Post on 05-Jan-2017
1
Quels secteurs pour quelle croissance
économique au Sénégal ?
Mouhamadou Bamba DIOP1
DPEE
Résumé
Ce travail est une tentative de compréhension des facteurs explicatifs du retard
économique du Sénégal. Le modèle économique jusque là utilisé n’a pas privilégié les
secteurs les plus productifs capables de générer de la croissance économique et de créer
des emplois. Le diagnostic de la productivité et l’analyse de la transformation
structurelle ainsi que du degré de sophistication des exportations ont permis de
proposer un nouveau modèle économique bâti autour de l’horticulture, du tourisme,
des industries chimiques, des télécommunications et des services de la finance.
Toutefois, sa réussite dépend des politiques d’accompagnement notamment la
consolidation du cadre macroéconomique, la réforme du marché du travail, l’érection
d’institutions appropriées capables de faciliter l’accumulation du capital, la refonte du
système éducatif et enfin l’approfondissement du marché financier.
Mots clés : Productivité, transformation structurelle, espace-produit, croissance économique,
développement économique.
JEL Classification : O10, O11, O4.
1 Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE), Ministère de l’Economie et des Finances,
Sénégal. Email : mbambadiop@gmail.com. Je remercie Messieurs Aliou Faye et Souleymane Diallo du Centre
d’Etudes de Politiques pour le Développement (CEPOD) pour les échanges féconds sur les questions de
développement. Un grand merci à tous mes collègues de la DPEE qui ont lu cet article.
2
Introduction
Plus de cinquante années après les indépendances, le Sénégal fait toujours face à de
nombreux défis dont notamment celui de l’éradication de la pauvreté. Durant cette
période, les taux moyens de croissance du PIB réel et du PIB réel par tête ont été faibles
et sont évalués respectivement à 2.72% et à -0.12%. Le PIB par habitant qui était de 615$
en 1960 (en dollar constant de 2000) est retombé à 560$ en 2010. La performance de
l’économie sénégalaise mesurée à l’aune du niveau de vie de la population reste de loin
insuffisante comparée aux potentialités réelles du pays et à celui des autres pays ayant
été au même niveau de développement que le Sénégal en 1960. La Tunisie et le
Botswana l’illustrent bien. Ces pays ont pu améliorer significativement les conditions
de vie de leurs populations grâce à une croissance économique rapide et continue. Cette
faible performance interpelle les pouvoirs publics qui ont des objectifs ultimes
d’améliorer le niveau de vie et le bien être social de la population. Quelles que soient les
politiques du passé et de l’avenir, il n’en demeure pas que ces objectifs ne seront
réalisés sans une croissance économique soutenue et durable. Pour toutes ces raisons, la
compréhension de la croissance, de ses mécanismes, de ses déterminants et de ses
sources est à inscrire au centre de l’action des concepteurs des politiques économiques.
Etant donné que la croissance n’est ni une fatalité ni tributaire des ressources naturelles
dont est doté un pays mais dépend principalement des politiques et des choix faits par
le pays, de la volonté et de la détermination des citoyens et la littérature économique
dans sa tentative de compréhension de cette situation a émis plusieurs concepts
notamment l’économie duale et le surplus de chômage de Lewis, le capital humain de
Schultz, la théorie des stades de développement et le décollage et le rattrapage de
Gerschenkron et Rostow et le structuralisme de Seer, Prebish et Hirschmann.
L’importance d’apporter une réponse à cette question cruciale ne réside pas
uniquement dans la compréhension du passé, mais également dans l’identification des
pistes qui lui permettraient de rattraper le retard et de hisser le pays au même niveau
de développement que ses semblables.
Le reste de l’article est organisé comme suit. Après avoir examiné les sources de la
croissance économique et les limites du modèle économique actuel dans la section 1,
l’analyse du degré de sophistication et de la diversification du panier de biens exportés
3
est réservée dans la section 2. Les sections 3 et 4 traitent de l’identification des secteurs
constitutifs du nouveau modèle économique. Les politiques d’accompagnement et la
conclusion bouclent l’étude.
1. Diagnostic de la croissance et les limites du modèle économique actuel
1.1. Diagnostic de la croissance
La croissance économique est un phénomène de long terme qui s’appuie sur des
politiques structurelles dont les effets n’apparaissent généralement qu’après plusieurs
années. Pour comprendre un tel phénomène, il s’agit d’aller à sa source. L’analyse de
l’évolution du revenu des pays économiquement similaires au Sénégal dans les années
60 montre que la mise en place de réformes structurelles permet d’atteindre des
objectifs de progrès économique indéniable. Des pays comme la Corée du Sud ont
opéré des changements radicaux à partir de 1970 qui ont permis d’avoir 20 fois le PIB
per capita d’un pays comme le Sénégal en 2010.
Figure n°1: GDP per Capita, in 2011 EKS$
Source : The Conference Board Total Economy Database
Si la Corée du Sud et le Botswana ont réalisé d’énormes progrès sociaux entre 1960 et
2010, c’est surtout grâce à de forts taux de croissance économique qui leur ont permis
d’améliorer considérablement les conditions de vie de leur population. D’ailleurs, ils
figurent parmi les 13 économies recensées par la Commission sur la croissance et le
développement des Nations unies ayant réalisé une croissance économique moyenne de
4
7% durant un quart de siècle. Pour comprendre pourquoi l’économie sénégalaise n’a
pas réalisé une telle prouesse, il faut identifier les facteurs explicatifs de la croissance de
l’économie sénégalaise. La méthodologie de la comptabilité de croissance permet, à cet
effet, d’analyser la croissance de la production à long terme. Elle représente une
technique qui décompose la croissance de la production au cours d’une certaine période
selon la contribution du capital, du travail et de la productivité globale des facteurs
(PGF). Cette décomposition de la croissance entre 1980 et 2010 permet de constater une
évolution heurtée de la PGF avec une légère amélioration en fin de période. Toutefois,
sa progression demeure très faible pour rendre la croissance économique soutenue.
Figure n°2: Taux de croissance économique, 1960-2010
Source : The Conference Board Total Economy Database
L’analyse des contributions de chacun des termes entrant dans le processus de
production du Sénégal et de la Corée du Sud monte nettement que la croissance
économique soutenue de la Corée du Sud est largement portée par la PGF: sur une
croissance économique moyenne de 5,6% entre 1990 et 2009, la productivité globale des
facteurs y a contribué à hauteur de 3,16% contrairement au Sénégal où la PGF a
contribué négativement à la croissance économique.
Plus globalement, les pays asiatiques qui ont enregistré de fortes performances
économiques l’ont eu grâce aux efforts déployés en matière de progrès technique et
5
d’accumulation du capital. Autrement dit, la « transpiration » et « l’inspiration » ont été
à l’origine de leur progrès économique.
Figure n°3 : Evolution de la PGF
Source : Calcul de l’auteur
Aussi, ces résultats ne sont-ils pas étrangers aux arguments théoriques avancés par
Acemoglu, Aghion et Zilibotti (2006). Ces derniers ont montré que les économies
éloignées de la frontière technologique doivent miser plus sur les institutions capables
de faciliter l’accumulation du capital et l’imitation. Les leçons tirées de ces travaux
inspirés par Gerschenkron (1962) montrent également que les différences de revenu par
tête et de la productivité observées d’un pays à l’autre, sont largement expliquées par
l’adoption d’institutions appropriées. Ces institutions conditionnent par exemple le
travail capable d’engendrer le progrès technique. Plus précisément, l’éducation et la
recherche sont facteurs de croissance dans tous les pays quel que soit leur niveau de
développement technologique. Pour les pays proches de la frontière technologique,
l’innovation est le moteur de la croissance alors que dans les pays moins développés
technologiquement, les institutions appropriées doivent privilégier l’adoption de
nouvelles technologies introduites auparavant dans les pays plus avancés et leur
6
adaptation aux situations géographiques et économiques locales, permettant ainsi
d’atteindre un niveau plus élevé de la productivité des facteurs.
Figure n°4: Contribution des facteurs à la croissance entre 1990-2009
Source : The Conference Board Total Economy Database et calcul de l’auteur
Ces développements donnent une explication du retard accusé par le Sénégal. En effet,
si ce dernier n’a pas pu emprunter le même sentier de croissance que ses semblables, la
raison est à chercher dans la faiblesse de la productivité du travail. L’identification de
cette cause permet d’apporter une réponse à cette question cruciale et de mettre en
œuvre les réformes pour combler ce retard. Selon Jones et Hall (1999), si certains pays
produisent plus que d’autres c’est précisément parce qu’ils investissent beaucoup plus
dans l’infrastructure sociale à travers les institutions et la politique économique.
7
Figure n°5: Contribution des facteurs à la croissance entre 1995-2006
Source : The Conference Board Total Economy Database et calcul de l’auteur
1.2. Les limites du modèle actuel de croissance sénégalais et les contraintes à la
croissance économique
1.2.1. Les limites du modèle actuel de croissance sénégalais
La nature erratique de la croissance économique au Sénégal est davantage expliquée
par les limites de son modèle économique que par les difficultés émanant du contexte
international. Des travaux récents ont prouvé que l’essentiel des sources de fluctuations
économique du Sénégal avait une origine interne (Diop et Fame (2007)). De plus, en
raison d’une croissance économique trop axée sur les services, l’économie sénégalaise
fabrique de plusieurs années d’une part du déficit courant imputable au fait que les
services sont faiblement exportables, et d’autre part de l’inflation importée issue de la
combinaison d’une productivité agricole trop molle et d’une forte demande de produits
alimentaires. Cette faible productivité, qui entraine une absorption très lente de la main
d’œuvre excédentaire dans les zones rurales, génère une hausse des inégalités de
revenus et perpétue les déficits publics. L’Etat, en tentant de compenser la hausse des
inégalités de revenus, crée un modèle de l’assistanat.
8
Du côté du financement de l’économie, depuis la fin des avances statutaires de la
BCEAO, le système financier domestique consacre de plus en plus de ressources au
financement du déficit public de sorte que le financement des investissements lourds
est en partie contraint par la disponibilité de l’épargne extérieure. En effet, le schéma
actuel du marché de la dette publique risque de créer des «Lazy Banks» et accentuer les
effets d’éviction sur l’investissement privé.
En somme, la présence de déséquilibres macroéconomiques occasionne une trajectoire
de croissance marquée par des mouvements pendulaires de type « stop and go». Dans
l’avenir, l’un des éléments décisifs de la vigueur de l’économie sénégalaise sera la
dynamique démographique ; il pourrait rehausser son potentiel de croissance en
transformant en dividende la fenêtre d’opportunités démographiques qui se dessine
entre 1995 et 2055.
1.2.2. Les contraintes à la croissance et les limites du modèle économique actuel
1.2.2.1. Coût élevé de la main d’œuvre
Le marché du travail au Sénégal est fortement marqué par un coût élevé de la main
d’œuvre. Selon une étude de la Banque mondiale portant sur l’évaluation du climat des
investissements en 2006, la rémunération mensuelle moyenne est de 281,9 dollars dans le
secteur manufacturier et de 431,5 dollars US dans les services. Ces taux sont élevés
comparativement aux pays concurrents comme la Chine, l’Inde, la Tanzanie, le Kenya.
Plus dommageable à la compétitivité des entreprises, les salaires des ouvriers non
qualifiés sont particulièrement élevés et constituent un des facteurs majeurs qui
contribuent à accroître les coûts de production. Dès lors, un marché du travail plus
efficace peut découler d’une plus grande formation des travailleurs et la construction du
pacte social apaisé bâti dans le cadre de l’existence de conventions collectives et d'accord
globaux négociés entre le patronat et les syndicats.
L’analyse de l’évolution des salaires laisse apparaître de fortes hausses qui sont
supérieures à celles des prix. Les salaires au Sénégal ont progressé de 3,9% en moyenne
entre 1980 et 2009 avec de grandes disparités entre les secteurs. Plus spécifiquement, sur
la période 1995-2009, les salaires ont augmenté de 5,4% contre une progression de 2,6%
des prix à la consommation. De plus, il est établi un décrochage entre la productivité du
travail et l’évolution des salaires. En d’autres termes, le rythme d’évolution des salaires
au Sénégal ne reflète pas la productivité du travail et est entrain même de réduire les
9
gains de productivité de l’ère post dévaluation. En définitive, le diagnostic met en
évidence que le Sénégal a enregistré des gains de productivité du travail modestes
notamment sur la période post-dévaluation qui sont consumés en partie par la hausse
des salaires.
1.2.2.2. Cadre réglementaire et institutionnel peu incitatif
Les activités économiques sont entravées par un cadre institutionnel et réglementaire
insuffisamment incitatif malgré les efforts réalisés avec l’instauration du Conseil
présidentiel sur l’investissement (CPI). Les différents classements du Doing business
laissent entrevoir des difficultés majeures en matière d’environnement des affaires
(154ième sur 183 pays, Doing business 2012). Parmi les contraintes majeures entravant le
développement du secteur privé, il faut citer la protection des investisseurs, le transfert
de propriété, l’accès à l’électricité, la fiscalité et l’exécution des contrats.
1.2.2.3. Déficit d’infrastructures
Avec ses 14825 km en 2009 contre 109515 km pour le Ghana, 19371 km pour la Tunisie et
104983 km pour la Corée du sud, le réseau routier du Sénégal assure l’essentiel des
déplacements intérieurs de personnes et des marchandises. La faiblesse du réseau routier
est due à une absence de politique d’extension, des investissements peu élevés ou trop
axés dans la capitale et l’état et la qualité des routes (28% des routes sont en bon ou
moyen état). Cette situation limite le développement de l’agriculture et accentue la faible
productivité en milieu rural.
Avec les difficultés de mobilité urbaine et la pollution, d’autres options sont à envisager
notamment le chemin de fer qui joue un rôle marginal dans les transports au Sénégal. Le
réseau ferré sénégalais, long de 906 km en 2000, est peu développé par rapport à celui du
Ghana (953 km), de la Tunisie (2260 km), de la Corée du Sud (3123 km) et de la Malaisie
(1622 km). Depuis la fin du monopole public, les chemins de fer se sont fortement
dégradés et n’assurent que le fret vers le Mali. Le paradoxe au Sénégal revient à vouloir
se développer dans un pays plat sans recourir au chemin de fer.
Au titre des infrastructures énergétiques, il faut dire que la décennie 2000 a été achevée
par la lancinante question des délestages. Le déficit énergétique est devenu une
contrainte majeure pour la croissance économique et le développement du secteur privé
(voir Doing Business 2012). Les estimations évaluent les pertes, en termes de croissance
économique, imputables aux délestages à 1,4%. Avec la persistance des problèmes de
fourniture d'électricité, les entreprises ont recours à l’achat de groupes électrogènes et
enregistrent des manques à gagner importants. Le Plan Takkal, plan de restructuration et
10
de relance du secteur de l’énergie, qui fait l’objet d’un large soutien des partenaires
techniques et financiers, a permis de réduire considérablement les délestages mais la
question du coût de l’électricité n’est pas entièrement réglée.
1.2.2.4. Marché financier peu profond
Les marchés de capitaux tiennent une place importante dans le financement des activités
d’une économie. Ils contribuent à la croissance économique par le canal de l’innovation
technologique et l’accumulation de capital. Un système financier bien développé peut
mobiliser l’épargne et l’orienter vers des investissements rentables à grande échelle, tout
en offrant aux épargnants une liquidité élevée.
Au Sénégal, le financement relativement faible des entreprises locales par le système
bancaire constitue une entrave majeure pour le développement de l’initiative privée et de
promotion de la croissance économique. Le climat des affaires est également caractérisé
par le financement des projets des entreprises sur fonds propres. En effet, seulement 64%
des entreprises sénégalaises ont accès au crédit et la distribution des crédits bancaires est
plus orientée vers les grandes entreprises qui disposent d’une plus grande visibilité ou
évoluant dans les sous-secteurs « commerce, bars, restaurants », les activités de rente ou
celles qui sont de nationalité étrangère. Ces constats découlent de la faiblesse de
l’approfondissement du marché financier sénégalais. En effet, le ratio de la masse
monétaire au sens large au PIB est passé de 34,1 % en 2004 à 39,2 % en 2011 alors que le
ratio du crédit intérieur au secteur privé au PIB affiche une évolution similaire, passant
de 22,7% en 2006 à 25,9% en 20102. Au même moment, les pays à revenu intermédiaires3
d’Afrique au Sud du Sahara dont le Sénégal fait partie ont vu leur ratio de la masse
monétaire au sens large au PIB passer de 57,6% en 2004 à 69,2% en 2011. Pour ce qui est
du marché boursier régional, il a connu une croissance modérée au cours de ces dernières
années et sa taille demeure modeste. Sa capitalisation en pourcentage du PIB4 est passée
de 24% en 2006 à 31% en 2010 et la liquidité5 est restée très faible par rapport à d'autres
2 Ratio du crédit intérieur au secteur privé au PIB : le Botswana (18,4% en 2006, 23,4% en 2010) ; Ile Maurice (74,2% en
2006, 87,8% en 2010) ; Cap-Vert (44,8% en 2004, 62,5% en 2010) ; le Ghana (11,1% en 2006, 15,2% en 2011).
3 Masse monétaire au sens large au PIB: le Botswana (41,8% en 2004, 41,6% en 2011) ; Ile Maurice (90,2% en 2004,
102,8% en 2011) ; Cap-Vert (76,2% en 2004, 69,0% en 2011) ; le Ghana (20,4% en 2004, 32,6% en 2011) ; Afrique
subsaharienne (37,1% en 2004, 47,4% en 2011).
4 Ghana: 15,8% en 2006 à 10,9% en 2010 ; Ile Maurice : 55,3% en 2006, 66,9% en 2010; Botswana : 35,1% en 2006, 27,4% en
2010.
5 La liquidité du marché boursier régional peut être mesurée comme valeur des actions négociées en proportion du
PIB.
11
bourses d’Afrique subsaharienne. Le marché des titres publics a été, par contre, un
segment très dynamique du secteur financier depuis la suppression des avances
statutaires de la BCEAO. En 2011, les émissions annuelles de titres publics du Sénégal
constituaient près de 6,1% du PIB et 32,4% des recettes fiscales. En 2012, il est prévu un
volume d’émissions d’un montant total de 518 milliards FCFA soit 7,2 % du PIB et 36,7%
des recettes fiscales. Elles ont progressé tant en termes nominaux qu’en pourcentage du
PIB et des recettes fiscales respectivement de 55,2%, 46,1%, 42,1% entre 2009 et 2012.
Toutefois, les emprunts publics restent dominés par les titres de court terme.
1.2.2.5. Un régime de taux de change générant une faible croissance
La crise de la dette souveraine en Zone euro a fait naître dans les pays de l’UEMOA toute
sorte de rumeur et de spéculation. Toutefois la plupart des analystes s’accordent à dire
que les pays de l’UEMOA, ont plus à craindre, dans un avenir proche, de la récession qui
sévit en Europe que d’un changement de parité du FCFA. L’analyse du mésalignement
du taux de change effectif réel (TCER) du Sénégal indique que la période 1995-2005 a été
marquée par une sous-évaluation, avec une tendance forte vers la surévaluation. A partir
de 2005, le Sénégal a enregistré une surévaluation du TCER, estimée à 2% en 2006, 9% en
2007 et de 17% en 2008. Cette situation reflète bien la détérioration accentuée notée au
niveau de certains fondamentaux du Sénégal notamment le solde commercial du
Sénégal. Dans un autre registre, la détermination de la durée moyenne de passage dans
les régimes (sous-évaluation, sur-évaluation) indique qu’au Sénégal, les périodes de
sous-évaluation durent en moyenne 6,8 années contre 12 années pour les périodes de
surévaluation. Il découle de ce constat que la période de surévaluation constatée depuis
2006 risque de durer si elle n’est pas interrompue par la mise en place de politique de
compétitivité efficace.
Cette situation de sur-évaluation est une entrave au développement des exportations du
Sénégal et par ricochet à la croissance économique. Rodrik (2008) a, dans une récente
étude, montré que les pays, qui ont maintenu une monnaie sous-évaluée, ont été à
l’origine d’une forte croissance grâce aux avantages qu’elle procure pour l’expansion du
tissu industriel. L’idée de l’adoption d’un régime de change intermédiaire est de plus en
plus avancée par des économistes sénégalais (Diop et Fall (2011)) pour promouvoir une
croissance économique tirée par les exportations et la réduction de la pauvreté.
Au total, la nature erratique de la croissance économique au Sénégal est davantage
expliquée par les limites de son modèle économique actuel que par les difficultés
émanant du contexte international. Des travaux récents ont prouvé que l’essentiel des
12
sources de fluctuations économiques du Sénégal avait une origine interne (Diop et Fame
(2007)). De plus, en raison d’une croissance économique trop axée sur les services,
l’économie sénégalaise enregistre, d’une part, un déficit structurel du compte courant
imputable au fait que les services sont faiblement exportables, et d’autre part une
inflation importée issue de la combinaison d’une productivité agricole trop molle et
d’une forte demande de produits alimentaires. Cette faible productivité, qui entraîne une
absorption très lente de la main d’œuvre excédentaire dans les zones rurales, génère une
hausse des inégalités de revenus et perpétue les déficits publics. L’Etat, en tentant de
compenser la hausse des inégalités de revenus, accentue le modèle de l’assistanat.
Du côté du financement de l’économie, depuis la fin des avances statutaires de la
BCEAO, le système financier domestique consacre de plus en plus de ressources au
financement du déficit public de sorte que le financement des investissements lourds
privés est en partie contraint. En effet, le schéma actuel du marché de la dette publique
risque de créer des «Lazy Banks» et accentuer les effets d’éviction sur l’investissement
privé.
2. Diagnostic de la productivité du travail au Sénégal
Le succès économique d’une Nation dépend largement de l’amélioration soutenue de la
productivité. Les gains de productivité contribuent également à l’élévation du niveau
de vie des populations et à la participation au processus vertueux de l'accumulation du
capital et de la croissance économique. C’est pourquoi, la compréhension de sa
décomposition constitue un élément d’analyse extrêmement important.
2.1. Décomposition de la productivité
La productivité au Sénégal entre 1980 et 2009 indique que la période post-dévaluation a
été beaucoup plus productive, laissant entrevoir que les réformes issues du changement
de parité ont eu quelques effets positifs notamment dans le secteur tertiaire. Par contre,
le secteur primaire n’a pas eu le même succès et a même enregistré une contribution
négative à la productivité. Toutefois, cette tendance baissière s’est nettement atténuée
durant la période 1995-2009.
Tableau n°1: Contribution sectorielle à la productivité
Primaire Secondaire Tertiaire Total
1980-2009 -3,1% 4,6% 11,3% 12,8%
1980-1994 -2,5% 1,2% -4,8% -6,2%
1995-2009 -1,8% 3,0% 16,4% 17,6% Source : Calcul de l’auteur
13
Figure n°6: Evolution et décomposition de la productivité
Source : Calcul de l’auteur
Pour disposer d’une analyse plus fine, la productivité est scindée en trois composantes
qui reflètent son dynamisme. Ainsi, on a :
( ) ( ) ( ) ( )1
0 1 0 0 1 0 1 0 1 00 0
1Ti i i i i i i i i i
iT T
dySSRE WSPGE DSRE y s s s y y s s y y
y y = + + = − + − + − − ∑
( )0 1 00
1i i i
iT
SSRE y s sy
= − ∑
( )0 1 00
1i i i
iT
WSPGE s y yy
= − ∑
( )( )1 0 1 00
1i i i i
iT
DSRE s s y yy
= − − ∑
0 : roductivité totale à la date 0Ty p
1 : roductivité totale à la date 1Ty p
1 : roductivité du secteur i à la date 1iy p
0 : roductivité du secteur i à la date 0iy p
1 : du secteur i dans la population active occupée à la date 1is poids
14
0 : du secteur i dans la population active occupée à la date 0is poids 1 1 0T T Tdy y y= −
Le terme SRRE (“Static Structural Reallocation Effect”) mesure les évolutions de la
productivité associées à une réallocation de l’emploi des secteurs les moins productifs
vers les plus productifs alors que la seconde composante dénommée “Within-Wector
Productivity Growth Effect (WSPGE)” quantifie de combien la variation globale de la
productivité pourrait être expliquée par la variation de la productivité interne d’un
secteur. Le dernier terme dénommé “Dynamic Structural Reallocation Effect (DSTE)”,
permet de réconcilier l’évolution globale avec les deux précédents termes (SSRE et
WSPGE).
Au Sénégal, entre 1980 et 2009, une réallocation de l’emploi s’est opérée du secteur
primaire vers le secteur tertiaire plus productif. Sur une progression de 12,8%, la
composante SSRE contribue pour l’essentiel. Toutefois, cette tendance s’est atténuée à la
faveur de l’amélioration de la productivité interne des secteurs.
Tableau n°2: Décomposition sectorielle de la productivité entre 1980-2009
Primaire Secondaire Tertiaire Total
SSRE -5,1% -1,5% 51,6% 45,1%
WSPGE 2,6% 6,6% -21,5% -12,4%
DSRE -0,6% -0,5% -18,8% -19,9%
Productivité (1980-2009) -3,1% 4,6% 11,3% 12,8%
Source : Calcul de l’auteur
Au niveau sectoriel, le tertiaire a plus profité du surplus de travailleurs du secteur
primaire qui a connu une baisse de la productivité entre 1980-2009. L’analyse fine de la
décomposition de la productivité révèle également que le sous-secteur des
télécommunications a le plus contribué à la hausse de la productivité au Sénégal suivi
de la construction et du sous-secteur de la finance et des activités immobilières. Cette
situation n’est pas nouvelle dans l’histoire économique des nations. En effet, il faut dire
que la disparité dans les niveaux de productivité du travail entre les secteurs
traditionnels et modernes constitue une réalité fondamentale des pays pauvres.
15
Figure n°7: Composantes de la productivité au Sénégal
Source : Calcul de l’auteur
La littérature économique a prouvé que la mobilité du travail des secteurs les moins
productif vers les plus productifs est le moteur du développement et les pays qui sont
parvenus à s’extirper des affres de la pauvreté sont ceux qui ont su diversifier leur
économie à partir du socle agricole. La mobilité des ressources et du facteur travail de
l’agriculture vers les activités les plus modernes a permis d’augmenter la productivité
globale et le revenu des populations concernées. La vitesse avec laquelle cette
transformation structurelle s’effectue est le facteur discrimant entre les économies qui
réussissent et celles qui restent en marge du progrès.
Le schéma théorique à la Lewis d’une économie duale s’inscrit dans cette lancée et,
récemment, les travaux de Rodrik et Mc Millan (2011) ont révélé que le sous-
développement rime avec forte disparité sectorielle en matière de productivité. Ils ont, à
ce sens, établi une relation négative entre le niveau de productivité et la dispersion de
productivité. Dès lors, le rapport entre le secteur le plus productif et celui le moins
productif est de 10 pour les Etats-Unis, 12.6 pour le Japon, 37.1 pour la Corée du Sud,
40.8 pour la Chine, 27.3 pour le Brésil, 131.1 pour l’Argentine, 234.1 pour le Sénégal,
31.4 pour le Ghana, 5.5 pour l’ile Maurice, 3282.7 pour le Nigeria, 136 pour le Malawi.
De plus, la dualité de l’économie et les progrès économiques enregistrés par cette
dernière entretiennent une relation sous forme de U. En effet, l’écart de productivité
16
entre les activités rurales et modernes se creuse au début de la croissance avant de
s’amoindrir au fur et à mesure que l’économie progresse.
Figure n°8: Contribution des sous-secteurs à la productivité
Source : Calcul de l’auteur
Une explication économique à ce phénomène réside dans le fait que les pays pauvres
ont peu d’activités industrielles et, même si le secteur agricole affiche une productivité
faible, son écart avec les autres activités demeure modeste. Toutefois, avec les efforts de
modernité, cet écart se creuse et laisse apparaitre une économie duale. Les
investigations empiriques ont montré que cette courbe quadratique qui décrit la dualité
d’une économique indique l’existence d’un niveau retournement de la poductivité par
travailleur estimé à 9000$ PPP au bout duquel la dualité de l’économie commence à
s’estomper. Actuellement, la productivité par travailleur au Sénégal est estimée autour
de 4402$, 4926$ pour le Nigeria, 3280$ pour le Ghana, 35381$ pour Maurice, 35760$
pour l’Afrque du Sud, 9518$ pour la Chine, 7700$ pour l’Inde et 70235$ pour les Etats-
Unis. Ce qui veut dire qu’il reste des efforts à accomplir au Sénégal pour niveler la
disparité en matière de productivité entre les différents secteurs productifs.
D’autre part, Rodrik et Mc Millan (2011) ont montré que depuis les années 90, la
transformation structurelle n’a pas été effective en Afrique et en Amérique latine. Cela a
atténué la croissance économique dans ces continents contrairement à l’Asie qui a su
mettre en œuvre les changements structurels nécessaires au renforcement de la
productivité. Cette différence découle du modèle de transformation structurelle. En
Asie, le schéma classique de migration des travailleurs du secteur le moins productif
17
vers le plus productif a prévalu tandis qu’en Afrique et en Amérique latine, c’est plutôt
le schéma inverse qui a été enregistré.
Tableau n°3: Comparaison de productivité
Sector
Average Sectoral Labor
Productivity
Maximun Sectoral Labor Productivity
Minimum Sectoral Labor Productivity
Country
Labor Productivity
Country
Labor Productivity
Agriculture, Hunting, Forestry and
Fishing 17 530 USA 65 306 MWI 521
Mining and Quarrying 154 648 NLD 930 958 ETH 3 652 Manufacturing 38 503 USA 114 566 ETH 2 401 Public Utilities (Electricity, Gas, and
Water) 146 218 HKG 407 628 MWI 6 345
Construction 24 462 VEN 154 672 MWI 2 124 Wholesale and Retail Trade, Hotels
and Restaurants 22 635 HKG 60 868 GHA 1 507
Transport, Storage and
Communications 46 421 USA 101 302 GHA 6 671
Finance, Insurance, Real Estate and
Business Services 62 184 SEN 297 533 KOR 9 301
Community, Social, Personal and Government Services
20 534 TWN 53 355 NGA 264
Economy‐‐‐‐wide 27 746 USA 70 235 MWI 1 354
Source: Rodrik et McMillan (2011)
Par ailleurs, le Sénégal est considéré, entre 1990 et 2005 comme l’économie qui a su
développer la productivité la plus élevée au monde dans le sous-secteur de « la
Finance, de l’assurance, des activités immobilières et les services auxentreprises » (voir
le tableau n°3 extrait de Rodrik et Mc Millan (2011)).
2.2. Indice de transformation structurelle
Pour mesurer les transformations structurelles nécessaires pour asseoir les progrès en
matière de productivité, la littérature recommande l’utilisation de l’indice de
transformation structurelle. Cet indice permet d’expliquer l’évolution de la
productivité du travail dans une économie par les changements internes aux secteurs et
par le refoulement de la main d’œuvre des secteurs les moins productifs vers les plus
productifs. Ce processus améliore ainsi la productivité à l’échelle de l’économie. Cette
décomposition est formulée comme suit:
, , , ,t i t k i t i t i ti i
Y y yθ θ−∆ = ∆ + ∆∑ ∑
18
, et t i tY y désignent respectivement la productivité globale de l’économie et celle du
secteur i, ,i tθ la part du travail dans le secteur i.
Le premier terme est une moyenne pondérée de la variation des productivités
sectorielles. Il est appelé la composante « within » de la croissance de la productivité. Le
second terme désigne la “transformation structurelle”. Il mesure les effets de
réallocation à travers les secteurs.
Figure n°9: Indice de transformation structurelle
Source: Calcul de l’auteur
Le Sénégal, au cours des trois dernières décennies, a connu une évolution timide de la
transformation structurelle si l’on se référe au graphique n°9. En effet, si la productivité
du travail a presque stagné entre 1980 et 2009, l’explication est à chercher dans la
progression modeste de l’indice de transformation structurelle qui a enregistré une
évolution moyenne de 1% sur la période (figure n°9).
Ce timide changement s’est traduit par la faible mobilité des travailleurs du secteur
primaire en particulier l’agriculture vers d’autres secteurs plus productifs et explique le
poids encoreprépondérant de l’emploi agricole. Le secteur primaire absorbe 60% de la
main d’œuvre au Sénegal ; cette proportion n’a que très peu évolué depuis 1980 (66% en
1980 et 51% en 2009). Compte de tenu de cette lente transformation structurelle, le
travail se déplace dans la « mauvaise direction » notamment vers le milieu informel
(principalement le commerce) alors que les secteurs les plus productifs au Sénégal
19
comme les services financiers et les activités immobilières ne sont pas intensifs en main
d’oeuvre.
Figure n°10: Décomposition de la productivité moyenne
Source: Calcul de l’auteur
De même, la contribution sectorielle à la transformation structurelle a été portée par le
secteur tertiaire et tous les autres secteurs ont affiché une contribution négative
traduisant ainsi une migration des travailleurs des secteurs plus productifs vers les
moins productifs. Cette « mauvaise direction » empruntée par la force de travail
explique en grande partie la faiblesse de la productivité globale de l’économie qui a
évolué en moyenne de 1% (voir le tableau n°3).
Tableau n°4: Contribution sectorielle à la transformation structurelle
Secteur primaire
Secteur secondaire Secteur tertiaire Total
1980-2009 -0,2% -0,1% 1,3% 1,0%
1980-1994 -0,2% -0,1% 1,3% 1,1%
1995-2009 -0,2% -0,1% 1,2% 1,0%
Source: Calcul de l’auteur
Les difficultés rencontrées par les secteurs primaire et secondaire en matière de
productivité du travail se sont manifestées à travers la migration des travailleurs de ces
secteurs vers d’autres de moins en moins productifs et notamment le secteur informel.
La baisse du poids de l’emploi dans le secteur primaire n’a pas été très significative
pour entrainer les changements structurels nécessaires d’où la relation négative entre la
20
productivité sectorielle et la variation de la part de l’emploi (figures n°11 et 12). Les
économies asiatiques qui ont opéré ces changements structurels ont inversé la tendance
productivité sectorielle et variation de la part de l’emploi. Ce qui s’est traduit par une
importante baisse de l’emploi dans le secteur agricole.
Figure n°11: Corrélation entre productivité sectorielle et variation de la part de l’emploi (1980-2009)
Source: Calcul de l’auteur
Les sous-secteurs « services financiers », « fabrication de verre, poterie » (cimenterie)
ont su expérimenter des niveaux de productivité élevés et une création d’emploi aussi
bien sur la période 1980-2009 que sur 1995-20066. Par contre, les activités immobilières,
la fabrication de machines, les télécommunications et les industries chimiques ont
enregistré des niveaux élevés de productivité mais avec une destruction d’emploi. Ces
activités sont, en effet, plus intensives en capital. Le cas du raffinage de pétrole présente
une certaine originalité. Si on considère la période 1980-2009, ces industries présentent
de hauts niveaux de productivité accompagnés par une baisse de l’emploi
contrairement à la période 1995-2006 où l’emploi a été dynamique dans ce sous-secteur.
En d’autres termes, si les transformations structurelles sont opérationnelles, ces
6 Période où le Sénégal a démarré une trajectoire de croissance soutenue interrompue peu après les chocs
internes et externes.
21
industries constitueraient d’importantes potentialités en matière de création de richesse
et des niches d’emplois.
Figure n°12: Corrélation entre productivité sectorielle et variation de la part de l’emploi (1995-2006)
Source: Calcul de l’auteur
Par ailleurs, lorsque le lien est effectué entre le rythme d’évolution de la productivité et
son niveau, il est possible d’identifier six (06) sous-secteurs porteurs:
• Fabrication de produits à base de tabac ;
• Raffinage pétrole, cokéfaction ;
• Fabrication de produits en caoutchouc ;
• Fabrication de machines ;
• Services financiers et Activités immobilières ;
• Postes et télécommunications.
Tableau n°5: Sous-secteurs affichant des taux de croissance élevés de productivité entre 1995-2009
Sous-secteur
Evolution
moyenne de la
productivité
Niveau
moyen de la
productivité
Transformation et conservation de viande, poisson -1,0% 8 939 773
Fabrication de produits à base de tabac 13,6% 18 054 436
Fabrication de papier, carton 9,5% 10 886 531
Raffinage pétrole, cokéfaction 71,3% 30 059 403
22
Fabrication de produits chimiques 0,7% 10 895 355
Fabrication de produits en caoutchouc 28,9% 13 034 260
Fabrications de verre, poterie et matériaux de construction 6,7% 8 894 363
Fabrication de machines 42,4% 22 785 438
Construction de matériels de transports 16,6% 693 896
Postes et télécommunications 16,8% 28 232 684
Services financiers -1,1% 24 110 670
Activités immobilières 9,7% 304 285 707
Source : Comptes nationaux et calcul de l’auteur
Aujourd'hui, si le Sénégal veut réduire l'écart de revenu avec certains pays tels la
Tunisie, la Corée du Sud et le Botswana, il est indispensable de miser sur des secteurs
très productives en se dotant des capacités techniques et sociales nécessaires à son
développement économique. A cet effet, la transformation de l'économie doit débuter
par des avancées techniques, qui entraînent une accélération de l'augmentation de la
productivité de l'agriculture (de subsistance et industrielle), accompagnée de
l'expansion des transports et d'une transformation fondamentale de l'organisation de la
production et des liens entre le capital et le travail car les économies qui ont vu la part
de l'agriculture dans l'emploi total diminuer régulièrement et finir par se stabiliser à un
très bas niveau l’ont obtenue par l’intermédiaire de réformes profondes.
Des travaux récents ont identifié trois facteurs essentiels qui agissent sur la
transformation structurelle. Il s’agit de la présence d’avantages comparatifs révélés
dans le secteur agricole, de la sous-évaluation de la monnaie et de la flexible du marché
du travail. Les économies ayant une part importante des ressources naturelles dans les
exportations éprouvent beaucoup de difficultés à procéder aux changements structurels
capables de booster la productivité. Les investigations ont également mis en relief les
effets bénéfiques d’une monnaie sous-évaluée. Rodrik (2008) a prouvé que les pays qui
ont maintenu une monnaie sous-évaluée ont été à l’origine d’une forte croissance grâce
aux avantages qu’elle procure pour l’expansion du tissu industriel. Enfin, le troisième
facteur pro-productivité réside dans la flexibilité du marché du travail car une
transformation structurelle rapide est facilitée par la mobilité des travailleurs. Des
facteurs institutionnels (bonne gouvernance) jouent également un rôle significatif dans
ce processus de changement structurel.
23
A la lumière de ces développements, il faut indiquer que les efforts exigés pour
accélérer au Sénégal la transformation structurelle afin d’absorber les demandeurs
d’emploi doivent porter dans le moyen terme sur les réformes autour de la flexibilité du
marché du travail et dans le long terme sur une modification du choix du régime de
change (régime de change intermédiaire, voir Diop et Fall (2011)). En réalité, l’analyse
de la distribution des variations de salaires par secteur a montré la présence d’une
certaine rigidité (Diop et Sène (2012)) et est estimée à plus de 26%. Les sous-secteurs les
moins flexibles sont «Textile», «Papier-Carton-Edition-Imprimerie», «Autres Industries
mécaniques», «BTP Construction» et «Industries alimentaires». Concernant le
mésalignement du taux de change réel au Sénégal, la plupart des études réalisées dans
ce sens (Diop et Niang (2010)) indique l’existence d’une surévaluation estimée à plus de
6% ces dernières années.
3. Secteurs porteurs d’une future croissance économique
Ces dernières années, le Sénégal a enregistré une forte évolution de ses exportations
portées par des produits comme le pétrole raffiné (16% des exportations totales), l’acide
phosphorique (11%), les mollusques (6%), le poisson frais (4%), l’huile d’arachide (4%),
etc. La décomposition de la croissance des exportations du Sénégal entre les périodes
1995-1997 et 2005-2007 a montré que sur une progression de 62% la marge extensive
portée par les nouvelles lignes d’exportations a contribué à hauteur de 30% alors que
celle de la base exportatrice (marge intensive) est de 32% (Cottet et al. (2012)). Selon les
travaux de Cottet et al. (2012), le Sénégal se distingue en matière de croissance de ses
exportations par la répartition relativement homogène des marges et constitue l’unique
pays de la zone Franc à être parvenu à créer de nouveaux secteurs d’exportations
susceptibles de se maintenir dans la base exportatrice sur le moyen terme. Plus
spécifiquement, les nouveaux produits exportés ont contribué à la croissance des
exportations à hauteur de 40% tandis que les produits phares de la base traditionnelle
d’exportation et les produits qui émergeaient à peine dans les exportations sénégalaises
en 1995-1997 ont contribué respectivement dans la croissance des exportations à
hauteur de 19% et de 12%. Même avec cette situation assez reluisante, les exportations
du Sénégal n’ont véritablement porté la croissance durant ces dernières décennies. Ce
constat prouve la difficulté des pays pauvres à tirer leur épingle du jeu notamment ceux
24
qui ont opté pour la diversification basée sur les ressources naturelles et qui n’ont pas
procéder à la transformation des matières premières. Les décideurs politiques se sont
souvent fiers aux prescriptions usuelles de la théorie conventionnelle du commerce
international qui voudrait que les pays exportent les biens qui utilisent des facteurs où
ils sont relativement bien dotés ignorant ainsi les conditions initiales des pays. Face à
cette difficulté, de récents développements de la théorie économique notamment ceux
de Hausmann et al. (2007) ont réintégré les conditions initiales des pays exportateurs et
indiqué que la spécialisation peut être façonnée par des éléments idiosyncratiques.
Mieux, ils ont établi une relation positive entre la croissance future d’un pays et le
niveau de sophistication de son panier de biens exportés.
Dès lors, la capacité d’une nation à produire de nouveaux biens dépend fortement de la
possibilité de redéployer les facteurs de production déjà existants (« capabilities ») pour
en faire. Ces aptitudes peuvent être du capital physique ou humain, du cadre
institutionnel ou légal. Elles indiquent la capacité d’un pays à produire et à exporter des
biens avec un avantage comparatif révélé. Par exemple, il est probablement plus facile
pour un pays qui exporte des T-shirts d’ajouter à son panier de biens exportés des
culottes que des téléphones portables. En d’autres termes, il est plus aisé de commencer
à produire des biens proches de ce que l’on fait déjà avec ses propres aptitudes que des
biens trop éloignés de son panier d’exportation. Cette façon de voir la structure des
exportations a été conceptualisée par Hidalgo et al. (2007), Hausmann et al. (2008) sous
la forme de la méthodologie espace-produit ou forêt de produits. Ce cadre définit la
proximité entre les produits non pas comme une caractéristique physique mais plutôt
comme la mesure de la possibilité pour un pays d’exporter un bien nouveau à partir de
ce qu’il est déjà capable de faire.
3.1. La méthodologie de l’espace-produit
Cette démarche lie les produits aux niveaux de revenu de leurs exportateurs avec
l’avantage additionnel de relier la possibilité d’exporter un produit nouveau et plus
sophistiqué avec la capacité du pays à l’exporter. Selon Hausmann et al. (2008), cette
représentation ressemble à une forêt où chaque arbre est occupé par les entreprises,
comme des « singes dans une forêt ». Il y a diversification lorsque les entreprises,
sautant d’un arbre à un autre, développent de nouvelles capacités à exporter des
25
produits générateurs de revenu. Toutefois, cette représentation implique une
redistribution de facteurs de production d’un bien actuellement fabriqué vers un
nouveau. Par conséquent, il est plus facile de transférer les facteurs de production entre
des produits dont les « arbres » sont proches les uns des autres. Avec la carte de
l’espace-produit, il existe un centre (le cœur de l’espace des produits) formé de groupes
d’arbres portant sur les métaux, la machinerie et la chimie qui sont la marque de
fabrique des pays à revenu élevé et une périphérie caractérisée par des produits
relevant de la confection, des produits animaux, des céréales, etc. et généralement
occupée par les pays à faible revenu (voir figure n°13).
Figure n°13 : carte de l’espace-produit
Source: Hidalgo et al. (2007)
26
Le cœur de l’espace des produits est densément peuplé par des arbres dont les produits
requièrent des facteurs relativement similaires et le passage d’un arbre à un autre est
court. La périphérie où les produits nécessitent des facteurs relativement différents, les
arbres sont éloignés les uns des autres.
L’analyse de la carte de l’espace des produits du Sénégal entre le début des
indépendances et maintenant donne une parfaitement illustration de la trajectoire des
biens produits et exportés et des efforts faits par le pays en matière de diversification
économique. Ainsi, en 1962 le pays disposait d’une forêt de produits éparse marquée
par une prédominance des produits issus de l’agriculture et de la nature. Il s’agit
essentiellement de l’huile d’arachide, du tourteau, de l’arachide, du son et de la gomme
naturelle. Des produits animaux comme les cuirs et peaux et les produits chimiques
(phosphates de calcium naturel et aluminium, engrais phosphatés), de l’habillement (les
chaussures), les produits alimentaires comme les boissons non alcoolisées présentaient
également un avantage comparatif révélé. La principale caractéristique du panier
d’exportation du Sénégal à cette époque est l’absence des produits du cœur de l’espace
des produits. Déjà cette situation comportait les germes d’une future croissance
économique faible.
Figure n°14: Carte de l’espace-produit du Sénégal en 1962
27
En 2009, la situation s’est nettement améliorée avec une hausse du nombre de produits
ayant un avantage comparatif révélé7 qui passe de 28 à 92. On assiste à l’émergence des
produits du cœur de la forêt avec la machinerie (camions et camionnettes, moteurs
électriques et générateurs), des produits chimiques (du cœur de l’espace) comme les
articles en plastique, l’amiante et les fibres de ciment, les métaux (les fils électriques, les
tonneaux de métal pour l’emballage de marchandises, fer et les tiges en acier), les
produits chimiques organiques, les phénoplastes. Quant à la périphérie, les produits se
sont densifiés et restent largement dominés par l’huile d’arachide, le tourteau, les
cigarettes, les produits horticoles (légumes frais ou réfrigérés, tomates frais, légumes
séchés ou évaporés sauf les légumineuses), les produits agroalimentaires (les fruits frais
ou secs, les sucreries non chocolatées, les pâtes), le tabac, le riz semi blanchi ou blanchi,
la gomme naturelle, le sésame, le coton, les acides et sels inorganiques comme les
phosphates de calcium naturel et aluminium, les produits agrochimiques (engrais
phosphatés, savons), la pétrochimie (le chlorure de polyvinyle, polypropylène), les
produits cosmétiques et de la parfumerie, le textile et la confection, les produits
halieutiques, les cuirs et peaux et les produits animaux (la viande séchée, salée ou
fumée et les entrailles) et les conserves de lait, concentrés ou sucrés et crème. Les
produits miniers comme le ciment, l’or non monétaire, la pierre de construction,
l’amiante, les produits pétroliers figurent parmi les biens exportés avec un avantage
comparatif révélé.
Un constat majeur qui se dégage, avec la trajectoire suivie par le Sénégal, est l’absence
d’un développement des clusters comme le textile et la confection et les produits
électroniques. Ces grappes présentent l’intérêt d’avoir en leur sein une bonne
interconnexion toutefois elles demeurent en marge du cœur de l’espace des produits.
Néanmoins, les « success stories » asiatiques sont passées par cette phase. Mieux,
l’adoption et le développement du sous-secteur du textile et de l’habillement est
7 L’avantage comparatif révélé (ACR) est défini:
ci
cii
cici
c
cii c
xvalxval
ACRxval
xval
=∑
∑∑∑
28
emblématique des économies ayant réussi leur transformation structurelle. Les « success
stories » asiatiques ont réussi à produire et à exporter une large gamme de produits de
la confection avant de gagner le pari des produits plus sophistiqués comme ceux de
l’électronique et de la machinerie. Dans ce sens, le Sénégal pourrait tirer profit des forts
liens existants au sein de cette grappe et des externalités qu’elle peut engendrer. Pour
cela, il est impératif d’améliorer substantiellement le niveau de productivité du textile et
de la confection8.
Figure n°15: Carte de l’espace-produit du Sénégal en 2009
Au total, entre 1962 et 2009, le Sénégal a progressé en matière de diversification. Les
produits du cœur de la forêt ont enregistré une poussée notoire notamment avec la
machinerie. Absents, il y a plus de plus de cinq décennies, ils sont 12 à la fin des années
2000 à posséder un avantage comparatif révélé. Cette trajectoire est également
empruntée par les entreprises chimiques. Durant ces dernières décennies, le Sénégal a
su certainement développer de grandes aptitudes dans le domaine de la chimie et peut
8 Selon certains analystes, cette étape est importante ne serait ce que pour le problème du niveau élevé de
chômage enregistré au Sénégal.
29
dans l’avenir maximiser les gains provenant de ces produits en renforçant leur avantage
comparatif révélé. De plus, le Sénégal pourrait constituer un mélange de produits
horticoles et manufacturés (chimie) pour mener à bien sa diversification économique.
Toutefois, le Sénégal, à l’image des pays asiatiques, doit envisager un saut qualitatif
vers les produits électroniques et le traitement des données grâce aux TIC. D’ailleurs,
dans une étude portant sur la transformation structurelle des pays sub-sahariens,
Abdon et Felipe (2011) ont montré que le Sénégal a à sa portée proche et moyenne des
produits pétroliers, chimiques et à sa portée éloignée les produits électroniques si les
transformations structurelles nécessaires sont entreprises sous l’impulsion des pouvoirs
publics qui doivent encourager l’initiative privée dans toutes les nouvelles activités. Les
pays ayant réussi dans ce domaine (Chine, Inde) y sont parvenus grâce à l’intervention
de l’Etat et non pas par les forces du marché9.
3.2. Topologie et degré de sophistication des exportations du Sénégal
De nombreux travaux notamment ceux de Hausmann et Rodrik, (2003), de Rodrik
(2006), de Hausmann et Klinger (2006) ont mis en évidence un lien entre la croissance
économique et le niveau de productivité incorporé dans les biens exportés recentrant
ainsi le débat sur l’analyse du contenu de la diversification. C’est dans ce sillage qu’il
faut également inscrire les travaux de Hausmann, Hwang et Rodrik (2007) qui ont
permis de concevoir une mesure innovante de sophistication à l’exportation appelée
PRODY10. Cette dernière identifie les possibilités d’exportations génératrices de revenus
en fournissant un lien quantifiable entre un produit donné par un pays qui exporte et
son niveau de revenu.
9 Voir les travaux de Felipe et al. (2010b, 2010c) et de Rodrik (2008b).
10
ci
cii
i cc
ci
cici
xvalxval
PRODY GDPPC
xvalxval
=
∑∑
∑ ∑
avec cGDPPC le PIB réel par tête du pays c et cixval la
valeur des exportations du produit i réalisées par le pays c. Le concept de PRODY classe les produits selon leur
potentiel de revenu. Le PRODY d’un produit est la somme de l’avantage comparatif révélé (ACR) de chaque pays qui
exporte le produit pondéré par son PIB par habitant.
30
Le potentiel de revenu global du panier des exportations du Sénégal (EXPY11) demeure
faible avec une moyenne de 5119 $PPP entre 1976 et 2006 contre 9811,1 $PPP pour la
Malaisie, 9581,3 $PPP pour la Chine, 7206,5 $PPP pour le Cap-Vert, 7035,8 $PPP pour la
Tunisie, 4181,9 $PPP pour le Ghana et 3267,9 $PPP pour la Côte d’Ivoire. La tendance
stagnante de l’EXPY du Sénégal souligne la prédominance des exportations des
produits classiques comme ceux de la pêche. L’EXPY du Sénégal qui était de 5476,7 en
1976, s’est établi à 5914,1 en 2003, avant de retomber à 5346,6 en 2006. Avec les
exportations d’or (PRODY élevé) qui dépassent actuellement les 100 milliards l’année,
une hausse significative de l’EXPY pourrait être enregistrée dans le futur. Toutefois,
force est de noter qu’une hausse de l’EXPY ne diminuerait pas l’urgence de la
diversification. De plus, pour une croissance rapide, il n’est pas nécessaire que chaque
produit que le Sénégal exporte ait un PRODY élevé. Des efforts portant sur le
renforcement de l’avantage comparatif des produits horticoles avec l’utilisation des
semences améliorées, l’adoption de technologies de production plus efficaces et la
construction de routes et pistes pour acheminer la production permettent de générer
sans nul doute des gains provenant de ces produits (halieutiques et horticoles).
L’analyse du degré de sophistication des produits exportés a permis d’identifier quatre
catégories d’exportations sur la base de leur avantage comparatif:
• Les classiques constitués de produits pour lesquels les ACR ont été élevés
dans le passé et continuent de l’être. Ils sont à maintenir. Ce sont les exportations
traditionnelles principalement dominées par les produits halieutiques, le coton, le
phosphate de calcium naturel et aluminium, le sel, l’huile d’arachide, la gomme
naturelle.
• Les produits en disparition sont, quant à eux, ceux qui affichaient dans le
passé des ACR élevés mais très faibles actuellement. Ils indiquent une compétitivité
déclinante et sont à abandonner. On y recense principalement l’arachide verte.
11Le degré de sophistication du panier de biens exportés par un pays noté EXPY est donné par la moyenne pondérée
du degré de sophistication des produits qu’il exporte : cic i
i cii
xvalEXPY PRODY
xval
=
∑∑
.
31
• Les champions émergents qui sont des produits dans lesquels le Sénégal a
développé un ACR récemment. Ils se sont développés à partir d’un marché mondial
très compétitif et ont, en moyenne, des PRODY significativement plus élevés que les
classiques. Ils présentent une attractivité à cause des revenus qu’ils peuvent générer. Au
Sénégal, ils sont composés des produits de l’horticulture (tomates frais), des produits
chimiques (sels et acides inorganiques, engrais, insecticides, etc.), du ciment, les déchets
de fer et d’acier.
• Les marginaux sont des produits pour lesquels le Sénégal n’a pas encore
développé un ACR, autrement dit qui ne présentent pour le pays aucun avantage
révélé. Ils sont en observation pour une éventuelle expansion. Dans l’avenir, ils seront à
encourager si des opportunités se présentent.
Figure n°16: Evolution de l’EXPY ($PPP), Constant 2000 US$
Source: PRMED, Banque mondiale
L’examen de la structure des exportations laisse apparaître que les produits classiques
(produits halieutiques, le coton, le sel, l’huile d’arachide) représentent plus 67% des
exportations alors que les fruits, les légumes, le ciment et les produits chimiques qui
dominent les produits émergents constituent seulement 23,4% des exportations totales.
Ces dernières années, le dynamisme de ces produits fait ressortir le potentiel de
diversification de l’économie sénégalaise. Ainsi, leur part dans les exportations totales
est passée progressivement de 10% en 1995 à 20% en 2006 avec un pic de 42,6% noté en
2005.
32
Au total, le Sénégal, depuis une décennie, exporte une trentaine de produits nouveaux
issus de divers secteurs (agroalimentaire, ciment, produits de toilette), couvrant plus de
20% des exportations totales. Ces nouveaux produits sont de moyenne-haute
technologie. Toutefois, ces efforts de diversification n’ont donc manifestement pas
permis de dégager des « Big Hits12 » susceptibles de favoriser une forte croissance des
exportations. Le Sénégal doit encore porter et promouvoir ces produits, ainsi que leurs
appareils productifs, pour accroître les différentes composantes de la marge intensive.
Figure n°17: Evolution des exportations selon la catégorie
Source: Source: PRMED, Banque mondiale et calcul de l’auteur
3.3. Diversification des exportations
Le lien étroit entre la diversification de la production et la richesse d’un pays constitue
un consensus largement partagé dans la littérature (Imbs et Wacziarg (2003)). Les
travaux récents de Klinger et Lederman (2006), Hesse (2009), Cadot et al. (2011) ont
montré que jusqu’à un certain niveau de revenu, la diversification des exportations
d’un pays s’accroît à mesure que le niveau de revenu par habitant augmente. C’est
pourquoi, la diversification des exportations a été le crédo des pays industrialisés ou
émergents. Quant aux pays pauvres, les résultats médiocres en matière de croissance
économiques enregistrés au cours des dernières années sont largement imputables à la
12
Le phénomène « Big Hits » est une situation dans laquelle quelques produits phares tirent la croissance des exportations (Easterly
et Reshef (2010)).
33
concentration des exportations (Osakwe (2007)). Pour mesurer le degré de
diversification des exportations, beaucoup d’indicateurs sont avancés notamment
l’indice de Herfindahl-Hirschmann et la proportion des produits du cœur de l’espace
des produits d’un pays affichant un avantage comparatif révélé dans le panier de
produits ayant un ACR. En réalité, du fait de son incapacité à évaluer la qualité et le
contenu technologique des produits, l’analyse de la diversification sous le prisme de
l’indice de Herfindahl-Hirschmann a été complétée par un focus sur l’importance des
produits du cœur de l’espace des produits du Sénégal.
3.3.1. L’indice de Herfindahl-Hirschmann
Il est dans le cas du commerce extérieur égal à la somme des carrés des parts
d’exportation et situe entre 0 et 1. Sa proximité avec zéro indique une bonne
diversification des exportations. Avec cette mesure, une forte diversification est
expliquée par deux facteurs : une augmentation du nombre de produits ou une
distribution plus équitable des parts des produits et la notion de seuils. Les économies
ayant des paniers d’exportation extrêmement diversifiés sont susceptibles d’avoir des
indices de Herfindahl-Hirschmann inférieurs à 0.10, tandis que celles qui ont des
paniers d’exportation concentrés sont au-dessus de ce seuil.
Pour le cas du Sénégal, depuis 1995, l’indice de Herfindahl-Hirschmann (IHH) a été
inférieur à 0,10 avec une moyenne de 0,08. Ce qui traduit une volonté de diversification
du panier d’exportation et l’élargissement des exportations vers une gamme de revenus
relativement plus large comparées aux économies plus avancées. Des économies
comme la Chine, Maurice, Singapour, le Brésil, le Mexique ont des paniers
d’exportations très diversifiés avec des IHH inférieurs à 0.10 sur une large gamme de
revenus. Si le Sénégal a actuellement un IHH inférieur à 0.10, tel n’était pas le cas dans
les années 70. De 1976 à 1994, année de la dévaluation, l’indice de diversification était
en moyenne à 0.11 alors que sur cette même période l’IHH de la Tunisie se situait à 0.12
et celui de l’île Maurice à 0.22.
Même avec un IHH inférieur à 0.1, le Sénégal reste loin derrière les niveaux de
diversification des économies comme la Tunisie (0.03), la Chine (0,01), le Mexique (0,04),
le Brésil (0,02). C’est pourquoi, s’il compte accélérer son processus de diversification des
exportations, il est urgent d’une part de créer de nouvelles lignes d’exportations et de
34
les promouvoir et d’autre part d’accroître ou de maintenir les montants exportés des
produits présents dans la base exportatrice.
Figure n°18: Indice de diversification des exportations (Herfindahl Index)
Source: PRMED, Banque mondiale
Le lien entre diversification et croissance a alimenté une abondante littérature et cette
dernière a identifié deux manières dont la diversification peut influencer la croissance.
Elle peut être considérée comme un intrant qui accroît la productivité des autres
facteurs de production. Elle peut également être bénéfique à la croissance en multipliant
les possibilités de répartition des risques liés aux investissements sur une gamme plus
large de secteurs économiques. Selon Acemoglu et Zilibotti (1997), la diversification est
primordiale afin de maintenir des taux élevés de croissance économique et de réduire la
volatilité de la croissance. Des études réalisées sur les économies africaines dont le
Sénégal (Ben Hammouda et al. (2006)) ont montré que le processus de diversification
subit fortement l’influence, de l’investissement, du revenu par habitant, du degré
d’ouverture, de la politique d’équilibre macroéconomique, de la gouvernance et des
conflits. Dans le même sillage, elles ont également mis en relief la présence d’une
relation en U entre ces deux principaux déterminants (investissement et revenu) et la
diversification. Ce lien suggère l’existence d’un processus en deux étapes. Dans une
première phase, la hausse des investissements et du revenu par habitant favorise la
diversification jusqu’à ce que soit atteint un point de retournement qui intervient à un
niveau de diversification donné, à partir duquel toute nouvelle hausse mène à la
35
spécialisation. Plus spécifiquement, pour approfondir son processus de diversification,
le Sénégal qui a, au cours des trois dernières décennies, enregistré une croissance
économique pendulaire du type « stop and go » doit s’engager à avoir des taux élevés
d’investissement et une hausse du revenu par habitant notamment en modifiant la
composition et la qualité de ses dépenses publiques.
3.3.2. Proximité des produits exportés avec le centre de l’espace des produits
Le retard actuel du Sénégal peut tirer son origine dans son incapacité à développer un
grand nombre d’activités ayant un avantage comparatif révélé et des PRODY élevés. Le
nombre de produits sénégalais ayant un ACR est passé de 28 à 92 entre 1962 et 2009. Les
produits du cœur de l’espace des produits ont, certes, progressé depuis mais restent
dans des proportions faibles (36 produits) et sont principalement dominés par la chimie
et quelques produits de la machinerie. Le modèle économique sénégalais des cinquante
dernières années, qui a enregistré de faibles résultats en matière de croissance
économique, a un socle construit sur des produits de la périphérie qui ont, certes, un
avantage comparatif révélé mais très éloignés du centre des produits sophistiqués. Ce
modèle n’a ni engendré un saut technologique majeur ni renforcé le tissu économique
autour de la grappe textile et confection où le Sénégal avait dès le début des années 60
affiché un avantage comparatif révélé.
Qu’en est-il actuellement ? Des travaux récents sur le degré de sophistication du panier
de biens exportés par une économie permettent de classer les produits en fonction de la
facilité de redéployer leurs facteurs de production vers d’autres activités. Etant donné
que le développement constitue une trajectoire dépendante, l’aptitude d’un pays à se
lancer dans la production de nouvelles activités est tributaire de cette facilité.
Autrement dit, comment savoir qu’une économie capable d’exporter par exemple des
téléphones portables serait en mesure d’utiliser ses aptitudes pour exporter des voitures
de luxe. Pour cela, les travaux de Hidalgo et al. (2007) ont introduit la notion de
proximité des produits. Cette dernière mesure la manière dont une économie qui
exporte un produit serait capable d’en exporter un autre.
La proximité entre deux produits i et j ( ijϕ ) est définie comme étant le minimum des
probabilités conditionnelles qu’un pays qui exporte un produit donné peut en exporter
un autre :
36
( ) ( ){ }1 1 , 1 1 , 0 1ij i j j i ijMin P ACR ACR P ACR ACRϕ ϕ= ≥ ≥ ≥ ≥ ≤ ≤
Une valeur élevée de ijϕ indique que les produits i et j requièrent les mêmes facteurs de
production. Ce qui veut dire que la notion de proximité n’est pas physique mais plutôt
une indication des aptitudes permettant à une économie qui produit et exporte un bien
de se convertir dans l’exportation de d’autres produits.
Tableau n°6: Evolution du nombre de produits exportés par le Sénégal avec ACR
1962 1970 1980 1990 2000 2009
PETROLEUM 0 0 0 0 0 0
RAW MATERIALS 4 1 1 0 2 4
FOREST PRODUCTS 0 0 0 0 0 0
TROPICAL AGRICULTURE 11 16 16 9 13 18
ANIMAL PRODUCTS 1 4 5 9 11 11
CEREALS 4 3 2 2 2 7
LABOR INTENSIVE 3 3 6 1 3 7
CAPITAL INTENSIVE 2 9 7 4 6 9
CORE COMMODITIES 3 8 11 6 9 36
METALS 0 1 2 1 1 5
MACHINERY 0 1 2 0 5 12
CHEMICALS 3 6 7 5 3 19
TOTAL 28 44 48 31 46 92
Source : Calcul de l’auteur
La proximité peut être déclinée en deux entités : une proximité intra et une proximité
inter. La proximité intra mesure la facilité de passer de la production d’un produit à un
autre du même groupe alors que la proximité inter quantifie l’aptitude à migrer d’un
groupe de produits vers un autre groupe. Le tableau n°7 permet de dire qu’il est plus
facile de passer entre deux produits du groupe des métaux, des produits forestiers ou
des produits chimiques que dans celui des produits pétroliers ou des matières
premières ou produits tropicaux. C’est la raison pour laquelle, le Sénégal qui avait un
avantage comparatif révélé dans des produits issus de la nature a éprouvé beaucoup de
difficultés au cours de ces cinquante dernières années à migrer au sein de ce groupe de
produits. Pour ce qui est de la proximité inter, il faut noter qu’il est plus aisé de passer
du groupe des produits intensifs en capital (Capital intensive) au groupe des métaux
(Metals) que de passer du groupe des matières premières vers les céréales. Cette donne
explique en partie les difficultés rencontrées par le Sénégal pour passer des produits
37
issus de l’agriculture, des animaux, des céréales vers des produits plus sophistiqués
comme l’électronique, les machines, la chimie et l’industrie lourde.
Tableau n°7: Proximité inter et intra selon la classification de Leamer PET RAW FOR TRO ANI CER LAB CAP MET MAC CHE
PET 0.356
RAW 0.111 0.335
FOR 0.106 0.157 0.513
TRO 0.126 0.147 0.174 0.454
ANI 0.119 0.146 0.183 0.198 0.435
CER 0.105 0.127 0.141 0.163 0.160 0.286
LAB 0.105 0.131 0.178 0.167 0.158 0.131 0.434
CAP 0.116 0.133 0.171 0.169 0.160 0.144 0.212 0.480
MET 0.135 0.170 0.221 0.175 0.169 0.149 0.204 0.223 0.568
MAC 0.109 0.113 0.158 0.110 0.121 0.108 0.168 0.169 0.205 0.447
CHE 0.145 0.140 0.162 0.147 0.160 0.141 0.157 0.166 0.204 0.198 0.485
Source: Felipe et al. (2010a)
Dans le sillage de la compréhension de la migration d’un arbre de produits à un autre,
la notion de chemin de produit (PATH) a été introduite pour mesurer la proximité de
chaque produit avec tous les autres produits:
, 0 1i ij ij
PATH PATH Nombre de produitsϕ= ≤ ≤ −∑
Les chemins de produit constituent une mesure fixe pour chaque produit et permettent
de les classer selon leur potentiel d’ACR. Construit sur la base des probabilités
conditionnelles avec la condition d’avoir un ACR, le chemin de produit traduit le
potentiel de diversification des exportations. Des produits avec un PATH élevé sont
ceux qui utilisent les facteurs de production similaires à ceux utilisés par de nombreux
autres produits. Ainsi, des produits de la périphérie comme par exemple l’arachide,
produit phare du Sénégal postindépendance, ont des PATH faibles ce qui signifie qu’il
ne constitue pas un « bon produit » à partir duquel un pays peut se diversifier et
générer de l’avantage comparatif révélé dans beaucoup d’autres produits.
Dans le but de classer les produits et les pays selon le niveau de sophistication des
produits et leur proximité, les travaux de Felipe et al (2010a) ont permis de construire
une matrice 9x9 qui donne une information sur la nature des produits et une
classification des pays. Ainsi, les produits sont classés de par leur :
• Degré de sophistication : PRODY élevé, PRODY moyen, PRODY faible ;
38
• Proximité avec les autres produits : PATH élevé, PATH moyen, PATH faible.
Le tableau n°8 donne la classification de 779 produits issus de cette méthodologie. Les
produits appartenant aux groupes MPR_MPA (niveau de sophistication moyen,
proximité moyenne), HPR_MPA (niveau de sophistication élevé, proximité moyenne),
MPR_HPA (niveau de sophistication moyen, proximité élevée), HPR_HPA (niveau de
sophistication élevé, proximité élevé) peuvent être considérés comme de « bons
produits » et ceux figurant dans les cinq catégories restantes sont qualifiés de « mauvais
produits ».
Tableau n°8: matrice PRODY-PATH du Sénégal
Niveau de sophistication (PRODY)
PRODY faible (LPR) PRODY moyen (MPR) PRODY élevé (HPR)
Proximité (PATH)
PATH faible (LPA)
LPR_LPA : 14%
MPR_LPA : 4.9%
HPR_LPA : 4.9%
PATH moyen (MPA)
LPR_MPA : 28.7%
MPR_MPA : 10.4%
HPR_MPA : 5.5%
PATH élevé (HPA)
LPR_HPA : 12.2%
MPR_HPA : 15. 2%
HPR_HPA : 4.3%
Source: Felipe et al (2010a)
Des produits comme les céréales et les matières premières figurent dans la catégorie
« mauvais produits » alors que la machinerie et les produits chimiques (HPR_HPA) se
distinguent de par leur niveau de sophistication et d’une bonne proximité avec les
autres produits (« bons produits »). Ils sont façonnés par l’action de l’homme alors que
le premier groupe de produits est l’œuvre de la nature. Les produits phares du Sénégal
au début des indépendances étaient dans la catégorie des produits dits
« mauvais produits». Ce qui explique le retard accusé par notre économie à procéder
aux changements structurels. Aussi, les métaux, la machinerie et les produits chimiques
sont-ils considérés éléments constitutifs du centre de l’espace des produits; ils affichent
un niveau de PRODY élevé et fournissent des aptitudes prêtes à être redéployées pour
exporter d’autres produits (PATH élevé). Toujours sur la base de ces informations, les
pays peuvent être également classés selon les produits qu’ils exportent ; pour chaque
pays, la part des produits exportés avec un ACR est déterminée pour les neuf catégories
répertoriées par la matrice PRODY-PATH. Par conséquent, le classement d’un pays est
ainsi donné par la cellule où il réalise la plus grande proportion. Plus précisément,
39
lorsque la part des produits au cœur de l’espace des produits d’une économie est
supérieure à 30%, elle est classée parmi les pays “High-core” sinon elle figure parmi les
“Low-core”. Les économies à haut revenu appartiennent aux catégories HPR_HPA,
HPR_MPA, MPR_MPA, et MPR_HPA. Elles produisent et exportent les produits du
cœur de l’espace des produits. Par contre, les économies qui figurent parmi les
catégories HPR_LPA, LPR_MPA et LPR_HPA sont qualifiées pays de la “middle product
trap”. Il s’agit des pays relativement avancés; ils exportent une proportion significative
des produits du cœur de l’espace des produits (machinerie, produits chimiques,
traitement des données et les produits électroniques). Toutefois, leurs exportations
portent également sur des produits qui sont ni sophistiqués ni véritablement connectés
aux autres produits. La dernière catégorie de pays est occupée par les exportateurs de
produits du type MPR_MPA, MPR_HPA et LPR_HPA. Ces pays sont appelés “low-core
countries”. Ce groupe de pays est scindé en deux sous-groupes. Les pays de la “middle-
low product trap” constitués de la plupart des pays producteurs de pétrole. L’autre sous-
groupe de pays du “low-core” exporte des produits du type LPR_LPA et LPR_MPA. Ces
produits sont à la fois faiblement sophistiqués et faiblement reliés aux autres produits.
Ils sont dénommés les pays de la “low product trap”. En résumé, on a :
a) Les pays de la “middle-product trap” : la Chine, le Brésil, l’Inde, la Malaisie, la
Thaïlande.
b) Les pays de la “low product trap”: Algérie, Australie, Bangladesh, Chile, Nigéria,
le Rwanda
c) Les pays de la “middle-low product trap” comme l’Arabie Saoudite, les Emirats
arabes unies
d) Les pays “HPR_MPA”: l’Irlande et le Singapore
e) Les pays “HPR_HPA”: la Finlande
Selon les investigations, le Sénégal a, sur la période récente (2003-2007), exporté 164
produits qui ont un ACR. Sur ces produits, 31,1% figurent dans le cœur de l’espace des
produits donc de la catégorie « high core ». Plus spécifiquement, le Sénégal sur les 164
produits recensés comme ayant un ACR, 28.7% sont du type LPR_MPA soit faiblement
sophistiqués et moyennement connectés aux autres produits. Il partage cette
caractéristique avec des pays comme l’Arménie, la Jordanie, Hong-Kong, l’Inde, la
40
Chine, l’Afrique du Sud, la Thaïlande, Israël, le Liban, les Philippines, la Russie, etc. Les
produits LPR_MPA sont largement dominés par ceux provenant de l’agriculture
tropicale, les produits animaux, les céréales, les produits intensifs en capital
(notamment les peaux et cuirs), les matières premières. En résumé, le Sénégal est classé
parmi les pays de la “Middle Product Trap”. C’est pourquoi, pour réussir le pari de
l’émergence, le Sénégal doit engager les réformes permettant de faciliter les sauts
horizontaux vers les produits proches de son panier d’exportation (chimie), renforcer le
dialogue public-privé pour la hausse de la productivité et de la qualification des
travailleurs et encourager les interventions des pouvoirs publics allant dans ce sens et
notamment celles portant sur l’adoption et l’imitation des nouvelles technologies par les
grappes naturelles ou provoquées. L’amélioration des infrastructures et de la régulation
doit s’inscrire également dans cette perspective.
3.3.3. Comparaison de l’évolution des exportations du Sénégal et de la Corée
du Sud entre 1962 et 2009
Au début des années 60, le Sénégal et la Corée du Sud présentaient une structure des
exportations faiblement sophistiquées et une connectivité molle entre les différents
produits où ils avaient un avantage révélé. Ainsi, le Sénégal en disposait 28 et la Corée
du Sud 32. Les produits sénégalais étaient largement dominés par les arachides vertes,
les gommes naturelles, le tourteau, l’huile d’arachide, les chaussures (habillement), les
peaux et cuirs, les produits agro-alimentaires notamment les sucreries ne contenant pas
de chocolat, les boissons non alcoolisées, les chandelles et les allumettes, le phosphate
de calcium et aluminium, les engrais phosphatés et les matières premières (les éléments
à bases inorganiques et oxydes métalliques, hydroxydes et peroxydes et les autres
métaux non ferreux). Au même moment, la Corée du Sud disposait du riz, des
légumineuses séchées ou décortiquées, des produits animaliers (poissons et crustacés,
huile de poissons et d’animaux marins), des peaux et cuirs, du textile et de l’habillement
(soie, tissus écran à coton), de la machinerie avec les unités de puissance à vapeur, des
produits tressés, des métaux non ferreux.
41
Figure n°19 : Carte de l’espace-produit du Sénégal et de la Corée du sud en 1962
Exportations du Sénégal en 1962
Exportations de la Corée du Sud en 1962
Les années 80 ont coïncidé avec un changement radical des produits exportés par ces
deux pays. Tous les deux ont augmenté les produits ayant un avantage comparatif
révélé : le Sénégal enregistre 48 produits, la Corée du Sud 190. La Corée du Sud se
distingue particulièrement avec l’apparition des produits électroniques (TV, jouet,
microcircuits électriques, les machines et équipements électriques), les métaux (fer et
acier), les produits chimiques, la construction navale, les véhicules, les appareils
électrothermiques, les machines à coudre et une densification des produits issus de la
confection et les produits chimiques alors que le Sénégal n’a pas beaucoup diversifié ses
exportations si ce n’est une extension des produits de la périphérie notamment avec la
pêche (poissons, crustacés et mollusques), le textile, les fruits secs, les légumes frais ou
réfrigérés. Toutefois, des progrès balbutiants sont notés au niveau du cœur de l’espace
des produits notamment dans la machinerie, des hétérosides et des vaccins, du savon.
42
Figure n°20 : Carte de l’espace-produit du Sénégal et de la Corée du sud en 1980
Exportations du Sénégal en 1980
Exportations de la Corée du Sud en 1980
Durant les années 2000, la Corée du sud a un délaissé le textile et l’habillement au profit
d’une plus grande spécialisation dans l’électronique, l’industrie lourde, les métaux, les
machines et les produits chimiques avec 138 produits ayant un avantage comparatif
révélé. Par contre, le Sénégal, avec ses 92 produits ayant un ACR, privilégie toujours les
produits issus de l’agriculture (coton, gomme naturelle, riz, tomates fraîches, les
légumes frais), les produits animaux (poissons), les cuirs et peaux et fait également des
progrès en matière de machinerie (camions et camionnettes, AC moteurs électriques et
générateurs, des éléments sans mécanisme de propulsion des véhicules, véhicules de
transport public, rouleaux, du fil machine en fer ou acier), des métaux (alliage de cuivre
et cuivre, fer/acier formes), le fil électrique, les tonneaux métalliques pour l’emballage
de marchandises, l’amiante et les fibres de ciment et renforce son expertise en matière
de produits chimiques (produits chimiques organiques, articles en plastique).
43
Figure n°21 : Carte de l’espace-produit du Sénégal et de la Corée du sud en 2009
Exportations du Sénégal en 2009
Exportations de la Corée du Sud en 2009
Au total, la Corée du sud a su vaincre les obstacles du décollage en mettant dès le début
des années 70, les réformes nécessaires pour accélérer la transformation structurelle
alors que le Sénégal a buté sur les problèmes liés au passage des produits issus de
l’agriculture vers d’autres produits plus sophistiqués. En d’autres termes, la méthode
de l’espace des produits a montré que la structure des exportations du Sénégal a à peine
changé depuis plus de cinquante ans contrairement à la Corée du Sud. Le Sénégal est
resté exportateur de quelques produits qui sont presque tous en marge de l’espace des
produits (à l’exception des produits chimiques).
Cette situation, si elle n’est pas modifiée, risque d’hypothéquer gravement les
perspectives d’exportation et de développement du pays. Le Sénégal a à faire des
efforts pour ajouter à sa gamme des exportations plus proches de l’intérieur du réseau
de l’espace des produits en développant des avantages comparatifs dans certains
produits en réseau, en particulier l’électronique, les vêtements, etc.
4. Les secteurs choisis
44
Pour rehausser le potentiel de croissance et assurer la prise en charge des besoins
essentiels des populations, la question de la construction d’un nouveau modèle
économique capable de placer le Sénégal sur le chemin de la prospérité se pose avec
acuité. Le modèle économique issu de l’indépendance n’a pas pu permettre de réaliser
cet objectif alors que d’autres pays qui étaient dans les mêmes conditions économiques
et sociales y sont parvenus. Ainsi, sur la base du travail d’identification du degré de
sophistication des produits exportés et de l’intensité de la productivité des sous-
secteurs d’accueil, une liste restreinte de sous-secteurs est proposée pour installer une
croissance soutenue au Sénégal. Il s’agit de :
• L’horticulture ;
• Les industries chimiques, de caoutchouc et les fabrications de verre,
poterie et matériaux de construction (cimenterie) ;
• Le tourisme;
• Les services financiers et activités immobilières ;
• Les télécommunications.
Dans l’immédiat, l’agriculture, un des piliers essentiels, pour accélérer la croissance et
lutter plus efficacement contre la pauvreté doit être érigée en priorité de la politique de
développement. La situation non temporaire du niveau élevé des prix mondiaux exige
sans nul doute dans le moyen terme de relancer l’activité de production locale par la
hausse des investissements dans le domaine agricole et les efforts d’encadrement du
monde rural. Toutes les initiatives qui visent la valorisation et la transformation des
produits agricoles sont à encourager et le nouveau modèle économique proposé
accorde une place prépondérante aux cultures vivrières et à l’horticulture. Pour cela, la
mise en place d’une politique d’infrastructures rurales, de maîtrise de l’eau,
d’instruments de financement plus efficaces et d’un régime foncier assurant une plus
grande sécurité de l’investissement privé est plus que nécessaire.
Le modèle économique bâti sur l’horticulture remplacera celui de l’arachide. Le Sénégal
regorge d’importantes potentialités dans ce sous-secteur notamment avec la mangue,
les fleurs, etc. L’horticulture reste une filière à énormes potentialités de génération de
revenus et d’emplois. Toutefois, cela ne signifie pas la fin de la culture de l’arachide. Un
modèle parallèle à celui de l’arachide est à instaurer. Le développement de
45
l’horticulture s’appuiera sur l’installation d’unités de conditionnement et de
transformation des fruits et légumes conformes aux normes internationales d’hygiène et
de qualité. Dans ce cadre, cette performance sera consolidée en droite ligne les objectifs
d’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. Pour cela, les efforts seront orientés vers
l’amélioration des capacités de production, le renforcement de la productivité et la
diversification des exportations. De plus, les exportations de certains produits horticoles
transformés doivent refléter un certain niveau de sophistication technologique que
l’exportateur doit acquérir afin de se conformer aux normes strictes phytosanitaires des
pays à revenus élevés et ces mêmes capacités peuvent dans l’avenir être utilisées pour
des produits similaires à revenu élevé (« Monkey forest »).
Le tourisme, autre sous-secteur à fort potentiel de croissance, de création de richesses et
d’emplois est à développer. Déjà choisi, parmi les grappes de la stratégie de croissance
accélérée, le tourisme devra tirer profit de la position géographique du Sénégal. Le pays
peut devenir un lieu naturel où l’industrie du tourisme peut prospérer si les efforts sont
faits pour accompagner les professionnels évoluant dans le sous-secteur. La réduction
de la TVA à 10% s’inscrit dans ce sens. Les grands événements religieux dans le pays
drainent des millions de pèlerins et il s’agit d’organiser et de faciliter l’accès aux
financements des acteurs du tourisme et de l’agro-industrie qui constitue un sous-
secteur d’appui au tourisme. Le tourisme médical adossé à un développement des
centres hospitaliers est également à mettre au cœur de la politique touristique du pays.
Les industries chimiques, de caoutchouc et les fabrications de verre, poterie et
matériaux de construction (cimenterie) ont développé et consolidé un avantage
comparatif révélé au cours des décennies écoulées et occupent actuellement une bonne
partie des produits exportés par le Sénégal. Elles peuvent également constituer la base
industrielle du pays. Les produits issus de ces industries figurent parmi les champions
émergents et présentent une attractivité à cause des revenus qu’ils génèrent. De plus, le
Sénégal a su développer des aptitudes (capabilities) permettant d’approfondir davantage
les avantages comparatifs révélés. Etant donné que les probabilités de passage des
produits chimiques vers les industries lourdes (machinerie, métaux) sont élevées, il est
important d’utiliser les facteurs de production de ces industries pour faciliter la
migration vers les véritables produits du cœur de l’espace des produits. Toutefois, cette
46
stratégie ne doit pas occulter l’approfondissement nécessaire de la position de ces
produits notamment avec l’émergence des autres produits chimiques et ceux liés à la
santé si l’on se réfère à leur probabilité de transition intra élevée (proximité).
Le nouveau modèle économique doit également prendre en compte la position
dominante des services au Sénégal. C’est pourquoi, sa construction doit aussi reposer des
sous-secteurs qui ont porté la croissance économique pendant toute cette période et qui
peuvent être des éléments d’appui à ce nouveau paradigme. De plus, l’analyse du degré
de sophistication des services (Mishra et al. (2011)) a révélé que les services financiers et
les TIC ont des PRODY les plus élevés dans les services. Ainsi, le PRODY des services
est de 22763$ et celui des TIC de 17791$ entre 1990 et 2007. De plus, le niveau de
sophistication des services affecte positivement la croissance économique du PIB per
capita.
Le sous-secteur des télécommunications a, depuis plus d’une décennie, été
principalement avec les BTP le moteur de croissance au Sénégal et la société leader en
télécommunications (SONATEL) a un rôle majeur à jouer dans cette nouvelle donne.
Pour cela, elle doit miser sur les activités d’adaptation des technologies issues des pays
avancés et développer les activités de sous-traitances pour les petites et moyennes
entreprises. Un partenariat efficace est à bâtir avec les universités pour faire émerger un
pôle des technologies de l’information. L’idée de création de pépinières spécialisées
dans les TIC ou centre d’incubation (exemple de CTIC Dakar) est à encourager pour
accompagner les entreprises TIC ainsi que les tous porteurs de projets dans la création
et le développement. De plus, à l’instar des économies comme la Corée du Sud, la
Tunisie, le Botswana qui ont su faire le saut dans l’électronique et le traitement des
données, les télécommunications au Sénégal devront jouer le rôle de catalyseur. Le
Sénégal a raté ce passage qui a caractérisé tous ces pays qui avaient les mêmes
caractéristiques économiques que le Sénégal.
Un autre sous-secteur d’appui est les services financiers. Ils constituent avec les activités
immobilières le sous-secteur où le Sénégal a su développer d’énormes gains de
productivité. En effet, comme il avait été précédemment indiqué, le Sénégal est leader
en termes de productivité dans ce domaine. Le développement important de ce sous-
secteur ces dernières années et l’arrivée massive de banques étrangères témoignent de
47
l’existence d’une niche à exploiter. Le Sénégal pourrait devenir un centre financier de
l’Afrique de l’Ouest né de la jonction entre le pôle des technologies de l’information et
les services financiers. L’érection de ce pôle permettra de mobiliser des ressources pour
le financement de l’industrialisation et des exportations.
Enfin, le choix des secteurs porteurs de croissance doit également reposer sur une
volonté de diversification et de valorisation des exportations. Cette démarche de
recherche de marchés extérieurs pour générer une demande suffisante pour faire une
croissance économique soutenue et durable est indispensable au Sénégal nouvellement
membre des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. En réalité, de récents
travaux (Felipe et al. (2012)) ont montré qu’il faut 28 ans et une croissance économique
du PIB13 per capita de 4.7% par an pour passer en moyenne d’un pays à revenu
intermédiaire de la tranche inférieure à un pays intermédiaire de la tranche supérieure.
Pour ce qui est du passage d’un pays intermédiaire de la tranche supérieure à un pays à
haut revenu, il faut 14 années et un taux de croissance du PIB per capita de 3.5% par an.
Mieux, selon la méthodologie de l’espace-produit, les entreprises sénégalaise doivent se
lancer dans des activités relatives au cœur de cet espace produits suivant l’exemple des
pays d’Asie de l’Est afin d’améliorer le potentiel d’exportation du pays. L’expérience de
ces pays montre qu’il est impératif de faciliter les conditions d’accès et d’arrivée à
maturité des entreprises qui peuvent commencer à pénétrer le cœur de l’espace des
produits et devenir, par opportunisme, exportatrices de produits divers. Ces conditions
dépendent fortement du financement de l’investissement industriel. Il est clair que le
coût du financement et son accès limité constituent les problèmes majeurs de la
croissance et limitent sans nul doute les capacités d’exportation des entreprises du pays.
5. Les leviers de la croissance
Les stratégies de croissance14 peuvent être menées à deux temps. D’abord, un temps
d’installation de la croissance économique qui rime avec une stratégie d’investissement
pour lancer le processus. Et dans une seconde phase, il s’agit d’instaurer de façon
13
Pour le cas du Sénégal, il faut donc un taux de croissance économique de l’ordre de 7.3% si l’on prend en
compte le croît démographique de 2.6%.
14 Un travail sur la méthode « Diagnostic de la croissance « et les stratégies de croissance est en cours.
48
durable la croissance économique à travers une stratégie institutionnelle pour faire
durer la croissance.
5.1. Consolidation macroéconomique
La politique budgétaire peut influer sur l’activité et la croissance à moyen terme ainsi
que sur le cycle économique. Lorsqu’elles sont peu élevées, les dépenses publiques sont
susceptibles d’avoir des effets productifs supérieurs au coût social de la mobilisation
des fonds.
Au Sénégal, la consolidation du cadre macroéconomique exige de ramener le déficit
public en deçà 4% d’ici 2015 afin d’affecter les ressources disponibles à des dépenses
favorisant la croissance et l’emploi. Dans ce cadre, les pouvoirs publics doivent
s’engager à élaborer un budget de l’Etat sincère qui révisera la composition des
dépenses et privilégiera la qualité et la nature productive de leur destination. Au regard
des difficultés actuelles, une politique d’ajustement sur la demande doit se traduire par
la répercussion intégralement à terme des variations des cours, afin d’encourager les
consommateurs et les producteurs à faire les ajustements nécessaires et réorienter les
ressources disponibles vers des dépenses pro croissance et emploi.
5.2. Institutions
Les différences de performance entre les nations ont donné naissance à une abondante
littérature. Les travaux de Aghion et Howitt (1992, 1998, 2005, 2006, 2008), de Knack et
Keefer (1995), de Hall et Jones (1999), mais surtout ceux d’Acemoglu, Johnson et
Robinson (2001) ont montré que le principal candidat à cette explication serait le
contexte institutionnel. Les institutions définies selon les propres termes de Douglass
North comme « les règles du jeu dans une société, ou plus formellement, les contraintes
élaborées par l’homme pour façonner les interactions humaines » constituent sans nul
doute le facteur clé de notre future réussite. Ces « bonnes institutions » doivent
permettre la protection des droits de propriété, limiter le pouvoir des élites et de ceux
qui ont le pouvoir quelle que soit sa nature et promouvoir l’égalité des chances entre les
individus. D’ailleurs, l’expérience des 13 économies identifiées par la Commission sur
la croissance et le développement des Nations unies ayant réalisé une croissance
économique moyenne de 7% durant un quart de siècle et les enseignements de la
littérature économique révèlent que les économies qui sont à la phase d’accumulation
49
du capital et donc éloignées dans la frontière technologique ont beaucoup plus intérêt à
instaurer des institutions appropriées capables de créer les conditions de
développement de l’initiative privée. En effet, si la croissance se nourrit de capital
humain, physique ou technologie, encore faut-il s’assurer que les sociétés soient en
mesure de fournir de tels inputs. Pour soutenir le nouveau modèle économique, le
Sénégal doit choisir une stratégie de développement économique basée sur la réformes
des institutions, c’est-à-dire, qu’il est économiquement rationnel pour le pays de mettre
en place des institutions garantissant à la population une bonne protection des droits de
propriété privée, une régulation efficace des activités économiques et plus de liberté et
de participation politique. Car les transformations structurelles nécessaires pour le
Sénégal est conditionnelle à l’émergence d’un secteur privé national.
5.3. Education
L’équation de Mincer est le point de référence de la vaste littérature sur les rendements
de l’éducation. Jusqu’au début des années 2000, l’article pionnier de Mankiw, Romer et
Weil (1992) faisait référence pour analyser l’impact macroéconomique du système
éducatif sur la croissance. Selon ces auteurs, le capital humain joue le même rôle dans la
production que le capital physique et l’accumulation des années d’études traduit la
démultiplication de la force de travail et par ricochet l’augmentation de l’efficacité
productive à technologie constante. Cette hausse permet alors de compenser les
rendements décroissants du capital et par conséquent de soutenir la croissance dans le
long terme. La principale leçon distillée par ce schéma est que pour maintenir une
croissance positive à long terme il faut impérativement augmenter constamment le
niveau d’éducation de la population. Toutefois, cette démarche a été remise en cause
d’abord par les travaux de Benhabib et Spiegel (1994) qui ont introduit une dimension
plus technologique du rôle de l’éducation dans la croissance économique et par la suite
par Krueger et Lindhal (2001). Ces derniers ont relativisé les travaux de Benhabib et
Spiegel et introduit l’idée selon laquelle l’éducation a un rôle significatif sur la
croissance à la fois de par l’accumulation et de par le niveau initial de capital humain.
Les nouvelles théories de la croissance ont su donner l’explication des disparités du PIB
par tête et de la productivité des nations en la différence dans les institutions
notamment (les systèmes éducatifs et les politiques de Recherche et Développement).
50
Mieux, elles ont révélé que l’éducation et la recherche constituent les facteurs de
croissance dans tous les pays quel que soit leur niveau de développement
technologique.
Au regard de ce qui précède, la refondation du modèle économique au Sénégal milite
en faveur d’une réflexion autour de l’idée centrale : quelle formation pour les secteurs
porteurs de croissance économique soutenable identifiés par la méthodologie de
l’espace-produit? Certes, l’éducation est un maillon important pour la consolidation de
notre démocratie et l’obtention d’institutions fortes mais il est nécessaire de mettre en
place des politiques structurelles sur l’éducation et de procéder à une profonde
réflexion sur son contenu. En effet, il s’agit de voir quelle formation il faut pour une
croissance économique soutenue pour notre pays. Au stage actuel de notre
développement économique, l’accent doit être mis plus sur l’éducation et la formation
pré-universitaire car dans la catégorie de pays où se trouve le Sénégal, la croissance
n’est portée par l’innovation. De même, pour répondre à la lancinante question de
l’emploi et réajuster le rôle trop important du secteur des services peu pourvoyeur de
main d’œuvre, le Gouvernement devra s’atteler à développer la formation dans les
métiers de l’agriculture et de l’industrie.
5.4. Développement financier
Les marchés de capitaux tiennent une place importante dans le financement des
activités d’une économie. Ils contribuent à la croissance économique par le canal de
l’innovation technologique et l’accumulation de capital et les études sur la croissance
économique citent le développement financier comme un élément important de la
croissance. Un système financier bien développé peut mobiliser l’épargne et l’orienter
vers des investissements rentables à grande échelle, tout en offrant aux épargnants une
liquidité élevée.
De récents travaux sur le Sénégal ont montré que la faiblesse du marché financier est
une des imperfections majeures qui empêche de développer l’initiative privée et
d’accélérer la croissance économique (Diop et Diané (2007), Diop (2010), DASP(2009),
Dufrenot et Sakho(2008)). De ces investigations, il ressort le constat d’un financement
relativement faible des entreprises locales par le système bancaire. Le climat des affaires
est caractérisé par le financement des projets des entreprises sur fonds propres. En effet,
51
au Sénégal, en raison du faible accès des entreprises au système bancaire, seulement
64% des entreprises ont accès au crédit. Ce qui a comme corolaire une distribution des
crédits bancaires orientés vers les grandes entreprises qui disposent d’une plus grande
visibilité et les entreprises évoluant dans les sous-secteurs « commerce, bars,
restaurants », les activités de rente, les entreprises de nationalité étrangère en un mot le
marché du crédit est rationné (rationnement classique et auto-rationnement). Ce constat
trouve également son explication dans le fait que les banques ont plus de visibilité et
d’informations sur ces types de clients et le partage de l’information a un impact
relativement faible sur les conditions d’accès au financement. Les résultats en matière
de développement du secteur financier (taux d’intérêt élevés) au Sénégal ont montré
que l’ouverture des marchés financiers n’a pas permis aux banques de jouer leur rôle
d’intermédiaire en affectant l’épargne au secteur privé et aux investissements. Ce qui
aurait pu accroître la productivité des entreprises. De la même manière, les perspectives
d’investissement sont limitées et la hausse du crédit générée par la libéralisation a été
davantage affectée à la consommation et aux activités à court terme et non à des
investissements grâce auxquels les entreprises privées auraient renouvelé leurs
technologies.
L’approfondissement du marché financier constitue un énorme chantier pour les pays
en développement, en particulier le Sénégal. En effet, le financement de l’économie
constitue un élément explicatif du retard économique de nos économies. Les travaux de
Aghion, Howitt et Mayer-Foulkes (2005) ont montré que le développement financier
affecte la convergence des économies via la croissance de la productivité plutôt que
l’accumulation de capital. Une réforme en profondeur est nécessaire pour alimenter nos
économies en liquidité et lutter contre le rationnement du crédit car sa bonne
distribution permet d’assurer une forte croissance économique.
Au total, l'approfondissement du secteur pourrait participer à l’augmentation de la
croissance potentielle et la réduction de la pauvreté au Sénégal en finançant
l’industrialisation et la diversification des exportations. Pour cela, les mesures telles que
le développement du marché interbancaire et la révision du coefficient de
transformation pourraient y jouer un rôle primordial.
6. Conclusion
52
Depuis plus d’un demi-siècle, le Sénégal n’a pas réussi à faire face aux nombreux défis
économiques. L’analyse de sa trajectoire économique a montré les maigres
performances réalisées (stagnation du niveau de vie des populations) alors que des
pays ayant le même niveau de développement que lui dans les années 60 (Tunisie,
Corée du Sud) y sont parvenus.
La tentative de compréhension des facteurs explicatifs de ce retard indique que le
modèle économique jusque là proposé n’a pas été bâti sur des ressorts de productivité
et de compétitivité. C’est pourquoi, les pouvoirs publics qui ont des objectifs
d’améliorer le niveau de vie et le bien être social de la population doivent engager les
transformations structurelles idoines pour une croissance économique soutenue et
durable. La combinaison de la méthodologie de l’espace-produit et le diagnostic du
niveau de productivité des sous-secteurs a permis d’identifier l’horticulture, le
tourisme, les industries chimiques, les télécommunications et les services de la finance
comme les futurs créneaux porteurs de croissance économique et de création d’emplois
au Sénégal. Toutefois, la réussite de ce nouveau modèle économique est tributaire des
politiques d’accompagnement notamment la consolidation du cadre macroéconomique,
la réforme du marché du travail, l’érection d’institutions appropriées capables de
faciliter l’accumulation du capital, la refonte du système éducatif et enfin
l’approfondissement du marché financier.
53
Références
Abdon Arnelyn et Jesus Felipe (2011), “The product space: What does it say about the
opportunities for growth and structural transformation of Sub-Saharan Africa? “,
Working paper, Levy Economics Institute, No. 670.
Acemoglu Daron et F. Zilibotti (1997), “Was Prometheus unbound by chance? Risk
diversification and growth” Journal of Political Economy 105, 709-751.
Acemoglu Daron, P.Aghion et F. Zilibotti (2006), "Distance to Frontier, Selection, and
Economic Growth", Journal of the European Economic Association 4, 37–74.
Acemoglu Daron, Simon Johnson et James A. Robinson (2001) "The Colonial Origins
of Comparative Development: An Empirical Investigation." American Economic
Review, December, 91 (5), pp. 1369-1401.
Aghion Philippe et Peter Howitt (2008), The Economics of Growth, MIT Press,
Cambridge.
Aghion Philippe et Peter Howitt. (2006),"Joseph Shumpeter Lecture - Appropriate
Growth Policy: A Unifying Framework", Journal of the European Economic
Association, vol. 4, n° 2-3.
Aghion Philippe et Peter Howitt (2005),"Growth with Quality-Improving Innovations:
an Integrated Framework ", dans Aghion P. et Durlauf S. (eds), Handbook of Economic
Growth, North Holland, Amsterdam.
Aghion Philippe et Peter Howitt (1998) Endogenous Growth Theory MIT Press.
Aghion Philippe et Peter Howitt (1992),"A Model of Growth through Creative
Destruction ", Econometrica, vol. 60, n° 2, pp. 473-494.
Aghion Philippe, Peter Howitt et David Mayer-Foulkes (2005),"The Effect of Financial
Development on Convergence: Theory and Evidence", Quarterly Journal of Economics
120 (February 2005): 173-222.
Benhabib J. et M. Speigel (1994), "The Role of Human Capital in Economic
Development: Evidence from Aggregate Cross Country Data ", Journal of Monetary
Economics, vol. 34, n° 2, pp. 143-173.
Ben Hammouda H., Karingi S.N., Njuguna A.E. et Sadni-Jallab M., (2006)
“Diversification: vers un paradigme pour le développement de l’Afrique.” CAPC
Travail n°36, Addis Abeba, CEA.
54
Cadot O., C. Carrère et V. Strauss-Kahn (2011) "Export Diversification: What’s Behind
The Hump?", Review of Economics and Statistics, MIT Press, 93(2), pp. 590-605.
Cottet Christophe, Nicole Madariaga, Nicolas Jégou (2012), "La diversification des
exportations en zone franc : degré, sophistication et dynamique", AFD, Macroéconomie
& Développement, n°3.
Diop Mouhamadou Bamba (2010), "Facteurs déterminants de la croissance des
entreprises sénégalaises ", ActuEntreprise, n°10, DASP.
Diop Mouhamadou B. et Serigne Moustapha Sène (2012), "La rigidité des salaires et
ses effets sur la productivité au Sénégal ", Document d’Etude, n°22, DPEE.
Diop Mouhamadou Bamba et Alsim Fall (2011), "Problématique du choix du régime
de change dans les pays de la CEDEAO ", Document d’Etude, n°19, DPEE.
Diop Mouhamadou Bamba et Seynabou Niang (2010) "Mésalignement du taux de
change effectif réel au Sénégal et en Côte d’Ivoire" Mimeo, DPEE.
Diop Mouhamadou Bamba et Abdoulaye Fame (2007), "Sources des fluctuations
économique au Sénégal", Document d’Etude, n°4, DPEE.
Mouhamadou Bamba et Fatou Diané (2007), "Gestion du risque de crédit et
financement des économies de l’UEMOA", Document d’Etude, n°3, DPEE.
Direction de l’Appui au Secteur Privé (2009), "Le financement des PME au Sénégal :
quelles solutions?", ActuEntreprise, n°09.
Dufrenot Gilles et El Hadji Abdou Sakho (2008), Enjeux des politiques
macroéconomiques des pays de l'UEMOA, Economica.
Easterly W.et A. Reshef (2010), "African Export Successes: Surprises, Stylized Facts, and
Explanations", NBER Working Paper No 16597, Cambridge, MA.
Felipe Jesus, Utsav Kumar, Arnelyn Abdon (2011), “Tracking the Middle-income Trap:
What Is It, Who Is in It, and Why?” Working Paper 715 (April 2012). Levy Institute of
Bard College, New York.
Felipe Jesus, Utsav Kumar, Arnelyn Abdon (2010a), " How Rich Countries Became
Rich and Why Poor Countries Remain Poor: It’s the Economic Structure . . . Duh!",
Working Paper No. 644, Levy Economics Institute of Board College.
55
Felipe Jesus, Utsav Kumar, Norio Usui et Arnelyn Abdon (2010b), “Why Has China
Succeeded? And Why it Will Continue to Do So.” Working Paper No. 611. Annandale-
on-Hudson, NY: Levy Economics Institute of Bard College.
Felipe Jesus, Utsav Kumar et Arnelyn Abdon (2010c), “Exports, Capabilities, and
Industrial Policy in India.” Working Paper No. 638. Annandale-on-Hudson, NY: Levy
Economics Institute of Bard College.
Gerschenkron Alexander (1962) Economic Backwardness in Historical Perspective.
Harvard University Press.
Hausmann Ricardo et D. Rodrik (2003), "Economic Development as Self-Discovery",
Journal of Development Economics, Elsevier, 72(2), pp. 603-633.
Hausmann Ricardo, R. Hwang et Rodrik Dani (2007), "What You Export Matters",
Journal of Economic Growth, Springer, 12(1), pp. 1-25.
Hausmann Ricardo et B. Klinger (2006), "Structural Transformation and Patterns of
Comparative Advantage in the Product Space", Working Paper No 128, Center for
International Development, Harvard University, Cambridge MA.
Hausmann Ricardo, Klinger Bailey et Wagner Rodrigo (2008) " Doing Growth
Diagnostics in Practice: A Mindbook" CID Working Papers Series.
Hesse H. (2009), "Export Diversification and Economic Growth" , in NEWFARMER R. ,
W. SHAW et P. WALKENHORST (2009), Breaking Into New Markets: Merging Lessons
for Export Diversification, pp. 55-80, Banque mondiale, Washington DC.
Hidalgo C., B. Klinger, A.L. Barabasi et Ricardo Hausmann (2007) “The Product Space
Conditions the Development of Nations.” Science 317: 482–487.
Imbs J. et R. Wacziarg (2003), "Stages of Diversification", American Economic Review,
American Economic Association, 93(1), pp. 63-86.
Jones Charles et Robert E. Hall (1999), "Why Do Some Countries Produce So Much
More Output per Worker than Others?", The Quarterly Journal of Economics, Vol. 114,
No. 1.
Klinger B. et D. Lederman (2006), "Diversification, Innovation, and Imitation Inside the
Global Technological Frontier", Research Policy Working Paper No 3872, Banque
mondiale, Washington DC.
56
Knack S. et P. Keefer (1995), “Institutions and economic performance: cross-country
tests using alternative institutional measures", Economics and Politics, vol. 7, no. 3, pp.
207-227.
Krueger A.B et Lindahl (2001), "Education for Growth: Why and For Whom?", Journal
of Economic Literature, vol. XXXIX, pp. 1101–1136.
Mankiw N.G., D. Romer et D.N. Weil. (1992), "A Contribution to the Empirics of
Economic Growth ", Quarterly Journal of Economics, n° 107-2, pp. 407-37.
Mishra Saurabh, Susanna Lundstrom et Rahul Anand (2011),"Service Export
Sophistication and Economic Growth", Policy Research Working Paper 5606, The World
Bank South Asia Region Economic Policy and Poverty.
Osakwe P. (2007), "Foreign Aid, Resources and Export Diversification in Africa: A New
Test of Existing Theories", Working Paper No 2228, MPRA, Université de Munich.
Rodrik Dani (2008a), "The Real Exchange Rate and Economic Growth", Brookings
Papers on Economic Activity, 2008:2.
Rodrik Dani (2008b), Nations et mondialisation: les stratégies nationales de
développement dans un ensemble globalisé, Editions La Découverte.
Rodrik Dani (2006), "What’s So Special About China’s Exports?", NBER Working Paper
No 11947, Cambridge, MA.
Rodrik Dani et Mc Margaret Mc Millan (2011), "Globalization, Structural Change, and
Productivity Growth, Working paper, Harvard Kennedy School.