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UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN
ANALYSE INSTITUTIONNELLE ET ORGANISATIONNELLE DE L’IMPACT DU PROJET « Décolâge ! »
Partie I : Rapport final
COORDINATION : Caroline Letor et Vincent Dupriez
CHERCHEURS : Simon Enthoven et Caroline Letor
01/11/2014
Recherche en Education n°157/13 - Partie I : Rapport final
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 1
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS ............................................................................................................................................. 2
INTRODUCTION ............................................................................................................................................... 3
1. « DÉCOLÂGE! » VU PAR SES PILOTES ....................................................................................................... 6
1.1. LES OBJECTIFS............................................................................................................................................. 6
1.2. LES ACTEURS .............................................................................................................................................. 7
1.3. LES RESSOURCES ......................................................................................................................................... 8
1.4. LES ACTIONS ............................................................................................................................................ 10
1.5. LES LOGIQUES SOUS-JACENTES À « DÉCOLÂGE! » ............................................................................................ 11
1.5.1. Action circonscrite et ambition globale ....................................................................................... 11
1.5.2. Un projet adaptatif ...................................................................................................................... 11
1.5.3. Faire collaborer les équipes et orienter les pratiques .................................................................. 11
1.5.4. Entre continuité et renouveau, pour un certain « ré-enchantement » ........................................ 11
1.5.5. Entre réforme, programme et projet ........................................................................................... 12
2. MISE EN ŒUVRE DE « DÉCOLÂGE ! » AU SEIN DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES ...................................13
INTRODUCTION ...................................................................................................................................................... 13
2.1. LES OPPORTUNITÉS D’INNOVATION ............................................................................................................... 13
2.1.1. L’entrée dans « Décolâge ! » ....................................................................................................... 13
2.1.2. La mobilisation des ressources de « Décolâge ! » ....................................................................... 15
2.2. LES PROCESSUS SOCIO-ORGANISATIONNELS .................................................................................................... 18
2.2.1. Les trajectoires de « Décolâge ! » dans les écoles ....................................................................... 18 2.2.1.1. Appropriation de « Décolâge ! » par l’équipe éducative .........................................................................18 2.2.1.2. Trajectoires alternatives de « Décolâge ! » au sein de l’établissement scolaire .....................................21
2.2.2. Profils d’entrée et trajectoires de « Décolâge! » ......................................................................... 23
CONCLUSION ......................................................................................................................................................... 24
3. EFFETS ATTENDUS DE « DÉCOLÂGE ! » SUR LES REPRÉSENTATIONS ET LES PRATIQUES ..........................26
INTRODUCTION ...................................................................................................................................................... 26
3.1. PRINCIPAUX RÉSULTATS .............................................................................................................................. 26
3.1.1. Les effets attendus de « Décolâge ! » .......................................................................................... 26 3.1.1.1. Les représentations concernant la différenciation de pratiques, la valence de « Décolâge! » et les
croyances concernant le redoublement .....................................................................................................................26 3.1.1.2. Le sentiment d’efficacité relatif au travail collaboratif ...........................................................................28
3.1.2. L’analyse des variations au sein de l’échantillon ......................................................................... 28 3.1.2.1. Analyse des relations entre variables ......................................................................................................29 3.1.2.2. Analyses multivariées ..............................................................................................................................30
CONCLUSION ......................................................................................................................................................... 32
CONCLUSION GÉNÉRALE ET RECOMMANDATIONS .........................................................................................33
BIBLIOGRAPHIE ...............................................................................................................................................37
Remerciements
Dans le cadre de la recherche dont nous vous présentons les principaux résultats dans ce rapport,
nous avons été amenés à rencontrer dans les écoles plusieurs équipes enseignantes. Nous voudrions
remercier les membres de ces équipes de nous avoir réservé un si bon accueil. Nous leur sommes
reconnaissants de s’être prêtés avec sincérité au travail de recherche, de nous avoir ouvert les portes
de leur école, d’avoir répondu à nos questions, de nous avoir laissés écouter et parfois nous
introduire dans leurs discussions, de nous avoir confié leurs motivations, leurs intérêts ainsi que leurs
inquiétudes. Nous tenons à souligner la conscience professionnelle des enseignants, des directions et
des acteurs pédagogiques rencontrés au cours de la recherche. Nous réitérons aussi nos vifs
remerciements aux membres des services de l’Administration, de l’Inspection et des pouvoirs
organisateurs qui nous ont facilité le contact avec les écoles. Nous remercions également les
membres du Comité d’accompagnement de cette recherche pour leur lecture attentive et pour leurs
suggestions pertinentes formulées tout au long de ce travail. Enfin, l’équipe de recherche remercie
les membres du GIRSEF (Groupe interdisciplinaire de recherche sur la Socialisation, l’Education et la
Formation, UCL) pour les échanges fructueux lors de séminaires de recherche. En particulier, nous
remercions les enseignants-chercheurs N. Mocavero, L. Gruber et M. Nadon pour l’aide qu’ils ont
apportée à cette recherche.
Tel que nous l'avons promis à nos interlocuteurs, nous avons pris toutes les dispositions nécessaires
pour garantir la confidentialité des données présentées dans ce document. Dans ce cadre, et avec
l’accord des participants, nous avons donné un nom d’emprunt aux établissements scolaires qui ont
fait l’objet des études de cas. Ces acteurs se reconnaîtront probablement, mais l’objectif est qu’ils ne
soient pas reconnus individuellement par d’autres lecteurs.
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 3
INTRODUCTION
« Décolâge ! » a été initié en 2012 par le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB).
L’objectif principal de cette réforme est très clair. Il s’agit de lutter contre le maintien des élèves en
troisième maternelle et le redoublement à l’école primaire, en favorisant le développement de
pratiques pédagogiques apportant d’autres réponses aux difficultés d’apprentissage de certains
élèves.
Lutter contre le redoublement et promouvoir des pratiques éducatives alternatives au redoublement
n’est (malheureusement) pas un objectif nouveau pour le système éducatif de la Fédération
Wallonie-Bruxelles. Depuis le début des années 90’ au moins, cette intention est à l’agenda de tous
les Gouvernements successifs de la FWB. Pour se rassurer, on pourrait acter que d’autres pays
européens, en particulier au Sud du continent, souffrent du même mal et n’arrivent pas à faire
baisser de manière significative l’intensité du recours au redoublement. Analyser ce qui se passe
ailleurs ne sert toutefois pas à se rassurer, mais permet de gagner en lucidité par rapport à
l’identification d’un problème et l’analyse des solutions possibles. La recherche en éducation permet
ainsi de constater que toutes les réformes visant à modifier les pratiques pédagogiques des
enseignants1, dans à peu près tous les systèmes éducatifs, correspondent à des défis redoutables et
conduisent souvent à des échecs (Huberman, 1982 ; Rowan et Miller, 2007 ; Rowan et al., 2009). Au
regard de la structure cellulaire du système éducatif et du relatif isolement qui caractérise, au sein de
chaque classe, le travail de chaque enseignant, transformer à la fois les représentations et les
pratiques des enseignants est une opération particulièrement complexe, et le plus souvent très
lente. La fragilité des savoirs pédagogiques et la singularité des situations rencontrées dans chaque
classe sont d’autres caractéristiques des environnements scolaires qui aident à comprendre pourquoi
faire évoluer à large échelle les représentations et les pratiques pédagogiques est une opération
redoutablement complexe, qui va requérir de s’appuyer sur une diversité de leviers.
Pour répondre à ce défi, les responsables de « Décolâge ! » ont mis en place une série d’initiatives
que nous qualifierons dans ce texte de réforme adaptative (Berman, 1980). Contrairement à une
réforme programmée, pilotée depuis le sommet d’un système éducatif sur la base de prescriptions,
une réforme adaptative vise à encourager des innovations pédagogiques adaptées aux situations
locales. Une telle démarche souligne le rôle des enseignants dans la construction et l’appropriation
des ressources mises à leur disposition et valorise dès lors le développement des échanges entre
enseignants, invités à adapter des propositions générales à leur situation singulière. Globalement,
« Décolâge ! » s’inscrit bien dans cette perspective. « Décolâge ! » mobilise en effet une diversité
d’acteurs et de ressources (des outils pédagogiques, des jeux, des formations …) qui sont autant de
possibilités au service des Pouvoirs organisateurs, des directions et des équipes pédagogiques. Mais
« Décolâge ! » ne contraint pas les acteurs locaux et laisse au final une très grande latitude à ces
acteurs pour décider éventuellement d’entrer dans la réforme (entrer dans la communauté
« Décolâge ! ») et décider ensuite de la manière de travailler aux objectifs de cette réforme.
Au-delà de cette distinction entre réforme adaptative et réforme programmée, la distinction plus
fine proposée par Rowan et Miller (2007) entre trois approches du changement pédagogique va nous
permettre dans ce rapport de caractériser la conception du changement véhiculé par « Décolâge ! »
1 Le terme « enseignant » est utilisé au sens épicène.
et la manière dont elle est perçue par les acteurs concernés. Précisons donc brièvement que ces
auteurs distinguent les approches culturelle, professionnelle et procédurale du changement.
L’approche culturelle consiste à orienter les pratiques enseignantes à travers la promotion d’un idéal,
de valeurs et de normes liées au projet scolaire et à la qualité de l’enseignement. Encourageant
l’autonomie enseignante, les actions visent à soutenir les communautés professionnelles de manière
à ce qu’elles découvrent les pratiques les plus efficaces, qu’elles adaptent des propositions générales
aux situations particulières de leurs classes et prennent des décisions adaptées à la singularité du
contexte de leur établissement scolaire. L’approche professionnelle passe par la diffusion et
l’appropriation de standards professionnels par des experts qui ont autorité dans la promotion de
programmes et plans pédagogiques. Ce type de dispositifs repose sur une orientation forte des
pratiques enseignantes (à travers notamment des outils didactiques), mais aussi, simultanément, sur
une autonomie des équipes locales invitées à s’approprier et donc, potentiellement, à adapter les
outils à leur environnement. Cette approche est également caractérisée par des directions qui
exercent un leadership pédagogique intense avec les enseignants pour favoriser une dynamique
d’échanges professionnels au sein des équipes éducatives. L’approche procédurale se base sur un
ensemble d’instructions et d’outils didactiques fournis aux enseignants dans le but de décrire
explicitement et en détail les rôles, les procédures et les séquences de travail à réaliser en classe,
complétés d’un ensemble d’outils d’évaluation permettant de vérifier si les objectifs d’apprentissage
sont atteints par les élèves.
Le lecteur de ce rapport l’aura compris : « Décolâge ! » ne s’appuie pas sur la logique procédurale. En
fonction des textes de référence, des acteurs concernés et peut-être aussi du moment de l’analyse,
on situera plutôt « Décolâge ! » tantôt du côté d’une approche professionnelle, tantôt du côté d’une
approche culturelle du changement. La recherche dont les résultats sont présentés dans ce rapport
s’appuie notamment sur ce cadre théorique et plus largement sur de très nombreux travaux en
sociologie des organisations éducatives2 pour analyser « Décolâge ! » à la fois dans ses dimensions
formelles mais aussi et surtout à travers sa réception par les acteurs scolaires et son impact sur leurs
représentations et pratiques éducatives.
Ce rapport de synthèse (« Partie I ») constitue le cœur du rapport final d’une recherche
commanditée par la Fédération Wallonie-Bruxelles à ce propos. Il a pour objectif de présenter au
lecteur l’essentiel de notre analyse des résultats de cette recherche, sans rentrer ni dans les
considérations méthodologiques ni dans le détail des analyses qualitatives et quantitatives exposées
dans les deux parties supplémentaires annexées au rapport. La « Partie II » porte sur le volet
qualitatif de la recherche et présente la méthodologie et les résultats des dix études de cas auprès
d’établissements participant à « Décolâge ! ». La « Partie III » porte sur le volet quantitatif de la
recherche : une enquête par questionnaire réalisée auprès de 254 enseignants du cycle 5-8 et 105
directions d’écoles inscrites à « Décolâge ! ».
Le présent rapport (Partie I) débute par une présentation générale de « Décolâge ! » à partir de
l’analyse des discours des pilotes du projet et des documents émis entre 2010 et 2014 (section 1).
Vient ensuite une deuxième section consacrée à l’analyse des processus d’appropriation de «
Décolâge ! » au sein des établissements scolaires à partir des analyses qualitatives et quantitatives.
Enfin, dans la troisième section, nous nous centrons sur l’analyse des représentations et des
2 Le premier rapport intermédiaire de cette recherche (157/12) propose une synthèse approfondie de la manière dont le
changement pédagogique est appréhendé par différents courants théoriques centrés sur l’analyse des organisations et de leurs acteurs.
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 5
pratiques pédagogiques des enseignants au regard des objectifs de « Décolâge! ». Cette section
s’appuie essentiellement sur l’analyse des données quantitatives. La conclusion du rapport revient
sur les principaux constats établis dans le cadre de cette recherche et formule quelques suggestions
à prendre en considération dans la mise en œuvre des politiques scolaires de promotion du
changement pédagogique.
1. « DÉCOLÂGE! » VU PAR SES PILOTES
Cette première section a pour objectif de décrire « Décolâge ! » et les moyens mis en œuvre par ses
pilotes pour en atteindre les objectifs. Cette présentation s’appuie principalement sur une analyse
des documents produits dans le cadre du projet et sur une analyse des discours des représentants de
chacun des acteurs-clés associés (Ministère, Administration, Inspection, IFC3, Conseillers
pédagogiques et autres acteurs associés)4. Plus précisément, il s’est agi pour les chercheurs de
comprendre « Décolâge! » tel qu’il a été conçu et tel qu’il a été porté par ses pilotes depuis le
lancement du projet en février 2012 jusqu’à la rentrée scolaire 2014. Dans les pages qui suivent,
nous présenterons successivement les objectifs de « Décolâge ! », ses acteurs, ses ressources et ses
actions.
1.1. Les objectifs
« Décolâge! » a été conçu et mis en œuvre conjointement par le Cabinet de la Ministre en charge de
l’Enseignement obligatoire et de Promotion sociale et par l’Administration Générale de
l’Enseignement et de la Recherche Scientifique. L’objectif général est de « lutter contre l’échec
scolaire en développant des pratiques alternatives qui se substituent de manière crédible au
maintien ou au redoublement. » (Circulaire de la FWB du 16 février 2012). Comme cela a été exposé
dans l’introduction, nous appréhendons « Décolâge! » en tant que réforme, c’est-à-dire comme un
ensemble de mesures initiées par une autorité centrale, adressées aux professionnels dépendant de
celle-ci, en vue d’un changement planifié par cette autorité (Bonami, 1998). Il s’agit d’une réforme
adaptative qui s’appuie sur les acteurs locaux du système éducatif dans le but qu’ils développent des
pratiques pédagogiques au service de l’objectif de « Décolâge! ». Dans ce sens, « Décolâge! » répond
aussi à la définition de projet en tant qu’anticipation d’opérations au service d’un ensemble
d’objectifs (Boutinet, 2006). Plus précisément, nous considérerons dans ce texte que « Décolâge! »
est une initiative de réforme pédagogique visant à promouvoir des projets au sein des
établissements scolaires.
Au-delà de l’objectif général, l’analyse des documents et des discours des acteurs pilotes et
intermédiaires, nous a permis de relever les objectifs suivants au niveau des établissements scolaires
:
- Diminuer les taux de redoublement à travers le changement des représentations sur les effets du
redoublement et à travers le déplacement des normes institutionnelles liées à la sélection des élèves
et à la composition des classes : vers davantage d’inclusion et d’acceptation de l’hétérogénéité des
élèves.
- Développer une posture d’enseignant centrée sur le « déjà-là » de l’élève et des démarches de
diagnostic positif centrées sur les acquis des élèves plutôt que sur ses lacunes et ses difficultés dans
les apprentissages. Cette posture se traduit par l’appropriation d’outils d’observation et le
3 L’Institut de la Formation en cours de Carrière (IFC) de la Fédération Wallonie-Bruxelles, organisme public, a pour mission
principale d’organiser des formations pour les personnels de l’enseignement obligatoire, en cours de carrière, et de garantir la cohérence des formations avec le décret « missions ». 4 Cette section repose sur les résultats d’une analyse de contenu des documents produits dans le cadre de « Décolâge ! » et
des discours des Pilotes et acteurs intermédiaires recueillis au cours d’entretiens semi-directifs. Les résultats des analyses de contenu (Paillé et Muchielli, 2012) sont présentés dans le rapport final de la première année de cette recherche (Letor, Enthoven et Dupriez, recherche 157/12, novembre 2013).
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 7
développement de pratiques différenciées, adaptées aux besoins des élèves en termes
d’apprentissage.
- Renforcer le sentiment de compétence individuel et collectif des enseignants de manière à ce qu’ils
adoptent une posture de « pouvoir agir » et mettent en place des actions plutôt que de rester face à
des constats d’échec ou de se plaindre des difficultés qu’ils rencontrent.
Les pilotes envisagent également un travail collaboratif entre les acteurs de pilotage et les acteurs
intermédiaires, qui permette le recueil et le transfert des informations entre les acteurs de terrain et
les acteurs du pilotage de et vers les acteurs locaux dans le but de coordonner et d’ajuster les
actions.
En vue d’atteindre ces objectifs, des activités ont été organisées et un ensemble de ressources a été
proposé aux acteurs concernés par l’enseignement maternel et primaire.
1.2. Les acteurs
Les acteurs impliqués dans « Décolâge! » peuvent être regroupés en trois catégories :
- Les acteurs locaux, c'est-à-dire les acteurs en contact direct avec les élèves : les enseignants
(maternels et primaires), les membres de la direction des établissements scolaires, les agents des
CPMS5 et, dans une moindre mesure, les parents d’élèves. Ces acteurs sont invités à se constituer en
équipe comprenant la direction, les enseignants du cycle 5-8 (2 d’entre eux pour la formation IFC) et
un représentant du centre PMS.
- Les acteurs intermédiaires, c'est-à-dire les acteurs en contact direct avec les acteurs locaux et qui ont
notamment pour mission de les soutenir dans leurs pratiques : les conseillers pédagogiques, les
membres de l’Inspection, les agents de l’Institut de Formation en cours de Carrière (IFC), les
formateurs de formation continuée ;
- Les acteurs du pouvoir central, c'est-à-dire les acteurs appartenant au « sommet stratégique » – le
lieu où les décisions stratégiques concernant l’enseignement obligatoire sont prises – et les acteurs
qui aident à la prise de décision : le Cabinet de la Ministre en charge de l’Enseignement obligatoire, le
Service général du Pilotage du système éducatif et les organes de régulation (Coopère et Copilote).
A côté de ces acteurs traditionnels, deux organes de régulation de la réforme ont été mis en place
dans le but de créer des espaces de concertation et de coordination de la réforme, de recueillir des
informations via les acteurs intermédiaires proches des acteurs de terrain et d’ajuster le cas échéant
les actions menées:
Le Coopère se réunit mensuellement pour suivre et ajuster l’opérationnalisation de « Décolâge! ».
Ses membres représentent le Service général du Pilotage du système éducatif, le Cabinet de la
Ministre de l’Enseignement obligatoire, l’Inspection, l’IFC, les Conseillers pédagogiques des différents
types de Pouvoir organisateur.
Le Copilote se réunit trimestriellement pour ajuster le projet « Décolâge! » : assurer la pérennité du
projet, ajuster les actions de « Décolâge ! » et proposer éventuellement des modifications
décrétales. Ses membres représentent le Service général du Pilotage du système éducatif, le Cabinet
de la Ministre de l’Enseignement obligatoire, d’autres Cabinets ministériels, l’Inspection, l’IFC, les
réseaux, les syndicats d’enseignants, les associations de parents et la Fondation Roi Baudouin.
5 CPMS : Centre psycho-médico-social qui ont des missions d’orientation scolaire, de guidances psychologique, médicale ou
sociale, de promotion et de prévention de la santé, des missions plus pédagogiques (orientation, et conseil) auprès des élèves de l’enseignement obligatoire et de leur famille.
Par ailleurs, un certain nombre de partenaires ont été sollicités par les acteurs du pilotage pour
participer aux activités et pour produire des ressources dans le cadre de la réforme. Ce sont des
organisations qui, pour la plupart, n’ont pas l’enseignement obligatoire comme objet social
prioritaire :
- la « Cellule pédagogique » est une association de plusieurs directions d’établissements scolaires du
Brabant-Wallon. Issues des différents réseaux, ces directions se sont associées et ont développé
dans les années 2010 des pratiques innovantes en vue de faire face aux difficultés des élèves. Elles
ont constitué un modèle inspirant pour les acteurs de pilotage et ont été sollicitées en 2011 et 2012
pour témoigner lors des journées d’information.
- la Fondation Roi Baudouin est intervenue en 2012-2013 dans la formation des équipes pédagogiques
aux relations familles – écoles. Elle fait partie des acteurs du Copilote.
- Ecett-Networks est une organisation mobilisée en octobre-décembre 2013 pour activer l’usage de la
plate-forme « mENTeos » et la constitution de pratiques de compagnonnage.
- Télévision du Monde a réalisé en 2013 un montage sur la réforme diffusé à partir de mai 2014.
- Différentes équipes universitaires (ULB-ULg-UCL) ont été successivement associées au projet par des
recherches visant à produire des outils et des méthodes favorisant les apprentissages (Kahn et al.,
2011), visant à comprendre les mécanismes liés au redoublement (Lafontaine et al., 2011) et visant à
évaluer les effets de la réforme en vue d’améliorer le pilotage (UCL).
- Enfin, au niveau international, les acteurs du pilotage ont inscrit « Décolâge ! » dans le programme
de recherche « Laboratories of Learning Change » organisé par l’OCDE, de manière à obtenir un
accompagnement du dispositif « Décolâge ! » et un espace de réflexion avec des pilotes d’autres
projets menés dans une perspective systémique dans d’autres systèmes éducatifs.
1.3. Les ressources
« Décolâge! » est présenté aux équipes pédagogiques comme un projet à développer au sein des
établissements scolaires. A cet effet, un ensemble de ressources et d’activités pédagogiques ont été
conçues ou proposées en tant que leviers visant à faciliter le changement pédagogique. Si certaines
ressources et activités ont été initiées dès la mise en route de la réforme, d’autres ont été organisées
ou proposées plus tardivement suite à des constats faits par les organes de régulation Coopère ou
Copilote.
Les séances d’information (2012 et 2013) et d’échange d’expérience et de pratiques
(2014) communiquent aux participants (enseignants, directions et agents CPMS) les résultats des
recherches ULB-ULg à propos du maintien en troisième maternelle et du redoublement. Elles les
informent également des objectifs et du fonctionnement de « Décolâge ! » et, depuis 2014, leur
permettent de se rencontrer en « tables-rondes » pour échanger sur leurs pratiques et identifier
leurs besoins. Si l’objectif annoncé dans les premières séances est principalement lié à la diminution
du redoublement, l’accent est progressivement mis sur le développement d’une démarche de
diagnostic positif des apprentissages.
Les formations « Décolâge! » (formation de base organisée chaque année (2012-2014) et
d’approfondissement (à partir de 2014) sont dispensées par l’IFC : ces formations prévoient
l’initiation d’équipes pédagogiques à des « alternatives aux pratiques de maintien et de
redoublement ». Ces alternatives consistent à développer des pratiques d’enseignement centrées sur
les acquis de l'élève (méthodes de différenciation, ateliers…) et des outils pédagogiques (outils de
diagnostic des compétences des élèves, d’aide à la réussite…) à mettre en œuvre pour favoriser les
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 9
apprentissages. Suite à la demande d’acteurs locaux (enseignants et directions), des formations
destinées aux enseignants du cycle 8-12 et du premier degré de l’enseignement secondaire ont été
programmées à partir de 2014-2015.
Les formations propres à chaque réseau dont la problématique est liée à « Décolâge ! ». A la rentrée
2013, suite à une proposition du Coopère, un repérage de ces formations a été réalisé par chaque
type de Pouvoir organisateur au sein de son catalogue de formations et chaque formation en lien
avec « Décolâge ! » a été identifiée à l’aide d’un logo « Décolâge ! ».
La formation participative Travcoll « Travailler collégialement au bénéfice d’un élève en difficulté »
(2013-2014) dispensée par l’IFC. Cette formation, ouverte au personnel de toutes les écoles
primaires et secondaires, prévoit le « soutien méthodologique au travail collégial et au dispositif de
compagnonnage ».
Le compagnonnage est un dispositif de partage de pratiques d’enseignement, entre deux
établissements scolaires volontaires. Après le constat du faible nombre d’établissements inscrits
dans cette démarche, le « Coopère » a sollicité une organisation spécialisée dans la mise en réseaux
(« Ecett-Networks ») aux alentours de mars 2014 pour soutenir cette ligne d’intervention.
Les outils pédagogiques rassemblés au sein d’un « Kit pédagogique » (2012) comprennent un
ensemble de textes de cadrage pédagogique (pistes), un ensemble d’outils (jeux, activités et textes à
exploiter en classe, outils de diagnostic) et de méthodes pédagogiques qui sensibilisent et initient les
lecteurs aux pratiques d’enseignement centrées sur les acquis de l'élève pour favoriser les
apprentissages. Ces ressources n’ont pas été créées spécifiquement dans le cadre de « Décolâge ! ».
Ce sont des ressources produites par l’administration dont « Décolâge ! » vise à promouvoir l’usage
effectif.
Le site internet « Décolâge! », repérable sur la page officielle « enseignement.be », a été créé de
manière à promouvoir l’ensemble des actions menées et outils disponibles. Ouvert en 2012 et mis à
jour régulièrement, ce site informe tout acteur intéressé par le projet. Il contient notamment, à
l’attention des directions, des outils de sensibilisation des équipes éducatives à la problématique de
« Décolâge ! » (capsules vidéo, conférence en ligne, études universitaires…).
La plateforme numérique « mENTeos » (2013) est un espace numérique de travail qui permet aux
équipes pédagogiques inscrites d’échanger et de partager leurs pratiques.
Le programme de partage de pratiques enseignantes à propos de la relation entre « Ecoles
maternelles et familles en situation de précarité » de la Fondation Roi Baudouin6 (printemps 2013) a
consisté en trois jours d’échanges de pratiques sur la relation écoles maternelles-familles
défavorisées (+/- 80 professionnels de l’enseignement y ont participé).
« Décolâge ! » en fête : le 26 aout 2013, les enseignants et directions inscrits à « Décolâge ! » et les
acteurs intermédiaires (inspecteurs, conseillers pédagogiques, agents PMS, etc.) impliqués dans le
projet se sont réunis pour partager leurs pratiques pédagogiques et leurs préoccupations via un
dispositif d’échange en tables rondes.
Des lettres d’information sont envoyées régulièrement aux établissements scolaires afin de tenir
informées les équipes sur l’évolution de « Décolâge ! » et sur les nouvelles ressources à leur
disposition. Depuis le début de la réforme, six lettres ont été envoyées. Leur format a bénéficié d’un
travail de charte graphique au cours de l’année 2013.
6 La Fondation Roi Baudouin (FRB) est une organisation non gouvernementale à caractère privé, indépendant et pluraliste,
qui a pour mission de « contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la population ».
1.4. Les actions
L’analyse des documents et des discours révèle que les multiples ressources proposées aux
enseignants dans le cadre de « Décolâge ! » mobilisent différentes modalités d’accompagnement au
changement des équipes. Cet accompagnement fait partie des fondements du projet pour ses
pilotes : un conseiller pédagogique expliquait lors d’un entretien que « [Pour l’approche par
compétence,] l'accompagnement a été fait seulement après [le lancement de la réforme]. On
imposait les choses et puis débrouillez-vous ! Ici [« Décolâge! »], c'est l'inverse et je pense que c'est
plus intéressant. ». Un autre conseiller abondait dans le même sens : « Le fait que ce soit un
processus plutôt d’accompagnement sur le terrain me semble beaucoup plus favorable que les
réformes imposées dont on voit des effets pervers des années après. »
Parmi les ressources développées, nous avons identifié sept types d’« actions » susceptibles d’être
menées auprès des équipes enseignantes : des actions de sensibilisation et d’information, de
formation, de partage de pratiques, de travail collaboratif, d’orientation pédagogique,
d’appropriation et de contrôle des pratiques.
Tableau 1. Les ressources et les actions « Décolâge ! »
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Sensibiliser- informer
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X X X
X X X
Former
X X X
Partager X X X X
X X X
Collaborer
X X X
X
Orienter
X
X X
S’approprier
X
X X
X
Contrôler
« Décolâge ! » ne peut se résumer à un type d’action mais il consiste davantage en une combinaison
d’actions portées par des instances et des acteurs différents (voir tableau 1). Ces actions portent
davantage sur l’orientation des pratiques à travers la sensibilisation, la formation et la guidance et la
mise en commun à travers le partage et le travail collaboratif. Il est intéressant de noter que le
contrôle est un type d’action intentionnellement évité dans le chef des pilotes de « Décolâge! ».
L’analyse des documents et des discours montre par ailleurs que certains acteurs sont
particulièrement sollicités. Si les acteurs intermédiaires émergent comme des acteurs-clés dans les
actions de sensibilisation, de formation et d’orientation, nous avons attiré l’attention sur le rôle
attendu des directions qui sont concernées par l’ensemble des actions à mener au niveau local.
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 11
1.5. Les logiques sous-jacentes à « Décolâge! »
Au-delà de la description de ces éléments constitutifs de « Décolâge ! », nous synthétisons ci-dessous
les principes qui guident depuis deux ans la mise en œuvre de « Décolâge ! ».
1.5.1. Action circonscrite et ambition globale
« Décolâge! » est défini par les acteurs interrogés comme une action circonscrite à un phénomène
particulier (le redoublement) et à un niveau particulier du système éducatif (le cycle 5-8). En même
temps, il a pour ambition de dépasser ce cadre pour s’étendre progressivement à d’autres
problématiques et à l’ensemble des années de l’enseignement de base. Ceci a pour corollaire de
devoir envisager « Décolâge ! » dans une temporalité étendue mais qui se révèle aussi relativement
indéterminée. De même, les effets attendus ne sont pas définis comme un changement soudain mais
comme un déplacement progressif des normes, des représentations et des pratiques.
1.5.2. Un projet adaptatif
Tant dans sa mise en œuvre au niveau institutionnel qu’au niveau des « mises en projet » des acteurs
au niveau local, les étapes du projet ne sont pas fixées suivant un programme inflexible. Des
réajustements sont effectués à mesure de l’évolution du projet, de manière adaptative. Comme le
montre notamment l’évolution des ressources mises à disposition des équipes enseignantes, les
acteurs du pilotage voient dans « Décolâge ! » un projet qui s’adapte aux besoins des acteurs locaux
grâce principalement aux organes de régulation que sont le Coopère et le Copilote. L’extension des
formations de base au niveau primaire 8-12 et au premier degré de l’enseignement secondaire suite
à la demande des acteurs locaux en constitue une manifestation. Ces ressources sont adaptées,
enrichies, d’autres sont transformées ou non reconduites. Par ailleurs, la communication à propos de
« Décolâge ! » a été également ajustée successivement par les instances de régulation (Coopère –
Copilote) en fonction des informations recueillies sur le terrain.
1.5.3. Faire collaborer les équipes et orienter les pratiques
Le projet « Décolâge! » est basé sur deux modalités prioritaires d’accompagnement des équipes dans
leur processus local de changement pédagogique : faire collaborer et orienter les pratiques. D’une
part, il s’agit de renforcer le travail collectif au sein des établissements (les écoles sont invitées à
participer en « équipe » aux activités – notamment la formation de base IFC -, et de faire interagir
des équipes enseignantes d’écoles différentes (compagnonnage). La collaboration ne se limite pas au
niveau local, elle est également un principe de pilotage du projet, concrétisé notamment par les
structures Coopère et Copilote. D’autre part, il s’agit d’orienter les actions collectives des équipes de
manière à susciter et à encourager les pratiques attendues. L’ensemble des acteurs, actions et
ressources y contribue. L’analyse des discours montre que cette orientation concerne les enseignants
à titre individuel (leurs représentations, leurs pratiques, leur sentiment de compétence) mais
également les actions collectives organisées au sein de l’établissement scolaire. Nous attirons
l’attention sur les attentes envers les directions. Leur action s’avère centrale dans la mobilisation et
l’accompagnement des équipes.
1.5.4. Entre continuité et renouveau, pour un certain « ré-enchantement »
« Décolâge! » se situe entre la continuité et le renouveau car il « s’attaque » au problème ancien du
maintien et du redoublement, tout en y répondant de manière innovante d’un point de vue
organisationnel. D’une part, au niveau de la gouvernance, les pilotes de « Décolâge ! » promeuvent
un renforcement de la coordination entre les différents acteurs du pilotage du système éducatif à
travers les organes de régulation Coopère et Copilote. D’autre part, ils adoptent une approche
incitative envers les établissements scolaires : des ressources leur sont proposées afin de s’engager
dans les objectifs de « Décolâge! », mais sans qu’un plan spécifique ne soit imposé. Par ailleurs, «
Décolâge ! » est un projet parmi d’autres projets (Dyslexie, Expairs…), visant à rencontrer les
problématiques d’intérêt des acteurs locaux : ces projets sont susceptibles d’être mis en œuvre de
manière isolée ou combinée dans les établissements scolaires. La dynamique valorisée les pousse
donc à se mettre en projet en fonction de leurs besoins spécifiques. Cet aspect innovant de la
démarche «Décolâge ! » a semblé bien accueilli parmi les acteurs pilotes et intermédiaires et a
provoqué ce que nous avons appelé un « certain ré-enchantement » : un dynamisme qui s’exprime à
travers des propos passionnés, une confiance exprimée entre les acteurs des différents niveaux et
une confiance renouée envers l’enfant et ses potentialités.
1.5.5. Entre réforme, programme et projet
Comme dit en début de section, nous pouvons considérer « Décolâge ! » comme une « réforme »
dans la mesure où il s’agit d’une initiative initiée et pilotée par des membres du sommet stratégique
du système éducatif dans l’intention de provoquer du changement dans les pratiques pédagogiques
des enseignants. Cependant, voulant s’adapter autant que possible aux spécificités locales, «
Décolâge ! » n’impose aucune procédure aux équipes enseignantes (pas même une procédure
d’inscription). Les ressources sont « à disposition » sans être obligatoires ; il n’y a pas de démarche
initiale ou finale à accomplir, l’initiative est laissée aux acteurs locaux pour déterminer leurs besoins
et la meilleure façon d’y répondre. Cette particularité est d’ailleurs mise en évidence par l’analyse qui
montre en effet que l’action « contrôle » est absente de l’ensemble des actions. Dès lors, au niveau
local, « Décolâge ! » ne s’apparente aucunement à un « programme » de travail ou de soutien
pédagogique même s’il présente un certain nombre d’outils et d’actions programmées dans un
calendrier. Il correspond plutôt à un « projet » à orientation pédagogique à envergure
organisationnelle (Boutinet, 2006).
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 13
2. MISE EN ŒUVRE DE « DÉCOLÂGE ! » AU SEIN DES
ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
Introduction
Dans cette deuxième section, nous présentons la réception de « Décolâge ! » à un niveau local, c'est-
à-dire au niveau des établissements scolaires. Les données présentées visent à mettre en lumière les
processus à l’œuvre dans les écoles ; ces analyses reposent principalement sur les données extraites
des études de cas en profondeur que nous avons effectuées dans dix écoles participant à « Décolâge
! »7. Elles sont complétées par des données quantitatives recueillies par questionnaire auprès d’un
échantillon plus vaste d’enseignants et de directions d’écoles inscrits à « Décolâge ! »8.
Dans le respect de notre schéma de recherche (Partie III, figure 1), nous présentons successivement
dans cette section :
- Les données concernant les « opportunités d’innovation » saisies par les écoles dans le cadre de
«Décolâge ! ».
- Les données concernant les variables socio-organisationnelles en jeu dans la mise en œuvre de
«Décolâge ! » au sein de l’établissement scolaire : le leadership pédagogique, la régulation des
pratiques pédagogiques (comprenant l’orientation pédagogique des pratiques, le soutien à
l’innovation, la présence d’une vision d’établissement, la pression à la standardisation) et les
caractéristiques du travail collaboratif (comprenant la participation, le climat de réunion et la
centralité des objets traités en concertation).
L’analyse est présentée ici de façon transversale et comparative. Pour le détail des analyses, nous
renvoyons les lecteurs aux Partie II (monographies) et III (résultats de l’enquête par questionnaire).
2.1. Les opportunités d’innovation
Conformément à notre schéma d’analyse, les activités et les ressources (formations, outils,
dispositifs) proposées dans le cadre de « Décolâge! » représentent autant d’opportunités d’innover
et de changer les pratiques pédagogiques. Nous nous attelons ici à décrire et à analyser l’entrée des
équipes pédagogiques dans « Décolâge ! » (motivations et profils d’entrée) et l’utilisation des
ressources mises à leur disposition .
2.1.1. L’entrée dans « Décolâge ! »
L’initiative de l’inscription d’un établissement à « Décolâge ! » revient dans la majorité des cas
analysés aux directions. C’est également l’avis de 94% des enseignants ayant répondu au
questionnaire (N=254). Les motivations avancées concernent principalement la recherche de
7 Les écoles ont été sélectionnées de manière à obtenir un échantillon contrasté à partir des critères suivants : l’indice
socio-économique (classe), la province (Bruxelles, Hainaut, Liège), l’environnement rural ou urbain ainsi que le type de Pouvoir organisateur (une école du réseau de la FWB : Vincent-Van-Gogh), 4 écoles du réseau public communal - Les-pinsons, Les-colombes, Ecole du-centre, La-campagne - et 5 écoles libres confessionnelles - noms de saints -). Pour des raisons de confidentialité, les noms attribués aux écoles sont factices. 8 La population de référence est constituée de toutes les écoles inscrites au projet « Décolâge ! » (N=193) auprès de
l’Administration générale de l’Enseignement (FWB). Sur les 283 questionnaires « enseignants » reçus, 254 questionnaires valides correspondent à 71 établissements
8 et 115 implantations. Nous avons reçu 105 questionnaires « directions ».
solutions à la problématique des difficultés d’apprentissages ou à l’amélioration des relations avec
les familles précarisées. Les directions cherchent avant tout à changer les attitudes et les pratiques
enseignantes mais aussi à renforcer le travail en équipe par le partage de pratiques. Pour ce faire, les
directions et les équipes enseignantes n’hésitent d’ailleurs pas à combiner plusieurs projets proposés
par la FWB tels que les projets « Intégration », « Personne-relais Dyslexie ».
L’analyse du matériau empirique concernant les motivations d’inscrire l’école à « Décolâge ! » dans
les dix écoles observées, nous permet de dégager trois profils d’entrée dans « Décolâge ! »: les profils
« opportunité », « continuité » et le profil « sans motivation explicite ».
Le profil d’école le plus répandu parmi les études de cas (6 écoles) est caractérisé par une inscription
et un développement de « Décolâge! » porté par la direction qui a « envie de faire bouger les
choses » et qui saisit le projet comme une opportunité pour amener son équipe à réfléchir à des
problématiques pédagogiques. «Décolâge ! » est perçu par ces directions comme un « point de
départ » ou une « occasion à saisir » pour amener du changement. Le projet coïncide généralement
avec la présence d’une sensibilisation de l’équipe autour de préoccupations proches de celles visées
par « Décolâge! ». Au moment d’entrer dans « Décolâge! », l’équipe de l’école Les-pinsons avait ainsi
rédigé son projet pédagogique autour de la promotion des jeux comme moyen d’apprentissage; la
nouvelle direction de l’école Vincent-Van-Gogh avait le projet de développer une pédagogie par
projet ; la direction de l’école St-Estèphe stimulait depuis deux ans une réflexion sur l’analyse des
erreurs et des difficultés des élèves.
Comme nous le verrons dans le point consacré au leadership pédagogique, dans la plupart de ces cas,
le rôle de la direction va au-delà de l’inscription et son action consiste à développer le projet au sein
de l’école. Précisons toutefois dès à présent que le fait que la direction soit à l’origine de l’inscription
de son établissement dans le projet ne semble pas lié aux modalités avec lesquelles la « gestion » du
projet est ensuite développée au sein de l’établissement. Dans certaines écoles, les décisions sont
prises sur un mode participatif (l’équipe participe à la prise de décisions), dans d’autres, la direction
est plus isolée dans ses prises de décisions s’associant dans certains cas à quelques enseignants
« plus impliqués ». A Ste-Cécile et à l’école Vincent-Van-Gogh, un ou deux enseignants relaient ou
suppléent la « gestion » du projet.
Nous plaçons également dans ce profil l’école Les-colombes dans laquelle l’initiative revient à un
membre du Pouvoir organisateur (PO) qui voit dans « Décolâge ! » l’opportunité d’améliorer les
résultats particulièrement faibles des élèves de la commune lors des évaluations externes. Dans ce
cas, la direction joue le rôle de relais auprès des enseignants. « Deux enseignantes ont assisté à la
formation de base IFC. Ensuite, « chaque enseignante a appliqué trois jeux dans sa classe », nous
rapporte la direction. Ce « souhait » du membre du PO est toutefois perçu par les enseignants
comme une obligation à laquelle certains répondent avec intérêt tandis que d’autres réagissent de
manière plutôt procédurière. Le projet « Décolâge! », conçu sur base volontaire, peut donc, dans
certains cas, être perçu comme une contrainte.
Le second profil d’école présent dans notre échantillon, dont la plus représentative est probablement
l’école St-Hilaire, est constitué des écoles qui ont déjà une (solide) tradition d’innovation
pédagogique et une démarche globale de réflexion à propos des difficultés des élèves, antérieures à
« Décolâge ! ». Le projet ne constitue donc pas un point de départ mais bien un complément dans
une démarche ancrée dans l’établissement : « Décolâge ! » s’intègre, se confond ou est « absorbé »
par des routines pédagogiques de la direction ou des enseignants ou par un projet pédagogique axé
sur les enfants en difficulté : « On a fait beaucoup de formations, toutes celles qui sortent par
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 15
rapport à ça : j’ai des enseignants que j’ai inscrits à « Décolâge! », à Dyslexie, maintenant à Travcoll,
en graphologie, tout ça est lié ! ». Dans ces lieux, « Décolâge ! » s’inscrit dès lors dans une histoire,
une tradition, une continuité.
Enfin, deux écoles sont inscrites dans « Décolâge ! » sans que nous puissions identifier des
motivations explicites d’entrée de l’école à « Décolâge ! ». Si les directions ont inscrit l’école au
projet, elles n’ont pas motivé leur décision. En effet, certaines équipes se sont inscrites par défaut.
C’est sans doute le cas dans ces deux écoles où la direction a inscrit l’école sans but particulier
« pourquoi pas ? ». D’autres ont été incorporées à « Décolâge ! » de manière automatique dès
qu’elles se sont inscrites à une formation (par exemple, la formation de la Fondation Roi Baudouin).
Les données quantitatives extraites de l’enquête par questionnaire confirment l’existence de ce profil
d’école : 27% d’enseignants dont les écoles sont inscrites à « Décolâge ! » ignorent que leur école y
est inscrite.
Ces différents profils nous montrent que la plupart des écoles (8 sur 10) ne rentrent pas « par
hasard » dans «Décolâge ! ». Même s’il s’agit parfois d’un acte à l’apparence plus procédurière, les
équipes éducatives adhèrent généralement au projet car celui-ci est considéré comme une
opportunité de changement ou comme étant dans la continuité du projet pédagogique. Le projet fait
donc sens pour les directions et les enseignants qui trouvent dans les objets de « Décolâge ! » un
écho à leurs préoccupations : la différenciation, la démarche diagnostique positive, le « déjà-là » de
l’élève, la lutte contre l’échec scolaire, le jeu comme outil didactique etc. Cet écho est susceptible de
se produire si ces objets font partie des références et des préoccupations antérieures de l’école. Ce
constat nous permet d’attirer l’attention sur le fait que la stratégie mise en œuvre dans le cadre de
« Décolâge! » engendre ainsi une sélection des écoles susceptibles de rentrer dans le projet.
2.1.2. La mobilisation des ressources de « Décolâge ! »
Rappelons que « Décolâge ! » est construit autour d’un ensemble d’activités et de ressources (outils,
jeux, dispositifs) auxquelles les équipes enseignantes peuvent recourir. Nous avons considéré la
participation à ces activités ou l’usage de ces outils comme autant d’opportunités d’innovation qui
constituent des indicateurs de la participation des équipes à « Décolâge ! ». Les réponses des
enseignants au questionnaire (N = 254) indiquent que parmi ces ressources, le site Internet (50%), la
formation de base intitulée « Décolâge ! » organisée par l’IFC (42%) sont les activités de
sensibilisation et de formation qui ont rencontré le plus de succès chez les enseignants. La
participation des directions est équivalente, si ce n’est qu’elles déclarent avoir participé plus
massivement aux journées d’information que les enseignants (54% des directions contre 25% des
enseignants l’affirment).
Dès à présent, nous souhaitons souligner l’importance de la formation de base IFC comme entrée
principale des enseignants à « Décolâge ! ». Nous constatons en effet que l’entrée dans « Décolâge !
» se fait prioritairement par la participation à ces journées de formation: 41,74% des enseignants et
45,24% des directions ayant répondu à l’enquête y ont participé. L’analyse qualitative des études de
cas révèle l’importance et le caractère initiateur déterminant que revêt le fait de participer à cette
formation. Dans certains cas observés, la participation à « Décolâge ! » se résume parfois à la
formation de base IFC dans les représentations des acteurs locaux. Une directrice nous disait en juin
2013 : « « Décolâge ! », pour nous, c’était l’année dernière. Cette année, on s’est inscrit à la
formation Dyslexie. »
Par ailleurs, nous avons constaté que les enseignants ayant participé à la formation de base IFC sont
désignés individuellement au sein des équipes (une enseignante nous confie : « « Décolâge ! », ici
dans l’école, c’est elle et elle ») et que l’appropriation du projet ne semble pas aisément se
généraliser au reste de l’équipe éducative. Ces enseignants sont en quelque sorte « étiquetés » «
Décolâge ! ». Les enseignants qui n’y ont pas assisté s’identifient moins facilement au projet, même
lorsqu’un feed-back de la formation est organisé au sein de l’équipe, comme à l’école du-centre par
exemple. Cela pose également problème lorsque la stabilité des équipes est fragile comme à l’école
Les-colombes où l’équipe 5-8 a été renouvelée à plus de deux tiers entre l’inscription à « Décolâge! »
et notre visite. C’est sans doute une caractéristique des écoles à faible indice socio-économique à ne
pas négliger.
Nous attirons l’attention sur la dimension stratégique de la composition de l’équipe liée au
projet « Décolâge!». En effet, à l’école Ste-Agathe, à l’école du-centre et à l’école St-Hilaire, les
directions ont proposé le projet à des enseignants ou à des équipes intéressées (« qui sont déjà en
route » ou « sensibilisés à la différenciation des apprentissages ») et ce, en vue de « faire tache
d’huile » sur le reste de l’équipe. Une direction nous confie : « On essaye d’éviter le redoublement
mais, dans l’implantation primaire, elles sont accrochées à l’idée de redoublement, pas dans l’autre
implantation. C’est pourquoi j’ai commencé là-bas sinon moi je vais me noyer, et les représentations,
on les fait changer progressivement, j’ai pris l’équipe qui était dans l’esprit. » Nous avons aussi un cas
où la direction développe le projet dans les cycles 8-10 et 10-12 car les enseignants sont « plus
réceptifs ». Cette direction ne « marche qu’avec une seule enseignante du cycle 5-8 » parce qu’il y a
un « blocage dans ce cycle ». Un partage de pratiques a eu lieu sous forme d’une animation par cette
enseignante reconnue à l’extérieur pour ses compétences en différenciation. Par contre, celle-ci ne
bénéficie que de peu légitimité auprès de ses collègues. Cette animation n’aura pas les effets
escomptés par la direction. A l’école Ste-Julie, les deux enseignantes choisies l’ont plutôt été alors
qu’elles ne manifestaient pas spontanément d’intérêt pour le projet. La formation IFC n’a d’ailleurs
pas fait l’objet d’un partage au reste de l’équipe. La stabilité de l’équipe, l’intérêt et la légitimité des
enseignants participant à la formation a lieu d’être pris en compte.
D’autres directions (l’école Les-pinsons, l’école La-campagne, l’école Les-colombes, l’école St-
Estèphe, l’école Sainte-Agathe) présentent « Décolâge ! » comme un projet d’école concernant, au-
delà de l’équipe du cycle 5-8, l’ensemble des enseignants de l’école. Cette option est sans doute
facilitée dans le cas d’établissements de petite taille (l’école La-campagne, l’école Sainte-Agathe).
Cependant, cette vision élargie de « Décolâge ! » peut être établie dans des écoles plus grandes. A
l’école Les-pinsons par exemple, la direction a institué une pratique : celle d’animer pour l’ensemble
de l’équipe (les enseignants de tous les niveaux et implantations) une séquence de sensibilisation
aux thèmes traités lors de conférences ou de formations auxquelles les membres de l’équipe ont
participé.
Ces multiples constats mettent en exergue le fait que « Décolâge ! » est appréhendé différemment
d’une école à l’autre. En effet, chaque direction met en place une « stratégie » de sensibilisation au
changement adaptée aux spécificités locales de son établissement et aux besoins de son équipe
éducative. Au vu de tous les éléments que nous venons d’énoncer, la place de la direction au sein du
projet « Décolâge ! » s’avère centrale même si, comme nous allons le voir dans le point suivant, cet
acteur local n’assume pas seul les rôles de leader et de régulateur des pratiques pédagogiques.
Un autre élément à relever est celui de la posture des enseignants face aux nouvelles pratiques
promues. De manière récurrente, il ressort de notre matériau que les enseignants veulent « voir »
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 17
avant de croire. Ils apprécient aussi de « voir faire » avant de mettre en œuvre de telles pratiques, et
ne croiront que s’ils ont eux-mêmes (elles-mêmes) pu les expérimenter. Cette attitude très proche
d’une approche pédagogique « learning by doing » est récurrente dans les propositions et demandes
des enseignants ainsi que dans la manière de transférer des pratiques au sein de l’établissement : il
n’est pas rare d’entendre que les horaires de l’école ont été aménagés pour organiser des séances
d’observation réciproques de pratiques pédagogiques (« J’aimerais aller voir comment faire de la
différenciation dans une autre école, dit une enseignante de Ste-Cécile. Après, je me déciderai »).
Quant aux outils, ils sont principalement de deux sortes : des ressources méthodologiques et des
jeux présentés en « kit pédagogique » mis à la disposition des équipes sur le site Internet et exploités
lors de la formation initiale. Concernant les pistes méthodologiques, les réponses au questionnaire
indiquent que les enseignants en connaissent particulièrement trois : « L’entrée dans l’écrit à l’école
maternelle » (60%), « L’entrée dans les mathématiques à l’école maternelle » (53%) et
« L’apprentissage de la lecture en 1ère et 2ème années primaires » (50%). Les documents relatifs aux
pratiques différenciées, aux outils diagnostiques et à la remédiation ainsi qu’à l’enseignement aux
élèves avec troubles d’apprentissage sont inconnus d’une grande partie des enseignants interrogés :
seulement 20% des enseignants les consultent souvent à très souvent et entre 21% et 39% des
directions affirment connaître ces documents. Quant aux outils du « kit pédagogique », ceux-ci sont
connus par 78,7% des enseignants et régulièrement utilisés par 61,7% d’entre eux.
Au-delà des déclarations des enseignants ayant répondu au questionnaire sur l’utilisation de ces
outils, l’analyse qualitative de nos observations de terrain nous amène à souligner l’importance de
ces outils au-delà du projet didactique qu’ils incorporent (les modalités spécifiques d’enseignement
qu’un outil suggère). En effet, nous avons constaté, dans quatre cas, que l’outil pédagogique pouvait
être considéré comme un artéfact, c'est-à-dire comme un instrument agissant sur le travail
enseignant, au-delà des fins qui lui sont a priori attribuées. Dans le processus d’appropriation d’un
outil, celui-ci peut influencer positivement plusieurs dimensions constitutives d’un travail
collaboratif : la participation, la centralité des objets traités, la qualité de l’argumentation. C’est le
cas notamment à l’école Sainte-Agathe où le processus d’élaboration d’un « carnet de l’élève »
(forme de P.I.A.9) a renforcé l’interdépendance entre les enseignantes (« On a besoin d’être à
plusieurs pour discuter et rédiger le carnet. Il faudrait vraiment qu’on ait ce temps où on rédige
ensemble parce que tout seul, ça n’émerge pas ») et a amené les enseignantes à discuter d’objets
centraux, c'est-à-dire centrés sur des pratiques de classe (« D’après vous, qu’est-ce que je pourrais
mettre en place pour lui ? »). La place des outils dans une réforme telle que « Décolâge ! » et
l’importance qui y est accordée se doivent donc d’être considérées avec attention. Nous avons
cependant constaté que l’effet structurant des outils n’est pas automatique s’il n’est pas
accompagné de l’action d’orientation des conversations ou des actions de la part d’un référent
pédagogique légitime (direction, conseiller pédagogique ou enseignant). De même, on a l’impression
que l’outil aide ces référents à orienter les conversations ou les actions sur des aspects
pédagogiques, notamment lorsque celles-ci ont tendance à se focaliser sur des cas particuliers ou des
objets non pertinents.
Concernant une dernière ressource, à savoir les journées d’échange organisées par la Fondation Roi
Baudouin (FRB), ils ne sont que 2% des enseignants de notre échantillon à y avoir participé. Cette
formation consacrée aux relations école-familles précarisées a pourtant rencontré un vif intérêt de la
part des personnes interrogées lors des entretiens semi-directifs préalables à l’analyse de cas
9 Plan individuel d’apprentissage
d’école. La concurrence avec d’autres formations et le caractère sélectif de la formation a sans doute
freiné la participation des écoles. D’autres formations IFC – associées en cours d’année 2013 à «
Décolâge ! » - ont été suivies par les enseignants (15% des enseignants ayant répondu au
questionnaire). En ce qui concerne les dispositifs de formation tels que Travcoll ou le dispositif de
compagnonnage, nous n’en avons pas rencontré. Il est intéressant de relever que certains pouvoirs
organisateurs organisent dans le cadre de leurs compétences des dispositifs similaires de partage de
pratiques entre équipes d’écoles de leur réseau (Les-colombes).
2.2. Les processus socio-organisationnels
Le matériau récolté pendant plus d’un an lors de nos études de cas nous permet à présent d’analyser
comment « Décolâge ! » a évolué au sein des écoles en accordant une attention particulière aux trois
variables organisationnelles de notre schéma de recherche, à savoir la régulation des pratiques
pédagogiques, le leadership pédagogique et les caractéristiques du travail collaboratif.
2.2.1. Les trajectoires de « Décolâge ! » dans les écoles
Afin de présenter nos résultats de façon comparative, nous avons ciblé deux types de trajectoires de
«Décolâge ! » dans les écoles : soit « Décolâge ! » est « approprié » par l’équipe et se transforme au
sein de l’école ; soit « Décolâge ! » emprunte une trajectoire alternative.
2.2.1.1. Appropriation de « Décolâge ! » par l’équipe éducative
En référence à nos cadres théoriques concernant l’innovation (Alter, 2000), nous classons dans ce cas
de figure les écoles où l’ensemble de l’équipe éducative s’est « approprié » le projet « Décolâge ! »,
c'est-à-dire où «Décolâge ! », une invention (nouveauté introduite par des acteurs locaux ou
importée de l’extérieur), s’est transformé en fonction du contexte organisationnel, des
représentations et des rapports de force entre les acteurs ; où une nouvelle rationalité s’est
construite favorisant le transfert de cette invention et la transformation des pratiques (Alter 2000). A
ce titre, le changement s’apparente à des innovations ordinaires et dépend des appropriations
successives et quotidiennes que les acteurs opèrent collectivement. Il passe par un processus de
traduction entraînant des processus de problématisation collective, d’enrôlement et
d’intéressement. Il se manifeste par la création de « réseaux sociotechniques » composés d’acteurs
et d’actants internes et externes à l’organisation réunis autour d’un objet d’intérêt commun (Callon,
1986 ; Latour, 1989).
Au-delà du caractère collectif des innovations, nous classons dans ce cas de figure, les écoles où ces
innovations prennent un caractère organisationnel et sont instituées, au-delà de la bonne volonté de
quelques personnes.
Ce processus d’appropriation, observé dans quatre cas d’école a pris des formes diverses (Ste-
Agathe, Les-pinsons, St-Hilaire, St-Estèphe)10. Ste-Agathe a travaillé en profondeur un dispositif
personnalisé de P.I.A. appelé « carnet de l’élève » ; à l’école Les-pinsons, l’invention de jeux a donné
lieu à des ateliers dans les différentes implantations et cycles. Au cours de l’année, l’organisation
d’ateliers de différenciation en classe ou interclasses s’est multiplié selon l’adage de la direction
« chacun à son rythme » ; à St-Estèphe, « Décolâge! » a pris également la forme d’ateliers organisés
10
Nous rappelons que la description détaillée de ces cas est disponible dans le document « Partie II : dix monographies d’écoles participant à « Décolâge ! » ».
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 19
au cycle 5-8 associés à la mise en œuvre d’une méthodologie d’apprentissage de la lecture incluant
les ressources « Décolâge! » ainsi qu’à un dispositif de suivi des élèves à travers des P.I.A. et à une
évaluation en lecture réalisée par la direction. A St-Hilaire, « Décolâge ! » a été intégré à un ensemble
de dispositifs déjà présents dans l’école.
Si l’on regarde avec attention nos trois variables organisationnelles dans ces établissements, nous
constatons que la régulation des pratiques pédagogiques y est généralement forte (3 écoles sur 4) :
l’orientation des pratiques prend la forme de formations internes, de conseils, voire d’observations
(bienveillantes) de classe (celle-ci est bienvenue – « Ça aide d’avoir son avis », nous dit une
enseignante de l’école Les-pinsons). Une certaine standardisation des pratiques est perceptible. Par
exemple, à l’école St-Estèphe, les couleurs des cahiers ont été uniformisées de la première
maternelle à la sixième primaire selon leur fonction (communication, exercice, synthèse…).
L’innovation est soutenue par un renforcement des compétences (outils, méthodologie) et un
accompagnement affectif « pour rassurer ».
Si la direction reste une personne-clé dans la régulation des pratiques, celle-ci est assurée par une
pluralité d’acteurs. En effet, à l’école Les-pinsons, à St-Hilaire et à St-Estèphe, la direction est
soutenue dans cette mission par des personnes en interne (certains enseignants, membres du
pouvoir organisateur…) et des personnes externes (conseiller pédagogique, maman d’élève
formatrice en différenciation, expert en apprentissage). Nous tenons à souligner que la multiplicité
des « référents pédagogiques » semble un élément prenant part au processus d’appropriation de «
Décolâge ! » dans les écoles. Dans la plupart des écoles de l’échantillon, les directions attachent
également une attention particulière à se saisir des ressources (outils, personnes, compétences) pour
répondre aux problématiques traitées dans l’établissement. Dans les écoles où se développe «
Décolâge ! », nous avons l’impression qu’elles veillent en particulier à rassembler et établir des liens
entre ces référents et ces ressources. Cette volonté de créer ce que nous appellerions, en référence à
nos cadres théoriques, des réseaux sociotechniques (Callon, 1986, Latour, 1989) est parfois
exprimée explicitement : à St-Estèphe, la direction a illustré l’ensemble des actions menées sous
forme de schéma en toile d’araignée où sont mentionnés les outils, les méthodes développées et les
personnes-ressources.
Dans l’enquête par questionnaire, les enseignants (N=254) déclarent recevoir rarement des
orientations pédagogiques (mode = 2)11 si ce n’est de la part d’un conseiller pédagogique (mode =4)
ou lors d’une formation (mode =4). Pourtant les directions affirment fournir régulièrement des idées
(mode = 4), conseiller parfois les enseignants à propos de la manière d’enseigner (mode =3) mais
rarement observer un enseignant en classe (mode =2). Les enseignants semblent à la fois ressentir
une pression à la standardisation des pratiques (mode = 4) et un soutien à l’innovation (mode =4). Ils
et elles s’accordent sur le fait de disposer d’une grande autonomie dans leurs pratiques (mode =6).
Par rapport à ces résultats, il nous semble que dans les écoles où se développe « Décolâge ! »,
l’orientation pédagogique exercée par la direction ou par des référents pédagogiques internes ou
externes à l’école est plus prégnante. Celle-ci contribue également à une mise en cohérence des
pratiques pédagogiques au sein du cycle ou de l’établissement et dès lors à une pression vers une
homogénéisation des pratiques, sans pour autant parler de standardisation.
11
Nous rappelons que les réponses aux échelles comprennent 6 modalités de fréquence ou d’accord. Le détail des résultats de l’enquête est disponible dans le document « Partie III : enquête par questionnaire ».
Concernant le leadership pédagogique, un constat intéressant réside dans le fait que le leadership
n’est pas indispensablement porté par la direction pour qu’un processus d’appropriation apparaisse.
A l’école St-Estèphe ou à l’école Les-pinsons, la direction exerce une influence active sur les pratiques
pédagogiques, mais dans d’autres établissements, la situation est différente. En effet, la direction de
Ste-Agathe est peu présente. D’une certaine manière elle « délègue » à une enseignante de l’équipe
le soin de stimuler la réflexion pédagogique au sein de l’établissement. De même, le partage du
leadership entre direction et enseignants s’observe particulièrement à St-Hilaire. La direction, dans
tous les cas, fait part explicitement des relais dont elle dispose et sur lesquels elle se repose au sein
de l’équipe : des enseignants disposant généralement d’une certaine compétence et légitimité au
sein de l’équipe. A St-Hilaire et à Ste-Agathe, les enseignants-relais sont également enseignants en
haute école ou effectuent une formation pédagogique complémentaire. A l’école Les-pinsons, une
enseignante fait partie d’un réseau international d’enseignants de pédagogie active ; une autre fait
état de son expérience dans une école d’une commune à indice socioéconomique faible («J’ai fait
mes classes dans un quartier défavorisés de Bruxelles »). A St-Estèphe, « c’est une enseignante qui a
une réflexion intéressante (…) et fait réfléchir les autres », comme la caractérise la direction. Ce
constat a déjà été souligné par de multiples recherches en éducation (Spillane et al., 2001 & 2004 ;
Camburn et al., 2003 ; Gronn, 2003). Le leadership n’est pas uniquement incarné par la personne qui
assure la direction formellement, il est envisagé dans sa dimension distribuée, c’est-à-dire comme le
produit d’interactions entre les actions de la personne censée incarner le leadership et les actions de
ceux et celles qui y contribuent informellement dans un contexte particulier. A ce titre, les objets
concrets (valves, agenda, TIC …) et symboliques (estrade, costume…), les méthodologies employées
ainsi que l’organisation (lieux et temps) participent également au leadership en tant qu’artéfacts
balisant le travail des équipes.
Ces innovations ont, pour la plupart, eu cours lors de moments de travail collaboratif intenses et
ouverts. Concernant le climat, les échanges sont généralisés et francs. En général (dans trois cas sur
quatre), ces moments sont organisés et animés par la direction. A l’école St-Estèphe ou à l’école Les-
pinsons, les directions sollicitent la participation de tous aux conversations et veillent à la centralité
des objets traités. Elles interviennent notamment lorsque certains enseignants restent en retrait,
lorsque les conversations se focalisent sur des constats de cas particuliers et lorsqu’elles se
transforment en « procès » de la société.
L’enquête par questionnaire auprès des enseignants (N = 254) confirme qu’en général, les réunions
sont organisées dans un climat de confiance (mode = 5) 12, que les échanges sont généralisés et, dans
une moindre mesure, qu’ils témoignent d’une certaine franchise et controverse (Moy. = 4,88), sur
une échelle d’accord en 6 positions). Les enseignants de l’enquête déclarent également travailler
majoritairement sur des objets centraux traitant des moments d’enseignement et d’apprentissage.
Par contre, ils et elles n’hésitent pas à affirmer « que chacun est libre d’agir comme il l’entend quelle
que soit la décision prise collectivement » (Moy. = 4,65) et révèlent par-là la faible interdépendance
dans leurs pratiques. En contraste, dans les écoles où se développent des dispositifs en lien avec «
Décolâge ! », nous observons une interdépendance manifeste dans les décisions prises par les
enseignants. Dans certains cas, cette interdépendance dépasse le lieu de la réunion et les engage à
en tenir compte dans leurs pratiques de classe.
12
Nous rappelons que les réponses aux échelles comprennent 6 modalités de fréquence ou d’accord. Le détail des résultats de l’enquête est disponible dans le document « Partie III : enquête par questionnaire ».
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 21
2.2.1.2. Trajectoires alternatives de « Décolâge ! » au sein de l’établissement
scolaire
Dans cet ensemble d’écoles, nous avons repris les établissements où « Décolâge ! » se développe de
façon restreinte dans le temps (Les-colombes, La-campagne, Ecole du-centre, Van Gogh, Ste-Julie) ou
dans l’équipe pédagogique (Ste-Cécile). Dans ces équipes, il n’y a pas de véritable appropriation
collective de « Décolâge ! » et le projet est dès lors soit porté uniquement par un nombre restreint
d’acteurs, soit en arrêt temporaire (« stand-by ») ou définitivement arrêté. Cela ne signifie pas que
les chercheurs n’ont pas identifié des traces de changement des représentations ou de pratiques
pédagogiques dans ces établissements mais que ces changements ne semblent pas se développer de
façon durable.
Lorsque « Décolâge ! » n’est plus poursuivi après un certain temps, cet arrêt peut s’expliquer par des
facteurs environnementaux : à l’école Vincent-Van-Gogh et à l’école Ste-Julie, le changement de
direction a marqué l’arrêt des activités liées à « Décolâge ! ». Si, à l’école Vincent-Van-Gogh, une
enseignante poursuit pourtant des activités de différenciation, cette initiative individuelle ne peut
pas être considérée comme une appropriation collective de « Décolâge ! ». A l’école La-campagne, «
Décolâge ! » est en « stand-by » depuis un an parce que des acteurs-partenaires (conseiller
pédagogique, agents PMS) changent de fonction ainsi que des collègues-directeurs du même pouvoir
organisateur.
Cet arrêt peut aussi survenir lorsque « Décolâge ! » ne répond pas ou plus aux attentes des directions
ou des enseignants. A l’école Les-colombes, l’inspection a changé la priorité des actions des écoles de
la commune. Après avoir introduit des actions liées à « Décolâge ! », elle a mis l’accent sur la
recherche de conformité des enseignements aux évaluations externes. Une institutrice nous a
confié : « Nous avons réalisé des jeux, on les a testés en classe. Maintenant, l’inspectrice veut que
l’on travaille sur les évaluations externes. » L’action de la hiérarchie (direction, PO) semble ici
décisive.
La déception exprimée à l’encontre de la formation de base, lorsque celle-ci ne correspondait pas
suffisamment aux besoins des enseignants, a sans doute également joué un rôle. Dans plusieurs
écoles de l’échantillon, les enseignants ont exprimé le manque d’orientation pédagogique claire. A
l’école Les-colombes, une enseignante a déclaré : « Nous ne savons pas exactement ce que l’on doit
faire ». Cependant, ce constat ne peut expliquer l’arrêt de « Décolâge ! ». Dans les écoles où «
Décolâge ! » s’est développé, le désarroi face au manque d’orientation pédagogique a aussi été
exprimé (« Nous n’y avons rien appris de nouveau », nous a confié la direction de St-Estèphe). Par
contre, dans ce cas de figure, la formation de base constituait une ressource parmi d’autres : d’autres
ressources (guides-pistes, formation, conseiller pédagogique) ont été mobilisées.
L’analyse des variables organisationnelles prioritaires de cette recherche laisse apparaitre que
l’absence de référents pédagogiques (conseiller pédagogique, direction, projet pédagogique)
orientant substantiellement les actions des enseignants ne peut expliquer à elle seule l’arrêt de «
Décolâge ! » dans ces cas. Si dans un cas, nous n’avons pas pu identifier un référent pédagogique
probant, dans les autres cas, l’école dispose de référents pédagogiques (direction, PO) exerçant une
orientation pédagogique effective. Cependant, leur action est assez isolée. Par exemple, à l’école Les-
colombes, des journées de partage de pratiques – proches des principes de compagnonnage - sont
organisées par un membre du PO. Un expert en différenciation reconnu – cité par ailleurs par les
pilotes de « Décolâge ! » - a donné une formation auprès de l’équipe. Lors de l’entretien avec
l’équipe enseignante, ces interventions et ressources de « Décolâge! » ne sont pas évoquées. Les
enseignants se plaignent d’ailleurs de ne pas avoir reçu une orientation pédagogique suffisante sur
l’usage des jeux. Au même moment, la direction, présente à la réunion, reste en retrait, photocopie
et distribue les guides « pistes ». A aucun moment, le lien entre les intervenants, les pistes et les jeux
n’est établi. La présence de référents pédagogiques au sein de l’établissement pour que l’équipe
s’approprie le projet « Décolâge ! » semble nécessaire mais non suffisante. Comme nous l’avons vu
dans les cas où « Décolâge ! » se développe, la multiplicité des référents pédagogiques et leur mise
en réseaux semblent être un élément décisif.
De même, l’analyse du leadership pédagogique dans ces écoles tend à confirmer les observations
faites dans les cas où « Décolâge ! » témoigne d’un développement organisationnel. Nous constatons
également ici un partage du leadership pédagogique. Cependant, ces différents leaders ne semblent
pas « mis en réseau ». Ils agissent indépendamment les uns des autres, sans apparaitre aux yeux des
enseignants comme travaillant au même projet. De plus, dans certains cas, certains leaders
manquent de légitimité, ce qui les empêche d’exercer efficacement ce rôle. C’est la position délicate
qu’occupent certains enseignants, expert(e)s reconnu(e)s en différenciation à l’extérieur de leur
école mais peu légitimes aux yeux de leurs collègues.
Nous constatons également que le travail collaboratif prend des allures variables tant sur des critères
de participation que de centralité des objets traités. Nous avons assisté à des réunions où d’une part,
des enseignants partageaient intimement des questions de classe (travail sur les consignes, ateliers,
échange d’élèves) et où d’autre part, d’autres enseignants traitaient de sujets personnels. Certains
enseignants nous ont fait part de leur frustration de « ne pas pouvoir aller au fond des questions »
traitées et d’un manque de régulation du travail collaboratif à cet effet.
Dans ce panorama, l’école Ste-Cécile présente un profil particulier de développement restreint de «
Décolâge !», non pas dans le temps mais dans l’équipe pédagogique. En effet, un clivage apparaît
entre d’une part, les membres de l’équipe qui s’approprient le projet « Décolâge ! » soutenu par la
direction et des conseillers pédagogiques associés, et d’autre part, des enseignants dont la
réputation est de freiner toute innovation. Une enseignante développe de manière isolée une classe
5-8 dans un bâtiment de l’établissement indépendamment des autres enseignantes du 5-8. Par
ailleurs, des pratiques de différenciation en lien avec le programme « Décolâge ! » se développent
(ateliers) dans les cycles 8-10 ans indépendamment des autres initiatives. Ce cas nous permet de
mettre en exergue deux éléments qui apparaissent comme des conditions de diffusion
d’innovations : la composition et la stabilité des équipes pédagogiques. Dans cette école, les
enseignantes taxées d’individualisme nous ont fait part de leur inquiétude face à la pression aux
pratiques de différenciation. Pour celles-ci, ces méthodes mettent à mal les missions d’enseignement
auxquels elles s’identifient : « faire travailler les élèves en autonomie, est-ce encore enseigner ? »
s’interroge une enseignante de Ste-Cécile. Si l’introduction de nouvelles méthodologies provoque
également de l’émoi chez les enseignants des écoles où « Décolâge ! » est approprié (« angoisse de
ne pas tout contrôler » dont nous fait part une enseignante de l’école Les-pinsons), dans ces écoles,
le changement est accompagné, notamment par les directions qui exercent un travail de
renforcement du sentiment de compétence de l’équipe proche de celui décrit dans un modèle de
leadership transformationnel (Bass, 1999).
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 23
2.2.2. Profils d’entrée et trajectoires de « Décolâge! »
Nous avons croisé les deux classifications, à savoir le contexte d’arrivée de « Décolâge ! » et la
trajectoire de «Décolâge ! » au sein de l’établissement. Pour rappel, trois cas de figure se sont
imposés pour l’entrée dans le projet : « Décolâge ! » représente une opportunité de mise en œuvre
d’un processus d’innovation ; «Décolâge! » s’inscrit dans un environnement innovant en phase avec
une culture d’innovation ; dans le troisième cas, « Décolâge ! » ne s’inscrit dans aucun processus
clairement identifié par les chercheurs. D’autre part, nous avons identifié deux types de trajectoires :
« Décolâge ! » est approprié par l’équipe ou « Décolâge ! » poursuit une trajectoire alternative. Nous
aboutissons au tableau suivant :
Tableau 2. Entrées et trajectoires de « Décolâge ! »
Arrivée de « Décolâge ! » dans un
éventuel processus de changement
local
Trajectoires de « Décolâge ! » dans l’école
Appropriation de «
Décolâge ! »
« Décolâge ! » poursuit
une trajectoire
alternative
« Décolâge ! » représente
l’opportunité de démarrer un
processus
Ste-Agathe
Les-pinsons
Les-colombes
Ste-Cécile
Vincent-Van-Gogh
« Décolâge ! » arrive en cours de
processus et s’inscrit dans une
continuité
St-Estèphe
St-Hilaire La-campagne
« Décolâge ! » ne s’inscrit dans aucun processus identifiable explicitement
Ecole du-centre
Ste-Julie
Remarquons tout d’abord que le type d’arrivée « opportunité » ou « continuité » ne permet pas de
distinguer la trajectoire de « Décolâge ! » dans l’école puisqu’on retrouve les deux types de
trajectoires dans chacun des profils. Par contre, quand on observe le troisième type d’arrivée
(« Décolâge ! » ne s’inscrit dans aucun processus explicite), nous remarquons que le projet ne fait
ensuite pas l’objet d’un processus d’appropriation. Dans ces cas, « Décolâge ! » se limite souvent à
l’activité de la formation de base organisée par l’IFC et l’application des outils sous forme de test,
même si cette formation est appréciée des enseignants. L’inexistence d’une appropriation dans ce
cas concorde avec les théories sociologiques de l’innovation qui considèrent que la première étape
d’une innovation réside dans un processus de problématisation (processus de construction de sens et
d’interrogation des acteurs). Il semble donc favorable, voire indispensable, qu’un processus de
sensibilisation ait été activé au sein de l’établissement scolaire avant l’entrée en contact de l’école
avec un projet tel que « Décolâge ! » pour qu’un processus de problématisation et d’appropriation
ait lieu. Les dispositifs de sensibilisation prévus par « Décolâge ! » (matinées d’information et de
partage) et de formation (IFC) ne semblent pas suffisants pour initier cette première étape de
problématisation et de construction d’un intérêt collectif pour le changement. Parmi les cas d’école
où l’appropriation de « Décolâge! » est limitée, nous avons identifié, au-delà des conditions
organisationnelles (stabilité d’équipe ou de la direction, environnement), des problèmes
d’agencement (Rowan et al., 2004) qui prennent origine dans un décalage dans la compréhension
mutuelle des principes d’enseignement et des objectifs de "Décolâge!" (Les-colombes, Vincent-Van-
Gogh, Ste-Cécile) et dans l’aversion à la prise de risque exprimée par les enseignants (Ste-Cécile).
Nous constatons par contre que les acteurs s’identifient différemment à « Décolâge ! » suivant qu’ils
l’ont saisi comme une opportunité ou une continuité. Dans le premier cas, les acteurs s’identifient à «
Décolâge ! » (« Oui, on fait partie de la communauté « Décolâge ! » ») qui est synonyme d’un
mouvement de changement. Les dispositifs de sensibilisation peuvent alors avoir un effet de
renforcement auprès des acteurs (« il y a eu un déclic. J’ai pu mettre des mots sur mes intuitions »,
nous dit une directrice). Dans le second cas (continuité), on observe généralement un projet
pédagogique fortement orientant ou une identité d’établissement très marquée (par exemple, des
établissements en encadrement différencié) en accord avec les principes de «Décolâge ! »). L’analyse
des discours montre que dans ce cas, les acteurs attribuent peu leurs pratiques pédagogiques
nouvelles au projet. Un enseignant de St-Hilaire nous disait : « Oui, on est dans « Décolâge ! » mais
ce n’est pas grâce à « Décolâge ! ». On est déjà bien plus loin que ce qu’ils ont proposé à la
formation ». Dans ces écoles, « Décolâge ! » est absorbé et intégré par nombre d’autres formations
et dispositifs particuliers qui ont forgé et forgent encore l’identité de l’établissement.
Conclusion
L’analyse de la réforme « Décolâge! » et des intentions des pilotes de « Décolâge ! » (section 1) a mis
en évidence un ensemble d’indices qui nous permettent de statuer sur une approche professionnelle
de la mise en œuvre de « Décolâge ! ». Au terme de cette section consacrée à l’appropriation de la
réforme en établissement scolaire, nous avons tendance à penser que la manière dont les acteurs
locaux reçoivent cette réforme correspond plutôt à une approche culturelle13 de « Décolâge ! ».
Cette approche passe essentiellement par la promotion de valeurs et de principes qui fondent la
réforme et par l’importante autonomie octroyée aux équipes de manière à ce qu’elles adaptent les
recommandations à leur contexte local. L’analyse des cas montre cette double dimension : les
équipes de « Décolâge ! » identifient les principes de « Décolâge ! » et, lorsque ces principes
répondent à leurs convictions ou besoins, elles les adoptent et les transforment en dispositifs
adaptés aux particularités locales. Enfin, le faible degré d’orientation pédagogique perçu par les
enseignants - notamment lorsqu’ils se plaignent de « ne pas savoir que faire » à la suite des
formations et des activités « Décolâge ! » - constitue un indicateur supplémentaire d’une approche
culturelle.
L’analyse comparative des dix écoles a montré que « Décolâge ! » fait l’objet d’un processus
d’appropriation par les enseignants dans les écoles qui ont un lien identitaire (Draelants et Dumay,
2011) ou historique fort avec les principes prônés par le projet au point d’assimiler « Décolâge ! » aux
projets pédagogiques propres à l’établissement.
Les cas les plus intéressants sont sans doute ceux où « Décolâge ! » a suscité un processus de
problématisation : celles où le projet est perçu comme une opportunité. Dans ces écoles, et en
particulier dans les écoles où « Décolâge ! » a été approprié par l’équipe enseignante, la conjonction
de trois processus semble faire la différence : l’action stimulante et structurante de ressources – en
particulier d’outils – et d’acteurs de référence, un travail collaboratif intense et une orientation
pédagogique importante. Ces trois processus agissent conjointement sur l’interdépendance des
enseignants et sur la régulation des pratiques amenant la mise en œuvre d’innovations, leur
13
L’approche culturelle « consiste à orienter les pratiques enseignants à travers la promotion d’un idéal, de valeurs et de normes liées au projet scolaire et à la qualité de l’enseignement. […] Le but est davantage de favoriser la cohérence et l’adoption des valeurs que véhiculent les programmes et réformes que de diffuser des pratiques et des modes de travail spécifiques. » (Letor, Enthoven, Dupriez, 2013a).
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 25
adoption et une homogénéisation plus importante dans les pratiques : des dispositifs sont adoptés
progressivement moyennant des adaptations par l’ensemble de l’équipe.
La direction joue un rôle indéniable dans la mobilisation de ressources et d’acteurs (internes et
externes à l’établissement scolaire) et dans leur mise en réseaux. Le leadership pédagogique que la
direction exerce est partagé : dans ces écoles, il est relayé par des personnes ressources (internes tel
un enseignant ou externes tel un conseiller pédagogique ou un expert) dont la légitimité au sein de
l’équipe est acquise. D’une certaine façon, les directions jouent le rôle d’orientation pédagogique
rapproché que les acteurs ne reçoivent pas (suffisamment) de la part du niveau intermédiaire et
central. A cet égard, certaines directions nous ont confié se sentir parfois « lâchées » et avoir surtout
l’impression que le projet repose essentiellement « sur leurs épaules ». Comme nous l’avons souligné
en fin de section 1, aucune activité ni outil n’est prévue pour les former et les soutenir dans ce rôle
de facilitateur du changement.
3. EFFETS ATTENDUS DE « DÉCOLÂGE ! » SUR LES
REPRÉSENTATIONS ET LES PRATIQUES
Introduction
Une question-clé au cœur de cette recherche concerne les changements de représentations et de
pratiques pédagogiques des enseignants inscrits dans « Décolâge ! ».
Dans la section précédente, nous avons présenté la manière dont les enseignants et les directions se
sont approprié « Décolâge ! » à travers des indices de participation aux activités organisées et à
travers l’usage des ressources proposées dans ce cadre. Dans cette troisième section, nous
présentons les résultats concernant les effets attendus de « Décolâge ! » à partir des données
recueillies par questionnaire. Dans un premier temps, nous présentons les principales données
relatives à ces variables dépendantes : les représentations concernant la différenciation de pratiques,
les pratiques (déclarées) de différenciation, la valence de «Décolâge ! » aux yeux des enseignants,
leurs croyances à propos du redoublement et le sentiment d’efficacité du travail collaboratif.
Ensuite, nous évaluons dans quelle mesure ces représentations et pratiques déclarées des
enseignants peuvent être prédites à partir des caractéristiques individuelles des enseignants, de leur
participation à « Décolâge ! » et des caractéristiques organisationnelles perçues par les enseignants.
3.1. Principaux résultats
3.1.1. Les effets attendus de « Décolâge ! »
Avant de considérer les hypothèses de la recherche, nous examinons de manière essentiellement
descriptive les représentations et les pratiques des enseignants ainsi que les changements qu’ils
perçoivent à leur propos.
3.1.1.1. Les représentations concernant la différenciation de pratiques, la valence de
« Décolâge! » et les croyances concernant le redoublement
La plupart des enseignants participant à « Décolâge ! » adhèrent au principe du projet (valence de
« Décolâge ») tel qu’il a été défini par les pilotes : « Décolâge! » vise à développer une démarche de
diagnostic qui situe les élèves par rapport à leurs acquis. Pour 88,6%14 des enseignants, une telle
démarche est importante et augmente les chances de réussite des élèves. Par contre, ils sont moins
affirmatifs quant à la possibilité de développer de telles pratiques dans leur contexte (seuls 19,3%
des enseignants sont tout à fait d’accord).
« Décolâge ! » vise à réduire le redoublement. Sur la base d’un questionnaire sur les représentations
des enseignants à propos des bénéfices du redoublement (Lafontaine et al., 2011), nous constatons
que les enseignants ayant répondu à notre questionnaire sont favorables au redoublement. Ils
affirment à 64,4% que le redoublement est nécessaire si les compétences ne sont pas acquises et, à
14
Hormis les données relatives à la participation au projet « Décolâge ! » et les informations personnelles et professionnelles, toutes les variables exploitées dans cette partie ont été construites à partir d’échelles de Likert en 6 positions : des échelles d’accord (1= pas du tout d’accord à 6=tout-à fait d’accord) ou de fréquence (1= jamais, 2= rarement ou quelques fois par an, 3= parfois ou quelques fois par trimestre, 4= régulièrement ou quelques fois par mois, 5=souvent ou quelques fois par semaine, 6= au quotidien) . Dans cette partie du rapport, nous présentons les données en rassemblant les réponses plutôt « favorables » ou « fréquentes » (réponses 4, 5, 6) ou « défavorables » (1, 2, 3) ou « peu fréquentes ». Le détail des réponses est disponible dans la partie III (Résultats de l’enquête par questionnaire).
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 27
61,0% qu’il est bénéfique pour la scolarité ultérieure des élèves en difficulté. Dans une moindre
mesure, ils considèrent que le redoublement permet d’acquérir des bases solides (54%) et permet à
l’enfant d’évoluer à son rythme (52,1%). Ils sont partagés quant à son efficacité (50,8%) et sur le fait
que les actions des enseignants aient peu d’impact sur l’échec : « Même en s’y prenant bien,
l’enseignant ne peut l’éviter » (54,3%) ; « il est inutile si on collabore entre enseignants (45,9%) ».
Enfin, il n’accroit pas les inégalités sociales aux yeux des enseignants (66,6%). Quant aux directions,
elles sont systématiquement moins favorables au redoublement que les enseignants.
Il est intéressant de comparer ces résultats avec les résultats obtenus, à partir des mêmes items,
auprès d’une population similaire (Lafontaine et al., 2011) : des enseignant de troisième année
préscolaire et de 1ère année primaire (N=719), provenant de 386 écoles, interrogés en Belgique
francophone en 2010. L’analyse des réponses des enseignants de l’échantillon de 2010 montre que
ceux-ci étaient davantage convaincus du bénéfice du redoublement que les enseignants de notre
enquête (254 enseignants provenant de 115 implantations, inscrits à « Décolâge ! » en 2014). Par
exemple, ils sont 86% en 2010 à trouver que « le redoublement est utile » et 57,8% dans l’enquête
actuelle. Pour 80% des enseignant(e)s en 2010, « on exagère le rôle négatif du redoublement » alors
qu’aujourd’hui ils sont 67,1% de l’échantillon actuel à le penser. Quant à la proposition « le
redoublement est négatif sur la confiance en soi », ils sont 10% en accord avec la proposition dans le
premier échantillon et 53,6% dans l’échantillon actuel. Ces résultats sont à interpréter avec prudence
au regard des différences dans la composition des échantillons et du contexte de recueil de données.
Ils fournissent toutefois quelques éléments de tendance intéressants. Si les convictions à propos des
bienfaits du redoublement semblent s’affaiblir, les enseignants restent globalement favorables au
recours au redoublement.
A la question « En général, quel est votre sentiment par rapport au fait de mettre en œuvre des
pratiques de différenciation en classe? » (représentations sur la différenciation de pratiques), les
enseignants répondent de manière plutôt favorable. Ils trouvent que différencier ses pratiques,
« c’est important » (98,8%) et que « cela augmente les chances de réussite de la plupart des élèves »
(96,4%). Ils émettent quelques nuances quant à l’efficacité de leur enseignement et le contexte dans
lequel ils travaillent : « ça augmente l’efficacité de mon enseignement » (89,3%) ou « c’est possible
dans mon contexte de travail » (87,0%). Ils sont plus sceptiques quant à l’idée que « ça me permet de
mieux avancer dans mon programme » (65,5%).
Pour les échelles de mesure relatives aux représentations et aux pratiques de différenciation, nous
avons demandé aux enseignants de se positionner deux fois : ce qu’ils pensent ou font aujourd’hui et
ce qu’ils auraient répondu deux ans auparavant.
Les différences observées dans les fréquences de réponses ont été traitées par des tests de
comparaison de moyenne. Celles-ci progressent de manière significative dans le sens attendu par «
Décolâge ! », même si ces différences sont ténues. Les différences sont significatives sur le score15
global à l’échelle sur la différenciation de pratiques également (t =-8,71***).
Quant aux pratiques de différenciation déclarées, les enseignants affirment y avoir recours
fréquemment (de « mensuellement » à « quotidiennement »). Nous remarquons à la lecture des
réponses que, pour les enseignants, développer des pratiques différenciées n’est pas incompatible
15
Un indice global de représentations favorables aux pratiques de pédagogie différenciée a été créé pour chacune des échelles (aujourd’hui-il y a deux ans) à partir du facteur extrait par analyse factorielle en composantes principales, calculé sur les deux échelles fusionnées (aujourd’hui et il y a deux ans). Le facteur retenu explique 44 % de la variance et nous observons un bon indice de consistance interne (α de Cronbach = 0,82).
avec le fait de développer des pratiques homogènes. En effet, ils affirment simultanément proposer
fréquemment des tâches différentes pour une même activité (93,1%) et préparer fréquemment la
même activité pour tous les élèves (95,6%). De même, ce qui est intéressant est la différence que les
enseignants manifestent dans leurs réponses entre les pratiques qu’ils déclarent appliquer
aujourd’hui et celles qu’ils déclarent avoir appliquées il y a deux ans. Relevons à ce propos queles
pratiques de différenciation dans l’évaluation ont moins évolué que les pratiques d’enseignement en
classe. Les différences entre les pratiques aujourd’hui et celles d’hier sont toutefois significatives
pour tous les items, y compris sur le score global à l’échelle16 de pratiques de différenciation (t=-
7,12***).
3.1.1.2. Le sentiment d’efficacité relatif au travail collaboratif
Comme pour les échelles sur les représentations et les pratiques de différenciation, nous avons
demandé aux enseignants de se positionner deux fois sur les items relatifs au sentiment d’efficacité
du travail collaboratif, considérant ces propositions aujourd’hui et en comparaison, les mêmes
situations il y a deux ans.
Les valeurs sont hautes concernant l’efficacité du travail collaboratif tel qu’il est perçu aujourd’hui et
tel qu’il était perçu auparavant. La comparaison des tendances actuelles avec les tendances
antérieures montre que l’ensemble des propositions révèlent une intensification des valeurs
proposées traduisant le fait que le travail collaboratif en cycle 5-8 est davantage perçu comme
efficace par les enseignants aujourd’hui et contribue davantage à l’amélioration des pratiques. Ce qui
augmente de manière remarquable dans l’appréciation des enseignants , c’est le sentiment que « le
travail collaboratif produit des connaissances communes entre les enseignants » (80,6% sont
d’accord avec la proposition aujourd’hui contre 65,7% il y a deux ans) et que « ces réunions sont
efficaces » (76% aujourd’hui contre 65,1% il y a deux ans) et ne sont donc pas « une perte de
temps » (75,1% aujourd’hui contre 68,1% il y a deux ans). Sa pertinence(le sens) se renforce
également (80,3% sont d’accord avec la proposition aujourd’hui contre 68,5% il y a deux ans). Par
contre, que « le travail collaboratif contribue à un esprit de solidarité » semble moins évident (64,6%
aujourd’hui contre 66,9% il y a deux ans). Ces différences sont toutes statistiquement significatives.
Les différences se traduisent également sur le score général17 à l’échelle (t=-5,87***).
3.1.2. L’analyse des variations au sein de l’échantillon
Conformément à nos hypothèses de recherche, nous avons ensuite tenté de prédire les réponses des
enseignants à cet ensemble de variables (pratiques déclarées et représentations) en prenant en
considération les caractéristiques individuelles des enseignants (leur âge, leur ancienneté et leur
statut), leur degré de participation à « Décolâge ! » (degré représenté par différents indices variant
de 0 à 1 en fonction de leur implication vis-à-vis de la formation, des activités de sensibilisation, des
jeux et des pistes didactiques) et leurs perceptions de la dynamique organisationnelle dans leur école
(leadership, régulation des pratiques pédagogiques et caractéristiques du travail collaboratif – climat,
participation, centralité des objets traités). Pour ces variables organisationnelles, des indicateurs ont
été créés à partir d’un score factoriel rendant compte de l’ensemble des items considérés.
16
Un indice global de pratiques de différenciation (déclarées) a été créé pour chacune des échelles (aujourd’hui-il y a deux ans) à partir du facteur extrait par analyse factorielle en composantes principales, calculé sur les deux échelles fusionnées (aujourd’hui et il y a deux ans). Le facteur retenu explique 38% de la variance et nous observons un bon indice de consistance interne (α de Cronbach = 0,81). 17
Un indice factoriel de sentiment d’efficacité du travail collaboratif a été créé par analyse factorielle en composantes principales, calculé sur les deux échelles fusionnées (aujourd’hui et il y a deux ans). Le facteur retenu explique 76% de la variance et un bon indice de consistance interne (α de Cronbach = 0,95).
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 29
Avant d’en venir aux analyses multivariées permettant de traiter ces hypothèses, nous rendons
compte ici des relations bivariées entre ces variables18.
3.1.2.1. Analyse des relations entre variables
Les représentations actuelles sur la différenciation de pratiques sont corrélées de manière faible
mais positive et significative avec la participation aux activités « Décolâge ! » : l’indice global sur les
représentations actuelles concernant la différenciation est lié avec l’indice global de participation à
des activités de sensibilisation et de formation (r=0,16**) mais les corrélations avec l’indice de
connaissance des jeux ou de lecture des « pistes » ne sont pas significatives.
Les pratiques actuelles de différenciation (telles qu’elles sont déclarées être pratiquées aujourd’hui)
sont corrélées de manière positive et significative avec la participation aux activités « Décolâge ! »
(r=0,29**) et avec la lecture des guides pédagogiques appelés communément « pistes » (r=0,18**).
Quant aux représentations sur le redoublement, elles sont liées notamment à l’usage des jeux
proposés par «Décolâge ! » (r=0,27**), la lecture des pistes (r=0,23**) et dans une moindre mesure
la participation aux activités organisées dans le cadre de « Décolâge ! » (r=0,18**). Au regard de
l’échelle construite, nous pouvons donc affirmer que les enseignants qui utilisent le plus les
ressources de « Décolâge ! » sont aussi les plus critiques à l’égard du redoublement.
Il est intéressant de remarquer que les différents indices de participation à « Décolâge ! » sont par
ailleurs corrélés entre eux : participer aux activités organisées dans le cadre de « Décolâge ! »
(journées de sensibilisation et de formation) est associé à l’usage des jeux proposés dans le kit
pédagogique (r=0,42**) et, dans une moindre mesure, avec la lecture des guides pédagogiques que
sont les « pistes » (r=0,22**). La lecture des « pistes » est corrélée avec l’usage des jeux (r=0,34**) et
avec la participation aux activités de sensibilisation et de formation (r=0,27**).
Quant aux facteurs socio-organisationnels, les représentations et les pratiques actuelles sont liées
également avec des facteurs de régulation locale des pratiques pédagogiques. Les représentations
actuelles sur la différenciation sont liées avec le climat de travail collaboratif (r=0,17*) et la
participation au travail collaboratif (r=0,19*). Elles le sont avec l’autonomie perçue par les
enseignants (r=0,31**) et faiblement avec la standardisation des pratiques (r=0,15*). L’orientation
pédagogique reçue par les enseignants (r=0,24**) y est également associée de manière faible. Du
côté des pratiques actuelles de différenciation, elles sont corrélées faiblement mais de manière
significative avec la centralité des objets traités en collaboration (r=0,14*) et l’autonomie que les
enseignants perçoivent avoir dans leur travail (r=0,20**).
Par contre, nous n’avons trouvé aucune relation significative entre les représentations et les
pratiques de différenciation actuelles d’une part, et d’autre part, des facteurs individuels et
professionnels comme l’âge, l’ancienneté dans le métier, le genre, les études poursuivies, le temps
de travail ou le statut.
L’analyse de ces corrélations tend à valider l’hypothèse selon laquelle la participation à « Décolâge !
» à travers les activités de formation et de sensibilisation, les outils et les jeux ainsi que les ouvrages
de référence est associée aux pratiques déclarées de différenciation et aux représentations relatives
au redoublement. Ces résultats montrent que l’usage d’un outil est lié à l’usage d’autres outils et
18
L’ensemble de tableaux de corrélations sont disponibles en dans le document « Partie III : enquête par questionnaire ».
laissent supposer que les enseignants en font un usage conjoint. De même, il semble que les
variables socio-organisationnelles, notamment l’orientation pédagogique et l’autonomie qui est
laissée aux enseignants, ne sont pas indépendantes des représentations et des pratiques de
différenciation actuelles.
3.1.2.2. Analyses multivariées
Dans le but d’appréhender globalement la relation entre les variables relatives à la participation à
« Décolâge ! » et les variables liées aux changements attendus, nous avons effectué une succession
de modèles de prédiction pour trois variables dépendantes qui sont au cœur des objectifs de
« Décolâge ! »: les représentations concernant la différenciation de pratiques, les croyances à propos
du redoublement et les pratiques déclarées de différenciation. Pour chacune des échelles, nous
avons calculé un score global (score factoriel). Après l’introduction d’un modèle de base (modèle 0)
où sont reprises uniquement les variables individuelles et professionnelles, nous avons introduit, par
blocs successifs, les variables qui traduisent la participation à « Décolâge ! » (modèle 1), les
représentations concernant la différenciation deux ans auparavant (modèle 2) et les variables socio-
organisationnelles (modèle 3).
Le tableau 3 rend compte d’une telle analyse pour la variable « Représentations actuelles concernant
la différenciation des pratiques ». Comme nous l’avions déjà constaté pour les analyses de
corrélation, il apparaît que les caractéristiques individuelles des enseignants ne sont pas en relation
avec la variable dépendante. Le modèle 1 montre ensuite une relation significative entre l’implication
dans les activités « Décolâge ! » et les représentations actuelles relatives à la différenciation. Il est
intéressant de constater que cette dernière relation persiste dans l’analyse (modèle 2) lorsque l’on y
introduit l’état des représentations sur la différenciation des pratiques deux ans auparavant.
L’introduction de cette variable rend le modèle plus pertinent puisqu’il passe de moins de 1% à 22%
de la variance expliquée. Enfin, les variables socio-organisationnelles sont introduites. Le modèle (3)
explique alors 29% de la variance. Les représentations actuelles relatives à la différenciation des
pratiques peuvent être prédites par les représentations sur ce même point deux ans plus tôt (c’est
d’ailleurs le prédicteur le plus puissant), par la participation des enseignants aux activités proposées
dans « Décolâge ! » mais aussi par l’intensité de l’orientation pédagogique. Cela signifie également
que la participation aux activités de sensibilisation et de formation et l’orientation pédagogique
contribuent au changement des représentations relatives à la différenciation.
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 31
Tableau 3 : Modèles prédictifs des représentations actuelles relatives à la différenciation des
pratiques
Modèles Modèle 0 Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3
A (Constante)
Var. individuelles.
Age Genre Ancienneté Statut Études complémentaires Temps de travail
ns ns ns ns ns ns
ns ns ns ns ns ns
ns ns ns ns ns ns
ns ns ns ns ns ns
Participation à « Décolâge ! »
Formation de base IFC Activités Jeux Pistes
------ ns ,226*
ns ns
ns ,237*
ns ns
ns ,218*
ns ns
T1 Représentations (2ans) ------ ------ ,469** ,429***
Travail collaboratif Régulation des pratiques pédagogiques
Climat Participation
----- ----- Ns ns
Orientation pédagogique Innovation Autonomie Standardisation
,159* ns ns ns
R2adj
-0,18 ,009 ,223 ,290
D19
,49 ns 1,14 ns 5,40** 4,10***
P<0,05* ; p<0,01** ; p<0,001*** (seules apparaissent dans le tableau les valeurs significatives)
Tableau 4 : Modèles prédictifs des pratiques actuelles (déclarées) de différenciation
Modèles Modèle 0 Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3
A (constante) ns ns ns ns Var. individuelles.
Age Genre Ancienneté Statut Études complémentaires Temps
ns ns ns ns ns
,151* ns
ns ns ns ns ns ns
ns ns ns ns ns ns
Participation à « Décolâge ! »
Formation de base IFC Activités Jeux Pistes
---- ns ,315***
ns ns
ns ,236**
ns ns
ns ,226**
ns ns
T1 Pratiques (2ans) ---- ----- ,573*** ,495*** Travail collaboratif Régulation des pratiques pédagogiques
Climat Participation
---- ----- ----- ns ns
Orientation pédagogique Innovation Autonomie Standardisation
ns ns ns ns
R2adj ,000 ,10 ,38 ,37 D 1,1 ns 2,99** 9,5*** 5,8***
P<0,05* ; p<0,01** ; p<0,001*** (seules apparaissent dans le tableau les valeurs significatives)
Suivant la même logique de traitement, nous avons examiné les variables qui sont en relation avec
les pratiques de différenciation actuelles (tableau 4). La lecture du tableau 4 montre que la
participation aux activités est ici aussi une variable significative. Cette variable reste significative
lorsque l’on introduit les pratiques antérieures déclarées. Le modèle passe alors de 10% de la
variance expliquée à 38%. Celles-ci constituent donc une variable prédictive importante des
19
L’indice D rend compte du test de Fischer appliqué sur le modèle. Un indice D significatif traduit en quelque sorte la
validité du modèle pour expliquer la variable dépendante.
pratiques actuelles. Néanmoins, la participation aux activités de sensibilisation et de formation
contribue aux changements de pratiques.
Tableau 5 : Modèles prédictifs des croyances non favorables au redoublement
Modèles Modèle 0 Modèle 1 Modèle 2
A (constante)
ns ns ns
Var. individuelles.
Age Genre Ancienneté Statut Études complémentaires Temps
ns ns ns ns ns ns
ns ns ns ns ns ns
ns ns ns ns
,200* ns
Participation à « Décolâge ! »
Formation de base IFC Activités Jeux Pistes
---- ns ns
,157* ,212**
ns ns ns
,251* Travail collaboratif Régulation des pratiques pédagogiques
Climat Participation
---- ----- ns ns
Orientation pédagogique Innovation Autonomie Standardisation
ns ns ns ns
R2adj ,017 ,10 ,13 D 1,48 ns 3,05*** 2,26**
P<0,05* ; p<0,01** ; p<0,001***seules apparaissent dans le tableau les valeurs significatives)
Quant aux croyances des enseignants à propos du redoublement (tableau 5), nous avons inversé
l’échelle de telle manière que la variable dépendante traduise une attitude non favorable au
redoublement (c’est-à-dire l’attitude attendue par les promoteurs de la réforme). Parmi l’ensemble
des prédicteurs, la variable la plus associée à ces représentations est la lecture des guides appelés
« pistes », le fait d’avoir suivi une formation complémentaire au titre d’instituteurs (trices) et, dans
une certaine mesure, le recours aux jeux (modèle 1). Le dernier modèle analysé explique 13% de la
variance totale. Les résultats montrent qu’une formation complémentaire et la lecture assidue des
guides pédagogiques sont associées à des croyances plus critiques relatives au redoublement. Plus
globalement, il faut sans doute interpréter ces résultats en considérant que les enseignants en
recherche d’approfondissement (à travers précisément des formations complémentaires et/ou la
lecture de textes pédagogiques) sont les moins enclins à favoriser le redoublement.
Conclusion
En somme, nous avons mis en évidence dans cette section que si les enseignants demeurent souvent
favorables au redoublement, ils développent par contre des représentations et déclarent assumer
des pratiques conformes à ce que promeut « Décolâge ». L’analyse de l’évolution déclarée de ces
pratiques et représentations sur une période de deux ans révèle également, pour l’immense majorité
des items, une évolution positive et statistiquement significative au cours de cette période, conforme
à ce que « Décolâge » cherche à promouvoir.
L’analyse multivariée a par ailleurs fait apparaître que la participation à « Décolâge », et en
particulier aux activités promues, est systématiquement associée à des représentations plus
favorables relatives à la pédagogie différenciée, à des pratiques déclarées de différenciation plus
fréquentes et à une posture plus critique face au redoublement. Nous revenons sur ces résultats
dans la conclusion générale qui suit cette section.
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 33
CONCLUSION GÉNÉRALE ET RECOMMANDATIONS
« Décolâge! » a été appréhendé dans cette recherche comme une réforme visant à stimuler au sein
des écoles une dynamique de projets conduisant à des innovations pédagogiques, à des
représentations renouvelées des élèves en difficulté et à de nouvelles pratiques d’enseignement,
davantage favorables à la réussite de tous.
Les initiateurs de « Décolâge! » ont réussi à coaliser autour de cette initiative un grand nombre
d’acteurs intermédiaires du système éducatif et à s’appuyer sur une diversité de services et d’entités
pour mobiliser, autour de « Décolâge! », des actions de sensibilisation, de formation, de partage et
d’orientation des pratiques. La volonté des pilotes de « Décolâge! » était ainsi de proposer un grand
nombre de ressources aux équipes éducatives locales afin de permettre une diversité de voies
d’entrée et une diversité de cheminements en direction des mêmes objectifs. Il faut également
souligner la volonté de dépasser les discours généraux relatifs au redoublement et les incantations
au changement dont on sait qu’elles restent souvent lettre morte. « Décolâge! » a donc accordé une
place importante à la diffusion d’outils pédagogiques, de jeux didactiques, de guides pédagogiques et
à la formation à certains de ceux-ci.
A l’issue de cette recherche, que peut-on retenir de l’impact de « Décolâge! » et des stratégies
mobilisées ?
Si l’on s’intéresse à la capacité de « Décolâge! » à atteindre ses objectifs (modifier les représentations
et les pratiques des enseignants dans la perspective d’une diminution du recours au redoublement),
c’est l’enquête par questionnaire réalisée auprès des enseignants qui nous a apporté le plus
d’informations.
Certaines données sont a priori peu encourageantes. La série de questions portant sur les croyances
des enseignants relatives au redoublement nous indique que les représentations positives du
redoublement sont tenaces et que plus de la moitié des enseignants (issus uniquement d’écoles
engagées dans « Décolâge! ») affirment par exemple que le redoublement est bénéfique pour la
scolarité ultérieure des élèves en difficulté (61 %). Si toutefois nous comparons ces résultats à ceux
obtenus par Lafontaine et al. (2011) à l’issue d’une enquête réalisée en 2010 auprès d’un échantillon
d’enseignants de troisième année préscolaire et de première année primaire, nous constatons que
les réponses apportées en 2014 aux mêmes questions révèlent un affaiblissement des croyances
favorables au redoublement. Ce, trois ans après l’inscription des écoles à « Décolâge ! ». Il convient
cependant de rester prudent dans la comparaison, vu les caractéristiques différentes des deux
échantillons, mais nous pouvons en tout cas constater que l’échantillon « Décolâge! » de 2014 est
plus critique face au redoublement que l’échantillon « tout venant » de l’enquête de 2010.
D’autres données sont nettement plus encourageantes. Nous avons ainsi pu acter des réponses des
enseignants le plus souvent très favorables à l’égard de pratiques de différenciation des
apprentissages ainsi que des réponses positives de leur part aux questions portant sur les pratiques
de différenciation qu’ils mettent effectivement en œuvre. De même, nous avons enregistré des
scores très favorables au moment d’interroger les enseignants sur l’utilité et l’efficacité du travail en
équipe. Pour l’ensemble de ces variables, nous avons demandé aux enseignants de se positionner
deux fois sur chacun des items : que répondent-ils aujourd’hui et qu’auraient-ils répondu il y a deux
ans ? Il s’agit bien entendu d’un regard personnel et subjectif sur son évolution personnelle, mais
faute d’autres données, nous n’avions pas de meilleure stratégie pour appréhender l’évolution des
individus. Les différences de scores entre les deux « temps de mesure » sont parfois ténues, parfois
plus importantes (elles sont par exemple plus importantes dans le recours à des pratiques
d’évaluation différenciée des apprentissages ou dans le sentiment d’efficacité relatif au travail
collaboratif). Mais, l’analyse statistique de ces différences révèle systématiquement une évolution
positive et significative dans le sens promu par « Décolâge! » : des représentations plus favorables à
la différenciation de pratiques, des pratiques de différenciation plus souvent mobilisées et une
perception plus positive de l’efficacité du travail en équipe.
L’enquête par questionnaire nous a également permis de mettre en relation des variables
caractérisant les enseignants, leur participation à « Décolâge! » et leur école avec les variables
« dépendantes » de l’enquête par questionnaire (les pratiques et les représentations). Il ressort
principalement de cette analyse que la participation aux activités « Décolâge! » est associée tant aux
représentations qu’aux pratiques déclarées relatives à la différenciation. Cette relation se maintient
même après avoir intégré dans le modèle l’information relative aux représentations ou aux pratiques
« deux ans plus tôt », ce qui semble montrer que, quel que soit le point de départ des personnes
interrogées, la participation aux activités de « Décolâge! » a bien un effet positif sur les pratiques et
représentations. Quant aux croyances relatives au redoublement, elles semblent principalement
associées au recours aux pistes didactiques (principalement les guides pédagogiques promus dans le
cadre de « Décolâge! ») et aux formations complémentaires suivies par certains enseignants. A
propos des variables caractérisant les écoles et la dynamique de travail en leur sein, au regard de
l’analyse multivariée, seule l’orientation pédagogique reçue par les enseignants a un impact
statistiquement significatif sur les représentations relatives à la différenciation des pratiques. A
l’issue du travail qualitatif mené dans dix écoles où des études de cas ont été réalisées, nous avons
tendance à penser que cela est dû au fait que dans notre modèle d’analyse quantitatif, nous avons
découpé les caractéristiques des écoles en de nombreuses sous-variables (le climat, la participation,
la guidance pédagogique …) dont aucune n’est isolément significative. L’analyse qualitative plaide,
nous y reviendrons, pour appréhender globalement ces variables et pour des processus
probablement significatifs quand une conjonction de paramètres est simultanément présente.
En effet, parallèlement à l’enquête par questionnaire, nous avons réalisé un travail approfondi
d’études de cas auprès de dix écoles impliquées dans « Décolâge! ». Davantage que l’identification
des effets de « Décolâge!» sur les pratiques et les représentations, notre objectif, pour ce volet de la
recherche, était d’identifier les processus locaux d’appropriation de la réforme et de stimulation
d’innovations. De ces études de cas, nous retiendrons en particulier trois points majeurs : la
demande d’une orientation pédagogique rapprochée, le relatif désarroi des directions et enfin, le
besoin d’une masse critique de ressources pour consolider et instituer une dynamique d’innovations
pédagogiques.
Nous l’avons évoqué plus haut : la manière dont de nombreux pilotes de « Décolâge! » évoquent
cette initiative nous a poussé à appréhender celle-ci comme un dispositif de changement de nature
professionnelle (Rowan et Miller, 2007), c’est-à-dire reposant simultanément sur des propositions
expertes (outils, formations, coaching …) venant de l’extérieur des écoles et sur une autonomie
interne des enseignants et des équipes éducatives. Mais le point de vue des acteurs locaux, en
particulier si nous nous référons au volet qualitatif de la recherche, révèle une perception un peu
différente. Ces acteurs locaux soulignent l’importance de la formation de l’IFC, qui apparaît en
quelque sorte comme l’activité d’entrée dans « Décolâge! » par excellence. Mais, dans de
nombreuses écoles, les enseignants ont l’impression de ne plus être assez soutenus après la
formation et d’être parfois trop laissés à eux-mêmes pour mettre en place des pratiques alternatives
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 35
au redoublement. C’est d’ailleurs ce que révèle l’enquête par questionnaire. D’une part, ils affirment
recevoir rarement des conseils ou feedbacks de la part de référents pédagogiques et d’autre part,
lorsque cette orientation est présente, elle semble avoir un impact sur le changement des
représentations. Dans une certaine mesure, leur demande est de bénéficier d’une orientation
pédagogique plus rapprochée et davantage présente dans la durée. C’est dès lors une perception
plus culturelle du changement (reposant davantage sur des valeurs partagées que sur la diffusion
d’outils et de supports) qui est perçue localement.
Cette perception « culturelle » du changement aide à comprendre un certain désarroi parfois
exprimé par les directions. Celles-ci ont systématiquement joué un rôle-clé dans l’entrée dans «
Décolâge! ». Sur le plan des objectifs de « Décolâge! », elles se caractérisent par des croyances
relatives au redoublement et à des représentations concernant la différenciation de pratiques qui
sont plus proches de « Décolâge! » que les points de vue exprimés par les enseignants. Elles adhèrent
donc à la réforme et à ses objectifs. Mais, à plusieurs reprises, elles expriment leur sentiment
d’impuissance, la difficulté à soutenir les initiatives locales et le manque de ressources permettant de
stimuler et d’accompagner leur équipe pédagogique.
Enfin, si les études de cas montrent que les outils ont un effet structurant sur le travail collaboratif
(ils poussent les enseignants à échanger à propos des manières de « faire la classe », ils créent des
interdépendances entre enseignants, …), l’analyse montre bien que ces outils ne peuvent agir seuls.
Ils sont adoptés quand ils répondent à une situation significative pour l'équipe enseignante. Ils sont
adoptés quand ils font l’objet d’un travail d’appropriation (quitte à être transformés à travers ce
travail), ils sont institués quand un travail collectif se déploie dans la durée et est soutenu par des
autorités pédagogiques légitimes (un enseignant expérimenté, la direction, un conseiller
pédagogique, un formateur …). Autrement dit, là où « Décolâge! » est approprié collectivement,
nous observons une mise en réseau de ressources et d’acteurs. Cette appropriation collective n’est
pas automatique : elle passe par un processus de problématisation, par un travail collaboratif intense
et une orientation pédagogique soutenus par un leadership distribué. Au-delà de ces facteurs,
certaines conditions semblent également nécessaires : une relative stabilité des équipes et de la
direction et une approche non procédurière de la mise en œuvre de la réforme au niveau local. Dans
les autres situations où cette masse critique favorable au changement pédagogique n’est pas
présente, comme nous l’avons vu, soit « Décolâge! » demeure cantonné à des individus isolés ou à
des sous-groupes, soit « Décolâge! » est interrompu.
Recommandations
Eu égard à tout ce que nous avons mentionné dans ce rapport, nous nous permettons de formuler ici
six recommandations relatives à l’évolution de « Décolâge! » dans le système éducatif de la FWB.
1. L’initiative « Décolâge! » est une construction originale dans le paysage scolaire de la FWB dont une
des forces est d’avoir réussi à coaliser autour d’un objectif pédagogique commun des acteurs
assumant des fonctions diversifiées au sein du système et issus des différents réseaux. Au-delà des
différences entre les réseaux et tout en respectant les spécificités de chacun, « Décolâge! »a créé
une dynamique pédagogique commune à l’ensemble du système éducatif et a pu instaurer une
nouvelle forme de « lutte contre le redoublement » davantage adossée à la promotion de pratiques
pédagogiques alternatives. Pour tous ces motifs, et malgré les limites de « Décolâge! », cette
initiative doit à nos yeux être poursuivie et approfondie.
2. « Décolâge! » est présenté comme une réforme qui promeut le recours à des propositions, pistes et
jeux pédagogiques, dans le but de faciliter l’évolution souhaitée des pratiques enseignantes. De
notre point de vue, eu égard à la fois aux données collectées à travers cette recherche et aux
conclusions de la littérature scientifique, nous préconisons un accroissement de cette logique. Nous
préconisons donc la mise en circulation d’un plus grand nombre d’outils permettant aux enseignants
de poser des diagnostics positifs sur les acquis des élèves, de partir de leur « déjà-là », et de soutenir
dans les différentes disciplines les acquis de chacun. Mais, comme nous l’avons souligné, ces outils
ne suffisent pas, ils ne seront appropriés par les enseignants que si un processus de formation et
d’accompagnement local est mis en place.
3. Une réforme comme celle que nous avons étudiée requiert de s’intéresser également à la manière
dont les enseignants apprennent ainsi qu’à ce qu’ils sont susceptibles de faire avec des propositions
formulées par des tiers. Bien que ce point n’était pas au cœur de notre mandat, il ressort de notre
analyse une propension, déjà documentée par la littérature scientifique d’ailleurs, des enseignants à
s’appuyer prioritairement sur ce qu’ils peuvent expérimenter (cf. la vieille formule du learning by
doing exprimée par Dewey, et qui convient remarquablement bien aux enseignants) et,
parallèlement, une demande de « voir » avant d’essayer et peut-être d’y croire. Le pouvoir politique
pourrait s’inspirer de ces demandes pour favoriser des formes d’échanges et d’observations
mutuelles entre enseignants au sein de la FWB, mais aussi avec la Flandre et certains pays étrangers.
4. Un résultat important de notre analyse est ce que nous avons qualifié de « désarroi » de certaines
directions d’école, se sentant parfois insuffisamment qualifiées et outillées pour assumer le pilotage
local de « Décolâge! ». Les prochaines étapes du projet devraient octroyer une place plus importante
au soutien apporté aux directions d’école.
5. Beaucoup de directions d’écoles ont souligné à quel point une analyse de l’appropriation de
«Décolâge! » est artificielle dans la mesure où cette initiative se mélange et parfois se confond avec
d’autres projets et priorités de l’établissement. Il nous semble que le pouvoir politique doit acter
cette saine réaction des directions et des équipes éducatives. Mais, la question se pose aussi au
niveau central par rapport au pilotage de diverses politiques éducatives en FWB. La politique relative
à l’encadrement différencié, par exemple, repose sur des modes d’intervention très différents de «
Décolâge! » et mobilise au contraire très peu d’outils au bénéfice des établissements ciblés. Ne faut-il
pas s’appuyer sur des résultats positifs de « Décolâge! » pour réfléchir à l’inflexion d’autres
politiques ?
6. Enfin, si « Décolâge! » demeure une priorité et une stratégie de promotion du changement au sein
du système éducatif de la FWB, il appartiendra à ses pilotes de traiter une question-clé, qui est en
dehors de notre mandat. Comment promouvoir la participation à « Décolâge! » au-delà des écoles
volontaires qui choisissent de s’y investir ? C’est une question qui devra être traitée si le choix des
autorités est de prolonger et d’approfondir la logique de « Décolâge! ». Dans ce cas, il sera
nécessaire d’agir au-delà des contours du système éducatif et de mettre en débat, au niveau de la
formation initiale des enseignants, auprès des acteurs-partenaires de l’école (dont les parents) et
dans la société civile en général, la légitimité des normes et des pratiques promues par « Décolâge !
».
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 37
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Documents produits dans le cadre de « Décolâge! »
Lettre d’information no.1 – Octobre 2012. Ministre de l’Enseignement obligatoire et de la Promotion
sociale (2012).
Lettre d’information no.2 – Novembre 2012. Ministre de l’Enseignement obligatoire et de la
Promotion sociale (2012).
Lettre d’information no.3 – Janvier 2013. Ministre de l’Enseignement obligatoire et de la Promotion
sociale (2013).
Lettre d’information no.4 – Juin 2013. Ministre de l’Enseignement obligatoire et de la Promotion
sociale (2013).
Lettre d’information no. 5 – Septembre 2013. Ministre de l’Enseignement obligatoire et de la
Promotion sociale (2013).
Lettre d’information no.6 – Juin 2014. Ministre de l’Enseignement obligatoire et de la Promotion
sociale (2014).
Textes de loi
Arrêté du Gouvernement de la Communauté française établissant les listes des implantations de
l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire bénéficiaires de l'encadrement
différencié ainsi que la classe à laquelle elles appartiennent en application de l'article 4 du décret du
30 avril 2009, modifié par le décret du 9 février 2011 organisant un encadrement différencié au sein
des établissements scolaires de la Communauté française afin d'assurer à chaque élève des chances
égales d'émancipation sociale dans un environnement pédagogique de qualité. Moniteur belge, 20
avril 2011, CDA.36474.
Circulaire du Ministère de la Communauté française du 26 aout 2008. Organisation de l'enseignement maternel et primaire ordinaire. (2008). CDA.33335.
Circulaire du Ministère de la Communauté française du 11 juin 2012. Décolâge !…au bénéfice des enfants de 2,5 ans à 8 ans et des adultes qui les entourent… : Déclaration d'intérêt des établissements à s'engager dans le projet. (2012). CDA.37188.
Circulaire du Ministère de la Communauté française du 22 aout 2012. Décolâge ! …au bénéfice des enfants de 2.5 ans à 8 ans et des adultes qui les entourent… : Soutien à la rédaction d’un plan d’action au sein de la Communauté « Décolâge ! ». (2012). CDA.37610.
Circulaire du Ministère de la Communauté française du 16 février 2012. Décolâge !…au bénéfice des
enfants de 2,5 ans à 8 ans et des adultes qui les entourent… Réduction progressive des maintiens et
des redoublements à l’école fondamentale. (2012). CDA.37050.
Circulaire du Ministère de la Communauté française du 25 septembre 2012. Décolâge !…au bénéfice
des enfants de 2,5 ans à 8 ans et des adultes qui les entourent… : Appel à candidatures pour le
programme d’échange entre écoles maternelles, de la Fondation Roi Baudouin. (2012). CDA.37652.
Circulaire du Ministère de la Communauté française du 15 janvier 2013. Travailler collégialement au
bénéfice d’un élève en difficulté (Namur – 20 février 2013) Séance d’information. (2013). CDA.38111.
Circulaire du Ministère de la Communauté française du 14 février 2013. Décolâge !…au bénéfice des
enfants de 2,5 ans à 8 ans et des adultes qui les entourent… La Communauté «Décolâge !» :
rechercher ensemble des alternatives durables au maintien et au redoublement. Nouvelles séances
d’information. (2013). CDA.38164.
Circulaire du Ministère de la Communauté française de mai 2013. Décolâge !…au bénéfice des
enfants de 2,5 ans à 8 ans et des adultes qui les entourent… : Entrez dans la Communauté
«Décolâge !». (2013). CDA.38680.
Décret du Ministère de la Communauté française du 24 juillet 1997 définissant les missions
prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et organisant les
structures propres à les atteindre. Moniteur belge, 23 juillet 1997, CDA.21557.
Recherche en Education n°157/13, novembre 2014 - Partie I : Rapport final 43
Documents de référence dans le projet « Décolâge! » (Pistes)
Brochure « L’entrée dans l’écrit à l’école maternelle. Outil d’accompagnement aux pratiques de
classe ». Rey, B. (dir.), Caffieaux, C., Lecloux, S. et Van Lint, S., Université libre de Bruxelles. Ministère
de la Communauté française. Service général du pilotage du système éducatif. 136 p.
Brochure « L’entrée dans les mathématiques à l’école maternelle. Outil d’accompagnement aux
pratiques de classe ». Rey, B. & Carette, V. (dirs), Van Lint, S. Université libre de Bruxelles. Ministère
de la Communauté française. Service général du pilotage du système éducatif. 149 p.
Brochure « Outil pour le diagnostic et la remédiation des difficultés d’acquisition de la lecture en 1re
et 2e années primaires ». Lafontaine, D. (dir.), Deum, M., Gabelica, C., Lafontaine, A. et Nyssen, M-C.,
Université de Liège. Ministère de la Communauté française. Service général du pilotage du système
éducatif. 143 p.
Brochure « Pistes pour la mise en place des cycles à l’école fondamentale ». Rey, B (dir.), Ivanova, D.,
Kahn, S., Robin, Fr., Université libre de Bruxelles. Ministère de la Communauté française. Service
général du pilotage du système éducatif. 55 p.
Brochure « Pratiques de pédagogie différenciée à l’école primaire », Rey, B. (dir.), Descampe, S.,
Robin, Tremblay, F. Université libre de Bruxelles. Ministère de la Communauté française. Service
général du pilotage du système éducatif. 80 p.