l'Oiseau d'Argent voit passer des fermes, des hameaux, des villages. Il les traverse sans se lasser, de toute la force de ses ailes. « Ce soir, pense-t-il, je serai auprès de Bijou ! »

97

Page 98: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Hélas, l'Oiseau d'Argent ignore que le camion ne regagne pas tout de suite l'usine Pastel. Vers le soir, il entre dans les faubourgs d'une grande ville, franchit plusieurs carrefours où s'éteignent et s'allument tour à tour des feux de toutes les couleurs. Ça et là commencent à s'éclairer d'immenses vitrines. Le camion ralentit devant un grand magasin, le contourne, manœuvre et stoppe le long d'un entrepôt. « Où me conduit-il? se demande l'Oiseau d'Argent. Bijou et ceux qui l'ont enlevé ne peuvent habiter ces remises! » II comprend bien vite : des hommes paraissent, les portes du camion s'ouvrent. Une à une en sont sorties des caisses de bois blanc. Toutes portent des étiquettes : « Maison Pastel, ours bruns grande taille... Maison Pastel, ours blancs, petite taille... Maison Pastel, ours, mélange. » II faut quatre employés pour soulever une seule caisse. L'Oiseau d'Argent s'est posé sur la marquise du magasin. « Quand repartirons-nous? » se demande-t-il.

Le camion ne repart pas le soir même. Le chauffeur disparaît; les rues se vident, bientôt, les hauts lampadaires veillent seuls dans la ville. L'Oiseau d'Argent ne dort pas : si le camion partait sans lui ?

Enfin les lampadaires s'éteignent, les étoiles ont disparu du ciel. Ici et là, des bruits s'élèvent. Les rues s'animent et le chauffeur revient. Le moteur du camion tourne. Il démarre; derrière lui, l'Oiseau d'Argent s'envole. Cette fois, l'Oiseau d'Argent en est sûr : puisque la voiture est vide, elle revient à la Maison Pastel !

LE CAMION D'OURS EN PELUCHE1. L'Oiseau d'Argent cherche Bijou depuis longtemps.Quels détails vous le montrent? Que craint l'Oiseau d'Argent s'il retrouve Bijou trop tard ?2. Que transporte le camion? Où conduit-il d'abord l'Oiseau d'Argent?3. Quand le camion repart-il ? Où se dirige-t-il cette fois ?

98

Page 99: Bijou de la maison douce A et R Baruc

31. Nouvelle rencontre

APRÈS le départ de Vaurien, Bijou erre toute la journée. Très vite, il sent dans son ventre ce vide qui l'a déjà fait tant souffrir. Il tente de se faufiler dans une boucherie pour y happer quelques débris tombés de l'étal: Les va-et-vient des clients, du patron, de ses commis l'effraient autant que l'immobilité de la caissière. Sans le chat de gouttière, il n'ose pas voler sa nourriture. Il se hasarde vers le terrain vague. Peut-être les monstres qui le saccageaient ont-ils disparu? Il en est loin encore quand le fracas des machines vibre dans l'air; il fait demi-tour, ne sachant où se diriger.

« Si Léon était revenu? » se demande-t-il tout à coup. Mais point de Léon dans la courette où ne subsistent que des morceaux de poutre et des amas de pierre. Il repart, la faim crispe ses entrailles. Un moment, il pense retourner chez Mme Pastel; là il aurait un toit, là il serait nourri et Mme Marthe était si bonne ! Puis il se rappelle les chiens sans yeux, le débarras où il était enfermé et, surtout, ah, surtout ! le collier qui l'étranglait ! Non, Mme Pastel ne le reverra pas. Alors, comme il ne peut vivre en bohème comme Vaurien, il s'en va vers la petite maison de la vieille Caroline. Peut-être la brave femme a-t-elle compris qu'il n'a jamais rien volé?

99

Page 100: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Avant de la rejoindre, il se met de nouveau à sa toilette. De la langue, de la patte, il peut enfin lustrer ses poils. Quoiqu'il lui manque toujours le petit bout de l'oreille droite, il se juge présentable.

La fourrure en ordre, mais le ventre vide, il atteint la rue sans bruit de la mère Caroline. Il s'assoit devant la porte. Puis, comme la vieille ouvrière ne l'a sans doute pas aperçu, il miaule, de plus en plus fort. La mère Caroline entend Bijou; elle paraît à la fenêtre, le cœur du vagabond bat très fort. Bijou se dresse. Il voit alors le visage de la mère Caroline se durcir; il lui semble même qu'elle le menace du poing. Le crépuscule obscurcit le ciel. Bijou se rappelle que, la nuit, des patrouilles conduisent les bêtes sans maître à la fourrière. Vaurien lui a souvent parlé de ce lieu d'où nul animal ne revient jamais. Aussi, malgré le geste de la mère Caroline, Bijou ne s'éloigne pas. Ceux qui pourchassent ses frères abandonnés croiront qu'il prend le frais au seuil de sa maison. Il s'y pelotonne, cesse de miauler. Mais la peur autant que la faim le tiennent éveillé...

Les hauts lampadaires de la rue s'étaient depuis longtemps allumés quand un homme s'approcha : un ouvrier qui revenait de son usine. Il se pencha vers Bijou, le caressa. Bijou s'étira, ronronna, se frotta aux jambes du passant. Malgré leur rudesse, que ces doigts lui semblaient doux! Puis l'homme s'éloigna; Bijou le suivit. L'inconnu s'arrêta : — Serais-tu perdu ? Tu es bien joli avec ton manteau de poils gris et tes yeux verts... Exactement, poursuivit-il tout bas, le chat que voudrait Mauviette!

Mauviette était sa fille, une enfant toujours malade; son père et sa mère

100

Page 101: Bijou de la maison douce A et R Baruc

satisfaisaient tous ses caprices. L'inconnu n'était pas reparti; il réfléchissait; Bijou, qui ronronnait de plus en plus fort, passait d'une jambe à l'autre.

— Il te manque, reprit le passant, un petit bout d'oreille. Tu n'en es pas moins bien joli... A cette heure, il est bien dangereux pour toi de courir les rues. Si le cœur t'en dit, suis-moi!

Bijou remercia l'homme d'un ronronnement aigu comme un cri et marcha près de son nouveau compagnon. Si Bijou plaisait à l'inconnu, la voix cordiale de cet étranger, son pas jeune, plaisaient beaucoup à Bijou. Aussi, quand l'homme eut murmuré : « Je crois que nous nous entendrons bien! » Bijou pensa-t-il : « Nous serons sûrement bons amis! »

La vieille Caroline qui s'était couchée tôt, se releva dans la nuit. Elle n'avait cessé de penser à Bijou. Elle aussi connaissait la fourrière :

— Même s'il a volé un petit bout de viande, je ne puis le laisser à la porte. Et puis, ajouta-t-elle, je le trouve beaucoup plus soigné qu'auparavant. Elle ouvrit la fenêtre, regarda : plus de chat. Elle s'inquiétait déjà quand, au tournant de la rue, elle le vit s'éloigner avec un passant. L'homme, de temps en temps, se penchait sur le chat pour le caresser.

La mère Caroline, alors, soupira : « Tout est bien, ce petit fripon ne risque plus rien. »

Elle regagna sa chambre et put s'endormir.

NOUVELLE RENCONTRE1 - Quels sont, au début du chapitre, les projets successifs de Bijou ?2 - Qu'espère-t-il de la mère Caroline? Que craint-il quand elle ne lui ouvre pas sa porte? Que fait-il alors ?3 - Qui le recueille? Avez-vous trouvé pour quelles raisons? Pensez-vous que Bijou sera heureux chez cet inconnu, pourquoi ?4 - Retrouvez, à la fin du chapitre, ce qui vous montre le bon cœur de la mère Caroline.

101

Page 102: Bijou de la maison douce A et R Baruc

32. Mauviette

-Dès qu'il eut ouvert la porte de son logement, l'homme prit Bijou dans ses bras :

— Ma chérie, cria-t-il, le voilà !Alors, Bijou vit s'approcher de lui une petite fille de huit ou neuf ans. Elle

portait, dans ses cheveux sombres, un ruban pâle comme ses yeux. Elle s'élança du fauteuil où elle était assise :

— Qu'il est beau !— Exactement comme tu le voulais, ajouta sa mère qui s'était approchée

aussi : gris avec des yeux verts.Mauviette considérait Bijou. Elle trouva son oreille ébréchée bien

amusante et décida qu'il s'appellerait Minou.« Quand me rendra-t-on mon vrai nom? » se dit alors Bijou. Et un instant

il pensa à des enfants qui jouaient autrefois dans un grand jardin.

102

Page 103: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Mauviette était retournée dans son petit fauteuil. Elle avait posé le chat sur ses genoux, s'amusait à ébouriffer les poils : Bijou s'agitait. — Ne bouge pas, lui dit Mauviette... Depuis longtemps, je suis malade, il faut faire ce que je veux.

Les sourcils du père se froncèrent :— Mauviette, ce chat ne sera pas un jouet, mais un compagnon que tu

dois rendre heureux; sinon...Mauviette baissa la tête et caressa Bijou avec précaution. Bijou, par

politesse, ronronna. Mauviette battit des mains.La mère de Mauviette prit grand soin de Bijou. Il eut, pour dormir, une

caisse garnie d'un coussin. Elle fut posée dans le coin le plus agréable de la salle à manger, loin des courants d'air venus de la fenêtre. Ses goûts furent bientôt connus : chacun de ses repas était un régal. D'ailleurs, bien vite, il s'entraîna à manger de tout, comme ses maîtres. Le matin, il partageait même le chocolat de Mauviette.

Bijou aurait mené une vie agréable si Mauviette ne l'avait pas tyrannisé.Elle n'était point une méchante enfant; seule la maladie l'avait rendue

capricieuse. Quand sa mère la grondait, elle pleurait et trépignait; ses joues devenaient brûlantes ; il fallait céder.

S'il prenait envie à Mauviette de jouer avec Bijou, elle l'empoignait même s'il buvait alors son lait, même s'il dormait, enroulé au fond de sa caisse.

103

Page 104: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Quand il ne l'intéressait plus, elle le jetait à terre. Elle n'allait pas à l'école et ne savait comment s'occuper. Parfois, prenant des morceaux d'étoffe, elle fabriquait pour Bijou quelque costume extraordinaire; elle le lui enfilait

de force, il y suffoquait. D'autres fois, elle l'obligeait à parcourir l'appartement sur deux pattes. D'autres fois encore, elle regardait la télévision. Il devait ronronner en voyant des dessins animés auxquels il ne comprenait rien tandis que le bruit du poste l'assourdissait.

— Jouons à la maîtresse, disait de temps en temps Mauviette.C'était les instants que Bijou redoutait surtout. Mauviette l'asseyait sur un

petit banc, lui défendait de bouger, posait une ardoise devant lui, dictait des exercices de grammaire et de calcul. Bijou ne savait ni écrire ni répondre aux questions.

— Vous êtes un paresseux, vous resterez un ignorant ! lui disait alors Mauviette. Elle se mettait vraiment en colère et frappait. Sa mère accourait.

— Ma chérie, sois raisonnable; ne fais pas de ce chat ton souffre-douleur!Quand le père de Mauviette rentrait le soir, il demandait à sa fille :— As-tu été sage ? gentille avec le chat ?— Oui, la petite a été sage et gentille avec le chat ! répondait vivement la

mère. Elle ne voulait pas que son mari, après une longue journée de travail, eût à gronder son enfant.

Un jour même, Mauviette emporta Bijou au théâtre guignol du jardin public. Il fit le voyage dans les bras de la fillette; elle voulut voir plusieurs fois le spectacle. Pendant les séances, Bijou dut rester immobile et se taire.

— Tu es une petite bête merveilleuse, lui dit au retour la mère de Mauviette, tu comprends qu'il faut tout accepter de ma pauvre enfant.

Ces remerciements consolaient un moment Bijou. Oui, Mauviette était une malade, il fallait lui pardonner; ses parents l'avaient recueilli; pour lui, ils étaient la bonté même. Certains jours pourtant, quand Mauviette l'avait chassé sans douceur de ses genoux, l'avait battu, il se disait : « Je demeurerai ici tant que Mauviette ne sera pas guérie... Ensuite... » Ensuite, que pourrait-il faire? Cette Maison Douce à laquelle il avait si souvent pensé, où se trouvait-elle? Existait-elle seulement?

MAUVIETTE1 - Mauviette semble bien accueillir Bijou; certains mots et certains gestes de la fillette peuvent pourtant inquiéter le petit chat; lesquels?2 - « Ce chat ne sera pas un jouet... sinon... », dit le père de Mauviette à sa fille. Complétez sa phrase. Malgré cette menace, montrez que Bijou devient le souffre-douleur de l'enfant.3 - Quand Bijou décide-t-il qu'il partira de sa nouvelle maison? Sait-il ce qu'il fera ensuite?

104

Page 105: Bijou de la maison douce A et R Baruc

33. A l’école

.LE médecin qui avait ausculté Mauviette, se releva. Des yeux, il sourit :— Notre petite malade est guérie aujourd'hui. Nous n'avons plus qu'à

oublier ces mauvais mois... Notre jolie demoiselle peut retourner à l'école. Mauviette fit la moue :

— J'irai à l'école, dit-elle, si mon chat m'accompagne.— L'affaire ne me regarde pas, répondit le visiteur en rangeant ses

lunettes. Si votre maman est d'accord, si la directrice n'y voit pas d'inconvénient, vous pouvez retourner à l'école avec votre chat. Quoique...

Il n'ajouta rien et, malgré sa bonne humeur, partit en bougonnant. Le lendemain matin, après avoir contemplé dans la glace le ruban de ses cheveux, Mauviette s'en fut vers l'école. D’une main, elle portait son cartable, de l'autre, elle serrait Bijou contre elle.

Dans la rue, ses camarades la fêtèrent. On parla de l'institutrice, du docteur, de médicaments et surtout de Bijou. On papota, on jacassa, on s'exclama. Des galopins en profitèrent pour tirer la queue de Bijou. Au seuil de l'école, ils disparurent. Avec son escorte, Mauviette pénétra dans la cour. Mme

105

Page 106: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Mince, l'institutrice qui surveillait la rentrée, accourut. Elle écouta les compagnes de Mauviette, interrogea l'enfant :

— C'est mon chat, répondit-elle à toutes les questions.— Aucune élève n'a le droit d'apporter son chat à l'école, dit Mme Mince.

Mauviette se rebiffa, parla du médecin, de sa mère, s'embrouilla :— Mme la Directrice commande seule ici, reprit Mme Mince avec calme

et décision. Donnez ce chat.Mauviette céda. Elle tendit Bijou qui, effrayé par cet attroupement, se

pressait contre la fillette. Mme Mince prit le chat avec précaution et le confia au concierge. A la fin de la matinée, Mauviette retrouva son chat, l'emporta en courant jusqu'à sa maison. Bijou, affreusement secoué, plantait ses griffes dans le tablier. Puis, Mauviette, en pleurant, rapporta à sa mère que la directrice ne voulait plus voir le chat.

— Tu le retrouveras ici chaque jour, tu seras près de lui pendant les vacances, lui dit sa mère. Sois raisonnable.

Mauviette répondit avec mauvaise humeur :— Si je n'emporte pas mon chat à l'école, je ne veux plus de lui.Sa mère lui reprocha son égoïsme, discuta. Quand il rentra pour déjeuner,

le père de Mauviette gronda sa fille.— J'ai une idée, dit alors Mauviette, toutes mes camarades aiment mon

Minou. Je le leur donnerai, nous l'aurons à tour de rôle.— Tu n'y penses pas, répliquèrent ses parents.

106

Page 107: Bijou de la maison douce A et R Baruc

La discussion reprit le soir. Enfin, Mauviette se coucha. Bijou ne dormit pas de la nuit. Quelle vie serait la sienne s'il changeait à tout instant de maison!

Au matin, Mauviette ne parla plus de Bijou. Mais, après avoir contemplé dans la glace le ruban de ses cheveux, elle se dirigea vers le chat.

— Je donnerai d'abord mon Minou à Nicole, dit-elle.Quand il entendit ces mots, Bijou se précipita sous une armoire. Pas plus

que Mme Pastel autrefois, Mauviette ne sut l'en déloger. L'heure avançait, elle dut partir. Bijou demeurait sous le meuble; la mère de Mauviette lui répétait en vain :

— Sors, petit, sors...Il ne bougeait pas; l'ombre de son refuge le rendait plus triste encore. « Je

me suis souvent mal conduit quand je vivais avec Vaurien, répétait-il. Ici, en aidant Mauviette à guérir, je me suis racheté. Je ne veux pas être le chat de toute une classe. » Car, il le savait, tôt ou tard, les parents de Mauviette céderaient. Il n'avait plus qu'à partir. Vers midi, Bijou guetta la porte pour s'échapper dès que paraîtrait la fillette. Hélas! quand elle entra, elle poussa promptement le battant. Par bonheur, la fenêtre était ouverte.

La fenêtre était ouverte, seulement Mauviette habitait au premier étage. « Je sauterai », pensa Bijou. L'enfant s'approcha de l'armoire, se pencha : « Minou, mon Minou... » II surgit de son abri, à peine Mauviette le vit-elle passer. Il bondit sur le rebord de la fenêtre; elle cria. Le mur passa très vite devant les yeux de Bijou; un moment, il crut qu'il demeurait immobile, suspendu dans l'espace, devant la maison qui montait. Puis ses pattes touchèrent le sol. Il roula deux ou trois fois sur lui-même, avala 4e la poussière, enfin se redressa sans blessure. Tout le monde l'affirme : les chats savent tomber de très haut sans se blesser. D'une des fenêtres venait une voix d'enfant :

— Minou, mon Minou... Reviens.Bijou ne se retourna pas. Mais il se sentit

tout à coup le cœur bien gros.

A L'ÉCOLE1 - Pourquoi le médecin part-il en bougonnant quoiqueMauviette soit guérie?2 - Voyez-vous pour quelles raisons un enfant n'a pasle droit d'emmener à l'école les animaux qu'il aime? Que pensez-vous du caprice de Mauviette ? Comment s'explique-t-il ?3 - Pourquoi Bijou décide-t-il de quitter Mauviette?

107

Page 108: Bijou de la maison douce A et R Baruc

N'a-t-il pas quelques regrets d'abandonner ainsi l'enfant? Quels mots vous le montrent?

34. Une nuit chez Guignol

U NE fois encore, Bijou se retrouvait à la rue. Il s'en fut d'abord au hasard, ne cherchant à revoir ni le terrain vague ni les ruines de la remise. Quand le soir vint, il se chercha un abri, explora des garages, des cours, de simples couloirs même. Chaque fois, quelqu'un l'y surprit. Alors, il se dirigea vers le jardin public. Les patrouilles qui raflaient les bêtes sans maître n'y entraient pas, une fois les grilles fermées.

A peine Bijou les avaient-il franchies que le ciel devint plus sombre encore. Des éclairs commencèrent à le parcourir; le tonnerre gronda. Bientôt le vent, en sifflant, se rua sur le jardin; les arbres plièrent, un déluge fondit du ciel; des torrents parcoururent les allées, des lacs surgirent parmi les pelouses. Bijou allait de taillis en taillis pour échapper à la tornade; près de lui, sèche comme un coup de canon, la foudre éclata. Un grand platane, déchiré, s'abattit en éparpillant ses branches avec des soubresauts. Ce coup affola Bijou; où

108

Page 109: Bijou de la maison douce A et R Baruc

s'abriter? il se rappela le guignol où Mauviette l'avait conduit; peut-être pourrait-il y pénétrer? Il détala parmi les cris de la tempête; le théâtre guignol était proche; par bonheur, il put se glisser sous la porte. L'orage continuait à ravager le jardin.

Dans le guignol, tout était paisible. Sur une étagère, les acteurs de la troupe étaient alignés : Guignol, sa femme, le Commissaire, une ballerine, si belle, si belle, des inconnus, beaucoup d'inconnus. Ils ne bougèrent pas quand Bijou parut. Dans un angle, il découvrit une caisse emplie de vieux papiers. Il s'y installa. Le tonnerre ne s'entendait plus que par instants, le vent ne frappait plus les murs avec la même violence; le bouillonnement des ruisseaux s'affaiblissait déjà. Bijou n'eut même pas le temps de penser à Mauviette : sitôt dans la caisse, il s'endormit.

Après un soupir qui ressemblait à un éternuement, Guignol s'éveilla :« Quelle heure est-il? »Sa voix ensommeillée s'entendit à peine. Quelqu'un lui répondit « Presqueminuit. »Et, en effet, peut-être à l'hôtel de ville, douze coups, qui venaient debien loin, tintèrent. Leur bruit éveilla la jolie danseuse. Elle demandal'heure à son tour :— Minuit, répondit Guignol. Le Commissaire alors se leva :

109

Page 110: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Ne perdons pas de temps, mes amis. Vous le savez, nous avons tous aujourd'hui vingt ans; notre camarade, la merveilleuse ballerine, danse pour nous la valse de l'anniversaire.

Pendant que le Commissaire parlait ainsi, les acteurs avaient quitté l'étagère; ils étaient nombreux : hommes et femmes, civils et militaires, gendarmes et voleurs, une vraie foule. Ils s'assirent en cercle et regardèrent la jeune

— Qu'attendez-vous ? lui demanda Guignol.— La musique, mon ami !Le Commissaire fit un geste; un air de valse, d'une grande douceur,

s'entendit soudain; un peu de clarté se répandit en même temps. La danseuse s'élança.

Était-ce un oiseau, une chanson, une fleur qui volait, portée par les vagues des violons? Bijou, qui s'était réveillé, se le demandait. Tantôt, les pas de la jeune fille se précipitaient et tantôt leur tourbillon se ralentissait. Parfois, elle se dressait avec la fierté d'une reine; parfois la fine silhouette se ployait vers le sol. D'autres fois, au cœur de sa ronde, elle semblait un instant flotter dans l'espace puis touchait de nouveau le sol, prisonnière de la chanson qui l'emportait. Enfin, elle salua :

— Bravo ! cria Guignol.D'autres applaudissements crépitèrent. Soudain, la musique cessa, la

lumière mourut, la robe aux reflets de nacre devint invisible, Bijou entendit encore dire tout bas : « Bravo, bravo... » Dans un coin, quelqu'un soupira; un dernier murmure s'éteignit vite. La lointaine horloge fit entendre le quart. Autour de Bijou, revinrent le silence, la nuit et lui-même se rendormit.

Il s'éveilla assez tard; pendant un long moment, il se souvint de la nuit merveilleuse; il crut voir encore danser la ballerine. Pourtant, elle demeurait sur l'étagère, sans bouger, entre Guignol et le Commissaire. Bijou quitta le théâtre guignol. Le soleil de l'été séchait la pluie de la nuit. Un peu d'eau demeurait sur les pelouses, le sable des allées collait aux pattes et là-bas, le grand platane abattu par la foudre barrait la route. Bijou franchit ses branches et partit à travers le jardin.

110

Page 111: Bijou de la maison douce A et R Baruc

UNE NUIT CHEZ GUIGNOL1 - L'orage que fuit Bijou est des plus violents. A quels détails le constatez-vous? Pourquoi Bijou a-t-il regagné le jardin public?2 - Où se réfugie-t-il ? Que fait-il d'abord ? Que se passe-t-il ensuite?3 - Quelles traces a laissées l'orage dans le jardin public?

35. La dernière tentative de Mme Pastel

APRÈS l'évasion de Bijou, Mme Pastel, durant plusieurs jours, n'avait pas décoléré. Son mari et Mme Marthe ne pouvaient la calmer : il avait fallu remplacer les tentures du salon; la dépense avait été considérable.

— Ce chenapan m'a ruinée, répétait-elle, si je le retrouve, il aura de mes nouvelles !

Puis avec le temps, elle s'apaisa. « Après tout, se dit-elle, il était bien petit. S'il a commis quelque sottise, était-ce sa faute? Je le tenais enfermé; Kiki et Koko l'effrayaient. » Alors, elle se demanda ce qu'était devenu le fuyard. A tout moment, elle le voyait rouler sous les voitures dans une rue de la ville; c'était affreux. Aussi annonça-t-elle un jour à son mari et à Mme Marthe qu'elle fouillerait la cité quartier par quartier pour retrouver son protégé.

Elle tint parole, poussa jusqu'au canal, jusqu'au terrain vague. Elle interrogea des passants, des concierges. Nulle trace de Bijou. Dès qu'elle revenait chez elle, elle s'effondrait dans un fauteuil. M. Pastel lui conseilla de faire chercher le chat par un détective.

— Sans cœur ! lui cria-t-elle.Peu de temps après, Mme Pastel se promenait

dans le jardin public après

111

Page 112: Bijou de la maison douce A et R Baruc

le petit déjeuner ou plutôt y promenait Kiki et Koko. C'était l'instant où Bijou, après avoir quitté le théâtre Guignol, traversait les allées qu'avait ravinées l'orage de la nuit. Soudain il aperçut, contournant la grande pelouse du jardin, Mme Pastel et l'attelage de ses chiens. Aussitôt, il se rappela les cris des deux horreurs, le placard où il était enfermé, le collier, le collier surtout. Il fit demi-tour.

De leur côté, Kiki et Koko avaient perçu une odeur détestée. Ils bondirent, échappant à leur maîtresse. Quel galop ! Le chat, les chiens traversaient en trombe les parterres et les massifs en s'éclaboussant dans les flaques. — S'ils m'attrapent, ils me dévorent, pensait Bijou. Les deux horreurs, à présent, le talonnaient. Alors, au passage, Bijou happa un hêtre de ses griffes, tendit ses reins, grimpa, grimpa, gagna une branche, une autre encore, passant d'un arbre à l'autre.

Au sol, Kiki et Koko s'étaient arrêtés. Les taillis leur coupaient la route. Le nez dressé vers la cime des arbres, ils aboyaient avec fureur. Leur vacarme attira le gardien qui empoigna la laisse, déchiffra les colliers. Déjà Mme Pastel accourait. Le garde, d'un geste sévère, montra les fleurs que Kiki et Koko avaient fauchées dans leur course. La discussion fut longue, violente par instants. Le garde s'impatientait. Il ne comprenait rien aux explications que Mme Pastel, à bout de souffle, lui livrait, morceau par morceau. Enfin, elle accepta de payer une forte amende.

112

Page 113: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Quand elle revint chez elle, sa colère se tourna contre les deux chiens. Ils reçurent le fouet :

— Voilà, leur dit-elle, qui vous apprendra à vous conduire en sauvages ! Si vous aviez aperçu notre chat, il fallait m'appeler. A présent, par votre faute, je ne le reverrai plus.

Les coups firent hurler Kiki et Koko; les perruches entendirent ces cris avec plaisir.

— De quel chat s'agit-il ? demanda la Perruche bleue à la Perruche verte.— Tu n'as donc rien compris, répondit l'autre. Ils ont vu le chat qui a vécu

quelque temps ici et voulaient le manger. C'était une brave petite bête.— Peut-être, répondit la verte, peut-être; avec les chats, on ne sait jamais.Quand Mme Pastel et son équipage eurent enfin disparu, Bijou

redescendit de son arbre et s'éloigna du jardin. Pour tout repas, il dut se contenter d'une souris morte. Le soir, il était si fourbu qu'il n'eut pas la force de regagner le jardin public. Il se réfugia dans les ruines d'une maison abandonnée, à l'autre bout de la ville.

113

Page 114: Bijou de la maison douce A et R Baruc

LA DERNIÈRE TENTATIVE DE Mme PASTEL1 - Quelles excuses Mme Pastel trouve-t-elle finalement aux mauvaises actions de Bijou? Quelle décision prend-elle? Pourquoi?2 - Que fait Bijou sitôt qu'il l'aperçoit dans le jardin?Quelles raisons l'y poussent?3 - Comment s'explique la correction reçue par Kiki et Koko? Que pensez-vous de cette punition?4 - Quel abri et quelle nourriture trouve finalementBijou ?

114

Page 115: Bijou de la maison douce A et R Baruc

36. Les craintes de l’Oiseau d’Argent

« J 'arriverai trop tard, s'il vit encore, Bijou ne me reconnaîtra pas. Jamais je n'aurai le courage de retourner seul à la Maison Douce. » Ainsi se parlait l'Oiseau d'Argent. Le camion, où des lettres d'azur se détachaient sur l'or de la carrosserie, l'avait enfin conduit jusqu'à la fabrique d'ours en peluche. Perché sur un toit proche, l'Oiseau d'Argent attendait que M. Pastel sorte de son bureau pour le suivre jusqu'à sa maison.

Enfin M. Pastel quitta l'usine. Il allait à pied, l'Oiseau d'Argent l'escorta sans peine. M. Pastel s'arrêta devant un bel immeuble, en poussa la porte de glace. Par la baie de l'escalier, l'Oiseau d'Argent vit l'ascenseur s'arrêter au troisième. D'un coup d'aile, l'Oiseau d'Argent s'éleva jusqu'aux fenêtres de l'appartement; son cœur battait : là vivait celui qu'il recherchait! Pauvre voyageur : comment pouvait-il deviner que, depuis plusieurs semaines maintenant, Bijou s'en était échappé?

Les croisées demeuraient fermées. Dans son impatience, l'Oiseau d'Argent volait de l'une à l'autre. Mme Pastel surprit ce manège; elle appela son mari :

— Quelle bête merveilleuse, que nous veut-elle ? M. Pastel regarda distraitement par la fenêtre :

115

Page 116: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— J'ai l'impression, répondit-il, de l'avoir déjà vue quelque part.Durant le reste de la journée, l'Oiseau d'Argent tenta d'apercevoir Bijou à

travers les vitres que voilaient de légers rideaux. La nuit vint. Blotti sous le toit de l'immeuble, l'Oiseau d'Argent ne dormit guère. Une seule fois, le sommeil, quelques secondes, l'emporta. Il rêva alors que Bijou était enfermé dans une grande cage. Il ne pouvait lui en ouvrir la porte. Puis la prison s'envolait, elle restait un moment suspendue sur un abîme. Bientôt, elle tombait, tombait, tombait, toujours plus vite. L'Oiseau d'Argent s'y cramponnait sans pouvoir l'arrêter. Le cauchemar l'éveilla.

Enfin les fenêtres du troisième s'ouvrirent. L'Oiseau d'Argent s'en approcha. Kiki et Koko l'aperçurent aussitôt. Depuis leur correction, ils restaient de mauvaise humeur. Ils montrèrent leurs crocs en grondant. L'Oiseau d'Argent, qui ne les avait pas encore vus, découvrit les deux chiens. Qu'ils étaient laids, qu'ils paraissaient féroces! Il les apostropha pourtant :

- S'il vous plaît, leur demanda-t-il, un petit chat gris vivrait-il ici ? Sans cesser de gronder, Kiki et Koko répondirent : — A présent, le voilà au diable; qu'il y reste!

Malgré les prières de l'Oiseau d'Argent, ils ne voulurent pas s'expliquer davantage. Des deux bêtes, il n'obtint bientôt plus que des cris.

— Que veulent dire ces furies; qu'est devenu Bijou? se demanda l'Oiseau d'Argent. Il se souvint de son rêve avec terreur.

116

Page 117: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Par bonheur, dans une pièce voisine, il entendit jacasser les perruches, vola vers elles, les interrogea sur Bijou. Les deux bêtes se concertèrent puis la verte répondit :

— Nous ne parlons pas à des inconnus. Plus curieuse, la bleue ajouta :— Pourquoi nous questionnez-vous ?En quelques mots, l'Oiseau d'Argent conta son aventure. Alors, les

perruches se décidèrent :— Soit, dirent-elles, nous vous répondrons car ce chat a été très bon pour

nous. Mais il s'est enfui d'ici. Vous le trouverez au jardin public.— En êtes-vous assurées ? demanda l'Oiseau d'Argent dont les ailes

frémissaient.A leur tour, les deux perruches lui rapportèrent quelle correction avaient

reçue Kiki et Koko pour avoir dévasté les pelouses en poursuivant le chat gris.— Mes sœurs, répondit l'Oiseau d'Argent, je vous remercie.Elles chuchotèrent quelques amabilités tandis que l'Oiseau d'Argent, déjà,

volait vers le jardin, aisé à découvrir sous la couronne de ses arbres.— Dans un instant, je suis près de Bijou, se répétait-il.Il en oubliait son cauchemar. S'il avait su que Bijou se trouvait en danger

de mort!

LES CRAINTES DE L'OISEAU D'ARGENT1. Quand il découvre enfin la maison de Mme Pastel, qu'ignoré encore l'Oiseau d'Argent? Qui le renseignera ; pour quelles raisons ?2. Que pense-t-il de Kiki et de Koko? Se trompe-t-il? 3. Pourquoi peut-on appeler un cauchemar le rêve de l'Oiseau d'Argent?

117

Page 118: Bijou de la maison douce A et R Baruc

37. Le crime

Dans la journée, Bijou courait le quartier pour trouver sa nourriture, raflant ici et là quelques débris. Souvent hélas, d'autres vagabonds, chiens ou chats, surgissaient. Ils saisissaient d'une dent avide le minable morceau dont il comptait se régaler. Il abandonnait aussitôt la lutte. Aussi regagnait-il souvent sans avoir mangé les ruines où il s'était réfugié. Peu à peu, les douleurs qui tordaient son ventre presque toujours vide ne cessèrent plus. Maintenant, il somnolait des heures entières dans son trou, rêvant parfois à de bons repas, parfois à des ailes qui, dans un grand jardin, semblaient battre la lumière...

Un matin, il se secoua : « Je mourrai de faim si je ne quitte plus cette tanière ! » se dit-il. A tout hasard, il se dirigea vers le jardin public. Quelque promeneur aurait pitié de lui peut-être? Si Mme Pastel y venait sans Kiki et Koko, il la suivrait ! Il s'installa au pied d'un arbre, le long d'une allée, derrière une haute bordure de buis. Des enfants couraient dans les chemins, de vieilles gens bavardaient sur les bancs. C'était une belle journée d'été. Bijou s'endormit. Plusieurs fois, sans le découvrir, l'Oiseau d'Argent passa au-dessus de lui.

118

Page 119: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Quand l'ombre des arbres s'allongea sur les pelouses, le chant des oiseaux éveilla Bijou. Il s'en trouvait partout : sur les branches, dans les allées, dans le gazon qu'ils parcouraient en sautillant. Un gros merle allait d'un groupe à l'autre. Chants, pépiements et roulades se confondaient. Bijou se souvint du jour où Vaurien avait posé devant lui un oiseau mort. Pourquoi l'avait-il refusé ? Oui, la faim donnait tous les droits, oui, ceux de la Maison Douce l'avaient oublié... Sans doute même n'avait-il jamais existé de Maison Douce. Papa terrible, Maman chérie, les Enfants, l'Oiseau d'Argent et ses ailes merveilleuses n'étaient qu'un rêve... Jamais, il n'avait fait de serment! Les oiseaux commençaient à regagner leur nid. Sur le ciel vert de la pelouse, le merle restait seul. Bijou ne regardait plus que lui, il le détaillait, découvrant, presque cachée par les autres, une curieuse plume blanche sous la gorge. Parfois le merle chantait : des notes merveilleuses emplissaient le jardin.

— Tant pis pour lui, pensa Bijou, je souffre trop.Il se ramassa le long des buis. Le coup n'était pas facile, l'oiseau épiait.

Enfin, il se rapprocha de Bijou. Le chat bondit; un coup d'aile; le merle disparut!Bijou reprit sa faction, tremblant cette fois de colère autant que de faim. Il

attendit longtemps le retour du merle. L'oiseau revint; au bout d'un temps très long, comme la première fois, il quitta le milieu de la pelouse. Bijou le laissa avancer, se rapprocher encore. Sa moustache frémissait comme avait frémi, jadis, celle de Vaurien. Le merle était très près maintenant, si insouciant qu'il continuait à chanter.

— Cette fois, je le tiens ! se dit Bijou.Ce fut affreux : il l'eut en effet. La mélodie cessa tout d'un coup ; il était

tard déjà; nul promeneur n'aperçut un chat qui fuyait, un paquet de plumes aux dents.

119

Page 120: Bijou de la maison douce A et R Baruc

A l'autre bout du jardin, Bijou s'arrêta enfin, s'installa dans un fourré, posa la pauvre chose qu'il avait emportée. Alors, quand il vit devant lui, sans mouvement, l'oiseau qui, une minute plus tôt, lançait de si merveilleux refrains sur le ciel vert de la pelouse, Bijou murmura : « Qu'ai-je fait ? qu'ai-je fait ? » Lentement il se releva, donna pour dernier abri au merle un massif d'hortensias puis s'éloigna. Sitôt qu'il fut sorti du jardin, il s'allongea au pied du mur bas qui le bordait. Il fermait les yeux pour ne plus rien voir, pour ne plus se voir lui-même. Soudain, sans bruit, comme la première fois, parut Vaurien, chat de gouttière.

Il était gros et gras, de fort bonne humeur : « Voilà ce cher ami », dit-il. Bijou, sans ouvrir les yeux, avait reconnu son ancien ami.

— Va-t'en, lui dit-il, par ta faute j'ai commis un crime. Il en commença le récit que Vaurien interrompit :

— Mon pauvre vieux, tu divagues... Je ne te donnerai qu'un conseil : ne reste pas ainsi au bord de la route.

Bijou devina la pensée de Vaurien :— Je sais ce qui m'attend : la fourrière. Je ne mérite rien d'autre. De

surprise, Vaurien se dressa :— Décidément, l'autre jour, je ne m'étais pas trompé : je crois que tu

deviens fou!— Je suis seulement désespéré, dit Bijou.Au loin, s'entendit un coup de sifflet. Vaurien, avec vivacité, regarda la rue :— Ils viennent tôt, ce soir ! reprit-il.Et il s'éclipsa sans entendre Bijou murmurer : « Tant mieux! » Quelques

secondes après, Vaurien se retourna : Bijou n'avait pas bougé.— Pauvre diable, dit-il, il est perdu !

Le crime1. Dans quelle intention Bijou retourne-t-il au jardin public? Montrez que ses espoirs sont déçus. 2. Quel crime commet Bijou? Trouvez-vous une excuse au chat gris? Laquelle?3. Comment Bijou accepte-t-il d'en être puni? Que pense finalement Vaurien de son ancien compagnon ?

120

Page 121: Bijou de la maison douce A et R Baruc

38. Sauvé Bijou restait étendu au bord de la rue, le long du mur de pierres claires.

Depuis longtemps Vaurien avait disparu. Dans le jardin, les oiseaux chantaient encore. Bijou essayait de ne pas les entendre. Des coups de sifflet s'élevaient ça et là; Bijou essayait aussi de ne pas les entendre. Des bêtes qui fuyaient le frôlèrent, il ne bougea pas. Il se dit simplement :

— Pourvu qu'ils viennent vite !Soudain, malgré ses paupières fermées, il vit palpiter une lumière; il

ouvrit les yeux : l'Oiseau d'Argent se tenait près de lui et ses ailes battaient encore :

— Bijou, te voilà, toi que j'ai tant cherché! Que tu semblés malheureux! Viens vite, trop d'ombres s'approchent !

Bijou, sans bouger, répondit avec douceur :— Elle existe donc, la Maison Douce qui s'ouvrait comme une grande

fleur au fond d'un grand jardin! Ils existent aussi, Papa terrible, Maman chérie et les Enfants. Et toi, mon Oiseau d'Argent, mon Oiseau d'amour, tu n'étais pas un songe!

L'Oiseau d'Argent vint tout près de Bijou :— Non, tu n'avais pas rêvé, viens, nous t'attendons tous pour t'aimer

encore. Partons vite, je t'en prie.Bijou ne se leva pas :—- Tu diras adieu à Papa terrible, à Maman chérie, aux Enfants, même au

petit loir bien emmitouflé. Je ne mérite plus d'être aimé.

121

Page 122: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Quelles que soient tes fautes, nous te les pardonnerons, dit l'Oiseau d'Argent.

Il entendit à peine la réponse de Bijou :

— Il est des pardons que je ne pourrai jamais obtenir. J'ai trahi mon serment.

Il conta son crime. L'Oiseau d'Argent en écouta le récit avec épouvante.

— A présent, dit Bijou, quitte-moi, laisse venir les rondes, oublie-moi, tu ne peux plus rien pour moi. L'Oiseau d'Argent ne s'éloigna pas :

— Le merle se trouve au bord de la grande pelouse, sous les hortensias? demanda-t-il brusquement.

— Oui, répondit Bijou dans un souffle.

— Tout n'est peut-être pas perdu, murmura l'Oiseau d'Argent. Il s'envola vers la pelouse. En route, il eut le temps de penser à son affreux rêve. Bijou, de nouveau, avait fermé les yeux. Un coup de sifflet, des pas tout proches, ne le firent pas même tressaillir.

— Un autre client, dit une voix d'homme.

De sa poche, il sortit une ficelle nouée en lasso.

— Un client pas farouche, collègue, dit une autre voix.

Les deux hommes s'étaient approchés. Une main s'avança. Soudain, devant les deux hommes, un oiseau parut; ses ailes de lumière battirent avec force :

— Bijou, Bijou, sauve-toi vite! Le merle est vivant.Alors, au moment où la terrible main lançait la ficelle, Bijou se détendit,

franchit le mur, se glissa sous la haie, disparut.— Celui-là cachait bien son jeu, dit l'homme en regardant sa ficelle inutile.

Puis, avec son compagnon, il partit en grommelant que ce jardin devenait le « repaire des bêtes perdues ».

122

Page 123: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Viens vite, viens vite! répétait l'Oiseau d'Argent.Il continuait à voler devant Bijou. Soudain, il s'arrêta; Bijou regarda. Sur

le ciel vert de la pelouse, le merle avait retrouvé voix et vie. C'était bien lui, avec ses roulades et sa plume blanche sous la gorge. Bijou ne bougeait plus : était-ce possible?

— Tu ne sais pas faire le mal, lui dit l'Oiseau d'Argent. Tu avais seulement étourdi cette pauvre bête. La fraîcheur du soir l'a ranimée, je l'ai rassurée et conduite hors de son buisson.

Bijou se tourna vers l'Oiseau d'Argent :— Plus jamais... murmura-t-il sans pouvoir rien ajouter.L'Oiseau d'Argent, pour passer la nuit, découvrit dans le jardin public un

haut tilleul qui ressemblait à celui de la Maison Douce. Bijou l'escalada; tous deux s'y installèrent. L'Oiseau d'Argent conta son voyage, depuis le moment où l'Épervier le guettait jusqu'au jour où il avait interrogé les perruches de Mme Pastel. Bijou fit le récit de toutes ses aventures et dit en terminant :

— La déchirure de mon oreille me rappellera toujours mes erreurs et mes fautes.

— Nous t'aimerons tant que cette blessure disparaîtra, répondit l'Oiseau d'Argent.

Tous deux s'endormirent; les étoiles brillaient au ciel; comme des pierres précieuses, les lumières de lointains faubourgs jetaient leurs feux dans la nuit.

SAUVÉ!1. Pourquoi Bijou ne veut-il pas d'abord suivre l'Oiseau d'Argent? Quelle dernière joie connaît-il? Qu'espéré pourtant l'Oiseau d'Argent ? 2. Quelle merveilleuse nouvelle apporte-t-il bientôt à Bijou? 3. « Plus jamais... » murmure Bijou. Achevez sa phrase. Bijou est sauvé au dernier moment. Quels détails vous le montrent?

123

Page 124: Bijou de la maison douce A et R Baruc

39. La trop longue route

Le lendemain, quand le soleil fit luire la rosée sur le gazon du jardin public, Bijou et l'Oiseau d'Argent se trouvaient déjà loin de la ville. Le ciel de l'été à présent s'échauffait; des grillons chantaient dans l'herbe haute.

— La route sera longue, avait dit l'Oiseau d'Argent, des dizaines et des dizaines de lieues.

— Pour revoir la Maison Douce, avait répondu Bijou, j'irais au bout du monde.

L'Oiseau d'Argent volait devant lui, à petits coups d'aile. Parfois il se retournait, regardait son compagnon. Bijou avait bien grandi depuis son départ mais il gardait sa belle fourrure et ses yeux d'émeraude. S'il ne lui avait pas manqué un petit bout de l'oreille, il eût été peu différent du chaton qui avait habité la Maison Douce. L'Oiseau d'Argent, souvent, lui demandait :

— N'es-tu pas las, mon ami?— Il me semble que je ne pèse rien.Alors l'Oiseau d'Argent poursuivait son vol. Bijou le suivait en trottinant.Ils allèrent ainsi plusieurs jours, évitant la grand-route, évitant les

villages:

124

Page 125: Bijou de la maison douce A et R Baruc

autant que les voitures, ils craignaient les hommes et les bêtes. Ils ne trouvaient à se nourrir qu'à grand-peine; l'Oiseau d'Argent devait se contenter de peu; Bijou s'affaiblissait.

Un matin, il ne put repartir, la fièvre brûlait son corps qui parut cent fois plus lourd. L'Oiseau d'Argent s'inquiéta :

— Ne crains rien, lui dit Bijou, laisse-moi seulement me reposer une seule journée.

Il s'enfonça dans les fougères qui, à perte de vue, bordaient la route. La nuit fut mauvaise; le lendemain, Bijou ne parla pas de repartir.

— J'ai si froid, murmurait-il.Le mal, à présent, dans ses veines répandait sa glace. Bientôt, il délira; ses

souvenirs se bousculaient : Kiki et Koko poursuivaient Léon-la-Chanson; le feu embrasait la petite maison de la mère Caroline; Vaurien se jetait sur lui pour le dévorer. L'Oiseau d'Argent s'efforçait de calmer son compagnon et comprenait comme il avait souffert.

— J'ai encore plus froid, dit Bijou, quand le soir cacha les fougères. Alors, l'Oiseau d'Argent étendit sur Bijou des ailes qui n'avaient jamais été si douces, si tièdes. Bijou poussa un soupir :

— Je suis si bien... Merci.Il dormit ainsi deux jours et deux nuits. Enfin, un matin, il s'étira :— Je suis guéri, nous pourrons repartir. Une fois encore, je te dois la vie.— Tu ne me dois rien, répondit l'Oiseau d'Argent, puisque je suis un oiseau

d'amour.

125

Page 126: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Tous deux abandonnèrent les fougères qui tremblaient à la brise du matin et reprirent la route.

Bijou se fatiguait vite à présent, les étapes restaient courtes. Qu'elle était loin, la Maison Douce ! Sans le dire à son ami, l'Oiseau d'Argent s'inquiétait : le temps passait, bientôt Papa terrible, Maman chérie et les Enfants partiraient en vacances. Quand ils atteindraient la Maison Douce, la porte serait close et les volets fermés. Bijou, à coup sûr, en mourrait de chagrin. Hélas, Bijou, chaque jour ne pouvait aller ni plus vite ni plus loin. Avant de s'endormir, l'Oiseau d'Argent, une dernière fois, regardait l'horizon où se mêlaient toutes les couleurs du couchant. Mais au bout des moissons, au bout des prairies, derrière les bois, il ne voyait pas se dresser le toit de la Maison Douce. Alors, tandis que son ami se reposait déjà, l'Oiseau d'Argent se rappelait le cauchemar où Bijou tombait dans un gouffre sans fond.

LA TROP LONGUE ROUTE1. Comment s'explique la maladie de Bijou ? Quels souvenirs mêle-t-il alors?2. Qui guérit Bijou? Comment? Pourquoi l'Oiseau d'Argent ne veut-il pas être remercié?3. Que craint l'Oiseau d'Argent pendant la fin du voyage ?

126

Page 127: Bijou de la maison douce A et R Baruc

40. Les retrouvailles

.L'Oiseau d'Argent ne se trompait pas : les vacances approchaient. Déjà Maman chérie, aidée de Papa terrible, préparait les valises. Pendant ce temps, les Enfants choisissaient des livres et des jeux à emporter. A midi, le déjeuner fut servi tard :

— Les Enfants, êtes-vous contents de partir ? demandèrent Papa terrible et Maman chérie.

Ils poussèrent un cri joyeux qui ne dura guère : comment se réjouir des vacances quand ils avaient perdu Bijou ?

— Pensez-vous encore à votre chat ? leur dit Maman chérie. Papa terrible secoua la tête :

— Soyez raisonnables : peut-il revenir après avoir si longtemps disparu ? Ils ne répondirent pas. Leur père avait raison : Bijou était perdu pour toujours, comme l'Oiseau d'Argent qui nichait autrefois à la cime du haut tilleul.

L'après-midi, Papa terrible examina une dernière fois la voiture. Il la conduisit à l'ombre, le long des lauriers-rosés. Maman chérie et les Enfants admirèrent la carrosserie sans tache, la transparence des vitres, écoutèrent le moteur qui tournait presque sans bruit. Près de la voiture, la brise agitait les fleurs de la haie. Tout à coup, une vraie flèche traversa les allées, courut jusqu'aux Enfants :

127

Page 128: Bijou de la maison douce A et R Baruc

« Bijou ! s'écrièrent-ils...Déjà M était contre eux,

ronronnait;tous les bras se refermaient

sur lui; il passait d'une poitrine à une autre poitrine, ronronnant plus fort chaque fois.

— Qu'il a grandi! s'exclamait l'un des Enfants.

— Qu'il a maigri! s'exclamait un autre.

Et tous répétaient : « Mon Bijou, tu es revenu ! »

Papa terrible et Maman chérie en avaient perdu la parole; ils ne pouvaient plus que sourire. Oui, les Enfants ne se trompaient pas : c'était bien Bijou avec ses yeux d'émeraude, sa fourrure grise, toujours nette et soyeuse. « Demain, il ne nous trouvait pas, murmura seulement Papa terrible. Pendant les vacances, qu'en ferons-nous ? » Nul ne l'entendit. Une clarté parut descendre du ciel :

— L'Oiseau d'Argent! dit Maman chérie.

Les Enfants levèrent la tête sans lâcher Bijou. « Nous avions raison; l'Oiseau d'Argent nous avait quittés pour chercher notre chat! » L'Oiseau d'Argent, déjà, s'était posé sur une branche, tout près d'eux. « Merci, merci! » lui

crièrent-ils. Ils firent une ronde autour du vieux tilleul puis, en courant, ils

emportèrent Bijou dans la Maison Douce. Il ronronnait toujours, heureux d'être ainsi secoué. Il retrouva sa chaise, sa soucoupe, son coussin. Autour de lui, les Enfants s'agitaient, le caressaient, lui parlaient :

128

Page 129: Bijou de la maison douce A et R Baruc

— Nous te soignerons, tu retrouveras vite tes forces. Maman chérie, à qui rien n'échappait, montra du doigt l'oreille de Bijou :

— La voilà bien abîmée... Mais nous aimerons tant Bijou qu'elle sera bientôt comme l'autre.

Elle parlait comme l'Oiseau d'Argent; Bijou en fut très ému. Toute la soirée fut merveilleuse; Bijou succombait sous les caresses et, à la cime du haut tilleul, pour la première fois depuis longtemps, l'Oiseau d'Argent dormait paisiblement.

Le lendemain matin, dès que le ciel commença à pâlir, les Enfants frappèrent à la porte de leurs parents.

— Déjà levés ? dit Papa terrible. Après tout, vous avez raison, nous partirons de bonne heure,

— Et Bijou ? demandèrent les Enfants.— J'en ai parlé à votre mère; nous le confierons, en passant, à votre tante.

Alors, les Enfants se regardèrent puis se tournèrent vers leurs parents :— Puisque Bijou est revenu, nous aimerions mieux rester ici. Les

vacances, pour nous, c'est vivre près de ceux que nous aimons.Maman chérie s'était assise sur son lit, elle avait passé sa belle liseuse :— Vous nous aviez parlé ainsi autrefois, dit-elle. Elle eut son plus doux

sourire. Quand il le vit, Papa terrible se tourna vers les Enfants et leur répondit : « Accordé ! »

Ils appelèrent aussitôt Bijou et, pieds nus, coururent avec lui jusqu'au jardin. Ils chantaient jusqu'à en réveiller tous les nids. L'Oiseau d'Argent ouvrit ses ailes. Au loin, comme autrefois, Tom aboyait.

C'est fini. Bijou a retrouvé les abeilles, les sauterelles et les papillons; il a retrouvé le petit loir encore bien emmitouflé et les Poissons rouges du bassin. Surtout, ah, surtout! il a retrouvé pour toujours Papa terrible, Maman chérie, les Enfants et l'Oiseau d'Argent qui niche à la cime du haut tilleul. Il a retrouvé les caresses, l'amour et la lumière perdus. Et, de nouveau, pour lui, la Maison Douce, comme une grande fleur, s'ouvre au fond de son grand jardin.

LES RETROUVAILLES1 - Pourquoi les Enfants ne se réjouissent-ils pas des vacances ? Qu'espèrent-ils encore ? Croient-ils vraiment au

retour de Bijou et de l'Oiseau d'Argent?2 - De quelle façon surgit Bijou ? Qui vient aussitôt après lui ? Quels détails vous montrent la joie des / Enfants ?3 - Bijou a retrouvé tout ce qu'il avait perdu : à quoi le voyez-vous ?

129

Page 130: Bijou de la maison douce A et R Baruc

Dans la même collection :

« Les Lumières de la forêt »par André DHOTEL, prix Femina

Professeur, André Dhôtel est aussi l'un de nos grands romanciers ; sa langue est reconnue l'une des plus pures et des plus claires qui soient.

Avec « les Lumières de la forêt » il nous donne un nouveau roman, spécialement écrit pour des enfants et conçu pour les besoins scolaires. C'est ainsi que l'histoire est bâtie selon un découpage rigoureux où chaque journée de lecture, c'est-à-dire chaque double page, enferme un épisode romanesque précis et laisse l'intérêt suspendu... jusqu'à la journée suivante.

L'illustration de Marianne Clouzot et le commentaire pédagogique de Georges Vionnet contribuent au charme et à l'efficacité de l'ouvrage.

Imprimerie GEORGES LANG, Paris - 2e trimestre 1967 - Dépôt légal B. 7425 - N°d'éditeur B 11-018-1 (AR. c. VII 4).

Imprimé en France.

130

Page 131: Bijou de la maison douce A et R Baruc

131