8/6/2019 Voyage Spirite en 1862
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ALLAN KARDEC
VOYAGESPIRITEEN 1862
CONTENANT :
1. Les Observations sur l'tat du Spiritisme.
2. Les Instructions donnes dans les diffrents groupes.
3. Les Instructions sur la formation des Groupes et Socits, et un modle de Rglement
leur usage.
HORS LA CHARITE, POINT DE SALUT
HORS LA CHARITE, POINT DE VRAIS SPIRITES
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IMPRESSIONS GENERALES
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Notre premire tourne spirite, qui eut lieu en 1860, se borna Lyon et quelques villes qui se
trouvaient sur notre route. L'anne suivante nous ajoutmes Bordeaux notre itinraire, et cette
anne-ci, outre ces deux villes principales, durant un voyage de sept semaines et un parcours de
six-cent-quatre-vingt-treize lieues, nous avons visit une vingtaine de localits et assist plus
de cinquante runions. Notre but n'est point de faire un rcit anecdotique de notre excursion ;
nous en avons recueilli tous les pisodes qui, un jour peut-tre, ne seront pas sans intrt, car ce
sera de l'histoire ; mais aujourd'hui nous nous bornons rsumer les observations que nous avons
faites sur l'tat de la doctrine, et porter la connaissance de tous les instructions que nous
avons donnes dans les diffrents centres. Nous savons que les vrais Spirites le dsirent, et nous
tenons plus les satisfaire que ceux qui ne cherchent que la distraction ; d'ailleurs, dans ce rcit,
notre amour-propre serait trop souvent intress, et c'est un motif prpondrant pour nous de
nous abstenir ; c'est aussi la raison qui nous empche de publier les nombreux discours qui nous
ont t adresss, mais que nous conservons comme de prcieux souvenirs. Ce que nous ne
pourrions nous empcher de constater sans ingratitude, c'est l'accueil si bienveillant et si
sympathique que nous avons reu, et qui et suffi pour nous ddommager de nos fatigues. Nous
devons particulirement des remerciements aux Spirites de Provins, Troyes, Sens, Lyon,
Avignon, Montpellier, Cette, Toulouse, Marmande, Albi, Sainte-Gemme, Bordeaux, Royan,
Meschers-sur-Garonne, Marennes, St-Pierre d'Olron, Rochefort, St-Jean d'Angly, Angoulme,
Tours et Orlans, et tous ceux qui n'ont pas recul devant un voyage de dix et vingt lieues pourvenir nous rejoindre dans les villes o nous nous sommes arrt. Cet accueil et vraiment t
capable de nous donner de l'orgueil si nous n'avions considr que ces dmonstrations
s'adressaient bien moins nous qu' la doctrine dont elles constatent le crdit, puisque sans elle
nous ne serions rien et l'on ne penserait pas nous.
Le premier rsultat que nous avons constat, c'est l'immense progrs des croyances Spirites ; un
seul fait pourra en donner une ide. Lors de notre premier voyage Lyon, en 1860, on y comptait
tout au plus quelques centaines d'adeptes ; l'anne suivante, ils taient dj cinq six mille, et
cette anne-ci, il est impossible de les compter ; mais on peut, sans exagration, les valuer de
vingt-cinq trente mille. A Bordeaux, l'anne dernire, ils n'taient pas mille, et dans l'espace
d'un an le nombre a dcupl. Ceci est un fait constant que personne ne saurait nier. Un autre fait
que nous avons pu constater, et qui est de notorit, c'est que dans une foule de localits o leSpiritisme tait inconnu, il a pntr, grce aux prdications contraires qui l'y ont fait connatre et
ont inspir le dsir de savoir ce que c'est ; puis, comme on l'a trouv rationnel, il a conquis des
partisans. Nous pourrions citer, entre autres, une petite ville du dpartement d'Indre-et-Loire o,
il y a tout au plus six mois, on n'en avait jamais entendu parler, lorsqu'il vint un prdicateur
l'ide de fulminer en chaire contre ce qu'il appelait faussement et maladroitement la religion du
dix-neuvime sicle et le culte de Satan. La population, surprise, voulut savoir ce qu'il en tait :
on fit venir des livres, et aujourd'hui les adeptes y forment un centre ; tant il est vrai que les
Esprits avaient raison de nous dire, il y a quelques annes, que nos adversaires serviraient eux-
mmes notre cause, sans le vouloir. Il est constant que partout la propagation a t en raison des
attaques ; or, pour qu'une ide se propage de cette manire, il faut qu'elle plaise et qu'on la trouve
plus rationnelle que ce qu'on lui oppose. Un des rsultats de notre voyage a donc t de constaterpar nos yeux ce que nous savions dj par notre correspondance.
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Il est vrai de dire toutefois que cette marche ascendante est loin d'tre uniforme ; s'il est des
contres o l'ide Spirite semble germer mesure qu'on la sme, il en est d'autres o elle pntre
plus difficilement, par des causes locales, tenant au caractre des habitants et surtout la nature
de leurs occupations ; les Spirites y sont clairsems, isols ; mais l, comme ailleurs, ce sont des
racines qui tt ou tard auront des rejetons, ainsi que cela s'est vu dans les centres aujourd'hui les
plus nombreux. Partout l'ide Spirite commence dans la classe claire et moyenne ; nulle partelle n'a commenc par la classe infrieure et ignorante ; de la classe moyenne elle s'tend vers le
haut et le bas de l'chelle sociale, aujourd'hui, plusieurs villes ont des runions presque
exclusivement composes de membres du barreau, de la magistrature et de fonctionnaires ;
l'aristocratie fournit aussi son contingent d'adeptes, mais, jusqu' prsent, ils se contentent d'tre
sympathiques et se runissent peu, en France du moins ; les runions de ce genre se voient plutt
en Espagne, en Russie, en Autriche et en Pologne, o le Spiritisme a des reprsentants clairs
dans les rangs les plus levs.
Un fait plus important encore peut-tre que le nombre est ressorti de nos observations, c'est le
point de vue srieux sous lequel on envisage la doctrine ; partout on en recherche, nous pouvons
dire avec avidit, le ct philosophique, moral et instructif; nulle part nous n'avons vu en faireun sujet d'amusement ni rechercher les expriences comme sujet de distraction ; partout lesquestions futiles et de curiosit sont cartes. La plupart des groupes sont trs bien dirigs ;
beaucoup mme le sont d'une manire remarquable et avec la connaissance des vrais principes de
la science. Tous sont unis d'intention avec la socit de Paris et n'ont d'autre drapeau que lesprincipes enseigns par le Livre des Esprits. Il y rgne gnralement un ordre et unrecueillement parfaits ; nous en avons vu Lyon et Bordeaux, composs habituellement de
cent deux cents personnes dont la tenue ne serait pas plus difiante dans une glise. C'est
Lyon qu'a eu lieu la runion gnrale la plus importante, elle se composait de plus de six cents
dlgus des diffrents groupes, et tout s'y est admirablement pass.
Ajoutons que nulle part les runions n'ont prouv la moindre opposition, et nous devons des
remerciements aux autorits civiles pour les marques de bienveillance dont nous avons t l'objet
en plusieurs circonstances.
Les mdiums se multiplient galement, et il y a peu de groupes qui n'en possdent plusieurs, sans
parler de la quantit bien plus considrable de ceux qui n'appartiennent aucune runion, et
n'usent de leur facult que pour eux et leurs amis ; dans le nombre, il en est d'une grande
supriorit comme crivains propres aux diffrents genres ; ceux qui dominent sont lesmdiums moralistes, peu amusants pour les curieux, qui feront bien d'aller chercher desdistractions ailleurs que dans les runions spirites srieuses. Lyon a plusieurs mdiums
dessinateurs remarquables ; un mdium peintre l'huile qui n'a jamais appris ni le dessin ni la
peinture et plusieurs mdiums voyants dont nous avons pu constater la facult. A Marennes, il y
a aussi une dame mdium dessinateur, qui est en mme temps trs bon mdium crivain pour les
dissertations et les vocations. A Saint-Jean d'Angly, nous avons vu un mdium mcaniquequ'on peut regarder comme exceptionnel ; c'est une dame qui crit de longues et belles
communications tout en lisant son journal ou en faisant la conversation et sans regarder sa main.
Il lui arrive mme quelquefois de ne pas s'apercevoir quand elle a fini. Les mdiums illettrs sont
assez nombreux, et l'on en voit souvent qui crivent sans avoir jamais appris crire ; cela n'est
pas plus tonnant que de voir un mdium dessiner sans avoir appris le dessin. Mais ce qui estcaractristique, c'est la diminution vidente des mdiums effets physiques, mesure quese multiplient les mdiums communications intelligentes ; c'est que, comme l'ont dit lesEsprits, la priode de la curiosit est passe, et que nous sommes dans la seconde priode qui est
celle de la philosophie. La troisime, qui commencera avant peu, sera celle de l'application la
rforme de l'humanit.
Les Esprits, qui conduisent fort sagement les choses, ont voulu d'abord appeler l'attention sur cenouvel ordre de phnomnes et prouver la manifestation des tres du monde invisible ; en
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piquant la curiosit, ils se sont adresss tout le monde, tandis qu'une philosophie abstraite
prsente au dbut n'et t comprise que d'un petit nombre, et l'on en et difficilement admis
l'origine ; en procdant par gradation, ils ont montr ce qu'ils pouvaient faire. Mais comme, en
dfinitive, les consquences morales taient le but essentiel, ils ont pris le ton srieux quand ils
ont jug suffisant le nombre des personnes dispos les couter, s'inquitant peu des
rcalcitrants. Maintenant, quand la science Spirite sera solidement constitue, quand elle aura tcomplte et dgage de toutes les ides systmatiques errones qui tombent chaque jour devant
un examen srieux, ils s'occuperont de son tablissement universel par des moyens puissants ; en
attendant, ils sment l'ide par tout le monde, afin que, lorsque le moment sera venu, elle trouve
partout des jalons, et ils sauront bien alors surmonter tous les obstacles, car que peuvent contre
eux et contre la volont de Dieu, les obstacles humains ?
Cette marche rationnelle et prudente se montre en tout, mme dans l'enseignement de dtail,
qu'ils graduent et proportionnent selon les temps, les lieux et les habitudes des hommes ; une
lumire clatante et subite n'claire pas, elle blouit ; aussi les Esprits ne l'ont-ils prsente que
petit petit. Quiconque suit le progrs de la science Spirite reconnat qu'elle grandit en
importance mesure qu'elle pntre de plus profonds mystres ; elle aborde aujourd'hui des ides
dont on ne se doutait pas il y a quelques annes, et elle n'a pas dit son dernier mot, car elle nousrserve bien d'autres rvlations.
Nous avons reconnu cette marche progressive de l'enseignement par la nature descommunications obtenues dans les diffrents groupes que nous avons visits, compares celles
d'autrefois ; elles ne se distinguent pas seulement par leur tendue, leur ampleur, la facilit de
l'obtention et la haute moralit, mais surtout par la nature des ides qui y sont traites, et le sont
quelquefois d'une manire magistrale. Cela dpend sans doute beaucoup du mdium, mais ce
n'est pas tout ; il ne suffit pas d'avoir un bon instrument, il faut un bon musicien pour en tirer de
beaux sons, et il faut ce musicien des auditeurs capables de le comprendre et de l'apprcier,
autrement il ne se donnerait pas la peine de jouer devant des sourds.
Ce progrs, du reste, n'est pas gnral ; abstraction faite des mdiums, nous l'avons constamment
vu en rapport avec le caractre des groupes ; il atteint son plus grand dveloppement dans ceux
o rgnent, avec la foi la plus vive, les sentiments les plus purs, le dsintressement moral leplus absolu, les Esprits sachant trs bien o ils peuvent placer leur confiance pour les choses qui
ne peuvent tre comprises de tout le monde. Dans ceux qui se trouvent dans de moins bonnes
conditions, l'enseignement est bon, toujours moral, mais se renferme plus gnralement dans les
banalits.
Par dsintressement moral, nous entendons l'abngation, l'humilit, l'absence de touteprtention orgueilleuse, de toute pense de domination l'aide du Spiritisme. Il serait superflu de
parler du dsintressement matriel, parce que cela va de source, et en outre parce que nous
avons vu partout une rpulsion instinctive contre toute ide de spculation, qui serait regarde
comme un sacrilge. Les mdiums intresss et de profession sont inconnus partout o noussommes alls, l'exception d'une seule ville qui en compte quelques-uns. Celui qui, Bordeaux
ou ailleurs, ferait mtier de sa facult, n'inspirerait aucune confiance ; bien plus, il serait repouss
par tous les groupes. Nous constatons le sentiment que nous avons remarqu.
Un autre trait caractristique de cette poque, c'est le nombre incalculable et sans cesse croissant
des adeptes qui n'ont rien vu et qui n'en sont pas moins fervents, parce qu'ils ont lu et compris.A Cette, par exemple, ils ne connaissent les mdiums que de nom et par les livres, et pourtant il
est difficile de rencontrer plus de foi et de ferveur. L'un d'eux nous demandait si cette facilit
accepter la doctrine sur la simple thorie tait un bien ou un mal, si elle tait le propre d'un esprit
srieux ou superficiel. Nous lui rpondmes que la facilit accepter l'ide est un indice de la
facilit la comprendre ; qu'elle peut tre inne comme toute autre ide, et qu'il suffit alors d'une
tincelle pour la faire sortir de son tat latent. Cette facilit comprendre dnote undveloppement antrieur dans ce sens; il y aurait lgret l'accepter sur parole et en aveugle ;
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mais il n'en est pas ainsi de ceux qui ne l'adoptent qu'aprs avoir tudi et compris : ils voient par
les yeux de l'intelligence ce que d'autres ne voient que par les yeux du corps. Cela prouve qu'ils
attachent plus d'importance au fond qu' la forme ; pour eux, la philosophie est leprincipal ; lefait mme des manifestations est accessoire. Cette philosophie leur explique ce qu'aucuneautre n'a pu leur expliquer ; elle satisfait leur raison par sa logique, comble en eux le vide du
doute, et cela leur suffit ; c'est pourquoi ils la prfrent toute autre.Il est rare que ceux qui sont dans cette catgorie ne soient pas de bons et vrais Spirites, parce
qu'il y a en eux le germe de la foi, touff momentanment par les prjugs terrestres. Au reste,
les motifs de conviction varient selon les individus. Aux uns, il faut des preuves matrielles ;
d'autres, les preuves morales suffisent. Or, il en est qui ne sont convaincus ni par les unes ni par
les autres ; ces nuances sont un diagnostic de la nature de leur esprit. Dans tous les cas, il faut
peu compter sur ceux qui disent : Je ne croirai que si l'on produit telle chose , et pas du tout
sur ceux qui croient au-dessous d'eux de se donner la peine d'tudier et d'observer. Quant ceux
qui disent Quand mme je verrais, je ne croirais pas, parce que je sais que c'est impossible , ilest inutile d'en parler, et plus inutile encore de perdre son temps avec eux.
C'est sans doute beaucoup de croire, mais la croyance seule est insuffisante si elle n'amne pas
de rsultats, et il y en a malheureusement beaucoup dans ce cas, c'est--dire pour qui leSpiritisme n'est qu'un fait, une belle thorie, une lettre morte qui n'amne en eux aucun
changement ni dans leur caractre, ni dans leurs habitudes ; mais ct des Spirites simplement
croyants ou sympathiques l'ide, il y a les Spirites de coeur, et nous sommes heureux d'en avoir
rencontr beaucoup. Nous avons vu des transformations qu'on peut dire miraculeuses ; nous
avons recueilli d'admirables exemples de zle, d'abngation et de dvouement, de nombreux
traits de charit vraiment vanglique, qu'on pourrait juste titre appeler : Beaux traits duSpiritisme. Aussi les runions exclusivement composes de vrais et sincres Spirites, de ceux enqui parle le coeur, prsentent-elles un aspect tout spcial ; toutes les physionomies refltent la
franchise et la cordialit ; on se sent l'aise dans ces milieux sympathiques, vrais temples de la
fraternit. Les Esprits s'y plaisent autant que les hommes, et c'est l qu'ils sont le plus expansifs,
qu'ils donnent leurs instructions intimes. Dans celles, au contraire, o il y a divergence dans les
sentiments, o les intentions ne sont pas toutes pures, o l'on voit le sourire sardonique et
ddaigneux sur certaines lvres, o l'on sent le souffle du mauvais vouloir et de l'orgueil, o l'on
craint chaque instant de marcher sur le pied de la vanit blesse, il y a toujours gne, contrainte
et dfiance. L, les Esprits sont eux-mmes plus rservs, et les mdiums souvent paralyss par
l'influence des mauvais fluides qui psent sur eux comme un manteau de glace. Nous avons eu le
bonheur d'assister de nombreuses runions de la premire catgorie, et nous avons inscrit avec
joie ces sances sur nos tablettes comme un des plus agrables souvenirs qui nous soient rests
de notre voyage. Les runions de cette nature se multiplieront sans aucun doute mesure que le
vritable but du Spiritisme sera mieux compris ; ce sont aussi celles qui font la plus solide et la
plus fructueuse propagande, parce qu'elles s'adressent aux gens srieux, et qu'elles prparent larforme morale de l'humanit en prchant d'exemple.Il est remarquable que les enfants levs dans ces ides ont une raison prcoce qui les rend
infiniment plus faciles gouverner ; nous en avons vu beaucoup, de tout ge et des deux sexes,
dans les diverses familles spirites o nous avons t reu, et nous avons pu le constater par nous-
mmes. Cela ne leur te ni la gaiet naturelle, ni l'enjouement ; mais il n'y a pas chez eux cette
turbulence, cette opinitret ces caprices qui en rendent tant d'autres insupportables ; ils ont, au
contraire, un fonds de docilit, de douceur et de respect filial qui les porte obir sans effort, et
les rend plus studieux ; c'est ce que nous avons remarqu, et cette observation nous a t
gnralement confirme. Si nous pouvions analyser ici les sentiments que ces croyances tendent
dvelopper en eux, on concevrait aisment le rsultat qu'ils doivent produire ; nous dirons
seulement que la conviction qu'ils ont de la prsence de leurs grands-parents qui sont l, ctd'eux, et peuvent sans cesse les voir, les impressionne bien plus vivement que la peur du diable,
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auquel ils finissent bientt par ne plus y croire, tandis qu'ils ne peuvent douter de ce dont ils sont
tmoins tous les jours dans le sein de la famille. C'est donc une gnration spirite qui s'lve, et
qui va sans cesse s'augmentant. Ces enfants, leur tour, levant leurs enfants dans ces principes,
tandis que les vieux prjugs s'en vont avec les vieilles gnrations, il est vident que l'ide
spirite sera un jour la croyance universelle.
Un fait non moins caractristique de l'tat actuel du Spiritisme, c'est le dveloppement ducourage de l'opinion. S'il est encore des adeptes retenus par la crainte, le nombre en est vraiment
bien peu considrable aujourd'hui ct de ceux qui avouent hautement leurs croyances et ne
craignent pas plus de se dire Spirites que de se dire catholiques, juifs ou protestants. L'arme du
ridicule a fini par s'mousser force de frapper sans faire brche, et devant tant de personnes
notables qui arborent hautement la nouvelle philosophie, elle a d s'abaisser. Une seule arme
reste encore suspendue : c'est l'ide du diable ; mais c'est le ridicule lui-mme qui en fait justice.
Du reste, ce n'est pas seulement ce genre de courage que nous avons remarqu, c'est aussi celui
de l'action, du dvouement et du sacrifice, c'est--dire de ceux qui se mettent rsolument la tte
du mouvement des ides nouvelles dans certaines localits, en payant de leur personne et en
bravant les menaces et les perscutions. Ils savent que, si les hommes leur font du mal dans cette
courte vie, Dieu ne les oubliera pas.L'obsession est, comme on le sait, un des grands cueils du Spiritisme ; nous ne pouvions donc
ngliger un point aussi capital. Nous avons recueilli ce sujet d'importantes observations qui
feront l'objet d'un article spcial de la Revue, dans lequel nous parlerons des possds deMorzine, que nous avons aussi t visiter dans la Haute Savoie. Nous dirons seulement ici que
les cas d'obsession sont trs rares chez ceux qui ont fait une tude pralable et attentive du Livredes Mdiums et se sont identifis avec les principes qu'il renferme, parce qu'ils se tiennent surleurs gardes, piant les moindres signes qui pourraient trahir la prsence d'un Esprit suspect.
Nous avons vu quelques groupes qui sont videmment sous une influence abusive, parce qu'ils
s'y complaisent et y donnent prise par une confiance trop aveugle et certaines dispositions
morales ; d'autres, au contraire, ont une telle crainte d'tre abuss qu'ils poussent la dfiance pour
ainsi dire l'excs, scrutant avec un soin mticuleux toutes les paroles et toutes les penses,
prfrant rejeter ce qui est douteux que de s'exposer admettre ce qui serait mauvais ; aussi les
Esprits trompeurs, voyant qu'ils n'ont rien faire l, finissent par s'en aller, et vont se
ddommager auprs de ceux qu'ils savent moins difficiles, et o ils trouvent quelques faiblesses
et quelques travers d'esprit exploiter. L'excs en tout est nuisible ; mais en pareil cas, il vautencore mieux pcher par trop de prudence que par trop de confiance.Un autre rsultat de notre voyage a t de nous permettre de juger l'opinion concernant certaines
publications qui s'cartent plus ou moins de nos principes, et dont quelques-unes mme y sont
franchement hostiles.
Disons tout d'abord que nous avons rencontr une approbation unanime pour notre silence
l'gard des attaques qui nous sont personnelles, et que nous recevons journellement des lettres deflicitation ce sujet. Dans plusieurs des discours qui ont t prononcs, on a hautement
applaudi notre modration ; l'un d'eux, entre autres, contient le passage suivant : La
malveillance de vos ennemis produit un effet tout contraire ce qu'ils en attendent, c'est de vous
grandir encore aux yeux de vos nombreux disciples et de resserrer les liens qui les unissent
vous ; par votre indiffrence vous montrez que vous avez le sentiment de votre force. En
opposant la mansutude aux injures, vous donnez un exemple dont nous saurons profiter.
L'histoire, cher matre, comme vos contemporains, et mieux encore qu'eux, vous tiendra compte
de cette modration quand elle constatera, par vos crits, qu'aux provocations de l'envie et de la
jalousie, vous n'avez oppos que la dignit du silence. Entre eux et vous, la postrit sera juge.
Les attaques personnelles ne nous ont jamais mu ; il aurait pu en tre autrement de celles qui
sont diriges contre la doctrine. Nous avons quelquefois rpondu directement certains critiquesquand cela nous a paru ncessaire, et afin de prouver qu'au besoin nous pouvions relever un gant.
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Nous l'eussions fait plus souvent, si nous avions vu que ces attaques portaient un prjudice rel
au Spiritisme, mais quand il a t prouv par les faits que, loin de lui nuire, elles servaient sa
cause, nous avons admir la sagesse des Esprits employant ses ennemis mme pour le propager,
et faire, la faveur du blme, pntrer l'ide dans des milieux o elle ne fut jamais entre parl'loge. C'est un fait que notre voyage a constat pour nous d'une manire premptoire, car, dans
ces mmes milieux, il a recrut plus d'un partisan. Quand les choses vont toutes seules, pourquoidonc s'escrimer combattre des attaques sans porte ? Quand une arme voit que les balles de
l'ennemi ne l'atteignent pas, elle le laisse tirer tout son aise et user ses munitions, bien certaine
d'en avoir meilleur march aprs. En pareil cas, le silence est souvent une feinte ; l'adversaire
auquel on ne rpond pas croit n'avoir pas frapp assez fort ou n'avoir pas trouv le point
vulnrable ; alors, confiant dans un succs qu'il croit facile, il se dcouvre et se coule lui-mme ;
une riposte immdiate l'et mis sur ses gardes. Le meilleur gnral n'est pas celui qui se jette
corps perdu dans la mle, mais celui qui sait attendre et voir venir. C'est ce qui est arriv
quelques-uns de nos antagonistes ; en voyant la voie o ils s'engageaient, il tait certain qu'ils s'y
enfonceraient de plus en plus ; nous n'avons eu qu' les laisser faire ; ils ont bien plus et plus tt
discrdit leurs systmes par leurs propres exagrations, que nous n'eussions pu le faire par nos
arguments.Pourtant, disent de soi-disant critiques de bonne foi, nous ne demanderions pas mieux que de
nous clairer, et si nous attaquons, ce n'est point par hostilit de parti pris, ni mauvais vouloir,
mais pour que de la discussion jaillisse la lumire. Parmi ces critiques, il en est assurment de
sincres ; mais il est remarquer que ceux qui n'ont en vue que les questions de principes
discutent avec calme et ne s'cartent jamais des convenances ; or, combien y en a-t-il ? Que
contiennent la plupart des articles que la presse, petite ou grande, a dirigs contre le Spiritisme ?
Des diatribes, des facties gnralement fort peu spirituelles, de sottes et plates plaisanteries,
souvent des injures qui font assaut de grossiret et de trivialit. Sont-ce l des critiques
srieuses, dignes d'une rponse ? Il y en a qui montrent un bout d'oreille si grand qu'il devient
inutile de le faire remarquer, puisque tout le monde le voit. Ce serait vraiment leur donner trop
d'importance, mieux vaut donc les laisser se frotter les mains dans leur petit cercle, que de les
mettre en vidence par des rfutations sans objet, puisqu'elles ne les convaincraient pas. Si la
modration n'tait pas dans nos principes, parce qu'elle est la consquence mme de ceux de la
doctrine Spirite, qui prescrit l'oubli et le pardon des offenses, nous y serions encourag en voyant
l'effet produit par ces attaques, ayant pu constater que l'opinion nous venge mieux que ne
pourraient le faire nos paroles.
Quant aux critiques srieux, de bonne foi, qui prouvent leur savoir-vivre par urbanit des formes,
ils mettent la science au-dessus des questions de personne ; ceux-l nous avons maintes fois
rpondu, sinon toujours directement, du moins en saisissant les occasions de traiter dans nos
crits les questions controverses, si bien qu'il n'y a pas une objection qui n'y trouve sa rponse
pour quiconque veut se donner la peine de les lire. Pour rpondre chacun individuellement, ilnous faudrait sans cesse rpter la mme chose, et cela ne servirait que pour un ; le temps,
d'ailleurs, ne nous le permettrait pas, tandis qu'en profitant d'un sujet qui se prsente pour y
glisser une rfutation ou donner une explication, c'est, le plus souvent, mettre l'exemple ct du
prcepte, et cela sert pour tout le monde.
Nous avions annonc un petit volume de Rfutations ; nous ne l'avons point encore publi,parce qu'il nous a sembl que rien ne pressait, et nous avons eu raison. Avant de rpondre
certaines brochures qui devaient, au dire de leurs auteurs, saper les fondements du Spiritisme,
nous avons voulu juger l'effet qu'elles produiraient. Eh bien ! notre voyage nous a convaincu
d'une chose, c'est qu'elles n'ont rien sap du tout, que le Spiritisme est plus vivace que jamais, et
qu'aujourd'hui on parle peine de ces brochures. Nous savons que dans la classe des personnes
auxquelles elles s'adressaient, et auxquelles nous ne nous adressons pas, on ne manque pas de lestrouver sans rplique, et de dire que notre silence est une preuve de notre impuissance
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rpondre ; d'o elles concluent que nous sommes bien et dment battus, foudroys et pourfendus.
Qu'est-ce que cela nous fait, puisque nous ne nous en portons pas plus mal ? Ces crits ont-ils
fait diminuer le nombre des Spirites ? Non. Notre rponse et-elle converti ces personnes ? Non.
Il n'y avait donc aucune urgence les rfuter ; il y avait avantage au contraire, les laisser jeter
leur premier feu.
Quand Sophocle fut accus par ses enfants, qui demandaient son interdiction pour cause dedmence, il fit Oedipe, et sa cause fut gagne. Nous ne sommes pas capables de faire un Oedipe,
mais d'autres se chargent de rpondre pour nous : notre diteur d'abord, en mettant sous presse la
neuvime dition du Livre des Esprits (la premire est de 1857) et la quatrime du Livre desMdiums en moins de deux ans ; les abonns de la Revue Spirite en doublant de nombre et ennous mettant dans la ncessit de faire une nouvelle rimpression des annes antrieures, deux
fois puises ; la Socit Spirite de Paris, en voyant crotre son crdit ; les Spirites, en se
dcuplant d'anne en anne et en fondant de toutes parts, en France et l'tranger, des runions
sous le patronage et d'aprs les principes de la Socit de Paris ; le Spiritisme enfin, en courant le
monde, consolant les affligs, soutenant les courages abattus, semant l'esprance la place du
dsespoir, la confiance en l'avenir la place de la crainte. Ces rponses en valent bien d'autres,
puisque ce sont les faits qui parlent. Mais, comme un coursier rapide, le Spiritisme soulve sousses pieds la poussire de l'orgueil, de l'gosme, de l'envie et de la jalousie, renversant sur son
passage l'incrdulit, le fanatisme, les prjugs, et appelant tous les hommes la loi du Christ,
c'est--dire la charit, la fraternit. Vous qui trouvez qu'il va trop vite, que ne l'arrtez-vous,
ou mieux, que n'allez-vous plus vite que lui ? Le moyen de lui barrer le passage est bien simple :
faites mieux que lui ; donnez plus qu'il ne donne ; rendez les hommes meilleurs, plus heureux,
plus croyants qu'il ne le fait, et on le quittera pour vous suivre ; mais tant que vous ne l'attaquerez
que par des mots et non par des rsultats plus moraux, qu' la charit qu'il enseigne vous ne
substituerez pas une charit plus grande, il faudra vous rsigner le laisser passer. C'est que le
Spiritisme n'est pas seulement une question de faits plus ou moins intressants ou authentiques,pour amuser les curieux ; c'est par-dessus tout une question de principes ; il est fort surtout parses consquences morales ;il se fait accepter, moins en frappant les yeux qu'en touchant lecoeur ; touchez le coeur plus que lui, et vous vous ferez accepter ; or, rien ne touche moins lecoeur et la raison que l'acrimonie et les injures.
Si tous nos partisans taient groups autour de nous, on pourrait y voir une coterie, mais il n'en
saurait tre ainsi des milliers d'adhsions qui nous arrivent de tous les points du globe, de la part
de gens que nous n'avons jamais vus et qui ne nous connaissent que par nos crits. Ce sont l des
faits positifs, qui ont la brutalit des chiffres, et qu'on ne peut attribuer ni aux effets de la rclame
ni la camaraderie du journalisme ; donc si les ides que nous professons, et dont nous ne
sommes que le trs humble diteur responsable, rencontrent de si nombreuses sympathies, c'est
qu'on ne les trouve pas trop dpourvues de sens commun.
Bien que l'utilit de la rfutation que nous avons annonce ne nous soit plus aujourd'huiclairement dmontre, les attaques se rfutant d'elles-mmes par l'insignifiance de leurs rsultats,
tandis que les adeptes ne se comptent plus, nous le ferons nanmoins ; mais les observations que
nous avons faites en voyage ont modifi notre plan, car il y a bien des choses qui deviennent
inutiles, tandis que de nouvelles ides nous ont t suggres. Nous tcherons que ce travail
retarde le moins possible les travaux bien autrement importants qui nous restent faire pour
accomplir l'oeuvre que nous avons entreprise.
En rsum, notre voyage avait un double but : donner des instructions o cela pouvait tre
ncessaire, et nous instruire nous-mme en mme temps. Nous tenions voir les choses par nos
propres yeux, pour juger l'tat rel de la doctrine et la manire dont elle est comprise ; tudierles causes locales favorables ou dfavorables ses progrs, sonder les opinions, apprcier les
effets de l'opposition et de la critique, et connatre le jugement que l'on porte sur certainsouvrages. Nous tions dsireux surtout d'aller serrer la main de nos frres Spirites, et de leur
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VOYAGE SPIRITE EN 1862 9
exprimer personnellement notre bien sincre et bien vive sympathie en retour de celle dont ils
nous donnent de si touchantes preuves par leurs lettres ; de donner, au nom de la Socit de Paris
et au ntre en particulier, un tmoignage spcial de gratitude et d'admiration ces pionniers de
l'oeuvre qui, par leur initiative, leur zle dsintress et leur dvouement en sont les premiers et
les fermes soutiens, marchant toujours en avant sans s'inquiter des pierres qu'on leur jette, et
mettant l'intrt de la cause avant leur intrt personnel. Leur mrite est d'autant plus grand qu'ilstravaillent dans un sol plus ingrat, vivent dans un milieu plus rfractaire, et n'en attendent en ce
monde ni fortune, ni gloire, ni honneur ; mais aussi leur joie est grande quand parmi les ronces
ils voient s'panouir quelques fleurs. Un jour viendra o nous serons heureux d'lever un
panthon aux dvouements Spirites, en attendant que les matriaux en soient rassembls, nous
voulons leur laisser le mrite de la modestie : ils se font connatre et apprcier par leurs oeuvres.
A ces divers points de vue, notre voyage a t trs satisfaisant et surtout trs instructif par les
observations que nous avons recueillies. S'il pouvait rester quelques doutes sur l'irrsistibilit de
la marche de la doctrine et l'impuissance des attaques, sur son influence moralisatrice, sur sonavenir, ce que nous avons vu suffirait pour les dissiper. Il y a certainement encore beaucoup
faire, et dans beaucoup d'endroits elle ne pousse que des rejetons pars, mais ces rejetons sont
vigoureux et donnent dj des fruits. Sans doute la rapidit avec laquelle se propagent les idesspirites est prodigieuse et sans exemple dans les fastes des philosophies, mais nous ne sommes
qu'au commencement de la route, et il reste encore faire la plus grande partie du chemin. Que
la certitude d'atteindre le but soit donc pour tous les Spirites un encouragement persvrer dans
la voie qui leur est trace.
Nous publions ci-aprs le discours principal que nous avons prononc dans les grandes runions
de Lyon, de Bordeaux, et de quelques autres villes. Nous le faisons suivre des instructions
particulires donnes, selon les circonstances, dans les groupes particuliers, en rponse
quelques-unes des questions qui nous ont t adresses.
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DISCOURS PRONONCE DANS LES
REUNIONS GENERALES DESSPIRITESDE LYON ET DE BORDEAUX
I
Messieurs et chers frres Spirites,Vous n'tes plus des coliers en Spiritisme ; je laisserai donc aujourd'hui de ct les dtails
pratiques, sur lesquels j'ai t mme de reconnatre que vous tes suffisamment clairs, pour
envisager la question sous un aspect plus large et surtout dans ses consquences. Ce ct de la
question est grave, le plus grave, sans contredit, puisqu'il montre le but o tend la doctrine et lesmoyens de l'atteindre. Je serai un peu long peut-tre, car le sujet est bien vaste, et pourtant il
resterait encore beaucoup dire pour le complter ; aussi rclamerai-je votre indulgence en
considration de ce que, ne pouvant rester que peu de temps avec vous, je suis forc de dire en
une seule fois ce qu'autrement j'aurais pu rpartir en plusieurs.
Avant d'aborder le ct principal du sujet, je crois devoir l'examiner un point de vue qui m'est
en quelque sorte personnel. Si pourtant ce ne devait tre qu'une question individuelle, assurmentje n'en ferais rien ; mais il s'y rattache plusieurs questions gnrales d'o peut ressortir une
instruction pour tout le monde ; c'est le motif qui m'a dtermin, saisissant ainsi l'occasion
d'expliquer la cause de certains antagonismes qu'on s'tonne de rencontrer sur ma route.
Dans l'tat actuel des choses ici-bas, quel est l'homme qui n'a pas d'ennemis ? Pour n'en pas
avoir, il faudrait n'tre pas sur la terre, car c'est la consquence de l'infriorit relative de notre
globe et de sa destination comme monde d'expiation. Suffit-il pour cela de faire le bien ? Hlas !
non ; le Christ n'est-il pas l pour le prouver ? Si donc le Christ, la bont par excellence, a t en
butte tout ce que la mchancet peut imaginer, faut-il s'tonner qu'il en soit de mme l'gard
de ceux qui valent cent fois moins ?
L'homme qui fait le bien - ceci dit en thse gnrale - doit donc s'attendre trouver de
l'ingratitude, avoir contre lui ceux qui, ne le faisant pas, sont jaloux de l'estime accorde ceuxqui le font ; les premiers, ne se sentant pas la force de s'lever, cherchent rabaisser les autres
leur niveau, tenir, par la mdisance ou la calomnie, ce qui les offusque. On entend souvent dire
dans le monde que l'ingratitude dont on est pay endurcit le coeur et rend goste ; parler ainsi,
c'est prouver qu'on a le coeur facile endurcir, car cette crainte ne saurait arrter l'homme
vraiment bon. La reconnaissance est dj une rmunration du bien que l'on fait ; ne le faire
qu'en vue de cette rmunration, c'est le faire par intrt. Et puis, qui sait si celui qu'on oblige et
dont on n'attendait rien ne sera pas ramen de meilleurs sentiments par de bons procds ?
C'est peut-tre un moyen de le faire rflchir, d'adoucir son me, de le sauver ! Cet espoir est une
noble ambition ; si l'on est du, on n'en aura pas moins fait ce qu'on doit.
Il ne faut pas croire, pourtant, qu'un bienfait demeur strile sur la terre soit toujours
improductif ; c'est souvent une graine seme qui ne germe que dans la vie future de l'oblig.Nous avons souvent observ des Esprits, ingrats comme hommes, tre touchs, comme Esprits,
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VOYAGE SPIRITE EN 1862 11
du bien qu'on leur avait fait, et ce souvenir, en rveillant en eux de bonnes penses, leur a facilit
la voie du bien et du repentir, et contribu abrger leurs souffrances. Le Spiritisme seul pouvait
nous rvler ce rsultat de la bienfaisance ; lui seul il tait donn, par les communications
d'outre-tombe, de montrer le ct charitable de cette maxime : Un bienfait n'est jamais perdu,au lieu du sens goste qu'on lui attribue. Mais revenons ce qui me concerne.
Toute autre question personnelle part, j'ai d'abord des adversaires naturels dans les ennemis duSpiritisme. Ne croyez pas que je m'en chagrine : loin de l ; plus leur animosit est grande, plus
elle prouve l'importance que prend la doctrine leurs yeux ; si c'tait une chose sans
consquence, une de ces utopies qui ne sont pas nes viables, ils n'y feraient pas attention, ni
moi non plus. Ne voyez-vous pas des crits, bien autrement hostiles que les miens aux ides
reues, o les expressions ne sont pas plus mnages que la hardiesse des penses, et dont
cependant ils ne disent pas un mot ? Il en serait de mme des doctrines que j'ai cherch
rpandre si elles fussent restes dans les feuillets d'un livre. Mais ce qui peut sembler plus
tonnant, c'est que j'aie des adversaires, mme parmi les partisans du Spiritisme ; or, c'est ici
qu'une explication est ncessaire.
Parmi ceux qui adoptent les ides spirites, il y a, comme vous le savez, trois catgories bien
distinctes :1. Ceux qui croient purement et simplement aux phnomnes des manifestations, mais n'en
dduisent aucune consquence morale ;
2. Ceux qui voient le ct moral, mais l'appliquent aux autres et non eux ;
3. Ceux qui acceptent pour eux-mmes toutes les consquences de la doctrine, qui en pratiquent
ou s'efforcent d'en pratiquer la morale. Ceux-l, vous le savez aussi, sont les VRAIS SPIRITES,
les SPIRITES CHRETIENS. Cette distinction est importante, parce qu'elle explique bien des
anomalies apparentes ; sans cela, il serait difficile de se rendre compte de la conduite de certaines
personnes. Or, que dit cette morale ? Aimez-vous les uns les autres ; pardonnez vos ennemis ;
rendez le bien pour le mal ; n'ayez ni haine, ni rancune, ni animosit, ni envie, ni jalousie ; soyez
svres pour vous-mmes et indulgents pour les autres. Tels doivent tre les sentiments d'un Vrai
Spirite, de celui qui voit le fond avant la forme, qui met l'Esprit au-dessus de la matire ; il peut
avoir des ennemis, mais il n'est l'ennemi de personne, parce qu'il n'en veut personne ; plus
forte raison ne cherche-t-il faire de mal personne. Ceci, comme vous le voyez, messieurs, est
un principe gnral dont tout le monde peut faire son profit. Si donc j'ai des ennemis, ce ne peut
tre parmi les Spirites de cette catgorie, car en admettant qu'ils eussent des sujets lgitimes de
plainte contre moi, ce que je m'efforce d'viter, ce ne serait pas un motif de m'en vouloir, moins
forte raison si je ne leur ai point fait de mal. Le Spiritisme a pour devise : Hors la charit pointde salut ; il est tout aussi vrai de dire : Hors la charit point de vrais spirites. Je vous engage inscrire dsormais cette double maxime sur votre drapeau, parce qu'elle rsume la fois le butdu Spiritisme et le devoir qu'il impose.
Etant donc admis qu'on ne peut tre bon Spirite avec un sentiment de haine dans le coeur, je meflatte de n'avoir que des amis parmi ces derniers, parce que si j'ai des torts ils sauront les excuser.
Nous verrons tout l'heure quelles immenses et fertiles consquences conduit ce principe.
Voyons donc les causes qui ont pu exciter certaines animosits.
Ds que parurent les premires manifestations des Esprits, beaucoup de personnes y virent un
moyen de spculation, une nouvelle mine exploiter. Si cette ide et suivi son cours, vous
auriez vu pulluler partout des mdiums, ou soi-disant tels, donnant des consultations tant la
sance ; les journaux eussent t couverts de leurs annonces et de leurs rclames ; les mdiums
se fussent transforms en diseurs de bonne aventure, et le Spiritisme et t mis sur la mme
ligne que la divination, la cartomancie, la ncromancie, etc.. Dans ce conflit, comment le public
aurait-il pu discerner la vrit du mensonge ? Le relever de l n'et pas t chose facile. Il fallait
empcher qu'il ne prt cette voie funeste ; il fallait couper dans sa racine un mal qui l'et retardde plus d'un sicle. C'est ce que je me suis efforc de faire en montrant, ds le principe, le ct
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VOYAGE SPIRITE EN 1862 12
grave et sublime de cette science nouvelle ; en la faisant sortir de la voie purementexprimentale pour la faire entrer dans celle de la philosophie et de la morale ; en montrantenfin ce qu'il y a de profanation exploiter les mes des morts, alors qu'on entoure leurs cendres
de respect. Par l, et en signalant les invitables abus qui rsulteraient d'un pareil tat de choses,
j'ai contribu, et je m'en glorifie, discrditer l'exploitation du Spiritisme, et par cela mme
amen le public le considrer comme une chose srieuse et sainte.Je crois avoir rendu quelques services la cause ; mais n'euss-je fait que cela que je m'en
fliciterais. Grce Dieu, mes efforts ont t couronns de succs, non seulement en France,
mais l'tranger ; et je puis dire que les mdiums de profession sont aujourd'hui de rares
exceptions en Europe ; partout o mes ouvrages ont pntr et servent de guide, leSpiritisme est envisag sous son vritable point de vue, c'est--dire sous le point de vueexclusivement moral ; partout les mdiums, dvous et dsintresss, comprenant la saintet deleur mission, sont entours de la considration qui leur est due, quelle que soit leur position
sociale, et cette considration s'accrot en raison mme de l'infriorit de la position rehausse
par le dsintressement.
Je ne prtends nullement dire que parmi les mdiums intresss il ne puisse s'en trouver de trs
honntes et de trs estimables ; mais l'exprience a prouv, moi et bien d'autres, que l'intrtest un puissant stimulant pour la fraude, parce qu'on veut gagner son argent, et que si les Esprits
ne donnentpas, ce qui arrive souvent, puisqu'ils ne sont pas notre caprice, la ruse, fconde enexpdients, trouve aisment moyen d'y suppler. Pour un qui agira loyalement, il y en aura cent
qui abuseraient et qui nuiraient la considration du Spiritisme ; aussi les adversaires n'ont-ils
pas manqu d'exploiter au profit de leur critique les fraudes dont ils ont pu tre tmoins, en en
concluant que tout devait tre faux, et qu'il y avait lieu de s'opposer ce charlatanisme d'un
nouveau genre. En vain objecte-t-on que la sainte doctrine n'est pas responsable des abus ; vous
connaissez le proverbe : Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il est enrag .
Quelle rponse plus premptoire peut-on faire l'accusation de charlatanisme que de pouvoir
dire : Qui vous a pri de venir ? Combien avez-vous pay pour entrer ? Celui qui payeveut tre servi ; il veut en avoir pour son argent ; si on ne lui donne pas ce qu'il attend, il a droit
de se plaindre ; or, pour viter cela, on veut le servir tout prix. Voil l'abus, mais cet abus
menaant de devenir la rgle au lieu d'tre l'exception, il a fallu l'arrter ; maintenant que
l'opinion est faite cet gard, le danger n'est craindre que pour les gens inexpriments. A ceux
donc qui se plaindraient d'avoir t dups, ou de n'avoir pas obtenu les rponses qu'ils dsiraient,
on peut dire : Si vous aviez tudi le Spiritisme, vous auriez su dans quelles conditions il peut
tre observ avec fruit ; quels sont les lgitimes motifs de confiance et de dfiance, ce qu'on peut
en attendre, et vous ne lui auriez pas demand ce qu'il ne peut donner ; vous n'auriez pas t
consulter un mdium comme un tireur de cartes, pour demander aux Esprits des rvlations, des
renseignements sur des hritages, des dcouvertes de trsors, et cent autres choses pareilles qui
ne sont pas du ressort du Spiritisme ; si vous avez t induits en erreur, vous ne devez vous enprendre qu' vous-mmes.
Il est bien vident qu'on ne peut considrer comme exploitation la cotisation que paye une
socit pour subvenir aux frais de la runion. La plus vulgaire quit dit qu'on ne peut imposer
ces frais celui qui reoit, s'il n'est ni assez riche, ni assez libre de son temps pour le faire. La
spculation consiste se faire une industrie de la chose, convoquer le premier venu, curieux ou
indiffrent, pour avoir son argent. Une socit qui agirait ainsi serait tout aussi rprhensible,
plus rprhensible mme qu'un individu, et ne mriterait pas plus de confiance. Qu'une socit
pourvoie tous ses besoins ; qu'elle subvienne toutes ses dpenses et ne les laisse pas supporter
par un seul, c'est de toute justice, et ce n'est l ni une exploitation ni une spculation ; mais il n'en
serait plus de mme si le premier venu pouvait acheter le droit d'y entrer en payant, car ce serait
dnaturer le but essentiellement moral et instructif des runions de ce genre, pour en faire une
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VOYAGE SPIRITE EN 1862 13
sorte de spectacle de curiosits. Quant aux mdiums, ils se multiplient tellement que les
mdiums de profession seraient aujourd'hui compltement superflus.
Telles sont, Messieurs, les ides que je me suis efforc de faire prvaloir, et je suis heureux
d'avoir russi plus facilement que je ne l'aurais cru ; mais vous comprenez que ceux dont j'ai
djou les esprances ne sont pas de mes amis. Voil donc dj une catgorie qui ne peut me voir
d'un bon oeil, ce dont je m'inquite fort peu. Si jamais l'exploitation du Spiritisme tentait des'introduire dans votre ville, je vous invite renier cette nouvelle industrie, afin de n'en point
accepter la solidarit, et que les plaintes auxquelles elle pourrait donner lieu ne puissent retomber
sur la doctrine pure.
A ct de la spculation matrielle, il y a ce qu'on pourrait appeler la spculation morale, c'est--
dire la satisfaction de l'orgueil, de l'amour-propre ; ceux qui, sans intrt pcuniaire, avaient cru
pouvoir se faire du Spiritisme un marchepied honorifique pour se mettre en vidence. Je ne les ai
pas mieux favoriss, et mes crits, aussi bien que mes conseils, ont contrecarr plus d'une
prmditation, en montrant que les qualits du vrai Spirite sont l'abngation et l'humilit selon
cette maxime du Christ : Quiconque s'lve sera abaiss . Seconde catgorie qui ne me veut
pas plus de bien et qu'on pourrait appeler celle des ambitions dues et des amours-propres
froisss.Viennent ensuite les gens qui ne me pardonnent pas d'avoir russi ; pour qui le succs de mes
ouvrages est un crve-coeur ; que les tmoignages de sympathie qu'on veut bien m'accorder
empchent de dormir. C'est la coterie des jaloux, qui n'est pas plus bienveillante, tant s'en faut, et
qui est renforce de celle des gens qui, par temprament, ne peuvent voir un homme lever un
peu la tte sans tre prt lui tirer dessus.
Une coterie des plus irascibles, le croiriez-vous, se trouve parmi les mdiums, non pas les
mdiums intresss, mais ceux qui sont trs dsintresss, matriellement parlant ; je veux parler
des mdiums obsds, ou mieux, fascins. Quelques observations ce sujet ne seront pas sans
utilit.
Par orgueil, ils sont tellement persuads que ce qu'ils obtiennent est sublime, et ne peut venir que
d'Esprits Suprieurs, qu'ils s'irritent de la moindre observation critique, au point de se brouiller
avec leurs amis lorsque ceux-ci ont la maladresse de ne pas admirer ce qui est absurde. L est la
preuve de la mauvaise influence qui les domine car, en supposant que, par un dfaut de jugement
ou d'instruction, ils ne vissent pas clair, ce ne serait pas un motif pour prendre en grippe ceux qui
ne sont pas de leur avis ; mais cela ne ferait pas l'affaire des Esprits obsesseurs qui, pour mieux
tenir le mdium sous leur dpendance, lui inspirent de l'loignement, de l'aversion mme pour
quiconque pourrait lui ouvrir les yeux.
Il y a ensuite ceux dont la susceptibilit est pousse l'excs ; qui se froissent de la moindre
chose, de la place qu'on leur donne dans une runion et ne les met pas assez en vidence, de
l'ordre assign la lecture de leurs communications, ou de ce qu'on refuse la lecture de celles
dont le sujet ne parat pas opportun dans une assemble ; de ce qu'on ne les sollicite pas avecassez d'instances pour donner leur concours ; d'autres trouvent mauvais qu'on n'intervertisse pas
l'ordre des travaux pour se plier leurs convenances ; d'autres voudraient se poser en mdiums
en titre d'un groupe ou d'une socit, y faire la pluie et le beau temps, et que leurs Espritsdirecteurs fussent pris pour arbitres absolus de toutes les questions, etc.. Ces motifs sont si
purils et si mesquins qu'on n'ose pas les avouer ; mais ils n'en sont pas moins la source d'une
sourde animosit qui se trahit tt ou tard ou par le mauvais vouloir ou par la retraite. N'ayant pas
de bonnes raisons donner, il en est qui ne se font pas scrupule d'allguer des prtextes ou des
imaginaires. N'tant nullement dispos me plier devant toutes ces prtentions, c'est un tort, que
dis-je ! un crime impardonnable aux yeux de certaines personnes que naturellement je me suis
mises dos, ce dont j'ai encore le plus grand tort de me soucier comme du reste. Impardonnable !
Concevez-vous ce mot de la part de gens qui se disent Spirites ? Ce mot devrait tre ray duvocabulaire du Spiritisme.
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Ce dsagrment, la plupart des chefs de groupe ou de socit l'ont prouv comme moi, et je les
engage faire comme moi, c'est--dire ne pas tenir des mdiums qui sont plutt une entrave
qu'un secours ; avec eux on est toujours mal l'aise, dans la crainte de les froisser par l'action
souvent la plus indiffrente.
Cet inconvnient tait plus frquent autrefois que maintenant ; alors que les mdiums taient plus
rares, il fallait bien se contenter de ceux qu'on avait ; mais aujourd'hui qu'ils se multiplient vued'oeil, l'inconvnient diminue en raison mme du choix et mesure que l'on se pntre mieux des
vrais principes de la doctrine.
Le degr de la facult part, les qualits essentielles d'un bon mdium sont la modestie, la
simplicit et le dvouement ; il doit donner son concours en vue de se rendre utile et non pour
satisfaire sa vanit ; il ne doit jamais prendre fait et cause pour les communications qu'il reoit,
autrement il ferait croire qu'il y met du sien, et qu'il a un intrt les dfendre ; il doit accepter la
critique, la solliciter mme, et se soumettre l'avis de la majorit sans arrire-pense ; si ce qu'il
crit est faux, mauvais, dtestable, on doit pouvoir le lui dire sans crainte de le blesser, parce
qu'il n'y est pour rien. Voil les mdiums vraiment utiles dans une runion et avec lesquels on
n'aura jamais de dsagrment, parce qu'ils comprennent la doctrine ; les autres ne la comprennent
pas ou ne veulent pas la comprendre. Ce sont ceux aussi qui finissent par obtenir les meilleurescommunications, parce qu'ils ne se laissent point dominer par des Esprits orgueilleux ; les Esprits
trompeurs les redoutent, parce qu'ils savent ne pouvoir les abuser.
Et puis vient la catgorie des gens qui ne sont jamais contents ; les uns trouvent que je vais trop
vite, d'autres trop lentement ; c'est vraiment la fable du Meunier, son fils et l'ne. Les premiersme reprochent d'avoir formul des principes prmaturs, de me poser en chef d'cole
philosophique. Est-ce que, toute ide spirite part, je n'ai pas le droit de crer, comme tant
d'autres, une philosophie ma guise, ft-elle absurde ? Si mes principes sont faux, que n'en
mettent-ils d'autres la place et ne les font-ils prvaloir ? Il parat qu'en gnral on ne les trouve
pas trop draisonnables, puisqu'ils rencontrent un si grand nombre d'adhrents ; mais ne serait-ce
pas cela mme qui excite la mauvaise humeur de certaines gens ? Si ces principes ne trouvaient
point de partisans, fussent-ils ridicules au premier chef, on n'en parlerait pas.
Les seconds, qui prtendent que je ne vais pas assez vite, voudraient me pousser, par bonne
intention, je veux bien le croire, car il vaut mieux croire le bien que le mal, dans une voie o je
ne veux pas m'engager. Sans donc me laisser influencer par les ides des uns et des autres, je
poursuis ma route ; j'ai un but, je le vois, je sais quand et comment je l'atteindrai, et ne m'inquite
pas des clameurs des passants.
Vous le voyez, Messieurs, les pierres ne manquent pas sur mon chemin ; j'en passe et des plus
grosses. Si l'on connaissait la vritable cause de certaines antipathies et de certains loignements,
on serait fort surpris de bien des choses ; il faudrait y ajouter les gens qui se sont mis mon
gard dans des positions fausses, ridicules ou compromettantes, et qui cherchent se justifier, en
dessous main, par de petites calomnies ; ceux qui avaient espr m'attirer eux par la flatterie,croyant m'amener servir leurs desseins et qui ont reconnu l'inutilit de leurs manoeuvres pour
me faire entrer dans leurs vues ; ceux que je n'ai ni flatt ni encenss et qui auraient voulu l'tre ;
ceux enfin qui ne me pardonnent pas de les avoir devins, et qui sont comme le serpent surlequel on met le pied. Si tous ces gens-l voulaient se mettre seulement un instant au point de
vue extra-terrestre, et voir les choses d'un peu haut, ils comprendraient combien ce qui les
proccupe tant est puril, et ne s'tonneraient pas du peu d'importance qu'y attache tout vrai
Spirite. C'est que le Spiritisme ouvre des horizons si vastes, que la vie corporelle, si courte et si
phmre, s'efface avec toutes ses vanits et ses petites intrigues devant l'infini de la vie
spirituelle.
Je ne dois cependant pas omettre un reproche qui m'a t adress : c'est de ne rien faire pour
ramener moi les gens qui s'en loignent. Cela est vrai, et si c'est un reproche fond, je le mrite,car je n'ai jamais fait un pas pour cela, et voici les motifs de mon indiffrence.
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Ceux qui viennent moi, c'est que cela leur convient ; c'est moins pour ma personne que par
sympathie pour les principes que je professe. Ceux qui s'loignent, c'est que je ne leur conviens
pas, ou que notre manire de voir ne concorde pas ; pourquoi donc irais-je les contrarier, et
m'imposer eux ? Il me semble plus convenable de les laisser tranquilles. Je n'en aurais d'ailleurs
vraiment pas le temps, car on sait mes occupations qui ne me laissent pas un instant de repos, et
pour un qui s'en va, il y en a mille qui viennent ; je me dois donc ceux-ci avant tout, et c'est ceque je fais. Est-ce la fiert ? Est-ce mpris des gens ? Oh ! assurment non ; je ne mprise
personne ; je plains ceux qui agissent mal, je prie Dieu et les Bons Esprits de les ramener de
meilleurs sentiments, et voil tout ; s'ils reviennent, ils sont toujours les bienvenus, mais pour
courir aprs eux, jamais je ne le fais, en raison du temps que rclament les gens de bonne
volont ; en second lieu, parce que je n'attache pas certaines personnes l'importance qu'elles
attachent elles-mmes. Pour moi, un homme est un homme, et rien de plus ; je mesure sa valeur
ses actes, ses sentiments, et non son rang ; ft-il haut plac, s'il agit mal, s'il est goste et
vain de sa dignit, il est mes yeux au-dessous d'un simple ouvrier qui agit bien, et je serre plus
cordialement la main d'un petit dont le coeur parle, que celle d'un grand dont le coeur ne dit rien ;
la premire me rchauffe, la seconde me glace.
Les personnages du plus haut rang m'honorent de leur visite, et jamais pour eux un proltaire n'afait antichambre. Souvent dans mon salon le prince se trouve cte--cte avec l'artisan ; s'il s'en
trouvait humili, je dirais qu'il n'est pas digne d'tre Spirite ; mais, je suis heureux de le dire, je
les ai vus souvent se serrer fraternellement la main, et je me suis dit : Spiritisme, voil un de
tes miracles ; c'est l'avant-coureur de bien d'autres prodiges ! .
Il ne tenait qu' moi de m'ouvrir les portes du grand monde ; je n'ai jamais t y frapper ; cela meprendrait un temps que je crois pouvoir employer plus utilement. Je place en premire ligne les
consolations donner ceux qui souffrent ; relever les courages abattus ; arracher un homme
ses passions au dsespoir, au suicide, l'avoir arrt sur la pente du crime peut-tre, cela ne vaut-il
pas mieux que la vue des lambris dors ? J'ai des milliers de lettres qui valent mieux pour moi
que tous les honneurs de la terre, et que je regarde comme mes vrais titres de noblesse. Ne vous
tonnez pas si je laisse aller ceux qui ne me recherchent pas.
J'ai des adversaires, je le sais ; mais le nombre n'en est pas aussi grand qu'on pourrait le croire
d'aprs l'numration que j'ai faite ; ils se trouvent dans les catgories que j'ai cites, mais ce ne
sont toujours que des individualits, et le nombre est peu de chose compar ceux qui veulent
bien me tmoigner de la sympathie. D'ailleurs, jamais ils n'ont russi troubler mon repos ;
jamais leurs machinations ni leurs diatribes ne m'ont mu ; et je dois ajouter que cette profonde
indiffrence de ma part, le silence que j'ai oppos leurs attaques n'est pas ce qui les exaspre le
moins. Quoi qu'ils fassent, jamais ils ne parviendront me faire sortir de la modration qui est la
rgle de ma conduite ; jamais on ne pourra dire que j'ai rpondu l'injure par l'injure. Les
personnes qui me voient dans l'intimit savent si jamais je m'occupe d'eux ; si jamais la Socit
il a t dit un seul mot, ou fait une seule allusion les concernant. Dans la Revue, jamais je n'airpondu leurs agressions, quand elles se sont adresses ma personne, et Dieu sait si ce sontles occasions qui ont manqu !
Que peut d'ailleurs leur mauvais vouloir ? Rien, ni contre la doctrine, ni contre moi-mme. La
doctrine prouve par sa marche progressive qu'elle ne craint rien ; quant moi, je n'occupe aucune
position, donc on ne peut rien m'enlever ; je ne demande rien, je ne sollicite rien, donc on ne peut
rien me refuser ; je ne dois rien personne, donc, on ne peut rien me rclamer ; je ne dis de mal
de personne, pas mme de ceux qui en disent de moi ; en quoi pourraient-ils donc me nuire ? Il
est vrai qu'on peut me faire dire ce que je n'ai pas dit, et c'est ce qu'on a fait plus d'une fois ; mais
ceux qui me connaissent savent ce que je suis capable de dire et de ne pas dire, et je remercie
ceux qui, en pareil cas, ont bien voulu rpondre de moi. Ce que je dis, je suis toujours prt le
rpter, en prsence de qui que ce soit, et quand j'affirme n'avoir pas dit ou fait une chose, je mecrois le droit d'tre cru.
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VOYAGE SPIRITE EN 1862 16
D'ailleurs, que sont toutes ces choses en prsence du but que nous, Spirites sincres et dvous,
poursuivons tous ! de cet immense avenir qui se droule nos yeux ? Croyez-moi, Messieurs, il
faudrait regarder comme un vol fait la grande oeuvre les instants que l'on y droberait pour se
proccuper de ces misres. Pour ma part, je remercie Dieu, pour prix de quelques tribulations
passagres, de m'avoir donn dj ici-bas tant de compensations morales, et la joie d'assister au
triomphe de la doctrine.Je vous demande pardon, Messieurs, de vous avoir si longtemps entretenu de moi, mais j'ai cru
qu'il tait utile d'tablir nettement la position, afin que vous sussiez quoi vous en tenir selon les
circonstances, et que vous soyez bien convaincus que ma ligne de conduite est trace, et que rien
ne m'en fera dvier. Du reste, je crois que de ces observations mmes, et en faisant abstraction de
la personne il a pu en ressortir quelques enseignements utiles.
Passons maintenant un autre point, et voyons o en est le Spiritisme.
II
Le Spiritisme prsente un phnomne inou dans l'histoire des philosophies, c'est la rapidit de samarche ; nulle autre doctrine n'a offert un exemple pareil. Quand on songe aux progrs qu'il fait
d'anne en anne, on peut, sans trop de prsomption, prvoir l'poque o il sera la croyance
universelle.
La plupart des pays trangers participent ce mouvement : L'Autriche, la Pologne, la Russie,
l'Italie, l'Espagne, Contantinople, etc. comptent de nombreux adeptes et plusieurs socits
parfaitement organises. J'ai plus de cent villes inscrites o il existe des runions. Dans le
nombre, Lyon et Bordeaux occupent le premier rang. Honneur donc ces deux cits, imposantes
par leur population et leurs lumires, qui ont plant haut et ferme le drapeau du Spiritisme.
Plusieurs autres ambitionnent de marcher sur leurs traces.
Je suis mme de voir beaucoup de voyageurs ; tous s'accordent dire que chaque anne, ils
trouvent un progrs dans l'opinion ; les rieurs diminuent vue d'oeil. Mais la raillerie succdela colre ; nagure on riait, aujourd'hui on se fche ; c'est de bon augure, selon un vieux
proverbe, et cela fait dire aux incrdules qu'il pourrait bien y avoir quelque chose.
Un fait non moins caractristique, c'est que tout ce que les adversaires du Spiritisme ont fait pour
en entraver la marche, loin de l'arrter, en a activ le progrs, et l'on peut dire que partout le
progrs est en raison de la violence des attaques. La presse l'a-t-elle prn ? Chacun sait que loin
de lui donner un coup d'paule, elle lui a donn des coups de pied tant qu'elle a pu ; eh bien ! ces
coups de pied n'ont abouti qu' le faire avancer. Il en est de mme des attaques de toute nature
dont il a t l'objet.
Il y a donc une chose constante, c'est que, sans le secours d'aucun des moyens employs
vulgairement pour faire ce qu'on appelle un succs, malgr les entraves qu'on lui a suscites, il
n'a cess de grandir, et qu'il grandit tous les jours comme pour donner un dmenti ceux qui lui
prdisaient sa fin prochaine. Est-ce une prsomption, une forfanterie ? Non, c'est un fait qu'il est
impossible de nier. Il a donc puis sa force en lui-mme, ce qui prouve la puissance de cette ide.
Il faut bien que ceux que cela contrarie en prennent leur parti, et se rsignent laisser passer ce
qu'ils ne peuvent arrter. C'est que le Spiritisme est une ide, et que lorsqu'une ide marche, elle
franchit toutes les barrires ; on ne l'arrte pas la frontire comme un ballot de marchandises ;
on brle les livres, mais on ne brle pas une ide, et leurs cendres mmes, portes par le vent,
vont fconder la terre o elle doit fructifier.
Mais il ne suffit pas de lancer une ide de par le monde pour qu'elle prenne racine ; non certes.
On ne cre volont ni des opinions, ni des habitudes ; il en est de mme des inventions et des
dcouvertes : la plus utile choue si elle vient avant son temps, si le besoin qu'elle est destine satisfaire n'existe pas encore. Ainsi en est-il des doctrines philosophiques, politiques, religieuses
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ou sociales ; il faut que l'esprit soit mr pour les accepter ; venues trop tt, elles restent l'tat
latent, et, comme des fruits plants hors de saison, elles ne prosprent pas.
Si donc le Spiritisme trouve de si nombreuses sympathies, c'est que son temps est venu, c'est que
les esprits taient mrs pour le recevoir ; c'est qu'il rpond un besoin, une aspiration. Vous en
avez la preuve dans le nombre, considrable aujourd'hui, des personnes qui l'accueillent sans
surprise, comme une chose toute naturelle, lorsqu'on leur en parle pour la premire fois, et quidisent qu'il leur semblait que les choses devaient tre ainsi, mais sans pouvoir les dfinir. On sent
le vide moral que l'incrdulit, le matrialisme font autour de l'homme ; on comprend que ces
doctrines creusent un abme pour la socit ; qu'elles dtruisent les liens les plus solides, ceux de
la fraternit. Et puis instinctivement, l'homme a horreur du nant, comme la nature a horreur du
vide, c'est pourquoi il accueille avec joie la preuve que le nant n'existe pas.
Mais, dira-t-on, ne lui enseigne-t-on pas chaque jour que le nant n'existe pas ? Sans doute on le
lui enseigne ; mais alors comment se fait-il que l'incrdulit et l'indiffrence aillent sans cesse
croissant depuis un sicle ? C'est que les preuves qu'on lui donne ne lui suffisent plus
aujourd'hui ; qu'elles ne sont plus en rapport avec les besoins de son intelligence. Le
dveloppement scientifique et industriel a rendu l'homme positif ; il veut se rendre compte de
tout ; il veut savoir le pourquoi et le comment de chaque chose ; comprendre pour croire estdevenu un besoin imprieux, c'est pourquoi la foi aveugle n'a plus d'empire sur lui. Selon les uns
c'est un mal, selon les autres c'est un bien ; sans discuter le principe, nous dirons que telle est la
marche de la nature ; l'humanit collective, comme les individus, a son enfance et son ge mr ;
quand elle est l'ge mr, elle secoue ses langes et veut faire usage de ses propres forces, c'est--
dire de son intelligence ; la faire rtrograder est aussi impossible que de faire remonter un fleuve
vers sa source.
Attaquer le mrite de la foi aveugle, dira-t-on, c'est une impit, parce que Dieu veut qu'on
accepte sa parole sans examen. La foi aveugle pouvait avoir sa raison d'tre, je dirai mme sa
ncessit, une certaine priode de l'humanit ; si, aujourd'hui, elle ne suffit plus pour affermir
la croyance, c'est qu'il est dans la nature de l'humanit qu'il en soit ainsi ; or, qui a fait les lois de
la nature ? Dieu, ou Satan ? Si c'est Dieu, il ne saurait y avoir impit suivre ses lois. Si,
aujourd'hui, comprendre pour croire est devenu un besoin pour l'intelligence, comme boire et
manger en est un pour l'estomac, c'est que Dieu veut que l'homme fasse usage de son
intelligence, autrement il ne la lui aurait pas donne. Il est des gens qui n'prouvent pas ce
besoin ; qui se contentent de croire sans examen ; nous ne les blmons nullement, et loin de nous
la pense de les troubler dans leur quitude ; le Spiritisme ne s'adresse point eux ; du moment
qu'ils ont ce qu'il leur faut, il n'a rien leur donner ; il ne donne point manger de force ceux
qui dclarent n'avoir pas faim. Il ne s'adresse donc qu' ceux qui la nourriture intellectuelle
qu'on leur donne ne suffit plus, et le nombre en est assez grand pour qu'il n'ait pas s'occuper des
autres ; de quoi donc ceux-ci ont-ils se plaindre, puisqu'il ne va pas les chercher ? Il ne va
chercher personne ; il ne s'impose personne ; il se borne dire : Me voil, voil ce que je suis ;voil ce que j'apporte ; que ceux qui croient avoir besoin de moi viennent ; que les autres restent
chez eux ; je ne vais pas les troubler dans leur conscience ; je ne leur dis point d'injures ; je ne
leur demande que la rciprocit.
Pourquoi donc le matrialisme tend-il supplanter la foi ? C'est que jusqu' prsent la foi ne
raisonne pas ; elle se borne dire : Croyez, tandis que le matrialisme raisonne. Ce sont des
sophismes, j'en conviens, mais bonnes ou mauvaises, ce sont des raisons qui, dans la pense de
beaucoup, l'emportent sur ceux qui n'en donnent pas du tout. Ajoutez que l'ide matrialiste
satisfait ceux qui se complaisent dans la vie matrielle ; qui veulent s'tourdir sur les
consquences de l'avenir ; qui esprent, par l, chapper la responsabilit de leurs actes ; en
somme elle est minemment favorable la satisfaction de tous les apptits brutaux. Dans
l'incertitude de l'avenir, l'homme se dit : Jouissons toujours du prsent ; que me font messemblables ? Pourquoi me sacrifier pour eux ? Ce sont mes frres, dit-on ; mais que me font des
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morale, et miner les fondements mmes de la socit en proclamant le rgne de l'gosme ; les
hommes srieux se sont alors demand o un tel tat de choses pouvait nous conduire ; ils ont vu
un abme, et voil que le Spiritisme vient le combler ; il vient dire au matrialisme : Tu n'iras pas
plus loin, car voici des faits qui prouvent la fausset de tes raisonnements. Le matrialisme
menaait de faire sombrer la socit en disant aux hommes : Le prsent est tout, car l'avenir
n'existe pas ; le Spiritisme vient la relever en leur disant : Le prsent n'est rien, l'avenir est tout,et il le prouve.
Un adversaire a dit quelque part dans un journal que cette doctrine est pleine de sductions ; il ne
pouvait, sans le vouloir, en faire un plus grand loge et se condamner d'une manire plus
premptoire. Dire qu'une chose est sduisante, c'est dire qu'elle plat ; or, c'est l le grand secret
de la propagation du Spiritisme. Que ne lui oppose-t-on quelque chose de plus sduisant pour la
supplanter ! Si on ne le fait pas, c'est qu'on n'a rien de mieux donner. Pourquoi plat-elle ? C'est
ce qu'il est facile de dire.
Elle plat :
1) parce qu'elle satisfait l'aspiration instinctive de l'homme vers l'avenir ;
2) parce qu'elle prsente l'avenir sous un aspect que la raison peut admettre ;
3) parce que la certitude de la vie future fait prendre en patience les misres de la vieprsente ;
4) parce qu'avec la pluralit des existences, ces misres ont une raison d'tre, on se les
explique, et au lieu d'en accuser la Providence, on les trouve justes et on les accepte sans
murmure ;
5) parce qu'on est heureux de savoir que les tres qui nous sont chers ne sont pas perdus
sans retour, qu'on les reverra, et qu'ils sont souvent auprs de nous ;
6) parce que toutes les maximes donnes par les Esprits tendent rendre les hommes
meilleurs les uns pour les autres ;
et bien d'autres motifs que les Spirites peuvent seuls comprendre. En change, quels moyens de
sduction offre le matrialisme ? Le nant. C'est l toute la consolation qu'il donne pour les
misres de la vie.
Avec de tels lments, l'avenir du Spiritisme ne saurait tre douteux, et cependant, si l'on doit
s'tonner d'une chose, c'est qu'il se soit fray un chemin si rapide travers les prjugs.
Comment, et par quels moyens arrivera-t-il la transformation de l'humanit, c'est ce qu'il nous
reste examiner.
IIIQuand on considre l'tat actuel de la socit, on est tent de regarder sa transformation comme
un miracle. Eh bien ! c'est un miracle que le Spiritisme peut et doit accomplir, parce qu'il est
dans les desseins de Dieu, et l'aide de son mot d'ordre : Hors la charit point de salut. Que lasocit prenne cette maxime pour devise et y conforme sa conduite, au lieu de celle-ci qui est
l'ordre du jour : La charit bien ordonne commence par soi, et tout change. Le tout est de lafaire accepter.
Le mot charit, vous le savez, Messieurs, a une acception trs tendue. Il y a la charit enpenses, en paroles et en actions ; elle n'est pas seulement dans l'aumne. Celui-l est charitable
en penses qui est indulgent pour les fautes de son prochain ; charitable en paroles, qui ne dit
rien qui puisse nuire son prochain ; charitable en actions, qui assiste son prochain dans la
mesure de ses forces. Le pauvre qui partage son morceau de pain avec un plus pauvre que lui est
plus charitable et a plus de mrite aux yeux de Dieu que celui qui donne de son superflu sans se
priver de rien. Quiconque nourrit contre son prochain des sentiments de haine, d'animosit, dejalousie, de rancune, manque de charit. La charit est la contre-partie de l'gosme ; l'une est
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l'abngation de la personnalit, l'autre l'exaltation de la personnalit ; l'une dit : Pour vous
d'abord et pour moi ensuite ; l'autre : Pour moi d'abord, et pour vous s'il en reste. La premire est
toute dans cette parole du Christ : Faites pour les autres ce que vous voudriez qu'on ft pour
vous ; en un mot, elle s'applique, sans exception, tous les rapports sociaux. Convenez que si
tous les membres d'une socit agissaient selon ce principe, il y aurait moins de dceptions dans
la vie. Ds que deux hommes sont ensemble, ils contractent, par cela mme, des devoirsrciproques ; s'ils veulent vivre en paix, ils sont obligs de se faire des concessions mutuelles.
Ces devoirs augmentent avec le nombre des individus ; les agglomrations forment des touts
collectifs qui ont aussi leurs obligations respectives ; vous avez donc outre les rapports d'individu
individu, ceux de ville ville, de province province, de contre contre. Ces rapports
peuvent avoir deux mobiles qui sont la ngation l'un de l'autre : l'gosme et la charit, car il y a
aussi l'gosme national. Avec l'gosme, l'intrt personnel passe avant tout, chacun tire soi,
chacun ne voit dans son semblable qu'un antagoniste, un rival qui peut marcher sur nos brises,
qui peut nous exploiter ou que nous pouvons exploiter ; c'est qui coupera l'herbe sous le pied de
son voisin : la victoire est au plus adroit, et la socit, chose triste dire, consacre souvent cette
victoire, ce qui fait qu'elle se partage en deux classes principales : les exploiteurs et les exploits.
Il en rsulte un antagonisme perptuel qui fait de la vie un tourment, un vritable enfer.Remplacez l'gosme par la charit, et tout change ; nul ne cherchera faire de tort son voisin ;
les haines et les jalousies s'teindront faute d'aliment, et les hommes vivront en paix, s'entraidant
au lieu de se dchirer. La charit remplaant l'gosme, toutes les institutions sociales seront
fondes sur le principe de la solidarit et de la rciprocit ; le fort protgera le faible au lieu de
l'exploiter.
C'est un beau rve, dira-t-on ; malheureusement, ce n'est qu'un rve ; l'homme est goste par
nature, par besoin, et le sera toujours. S'il en tait ainsi, ce serait triste, et il faudrait alors se
demander dans quel but le Christ est venu prcher la charit aux hommes ; autant aurait valu la
prcher aux animaux. Examinons cependant.
Y a-t-il progrs du sauvage l'homme civilis ? Ne cherche-t-on pas tous les jours, adoucir les
moeurs des sauvages ? Dans quel but, si l'homme est incorrigible ? Etrange bizarrerie ! vous
esprez corriger des sauvages, et vous pensez que l'homme civilis ne peut s'amliorer ! Si
l'homme civilis avait la prtention d'avoir atteint la dernire limite du progrs accessible
l'espce humaine, il suffirait de comparer les moeurs, le caractre, la lgislation, les institutions
sociales d'aujourd'hui avec celles d'autrefois ; et cependant les hommes d'autrefois croyaient, eux
aussi, avoir atteint le dernier chelon. Qu'et rpondu un grand seigneur du temps de Louis XIV
si on lui et dit qu'il pouvait y avoir un ordre de choses meilleur, plus quitable, plus humain que
celui d'alors ? que ce rgime plus quitable serait l'abolition des privilges de castes, et l'galit
du grand et du petit devant la loi ? L'audacieux qui aurait dit cela et peut-tre pay cher sa
tmrit.
Concluons de l que l'homme est minemment perfectible, et que les plus avancs d'aujourd'huipourront sembler aussi arrirs dans quelques sicles que ceux du moyen-ge le sont par rapport
nous. Nier le fait serait nier le progrs qui est une loi de la nature.
Quoique l'homme ait gagn au point de vue moral, il faut convenir cependant que le progrs s'est
plus accompli dans le sens intellectuel ; pourquoi cela ? C'est encore l un de ces problmes qu'il
tait donn au Spiritisme de nous expliquer ; en nous montrant que le moral et l'intelligence sont
deux voies qui marchent rarement de front ; tandis que l'homme fait quelques pas dans l'une, il
reste en arrire dans l'autre ; mais plus tard il regagne le terrain qu'il avait perdu, et les deux
forces finissent par s'quilibrer dans les incarnations successives. L'homme est arriv une
priode o les sciences, les arts et l'industrie ont atteint une limite inconnue jusqu' ce jour ; si
les jouissances qu'il en tire satisfont la vie matrielle, elles laissent un vide dans l'me ; l'homme
aspire quelque chose de mieux : il rve de meilleures institutions ; il veut la vie, le bonheur,l'galit, la justice pour tous ; mais comment y atteindre avec les vices de la socit, avec
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VOYAGE SPIRITE EN 1862 21
l'gosme surtout ? L'homme voit donc la ncessit du bien pour tre heureux ; il comprend que
le rgne du bien peut seul lui donner le bonheur auquel il aspire ; ce rgne, il le pressent, car
instinctivement, il a foi en la justice de Dieu, et une voix secrte lui dit qu'une re nouvelle va
s'ouvrir.
Comment cela arrivera-t-il ? Puisque le rgne du bien est incompatible avec l'gosme, il faut la
destruction de l'gosme ; or, qui peut le dtruire ? La prdominance du sentiment d'amour, quiporte les hommes se traiter en frres et non en ennemis. La charit, c'est la base, la pierreangulaire de tout difice social ; sans elle, l'homme ne btira que sur du sable. Que les efforts etsurtout les exemples de tous les hommes de bien tendent donc la propager ; qu'ils ne se
dcouragent s'ils voient une recrudescence dans les mauvaises passions ; elles sont les ennemies
du bien, et en le voyant avancer, elles doivent se ruer contre lui ; mais Dieu a permis que, par
leurs propres excs mmes, elles se tuent ; le paroxysme d'un mal est toujours le signe qu'il
touche sa fin.
Je viens de dire que sans la charit l'homme ne btit que sur le sable ; un exemple le fera mieux
comprendre.
Quelques hommes bien intentionns, touchs des souffrances d'une partie de leurs semblables,
ont cru trouver le remde au mal dans certains systmes de rforme sociale. A quelquesdiffrences prs, le principe est peu prs le mme dans tous, quel que soit le nom qu'on leur
donne. Vie commune pour tre moins onreuse ; communaut de biens pour que chacun ait
quelque chose ; participation de tous l'oeuvre commune ; point de grandes richesses, mais aussi
point de misre. Cela tait fort sduisant pour celui qui, n'ayant rien, voyait dj la bourse du
riche entrer dans le fond social, sans calculer que la totalit des richesses mises en commun
crerait une misre gnrale au lieu d'une misre partielle ; que l'galit tablie aujourd'hui serait
rompue demain par la mobilit de la population et la diffrence entre les aptitudes ; que l'galit
permanente des biens suppose l'galit des capacits et du travail. Mais l n'est pas la question ;
il n'entre pas dans mon cadre d'examiner le fort et le faible de ces systmes ; je fais abstraction
des impossibilits dont je viens de parler, et me propose de les envisager un autre point de vue
dont je ne sache pas qu'on se soit encore proccup, et qui se rattache notre sujet.
Les auteurs, fondateurs ou promoteurs de tous ces systmes, sans exception, ne se sont propos
que l'organisation de la vie matrielle d'une manire profitable pour tous. Le but est louable sans
contredit ; reste savoir si, cet difice, il ne manque pas la base qui seule pourrait le
consolider, en admettant qu'il ft praticable.
La communaut est l'abngation la plus complte de la personnalit ; chacun devant payer de sa
personne, elle requiert le dvouement le plus absolu. Or, le mobile de l'abngation et du
dvouement, c'est la charit, c'est--dire l'amour du prochain. Mais nous avons reconnu quele fondement de la charit, c'est la croyance ; que le dfaut de croyance conduit aumatrialisme, et le matrialisme l'gosme. Dans un systme qui, de sa nature, requiert pour sa
stabilit les vertus morales au suprme degr, il fallait prendre le point de dpart dans l'lmentspirituel ; eh bien ! non-seulement il n'en est tenu aucun compte, le ct matriel tant le but
unique, mais plusieurs sont fonds sur une doctrine matrialiste hautement avoue, ou sur un
panthisme, sorte de matrialisme dguis ; c'est--dire dcors du beau nom de fraternit ;mais la fraternit, pas plus que la charit, ne s'impose ni ne se dcrte ; il faut qu'elle soit dans le
coeur ; ce n'est pas le systme qui l'y fera natre si elle n'y est dj, tandis que le dfaut contraire
ruinera le systme et le fera tomber dans l'anarchie, parce que chacun voudra tirer soi.
L'exprience est l pour prouver qu'il n'touffe ni les ambitions ni la cupidit. Avant de faire la
chose pour les hommes, il fallait former les hommes pour la chose, comme on forme des
ouvriers avant de leur confier un travail ; avant de btir, il faut s'assurer de la solidit des
matriaux. Ici les matriaux solides sont les hommes de coeur, de dvouement et d'abngation.
Avec l'gosme, l'amour et la fraternit sont de vains mots, ainsi que nous l'avons dit ; commentdonc, sous l'empire de l'gosme, fonder un systme qui requiert l'abngation un degr d'autant
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plus grand, qu'il a pour principe essentiel la solidarit de tous pour chacun et de chacun pour
tous ? Quelques-uns ont quitt le sol natal pour aller fonder au loin des colonies sous le rgime
de la fraternit ; ils ont voulu fuir l'gosme qui les crasait, mais l'gosme les a suivis, et l
encore il s'est trouv des exploiteurs et des exploits, parce que la charit a fait dfaut. Ils ont cru
qu'il leur suffisait d'emmener le plus de bras possible, sans songer qu'ils emmenaient en mme
temps les vers rongeurs de leur institution, ruine d'autant plus vite qu'ils n'avaient en eux ni uneforce morale ni une force matrielle suffisantes.
Ce qu'il leur fallait, c'tait moins des bras nombreux que des coeurs solides ; malheureusement
beaucoup ne les ont suivis que parce que, n'ayant rien su faire ailleurs, ils ont cru s'affranchir de
certaines obligations personnelles ; ils n'ont vu qu'un but sduisant, sans voir la route pineuse
pour l'atteindre. Dus dans leurs esprances, en reconnaissant qu'avant de jouir il fallait
beaucoup travailler, beaucoup sacrifier, beaucoup souffrir, ils ont eu pour perspective le
dcouragement et le dsespoir ; vous savez ce qu'il est advenu de la plupart. Leur tort est d'avoir
voulu btir un difice en commenant par le fate, avant d'avoir assis des fondements solides.
Etudiez l'histoire et la cause de la chute des Etats les plus florissants, et partout vous verrez la
main de l'gosme, de la cupidit, de l'ambition.
Sans la charit, il n'y a pas d'institution humaine stable, et i
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