Sajuster, interpreter et qualifier une pratique culturelle
: Approche communicationnelle de la visite museale
Camille Jutant
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Camille Jutant. Sajuster, interpreter et qualifier une pratique culturelle : Approche communi-cationnelle de la visite museale. Sciences de linformation et de la communication. UniversitedAvignon, 2011. Francais. .
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Submitted on 30 Apr 2013
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UNIVERSIT DAVIGNON ET DES PAYS DE VAUCLUSE COLE DOCTORALE
537 Culture et Patrimoine
UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL
PROGRAMME INTERNATIONAL DE DOCTORAT CONJOINT
EN MUSEOLOGIE, MEDIATION ET PATRIMOINE
Thse de doctorat conduite en vue de lobtention des grades de :
DOCTEUR EN SCIENCES DE LINFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
&
PHILOSOPHI DOCTOR, Ph. D
CAMILLE JUTANT
SAJUSTER, INTERPRTER ET QUALIFIER UNE PRATIQUE CULTURELLE
Approche communicationnelle de la visite musale
Sous la direction de Messieurs des Professeurs Yves Jeanneret et Bernard Schiele
Soutenue le 18 novembre 2011
Jury :
Monsieur YVES JEANNERET, Professeur lUniversit Paris IV CELSA
Monsieur BERNARD SCHIELE, Professeur lUniversit du Qubec Montral
Madame JOLLE LE MAREC, Professeur lUniversit Paris VII Denis Diderot
Madame ANIK MEUNIER, Professeur lUniversit du Qubec Montral
Monsieur JEAN DAVALLON, Professeur lUniversit dAvignon et des Pays de Vaucluse
Madame ANNIE GENTS, Matre de confrences, Habilite diriger les recherches
Tlcom ParisTech
Madame ANNE KREBS, chef du service tudes et Recherche du Muse du Louvre
2
3
Remerciements :
Mes remerciements vont, en premier lieu, mes deux directeurs de thse. Cest une grande
chance que davoir appris auprs deux deux lexercice de la recherche. Monsieur le
professeur Yves Jeanneret, pour sa grande confiance, pour son coute toujours gnreuse et
pour avoir insuffl tant de profondeur nos changes. Monsieur le professeur Bernard
Schiele, pour mavoir accueillie Montral, notamment dans ce sminaire sur les
reprsentations sociales , quil avait donn lUQAM et qui a chang ma faon de voir les
interactions.
Je remercie les membres du jury, Madame le Professeur Jolle Le Marec, Madame le
Professeur Annik Meunier, Madame le Matre de confrence habilite diriger les recherches,
Annie Gents, Madame Anne Krebs, Chef du service Etudes et Recherches du Muse du
Louvre, Monsieur le Professeur Jean Davallon.
Cest eux, trs prcisment, que je dois mon engagement dans cette thse.
Je remercie les membres de lquipe Culture et Communication de lUniversit dAvignon et
des pays de Vaucluse, auprs de qui laventure de la thse a pris le chemin chaleureux de
lapprentissage du mtier denseignant-chercheur, Emilie Flon, pour sa grande amiti, Ccile
Tardy, Daniel Jacobi, Emmanuel Ethis, Marie-Hlne Poggi, Genevive Landier, Agns de
Victor et Pascale Di Domenico.
Je remercie tous les membres du Programme international de doctorat en Musologie,
Mdiation et Patrimoine conjoint de lUniversit dAvignon et des pays de Vaucluse et de
lUniversit du Qubec Montral, monsieur le professeur Yves Bergeron, monsieur le
professeur Raymond Montpetit, madame le professeur Catherine Saouter, madame Lise Jarry
et mes amis dun bout lautre de latlantique, Anne Watremez, Amlie Gigure, Marie
Lavorel, Marie-Elisabeth Laberge, Caroline Buffoni, Cline Schall, Johanne Tremblay,
Mylne Coste, Emilie Pamart, Julie Pasquer, Camille Moulinier, Cheikhouna Beye, Perrine
Boutin, Cline Calif, Jessica Cendoya, Tanguy Cornu, Fanchon Deflaux, Anneliese Depoux,
Bessem el Fellah, Pierre Lagrange, Olivier Lefalher, Pierric Lehmann, Aude Seurrat, Virginie
Soulier, Mathieur Dormaels, Stphane Belin.
Je remercie les membres du dpartement Sciences conomiques et sociales de lcole
nationale suprieure Tlcom ParisTech, auprs de qui jai eu la chance de travailler pendant
deux ans et demi. Maya Bacache, Grard Pogorel, Nicolas Auray, Jrome Denis, Valrie
Beaudoin, Christian Liccope et Marie Baquero.
Je remercie lquipe du projet de recherche PLUG, avec qui jai appris regarder un jeu
informatis dans un muse. Coline Aunis, Isabelle Astic, Areti Damala, Michel Simatic, Eric
Gressier-Soudan, Emmanuel Zaza.
Je remercie aussi les membres du service Etudes et Recherche du muse du Louvre pour
mavoir aide, pendant mon enqute sur lexposition Sainte Russie , et pour mavoir
accueillie, il y a peu. Florence Caro, Caterina Renzi, Marieke Quillou, Aline Lorenzini,
Thomas Besanon.
4
Je remercie les enquts de mes deux terrains de recherche, qui ont bien voulu se plier
lexercice de lenqute, porter des micros, parler haute voix dans les salles, courir, rflchir,
rler, rire et me raconter tant de choses si prcieuses qui nappartiennent qu eux, mais que
jespre avoir compris et analys la hauteur de la confiance quils mont accorde.
Je veux remercier, enfin, ceux qui ont port cette thse, depuis le dbut, avec douceur,
humour et indulgence.
Hcate Vergopoulos, pour sa fulgurance rieuse et sa bienveillance, Galle Lesaffre, pour sa
ptillance et son intelligence de chat, et Michal Bourgatte, pour sa sagesse humoristique et sa
tendresse si profonde, mes surs et frre dont lamiti inestimable est la trouvaille la plus
prcieuse de cette thse. Cinq ans dj quon se connat.
Vanessa Desclaux, pilier incontestable depuis toujours, qui ne renoncera jamais, Julia Decas
princesse et coach, lintelligence redoutable.
Sylvain Arnautou, dans les montagnes ou sur leau depuis 20 ans. Laura Manzano, si chre et
trop loin. Alice Mouly et Thophane Cotte, pour les bonheurs quils dispensent, jour aprs
jour. Aude Guyot, complice des dispositifs pervasifs et perle sur deux continents. David
Chauvet, colocataire pour la vie. Franois Huguet, toile attache plusieurs patries.
Cline Lantrade, Camille Escorneboueu, Olivier Tamagnon, Milia, qui me font respirer
chaque t, entre mes livres et mon ordinateur.
Laura Cortes, son cocido de lamiti. Eduardo Navarro, Javier Laporta, Bernardo Rodriguez,
Chlo Salmona, Ana Reed, Ana et Antonio Lopez-Meseguer, Olga et Javi Lopez, Rocio
Misfut, Diego Blanca, Ludovic Assemat.
Laure Montcel, Olivia Frederick, Elisabeth Jamot, et Rachid Hamouda, profonde amiti
scelle depuis les cours de smiotique.
Cline France, sur jumelle. Aurore Duprey, Marc Bienaim, Landre et Zlie, qui ont abrit
tant de joies avignonnaises.
Clmentine Brun, Pierre Monteil, Lula et Billie Rose, qui ont russi ce que peu arrivent
faire. Solveig Tavernier, Hortense Marin-Calenge et Fredrique Calenge, Elsa Janssen et
Martin Bourboulon, Axel de Julien, Jrome Guernaouti, Antoine Thibault, Jean Ledoux,
Vassili Vergopoulos et Eleni, Sylvain et Lo, Matthieu et Diane, Marie Cambone, Axelle
Beth et Virginie dAllens.
Ma famille si prcieuse. Dominique Bessone et Catherine Maine, mes balises. Lala, soeur
ane relectrice de bibliographie, Carten, Clara et Lucia Sorensen-Saenz-Diez. Batrice, ma
chre marraine et son coute tendre, Rob, Ben et Sophie Cooper. Josette, Alain, Fabrice,
Margaux Jutant, Marie-Pierre, Franois et Coline Vallat. Annette et Fernand Chaussebourg,
Nicole Charras, Genevire et Yves Suzor, Chantal et Marc Sorkine, Nolle Chikri et Didier.
Enfin, mes chers parents, formidables artisans de la confiance, qui mont appris lajustement
jour aprs jour et qui ont accompagn ce travail avec une bienveillance infinie et de
nombreuses questions.
5
SOMMAIRE
INTRODUCTION ............................................................................................. 11
PREMIRE PARTIE
Un cadre pour lanalyse de lajustement ........................................................ 31
CHAPITRE PREMIER
Introduction thorique : Les thories de lajustement ............................................... 37
1. LES METHODES DU SENS COMMUN DE LETHNOMETHODOLOGIE .......................... 39 1.1 La structure formelle des activits courantes .................................................... 39 1.2 Rflexivit et indexicalit ................................................................................. 42
1.3 Le fondement communicationnel des pratiques de sens commun .................... 46
1.4 Analyse critique du modle communicationnel du breaching experiment ....... 47
2. LA REPRESENTATION SOCIALE CHEZ SERGE MOSCOVICI ET LANALYSE DE LEFFICACE DU SENS COMMUN ...................................................................................... 50
2.1 Les reprsentations sociales chez Serge Moscovici : la circulation sociale du savoir scientifique ...................................................................................................... 51
2.2 Lanalyse communicationnelle des reprsentations sociales ............................ 57 2.3 Vers une thorie des composites : le rle des reprsentations dans la recherche .................................................................................................................... 64
3. DISPOSITIFS, USAGES ET INTERACTION MEDIATISEE ............................................. 70 3.1 Lusage face lobjet technique ....................................................................... 71
3.2 Usages et reprsentations sociales .................................................................... 73 3.3 Ostension, implication et prdilection .............................................................. 75
CHAPITRE DEUXIME Description de lexposition Sainte Russie et du jeu PLUG Les secrets du
muse ............................................................................................................................ 79
1. UNE EXPOSITION TEMPORAIRE DANS LE HALL NAPOLEON DU MUSEE DU LOUVRE : SAINTE RUSSIE LART RUSSE DES ORIGINES A PIERRE LE GRAND ........................ 84
1.1 Prsentation de lexposition .............................................................................. 84
1.2 Quel statut donner lexposition Sainte Russie ? ...................................... 89 2. LE JEU PEDAGOGIQUE PLUG AU MUSEE DES ARTS ET METIERS ..................... 96
2.1 Le projet de recherche sur les technologies pervasives .................................... 97 2.2 Considrer le jeu PLUG comme un dispositif de mdiation .................... 107
CHAPITRE TROISIME Description des enqutes .............................................................................................. 115
1. LES ENQUETES MUSEALES .................................................................................. 117 1.1 Exposition, visiteur, communication .............................................................. 117
1.2 Brve introduction lhistoire de lvaluation ............................................... 119 1.3 Mthodologies croises : le parcours au muse .............................................. 127
2. ANALYSER LE ROLE DU CORPS DANS UNE SITUATION DE COMMUNICATION ....... 132
2.1 Corps et postures............................................................................................. 132
6
2.2 Le corps mdiateur, la comptence esthsique ......................................... 135
3. DEUX DISPOSITIFS DENQUETE ........................................................................... 141 3.1 Un dispositif technique et ludique de mdiation dans le muse des Arts et Mtiers...................................................................................................................... 141
3.2 Une exposition dart religieux dans le Muse du Louvre ............................... 146
DEUXIME PARTIE
Observer lajustement entre le visiteur et lexposition par lentre du texte
et de la lecture .................................................................................................. 157
CHAPITRE QUATRIME
Introduction thorique : Texte, activit de lecture et construction de la visite ...... 167
1. CONTEXTE ET ACTIVITE(S) DE LECTURE ............................................................. 168
1.1 criture et figure de lecteur ............................................................................ 168 1.2 Activits de lecture, usage du texte, usage dans le texte ................................ 171 1.3 Investissement prophtique du texte et de la lecture ...................................... 173
2. LES TEXTES DANS LEXPOSITION SAINTE RUSSIE ET DANS LE JEU PLUG 176
2.1 Prgnance du texte .......................................................................................... 176 2.2 Lanalyse des objets du corpus ....................................................................... 178
CHAPITRE CINQUIME
Les modalits de captation de lattention - Relation du texte son contexte ......... 183
1. LORGANISATION DU SIGNE PAR LA SURFACE .................................................... 187
1.1 Et le panneau devient texte ............................................................................. 190 1.2 cran et organisation smiotique .................................................................... 195
2. COMPOSITIONS ET RYTHMES SEMIOTIQUES ........................................................ 198
2.1 La ressemblance et la rptition comme oprateurs de lattention ................. 198
2.2 La diffrence comme oprateur de la distinction des registres de lattention 205 3. DES SYSTEMES HETEROCENTRIQUES .................................................................. 209
3.1 Renvois et dlgation dictique ...................................................................... 209
3.2 La focalisation interne et la ngation de la coupure smiotique ..................... 216
CHAPITRE SIXIME
Activit (s) de lecture .................................................................................................... 221
1. ANTICIPER ET CONSTRUIRE LACTIVITE DE LECTURE ......................................... 234 1.1 Engager un comportement de lecture ............................................................. 234 1.2 Engager un parcours de lecture....................................................................... 249
1.3 Lecture fixe et lecture mobile : reprsentations et implication....................... 255 2. LE SIGNE ECRIT COMME INTERMEDIAIRE DANS UN PROGRAMME DACTIVITES DE
VISITE . .261 2.1 Anticiper lactivit dans le texte ..................................................................... 262
2.2 Dployer un programme dactivit par le texte .............................................. 267
7
TROISIME PARTIE
Identifier et vivre lexposition en tant quinteraction mdiatise .............. 275
CHAPITRE SEPTIEME
Introduction thorique : Visite, dispositif et confiance ............................................. 285
1. LE DISPOSITIF ET LANTICIPATION DE LA COMMUNICATION ............................... 287
1.1 La notion de dispositif .................................................................................... 287 1.2 Dispositif et rflexivit ................................................................................... 290
2. DISPOSITIF ET CONFIANCE .................................................................................. 293 2.1 Espaces transitionnels et exprience culturelle............................................... 293 2.2 Logique dispositive ................................................................................... 296
CHAPITRE HUITIME
La visite : Vivre une interaction mdiatise ............................................................... 301
1. LINTERACTION : LA FIGURE DU FACE-A-FACE ? ................................................ 303 1.1 La mtaphore du dialogue .............................................................................. 303 1.2 Le travail interprtatif requis des visiteurs ..................................................... 307
2. LINTERACTION MEDIATISEE : LE GESTE EXPOGRAPHIQUE ................................. 311 2.1 Lpaisseur du dispositif lapprhension de lespace ................................ 314
2.2 Identifier un geste expographique .................................................................. 315 3. LEXPOSITION : UN CONTEXTE DE RECEPTION SPECIFIQUE ................................. 323
3.1 Lindit et la culture mdiatique ..................................................................... 324 3.2 Une suspension volontaire de lincrdulit..................................................... 329
CHAPITRE NEUVIEME Lanalyse dun fonctionnement mdiatique .............................................................. 333
1. UN ENSEMBLE DE TENSIONS ENTRE PROMESSE ET REALITE ................................ 335
1.1 Un dcalage entre le lu et le vu dans lexposition .......................................... 336
1.2 Visiter et jouer ................................................................................................ 342 2. OPPOSITION ENTRE SENS ET PARCOURS .............................................................. 353
2.1 Configuration de lespace et parcours ............................................................ 354 2.2 Parcours chaotique contre sens traditionnel ................................................... 357
CHAPITRE DIXIEME Formes de lajustement la situation de communication ........................................ 361
1. MOBILISER DES FIGURES DE LA VISITE ............................................................... 363 1.1 La notion de figure.......................................................................................... 363 1.2 La circulation des figures................................................................................ 368
1.3 Produire des figures de circulation dans Sainte Russie ............................ 377 1.4 Produire des figures du visiteur ...................................................................... 383
2. ENTRER EN PERFORMANCE ET PRISE DE ROLE .................................................... 393 2.1 Gestes exploratoires et gestes autoriss .......................................................... 394
2.2 La plasticit des prises de rle ........................................................................ 396 3. DIRE ET VIVRE SES ACTIONS ............................................................................... 407
3.1 Figurations de laction .................................................................................... 407 3.2 Drouler lajustement ..................................................................................... 410
8
CONCLUSION ................................................................................................ 417
RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ...................................................... 427
ANNEXES ........................................................................................................ 441
Annexe n 1 Illustrations de lexposition Sainte Russie , Muse du Louvre ......... 445 Annexes n 2 Illustrations Projet PLUG Muse des arts et mtiers ......................... 455 Annexe n 3 Analyse des usages du terme pervasif et illustrations de projets et de
jeux pervasifs .................................................................................................................. 461 Annexe n 4 Outils mthodologiques grilles dentretien et dobservation .............. 468 Annexe n 5 Modalits dengagement des visiteurs dans lenqute ........................... 475 Annexe n 6 Textes et contexte ................................................................................... 479 Annexe n7 Analyse des panneaux dans lexposition Sainte Russie .......................... 495 Annexe n 8 Outils danalyse pour le corpus de rcits itinrants et dentretiens mens
dans lexposition Sainte Russie ................................................................................ 500 Annexe n9 Exemples dentretiens mens pour lexposition Sainte Russie et pour le jeu
Plug les secrets du muse .................................................................................... 551
9
10
11
INTRODUCTION
12
13
Que fait-on lorsquon visite un muse ? Lorsquon utilise un guide multimdia dans les salles
dune exposition ? Lorsquon se penche pour lire un cartel pos prs dune vitrine ?
Lorsquon cherche le sens du parcours de visite ? En somme, lorsquon fait lexprience
dune activit culturelle organise et prsente comme telle ? Autrement dit, quelles sont les
relations entre la pratique culturelle et lexprience que constitue la visite musale ?
En reprenant lexpression de Jean-Claude Passeron, on pourra dire que les pratiques
culturelles, dont la visite de muse fait partie, font lobjet dinjonctions politiques,
conomiques et sociales. force de prcher le devoir de pratiquer culturellement, il est
invitable quon multiplie dabord les pratiques distraites. 1 Cette thse voudrait dfendre
lide que lattention des acteurs sociaux, si elle est en effet sollicite, est certainement plus
oblique que distraite, mais plus aigu aussi.
Lobjectif gnral de la recherche consiste en une analyse des pratiques de visite dexposition,
dans les muses, en tant quelles rendent compte, dune certaine faon, du processus
communicationnel qui sopre entre les acteurs sociaux, les objets culturels et les lieux
institus comme lieux culturels. De faon plus prcise, la thse souhaite contribuer
comprendre comment le visiteur interprte et vit la situation de visite, comment il reconstruit
la situation de communication que lexposition engage et comment il joue le rle du
visiteur .
Cest la piste de lajustement qui est propose dans la thse et qui a articul les diffrentes
analyses autour de la spcificit de cette exprience qui met des individus au contact dobjets
culturels, selon les modalits particulires de la mdiation expositionnelle et musale. Cette
proposition de lajustement dsigne un rgime dinteraction au cours duquel, lacteur
sengage dans un corps--corps avec un dispositif de communication et interprte la situation
(c'est--dire quil la com-prend et la juge) en mobilisant des reprsentations de cette situation
et en dployant un travail rflexif sur sa posture de visiteur.
Cette introduction gnrale veut prsenter la dmarche mise en uvre pour cette recherche.
Elle dveloppe tout dabord la rflexion mene sur le choix du terme dajustement et prsente
le cadre problmatique gnral de la thse. Elle revient, ensuite, sur les trois ples qui forment
1 Passeron, J. C., 2006, Le raisonnement sociologique : un espace non popperien de largumentation, Paris, Albon Michel, p.429.
14
le cur de notre objet de recherche : exposition, visiteur et visite. Enfin, elle dcrit les terrains
de recherche choisis pour la thse. Dans un dernier temps, elle requalifie la dmarche adopte
vis--vis de ces terrains partir de deux grandes pistes danalyse formules pendant le travail,
puis elle prsente les dix chapitres du mmoire de thse.
Lajustement
Prcisons cette proposition. Pourquoi avoir choisi le terme dajustement ?
Le terme est issu, selon le dictionnaire historique de la langue franaise, du mot juste et sest
form partir du verbe ajuster , qui sest dvelopp selon deux acceptions, technique et
figure. Lemploi technique du terme permet de penser lajustement comme laction de rendre
une chose propre sa destination. On retrouve ce sens dans le vocabulaire du travail sur les
pices de monnaie auxquelles on donne les bonnes dimensions et dans le vocabulaire de la
mcanique. Lajustement implique ainsi deux lments qui sont en relation dextriorit, en
loccurrence une pice extrieure contenante et une pice intrieure contenue. Ds lors, cest
le jeu et les relations de serrage, de blocage, de glissement qui sont observs afin de
dterminer la variation possible dans les dimensions dune mme pice. Lajustement est donc
un systme de tolrance ; il postule la possibilit dune adquation imparfaite entre des
lments et il permet cette imperfection. Si lon se rfre au sens figur du terme, on observe
finalement quil rabat la notion sur une logique de ladaptation. Quon pense la faon dont
Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant dcrivent la mtis grecque2. Il sagit de mettre en
accord, dadapter convenablement une chose une autre, arranger, et viser juste, c'est--dire
viser laccord.
Parler dajustement, dans cette thse, est une proposition pour qualifier la relation du visiteur
lexposition. Si lon suit les dfinitions qui viennent dtre donnes, cette proposition
implique donc de considrer le visiteur et lexposition en situation dextriorit lun vis--vis
de lautre. Si cette remarque semble vidente, le fait de considrer la relation entre le visiteur
et lexposition comme une interaction lest peut-tre moins. Qui interagit ? Qui ragit ?
Lexposition est-elle, au mme titre que le visiteur, un actant de la situation de
communication ? Peut-on dire que lexposition agit ? Ces questions ne semblent pas si
banales lorsquon se rend compte que les visiteurs mobilisent fortement le registre de
linteraction, dans leur discours, et lorsquon ne cesse dentendre que les dispositifs
2 Detienne, M., Vernant, J. P., 1974, Les ruses de lintelligence : la mtis chez les Grecs, Paris, Flammarion.
15
techniques ragissent nos interventions. Le recours la notion dinteraction mdiatise
permet dapporter au moins un lment de rponse.
Parler dajustement est aussi une faon de mettre en lumire le rapport physique entre le
visiteur et lexposition. En dautres termes, le corps du visiteur, tout comme la matrialit des
objets, doivent devenir une unit dobservation fondamentale. La question du corps pour les
dispositifs numriques de mdiation est particulirement intressante considrer, tant les
mtaphores de limmersion, de la dmatrialisation et de lintuitif sont toujours prsentes dans
les discours circulants. La notion dintuitif, par exemple, a un succs particulier dans le
monde des nouvelles technologies et du design. Or dire quun outil est intuitif ne revient-il
pas nier la capacit dinterprtation de lindividu, nier le statut dobjet intellectuel au
mdia, tant limmdiatet suppose de lutilisation fait limpasse sur lapprhension de loutil,
la comprhension de son fonctionnement et linterprtation de ses signes, fussent-ils
exclusivement plastiques ?
Aussi, ces questions permettront dajouter que si le terme dajustement a t choisi, dans cette
thse, cest prcisment parce quil donne une grande place au processus dinterprtation ; il
porte en lui lanticipation de lactivit de rencontre entre deux lments extrieurs, mais
surtout il implique lanalyse et linterprtation de llment extrieur. Lajustement, la
diffrence de linteraction, est sens unique, sinon on parlerait dajustement mutuel. Dans le
cas de lexposition, il concerne le travail que fait lacteur dans le cours de son activit de
visite, mais qui se caractrise par le choix de laisser lexposition une place quasiment
actorielle. En cela, la notion dajustement est proche de celle dengagement dfinie par
Laurent Thvenot. Lengagement met laccent sur une dpendance au monde dont la
personne se soucie et cherche sassurer des bienfaits en disposant de gages appropris. En
cela, lengagement vise une matrise, un pouvoir entendu dans un sens plus ouvert que
lacception courante du terme pouvoir par les sciences sociales et politiques. Lengagement
vise faire dune dpendance un pouvoir 3.
3 Thvenot, L., 2006, Laction au pluriel, Sociologie des rgimes dengagement, Paris, La Dcouverte, p.238.
16
Le cadre problmatique
La construction du cadre problmatique gnral de la thse sest opre partir de la mise au
jour de trois niveaux de questionnement, distincts, mis en jeu par le choix de ce terme
dajustement.
Un premier niveau de questions concerne le rapport qui peut stablir entre exprience
spcifique de la culture et relation la culture. En dautres termes comment slabore la
relation entre le hic & nunc de lexprience et la construction dune reprsentation de la
culture ? La thse fait, ainsi, lhypothse quil existe bien une relation entre lici et maintenant
de lexprience et un rapport plus gnral, parce que le dispositif engage une mmoire sociale
et anticipe un pouvoir dire et un pouvoir faire qui devraient, en toute logique, mettre les
individus face une charge idologique et non pas seulement pratique de leurs usages des
dispositifs. Le parti-pris initial qui dirige cette hypothse est que la question de savoir ce qui
fait culture pour un acteur social est dterminante de ses expriences.
Le rapport gnral la culture peut tre abord de deux faons : en convoquant lhorizon
dune thorie de lidentit (comment le rle de visiteur rvle une identit culturelle ?
Comment la mobilisation de reprsentations rvle lintriorisation de normes de
comportement ? etc.) qui nest pas lobjectif de la thse ; ou en mobilisant lhorizon dune
thorie de linterprtation (comment la culture comme catgorie spcifique de certains
objets, comme tre culturel, comme valeur lorsquelle est mdiatise, fait lobjet dun
ajustement entre pratiques, reprsentations, production despace de comprhension et offre
ainsi un espace de rflexivit ?) qui est bien lobjectif de la thse. Rappelons avec Guillaume
Soulez, que faire lexprience dun mdia est aussi une activit par laquelle on sexpose au
moment mme o lon veut faire partie dun ensemble, et non pas seulement un moment o
lon ramne des programmes vers soi, ou vers sa communaut. Il y a en ce sens avec la
tlvision une publicit plus motive et morale quidentitaire ou politique stricto sensu, qui
comporte une exposition, cest--dire un risque 4.
On interroge donc ici le rapport qui stablit entre la teneur des savoirs dans les
reprsentations sociales de la culture et les diffrentes modalits de la communication.
4 Soulez, G., 2004, Nous sommes le public. Apports de la rhtorique { lanalyse des publics , Rseaux, 126, p.140.
17
Un deuxime niveau de questionnement concerne la nature du lien entre dispositifs qui
engagent la visite et individus-visiteurs. Dans la prsentation de louvrage collectif sur la
rception des objets mdiatiques5, Quentin Deluermoz rappelle que lintrt pour la question
de la rception et des usages sest formalis partir des annes soixante. Au cours des
dernires dcennies, le cheminement de cette dernire (la recherche en matire de rception
mdiatique) a t domin par le dbat qui oppose ceux qui sont convaincus de la force
dimposition des messages ceux qui soulignent la libert dont jouissent les rcepteurs.
Initialement a prim la certitude de la force persuasive des mdias et de la vulnrabilit des
rcepteurs ; attitude lie la reprsentation dun public en quelque sorte rifi, dont tait
postul le caractre monolithique. () Face au tableau dune emprise davantage postule que
prouve, un autre courant a conduit labandon de la croyance nave en lautomaticit des
effets produits. Lide de la soumission passive, de limpact direct a, ds les lendemains de la
Seconde Guerre mondiale, laisse, peu peu, la place la certitude de la capacit pour
lindividu dchapper aux contraintes, de transgresser les normes, et de rsister aux
reprsentations que lon tentait de lui imposer. 6
Comment se dmarquer la fois des approches de la contrainte et de celles de lindividu-
crateur ? Si lon reprend lanalyse de lexposition en tant quespace de mdiation, on peut
penser lactivit dinterprtation des visiteurs dans un rapport dajustement la proposition de
lexposition, en dehors dun modle dopposition contrainte/libert. Ce type danalyse rcuse
aussi la sparation des catgories de rception et de production au profit dune rflexion sur
lespace de mdiation construit par lcriture des discours, lanticipation des rapports
communicationnels et linterprtation acte. Elle interroge donc les catgories de la
rception et de lusage des dispositifs . Le lien entre figures et pratiques, discours et
interprtation, production et reconnaissance, est au cur du questionnement sur la nature du
processus de communication depuis longtemps. Le travail sur la notion de figure de lecteur,
par exemple, ou les tudes sur linscription dune anticipation des rapports possibles de
communication, dans les dispositifs et les textes, tmoignent de la spcificit de lexprience
mdiatique7. Ils impliquent aussi quil existerait des comptences communicationnelles.
5 Cet ouvrage naborde pas les formes culturelles telles que lexposition ou le muse. 6 Deluermoz, Q., 2010, "Lattention qui se concentre et se disperse". La question de la rception en sciences sociales : enjeux et perspectives , in Goetschel, P., Jost, F., Tsikounas, M., (dir.), 2010, Lire, voir, entendre, la rception des objets mdiatiques, Paris, Publications de la Sorbonne, p.17. 7 Vron, E., 1983, Quand lire cest faire : lnonciation dans le discours de la presse crite , in Veron, E. (dir.), 1983, Smiotique II, Paris, IREP, pp.33-56. Jost, F., 1997, La promesse des genres , Rseaux, 81, pp. 11-31.
18
Un auteur comme Landoswki propose de dire que, dans les interactions qui relvent de
lajustement, cest au contraire dans linteraction mme, en fonction de ce chacun des
participants rencontre, et plus prcisment () sent dans la manire dagir de son partenaire,
ou de son adversaire, que les principes mmes de linteraction mergent peu peu 8.
Dplacer cette analyse au profit du questionnement sur la relation qui se noue entre exposition
et visiteur permet de renouveler le terme de rception au profit dune situation
dinterprtation toujours en suspens de ce qui est en train de se drouler et de se dcouvrir. Le
visiteur apparat comme un tre tourn vers le dispositif, qui offre des prises, et comme un
tre qui se saisit de ces prises pour en tirer parti.
De nombreux observateurs notent que dans le domaine des tudes de publics, au muse les
univers de pratiques sont constamment rapports une analyse des situations de visite,
dmarche qui atteste dun pragmatisme des acteurs, de prises de risques calcules, bien plus
que dune inertie face au monde de la culture et de ses institutions emblmatiques 9. Dans
cette perspective, le dernier niveau de questionnement concerne donc le statut de la
pratique dfinie par les individus eux-mmes. En somme, dans la mesure o la thse souhaite
sappuyer sur lexprience de visiteurs, il devient crucial de se demander par quoi passe
lanalyse que font les visiteurs de leur propre pratique de visite.
Nous voulons dfendre que, dans le cadre dexpriences comme la visite dune exposition, ou
dun jeu informatis de mdiation, les acteurs sont conscients que ce qui compte, ce nest pas
uniquement ce quon leur dit, mais surtout la faon dont ils sont impliqus dans le dispositif.
Nous croyons que lexprience de communication engage llaboration et le faonnage dune
rflexivit particulire de la part des acteurs. Et dans le cas de lexposition ou du dispositif de
mdiation, cest lensemble de la relation avec la communication et la culture comme valeur
qui est construit, interrog.
Au regard de ces trois questionnements, deux hypothses principales de recherche ont t
poses :
Eco, U., 1985, Lector in fabula, le rle du lecteur ou la coopration interprtative dans les textes narratifs , Paris, Grasset. 8 Landowski, E., 2005, Les interactions risques, Nouveaux Actes Smiotiques, Limoges, PULIM, p.41. 9 Eidelman, J., Cordier, J. P., Letrait M., 2003, Catgories musales et identits de visiteurs , in Donnat, O., (dir.), 2003, Regards croiss sur les pratiques culturelles, Paris, La documentation franaise, p.189.
19
La premire hypothse pose que lexprience de visite est lexprience dune implication10
particulire de communication engage par le dispositif, c'est--dire quelle se dploie partir
de la faon dont le dispositif et les diffrents registres mdiatiques, anticipent la double
activit du visiteur (usage du mdia spcifique et usage du dispositif dexposition tout entier).
La seconde hypothse pose que lanalyse des pratiques de visite permet de mettre au jour
llaboration dune rflexivit dans les expriences communicationnelles.
Exposition, visiteur, visite
Prcisons maintenant lespace de pratiques spcifique dans lequel se loge cette problmatique.
Les objets qui la composent doivent tre prsents : exposition, visiteur, visite.
Lexposition, en tant que forme et situation particulire, va tre analyse longuement au cours
des chapitres du mmoire de thse. Pour guider nanmoins la lecture, on posera ici les bases
dune rflexion sur la relation entre exposition et mdia.
En effet, les recherches en musologie ont montr que lexposition, dans son fonctionnement
communicationnel, pouvait tre compare un mdia. Eliseo Veron et Martine Levasseur, par
exemple, la prsentent comme un mass-mdia11
et ils rajoutent que les mdias produisent du
sens par une combinatoire de trois ordres (linguistique, analogique et mtonymique), le
niveau mtonymique tant celui du contact, et il sarticule par consquent toujours la
corporit du sujet destinataire 12
. Cet ordre mtonymique est selon les auteurs le registre
privilgi du mdia exposition, il renvoie un talement spatial qui embraye sur le corps
signifiant 13
. Le comportement physique du visiteur devient le lieu dune analyse, pour les
chercheurs, des dcalages entre les grammaires de production et les grammaires de
reconnaissance des discours sociaux qui constituent lexposition. Or ce qui se joue dans
lexposition est la construction de discours sur des objets particuliers (objets de patrimoine,
objets scientifiques, etc.) ainsi que de discours sur la faon de comprendre et regarder ces
10 Le terme est employ Yves Jeanneret. Il dsigne le fait que le dispositif engage, en plus dune proposition de communication, un espace de pratiques possibles qui fait ressource et contrainte pour le dploiement de lactivit communicationnelle elle-mme Jeanneret, Y., 2008, Penser la trivialit, volume 1, La vie triviale des tres culturels, Paris, Herms Lavoisier, p.167 11 la notion de mdia dsigne un support de sens, un lieu de production (et donc de manifestation) du sens. sur le plan du fonctionnement social, bien entendu, ces supports sont toujours le rsultat de dispositifs technologiques matrialiss dans des supports de sens socialement disponibles, accessibles lutilisation { un moment donn Vron, E., Levasseur, M., 1983, Ethnographie dune exposition Lespace,
le corps et le sens, BPI - Centre Georges Pompidou, p.27 12 Ibid., p30. 13 Ibid., p.31.
20
objets. Si une activit communicative est prsente, rpondant une intention dinformer sur
linformation donne, elle porte sur cet ensemble [lespace de lexposition] c'est--dire sur
lexposition en totalit, entendue comme le rsultat des gestes de mise en exposition.
Lexposition est dj en soi, comme geste de monstration, un acte de communication
ostensive. Tout lexpos est bon voir et mrite attention ; () la dimension communicative
est en quelque sorte plus importance que la dimension informative. 14
Lanalyse de ces phnomnes renvoie la question trs complexe de ce quest loprativit
symbolique des mdias. En quoi un dispositif nest pas seulement une machine organiser
une pragmatique des changes, mais participe linstitution de rles, valeurs, attitudes sur la
culture, dfinit des perspectives, implique lusager pour donner corps un partage de ces rles
et valeurs ? Tous les dispositifs mdiatisant la communication partagent cette proprit
dtablir un lien dans la discontinuit. 15
La thse interroge, ainsi, le rapport entre mdiatisation et mdiation engages par lexposition
et surtout prise en charge par le visiteur. Comment pour lui, lune et lautre sont effectivement
articules ?
La relation entre le visiteur et lexposition-objet culturel (et au-del, linstance
productrice), dune part, ainsi que la relation entre le visiteur et lexpos (et au-del, le
monde scientifique expos), dautre part, priment sur la production des effets de sens.
Lorganisation formelle de lexposition est la mdiatisation de cette double relation ; c'est--
dire quelle la matrialise selon les rgles du genre exposition, selon une technologie de la
mise en exposition. Et cette mdiatisation introduit ainsi une mdiation entre le monde du
visiteur et celui de la science [il sagit dune analyse de lexposition scientifique]. La
mdiatisation est un phnomne mdiatique, la mdiation est un phnomne symbolique,
anthropologique. 16
On aura compris que cest bien le travail luvre des visiteurs qui compte dans ce travail.
14 Davallon, J., 1999, Lexposition { luvre, Paris, LHarmattan, p.124 15 Jeanneret, Y., 2009, Linsaisissable oprativit des mdias informatiss : ingnierie mdiatique, prtention smiotique et industrie de la trivialit , in Pignier, N., (dir), 2009, De lexprience multimdia usages et pratiques culturelles, Paris, Herms Lavoisier, p.54. 16 Davallon, J., 1999, op. cit., note 52 de la p.76, pp.317-318.
21
Jean Davallon a montr justement que la construction de ce discours sur les objets, par
lexposition, engageait la construction dun monde utopique. Il ne sagit pas du monde
dorigine des objets, mais bien le monde possible vers lequel renvoie une exposition
spcifique en tant quarticulation et documentation dun certain nombre dobjets. Ce monde
est engag par lexposition, mais il est construit par le visiteur. Le monde utopique ne sera
donc en aucun cas le texte dorigine [qui prside la construction de lexposition], ou sa copie
conforme, mais la rsultante de la rencontre du visiteur et de lespace synthtique. Trs
exactement, la rsultante de la rencontre de la logique qui organise le savoir amen par le
spectateur avec la mise en forme de lespace synthtique. 17
Les thories de lexposition en
tant que mdia ont pour avantage de placer lexprience de visite au centre du fonctionnement
de lexposition. La construction de lespace synthtique () concrtise, travers la mise en
scne, linterprtation ou, si lon veut, la lecture du thme de lexposition et des objets faite
par le concepteur. La visite revient la lecture de cette concrtisation. () ceci prs que la
lecture faite par le visiteur nest pas un texte littraire crit, mais une srie dactions et de
reprsentations : par ses dplacements, ses regards, ses actes, ses commentaires, il joue et
interprte, au sens thtral du terme, lexposition 18
.
Pourquoi parler ici de visiteur et non pas dusager, dutilisateur, dacteur social ? quoi cette
mention est-elle lie ? Sagit-il dune catgorie dacteurs ? Sagit-il dune comptence ? Dun
rle ? Parler de visiteur dans lexposition engage parler de leur activit de visite, en tant
quelle est une somme daction, mais aussi une pratique culturelle, connue et faisant lobjet de
discours. La notion de visiteur prend ici des dimensions de gnralit, un peu comme la
notion de public qui semble tre devenue une catgorie parmi celles qui instituent la situation
thorique de communication.
Ce qui fait que la visite est une situation passionnante tudier cest quelle renvoie vers une
pratique et en mme temps, quelle est toujours, une situation indite. Pour reprendre
lexpression dHana Gottesdiener, le visiteur ne sait pas ce quil va trouver dans lexposition
et son exprience sapparente une promenade exploratoire 19
et en mme temps, il se
trouve pris dans une situation avec une charge symbolique trs forte, attache de
17 Ibid., p.176. Lespace synthtique correspond { lespace organis de lexposition et cre par les concepteurs-ralisateurs partir des deux gestes fondamentaux selon Davallon, le geste de prlvement et de sparation des objets davec leur monde quotidien et le geste de mise en scne de ces objets, leur articulation entre eux et aux outils daide { la visite. 18 Ibid., p.188. 19 Gottesdiener, H., 1992, La lecture de textes dans les muses dart , Publics et Muses, 1, p.75.
22
nombreuses reprsentations, des normes, des conventions, des discours circulants politiques et
idologiques, comme en tmoignent, par exemple, les dbats toujours vifs sur la
dmocratisation de la culture.
Cette remarque permet de dire que le point de vue dans la thse sera celui de la visite en tant
quactivit communicationnelle, et non pas en tant quactivit sociale. En ce sens, lunit
dobservation que nous avons privilgie nest pas le binme de visiteurs, le groupe ou mme
le visiteur pris dans son appartenance sociale, mais le visiteur en tant quil interprte la
situation, en tant quil est acteur de la situation de la communication et point de repre dune
situation dnonciation. Cette position nimplique pas le fait de postuler un individu
dsincarn et sans histoire sociale, au contraire, on mettra laccent sur ses comptences
acquises et sur sa capacit mobiliser des reprsentations construites dans le temps. Aussi, on
verra que le visiteur mobilise des reprsentations de la visite en tant que situation sociale et
quelles sont fondamentales dans linterprtation quil fait de son rapport la culture.
Une dernire remarque peut tre faite sur le statut qui est donn cette situation de visite. Est-
elle une situation de sens commun, une situation quotidienne ? Si nous avons la prtention de
tenter de comprendre la visite en tant quelle est une pratique, cest que nous imaginons avoir
une prise avec nos terrains qui soit de lordre de la reproduction dune exprience ordinaire.
Or ce nest pas le cas, les visiteurs interrogs sont dans des situations dextrme attention ce
quils produisent. Donc lanalyse ne donne pas aux comportements observs le statut de
comportements ordinaires, mais didaux types, dune certaine manire, dans la mesure o le
visiteur slectionne et produit les caractres du visiter quils souhaitent voir mis en
exergue, mais il le fait tout en interprtant une situation de communication et en mobilisant
tout ce quil connat de ce type de situation.
Deux terrains de recherche
Lanalyse de deux terrains particuliers a permis de confronter ces diffrents questionnements.
Lobjectif nest pas de comparer strictement ces deux terrains, mais plutt dexploiter un
aller-retour entre deux situations spcifiques qui permettent de saisir la situation de visite. Ces
deux terrains sont prsents dans la premire partie du mmoire de thse. Il sagit de
lexposition temporaire Sainte Russie lArt russe des origines Pierre le Grand qui a eu
lieu au Muse du Louvre, du 5 mars au 24 mai 2010 ; et du parcours ludique PLUG Les
secrets du muse , qui a t organis dans les salles des collections permanentes du muse
23
des arts et mtiers. Le point commun de ces deux dispositifs est quils construisent un
discours sur des objets, cheval entre un statut duvre dart et dobjets patrimoniaux et un
statut dobjets du quotidien (inventions techniques et objets religieux). Ces deux terrains ont
t mis en regard car ils permettent daborder diffremment la question des attentes associes
lexprience de visite. Dans le premier cas, les visiteurs se retrouvent dans une situation qui
correspond aux attentes quils peuvent se faire dune visite dun lieu patrimonial. Dans le
second cas, les visiteurs sont invits jouer dans le muse et ainsi interroger leurs attentes
vis--vis de cette situation particulire de visite, dont ils ne savent pas trs bien ce quelle
engage.
Ces deux terrains dploient donc deux situations de communication diffrente, qui renvoient
vers une histoire spcifique des rapports entre objets, individus et dispositifs.
ce titre, une remarque doit tre faite sur le statut accord au multimdia dans la thse. En
effet, le jeu PLUG est un jeu sur tlphone portable dvelopp grce au financement dune
recherche sur les jeux dits pervasifs , c'est--dire utilisant des technologies de rseaux
distribus.
Le fait de travailler sur lusage dun outil technique de mdiation, dans les salles du muse,
impose un questionnement pralable sur les relations entre culture et multimdia. Leffort des
institutions culturelles pour sengager sur le terrain de la mdiation numrique , mais aussi
tout simplement lactualit conomique et politique des usages des technologies
informatises20
, impliquent une rflexion sur le statut de ce type dobjets.
Les dispositifs informatiss peuvent tre dcrits dans leur spcificit, commencer par la co-
prsence de deux logiques htrognes : une logique du sens et une logique du calcul. Xavier
Sense dfinit lcriture informatise ainsi : Dire dun document quil est cod
numriquement, cest dire quil peut tre dcrit mathmatiquement et quil est programmable.
Le numrique est ainsi la premire technique de mmoire inscrire dans sa matrialit
leffectivit dun calcul. Cest, en effet, par la mdiation dun calcul, consistant en une
transcription des 0 et des 1, que nous accdons notamment, un document et que nous le
20 Au premier trimestre 2011, 9 foyers sur 10 sont quips dun tlphone portable et 3 foyers sur 4 sont quips dun micro-ordinateur. Sources : http://www.mediametrie.fr/comportements/communiques/reference-des-equipements-multimedias-plus-de-la-moitie-des-equipements-numeriques-sont-des-ecrans.php?id=458.
24
visualisons lcran sous une forme sensible et intelligible pour nous. La prsence dun texte
lcran nest possible que par le dcodage de ce mme texte par la machine. Il y a donc
rencontre entre le faire sens des formes visibles et lisibles lcran, et le calcul qui en a
permis laccs et la visualisation. 21
Ces objets superposent ainsi une logique du programme et une logique de linterprtation. Ils
sont caractriss dobjets culturels ds lors quils deviennent des faits de langage, c'est--dire
quils ont pour consquence de faire circuler entre les acteurs sociaux des messages, de
rendre possibles des changes dinformations, des interprtations, des productions de
connaissances et de savoirs dans la socit 22
.
La thse ne rpond pas la question de savoir si les mdiations informatises sont plus
pertinentes, dautant plus lorsquon sait que plusieurs enqutes rcentes sur lutilisation du
multimdia au muse montrent quil ny a pas vritablement de concurrence entre les
expriences multimdias et les expriences in situ23
. Il ne sagira donc pas de rpondre un
dbat politique sur le bien-fond de la prolifration des objets ou de la technicisation de la
socit ; mais ces questions constituent lhorizon normatif de la thse et il faut se prononcer
sur le sujet, dautant plus que les choix des terrains ne sont jamais innocents.
La thse veut montrer que les enjeux que remuent les dispositifs numriques sont anciens, et
ne naissent pas tous avec la technologie mergente. Y a-t-il une spcificit de lexprience
multimdia ? nest pas la question que lon posera. Nanmoins, les analyses du jeu PLUG
laisseront une grande place aux gestes qui caractrisent lagir multimdia et aux
reprsentations associes lutilisation dun dispositif technique, car elles nourrissent
pleinement les usages que les acteurs sociaux font des dispositifs de mdiation la culture.
Toutes les enqutes menes depuis le dbut de la thse, mais aussi la majorit des rapports
consacrs aux relations entre multimdia et publics des muses, montrent quil existe une
disposition tout fait favorable aux dispositifs techniques qui renseigne en ralit sur la
21Sense, X., 2007, De lespace du document numrique { lespace dinternet , tudes de communication, 30, p.99. 22 Jeanneret, Y., 2007 [2000], Y-a-t-il (vraiment) des technologies de linformation ?, Villeneuve dAscq, Septentrion, p.82. 23 Digital audiences: engagement with arts and culture online, 24 November 2011, Arts Council England part of the digital research program, disponible en ligne http://www.artscouncil.org.uk/media/uploads/doc/Digital_audiences_final.pdf.
25
confiance que les visiteurs font au muse, malgr des utilisations parfois trs difficiles24
. Cette
disposition rside prcisment en la conviction que ces dispositifs apportent une rupture avec
les modalits traditionnelles de rencontre avec les uvres et que cette rupture, orchestre par
le muse lui-mme, ne peut tre une mauvaise exprience. On ne peut pas ne pas accepter ce
type de dispositif, car ce serait renoncer un progrs que les institutions tentent de mettre en
place. Les visiteurs accompagnent ainsi une institution qui fait la preuve, leurs yeux, de sa
perfectibilit et de son attention aux logiques sociales dadoption de modles de
l innovation .
On ne peut pas imaginer autre chose que a dans les muses. On peut imaginer des guides, mais jai
limpression que voil, on ne peut pas y chapper. (Homme, 30 ans, Paris, PLUG, entretien)
Figures et chelles
La dmarche adopte pour la thse a donc t danalyser, dans le dtail, les dispositifs en jeu
dans chacune des expriences de visite, exposition et jeu, en tentant de comprendre
prcisment ce qui dfinit ces dispositifs comme symboliques et signifiants, et ce qui leur
permet de configurer les situations de communication. Elle a aussi t de faire produire un
discours des enquts aux prises avec la dfinition de leur statut de visiteur. Elle sest
construite partir des deux hypothses sur limplication des visiteurs dans la situation de
communication et sur la rflexivit de leur pratique de visite. Mais plus prcisment, elle sest
organise autour de deux axes.
Le premier axe concerne la relation entre implication et figure. La question de limplication a
vite fait place un questionnement sur la question de la figure, inscrite dans le dispositif et
mobilise par le visiteur dans le cours de son ajustement au dispositif. En dautres termes, la
figure est, en quelque sorte, la prise qui nous a permis danalyser le phnomne dimplication.
Dans le cas de la description de lexposition, par exemple, ces figures peuvent tre
nombreuses. Dans les textes par exemple, on peut identifier les diffrents rles nonciatifs, on
peut observer la place rserve au discours savant sur les objets et reprer comment sorganise
lespace de distribution de la parole lgitime. Dans le choix des meubles, de leur emplacement
ainsi que des zones de circulation, on peut observer le rle attendu pour le corps et pour le
scnario de gestes qui est propos par rapport aux objets. Le dispositif de jeu convoque trs
24 Davallon, J., Gottesdiener, H., Le Marec, J., 1997, Approche de la construction des usages de CD-ROM culturels lis aux muses , Rapport dtude Paris, ministre de la culture (DMF et RMN) Saint Etienne CEREM-Universit Jean Monnet. Le Marec, J, 2007, Publics et muses, la confiance prouve, Paris, LHarmattan.
26
explicitement, par ailleurs, une figure de linteractivit et la figure communicationnelle du
visiteur-joueur en porte--faux avec celle du visiteur classique.
La notion de figure a permis de cristalliser lanalyse de ce qui dans le dispositif et dans le
discours des visiteurs, correspond une certaine forme de rquisition de la pratique, c'est--
dire une anticipation de la pratique de visite, ainsi qu la mobilisation de reprsentations sur
les pratiques idales de visite. Les figures construites par le visiteur le sont partir du
dispositif et elles sont aussi convoques partir des discours circulants. Mais plutt que de
les traiter comme de simples erreurs, nous les avons considres comme des faons de
sapproprier les mdias informatiss, de rguler une relation difficile construire avec eux,
dadopter des modles comportementaux. () Si lhgmonie de certains discours se retrouve
dans les propos et les attitudes des lecteurs observs et rencontrs, les terminologies et les
faons de raconter lusage ne prennent pas ncessairement le mme sens chez eux que chez
les idologues actifs de la socit de linformation. 25
Le deuxime axe concerne la relation entre rflexivit et chelles dinterprtation. La question
de la rflexivit de la pratique de visite a permis de focaliser le regard sur le dploiement du
projet de visite au cours de la visite. On sest rendu compte quon ne pouvait pas se
reprsenter laction comme le droulement dune intention. Cest plutt un jeu dchelles dans
les reprsentations qui structure lexprience du visiteur. La mise en gnralisation de
lexprience et la mobilisation de cadres diffrents dinterprtation sont des processus que
nous avons observs dans chacune des enqutes. Aussi, ce jeu dchelle traverse toutes les
analyses.
Organisation des chapitres
Le mmoire de thse est compos de dix chapitres rpartis en trois grandes parties : le cadre
gnrale de lanalyse, lanalyse de lajustement entre les visiteurs et lexposition au travers de
ltude spcifique du rapport entre visiteurs et textes de mdiation, et enfin, lanalyse de la
situation de visite vcue comme une interaction mdiatise.
25 Jeanneret, Y., Bguin, A., Cotte, D., Labelle, S., Perrier, V., Quinton P., Souchier, E., 2003, Formes observables, reprsentations et appropriation du texte de rseau , in Souchier, E., Jeanneret, Y., Le Marec, J., (dir.,), 2003, Lire, crire, rcrire : objets, signes et pratiques des mdias informatiss, Paris, BPI - Centre George Pompidou, p.106.
27
Chaque partie commence avec un premier chapitre qui pose, chaque fois, les jalons
thoriques pour les analyses qui composent les chapitres suivants. Il a sembl essentiel de
prsenter ces balises thoriques en prambule des analyses.
La premire partie de la thse se compose des chapitres I, II et III. Elle prsente le cadre
thorique et mthodologique gnral de la thse. Le premier chapitre propose une lecture de
trois ensembles de textes qui permettent de construire le regard sur la pratique des visiteurs en
train de se dployer. Les Recherches en ethnomthodologie, dHarold Garfinkel, dabord,
offrent une analyse prcieuse de la faon dont la situation de lchange sociale peut tre
comprise comme la situation dun ajustement permanent entre un contexte communicationnel,
une recherche de la cohrence et lexercice dune rflexivit sur sa pratique. La thorie des
reprsentations sociales dveloppe par Serge Moscovici et analyse par Jolle Le Marec dans
une perspective communicationnelle, permet, dans la perspective de lide
d accomplissement de la ralit sociale, de montrer que les acteurs sociaux manipulent et
laborent des reprsentations en tant quelles sont des oprateurs des situations de
communication. Elles permettent de rendre compte du fait que la situation de communication
(entre enqut et enquteur, entre enqut et dispositif de mdiation) est un lieu de
construction de reprsentations sur la pratique. Enfin, quelques textes sur la sociologie des
usages, en contrepoint du travail sur la spcificit de linteraction mdiatise, mettent en
vidence le fait que ds quon sintresse une relation de communication qui repose ou
sappuie sur un dispositif mdiatique (lexposition, le tlphone, le jeu vido), on gagne
observer lespace dinteraction comme une tension entre anticipation de la communication par
le dispositif et appropriation ou prdilection de la part des usagers.
A ce cadrage thorique rpondent la description des deux terrains de la recherche et la
prsentation de la dmarche mthodologique utilise, dans les chapitres II et III. Cette
dmarche est articule autour de deux axes danalyse : le rle smiotique du corps dans les
situations dobservation, mais aussi son rle de corps-interprtant de ces situations ; et
lattention lemboitement des situations de communication en jeu dans lenqute.
La deuxime partie du mmoire de thse prsente un premier pan de lanalyse de lajustement
entre visiteur et exposition. Elle prend le parti de sattacher lune des dimensions de
lexposition, ses textes, en tant quils sont un des lments qui sarticulent pour produire le
parcours et le propos gnral de lexposition, et en tant quils sont des oprateurs de
28
mdiation privilgis dans la construction de la relation entre les visiteurs et les objets
exposs. Nanmoins, la recherche ne revendique pas un point de vue texto-centrique et vise
bien au contraire considrer tout ce qui dborde le texte compris comme une proposition
verbale mais aussi objet matriel. Cette partie commence avec le chapitre IV qui resitue la
proposition thorique de Roy Harris sur lcriture. Sa recherche met en avant la spcificit du
signe crit convoquer un travail pragmatique de linterprtation. Ainsi le texte anticipe-t-il
dune certaine faon lactivit du lecteur, en ce sens quelle est une activit dintgration du
signe dans son contexte. Les balises thoriques sont ici pointes : texte, contexte et figure du
lecteur. On voit comment lanalyse de lajustement peut commencer par une analyse du
travail danticipation par le texte de mdiation, dans le muse, ou dans le jeu, de lactivit de
lecture, mais aussi de visite. Les chapitres V et VI lucident alors les modalits de
lappropriation, par le visiteur, des logiques communicationnelles et des prfigurations
communicationnelles en jeu dans les dispositifs. La question de la captation de lattention est
traite pour montrer comment le texte, en tant quobjet matriel, sollicite et implique le
visiteur dans la lecture. Or on se rend compte que ce nest pas une seule activit de lecture,
mais plusieurs, que le texte mobilise, et quil implique, par ailleurs, une articulation entre
usage du texte pour la lecture et usage du texte pour la visite. Lobjectif du chapitre est de
montrer que le visiteur sengage dans ce travail de lecture(s) et quil reformule ces
propositions tout en construisant un projet de visite. Lanalyse de lexprience de visite toute
entire devient alors ncessaire.
La dernire partie qui se compose de quatre chapitres, ouvre le regard sur le rapport entre
visiteur et exposition. Le chapitre VII, qui inaugure la partie, propose deux nouvelles balises
thoriques, la notion de dispositif et la notion de confiance. Ces deux balises permettent
dinterroger toujours le rapport entre lexposition et le visiteur, mais en requalifiant
linteraction mdiatise du point de vue de la tension qui sy joue entre technique et
symbolique par le dispositif, et du point de vue de lexistence dun facteur dterminant de
lexprience de cette interaction mdiatise : la confiance. A partir des textes de Donald
Winnicott et dEmmanuel Belin, on comprend que le dispositif peut tre pens comme cet
espace potentiel o lindividu exprimente son rapport la ralit extrieure de faon
privilgie car protge. Il peut sy demander : Que faut-il croire ? Comment croire ?
Pourquoi croire ? Quest qui existe en dehors de mon interprtation ? O sont les partenaires
de lchange ? Quest-ce que je produis ? Comment cette ralit extrieure est mon
exprience ?
29
Le chapitre VIII veut analyser comment le visiteur caractrise la situation quil est en train de
vivre et comment il qualifie cette ralit extrieure . Il semble quil fasse lexprience
dune interaction mdiatise, comme en tmoignent le fait quil accorde lexposition le
pouvoir de lui parler, de sadresser lui et, en mme temps, le fait quil la dsigne comme
tant fondamentalement un montage, une mise en scne. On se rend compte que ce qui
caractrise la visite de lexposition est quelle est une exprience toujours dj-connue et
toujours indite dune part, et dautre part quelle est une exprience de suspension volontaire
de lincrdulit26
.
Le chapitre IX, poursuit cette analyse en montrant que les visiteurs ne cessent danalyser les
dcalages entre la promesse engage par les dispositifs, la faon dont ils dploient
effectivement la proposition de communication et les prtentions mdiatiques qui les
dfinissent selon eux. On verra, par exemple, comme lexprience du jeu PLUG est vcue
dans la mise en avant, par les visiteurs, dun discours sur la confrontation entre logique
ludique et logique pdagogique.
Le dernier chapitre de cette partie, le chapitre X, prsente enfin dans le dtail, trois formes
dajustement, prsentes dans tous les chapitres du mmoire de thse. Ce chapitre a pour
objectif de les mettre en exergue. La prise de rle, le recours la figure et le changement
dchelle sont trois oprations menes par les visiteurs pour valuer la situation de
communication quils sont en train de vivre, pour prendre acte de ce que les dispositifs de
mdiation les engagent vivre et pour construire une relation plus gnrale aux objets
culturels, aux situations de rencontre de ces objets, et donc finalement la culture elle-mme,
en tant quelle est produite par lunivers des pratiques qui la porte.
Pour conclure cette introduction, quelques observations concernant lcriture du mmoire de
thse permettront de guider la lecture.
Dun point de vue ditorial , les chapitres proposent un ensemble coordonn dlments
danalyse dont le statut est diffrent. Des planches dillustrations ont t, par exemple, places
dans le corps du texte, en dpit du fait que les annexes prsentent aussi de nombreuses
26 Le terme est repris de Samuel Coleridge in 1985 [1817], Biographia Literaria, Princeton University Press.
30
illustrations commentes. Il a sembl, la lecture des analyses, que la prsence de certaines
photographies, plans, schmas pouvaient accompagner utilement la description des tudes.
Par ailleurs, des petits encarts ont t insrs dans le corps du texte au moment o des
complments dinformations pouvaient paratre pertinents sur les thmes abords, ou alors au
moment o lanalyse prsente une srie de donnes ne pouvant tre formule autrement que
par le listage des lments.
Toujours dans le corps du texte, nous avons fait le choix dintroduire trs souvent des
verbatims extraits de nos corpus dentretiens ou de rcits itinrants. Ils sont mis en vidence,
notamment, par lutilisation de litalique. Ces verbatims ont deux fonctions dans le mmoire
de thse. Dune part, ils illustrent le plus souvent les paragraphes danalyse qui les prcdent,
en tmoignant des diffrentes modalits dexpression des phnomnes dcrits, lorsquils sont
plusieurs. Dautre part, ils rendent sensible la teneur des discours des enquts qui sont des
ensembles homognes construits sur le temps long de lenqute. Dire que ces discours sont
homognes ne veut pas dire quils se ressemblent, ni quils sont toujours cohrents. Bien au
contraire leur disparit ainsi que leurs contradictions internes sont tout fait essentielles. Mais
ce sur quoi lon veut insister cest limportance du parcours du discours, son droulement
dans le temps de la visite et de lentretien. Il faut ajouter que deux types de commentaires se
logent dans les passages consacrs aux verbatims. Certains mots sont parfois souligns pour
attirer lattention du lecteur sur le fragment de la phrase qui illustre lanalyse en cours. En
plus du soulignement, des phrases de commentaires, insres dans les verbatims, insistent
parfois sur la spcificit de lextrait par rapport ceux aux cts desquels il se situe. Ces
phrases sont reconnaissables, car elles ne sont pas en italique.
Deux derniers lments doivent tre signals. Les notes de bas de page sont nombreuses dans
le mmoire de thse. Elles dploient un second discours qui se situe en marge du discours
principal, dans le corps de texte, les planches dillustrations et les encarts. Leur fonction est
dallger parfois le texte en donnant des exemples. Elles ont donc une valeur
dexemplification. Mais leur fonction est aussi dtre des commentaires du discours principal.
Les annexes, pour terminer, prsentent des illustrations commentes des deux terrains. Ces
annexes proposent aussi la description des grilles danalyse utilises, notamment pour traiter
les rcits itinrants, ainsi que des documents danalyse qui correspondent aux diffrents
chapitres du mmoire de thse.
31
PREMIRE PARTIE
Un cadre pour lanalyse de lajustement
32
33
Introduction la premire partie
Dans les Figures de lamateur, Antoine Hennion exhorte regarder comment se droule et se
dcrit la pratique de lamateur de musique pour comprendre comment un individu construit sa
relation un objet culturel. Redonner sa place lamateur suppose dabord de ne pas se
centrer sur lobjet de son amour, la musique elle-mme [], mais plutt de se focaliser sur la
pratique elle-mme (quelle soit jeu ou coute), avec ses moments, ses outils, ses dispositions
et ses effets affectifs, ses manies et ses lassitudes, sa faon propre de se raconter pour se
raliser. [] Non pas tant partir du sujet rcepteur pour lopposer lobjet peru, donc, que
partir du jeu et de lcoute ordinaires et en refaire un rapport. 27
Cest donc en regardant
comment se tisse, dans le moment de la pratique, un rapport entre un acteur social et un
ensemble dobjets qui concourent offrir une exprience culturelle que lon pourrait initier
une tude sur la relation qui se construit, plus gnralement, la culture.
Or les sciences de linformation et de la communication apportent un lment de plus dans
cette rflexion. Si cette exprience culturelle, celle que propose une salle de concert, un site
Internet, une exposition, etc., est comprise en tant que situation de communication, alors tous
les objets qui concourent former cette exprience peuvent tre autant de dispositifs qui
engagent une interaction avec lobjet culturel dont il sagit de faire lexprience. Observer la
pratique revient alors observer de nombreux rapports entre un acteur et des dispositifs de
communication, c'est--dire observer des interactions fortes dinterprtation. Et cette
interprtation se construit dans un jeu de miroir. Elle se loge dj, en effet, dans chacun des
objets qui participent, ventuellement, dune mme exprience culturelle. En dautres termes,
ces objets proposent toujours une faon de voir les choses, de les interprter. Il suffit, par
exemple, de penser aux textes qui accompagnent ces manifestations ; mais aussi la faon
dont sont disposs les siges dune salle de concert, les vitrines dune exposition, le plateau
dune mission de tlvision.
Ce mmoire de thse veut dfendre lide que sengager dans la pratique de ces objets revient
interprter, de quelque faon que ce soit, ces propositions dinterprtation et les associer
dans sa propre exprience ; exprience faite de mots et de gestes que nous nommons
27 Hennion, A., Maisonneuve S., Gomart, E., 2000, Figures de lamateur formes, objets, pratiques de lamour de la musique aujourdhui, Paris, La documentation franaise, pp.38-39.
34
ajustement, mais, surtout, exprience incertaine et toujours dans le jeu dinterprtations
changeantes qui tmoigne du lien discontinu de la communication 28
.
Lobjectif de cette premire partie est de camper le dcor de lanalyse de cet ajustement, c'est-
-dire de poser un cadre qui parie sur limportance de la rencontre entre dispositifs de
communication et acteurs sociaux. En dautres termes, elle veut rpondre la question
suivante : comment construire une analyse qui articule la pratique des individus lpaisseur
des mdiations dont la communication fait lobjet ?
Le premier chapitre de ce mmoire de thse se prsente comme une introduction thorique. Il
rpond la question : Comment peut-on analyser la pratique des individus partir de
lobservation de leurs expriences, de leurs interactions avec des objets et de la description
quils en font ?
Un des pralables ce questionnement consiste, alors, se demander dans quelle mesure
lexprience dun individu renvoie la pratique. Pour Pierre Bourdieu, par exemple, la
pratique ne peut se comprendre que dans son rapport lhabitus : il distingue ainsi
lexprience de la pratique. Il explique que la pratique est la fois ncessaire et relativement
autonome par rapport la situation considre dans son immdiatet ponctuelle parce quelle
est le produit de la relation dialectique entre une situation et un habitus, entendu comme
systme de dispositions durables et transposables qui, intgrant toutes les expriences passes,
fonctionne chaque moment comme une matrice de perceptions, dapprciations et dactions,
et rend possible laccomplissement de tches infiniment diffrencies 29
. On peut retenir de
la proposition de Bourdieu que la pratique peut tre pense comme quelque chose qui
seffectue la fois dans le hic et nunc et, en mme temps, dans le temps long. Elle est ainsi
lie au fait que lindividu construit, dans le temps, un ensemble de comptences, mais aussi
choisit ses modalits daction, les qualifie dune certaine faon et les effectue en fonction des
expriences dans lesquelles il sengage30
. Aussi, la pratique rassemble les motivations des
28 Davallon, J., Jeanneret, Y., 2006, Le lien discontinu de la communication , texte publi dans le cadre du XIXth Congress International Association of Empirical Aesthetics Culture and communication, Avignon, IAEA, pp. 9-16. 29 Bourdieu, P., 2000, [1972], Esquisse dune thorie de la pratique, Paris, Le Seuil, p.262. 30 Nous pensons quil serait intressant dutiliser le concept dhabitus dans ce sens, non pas comme le rsultat des caractres figs de lindividu (restreindre les conditions sociales de production de lhabitus au talon sociologique), mais le rsultat de la capacit des individus se saisir des objets et des situations sociales en fonction de leurs comptences et de leurs intrts.
35
acteurs, leurs reprsentations, leurs comportements et lanticipation des consquences socio-
symboliques et socio-politiques de leurs usages ou actions.
Je souhaiterais ici dfinir la pratique en tant quelle est un fait de communication, en tant
quelle est un mcanisme qui rvle la mobilisation et la construction de reprsentations et de
savoirs. la diffrence de nombreuses enqutes sur les pratiques culturelles, la lecture
desquelles on voit que la pratique est souvent rduite une activit humaine dfinie comme
un geste dappropriation des objets culturels alors quelle renvoie tout autant un geste de
constitution (de la valeur) des objets eux-mmes 31
, je voudrais tenter pour cette thse de
penser la pratique pour elle-mme, en tant quexprience, ou plutt en tant quopration
communicationnelle, en interrogeant profondment le lien et les allers-retours entre pratique
et objet, entre pratique et dispositif, et, bien sr, entre pratique et construction dune relation
la culture.
Trois espaces thoriques ont t choisis pour construire ce premier chapitre et pour poser des
jalons face la question de lobservation de la pratique par lenquteur et par lacteur de la
pratique. On parle despace, et non pas de champ, dans la mesure o le point de vue ne
cherche pas insister sur lhomognit de chaque groupe de textes, mais plutt sur le fait que
ces textes runis crent ensemble des espaces de tensions problmatiques, au sein desquels on
peut interroger les objets qui forment le cur de lanalyse : pratique, sens commun,
rflexivit, reprsentations, circulation et dispositif de communication.
Ces trois espaces parlent dajustement sans pour autant mettre toujours en exergue le
fonctionnement de cet ajustement. Lethnomthodologie dHarold Garfinkel, la thorie des
reprsentations de Serge Moscovici et la lecture quen a faite Jolle Le Marec, les textes de
Josiane Jout et Jacques Perriault, en sociologie des usages, et lanalyse de l interaction
mdiatise par Yves Jeanneret permettent de construire un premier cadre pour lanalyse du
travail dajustement des visiteurs engags dans lexprience de dispositifs souvent techniques
et dans la mobilisation de cadres dinterprtation diffrents et changeants.
31 Bourgatte, M., 2008, Ce que fait la pratique au spectateur. Enqutes dans les salles de cinma Art et Essai de la rgion Provence-Alpes-Cte dAzur , thse en sciences de linformation et de la communication, Universit dAvignon et des pays de Vaucluse, Ethis E. (dir.), p.20.
36
Le deuxime chapitre vient se loger dans la suite de ces analyses, car il prsente deux objets
qui ont t construits comme les deux terrains de la thse partir dune description en tant que
situations de communication. Lexposition temporaire Sainte Russie : lArt russe des
origines Pierre le Grand et le jeu PLUG Les secrets du muse se dploient en deux
situations observables mais sont, aussi, deux dispositifs mdiatiques particuliers. Pour que la
lecture soit plus facile, on utilisera dornavant les expressions raccourcies suivantes : Sainte
Russie et PLUG pour se rfrer lexposition et au jeu.
Le premier terrain se prsente comme une exposition dart religieux, au sein du Muse du
Louvre, il convoque a priori un univers de pratiques bien spcifique, celui de la visite. Le
cadre institutionnel de lexprience est le muse. Le second se prsente comme une
exprience en rupture la fois avec lunivers des pratiques de visite et avec un cadre
institutionnel et communicationnel qui serait unique. En effet, lexprience du jeu PLUG
est lexercice dune mise en abyme des situations de communication, de la situation
exprimentale de test technique lexprience alternative de mdiation. Ces deux terrains
doivent ainsi permettre dobserver comment le visiteur interprte et sajuste des dispositifs
qui anticipent diffremment lactivit de visite.
Le troisime chapitre prsente, enfin, la mthode qui a t choisie pour interroger le rapport
entre les acteurs sociaux et ces deux dispositifs. Il sappuie sur un rappel historique des
mthodes utilises dans le champ de lvaluation musale. Ce rappel sarticule une rflexion
sur les modles communicationnels qui sont en jeu dans lvaluation et qui renseignent
notamment sur le statut qui est donn lexposition et au muse. Le chapitre se poursuit avec
une rflexion thorique autour de lun des enjeux mthodologiques pour lanalyse de
lajustement : la place du corps dans lanalyse. Enfin, il sachve avec la description des
diffrents protocoles denqutes menes pour lexposition temporaire Sainte Russie et le
jeu PLUG .
Cette partie veut construire les bases mthodologiques pour une analyse de la situation de
pratique qui est toujours la fois une situation de rencontre entre un individu et un dispositif
de communication qui a une histoire et renvoie vers cette histoire, et en mme temps un jeu
danticipation et de rflexivit des postures en jeu dans cette situation.
37
CHAPITRE PREMIER
Introduction thorique :
Les thories de lajustement
Introduction
Ce chapitre prsente trois groupes de textes qui seront analyss partir du questionnement
gnral sur les pratiques des individus, dans des situations considres comme des situations
de communication. Lobjectif de ce chapitre est damorcer une rflexion thorique sur la
nature des pratiques de communication, mais aussi sur les conditions de saisie de cette
pratique par le chercheur et par lacteur de la pratique lui-mme.
Lethnomthodologie dHarold Garfinkel est la premire rfrence cite : elle permet de
montrer comment lanalyse peut se pencher sur la faon dont les acteurs sociaux rendent
cohrentes leurs propres pratiques en dployant des mthodes dajustement permanent entre
les situations de communication, la faon de considrer sa propre pratique et
laccomplissement dune ralit sociale. Elle permet surtout damorcer la rflexion sur le type
de rapport qui peut se tisser entre le hic et nunc de lexprience dun individu et la
construction de relations plus gnrales la culture. Cette rflexion est au fondement de la
dmarche danalyse qui est mene pour cette thse.
Dans un deuxime temps, cest la thorie des reprsentations sociales de Serge Moscovici et
lanalyse quen propose Jolle Le Marec qui permettra de poser une deuxime balise, celle de
la relation entre situations de communication et circulation des savoirs, qui consiste prendre
acte du caractre potique des transformations que connaissent les objets dans la
communication et [du] lien qui rattache ces laborations aux interactions qui les
autorisent 32
.
Enfin, la troisime section sera consacre plusieurs textes clefs qui appartiennent la
sociologie des usages et la thorie de linteraction mdiatise. Ces textes permettent de
revenir, aprs lincursion auprs des analyses du sens commun, la situation de mdiation
ainsi qu la notion de mdia, pour interroger le rapport entre un dispositif de communication
32 Jeanneret, Y., 2008, Penser la trivialit, la vie triviale des tres culturels, Paris, Herms - Lavoisier, p.103.
38
et un acteur qui souhaite vivre une exprience dun type particulier (on sengage toujours
dune faon particulire lorsquon sintroduit dans une situation de communication, quil
sagisse dun coup de tlphone, ou de la visite dun muse).
39
1. LES MTHODES DU SENS COMMUN DE LETHNOMTHODOLOGIE
Cette section prsente la dmarche thorique de lethnomthodologie dHarold Garfinkel. Le
choix a t fait de ne pas se rfrer aux textes de vulgarisation ni aux textes des
ethnomthodologues contemporains pour se centrer, surtout, sur le travail pionnier de
Garfinkel, pour deux raisons : dabord, les textes dorigine offrent dj les outils ncessaires
pour lanalyse des mthodes dajustement dans les interactions sociales ; ensuite,
lethnomthodologie est relativement peu aborde par les auteurs en sciences de linformation
et de la communication et le travail dexgse ou celui de constitution du champ de
lethnomthodologie en sociologie a trac des problmatiques diffrentes de celle qui est
explore ici.
Dans un premier temps, on prsentera le programme gnral de lethnomthodologie,
formalise par Garfinkel, qui est articul la reconnaissance des proprits rationnelles des
activits courantes. Ensuite, deux axes thoriques particuliers, celui de la rflexivit et de
lindexicalit des expressions ordinaires, seront dtaills, car ils apportent des rponses aux
questionnements sur le rapport entre lindividu et sa propre pratique et, plus encore, sur le
rapport entre lindividu et son usage de la situation de communication. Dans un troisime
temps, on tentera de pointer le caractre communicationnel de lanalyse de Garfinkel. Son
analyse permet, en effet, de mettre en lumire lattention trs grande des acteurs sociaux
envers la cohrence de la situation de communication. Enfin, pour terminer, on reviendra sur
la notion de breaching experiment 33
, car elle est la fois trs proche et trs loigne de la
dmarche mise en uvre pour lun des deux terrains de la thse : dun ct, elle met en avant
la capacit de lindividu mobiliser des savoirs et des reprsentations sur la situation de
communication, mais de lautre elle ne permet pas de saisir le rapport de mdiation pratique
que joue le dispositif de communication dans lexprience.
1.1 La structure formelle des activits courantes
Lethnomthodologie apparat dans les annes soixante, aux tats-Unis, autour des travaux
dHarold Garfinkel34
. Elle engage un postulat qui nest pas nouveau, celui de lexamen en
33 Elle est une exprience de rupture, qui permet de rvler les attentes darrire-plan 34 Garfinkel soutient sa thse avec Talcott Parsons en 1952 il fait nanmoins davantage rfrence luvre dAlfred Schtz dans son travail que celui de Parsons - et publie son ouvrage majeur Studies in ethnomethodology en 1967.
40
situation
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