Séminaire Éthique et science dans la globalisation Mexico 24-25 octobre 2006
ORGANISATEURS : Institut de Recherche pour le Développement (CCDE + Représentation de l’IRD au Mexique), Académie Mexicaine des Sciences (AMC), Coordination des Sciences Humaines, et Coordination de la Recherche Scientifique, Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM).
COMITÉ d’ORGANISATION : Dra Maricarmen Serra Puche, Dr. Abdelghani Chehbouni, Dr. Juan Pedro Laclette, Dr. René Drucker Colín, Dr. Ambrosio Velasco, Dr. León Olivé, Dr. Jorge Linares, Dr. Ruy Pérez Tamayo, Dr. Rafael Loyola Díaz.
OBJECTIF : Encourager, au Mexique, la réflexion sur la dimension éthique du processus de recherche scientifique et humaniste - tant sur un plan général que dans des cas concrets - et motiver l’élaboration de propositions tenant compte de cette dimension, au niveau culturel et de la recherche.
PROGRAMME : • Mardi 24 octobre 2006
INAUGURATION
L’ÉTHIQUE DANS L’ACTIVITÉ SCIENTIFIQUE
a) Régulation sociale et autorégulation des pratiques scientifiques. b) Problèmes éthiques dans le domaine des traditions et des pratiques de recherche. c) Problèmes éthiques dans les domaines des sciences naturelles (essai,
expérimentation, individus soumis à l’expérimentation, ...) et des sciences sociales (informateurs, destinataires, utilisateurs, ...).
d) Gestion des sources, des contributions à la connaissance, des crédits aux participants et aux collaborateurs, ...
e) L’appropriation des connaissances. Orateurs : Dr. Ruy Pérez Tamayo, Dra. Juliana González, Dominique Lecourt (IRD), León Olivé, Dr. René Drucker Colín.
Coordinateur : Dr. León Olivé.
LE CAS DE LA RECHERCHE BIOMÉDICALE ET BIOTECHNOLOGIQUE
a) Problèmes du consentement informé. b) Thèmes émergents : cellules souche, transgéniques, clonage, VIH, biologie
synthétique. c) Distribution sociale équitable des bénéfices et des résultats de la recherche. Le
problème des brevets. d) Équité et protection des droits humains dans la sélection d’individus objets de
recherche. e) Recherches dans des communautés culturelles traditionnelles et des groupes
vulnérables. Orateurs : Dra. Lizbeth Sagols, Dra. Elena Álvarez Buylla, Dr. Octavio Paredes, Dr. Bolívar Zapata, Dr. Roger Guedj (CCDE-IRD).
Coordinateur : Dr. Juan Pedro Laclette.
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COMMUNICATION ET APPROPRIATION DES CONNAISSANCES
a) Appropriation ou diffusion des connaissances. b) Gestion éthique des connaissances. c) Le rôle social du communicateur.
Orateurs : Dra. Julia Tagüeña, Dra. Fátima Fernández Chriestbeld, Dr. Carlos Bosch, Dr. Vladimir de Semir (CCDE-IRD), Dra. Atocha Aliseda, Javier Cruz.
• Mercredi 25 octobre 2006
INTERCULTURALITÉ DANS LE VILLAGE GLOBAL
a) Problèmes éthiques dans les descriptions et évaluations dans le domaine de la recherche scientifique et en sciences sociales.
b) Conflits culturels et éthiques entre chercheurs et individus objets de recherche. c) Objectivité scientifique et valorisation éthique. d) Problèmes de l’autonomie et du consentement informé pour la recherche dans des
communautés socialement vulnérables, marginales ou subordonnées. Présentateurs proposés : Dra. Ana Ma. Cetto, Dr. Ambrosio Velazco, Dr. Manuel Peimbert, Dr. Fernando Salmerón, Dr. Andrew Roth, Dr. François Simondon (CCDE-IRD).
Coordinateur : Dr. Rafael Loyola Díaz (CCDE-IRD).
LA COOPÉRATION NORD/SUD
a) La brèche scientifique et technologique entre les pays du Nord et les pays du Sud ; formation et fuite des cerveaux.
b) Monopolisation et obstacles au transfert des connaissances et de la technologie. c) Difficultés, obstacles et défis pour le développement de la recherche dans les pays du
Sud. d) Équité entre l’échange et la coopération techno-scientifique. e) Les droits humains dans les populations sous essais. f) Existe-t-il un “double” critère éthique dans la recherche : ce qui est interdit dans les
populations des pays du Nord est-il permis dans les pays du Sud ? Orateurs : Dr. Mario Molina, Dr. Miguel José Yacamán, Dra. Judit Zubieta, Maurice Lourd (CCDE-IRD), Dr. Eduardo Martínez o Dr. Francisco Sagasti (prop. JZ), Dra. Isabelle Tokpanou (CCDE-IRD), Dr. Alejandro Nadal.
Coordinateur : Dr. Abdelghani Chehbouni (IRD)
DÉVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUE ET INNOVATION
a) Relation entre science et utilisateurs (entreprise, fondations, secteurs public et privé et autres groupes sociaux ; utilisation de ressources publiques à des fins privées, ...).
b) Controverses sociales et politiques aux niveaux de la définition des axes de recherche, de l’accès, la disponibilité et l’utilisation publique des apports et de l’information scientifique, ainsi qu’au niveau de la surveillance et du contrôle du risque.
c) La science considérée comme bien public ou commercial. Orateurs : Dr. Rodolfo Quintero, Dr. Sergio Revah, Dr. Jorge Linares, Ing. Jaime Uribe, André Jean Claude, Sandrine Chifflet (CCDE-IRD).
Coordinateur : Dr. Jorge Linares
RECOMMANDATIONS ET CONCLUSIONS : Dr. Rafael Loyola Díaz
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« ÉTHIQUE ET SCIENCE DANS LA GLOBALISATION » 1
Dominique Lecourt 2
Les questions éthiques que soulèvent les très rapides progrès des sciences
et des techniques à l’âge de la mondialisation de la production et des échanges
sont graves et profondes. Elles touchent, en dernière analyse, à l’idée que nous
pouvons nous faire de la condition humaine, de son devenir et même de l’avenir
de l’espèce. Nombreux sont les penseurs saisis de panique qui en tirent
argument pour dénigrer la science, diaboliser l’industrie et instruire le procès de
la raison humaine. Un fatalisme du pire (un pessimisme noir) menace de
succéder au fatalisme du meilleur (l’optimisme d’un progrès garanti) jusque
dans les bastions de la philosophie des Lumières.
M’adressant à des intellectuels mexicains qui ont toujours su opposer le
goût de la spéculation théorique à la version utilitaire du pragmatisme de leurs
grands voisins du Nord, je ne vais pas hésiter à saisir ces questions par leurs
racines philosophiques.
* * *
Parmi les êtres vivants, l’être humain présente cette singularité qu’il ne
s’estime jamais satisfait des connaissances qu’il produit afin de maîtriser le
milieu avec lequel, comme tout être vivant, il se trouve aux prises. Il ne se
contente pas de s’adapter à un milieu donné. Par ruse, tâtonnements, échecs et
succès, il en analyse les éléments et par synthèse inédite il en crée un nouveau
qu’il tourne à son avantage. Tel est le premier ressort de l’aventure humaine.
Académie Mexicaine des Sciences1 Conférence d’ouverture du Colloque « Etica ciencia y globalization » organisé par l’IRD, l’UNAM et
à la Faculté des Sciences Humaines de Mexico, le 24 octobre 2006. 2 Professeur de philosophie à l’Université de Paris 7 où il dirige le Centre Georges Canguilhem et Président du Comité d’Ethique de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
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Mais il ne s’en tient non plus jamais aux connaissances ainsi acquises. Il
n’a de cesse de déterminer la part de l’inconnu qui lui paraît connaissable en
fonction du déjà connu. Il érige la norme d’une connaissance parfaite – la vérité.
Et par rapport à cet idéal qui n’est par définition jamais réalisé, il entreprend de
rectifier inlassablement ce qu’il juge avoir été ses erreurs. Ce mouvement de
rectification, c’est l’âme de la science. Mais ce mouvement ne se comprend pas
sans la valeur de vérité qui est posée comme absolue, et donc universelle.
L’être humain présente donc cette singularité d’être porteur d’une valeur
universelle qui inspire son appréciation des connaissances qu’il acquiert sur le
monde et sur lui-même.
Mais cet être présente une autre singularité qui consiste à ne jamais
pouvoir agir individuellement sans affirmer dans sa pensée la valeur des autres
qu’il reconnaît comme ses « semblables ». Que cette valeur soit positive ou
négative, attractive ou répulsive.
De là, cet « acte moral » dont tout être humain se révèle capable, et sur
lequel ont médité bien des penseurs depuis Kant. Chacun éprouve un sentiment
puissant de satisfaction à surmonter les limites de son égoïsme, à dominer, à
dompter ses penchants naturels, pour mieux affirmer l’universalité de la liberté
humaine, laquelle est la condition même d’un tel acte. C’est ainsi que l’être
humain a érigé l’idéal du Bien en norme suprême, jamais complètement réalisée,
des comportements humains. Et les règles (juridico-politiques) de la vie en
société ne visent qu’à protéger et déployer la version admise de ce Bien.
Non seulement, donc, l’être humain se révèle porteur de la valeur
d’universalité par l’aspect cognitif de sa pensée mais il en va de même par son
aspect éthique.
* * *
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Il arrive aujourd’hui que ces deux aspects paraissent entrer en conflit. Ce
qui provoque un désarroi général, d’une portée inédite. Voici en effet que
l’étendue et la puissance des connaissances acquises sur le chemin de la vérité,
notamment par les sciences du vivant, rendent possibles des actes qui semblent
mettre en question le partage du Bien et du Mal, tel qu’il fonde sur la liberté le
partage universel entre comportements acceptables et inacceptables.
Les questions dites « éthiques » dont nous avons à traiter sont de ce type.
Au-delà de celles qui relèvent de la déontologie, c’est-à-dire du respect des
règles du métier, il y a celles, plus grave encore, qui touchent à la dimension
morale de la vie humaine, c’est-à-dire à son idéal du Bien et à sa liberté
d’affirmer des valeurs universelles – et, donc, par ricochet celle de vérité !
* * *
Il est temps de prendre quelques exemples. Le premier que je vous
propose est celui du clonage humain. On sait que la discussion éthique se
concentre aujourd’hui sur la distinction à faire (ou non) entre le clonage
thérapeutique et le clonage reproductif. Une même technique – celle du transfert
de noyau dans un ovocyte énucléé – pouvant être mise au service de deux
finalités bien différentes. Ne doit-on pas admettre qu’on puisse produire par
cette voie des cellules embryonnaires afin de soigner des affections
dégénératives du système nerveux, comme le réclament bien des associations de
patients ? Tout en refusant catégoriquement d’utiliser la même technique pour
ensuite implanter les cellules dans un utérus et mener à bien une grossesse ? Est-
ce que le fait lui-même de cultiver des cellules embryonnaires artificiellement
produites ne serait pas condamnable ? L’autoriser, n’est-ce pas engager
chercheurs et médecins sur une « pente fatale » qui les mènerait de la
thérapeutique à la reproduction ? Et, de surcroît, ne s’expose-t-on pas ainsi à
devoir détruire les cellules embryonnaires produites pour la recherche
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thérapeutique ? Offense faite à la valeur de la vie… Le débat reste très vif dans
les instances internationales.
Quant au clonage reproductif, passée l’immense émotion qu’a provoquée,
il y a dix ans, la venue au monde de la brebis Dolly, et celle encore plus intense
qui a accompagné les annonces non contrôlées de la naissance de bébés clonés
par une secte d’illuminés qui se prennent pour des extra-terrestres mais qui ont
un sens très terrestre de la communication et du business, la discussion a pris un
tour résolument philosophique. Habermas a posé la bonne question : n’est-ce pas
« l’avenir de la nature humaine » qui est en jeu par la modification du processus
de filiation, et l’abolition du hasard dans la procréation ?
Je pose cette autre question : peut-on ainsi réduire, implicitement au
moins, la dite « nature humaine » à sa part biologique ? L’humanité de l’homme
ne consiste-t-elle pas justement à pouvoir et savoir surmonter ce qui est, en lui et
hors de lui, le déterminisme naturel ? Nous sommes revenus aux questions
éthiques fondamentales que j’esquissais à l’instant pour commencer. Et comme
il y va du sens de la vie humaine, on comprend mieux la passion universelle qui
entoure ces débats parfois très techniques.
Second exemple : les discussions, si vives dans notre pays, comme je
crois le vôtre, qui entourent les OGM (organismes génétiquement modifiés) ou,
à tout le moins, les PGM (plantes génétiquement modifiées). Faut-il continuer,
par essais et erreurs, la recherche sur ces modifications ? Peut-on admettre qu’on
les cultive en plein champ et qu’on en commercialise les semences ? Vous
connaissez les termes du débat. Voici une technique nouvelle – issue de la
biologie moléculaire – qui représente potentiellement un extraordinaire progrès
dans la lutte de l’homme pour la maîtrise de son milieu. Les partisans des OGM
mettent en avant la possibilité ouverte de réduire la malnutrition dont souffrent
les populations les plus pauvres dans le monde actuel. Voici donc une
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innovation technique fondée sur la science qui semble s’accorder sans difficulté
avec les valeurs de liberté et d’universalité.
Mais les opposants soulèvent des objections qu’on ne peut écarter d’un
revers de main, même si elles sont inégalement fondées. La première concerne
un risque potentiel pour la santé humaine. Ce risque n’est pas avéré. On peut
même dire qu’à ce jour, alors que les OGM sont cultivés depuis au moins deux
décennies sur des millions d’hectares de par le monde et que des aliments
contenant des OGM ont été consommées par des dizaines de millions de
personnes, aucun événement n’est venu avérer la potentialité de ce risque.
En revanche, les risques de dissémination des semences et
d’appauvrissement de la diversité biologique sont pris au sérieux et activement
étudiés par les spécialistes de l’écologie – de la science du développement des
organismes en milieu ouvert. Faudrait-il arrêter la recherche ? Ce serait renoncer
aux éventuels bénéfices matériels et humains qu’on peut attendre de son succès.
Il y a plutôt lieu de mettre au point des moyens de contrôle rigoureux de
l’expérimentation. Mais surtout des questions se posent sur l’appropriation,
d’aucuns disent le pillage, des semences de paysans pauvres par de grandes
compagnies céréalières, lesquelles contribueraient ainsi à leur ruine. Il s’agit
d’un problème économique et politique aigu, mais dont la dimension éthique
apparaît essentielle : peut-on admettre que les plus brillantes réalisations de
l’ingéniosité humaine soient ainsi confisquées par quelques-unes au détriment
du plus grand nombre ?
Avec ce dernier exemple nous abordons le type de questions qui sont le
lot quotidien d’un organisme comme l’IRD, organisme public qui se voue à la
recherche pour le développement. C’est pour aider les chercheurs à maîtriser ce
genre de questions que nous avons rédigé un « guide des bonnes pratiques » sur
la base de leurs propres interrogations à l’épreuve du terrain.
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Revenons donc à ce texte pour finir. Dès les premières lignes, il énonce un
très vigoureux refus de l’égoïsme : il ne saurait y avoir de recherche dans les
pays en voie de développement pour le seul bénéfice des pays qui dominent la
mondialisation. Ce principe doit dicter le choix des sujets de recherche, les
modes du partenariat, le soin de la formation des uns et des autres, avec le souci
impérieux de permettre à tous de participer activement à l’effort de recherche et
au partage de ses fruits.
Cet effort collectif, seule peut le susciter et l’entretenir concrètement, au
niveau des Etats et des instances internationales, une politique habitée par une
conception de l’homme qui s’attache à déchiffrer en lui et à mettre en valeur la
présence de l’universel dans le particulier.
Cet effort ne saurait être cependant couronné de succès que si se cultive
et se développe dans nos sociétés ce que j’appelle « l’esprit éthique ». Si chacun
– par exemple ici chaque chercheur – entretient en lui-même et chez ses
semblables le sentiment de l’universel qu’a toujours déjà suscité chez lui la
pratique de la science aussi bien que le moindre acte moral.
Cela demande du courage, car c’est aller à rebours de toutes les figures de
l’égoïsme qui prospèrent aujourd’hui sous les formes de divers
communautarismes (religieux ou laïcs) qui s’emparent toujours des esprits et des
corps dans les temps d’incertitude.
Dominique Lecourt © 2006
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LABORATOIRE DE CHIMIE DES MOLECULES BIOACTIVES ET AROMES
UMR 6001 CNRS NSA – Avenue de Valrose 108 NICE CEDEX 2 - FRANCE
Roger GUEDJ, professeur Membre du comité consultatif de déontologie et d’éthique de l’IRD. Membre du comité scientifique et médical de Sidaction Chargé de cours à l’Institut Pasteur de Paris Tél : (33)( 0)4 93 01 84 71; Fax : (33)( 0)4 93 01 84 71; e-mail: [email protected]
Investigation scientifique sur l’être humain :
Quels problèmes éthiques ?
I°) Introduction. Nous nous attacherons, par souci de pragmatisme, à limiter notre propos à l’expérimentation sur l’être humain, d’une ou plusieurs nouvelles molécules thérapeutiques issues de la recherche en laboratoire. Nous prendrons comme exemple l’infection à VIH (Sida), qui malgré sa singularité est exemplaire dans la mesure où les problèmes éthiques qu’elle soulève sont certes exacerbés mais très illustratifs des impératifs éthiques liés aux essais thérapeutiques. Il ne nous paraît pas inutile pour situer le contexte scientifique, de décrire dans un premier temps, aussi brièvement que possible, les méthodes utilisées au laboratoire pour concevoir de nouvelles molécules et qui précèdent l’essai thérapeutique. Il s’agit d’une recherche in vitro aux méthodologies très rigoureuses, mais aussi sur l’animal pour lequel un consensus n’est pas clairement établi. Dans un second temps, nous aborderons les problèmes éthiques à la lumière d’exemples puisés dans l’histoire récente du VIH au cours de ces 25 années. II°) Méthodes de recherche au laboratoire de molécules actives. Toute recherche sur les antiviraux consiste, sur la base des interactions cellule-virus, à concevoir des molécules pour tenter d’inhiber, une ou plusieurs étapes du cycle de réplication (multiplication), ici du VIH, à savoir : la pénétration du virus dans la cellule, les différentes étapes de la lecture de son message génétique, la fabrication d’un nouveau virion, et l’expulsion de ce dernier vers d’autres cellules qui seront alors infectées. Très approximativement, on peut citer trois techniques couramment utilisées pour découvrir de nouveaux principes actifs : 1°) Le criblage à l’aveugle : On dispose de tests biologiques, cellulaires, enzymatiques…souvent automatisés qui ciblent tel ou tel fragment du virus ou des partenaires cellulaires qu’utilise l’élément pathogène. Des centaines, voire des milliers de molécules sont
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ainsi testées « à l’aveugle »; à l’heure actuelle, ce type de recherche reste le plus performant, malgré son aspect aléatoire. C’est dans ce contexte, que se situe la recherche de nouveaux principes actifs extraits des substances naturelles en milieu terrestre et marin en s’appuyant sur le bio-guidage qui n’est rien d’autre qu’un test adapté à la cible étudiée. Les thérapies traditionnelles peuvent aussi servir de support dans la recherche de nouvelles molécules, sous réserve de les coupler à une démarche scientifique rigoureuse. Se pose déjà à ce niveau un questionnement éthique qui sort du cadre de notre exposé et qui concerne les problèmes associés au « piratage » des substances naturelles des pays en voie développement, des retombées régionales de possibles découvertes, de la valorisation des résultats etc… C’est par cette méthode que des molécules majeures dans le traitement de l’infection par le VIH ont été découvertes ; citons l’AZT, la Névirapine, l’Efavirenz, la Delavirdine… 2°) Le criblage orienté : Disposant d’une molécule « leader » (tête de file), on réalise sur cette dernière des modifications chimiques, ce que F. Jacob (prix Nobel de Médecine en 1965) aurait appelé, sans connotation péjorative, du « bricolage moléculaire » et ce de manière à augmenter l’indice de sélectivité, c’est-à-dire à accroître l’activité (capacité à empêcher la multiplication du virus) tout en diminuant la toxicité. Une molécule thérapeutique est toujours le résultat d’un compromis entre l’efficacité attendue et la toxicité. Activité et toxicité sont les éléments clefs qui imposent des règles éthiques dans toute évaluation thérapeutique d’une molécule. Il n’est pas inutile de rappeler que ces molécules doivent respecter plusieurs contraintes sévères (propriétés non mutagènes, économiquement abordables …). En particulier, elles doivent obéir à la règle dite des 3S : sélectivité, solubilité, stabilité. Un exemple parmi tant d’autres, l’absence dans certains pays d’Afrique d’appareils frigorifiques rend difficile l’emploi de molécules peu stables à température ambiante. Des molécules orientées contre le VIH, comme les ddI, d4T, Ténofovir, 3TC… récemment mises au point, grâce à cette technique, confirment l’intérêt d’une telle approche. 3°) Conception par modélisation moléculaire. La modélisation moléculaire est un outil informatique puissant d’investigation ; elle permet à partir d’une cible bien définie, dont la structure tridimensionnelle a été décrite par cristallographie aux RX, de dessiner des inhibiteurs capables d’établir des liaisons avec les zones de la cible. Appliquée à la recherche des médicaments anti-VIH, cette méthode a donné des résultats spectaculaires avec la découverte des inhibiteurs de fusion mais surtout des anti-protéases qui a conduit en 1996 à une véritable révolution des concepts thérapeutiques dans la prise en charge des patients VIH+. III°) Recherche sur l’animal. Les essais sur l’animal vont de la souris jusqu’au macaque, les buts recherchés étant multiples et variés ; par exemple les souris « scids », c’est-à-dire des souris dont le système humanitaire a été modifié et « humanisé » servent à tester vaccins et molécules thérapeutiques orientés contre le VIH. Les modèles animaux surtout pour étudier les infections lentivirales sont imparfaits dans la mesure où ils ne reproduisent pas la maladie humaine. Les modèles simien et félin sont très utilisés surtout dans le domaine de recherche vaccinale. D’une manière générale, l’expérimentation animale qui s’attache surtout à évaluer la toxicité des molécules est loin d’être consensuelle, dans la mesure où elle n’est pas très représentative de la toxicité chez l’humain. Selon de nombreux experts, aucune espèce n’est un modèle biologique fiable pour une autre espèce, en raison des différences génétiques existant d’une
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espèce à l’autre. De plus l’expérimentation animale coûte cher et dure longtemps ; on estime que pour tester la toxicité de 30000 substances, il faudra 40 ans, près de 3 milliards de dollars et 13 millions d’animaux. Se posent ainsi des problèmes à la fois éthiques et scientifiques dont une réponse partielle peut-être apportée par les puces à ADN qui permettraient d’évaluer la toxicité d’un produit en étudiant son interaction avec les gènes des cellules. Pour conclure, sur tout ce travail en amont des essais cliniques, il est important de signaler l’aspect pluridisciplinaire que cette méthodologie implique. Chimistes de synthèse, chimistes théoriciens, virologues, pharmacologues, immunologues, cristallographes, biologistes, tous concourent et pas toujours avec succès à la mise au point de molécules qui devront ensuite passer au crible de l’expérimentation humaine. Cette démarche scientifique rigoureuse et nécessaire est une garantie contre les abus d’essais cliniques quelquefois répétitifs et inutiles ; elle est une condition indispensable et un préalable à toute investigation humaine et c’est bien évidemment l’une des toutes premières règles éthiques qui s’impose : une molécule qui ne satisfait pas aux impératifs d’une expérimentation in vitro (cellulaire, enzymatique…) et sur l’animal ne doit en aucune façon être testée sur l’homme. Est-ce toujours le cas ? IV°) La recherche clinique et essais thérapeutiques. Les essais cliniques jouent un rôle fondamental dans la recherche médicale puisqu’ils contribuent à la mise au point de nouveaux traitements ou de nouvelles méthodes de diagnostic. Dans une politique de santé clairement affichée, ils sont donc indispensables sous réserve d’une cohérence scientifique et d’une méthodologie qui prend en compte les problèmes éthiques. L’éthique de l’intervention en recherche médicale concerne aussi bien les essais cliniques que la recherche en épidémiologie et en physiopathologie. Nous rappellerons que la personne physique ou morale qui prend l’initiative d’une recherche biomédicale sur l’être humain est dénommée le promoteur tandis que la ou les personnes physiques qui dirigent et surveillent la réalisation de la recherche sont dénommées les investigateurs Soulignons tout d’abord, qu’un essai clinique s’appuie sur une méthode statistique qui comme son nom l’indique donne une réponse globale et non individualisée à une question précise portant sur l’évaluation d’une ou plusieurs molécules. Elle est donc à la fois nécessaire pour satisfaire à des critères d’objectivité, mais insuffisante puisqu’elle ne prend pas en compte les réponses individualisées. La tendance actuelle est de doubler cette approche statistique d’une recherche « personnalisée » désignée par STP (suivi thérapeutique pharmacologique) qui prend en compte les différences métaboliques liées aux différences génétiques entre les patients. Un essai clinique se déroule en quatre phases : 1°) La phase 1 : c’est une phase dite de « tolérance » qui est réalisée sur un nombre réduit de patients ou de volontaires sains et dont le but consiste à obtenir essentiellement des informations sur la toxicité. 2°) La phase 2 : l’étude cherche à obtenir de premières indications sur l’efficacité de ou des molécules, sur leur métabolisme et sur les doses à administrer. Les phases 1 et 2 sont souvent regroupées. 3°) La phase 3 : communément appelée « essai thérapeutique contrôlé ». C’est l’étape cruciale de l’évaluation du nouveau traitement. Elle implique à la fois la randomisation (tirage au sort du groupe placebo et non placebo) et des études en double aveugle (le traitement n’est connu en principe ni du médecin ni du malade). Dans le cas d’un essai comparatif, placebo et non placebo sont remplacés par molécule de référence et molécule nouvelle (exemple : ddI versus AZT, lorsqu’on veut comparer les performances
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thérapeutiques supposées non connues du ddI par rapport à celles de l’AZT connues). L’essai qui peut comporter plusieurs bras, concerne souvent un grand nombre de patients et dans la plupart des cas est multicentrique avec plusieurs centres hospitaliers d’un même pays ou de pays différents. 4°) La phase 4 : C’est la mise sur le marché du nouveau traitement qui a reçu de la part des agences du médicament les autorisations nécessaires à son exploitation (ATU –autorisation provisoire-, AMM-autorisation de mise sur le marché-). Dix ans peuvent s’écouler entre le début des travaux sur une molécule et son exploitation. Pour l’AZT, première molécule anti-VIH, les délais ont été considérablement réduits (18 mois) en raison de la gravité de l’épidémie qui nécessitait des réponses thérapeutiques urgentes. V°) Problèmes éthiques et méthodologie d’investigation humaine. La méthode scientifique, décrite succinctement ci-dessus, soulève des problèmes éthiques considérables car il n’y a malheureusement pas toujours convergence entre rigueur scientifique et éthique. Toute la difficulté et qui est de taille, consiste à trouver un juste équilibre entre la nécessité d’une rigueur scientifique exemplaire lors d’un essai clinique (ce qui est déjà en soi le respect de règles éthiques) et les problèmes éthiques liés à la recherche en expérimentation humaine. En effet, d’un point de vue strictement scientifique et si nous oublions quelques instants la bioéthique, l’efficacité ou la non efficacité d’une molécule testée ne peut clairement être appréciée que si elle est comparée à un placebo lequel est rarement compatible avec l’éthique.. Prenons un exemple parmi tant d’autres : l’essai concorde qui aura fait couler beaucoup d’encre. Fixons le contexte ; nous sommes à la fin des années 80, en pleine extension de l’épidémie du Sida ; en dehors de l’AZT, aucune molécule thérapeutique n’est disponible, pire l’intérêt des antirétroviraux est fortement discuté, voire contesté. Les autorités médicales Française (ANRS, agence nationale sur le Sida) et Britannique (MRC, medical research council ), lancent un essai de grande ampleur, dénommé Concorde, sur 5OOO patients (groupe placebo compris) et sur une durée de 3 ans. Cet essai qui s’appuyait sur une méthodologie statistique (comme d’ailleurs tous les essais cliniques dignes de ce nom), avait donc la puissance du nombre, de la durée et était exemplaire sur le plan scientifique. Il fut ouvert, présenté au congrès International sur le Sida à Berlin en 1993 et a laissé dans le monde un goût d’amertume car on avait alors pris conscience de l’effet limité à long terme de la monothérapie par l’AZT. La rigueur scientifique de l’essai ne laissait aucune ambiguïté quant aux résultats, même si ces derniers étaient globalement négatifs. Qu’en était-il de l’éthique ? dans la mesure où les résultats étaient négatifs, à posteriori nous pouvions dire que le statut des patients (placebo ou non placebo) n’avait aucune incidence sur l’évolution de la maladie ; par contre si ces résultats avaient été positifs, il est clair que les groupe placebo aurait été un groupe sacrifié. Il y avait dans ce cas une dichotomie totale entre les impératifs scientifiques et ceux qui sont associés à la bioéthique. De fait le placebo, sur lequel nous reviendrons, est au centre des préoccupations éthiques. De très nombreux textes officiels considérés comme des textes de référence traitent de ces sujets ; pour mémoire nous en citerons huit, énoncés ci-dessous, sans être le moins du monde exhaustif, car la liste est singulièrement longue. 1°) Code de Nuremberg (1947,1949) 2°) Déclaration d’Helsinki (1964 et amendée par les - 29e Assemblée générale à Tokyo, octobre 1975 ; - 35e Assemblée générale, Venise, Octobre 1983 ; - 41e Assemblée générale,
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Hong Kong, Septembre 1989 ; - 48e Assemblée générale, Somerset West (Afrique du Sud), Octobre 1996 ; -52e Assemblée générale, Edimbourg, Octobre 2000. 3°) Code de la santé publique- Loi Huriet-Sérusclat (Décembre, 1988). 4°) Guide de bonnes pratiques cliniques-ICH (1996) 5°) Directive européenne 2001/20/CE (rapprochement des dispositions législatives, réglémentaires et administratifs des Etats membres relatives à l’application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d’essais cliniques de médicaments à usage humain). 6°- ONU SIDA ; OMS « Orientations sur l’éthique et l’accès équitable au traitement et aux soins liés au VIH ». 7°- « Avis du groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la commission européenne, aspects éthiques de la recherche clinique dans les pays en développement. » Février, 2003. 8°) ANRS, Charte d’éthique de la recherche dans les pays en voie de développement, Mai 2003. Quant aux contributions sur la réflexion éthique, elles sont particulièrement nombreuses, de qualité quelquefois discutable; la recherche en bioéthique est difficile car elle implique non seulement une collaboration interdisciplinaire et multiculturelle mais aussi des compétences, une expérience et un vécu dans un large domaine de la recherche médicale. Nous en citerons trois, sans être là non plus préoccupé par une recherche bibliographique aussi complète que possible ; elles nous semblent cerner au plus près les problèmes qui nous préoccupent: 1°- A.Fagot-Largeault, « Ethique de l’investigation scientifique sur l’être humain », Université de tous les savoirs, in Qu’est-ce que la vie ? éditions Odile Jacob juin 2000. 2°- E. Hirsh, « VIH-Sida : éthique du soin, de la recherche et accès aux traitements » médecine/sciences, n° 6-7, vol. 19, juin, juillet 2003. 3°- D. Lecourt, -« Dictionnaire de la pensée médicale (1296 pages), PUF janvier 2004.
-« d’Hippocrate au scanner », février 2004 De ces textes officiels et non officiels émanent quelques principes et idées directrices, dont malheureusement et c’est le moins qu’on puisse dire, la concordance entre ces derniers et la réalité de leurs applications au niveau des essais thérapeutiques n’est pas toujours parfaite. Le fondement éthique qui régit tout essai thérapeutique peut être emprunté à un rapport du Comité consultatif national d’éthique français : « Chercher à connaître scientifiquement l’être humain est un bien, mais cela ne peut se faire au prix de la justice, de la sécurité ou de l’autonomie des personnes. » (Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé, Ethique et connaissance, Paris, La documentation française, 1990, p. 74. http://www.ccne-ethique.org.). La bioéthique n’est rien d’autre en fait que la promotion du respect de la personne humaine. Déjà Pierre-Charles Bongrand dès 1905 avait, dans sa thèse intitulée : De l’expérimentation sur l’homme. Sa valeur scientifique et sa légitimité, tracé les grandes lignes d’une éthique dans l’expérimentation humaine, après que Claude Bernard (1813-1878) et Pasteur (1822-1895) eurent imposé l’idée d’une médecine scientifique et expérimentale. Il déplore les expériences faites sur les femmes et enfants, des pauvres et mourants, mais admet –reflétant l’opinion de l’époque- l’expérimentation sur les arriérés mentaux, les condamnés à mort en échange d’une commutation de peine, sur les bagnards, au motif qu’il vaut mieux que ces vies perdues, puissent servir !!! Mais et ce sont les prémisses de la formation des comités d’éthique, l’expérimentation humaine nécessaire doit être sous le contrôle d’une commission scientifique et non de l’expérimentateur isolé. Il souhaite, bien que cette idée soit à l’époque
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vivement combattue, l’établissement d’un contrat entre le sujet et l’expérimentateur, esquisse du consentement éclairé. Entre le début du XXe siècle et la fin de la seconde guerre mondiale, l’éthique n’est pas une préoccupation et le pire est atteint avec les pseudos médecins nazis et leurs expérimentations sur une partie de la population surtout juive des camps de concentrations. Un effort de réflexion éthique considérable s’est fait jour depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En France, en particulier, la loi de 1988 autorise l’investigation biomédicale, mais conditionne les essais à deux exigences : 1°- Le consentement des sujets de recherche ou consentement éclairé. Le texte doit être écrit et l’investigateur doit mentionner : - l’objectif de la recherche, sa méthodologie et sa durée.
- les bénéfices attendus, les contraintes et les risques prévisibles y compris en cas d’arrêt de la recherche avant son terme. - l’avis du comité d’éthique.
Aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consentement du patient. Qu’en est-il si la personne est dans l’impossibilité de prendre des décisions en faisant abstraction de la vie familiale, communautaire ou sociale ? 2°- L’avis du comité d’éthique : tout investigateur doit soumettre son projet en France à un comité désigné par l’acronyme CCPPRB (comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale) et remplacé depuis la loi de juin 2006, par CPP (comité de protection des personnes). Le comité d’éthique élabore son avis selon trois grands principes :
- le principe du respect de la personne considérée comme une fin et non comme un moyen. - le principe de bienfaisance (d’abord ne pas nuire) -le principe de justice exprimé ainsi par l’OMS : nul ne devrait expérimenter chez les autres ce qu’il ne veut pas expérimenter chez soi.
Ainsi, sont pris en compte non seulement la dimension éthique (et c’est relativement récent) dans la recherche biomédicale mais aussi le pouvoir d’intervention de la médecine et des sciences sur l’homme ainsi que le « non-savoir » à priori quant aux effets produits ; il faut ajouter les principes de la responsabilité éthique de la recherche clinique : la recherche bénéficie aux participants et les résultats attendus sont utilisables par la communauté qui a participé à la recherche. VI°) Ethique et Pratique. Problème : comment définir de bonnes pratiques qui limitent autant que faire se peut les « dérapages » observés entre les principes énoncés ci-dessus et leurs applications sur le « terrain ». Quelques exemples récents « d’abus de pouvoir médical et d’échecs prévisibles » dans la prise en charge des patients VIH+ : 1°) Utilisation de l’imuthiol : À la fin des années 80, bien que ce composé ne présente aucune activité antivirale in vitro, il est expérimenté sur des patients VIH+, à grande échelle en France, et à grand renfort de
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publicité, dans de nombreux hôpitaux aussi bien parisiens (de grande réputation) que provinciaux. On utilise donc pour neutraliser une infection virale une substance dépourvue de la moindre propriété antivirale sous prétexte qu’elle possède des propriétés dites « immunomodulatrices » (sic), dont on attend, toujours en vain, une définition scientifique de ce terme qui en réalité semble recouvrir tout et rien à la fois. Il ne fut constaté aucun gain thérapeutique. 2°) Utilisation de l’anti-sens GEM 91. Le GEM 91 est un produit dénommé anti-sens conçu dans le cadre d’une recherche en thérapie génique. C’est une longue séquence de nucléotides modifiés (c’est donc une très grosse molécule, 24 Mer, d’utilisation très délicate) censée bloquer un fragment du gène Gag du VIH ce qui devait avoir pour conséquence la neutralisation de la réplication de ce dernier. Qu’en était-il de la réalité ? d’abord, in vitro les propriétés antivirales du GEM 91 étaient assez aléatoires et peu reproductibles (! !), ensuite et surtout le problème de sa vectorisation, c’est-à-dire de la possibilité de le rendre biodisponible pour qu’il puisse se fixer sur sa cible n’était (et n’est toujours) pas réglé. Il fut, malgré ces données in vitro peu encourageantes, expérimenté sur des patients VIH+, dans des conditions très difficiles d’utilisation de cathéters. Les résultats de l’essai clinique, présentés au congrès de l’ICAAC à San Francisco en 1995, furent bien évidemment négatifs. 3°) Utilisation de l’association AZT + d4T. L’AZT et le d4T sont deux molécules qui prises séparément possèdent de réelles propriétés antirétrovirales et sont largement utilisées dans le traitement de l’infection à VIH (le d4T est actuellement discuté car il induit des effets secondaires importants comme la lipodystrophie). Il fut alors envisagé de les utiliser en association dans la mesure où le concept des combinaisons était, en 1996, bien validé (cf. trithérapies). Mais, malheureusement, in vitro ces deux molécules apparaissaient comme antagonistes et ne pouvaient de ce fait être associées. La combinaison fut néanmoins essayée sur des patients VIH+ au motif que les expériences réalisées in vitro ne traduisent pas la réalité du in vivo. Ceci est incontestable, mais cette proposition doit se lire dans un sens très précis. Des résultats positifs in vitro ne conduisent pas nécessairement à un bénéfice thérapeutique in vivo, mais lorsque les expériences in vitro ne sont pas positives, il y a peu de chances qu’elles le soient in vivo. Toute recherche clinique, répétons-le, doit être précédée d’une recherche fondamentale, s’en inspirer et s’y conformer. Sans mettre en cause l’intérêt des protocoles cliniques, leur multiplication n’est pas à notre avis un gage de réussite. Les deux mondes, celui de la recherche fondamentale et celui de la recherche clinique souvent antagonistes, devraient cesser d’avoir des trajectoires parallèles pour concourir à une meilleure compréhension du monde vivant si complexe. La recherche fondamentale doit labourer toutes les pistes possibles avant que l’une d’entre elles, potentiellement la plus prometteuse, puisse être effectivement testée en clinique. Les résultats de l’essai clinique furent négatifs et les patients furent, là aussi, objets d’étude et non sujets d’étude. Quelles leçons peut-on tirer de ces exemples qui sont loin d’être anecdotiques ou isolés comme on serait tenté de le croire ? S’il est vrai que les échecs sont, comme dans toute démarche scientifique, inhérents à l’expérimentation humaine, ils ne sont pourtant acceptables et compris, que lorsque sont respectées par les investigateurs et le promoteur les exigences de qualité scientifique, de
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méthodologie et de discernement. Tel ne fut pas le cas dans les exemples pré-cités, la signature du consentement rituel qui protègent ces derniers n’est pas une garantie d’une bonne recherche médicale. Sous prétexte d’urgence, les patients ont tous été ici utilisés comme des cobayes et ont payé un lourd tribut à une démarche scientifique inappropriée. Le capital confiance dans la relation patient-médecin a forcément été entamé et nous verrons comment cette relation a pu évoluer d’une manière exemplaire. 4°) Utilisation de la cyclosporine dans le traitement de l’infection à VIH. C’est typiquement le cas d’abus de pouvoir, de manque de discernement et surtout du non-respect des règles les élémentaires en recherche médicale. De quoi s’agit-il ? Souvenons-nous, nous sommes tout au début de l’épidémie du Sida dans les années 1985-86, en pleine expansion de la pandémie. La bataille fait rage entre français et américains sur la paternité de la découverte du virus dénommé alors LAV/HTLVIII pour satisfaire tout le monde, tandis que le scandale du sang contaminé prend les dimensions d’un drame humain national. Sur le plan scientifique, l’origine virale du déficit immunitaire est fortement contestée y compris par des scientifiques de renommée mondiale dont un prix Nobel découvreur de la PCR (polymerase chain reaction ; technique de pointe qui permet de mesurer par amplification le nombre de copies d’ARN ou d’ADN dans le plasma ou dans la cellule d’un élément pathogène responsable d’une infection ; dans le cas du VIH, il s’agit de charge virale dont la mesure permet de suivre le cours de la maladie ou l’efficacité de tel ou tel traitement). Peu ou pas de molécules antivirales et tous virus confondus, les seules dont on pouvait faire état étaient l’acyclovir et l’idoxuridine. Bien entendu aucune molécule antirétrovirale (anti-Sida) n’existait puisque l’AZT date de 1987. Il fut alors lancé à Paris un essai clinique et les résultats « positifs » ont été présentés non pas devant une instance scientifique critique comme c’est la règle incontournable, mais à grand renfort de publicité, devant un parterre de journalistes, en présence de la Ministre de l’époque censée garantir le sérieux de cette découverte miraculeuse, et de trois malheureux patients participant à l’essai. Les patients avaient été traités par de la Cyclosporine A (CsA), molécule immunosuppressive bien connue, utilisée dans les greffes d’organes pour éviter le rejet, et ce pour neutraliser une maladie…immunosuppressive ! Triste épisode, triste pratique médicale, l’histoire du sida en est jonchée. Les résultats négatifs étaient à la hauteur du « non-concept », mais plus grave encore fut le fait que toutes les instances scientifiques compétentes, chargées de passer au crible les données de l’essai, furent court-circuitées avec la complicité des autorités politiques au plus haut niveau et représentées par la ministre de la santé. Nous sommes dans une confusion totale où l’éthique a été bafouée dans le pays des droits de l’homme, et ce à tous les niveaux : -absence de recherche en amont de l’essai clinique. -refus de l’expertise scientifique. -complicité avec les pouvoirs politique et médiatique. A contrario, cet exemple peut servir à définir des règles éthiques simples liées à une recherche fondamentale rigoureuse, une acceptation de l’expertise indépendante et une communication médiatique sobre, suffisamment informative et non démagogique. 4°) Expérimentation dans les PED : cas du Tenofovir. Le Tenofovir est une molécule récemment découverte dans le traitement de l’infection à VIH qui appartient à la famille des didéoxynucléosides au même titre que l’AZT, le DDI, le 3TC, le d4T, l’abacavir… Il renforce ainsi l’arsenal thérapeutique dans cette « course aux armements » engagée contre ce virus qui impose aux chercheurs une recherche permanente de
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nouvelles molécules du fait des phénomènes de résistance liés à la grande variabilité du VIH. Nul ne conteste l’intérêt de ce médicament qui a reçu toutes les autorisations d’utilisation dans le cas d’un traitement combiné. En revanche, il n’a nullement était conçu comme un vaccin thérapeutique et encore moins préventif. Il fut récemment expérimenté en Afrique, en particulier au Cameroun à Yaoundé dans des conditions particulièrement contestables. Il s’agissait de juger de l’efficacité de ce composé dans une stratégie de prévention précédant des relations sexuelles. Il fut donc testé sur deux groupes de prostituées, dont on connaît la vulnérabilité, l’un placebo et l’autre non placebo. Le consentement éclairé était écrit en anglais et s’adressait à une population francophone qui bien sûr n’avait aucune idée de ce qui pouvait l’engager. Quant au comité d’éthique représenté par …une honorable personne, il était inexistant ou presque, sans pouvoir réel sauf celui de donner un avis…positif sur le déroulement de l’essai. Nous sommes donc dans une situation où en apparence les deux exigences imposées par l’éthique et citées plus haut sont respectées : - avis du comité d’éthique positif et consentement éclairé dûment signé. Et pourtant tout est contraire à l’éthique. 1°) Pourquoi avoir choisi l’Afrique quant on connaît le prix du médicament et les difficultés d’accès aux soins. A l’évidence cet essai était destiné aux pays occidentaux. Pourquoi donc ne pas l’avoir mené dans ces pays ? 2°) Comment imaginer qu’un tel produit pouvait être évalué dans une perspective vaccinale alors qu’il a été conçu pour être utilisé lors d’un traitement. 3°) Que penser du groupe placebo dans une cohorte vulnérable et à haut risque d’être infectée dans la mesure où elle pouvait se considérer comme protégée. 4°) les commentaires sont-ils nécessaires sur le consentement éclairé (en anglais) et le comité d’éthique représenté par une seule et unique personne ?. La conclusion qui s’impose est que l’Afrique a été considérée ici comme une terre d’expérimentation clinique sans garantie de retombées thérapeutiques bénéfiques pour le ou les pays de ce continent qui se sont prêtés à l’essai. 5°) Le placebo dans le VIH. La situation actuelle est très différente de celle que nous avions connue entre 1980 et 1996. 1980 marque le début de l’infection, 1996 est une année charnière, l’origine virale du déficit immunitaire est bien établie et nous vivons une véritable révolution dans les schémas thérapeutiques avec l’apparition de nouvelles drogues que sont les anti-protéases et la mise en place des multithérapies, la plus célèbre étant la trithérapie qui combine trois molécules appartenant à des classes pharmacologiques identiques ou différentes. Nous disposons actuellement de 22 molécules et pourtant le traitement n’éradique pas la maladie ; pire, tout arrêt de traitement se traduit par un rebond de la charge virale c’est-à-dire en fait par une aggravation de la maladie et les échappements aux traitements ne sont pas rares. C’est donc une maladie infectieuse chronique qui nécessite la mise au point constante de nouvelles molécules pour contrarier les phénomènes de résistance dus à la variabilité du virus. C’est à ce niveau que se pose le problème du placebo qui a semble-t-il trouvé une solution satisfaisante puisqu’elle allie rigueur scientifique et bioéthique. La monothérapie antirétrovirale est globalement interdite sauf dans les essais très préliminaires de développement de nouvelles molécules et dans certains essais cliniques
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contrôlés. Les essais de monothérapie brefs avec groupe placebo sont de très courte durée entre 7 et 28 jours, souvent suffisants pour avoir une bonne indication sur l’efficacité du produit à tester. Le placebo est quelquefois remplacé par un traitement de référence. On voit donc que le placebo, utilisé dans des conditions très précises, est acceptable bien que l’on ne mesure pas encore l’impact de ces essais de monothérapie brève (7-28 jours) sur l’apparition de mutations de résistance. D’autres démarches sont utilisées qui permettent de réduire au plus strict nécessaire la période de monothérapie et par conséquent d’empêcher l’apparition éventuelle de mutations de résistance. A l’évidence, la maîtrise de nouvelles techniques et de molécules encore plus performantes peuvent atténuer l’acuité des problèmes éthiques. VII°) Ethique et communication scientifique. Nous laisserons volontairement de côté tout ce qui a trait aux brevets et à la protection des inventions liées au monde médical. Ils correspondent par définition à une non-communication et soulèvent nombreuses interrogations sur le plan de la bioéthique au même titre que l’emploi des génériques, de leur fabrication en Inde, au Brésil, en Israël… qui méritent débat et développement particuliers. Nous nous intéresserons, là aussi, sur quelques exemples liés au VIH aux problèmes éthiques qui peuvent apparaître dans les échanges scientifiques entre scientifiques ou dans l’exploitation par les médias de résultats dits « sensationnels ». 1°) Présentation dans un congrès international d’une « nouvelle » molécule X : échanges entre scientifiques Nous sommes au « XVI International AIDS Conference » à Toronto en Août 2006, un congrès qui rassemble plus de 20000 participants venus du monde entier et devant débattre des problèmes tant scientifiques que sociologiques posés par le Sida. On peut mesurer l’ampleur de la pandémie à travers deux chiffres édifiants : alors que 450.000 nouvelles personnes dans les pays en voie de développement débutaient chaque année une trithérapie entre 2003 et 2005, ce qui correspondait partiellement aux souhaits de l’OMS, on notait plus de 4.000.000, soit presque 10 fois plus, de nouvelles contaminations par an pendant cette même période, L’image, souvent reprise, d’une baignoire qu’on tenterait de vider en vain puisqu’elle se remplit dix fois plus vite qu’elle ne se vide, traduit bien la faillite actuelle de la prévention et d’une manière générale, l’étendue des dégâts. Dans ce contexte, chaque nouvelle avancée scientifique, la plus faible soit-elle est accueillie avec beaucoup d’intérêt. Parmi les nombreuses communications orales et par voie d’affiche, furent présentées, par un groupe de chercheurs, sept molécules dites prometteuses. L’une d’entre elles A, considérée comme une structure « leader » par les auteurs, présentait apparemment une réelle activité anti-virale et anti-CCR5 (CCR5 est un co-facteur cellulaire exprimé par des cellules que le virus utilise pour pénétrer dans la cellule et infecter cette dernière ; l’inhibition de CCR5 est une voie de recherche intéressante en chimiothérapie antivirale). Malheureusement, aucune indication n’était donnée quant à la formule chimique du composé A, et l’auteur interrogé sur cette question, fort gêné, refusa d’y répondre. Une double question dès lors se pose : Quel est donc l’intérêt pour la communauté scientifique de ce type de présentation ? Comment les comités de lecture peuvent-ils accepter dans un congrès international d’une telle audience, des présentations de nouvelles molécules masquées par le sceau de la confidentialité et bien sûr non clairement authentifiées. Une communication doit rester une communication, c’est-à-dire une contribution scientifique
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librement exprimée et appuyée sur des résultats aussi bien positifs que négatifs, mais rigoureusement contrôlés. Toute autre pratique est contraire à l’éthique scientifique. 2°) Présentation par les médias d’une nouvelle découverte. 1er exemple : Le Monde Nous sommes en 1998, deux équipes de chercheurs Américains, celle de J.Sodrosvky (Dana-Farber Institute de Boston) et celle de W. Hendrickson (Columbia University, New York) montrent que le virus utilise non seulement des récepteurs CD4 (ce qui était déjà bien connu) pour pénétrer dans la cellule mais aussi des co-facteurs cellulaires, CCR5 et CXCR4. Ce sont des résultats intéressants qui expliquent en particulier pourquoi certains patients génétiquement délités d’une partie de CCR5 (Δ-32) étaient infectés sans êtres malades, le virus pouvant difficilement pénétrer à l’intérieur de la cellule dans ce cas de figure. Il s’agissait d’une contribution importante à la connaissance des mécanismes d’entrée du virus, mais qui en aucune façon n’avait, par exemple, le poids des travaux de David HO sur l’origine virale du déficit immunitaire ou des trithérapies. Comment ceci a-t-il, été traduit par la presse dont le Monde, que nous sommes obligé de citer, pour bien signaler qu’il s’agit d’un journal présentant certaines garanties quant au traitement de l’information, tout au moins sur ce type de sujet scientifique. Le 19 juin 1998, ce journal titrait en gros, en première page, Sida : la découverte qui peut tout changer. * Aux Etats-Unis, des chercheurs ont réussi à isoler la porte d’entrée du VIH dans les cellules sanguines. * Les scientifiques pensent avoir trouvé le « défaut de la cuirasse du virus ». * Ces travaux laissent espérer la mise au point de nouveaux médicaments et, surtout, d’un vaccin contre le sida. Un long commentaire suivait, accompagné d’un dessin signé et intitulé « Le talon d’HIV ». Le désir, de marquer les esprits par du sensationnel, avait prévalu sur la retenue, surtout s’agissant d’une maladie implacable, où tout le monde et surtout les patients sont dans l’attente de découvertes pouvant changer le cours de leur vie. L’éthique, c’est aussi la réserve dans la transmission ou la vulgarisation d’un savoir. Ne pas nuire avec les mots. 2er exemple : Grand journal marocain Infiniment plus grave, aux conséquences souvent dramatiques, un journal à grand tirage au Maroc, daté du 23-01-2003, reproduit une déclaration d’un leader politique en Afrique du Sud et qu’il semble reprendre à son compte : « Ces médicaments (« dérivés d’herbes ») soulagent et ont peu d’effets secondaires contrairement aux antirétroviraux » Un peu plus de trois ans nous sépare de cette période donc très récente où les autorités politiques d’Afrique du Sud, au plus haut niveau, n’hésitaient pas très officiellement (et n’hésitent toujours pas) - et l’on mesure le degré d’irresponsabilité- à affirmer que le Sida n’avait rien à voir avec le virus VIH. Pas d’épidémie, pas de virus, pas de traitements, juste un peu d’herbe et tout ceci relayé par les médias. Nous sommes évidemment à mille lieux d’une quelconque préoccupation éthique, là les mots tuent. 3°) Les « tradi-thérapies » Nous sommes au « XV international AIDS Conference » en 2004 à Bangkok, un congrès réunissant près de 20.000 participants, toutes disciplines confondues, et comme de coutume fortement relayé par les médias du monde entier. Cette conférence mondiale avait vocation
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comme celles qui ont lieu tous les deux ans, à s’ouvrir à toutes les réflexions. Pour la première fois, une session plénière était consacrée à la médecine traditionnelle sous la rubrique Sida et maladies opportunistes. Nous attendions des orateurs, venus de plusieurs continents, Afrique, Asie, Océanie qu’ils fassent le point sur une pratique très largement répandue. En réalité, nous retournions quelque vingt ans en arrière, avec le concombre chinois ou autres mixtures censées avoir des vertus antivirales exceptionnelles. Les présentations étaient un mélange « savant » de vocabulaire pseudo-scientifique, et de résultats présentés comme « exemplaires » obtenus dans des pays décimés par le Sida. Un discours idéologique, teinté de charlatanisme, remplaçait le discours scientifique ; plus grave, une tribune était ainsi offerte à des orateurs dont la plupart dirigeaient des cliniques dispensant ce genre de traitement. L’accès aux traitements antirétroviraux, une des premières priorités, étaient ainsi rendu encore plus difficile par ces pratiques qui détournent de leur fonction les tradi-thérapies. Le respect des cultures ne doit en aucune façon occulter une règle éthique élémentaire énoncée ci-dessus : d’abord ne pas nuire. Les organisateurs du congrès ont failli à ce principe en planifiant ce type de symposium, par ailleurs fortement photographié, et dont on ne doute pas qu’il servira de faire-valoir en d’autres lieux. VIII°) Les sentinelles de l’éthique. Pourquoi avoir choisi le Sida pour débattre sur l’investigation scientifique sur l’être humain ? L’apparition (1980) des premiers cas d’une maladie qui avait pratiquement disparu, la pneumocystose, et décelés par le CDC (Center for desease control) en Alabama aux Etats-Unis, a marqué le début de l’épidémie du Sida qui doit se comprendre comme un défi dont on ne peut atténuer ni la violence ni la gravité surtout dans les pays en voie de développement. Depuis cette date jusqu’à nos jours de très nombreuses molécules potentiellement anti-VIH, ainsi que des préparations vaccinales ont été testées sur l’homme (patients et sujets saints) avec plus ou moins de bonheur. Il n’est pas inutile de rappeler le succès relatif des traitements depuis 1996, date des premières tri-thérapies, qui d’une certaine façon contiennent le virus sans l’éradiquer, pour ceux qui ont la chance d’accéder aux soins. Mais on peut aussi noter l’échec de la prévention et la grande désillusion quant à la mise au point d’un vaccin qui se heurte à la variabilité génétique démoniaque du VIH et à d’autres difficultés liées principalement aux réponses inadaptées de notre système immunitaire. Durant toute cette période, où l’essai clinique prend une place considérable, la Sida a transformé profondément, non seulement la recherche sur l’éthique, mais aussi d’une certaine manière la société dans sa relation avec la médecine en général et les patients en particulier. C’est en ce sens que le Sida est un bon « modèle » d’étude sur l’investigation scientifique sur l’être humain : 1°) Le patient n’est plus passif, il devient acteur aussi bien dans le choix des traitements médicaux que dans celui de l’élaboration des protocoles. Lors du congrès de Toronto, en Août 2006, précédemment cité, s’est tenu un symposium parallèle où le thème abordé s’attachait à esquisser l’histoire récente « médicale et scientifique » de ces 25 années de l’épidémie de l’infection par le VIH jusqu’à nos jours. Le but étant ensuite d’en tirer les leçons des échecs et réussites. Le principal message de ce symposium, c’est d’avoir souligné, l’intérêt majeur, source d’avancées scientifiques, de la confrontation, pas toujours très facile, entre les associations des patients et le monde médical (chercheurs, cliniciens et firmes pharmaceutiques). Cette confrontation fut à l’origine d’une rupture de deux parcours respectifs, parallèles, antagonistes et l’amorce d’une prise en charge conjointe des patients par eux-mêmes et par le monde médical. Les remerciements aux patients, dans tous les congrès VIH, des conférenciers rapportant des essais cliniques sont à cet égard très significatifs.
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À n’en pas douter, il s’agit d’un changement de la relation patient médecin qui a largement dépassé les frontières du VIH et qui s’inscrit parfaitement dans les principes de bioéthique définis précédemment. La Ligue internationale contre le cancer a organisé à son tour mais bien plus tardivement des états généraux des malades du cancer reprenant les mêmes principes d’une participation effective des patients en tant acteur dans le choix en particulier des protocoles, confortant ainsi le consentement éclairé un des piliers de l’éthique. Le Sida a donc été un révélateur du dysfonctionnement ; une véritable approche éthique dans le champ de la santé publique et plus particulièrement dans l’investigation scientifique sur l’être humain s’est alors imposée. 2°) La vigilance du patient, quelquefois excessive, voire activiste, s’est invitée dans les débats des agences sanitaires et a renforcé ainsi l’indépendance des expertises, inhérente à l’éthique biomédicale. 3°) Le Sida en tant qu’épidémie n’épargnant aucun continent a mis en relief la nécessité d’un changement profond de la relation entre les pays du Nord et du Sud ; à la mondialisation de la maladie doit répondre une mondialisation de la solidarité ce qui implique, entre autres, que les PED ne doivent plus être considérés comme un champ d’expérimentation pour les pays du Nord. 4°) La nécessité d’une mise en place d’observatoire sanitaire efficace (à l’image du CDC qui a décelé le Sida), chargé de veiller à l’émergence de nouvelles maladies, s’est fait nettement ressentir depuis l’apparition du Sida. On se souviendra qu’en France, en 1980, plus aucune équipe de recherche ne travaillait sur les rétrovirus. La réponse dans l’urgence à un problème n’est pas sans effet sur l’éthique, souvent alors sacrifiée au motif qu’il faut parer au plus pressé. 5°) Dans cette accumulation d’essais thérapeutiques, les essais négatifs ou des effets secondaires non désirés sont souvent passés sous silence (encore très récemment les effets secondaires du Trasytol –médicament prescrit avant une intervention médicale pour favoriser la coagulation- sur le rein et le coeur ont été masqués par la firme Bayer). La description des essais négatifs ou des effets secondaires est aussi une priorité de l’éthique dans l’expérimentation humaine. Le sida a été, là aussi, un révélateur de ce dysfonctionnement, on le doit encore à la vigilance des patients. IX°) Conclusion : éthique de la recherche, le consensus en crise ? Dans une première rédaction de mon intervention, le paragraphe « les sentinelles de l’éthique » faisait figure de conclusion qui se voulait positive. Or une étude, très récemment publiée (septembre 2006), coordonnée par l’Inserm depuis septembre 2005, qui engage évidemment ce grand organisme de recherche et d’autre organismes internationaux, révèle une « crise du consensus éthique de la recherche biomédicale ». Cette étude, financée par l’Europe, a été réalisée par le premier réseau latino-Américain-européen, Eulabor (pour European and Latin American Ethical Regulation Systems of Biomedical Research), composé de 8 partenaires, France, Allemagne, Espagne, Chili, Argentine, Mexique, Brésil, et Uruguay. Ce réseau qui a pour but d’étudier les enjeux éthiques actuels de la recherche biomédicale, a rendu un premier rapport dans lequel on peut lire « nous sommes face à une crise du consensus éthique de la recherche biomédicale qui s’est mis en place, dans la seconde moitié du XXe siècle, à travers un certain nombre de déclarations internationales : code de Nuremberg en 1947, déclaration d’Helsinki en 1963... ».
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Selon cette étude, les raisons de cette crise seraient multiples, on peut en citer deux : 1°) La première est liée au fait que certaines puissances industrielles se désengagent du principe d’éthique universelle liée aux droits de l’homme et réalisent dans des pays en développement des essais cliniques qui ne seraient pas autorisés chez eux. 2°) La seconde concerne le dysfonctionnement de deux pierres angulaires du consensus éthique : le consentement libre et éclairé des personnes, et les comités d’éthique de la recherche biomédicale. Ce rapport souligne néanmoins les grandes différences entre pays. En Europe, et singulièrement en France, l’information, le recueil du consentement et son évaluation par les comités sont devenus surtout une démarche juridico-administrative. Par contre dans certains pays latino-américains, comme le Brésil, le niveau d’exigence des comités est « notable, avec une participation active des représentants de la communauté ». A cet égard, -et ceci est hors rapport, c’est nous qui le soulignons- nous pouvons rappeler que le Brésil, est souvent présenté comme une référence dans la lutte anti-VIH. : réponse précoce, dès 1983, à l’infection, respect des droits de l’homme, accès gratuit aux traitements (près de 170000 patients sont traités actuellement), fabrication locale de nombreuses molécules antirétrovirales appelées improprement génériques… Cette étude indique aussi que l’un des facteurs permettant de rendre partiellement compte de cette crise réside dans le fait que « l’intérêt économique a primé de façon démesurée sur celui des scientifiques et celui des patients ». Elle souligne avec force que la notion de « conflits d’intérêts » est en elle même anti-éthique. A ce propos (et c’est nous qui l’ajoutons), il est remarquable de constater que dans les essais cliniques VIH, l’investigateur est souvent à la fois promoteur et conseiller de la firme pharmaceutique participant à l’essai !!! Plus grave, on observe aujourd’hui, note ce rapport, encore une « délocalisation de la recherche clinique à destination de pays où la protection des personnes est davantage précaire » Alors que faire ? Redonner la parole aux patients, les considérer comme partenaires de la recherche, c’est-à-dire reprendre les points développés dans le paragraphe précédent, les « sentinelles de l’éthique ». Les auteurs de ce rapport rappellent la démarche en France des associations de patients VIH+ et soulignent qu’au Chili, dans un contexte très différent, les associations ont fait voter une loi garantissant des droits minimaux pour les malades, en termes d’accès aux soins, de confidentialité…
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Consentement éclairé pour la recherche biomédicale dans les pays en développement:
procédures et attitudes parentales dans un essai randomisé de supplémentation
alimentaire de nourrissons sénégalais
Aldiouma Diallo1, Coudy Ly2, François Simondon3, Kirsten B. Simondon3
1Institut de Recherche pour le Développement (IRD, anciennement ORSTOM), US 009,
Centre IRD de Dakar, Sénégal; 2Organisme de Recherche sur l'Alimentation et la Nutrition en
Afrique de l'Ouest (ORANA), Dakar, Sénégal; 3IRD, UR 024, Centre IRD de Montpellier,
France.
Correspondance: Kirsten Simondon
UR Epidémiologie et Prévention
Centre IRD de Montpellier
BP 5045
34032 Montpellier Cedex
France
Tél: 04 67 41 61 90
Fax: 04 67 41 63 30
e-mail: [email protected]
Titre abrégé: Consentement éclairé en Afrique rurale
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23Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
Résumé
Justification : La 52ème Assemblée Mondiale de la Santé a récemment confirmé
l'importance d'un consentement individuel libre et éclairé pour toute recherche impliquant des
êtres humains, et souligné que les populations médicalement et économiquement
désavantagées nécessitent une attention particulière.
Objectifs : Décrire les procédures et résultats de séances d'information individuelle conduites
au domicile de parents en vue d'inclusion de leur nourrisson dans un essai contrôlé de
supplémentation alimentaire au Sénégal.
Méthodes : L'information sur l'étude était rédigée en langue locale et la signification
contrôlée par traduction inverse. Elle a été transmise aux parents oralement, car plus de 90%
des mères n'avaient jamais fréquenté l'école. Le consentement oral seul était demandé.
L'hypothèse de l'étude était celle d'un effet positif d'une supplémentation sur la croissance de
l'enfant (de 4 à 7 mois d'âge).
Résultats : Seule la présence de la mère à la séance était nécessaire, mais le père et d'autres
membres de la famille participaient fréquemment. Parmi 148 mères contactées, 141 ont donné
leur accord pour participer à l'étude. Les refus étaient plus fréquents dans la partie Nord de la
zone (p<0,01) et pendant les 2 premiers mois d'inclusion (p<0,05, test de Fisher). L'existence
d'un groupe témoin avec répartition aléatoire des enfants était bien accepté, mais la plupart
des mères souhaitaient faire partie du groupe supplémenté. Quelques refus "déguisés" étaient
suspectés, comme des projets de voyage maternel, critère d'exclusion de l'étude (n=2), ou
l'accord pour participer dans le groupe témoin seulement (n=2).
Conclusion : Des parents pauvres et illettrés du Sahel sont capables de prendre des décisions
informées de participation de leur enfant à une recherche médicale, sans en référer à des
"autorités" religieuse ou traditionnelle. Un critère de non-inclusion comme les projets
d'absences du domicile pourrait aider certains parents à éviter la participation de leur enfant
sans avoir à refuser directement.
Mots-clés: consentement éclairé, éthique, essais contrôlés, nourrissons, Afrique, pays en
développement, recherche biomédicale
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24Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
INTRODUCTION
Le niveau éthique des recherches cliniques et de santé publique menées dans les pays en
développement a été l'objet de beaucoup de discussions ces les dernières années, discussions
motivées autant par la prise de conscience générale de l'importance des problèmes d'éthique
que par les problèmes spécifiques aigus posés par la pandémie du SIDA (1-7). Les
populations des pays en développement sont considérées "vulnérables" selon la terminologie
de la Déclaration d' Helsinki à cause de leurs faibles niveaux de scolarité et leur
"désavantages économiques et médicaux" (8).
Un aspect particulièrement débattu est celui du consentement éclairé. Il a été suggéré que
l'exigence d'un consentement individuel pour des recherches menées dans des sociétés
africaines rurales traditionnelles serait "culturellement inadapté", ou même une expression
"d'impérialisme éthique" parce que les habitants de ces sociétés seraient inféodés à des chefs
traditionnels, et qu'il suffirait alors d'avoir l'accord de ces derniers (9-12). D'autres auteurs ont
réfuté ce point de vue (13), et des évaluations récentes des procédures de consentement
informé individuel de parents lors d'essais vaccinaux sur des nourrissons d'Afrique de l'Ouest
ont suggéré que les parents étaient capables de comprendre l'information donnée et de prendre
des décisions concernant la participation de leur enfant (14-15).
Pourtant, des questions importantes subsistent: Comment l'information doit-elle être donnée
pour assurer une compréhension optimale par les parents à travers les barrières de langue et
de représentation de la santé et des maladies (13)? Et comment peut-on demander le
consentement en s'assurant qu'il est vraiment donné librement? Autrement dit, les personnes
pauvres avec un accès très limité aux services de santé ont-elles réellement l'impression
d'avoir un choix face à des équipes médicales?
Ci-dessous nous essaierons d'illustrer et de répondre, au moins partiellement, à ces questions
à partir de l'exemple d'une étude comparative de supplémentation alimentaire de nourrissons,
conduite dans une région rurale du Sénégal en 1993-94 (16). Puisque l'étude était conduite par
les auteurs, il ne s'agit pas d'une évaluation indépendante mais des perceptions et
interprétations faites par les responsables eux-mêmes.
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25Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
SUJETS ET METHODES
Site d'étude
L'étude a été menée dans la zone d'étude de Niakhar dans le Sine, à 150 km à l'est de la
capitale, Dakar, au sein d'une population d'environ 30 000 personnes d'ethnie Sereer. Cette
région, densément peuplée (>100 habitants/km2), est caractérisée par la culture de l'arachide
et du mil pendant la courte saison des pluies (juillet-octobre), coexistant avec l'élevage. La
population est musulmane à 75%, catholique à 20%, mais le culte traditionnel des ancêtres est
toujours pratiqué en parallèle. La fécondité est élevée (7,1 enfants nés vivants par femme),
ainsi que la mortalité (182 p.1000 naissances vivantes avant l'âge de 5 ans (17)).
Conception de l'étude
L'essai de supplémentation infantile a été conduit de façon simultanée dans quatre régions
pauvres du monde (La Paz, Bolivie; Brazzaville, République Populaire du Congo; Ile de
Maré, Nouvelle Calédonie; et région du Sine, Sénégal). Le consentement libre et éclairé des
mères a été obtenu dans toutes les études, mais seule l'étude sénégalaise sera décrite ici. A
l'inclusion, les enfants étaient répartis de façon aléatoire entre le groupe supplémenté et un
groupe témoin, par tirage au sort.
La supplémentation bi-quotidienne avait lieu au domicile des enfants chaque jour entre l'âge
de 4 et 7 mois. Une enquêtrice bien formée amenait le supplément sec et précuit avec de l'eau
propre, préparait chaque dose individuelle dans la concession de l'enfant et observait la mère
pendant qu'elle nourrissait l'enfant. La comparaison n'était pas faite "à l'aveugle" puisque
aucun placebo ou autre supplément n'a pu être identifié. Le supplément était acheté à une
firme française, mais aucun nom ne figurait sur les emballages pour éviter de faire de la
publicité.
Sujets
Pour être éligible pour l'étude, les enfants devaient être nés dans la zone d'étude entre
novembre 1992 et mars 1993. Les critères d'inclusion était le consentement maternel, un âge
de 4 mois ± 4 jours, l'allaitement maternel, l'absence d'administration de lait par biberon, de
maladies ou malnutrition sévères et de projets de voyage dans les 3-4 mois à venir. Les
critères préétablis d'exclusion d'enfants en cours d'étude était le souhait d'arrêt de participation
des parents, une malnutrition ou maladie aiguë nécessitant une hospitalisation, l'arrêt de
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26Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
l'allaitement maternel et l'absence de la mère et de l'enfant pendant plus de 7 jours
consécutifs.
Collecte des données
Les enfants supplémentés, comme les témoins, recevaient la visite d'enquêteurs tous les 7
jours pour un rappel de morbidité de la semaine précédente, alors que des données relatives
aux pratiques alimentaires et à la croissance (poids, taille couché, périmètres crânien et
brachial, plis cutanés) étaient recueillies de façon mensuelle.
Information des autorités françaises et sénégalaises
Une version du protocole commune aux quatre sites d'étude a été soumise à un appel d'offre
du Ministère de la Recherche et de la Technologie, France, et a à ce titre été examiné par un
groupe d'experts. La subvention demandée a été obtenue. Aucun comité d'éthique français n'a
été consulté, du fait de l'absence d'un comité spécialisé dans les pays en développement.
Au Sénégal, le protocole et le texte d'information en vue du consentement informé ont été
approuvé par le Ministère de la Santé. A l'époque, il n'existait aucun comité d'éthique au
Sénégal.
Enfin, les autorités médicales régionales ont été informées par écrit, et une information orale a
été donnée aux infirmiers des 3 dispensaires de la zone ainsi qu'aux chefs traditionnels des 6
villages sélectionnés pour l'étude à cause de leur taille (>1000 habitants).
Information aux parents
Un texte écrit a été élaboré de façon à standardiser l'information aux parents autant que
possible. Ceci était particulièrement important parce que l'investigateur principal de l'étude ne
comprenait pas le Sereer. Le texte était écrit en français, traduit en Sereer par un assistant de
recherche originaire de la zone et enregistré sur cassette. Un autre technicien, également
originaire de la zone, et sans connaissance de la version française initiale retraduisait la
version Sereer en français (traduction dite "inverse"). Les deux versions françaises étaient
comparées pour détecter et corriger d'éventuelles erreurs de sens après des discussions de
groupe.
Le texte était construit comme suit: la justification et les objectifs précis de l'étude, la
nécessité d'un groupe contrôle avec répartition aléatoire entre les groupes, les critères
d'inclusion pour l'étude et d'exclusion en cours d'étude, les risques et bénéfices possibles pour
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27Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
les nourrissons, les contraintes pour les mères, les données recueillies et la durée et fréquence
du suivi à long terme. Il était spécifié que le refus de participation pouvait être donné à tout
moment et qu'aucune prise de sang ne serait faite. Le texte terminait par deux questions: Avez
vous compris le texte? Avez vous des questions à poser?
Le procédure d'information et d'obtention de consentement
L'information des parents d'enfants éligibles était donnée individuellement lors d'entretien au
domicile environ 2 semaines avant le début prévu de l'étude pour l'enfant en question.
L'équipe était composée d'un technicien de recherche originaire d'un des villages d'étude, d'un
médecin spécialisé en santé publique avec une longue expérience de travail dans la zone et
parlant le Sereer (AD) ainsi que de l'investigateur principal de l'étude (KBS). L'information
était donnée par oral exclusivement car plus de 90% des mères et 80% des pères n'avaient
jamais fréquenté l'école. Le texte était lu par le technicien sans rien omettre ni ajouter.
Après la discussion qui s'ensuivit, il était demandé à la mère si elle était d'accord pour
participer. Si elle répondait non, la visite était terminée. Si elle répondait par l'affirmative, la
validité des autres critères d'inclusion était testée, et les enfants qui remplissaient tous les
critères étaient réparties de façon aléatoire entre les deux groupes par tirage au sort.
Si la mère demandait un délai de réflexion ou la possibilité d'en discuter avec son mari
(beaucoup de pères étaient absents lors de nos visites), les critères d'inclusion étaient aussi
testés, mais l'inclusion était retardée jusqu'à la prise de décision des parents. L'accord
demandé était seulement oral, jamais écrit.
RESULTATS
Proportion de consentement
Parmi 161 enfants éligibles, 149 ont été visités à leur domicile entre mars et juillet 1993, car
les 12 restants étaient en voyage au moment des visites. Un consentement maternel était
donné pour 141 enfants (94,6%), parmi lesquels 134 ont satisfait aux autres critères
d'inclusion. Les parents de 129 enfants ont donné leur consentement immédiatement et 6 ont
refusé d'emblée. Quelques mères ont souhaité attendre l'avis de leur mari absent (n=9) ou de
leur belle-mère (n=3), et la plupart d'entre eux ont ensuite donné leur consentement (8/9 et
2/3, respectivement).
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La proportion de refus de participation a varié significativement entre les six villages.
Six refus étaient concentrés dans un même village (parmi 26 enfants éligibles), et les deux
restants dans un autre village. Tous les huit refus étaient donnés dans les 3 villages du Nord-
Est de la zone parmi 78 éligibles (vs. 71 éligibles et aucun refus dans les trois autres villages,
P<0.01).
Les refus étaient aussi plus fréquents au début de l'étude. Six ont été donné pendant le
premier mois d'inclusion, deux pendant le second mois et le dernier pendant le 5ème. Les
proportions de refus parmi les éligibles étaient de 11,9 et 6,3%, respectivement, pendant les
deux premiers mois, comparés à 0, 0 et 4,2% pendant les trois derniers mois (p<0,05).
Attitudes parentales pendant les séances d'information
Même si seulement le consentement de la mères était nécessaire, elles étaient rarement
seules pendant les séances d'information. Le père participait en général s'il n'était pas sorti,
ainsi que les beaux-parents de la mère. Puisque les séances se tenaient toujours dehors, dans
la cour des concessions, des voisins ou voisines nous rejoignaient quelquefois. Ces derniers
avaient cependant une attitude plus passive, ils posaient rarement des questions ni ne
conseillaient la mère. L'atmosphère était assez formelle : les parents exigeaient un silence
total des enfants et animaux environnants, et écoutaient le texte avec beaucoup d'attention. En
réponse aux deux questions finales, ils commençaient généralement par résumer l'information
donnée pour montrer qu'ils avaient compris et enchaînaient avec leurs questions.
Ils exprimaient souvent leur satisfaction de voir l'équipe de recherche venir chez eux
les informer de l'étude, probablement parce qu'ils se sentaient respectés et avaient
suffisamment de temps pour comprendre le but et les méthodes de l'étude. En même temps,
certains semblaient suspicieux, comme s'ils craignaient que cette procédure inhabituelle
pouvait cacher un danger ou un piège.
Plus tard, durant les derniers mois d'inclusion, le comportement des parents changeait :
ils avaient tendance à écouter moins attentivement comme s'ils savaient déjà ce qui allait
venir et à poser moins de questions. Nous avions l'impression qu'ils avaient discuté de l'étude,
de ses risques et avantages potentiels bien avant notre venue. En effet, à ce moment tous les
parents avaient des voisins dont un enfant participait à l'étude et, puisque la supplémentation
comme les mesures anthropométriques se faisaient à l'extérieur, dans la cour des concessions,
ils avaient pu y assister.
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Perception des bénéfices, risques et contraintes
La majorité des mères souhaitaient que leur enfant fasse partie du groupe supplémenté.
Elles considéraient le tirage au sort comme une "loterie", terme connu et employé en Sereer,
avec attribution de leur enfant au groupe supplémenté comme un tirage "gagnant". Elles
demandaient souvent si le supplément était du CérélacR, l'aliment commercial pour
nourrissons le plus connu au Sénégal mais qui n'est jamais donnée dans cette région parce
qu'il est beaucoup trop cher. Conseillée par sa voisine, une mère a d'ailleurs demandé si une
contribution financière était requise pour faire partie du groupe supplémenté.
Elles, comme leurs maris, posaient souvent des questions concernant l'acceptation des
aliments locaux (plat familial, bouillie de mil ou de riz) par les enfants supplémentés à l'arrêt
de la supplémentation à l'âge de 7 mois. D'autres craignaient que, par la suite, leurs aliments
ne seraient pas adaptés à un enfant habitué à des aliments de meilleure qualité nutritionnelle.
Plusieurs parents prenaient soin de souligner que leur enfant pouvait participer seulement si
aucune prise de sang n'était prévue, malgré le fait que ceci était clairement dit dans le texte
d'information, comme s'ils ne croyaient pas à cette information. Un père a demandé si
l'aliment serait commercialisé en Europe si l'étude montrait qu'il avait des effets bénéfiques
pour les enfants.
Les contraintes de temps pour les mères d'enfants supplémentés (deux repas quotidiens
à heure fixe avec la nécessité d'attendre l'enquêtrice) n'étaient jamais mentionnées comme un
inconvénient par les femmes elles-mêmes. Mais un père a déclaré que son enfant pouvait
participer dans le groupe témoin seulement, car sa mère n'aurait pas le temps de nourrir
l'enfant deux fois par jour avec une bouillie.
Procédure de prise de décision au sein de la famille
Les mères donnaient souvent leur consentement sans attendre l'avis de leur mari. Elles
déclaraient que l'alimentation des enfants était de leur ressort et ne regardait pas le père. En
cas de refus, au contraire, plusieurs membres de la famille étaient généralement impliqués
dans la décision. Une fois, un désaccord au sein de la famille nous a été rapporté: le père ne
souhaitait pas que son enfant reçoive un supplément, alors que la mère et la grand-mère
paternelles y étaient favorables. L'avis du père l'a finalement emporté.
Les quelques mères célibataires ou vivant séparées habitaient généralement la
concession de leurs propres parents qui participaient alors aux séances d'information. Certains
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30Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
pères étaient en migration de travail à Dakar ou dans d'autres villes. Leurs femmes prenaient
souvent la décision seules, sauf une qui a refusé après avoir contacté son mari à Dakar.
Les deux mères adolescentes contactées, âgées de respectivement 15 et 16 ans, avaient
une attitude très passive, voire timide, lors des séances d'information. Les discussions et
prises de décision étaient menées par le père de l'enfant et par les grand-parents paternels, qui
nous expliquaient qu'une si jeune femme sans expérience ne pouvait pas prendre une telle
décision elle-même. Ils ont néanmoins apprécié quand nous avons expliqué que nous avions
aussi besoin de son accord.
Aucune des mères ni d'autres membres de la famille n'ont jamais exprimé le désir de
discuter de l'étude avec une "autorité locale", tel qu'un chef religieux ou coutumier, avant de
prendre leur décision.
Raisons données pour accepter la participation
Beaucoup de mères justifiaient leur accord de participation en disant que cette étude était "une
bonne action". Quand nous leur demandions ce qu'elle entendaient par là elles expliquaient
que la croissance et le développement de leur enfant aller probablement bénéficier de ce
supplément, d'autant qu'il allait être préparé par une enquêtrice spécialisée.1 L'autre raison
principale avancée était que les projets de recherche en santé conduits par l'IRD dans la zone
avaient beaucoup d'effets bénéfiques pour la santé de leurs enfants (moins de morbidité et de
mortalité par rougeole et coqueluche, notamment).
Une mère a déclaré vouloir participer parce que "tous les autres participent", et deux
mères étaient intéressées parce qu'elles "n'avaient pas assez de lait (maternel)". Un père a
essayé de négocier la participation de son enfant : il a dit que l'enfant pouvait participer si
nous fournissions du lait en poudre à toute sa famille.
1 L'effet du supplément a été une légère amélioration de la croissance en taille (+0,48 cm/3 mois), mais aucun avantage pour la croissance en poids (16).
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Raisons données pour refuser la participation
Le premier refus était du à un père qui voulait bien que son enfant soit témoin mais pas
supplémenté, car, disait-il, sa femme n'aurait pas le temps de donner le supplément à l'enfant
deux fois par jour. Le second refus était motivé par une opposition aux prises de sang et de
possibles voyages de la mère. La troisième famille semblait très hésitante, posait de
nombreuses questions concernant les données recueillies et demandait un délai de réflexion.
Deux mères demandaient un délai pour discuter avec leurs mari et beaux-parents et ont
finalement fait savoir que leurs familles étaient contre. Un beau-père a déclaré qu'il ne
souhaitait pas que l'équipe vende le sang de l'enfant en Europe. Dans la dernière famille, le
père n'a pas voulu que l'enfant prenne autre chose que le lait de sa mère.
La difficulté de dire non
Nous avions l'impression que quelques parents qui voulaient refuser avaient des difficultés à
le dire ouvertement à l'équipe. Soit ils donnaient une raison de refus qui ne semble pas être la
vraie, soit ils évitaient de le faire paraître comme un refus en déclarant que la mère avait des
projets de voyage ou qu'ils souhaitaient choisir le groupe de leur enfant.
Pendant la première semaine d'inclusion, un père a répondu qu'il aurait volontiers laissé son
enfant participer mais que sa femme avait malheureusement prévu un voyage à Dakar. Un
mois plus tard, il est venu spontanément nous voir alors qu'on passait dans son village en
demandant de participer quand même : "Puisque tout le monde participe, nous voulons en
faire partie aussi".
Les parents, particulièrement les pères, qui refusaient ouvertement de participer
montraient souvent des signes de colère comme s'ils se préparaient à résister à une pression de
la part de l'équipe. Une telle attitude était aussi fréquente parmi les parents qui ont refusé la
poursuite de participation de leur enfant en cours d'essai (7 parmi 66 enfants supplémentés et
2 parmi 68 enfants témoins, différence non significative).
Acceptation de la randomisation
Comme signalé plus haut, deux pères ont refusé la randomisation - et donc la participation -
parce qu'ils ne voulaient par que leur enfant reçoive le supplément.
Inversement, la plupart des mères étaient déçues quand le hasard voulait que leur enfant fasse
partie du groupe témoin. Certaines ont demandé si un médecin viendrait voir leur enfant de
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32Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
temps à autre pour qu'ils profitent aussi de l'étude même s'ils étaient "seulement témoins".2
Mais elles revenaient très rarement sur leur accord après la randomisation. Seuls les enfants
de deux voisines, vivant dans le village où nous avons enregistré le plus de refus et inclus en
même temps, ont du être exclus de l'étude parce que leurs mères ont refusé les mesures
anthropométriques dès la première visite deux semaines après leur consentement : "Puisque
nos enfants sont seulement témoins, nous ne voulons plus participer".
DISCUSSION
La question principale de l'étude était de savoir si des parents africains illettrés sont capables
de comprendre suffisamment les objectifs et risques d'une étude comparative pour donner un
consentement réellement éclairé. Dans cette étude, seulement 8,2% des mères et 19,7% des
pères avaient fréquenté l'école. Ceci avait des implications pour la conception de la procédure
d'information : aucune information écrite n'a été donné et seulement un accord oral a été
demandé. Mais l'incapacité à lire et écrire ne doit pas être confondue avec un manque
d'intelligence ou une incapacité à communiquer oralement. Les parents posaient très souvent
des questions, et celles-ci montraient qu'ils avaient compris l'étude.
Certains auteurs ont suggéré que le concept occidental de consentement éclairé ne
serait pas adapté dans d'autres cultures, notamment dans des sociétés africaines
traditionnelles, dont les membres se percevraient d'avantage comme "une extension de leur
famille et un intermédiaire entre leurs ancêtres et les générations futures" plutôt que comme
"des personnes individuelles avec leurs propres droits" (formulation reprise de 13). La
première partie de cette description s'applique assez bien aux Sereer du Sénégal qui respectent
et pratiquent toujours les rites du culte des ancêtres, et pour qui les lignages paternels et
maternels ont beaucoup d'importance. Il a été proposé que dans de telles sociétés le
consentement donné par un "chef respecté" pourrait être suffisant (9-12). Pourtant, nous
n'avons trouvé aucun indice que l'opinion des chefs religieux ou coutumier aurait une
quelconque importance pour les parents lors de cette étude. Seuls des membres proches de la
famille étaient cités par les mères. Ceci est très similaire à ce qui a été observé en Gambie, en
milieu rural comme en ville (15). D'ailleurs, quand nous avons informé les chefs de village
avant le début de l'étude, ils nous ont écouté poliment, mais semblaient un peu étonnés de
2 De telles visites hebdomadaires ont été rajoutées au protocole peu après le début de l'étude.
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notre visite. Rien n'indiquait qu'ils s'estimaient investi d'un pouvoir de décision par rapport
aux villageois.
Par contre, la communauté était très importante pour les comportements individuels.
La plupart des refus ont été donnés pendant le premier mois d'inclusion. Dès qu'un nombre
notable d'enfants ont commencé à recevoir le supplément et que les voisins voyaient qu'ils
n'étaient ni malades ni sujets à des prises de sang, les refus devenaient exceptionnels.
Une possible spécificité culturelle est la gêne d'avoir à dire non ouvertement, de peur
de paraître impoli.3 Ainsi il est très important de s'assurer que le consentement donné est
réellement libre. En effet, si l'information et l'inclusion sont confiées à des personnels sans
perception de l'importance du libre choix ils peuvent avoir tendance à faire pression sur les
familles, par excès de zèle (15). Pour éviter cela, nous proposons que la possibilité de refus
"honorables" soit prévue dans tous le protocoles de recherche dans les pays en
développement, à travers l'existence d'au moins un critère de non-inclusion qui ne peut être
vérifié par les membres de l'équipe de recherche et qui pourrait être validé par toute personne,
tel que des projets de voyage pendant la période de l'étude.
Il est en principe préférable de mener les séances de consentement individuel à
domicile, plutôt qu'aux centres de santé. Il faut cependant noter qu'il s'agit là d'un important
investissement en temps, et que la présence systématique du responsable de l'étude est
possible seulement dans les essais à petite échelle.
La méfiance envers les prises de sang est fréquente de part le monde. Une croyance
forte des Sereer est que toutes les parties du corps peuvent, quand elles sont sous le contrôle
d'une personne hostile, être utilisées pour des actes de sorcellerie, provoquant ainsi la maladie
ou même la mort de la personne visée. Ceci pourrait être la cause sous-jacente des craintes
très fortes envers des prises de sang, même si de telles croyances n'étaient jamais exprimées
ouvertement. Une autre explication pourrait être que pendant une étude vaccinale de
nourrissons, conduite en partie dans ces villages dans les années 1970-80, des prises de sang
répétées ont été effectuées (jusqu'à 7 fois par enfant pendant un suivi de 7 ans, (18)), et ceci
dans un camion laboratoire fermé hors du contrôle visuel des parents. Ce genre de procédé,
très inhabituel dans une communauté où quasiment tous les évènements ont lieu dehors, en
public, a très vraisemblablement accentué la méfiance des gens relativement au volume de
sang prélevé et aux véritables objectifs des prises de sang. Cet exemple montre comment une
3 Il est cependant possible que cette gêne existe aussi chez certains citoyens de pays développés.
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recherche médicale, pouvant être considérée éthique selon les concepts occidentaux, mais en
ignorant les spécificités culturelles du pays où elle se déroule, peut induire une méfiance
extrême et de longue durée envers la recherche en santé publique.
Une autre marque de méfiance majeure était la crainte exprimée par un père que
l'aliment utilisé venait d'être mis au point et que les véritables objectifs de l'étude n'étaient pas
de définir des stratégies pour améliorer la santé des enfants en Afrique, mais de tester cet
aliment en vue de le commercialiser en Europe. Des craintes similaires ont été rapporté dans
d'autres études africaines (15).
L'existence d'un groupe témoin a été bien acceptée dans notre étude, malgré l'absence
de bénéfice probant, probablement parce les risques pour les enfants étaient inexistants et les
contraintes pour les mères minimes. Deux essais vaccinaux récents, conduits par l'IRD dans
cette zone, ont aussi utilisé un groupe témoin avec randomisation entre groupes. Elles étaient
conduites en double aveugle, contre le vaccin standard qui est utilisé en routine au Sénégal
(19-20). Malgré la méconnaissance du groupe d'appartenance de leur enfant, le genre d'étude
était aussi bien accepté par les parents, probablement parce que les deux groupes avaient un
bénéfice de l'étude (14). Quand aucun "moyen préventif, diagnostique ou thérapeutique"
existe, une étude comparative avec attribution d'un placebo au groupe témoin est éthiquement
acceptable selon la Déclaration de Helsinki (8), mais son acceptabilité en Afrique est encore
mal connue. Une évaluation indépendante des procédures éthiques utilisés dans un essai
vaccinal randomisé en Gambie a montré que seulement 10% des parents avaient compris
l'existence du groupe placebo (15). Les auteurs suggéraient que le personnel médical en
charge de l'information avait évité d'expliquer cet aspect qu'ils craignaient mal accepté par les
parents.
Quand une personne a une expérience individuelle ou collective de la recherche
médicale, l'information donnée lors d'une étude ultérieure pourrait être mieux comprise (15).
L'un des essais vaccinaux conduits dans la zone de Niakhar utilisait déjà la consentement
informé individuel sur une large population de nourrissons (n>5000, (14)). Nos observations
ne sont donc peut-être pas directement généralisables à l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest.
Cependant, nous restons convaincus que quand l'équipe de recherche est consciente de
l'importance du consentement individuel libre et éclairé, et quand suffisamment de temps et
de soins sont consacrés à la conception et à la conduite de la procédure, une bonne
compréhension d'une étude et une adhésion libre peuvent être obtenues même dans des
sociétés rurales et traditionnelles avec des niveaux de scolarisation très bas.
13
IRD CCDE
35Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
REMERCIEMENTS
Nous remercions M. Michel Ndiaye d'avoir fait la traduction inverse du texte d'information
aux parents, et M. Pape Niokhor Diouf d'avoir lu le texte d'information et fait la traduction
simultanée des discussions lors des séances d'information.
Jacques Berger, André Cornu, Francis Delpeuch, Agnès Gartner et Bernard Maire ont
participé à la conception de l'essai de supplémentation de nourrissons multi-pays, qui a
bénéficié d'une subvention du Ministère français de la Recherche et de la Technologie.
14
IRD CCDE
36Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
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16
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38Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
Coopération Nord-Sud et diasporas scientifiques
Histoire, réalités et perspectives
Maurice Lourd
Directeur de recherche à l’IRD
Avant propos
L’exposé qui va suivre se situera dans une perspective plus politique que véritablement
éthique pour essayer de décrire, brièvement, l’évolution parallèle de la coopération Nord-Sud
et de la situation des communautés scientifiques du Sud.
Ce texte s’appuie très largement sur les travaux d’une expertise collégiale réalisée par l’IRD à la
demande du Ministère français des Affaires Etrangères, publiée sous le titre « Diasporas
scientifiques. Comment les pays en développement peuvent-ils tirer parti de leurs chercheurs et de
leurs ingénieurs expatriés ». Coordination scientifique : Rémi Barré, Valeria Hernandez, Jean-
Baptiste Meyer, Dominique Vinck.
L’histoire récente de la coopération scientifique et son évolution – cas de l’Afrique
La coopération scientifique est une des composantes des politiques d’aide et de coopération
mises en place par les pays du Nord vers les pays du Sud. Elle est, dans de nombreux cas,
l’héritage d’un passé colonial. L’exemple de la coopération avec les pays d’Afrique est
particulièrement illustratif de cette politique.
• La fin des années 50 et les années 60 marquent la décolonisation progressive des
différents pays d’Afrique. L’heure n’est pas encore à l’élaboration de politiques scientifiques
nationales car l’urgence est d’abord de former les cadres des jeunes nations. Dans la plupart
des cas, les systèmes de recherche mis en place par les tutelles coloniales perdurent, à
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39Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
l’exception notable de quelques pays tels l’Afrique du Sud ou l’Egypte qui, pour des raisons
éminemment différentes, sont déjà dotés de structures scientifiques solides ou disposent d’une
politique affirmée en matière d’enseignement supérieur. S’adaptant au nouveau contexte géo-
politique, les universités et centres de recherche hérités du passé sont alors pilotés par des
scientifiques expatriés originaires de l’ancienne puissance coloniale qui contribuent au
maintien d’activités de recherche et contribuent à la formation de jeunes chercheurs
nationaux. On voit donc apparaître dès la fin des années 60 des communautés scientifiques
émergentes, s’appuyant fortement sur les réseaux de leurs anciennes tutelles et gardant des
liens étroits avec elles.
• Les années 70-80 voient un véritable changement dans les politiques de coopération
avec l’entrée en jeu des grandes agences internationales : l’Unesco fait valoir et admettre à la
communauté mondiale l’importance de la recherche et de la formation supérieure comme
outil de développement. La création de fonds d’aide à la science, bi ou multilatéraux, permet
de construire de nouvelles institutions scientifiques et de renforcer les capacités humaines du
Sud. Les établissements de recherche issus de la colonisation sont nationalisés et s’ouvrent à
de nouveaux partenaires du Nord qui n’intervenaient pas jusqu’alors dans le paysage de la
coopération scientifique, Pays Scandinaves et Canada, notamment.
• Après la période d’euphorie des deux décennies précédentes, les années 90 voient un
retournement de la situation du fait de la crise de l’aide publique. Les pays du Nord sont
occupés à défendre leur place au sein du nouvel ordre mondial où les recherches sur les
technologies avancées, d’importance stratégique dans ce contexte de globalisation, mobilisent
l’essentiel des fonds. Les doctrines politiques et économiques évoluent vers un libéralisme de
plus en plus affirmé, entraînant une forte évolution de la doctrine du développement et des
outils mis à son service.
• Les conséquences pour la coopération scientifique sont fortes. Les USA sont les
premiers à donner la priorité aux coopérations technologiques portées par des entreprises
privées plutôt qu’à la coopération scientifique entre institutions étatiques. Seule l’Afrique du
Sud tire bénéfice de cette évolution, le tissu industriel étant encore trop faible dans la plupart
des pays africains pour être en mesure de bénéficier des nouveaux contrats de coopération
technologique. La recherche devient très orientée vers la résolution des problèmes immédiats
au détriment d’une recherche plus exploratoire. Les scientifiques des pays du Sud deviennent,
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40Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
de fait, plus des ingénieurs au service de l’action immédiate que des chercheurs restant au
contact de l’avancée des connaissances dans le cadre d’une recherche plus fondamentale. Les
conséquences de cette évolution sont importantes pour les communautés scientifiques du sud
qui doivent s’adapter ou migrer !
• Dans ce paysage un peu sombre, les pays européens se distinguent, notamment les
Pays Scandinaves, les Pays-Bas et la France qui maintiennent avec détermination leur volonté
de soutenir l’activité scientifique dans les pays les plus défavorisés. L’Angleterre poursuit son
soutien à l’association des universités du Commonwealth, l’Allemagne et l’Espagne ont une
position plus médiane en maintenant une aide bilatérale tout en stimulant la coopération
technologique. Les agences internationales maintiennent également les financements dans les
domaines de l’agriculture ou de la santé en confirmant leur appui aux centres internationaux
de recherche agronomique ou aux programmes piloté par l’OMS, par exemple.
Ces quelques rappels des grandes tendances de l’évolution des coopérations scientifiques au
cours des 40 dernières années donnent un cadre au double problème qui préoccupe nos
sociétés et qui font l’objet du thème d’aujourd’hui : la fracture scientifique et technologique
entre Nord et Sud d’une part, la fuite des cerveaux et la constitution de diasporas scientifiques
d’autre part.
Les diasporas scientifiques et techniques : Entre la circulation des compétences et la
coopération scientifique internationale
1) L’expatriation des compétences du Sud vers le Nord est un phénomène massif
Les données de l’OCDE -1999 indiquent que plus de 370 000 chercheurs et ingénieurs ayant
des activités en recherche et développement aux Etats-Unis sont originaires du Sud. Si l’on
prend les données fournies par la NSF américaine croisées avec celles de la base Eurostat, on
peut estimer qu’environ 1/3 du potentiel humain en S&T des pays du Sud est expatrié au
Nord. Cependant, ce chiffre recouvre des réalités très différentes selon qu’il existe ou non,
dans les pays du Sud, des communautés scientifiques locales bien structurées, des universités
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41Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
et des centres de recherche convenablement équipés et bien insérés dans les réseaux
internationaux. Même dans les pays disposant de bonnes structures scientifiques, des
variations importantes peuvent être observées suite à des crises économiques ou politiques
majeures dans des pays dotés de fortes infrastructures scientifiques (cas du Nigéria ou de
l’Argentine par exemple).
Le non retour des étudiants dans le pays d’origine est un des facteurs principaux de la
formation et du renforcement des diasporas. Les étudiants africains qui se dirigent
principalement vers l’Europe constituent 75% des étudiants de PED accueillis en France. Ils
représentent 12% du total des doctorats délivrés par la France alors que les étudiants latino-
américains, par exemple, en représentent seulement 2,2%.
2) Quelle évolution peut-on prévoir à court ou moyen terme des flux internationaux de
compétences ?
Les événements du 11 septembre 2001 ont profondément bouleversé les mouvements
d’expatriation du fait des politiques sécuritaires renforcées aux USA et en Europe.
Parallèlement, la montée en puissance de la Chine et de l’Inde qui confirment leur statut de
puissances scientifiques internationales, commencent à induire des flux de retour, en
particulier des USA où les étudiants et chercheurs asiatiques sont les plus nombreux. Par
ailleurs, la communauté internationale, sous l’impulsion des Etats du Sud, des Agences de
Coopération ou de financements, mais aussi des diasporas scientifiques de plus en plus
organisées, prend réellement conscience des enjeux liés aux échanges des connaissances et
des compétences.
• La nécessaire construction d’un système de recherche et d’enseignement supérieur
performant dans les pays du Sud
Le caractère stratégique de l’insertion dans l’économie de la connaissance apparaît de plus en
plus évident pour les pays du Sud. Pourtant, la fracture ne cesse de grandir entre les pays du
Nord et ceux du Sud en matière de S & T. Les investissements nécessaires et les coûts de
maintenance sont tels qu’ils justifient de fortes concentrations de moyens dans les pays du
Nord. Ils sont totalement hors de portée des pays du Sud !
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IRD CCDE
42Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
Quelles sont les réponses possibles des pays du Sud face à cette situation ? Elles sont diverses
et dépendent fortement de leur niveau de développement et de la volonté politique de leurs
dirigeants. On peut les classer en trois catégories.
Les pays émergents investissent fortement dans l’enseignement supérieur et la
formation d’une communauté scientifique de très haut niveau. Depuis plusieurs années, la
Chine a lancé un plan de formation intensive de ses étudiants aux USA et en Europe dans les
domaines des sciences et des techniques de pointes. La plupart des autres pays (Brésil,
Mexique, etc.) ont misé conjointement sur la consolidation de leurs structures universitaires et
l’envoi de leurs étudiants dans les meilleures universités mondiales, tandis que l’Inde et la
Corée du Sud misent plus fortement sur la recherche technologique et des associations fortes
entre universités et industries. Des politiques salariales incitatives ont été mises en place dans
certains de ces pays (Inde, Corée, Singapour) pour faire revenir dans les structures nationales
les chercheurs expatriés les plus brillants.
Les pays intermédiaires (Pays du Maghreb, Afrique du Sud, Amérique centrale,
Chili, Thaïlande, etc.) sont soucieux de développer et de moderniser leurs structures
scientifiques. Ils y consacrent des budgets importants mais restent demandeurs de coopération
internationale afin de ne pas perdre le contact avec les réseaux les plus avancés. Cependant,
pour nombre d’entre eux, l’expatriation importante des étudiants et la fragilité de leurs
systèmes de recherche restent des handicaps à leur développement scientifique.
Les pays les moins avancés voient, à l’inverse, leur situation en S & T se détériorer
du fait d’un désintérêt des gouvernants qui ont dû et doivent faire face à des priorités plus
urgentes. Au fil du temps, les appareils scientifiques se sont dégradés, les personnels qualifiés
(professeurs d’université, chercheurs et ingénieurs) ont dû s’expatrier ou changer de métier
pour survivre. Les quelques équipes encore en place se maintiennent grâce au soutien de
l’aide internationale et de contrats de coopération. Cette pratique permet de sauvegarder des
ressources intellectuelles locales, mais elle les oriente le plus souvent, vers une recherche
utile. La plupart des pays d’Afrique sub-saharienne se trouvent ou se sont trouvés confrontés
à cette situation. Le Nigéria, par exemple, a perdu la moitié de sa capacité contributive à la
science mondiale au cours de la décennie 90.
Toutefois, les communautés elles-mêmes s’organisent pour réagir en faisant largement appel à
la communauté scientifique internationale. Grâce à différents soutiens, des recompositions
institutionnelles se sont opérées par la promotion de nouvelles institutions scientifiques ou
associations à l’échelle régionale ou continentale. C’est le cas du CODESRIA qui constitue
un exemple. Le Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences sociales en
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IRD CCDE
43Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
Afrique (CODESRIA) est né en 1973 de la volonté des chercheurs africains en sciences
sociales de développer des capacités et des outils scientifiques susceptibles de promouvoir la
cohésion, le bien-être et le progrès des sociétés africaines. Ces principes doivent
nécessairement s’appuyer sur l’émergence d'une communauté panafricaine de chercheurs
actifs, la protection de leur liberté intellectuelle et de leur autonomie dans l'accomplissement
de leur mission et l'élimination des barrières linguistiques, disciplinaires, régionales, de genre
et entre les générations. Les principaux objectifs du CODESRIA, tels qu’ils sont énoncés dans
sa Charte, sont, entre autres, la facilitation de la recherche multidisciplinaire, la promotion de
publications issues de la recherche, le renforcement des compétences des chercheurs africains
de tous niveaux grâce à un solide programme de formation, la promotion du principe de
liberté académique, et la création de multiples forums d’échanges et d’informations entre
chercheurs africains.
A l’image du CODESRIA, d’autres associations comme l’Académie des Sciences du Tiers monde
(Third World Academy os Science – TWAS) ou des académies locales qui se sont créées avec des
soutiens internationaux permettent de favoriser la recomposition des communautés scientifiques et
intellectuelles des pays les moins avancés.
• Comment tirer parti de la circulation internationale des compétences ?
La circulation des compétences, quel qu’en soit le sens – du Sud vers le Nord ou inversement -
apparaît de plus en plus comme une nécessité dans les échanges intellectuels, la formation, les
transferts de technologies, la diffusion de l’information. Elle est largement considérée comme une
extension de la logique académique. La gestion des compétences expatriées est devenue une
nécessité pour les pays d’origine afin d’en tirer le meilleur bénéfice pour leurs propres communautés
scientifiques. Mais elle ne sera bénéfique que si les étudiants et les chercheurs expatriés conservent
ou rétablissent un lien fort avec leur pays d’origine.
Depuis plusieurs années, des réflexions ont été conduites pour imaginer les politiques les plus aptes
à tirer bénéfice de la mobilité des scientifiques. Ces réflexions ont été menées indépendamment ou
conjointement par les pays du Nord et du Sud impliqués dans la coopération scientifique
internationale, comme par les instances internationales (BIT, OCDE, etc.).
Les politiques étatiques, quand elles ont été tentées, se sont globalement appuyées sur l’une des
deux options suivantes :
- soit l’incitation au retour qui peut se concevoir surtout par des incitations financières. Elle
n’a de chance de réussir que si les conditions de travail offertes localement permettent de
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IRD CCDE
44Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
développer une recherche de qualité internationale et si les conditions d’emploi sont
comparables à celles des pays du Nord. La Corée du Sud et Taïwan ont appliqué cette
politique avec un certain succès.
- soit le contrôle des flux sortants. Le Brésil, par exemple, essaie depuis quelques années de
réguler l’expatriation des doctorants en diminuant les bourses d’étude pour les pays
étrangers. Des politiques plus coercitives de restriction à la sortie ou à l’entrée des ont été
envisagées mais leur mise en œuvre s’est rapidement montrée impossible.
Ainsi, les tentatives de régulation étatique des flux par les pays du Sud se sont révélées, au mieux,
des solutions partielles dont les limites sont rapidement apparues.
• Le rôle des diasporas dans le cadre de politiques de coopération
Depuis les conférences de Monterey sur l’aide au développement et de Johannesbourg sur le
développement durable, en 2002, l’idée d’une participation active de la société civile aux efforts de
développement dans le cadre d’une coopération internationale a été largement évoquée. A ce titre,
les diasporas scientifiques pourraient devenir un élément moteur du développement et constituer des
partenaires à part entière des politiques publiques de coopération. Les déclarations du Conseil de
l’Union Européenne qui s’est prononcé explicitement et à plusieurs reprises depuis 1999 pour le co-
développement, doctrine en faveur de l’association stratégique entre migration et coopération,
conforte cette perspective. La Banque Mondiale et diverses banques régionales de développement,
notamment la Banque asiatique de Développement ont initié des démarches exploratoires ou lancer
des programmes visant à identifier les réseaux constitués par les diasporas scientifiques et à évaluer
leurs contributions réelles ou potentielles au développement scientifique de leurs pays d’origine.
En Afrique, le partenariat avec les diasporas est aujourd’hui un objectif important de nombreux
pays. Le réseau SANSA (South African Network of Skills Abroad), fruit d’un programme de
coopération entre la France et l’Afrique du Sud, est devenu une référence en matière d’appui aux
diasporas scientifiques sud-africaines en Europe. De grands programmes multilatéraux tels que
MIDA (Migration Internationale pour le Développement en Afrique) et, plus largement, le NEPAD
(Nouveau Partenariat pour le Développement en Afrique) visent à faire l’inventaire des
compétences expatriées pour les mobiliser dans des programmes de développement régionaux.
D’autres pays du Sud ont mis en palace depuis plusieurs années des politiques volontaristes. Ainsi
l’Inde a constitué un Comité National des diasporas (High Level Committee on Indian Diaspora)
qui a présenté plusieurs recommandations au gouvernement pour tirer profit du potentiel que
représente les diasporas (base de données centrale des expatriés, dispositifs d’accueil de chercheurs
7
IRD CCDE
45Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
de haut niveau et d’échange de doctorants…). La Chine mène une politique tout à fait comparable à
celle de l’Inde . Des actions sont mises en œuvre pour faire bénéficier les universités et les centre de
recherche locaux de l’expérience d’expatriés de très haut niveau. La diaspora œuvre alors comme un
outil d’échange bilatéral. Ceci est particulièrement vrai avec les USA où les chercheurs d’origine
chinoises sont très présents dans les programmes de coopération scientifique et technologique avec
leur pays d’origine.
Les exemples précédents illustrent deux situations très contrastées :
- les diasporas ne sont qu’une des composantes d’un jeu d’acteurs librement consenti et
parfaitement adapté aux règles de la compétition mondiale. Il s’agit alors de diasporas très
structurées, principalement d’origine asiatiques.
- les diasporas sont peu ou pas structurées et les contacts avec les pays d’origine ne sont pas
solidement établis. C’est le vivier sur lequel doivent s’appuyer de nouveaux projets pour
développer une nouvelle politique de coopération Nord-Sud
• Vers une vision activiste des diasporas scientifiques ?
Pour faire face à la fracture scientifique Nord - Sud, les diasporas se renforcent dans des réseaux
qui dépassent parfois le seul cercle du pays d’origine pour s’élargir à des membres du pays
d’accueil. L’exemple des diasporas intellectuelles africaines en France illustre bien ce phénomène.
Ces diasporas ont pris conscience de leur rôle indépendant et de leur capacité d’initiative vis à vis
des institutions étatiques. Ainsi, les phénomènes de stabilisation des expatriés dans les pays
d’accueil, d’auto-organisation des migrants, d’évolution vers des politiques de co-développement
font des diasporas un nouvel acteur de la coopération. Cette évolution est d’autant plus favorable
qu’elle s’appuie sur des groupes possédant des compétences élevées, qui se sont structurés au sein
d’associations et d’organisations de solidarité.
Mais il faut être réaliste : malgré cette conjonction d’éléments favorables, l’implication de ces
diasporas dans les projets de coopération scientifique vers leur pays d’origine est encore limitée.
Néanmoins, leur existence même et leur volonté d’agir peuvent constituer les bases de nouveaux
modes d’action pour de nouvelles politiques de coopération Nord-Sud et Sud-Sud.
Nul doute que l’IRD, compte tenu des ses missions et de son histoire, doit être un des acteurs
privilégiés de ces nouvelles politiques.
8
IRD CCDE
46Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
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IRD CCDE
47Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
PROBLEMES DE LA COOPERATION SCIENTIFIQUE ENTRE PAYS DEVELOPPES ET PAYS EN DEVELOPPEMENT
Isabelle Ndjolé Assouho Tokpanou
Depuis le XVIIe siècle, nous assistons à un prodigieux développement
des sciences et des techniques : 1. la révolution industrielle du XVIIIe siècle ( charbon, métal,
machine à vapeur) avec comme conséquences l’accroissement de la productivité, la baisse des coûts de fabrication, l’ouverture des débouchés nouveaux, la modification même des structures de production et celle concomitante des rapports sociaux de production ;
2. la nouvelle révolution industrielle de l’époque moderne (acier, pétrole, chimie organique, électricité, avion, énergie nucléaire, …etc.) ;
3. la révolution de la période actuelle (informatique, ingénierie génétique, cybernétique, Internet, satellites, fibres optiques, etc.)
On peut dire que le développement scientifique, qui a permis à
l’homme une plus grande maîtrise de la nature, l’a rendu comme l’avait prédit Descartes "maître et possesseur de l’univers". Il a affranchi définitivement l’homme.
Comme l’affirme Edgar MORIN dans son ouvrage Science avec conscience : «la science est donc élucidante (elle résout les énigmes, dissipe les mystères), enrichissante (elle permet de satisfaire des besoins sociaux et par là d’épanouir la civilisation) et, de fait, elle est justement conquérante, triomphante»1
C’est dire que, tant pour éviter l’exil du monde où ils sont nés que
pour se développer et hâter les transformations qu’ils désirent, les hommes d’aujourd’hui doivent maîtriser la science et la technique.
Il se trouve que cette maîtrise est inégalitaire. Effective dans les pays développés, elle est presque inexistante dans les pays en développement qui doivent par conséquent réaliser la technicisation et l’industrialisation par un simple transfert de la technologie et de la science déjà constituées : "le développement accéléré devrait pouvoir repartir du niveau 1 Edgar MORIN, Science avec conscience, Paris, Fayard, p.15
1
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actuellement atteint dans l’univers développé, entrer de plain-pied dans l’ère de l’énergie nucléaire et des ordinateurs"2 déclare avec optimisme Yves BENOT.
Cependant il se pose ici la question fondamentale des conditions de la
réalisation d’un tel transfert. Si nous convenons avec Edgar MORIN que la science n’est plus simplement une affaire de savants et de chercheurs, mais «une puissante et massive institution au centre de la société, subventionnée, nourrie, contrôlée par les pouvoirs économiques et étatiques», la coopération scientifique entre les pays développés et les pays en développement ne peut alors se poser qu’en termes de problème, d’autant plus que, près de cinquante ans après les indépendances, l’Afrique et particulièrement l’Afrique subsaharienne, semble marquer le pas, malgré les nombreuses politiques de coopération scientifique mises sur pied, tandis que les pays d’Asie, de même que quelques pays d’Amérique Latine connaissent un développement fulgurant.
Partant ainsi du constat de l’échec de la coopération scientifique entre les pays développés et les pays en développement d’Afrique, nous allons essayer d’énoncer quelques idées pour une coopération scientifique de développement plus efficiente.
I- Etat de la "coopération scientifique entre pays développés et pays en développement" d’Afrique Noire
Dans son ouvrage suscité, Edgar MORIN met en exergue la
relation inter rétroactive qui existe entre la science, la technique, la société et l’Etat.
Selon cet auteur, "la technique produite par les sciences transforme la société, mais aussi rétroactivement, la société technologisée transforme la science elle-même. Les intérêts économiques, capitalistes, l’intérêt de l’Etat jouent leur rôle actif dans ce circuit de par leurs finalités, leurs programmes, leurs subventions. L’institution scientifique subit les contraintes technobureaucratiques propres aux grands appareils économiques ou étatiques, mais ni l’Etat, ni l’industrie, ni le capital ne sont guidés par l’esprit scientifique : ils utilisent les pouvoirs que leur apportent la recherche scientifique."3
Ce texte nous inspire les observations suivantes :
2 Yves BENOT, Qu’est-ce que le développement ? Paris, Maspero, p.16 3 Edgar MORIN, op. cit, p.19
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1. Si la science, voire les acquis scientifiques sont un bien universel commun à l’humanité entière, le potentiel scientifique du monde, ainsi que le centre de gravité de la recherche scientifique se trouvent dans les pays développés du Nord, économiquement plus riches.
2. Il y a inter-rétroaction entre développement scientifique et
technologique, développement économique et développement politique.
3. Les savants-chercheurs, malgré leur générosité ne sont pas les
initiateurs du transfert de la techno-science. Ce sont plutôt les Etats, les grandes firmes multinationales qui sont pourvoyeurs de moyens pour la recherche…
4. Les pays africains sous ajustement structurel gérés, pratiquement
par le FMI et la Banque mondiale, pauvres et très endettés, peuvent-ils financer la recherche scientifique, ou tout au plus mettre sur pied une politique scientifique indépendante et intégrée ?
5. Au moment où la mondialisation, qui a tant fait rêver, se laisse
percevoir comme une camisole planétaire dont une frange tirerait les ficelles en consacrant les rapports sociaux d’exclusion et d’exploitation à l’échelle mondiale, dans le cadre d’une logique de domination et d’hégémonie qui fait soutenir par le FMI que l’Afrique Noire n’a pas besoin d’enseignement supérieur, peut-on vraiment espérer voir s’établir une véritable politique de coopération pour le développement ? Autrement dit, dans sa philosophie de coopération, le Nord peut-il réellement aider le Sud à se développer ?...
Dans un rapport de l’UNESCO publié en 1969 et intitulé le
développement par la science, Essai sur l’apparition et l’organisation de la politique scientifique des Etats, nous lisons :
"Le déséquilibre entre le tiers industrialisé de l’humanité et les deux tiers en voie d’industrialisation, pour ce qui est du potentiel d’innovation, pourrait donc être progressivement atténué par un taux de croissance de la dépense scientifique dans le second groupe de pays (…). Son succès dépend non seulement de l’expansion de l’enseignement supérieur, mais aussi des mesures
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permettant de fournir aux savants, sur place, les conditions de travail qu’ils sont tentés sinon de chercher dans l’émigration"4
Quel fossé entre ces idées pour le moins généreuses et l’attitude des représentants de la méga machine de la mondialisation que sont le FMI, la Banque mondiale, l’OMC etc….
Il n’est pas étonnant que depuis lors, la fracture scientifique entre le Nord et le Sud (Afrique noire) ne fait que s’accentuer.
La coopération scientifique entre pays développés et pays en développement a surtout pour milieu approprié, les universités et les instituts de recherche, où se déploie la politique scientifique gouvernementale, qui elle-même dépend de la politique générale de la nation. Ici, on l’a déjà souligné, l’on est frappé par le degré considérable d’inadaptation des potentiels scientifiques aux besoins réels des pays, le développement scientifique étant paradoxalement la conséquence du développement économique. Entre l’intention de faire de la science un instrument du développement, et les moyens mis à la disposition de la recherche scientifique, il y a un hiatus, en Afrique. D’où le recours dans l’enseignement supérieur à une politique dynamique de coopération qui s’articule autour des échanges de professeurs et d’étudiants chercheurs, des activités conjointes de recherche, des échanges de matériels d’enseignements et de publications scientifiques, la participation à des séminaires et à des projets de recherche.
L’on peut constater que malgré les efforts indiscutables observés, les rapports de coopération restent empreints d’une forte connotation d’assistanat, le Nord imposant le plus souvent des projets qui correspondent à ses besoins.
Dans beaucoup de projets, les pays d’Afrique au Sud du Sahara sont cantonnés à la recherche appliquée, la recherche fondamentale étant considérée comme un luxe qu’ils ne peuvent pas se permettre.
Or nous savons qu’une recherche appliquée efficace ne peut découler essentiellement que de la recherche fondamentale.
Nous pouvons ainsi relever le manque d’équité dans les rapports de coopération en matière de recherche scientifique et technique, les pays pauvres ne pouvant eux-mêmes financer leur politique de recherche scientifique, certains pays riches ne finançant que les projets intéressants pour leur propre politique.
Dans ces rapports inégalitaires, il se pose souvent le problème du respect des droits humains. A cet égard, nous relevons l’extrême
4 UNESCO, op. cit. Paris, 1969
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vulnérabilité des populations destinataires de la recherche dans les pays en développement qui, dans leur pauvreté endémique et dans leur ignorance sont l’objet d’essais sans leur consentement éclairé, ce qui conduit à des situations complexes et délicates comme celle que nous avons observée en 2005 au Cameroun concernant la prise en charge de prostituées avec le ténofovir contre le VIH SIDA.
Nous ne pouvons que nous féliciter à ce propos des progrès faits par la communauté internationale pour la défense des droits des populations vulnérables, même si récemment encore, nous avons vu les déchets toxiques débarqués au port d’Abidjan, avec la complicité de nationaux sans scrupules.
Après cet état des lieux peu encourageant, les pays du Sud doivent-ils se réfugier derrière la fatalité ?
Nous avons déjà souligné que les Etats au même niveau que l’Afrique en 1960 ont fait un bond qualitatif dans le développement aujourd’hui. Cela veut dire que si la coopération vient appuyer les pays d’Afrique subsaharienne, ces derniers ne pourront décoller réellement que s’ils définissent eux-mêmes clairement et distinctement une politique scientifique qui exprime et tienne compte de leur volonté de développement.
Comme l’avait déjà fait remarquer HEGEL, l’Etat doit cultiver les citoyens, au-delà de l’intérêt strictement économique. Une économie de simple consommation ne peut faire des pays en développement que des valets de ceux qui produisent.
La politique scientifique trace le cadre à long terme dont les responsables de la politique économique ont besoin ; elle doit être prioritaire parce qu’elle permet de scruter un avenir plus lointain que celui qui fait l’objet des prévisions économiques.
II- Quelques idées pour une coopération de développement durable.
Le Conseil Exécutif de l’UNESCO a créé une "Equipe spéciale de réflexion sur l’UNESCO au XXIe siècle" qui a produit des travaux dont l’extrait ci-dessous nous semble digne d’intérêt :
«Le concept de l’humanisation est de fait une expression moderne des obstacles qui se dressent à l’aube du nouveau siècle, sur la voie d’un développement humain partagé. Il touche autant à l’économie qu’à la préservation des cultures. Il concerne la façon dont l’humanité relèvera ses propres défis et prendra des mesures respectueuses des valeurs humaines fondamentales qui sont au cœur de la paix. Pour l’UNESCO, ce concept
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commande que l’Organisation jette des ponts en direction des autres acteurs concernés du système des Nations Unies, des institutions de Bretton Woods (la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International), de l’Organisation Mondiale du Commerce et des Organisations Non Gouvernementales, en vue de l’adoption et de la mise en pratique de l’humanisation de la mondialisation.»5
Amartya SEN et Joseph STIGLITZ, tous les deux Prix Nobel d’économie soutiennent les mêmes idées, à savoir :
«Les idéaux de justice sociale n’ont cessé de refaire surface en dépit des obstacles auxquels se sont successivement heurtés les divers projets visant à les appliquer.»6
«Nous sommes une communauté mondiale, et comme toutes les communautés, il nous faut respecter des règles pour pouvoir vivre ensemble. Elles doivent être équitables et justes, et cela doit se voir clairement»7
Sur le plan bilatéral, les actions menées en France par l’IRD sont également intéressantes. Nous citerons, la création et la mise en œuvre depuis 2001 du Comité Consultatif de Déontologie et d’Ethique (CCDE), dont l’une des premières réalisations a été l’élaboration du Guide des Bonnes Pratiques de la Recherche pour le Développement de l’IRD.
Le préambule de ce document situe d’emblée le problème : «La conviction générale première qui anime toute recherche pour les
sociétés en développement, c’est que les progrès de la connaissance peuvent contribuer de façon décisive à mener l’humanité vers le mieux-être, même s’ils ne peuvent y suffire. Les modalités de ce développement sont économiques mais aussi techniques, sociales, juridico-politiques et éthiques...
Le propre de la recherche pour le développement est d’être une recherche coopérative avec les pays du Sud dits "en développement" ou PED. Cette coopération suppose le partage qui doit obéir à un principe d’équité et définir les rôles d’authentiques partenaires»8
La forme particulière du document exprime la préoccupation de ses auteurs qui ont préféré, tout au long des 15 principes, amener le lecteur, disons le chercheur à qui il s’adresse à mieux partager le contenu :
«Pour plus de commodité, le contenu de ce guide n’a pas été disposé selon la distinction de la déontologie et de l’éthique, mais selon l’ordre chronologique des opérations auxquelles les chercheurs doivent se montrer attentifs dans l’élaboration, la mise en œuvre, ainsi que les suites et la valorisation d’un 5Rapport final de l’équipe spéciale de réflexion sur l’UNESCO au XXIe siècle, «Vers la paix et la sécurité au XXIe siècle : les défis à relever et les possibilités à saisir pour humaniser la mondialisation», document 160EX/48 du Conseil Exécutif de l’UNESCO. 6 Amartya SEN, Prix Nobel d’économie. 7Joseph STIGLITZ, Prix Nobel d’économie. 8Préambule du Guide des bonnes pratiques du CCDE de l’IRD, 2005.
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programme de recherche. Il convient toutefois d’insister sur le fait que toutes les questions de déontologie et d’éthique afférentes à un programme doivent être, autant que possible, identifiées, examinées et discutées avant sa mise en œuvre.»9
De même, l’évolution récente de l’IRD qui le dote - décisions du gouvernement prises lors des deux derniers comités interministériels de la coopération internationale et du développement - d’une fonction d’agence d’objectifs, de programmation et de moyens, ne pourrait qu’accentuer la place de l’éthique et en perspective, mettre en exergue le rôle, donc le devoir du CCDE.
A terme ne pourrait-on pas s’attendre à ce que le CCDE prenne une dimension plus large – européenne voire internationale – concernant les questions d’éthique pour la recherche et pour le développement ?
Nous avons été frappés par les idées développées par le Président du CCDE, le Prof. D. LECOURT, sous le titre de «l’idée de partage» à l’occasion de la conférence d’ouverture de la seconde et dernière journée du forum, consacré au partage des bénéfices de la recherche, le 23 avril 2004 au Hilton de Paris Charles DE GAULLE Air port.
Pour lui, «... les bénéfices ne s’entendent point seulement au sens financier, car ce qui nous revient, en partage, ce ne sont pas seulement les revenus, les profits, les dividendes. Les bénéfices sont aussi les bienfaits- littéralement ce qui fait du bien.»
Il insiste et renchérit sur l’inégalité des ressources entre le monde développé de plus en plus riche, et les pauvres, de plus en plus pauvres, nous présentant ainsi deux vues opposées du partage, «une vue "économiste", le partage au sens de la distribution et qui comprend les bénéfices au sens des profits ; une vue "humaniste" qui entend le partage au sens de la participation et évalue les bénéfices comme des bienfaits dans la perspective d’un bien commun à toute l’humanité, celui qui la porte toujours en avant elle-même»
La force de cette idée de partage nous amène à une nouvelle perception du sous-développement qui éclaire autrement :
«On voit ce qui est en cause. Ce n’est pas au premier chef ce qu’on appelle le sous-développement des pays du Sud, mais les conceptions étroitement économistes du développement de nos propres sociétés et notre idée hobbesienne de la raison réduite au calcul sur l’avenir.»
Ce partage implique forcément deux impératifs dans les rapports entre les pays du Nord et du Sud : 9Préambule du Guides des bonnes pratiques du CCDE de l’IRD, op. cit.
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«Prendre soin de former les chercheurs du Sud à la recherche est l’impératif premier… le partage universel, à égalité, des ressources intellectuelles est sans doute le bien le plus précieux que la science ait apporté à l’humanité. Le second impératif consiste à ne pas ignorer ou mépriser l’héritage dont peuvent se prévaloir nos partenaires»
Le respect de ces deux impératifs conduirait au "nouvel esprit éthique" qui, conclura D. LECOURT «contribuera à inviter l’être humain à mettre le progrès de son savoir au service de plus d’humanité dans l’humanité même»
Avant le CCDE de l’IRD et les réflexions audacieuses du Président du CCDE que nous venons rapidement d’évoquer, les mêmes préoccupations ont été exprimées en France par divers avis du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) notamment le N° 78 de 2003 dans sa conclusion dit : «l’un des rôles forts du CCNE dans le domaine est de rappeler avec insistance la fragilité de l’ordre mondial. L’inégalité entre les hommes, autrefois admise… devient insupportable dès lors que le monde prend conscience de l’iniquité des situations qu’une globalisation moderne ne fait que prendre encore plus aveuglante… le but de la coopération Nord-Sud est une utilisation optimale des ressources disponibles et mobilisables au service de la dignité humaine.»10
Quels sont donc, selon nous autres Africains, les principes qui doivent sous-tendre une coopération mutuellement bénéfique et sur quelle structure doit-elle reposer ?
III- Quels sont donc selon les Africains les principes qui
doivent sous-tendre une telle coopération et sur quelle structure doit-elle reposer ?
Les principes directeurs d’une coopération de développement durable doivent être selon nous, le partenariat, la subsidiarité, l’ouverture et la rentabilité.
Le partenariat véritable suppose une participation partagée des chercheurs africains et leurs pairs extérieurs à des programmes définis en commun et dans l’intérêt des diverses parties engagées. Cela veut dire que la recherche proposée devra s’inscrire dans les priorités de recherche nationale au lieu d’être imposée comme par le passé.
La subsidiarité appelle à abandonner la coopération de substitution au profit d’une coopération de collaboration et d’appoint ; il s’agit de 10 Inégalités d’accès aux soins et dans la participation à la recherche à l’échelle mondiale – problèmes éthiques, Membres du groupe de travail du CCNE pour les sciences de la vie et de la santé. Avis N° 78 Septembre 2003
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développer une coopération ciblée, visant la formation à terme de nos propres experts dans les domaines stratégiques où l’expertise locale fait encore défaut. Le problème en Afrique est souvent celui de la méconnaissance sinon du mépris de l’expertise locale.
L’ouverture contrôlée figure dans l’exploration de nouvelles voies et de nouvelles formes de collaboration assurant une diversité de pôles de coopération, avec visée précise d’accroître les performances scientifiques dans des champs bien déterminés.
Par rentabilité, on entend que les choix de coopération doivent être déterminés en rapport avec leur impact potentiel dans le développement.
C’est par la promotion de l’innovation scientifique que nous pourrons nous développer. La politique de coopération scientifique doit viser à faciliter et consolider les échanges entre les équipes de recherche et induire une circulation fluide de l’information scientifique, dans une optique de fédération des intelligences.
Elle doit chercher les voies et moyens de renforcement des capacités de production et de gestion des chercheurs pour accroître leurs performances et leur rayonnement.
Au niveau national, l’université se veut forcément catalyseur de développement, ouverte à son environnement. Elle doit travailler étroitement avec les administrations et les organismes de développement installés en Afrique, les structures locales et les entreprises nationales.
Au niveau international, la coopération universitaire joue un rôle stratégique important dans le transfert de la techno-science, grâce aux missions de recherche et de formation de nos enseignants dans les pays du Nord et l’accueil des enseignants-chercheurs expérimentés de ces pays pour l’encadrement local dans des domaines ciblés.
Il faut redire ici que les pays pauvres subissent l’exode des compétences.
Cet exode croissant « renvoie à des stratégies des grandes puissances et des firmes internationales pour attirer les compétences…Le départ des éduqués rétroagit à la baisse sur la productivité de ceux qui restent »11
Dans un domaine aussi prioritaire que celui de la santé, une étude récente faite par l’Ordre des Médecins du Cameroun révèle que 4000 médecins Camerounais exerceraient dans leur pays alors qu’ils seraient plus de 6000 en France uniquement. 11 L’Economie Ethique Publique :Biens Publics Mondiaux et Patrimoines Communs par Philippe HUGON UNESCO 2003 (SHS-2003/WS/23
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De même, de très nombreuses infirmières formées sur place se retrouvent, à travers des circuits d’émigration clandestins, recrutées comme filles de salle en Europe alors que ce personnel fait dramatiquement défaut dans les structures hospitalières de leur pays. Conclusion
Disons tout simplement que la fracture scientifique et technologique entre le Nord et le Sud ne pourra se résorber que si le Nord s’engage à entretenir un véritable dialogue avec le Sud, non uniquement pour ses potentialités minières et économiques mais dans le cadre d’un humanisme authentique qui leur ferait prendre conscience de l’unité de l’humanité, et de la nécessaire solidarité entre les hommes.
Il ne faudrait pas que la "coopération" devienne ce type de notion dont le suremploi vise à occulter une pratique obscure, la pratique de l’hégémonie et de la monopolisation des savoirs et du bien être.
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JCA, V1, 09/11/2006
Données et connaissances environnementales : Quelques remarques d’ordre éthique sur un patrimoine à protéger
Jean-Claude André, CERFACS, 31057 Toulouse Cedex 1, France
Colloque « Ciencia y Etica en la Globalizacion »
(Mexico, D.F., 24 et 25 octobre 2006)
Une des règles qui semblent éthiquement les mieux justifiées et les plus communément admises est le partage des connaissances scientifiques. Il est reconnu comme éthiquement condamnable de fermer l’accès à cette connaissance à tout ou partie de l’humanité, pour quelque raison que ce soit. Le savoir doit être accessible à tous, il n’est pas de règle éthiquement acceptable qui puisse dénier à une quelconque catégorie de population l’accès à cette connaissance. Il est utile de rappeler ici cette apparente évidence, car cet argument peut ensuite être dévoyé comme quelques exemples donnés ci-après le montreront. Comment s’organise le progrès scientifique et comment les connaissances sont-elles augmentées ? Ce sont les pays du Nord qui sont le plus souvent responsables de ces progrès, et ceci pour deux raisons qui semblent essentielles : - le savoir y est mieux partagé que dans les autres régions du monde, et la base de personnes susceptible d’y accéder est significativement plus large. C’est en élargissant cette base, en augmentant le nombre des individus susceptibles d’y contribuer, que les connaissances peuvent le plus efficacement progresser ; - la recherche scientifique y bénéficie par ailleurs d’un contexte matériel bien supérieur, que ce soit par les conditions de travail qui y sont données aux chercheurs et/ou que ce soit par l’accès qui leur est donné à des instruments puissants : comment ne pas citer, entre autres, les accélérateurs en physique fondamentale et pour le cas qui fera l’objet de la discussion ici, les grands télescopes, les moyens satellitaires d’observation, les super-calculateurs, …. On sait bien en effet qu’aujourd’hui la progression du savoir scientifique s’opère de façon incrémentale, et qu’elle nécessite donc pour y contribuer d’être totalement au fait des dernières avancés et d’appartenir au front de progression de ces connaissances. Un des moyens les plus importants à l’heure actuelle pour favoriser le développement des connaissances est l’acquisition de données nouvelles (au sens des donnés d’observation de faits et de phénomènes) à partir desquelles peuvent être développées de nouvelles théories, de nouvelles applications, de nouveaux outils, de nouveaux produits, … Ces données s’organisent à travers tout un spectre, allant des données qui alimentent la recherche fondamentale aux données qui sont spécifiquement recueillies pour favoriser le développement technologique. On conçoit que les premières d’entre elles soient le plus souvent trop spécifiques pour pouvoir faire l’objet de légitime revendications de partage. Mais elles restent de toute façon accessibles, au moins en théorie, via les revues et journaux scientifiques dans lesquelles elles sont publiées, même si de facto elles sont utilisées essentiellement par les pays du Nord. On sait aussi que les secondes peuvent avoir été acquises à grand prix et via des efforts très lourds par un groupe, une entreprise, un pays, … pour asseoir le développement technologique ou l’émergence de nouveaux produits. Ces données doivent-elles de ce fait être considérées différemment et faire l’objet de restrictions d’accès ? Bien que ce sujet soulève évidemment de nombreux problèmes éthiquement très importants, nous ne l’aborderons pas ici et nous restreindrons au cas d’un troisième type de
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données, qu’il serait possible de qualifier de plus intermédiaires, car intéressant directement des groupes humains beaucoup plus larges. Il faut à ce stade restreindre quelque peu le propos car, telle qu’évoquée ci-dessus, la question des conditions du progrès des connaissances scientifiques est bien sûr trop large pour recevoir une réponse qui soit pleinement satisfaisante et ne souffre pas d’exception ! On ne traitera donc ici que d’un champ disciplinaire particulier, celui relatif aux conditions environnementales, au sens de l’environnement physique, celui qui concerne en particulier les conditions météo-climatiques. Nous ne considèrerons donc que ces données, qualifiées ci-dessus d’intermédiaires, qui permettent de caractériser l’environnement et le cadre dans lequel nous vivons, de caractériser l’habitabilité de la planète Terre. Ces données sont intermédiaires au sens où elles sont de nature relativement classiques, en tout cas comparées aux données nécessaires pour faire avancer la physique des hautes énergies, intermédiaires aussi au sens où elles donnent accès à une connaissance qui concerne immédiatement et globalement l’ensemble des habitants de la planète. Trois exemples seront considérés pour illustrer le propos : - celui de la météorologie, où l’échange de données est la condition sine qua non de toute activité prévisionnelle, mais où la possibilité de commercialisation peut sérieusement contrarier l’activité ; - celui de l’observation de la terre, où la mise à disposition des données vient de prendre le chemin de l’Internet, avec les avantages mais aussi les écueils associés ; - celui du changement climatique et du réchauffement global, où le partage des connaissances et des données est un processus organisé à l’échelle mondiale mais où les pressions médiatiques et politiques viennent malheureusement interférer. L’échange de données météorologiques Chaque Etat est responsable de la protection des personnes et des biens contre les aléas du temps, et il doit donc disposer pour cela de prévisions météorologiques. Celles-ci reposent sur la caractérisation du temps météorologique à un instant donné (classiquement on parle de la mesure de paramètres comme la température et l’humidité de l’air, la force et la direction du vent, …) et sur une connaissance des lois qui régissent le comportement de l’atmosphère pour en extrapoler l’état à partir de cet instant initial. Or si une prévision à 24 heures d’échéance ne nécessite pas de connaître l’état de l’atmosphère à une distance supérieure à quelques milliers de kilomètres du point pour lequel la prévision est établie, la prévision à 48 heures d’échéance requiert quant à elle la connaissance de l’état de l’atmosphère dans un rayon d’environ 10.000 km, et la prévision à 5 jours d’échéance, ou plus, a besoin pour définir son état initial de connaître l’état de l’ensemble de l’atmosphère. Ceci est bien évidemment dû au fait que les phénomènes météorologiques qui intéressent un point particulier du globe à un moment donné ont concerné des points en amont quelques heures plus tôt, et qu’il faut remonter de plus en plus en amont1 au fur et à mesure que l’échéance de prévision s’allonge. Cette prise de conscience de la nécessité de disposer de l’ensemble des données sur le globe pour pouvoir prévoir le temps, même localement pour peu que ce soit quelques jours à l’avance, a conduit les météorologues à mettre en place un échange libre et gratuit des observations météorologiques, échange libre et gratuit qui remonte aux origines mêmes de la météorologie internationale. En fait, c'est la nécessité de disposer d'observations sur un 1 La notion d’"amont" doit être entendu au sens large : en fait il s’agit d’un volume autour du point d’intérêt car les phénomènes météorologiques sont gouvernés par de nombreuses interactions intéressant progressivement toutes les régions de l’espace
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territoire beaucoup plus étendu que celui sur lequel on effectue des prévisions qui a conduit à créer l'O.M.I., l'Organisation météorologique internationale, longtemps avant que n'existe l'O.N.U. et que l'O.M.I., sous l'appellation nouvelle d'O.M.M. (Organisation Météorologique Mondiale), ne devienne une agence spécialisée de l'O.N.U.2Au fil des ans, cependant, l'échange libre et gratuit a connu des transformations majeures. La première d’entre elles est intervenue lorsque l’on est passé d'un échange entre services météorologiques nationaux à un échange entre États. L'O.M.I. en effet était une organisation entre services météorologiques nationaux et dans ce cadre, c'est entre services nationaux que l'échange était organisé. Lorsqu'on est passé de l'O.M.I. à l'O.M.M., on est passé du même coup d'une organisation entre services nationaux à une organisation entre États. (…) Une deuxième évolution s’est produite quand les Etats ont échangés non seulement les données d’observation elles-mêmes, mais aussi les produits qui en étaient dérivés, au premier rang desquels les prévisions elles-mêmes. Ce sont bien évidemment les pays les plus riches qui ont pu élaborer les produits les plus performants, qu’ils ont mis dans l’échange, au même titre que les données d’observation elles-mêmes. Il semble là que le cercle soit vertueux, l’échange libre et gratuit d’un premier type d’informations conduisant à l’échange libre et gratuit d’informations plus élaborées. Pourtant les termes de l’échange se sont assez rapidement révélés créateurs de dépendance des pays du Sud, cantonnés à l’observation, vis-à-vis des pays du Nord, élaborant les produits à forte valeur ajoutée. Pour reprendre une expression imagée la relation pourrait être caractérisée de la part des pays du Nord par « Observez et nous ferons le reste » ! La troisième évolution est apparue lors de la prise de conscience que les données, et surtout les produits météorologiques élaborés, avaient une valeur marchande, et qu’en conséquence s’est mis en place un marché commercial de ces produits et données. Les pays avancés ont ainsi eu la possibilité de monopoliser ce marché, en vendant des produits à forte valeur ajoutée qu’eux seuls pouvaient fabriquer. Ils ont à l’occasion vendu ces produits à la clientèle des pays en développement, sans réelle concurrence possible et venant ainsi appauvrir les services météorologiques de ces pays. Cette concurrence s’est en effet révélée potentiellement très néfaste pour les pays du Sud, puisque les coûts, élevés, de la collecte des observations météorologiques, ne pouvaient plus y être compensés, même partiellement, par les recettes que pouvait en tirer le service météorologique en commercialisant ses produits sur son propre territoire. Que se passe-t-il dans un tel cas ? Deux conséquences tout aussi néfastes l’une que l’autre, apparaissent : - d’une part, les pays en développement, voyant se tarir leurs ressources, sont progressivement contraints de réduire leur dispositif observationnel, conduisant ainsi à un appauvrissement de l’échange de données ; - d’autre part, de nombreux autres pays, soucieux de se protéger d’une concurrence faite à leur service météorologique national sur son propre territoire, pourraient être conduits à arrêter, ou pour le moins à fortement restreindre, l’échange de données. Dans un cas comme dans l’autre l’échange libre et gratuit des donnés météorologiques est mis en péril. Comment surmonter ces obstacles, tout en respectant l’éthique de l’échange de données utiles à tous ? C’est paradoxalement en réduisant, ou plutôt en contrôlant mieux, l’échange, qu’il est possible de sauver celui-ci. C’est ce qu’a mis en œuvre l’OMM, après de longs débats ayant opposé les partisans d’un pur libéralisme aux tenants d’une régulation permettant de maintenir les échanges au meilleur niveau possible. Une résolution a ainsi été adoptée, puis mise en oeuvre, qui stipule que chaque pays déclare les données et produits qu’il élabore selon deux catégories. Dans la première catégorie sont incluses toutes les données qui seront ensuite 2 Cité d’après A. Lebeau, "L’échange gratuit au péril de la communication", La Météorologie, 9, 71-83 (1995), auquel sont par ailleurs empruntées nombre d’ idées et d’analyses développées dans le reste de ce chapitre
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échangées librement et sans aucune restriction sur les usages qui en seront faits. Dans la seconde catégorie apparaissent les données et produits qui seront échangés à la condition que les pays qui les reçoivent ne les réexportent pas à des fins commerciales hors de leur propre territoire. Ainsi garantis contre les usages abusifs sur leur propre territoire, de nombreux pays ne sont plus tentés de se protéger en appauvrissant l’échange, et sont au contraire enclins à adopter des pratiques où le nombre de données mis à l’échange augmente significativement. Il faut enfin mentionner qu’une disposition additionnelle a été retenue, qui stipule que les chercheurs et enseignants ont accès gratuitement et sans restriction aux données et aux produits dans le cadre de leurs activités, du moment qu’elles n’ont pas de but commercial. Cette disposition donne donc à la communauté scientifique et éducative des garanties pleinement compatibles avec l’accès à la connaissance. La diffusion des données satellitaires d’observation de la terre La discipline dite « observation de la terre » a réellement pris son essor avec l’arrivée des satellites d’observation permettant de photographier et, en un sens plus large, de cartographier différentes propriétés de la surface terrestre : occupation de sols, types de végétation, … Contrairement aux données météorologiques d’observation, dont la valeur décroît très rapidement lorsque le temps s’écoule, les données d’observation de la terre ont des durées de vie, des validités, beaucoup plus longues car les paramètres observés ne sont que lentement variables. Tout nouveau moyen d’observation satellitaire fournit ainsi de nouvelles données qui viennent enrichir le patrimoine des données antérieures. Les produits qui peuvent alors être fabriqués sont de plus en plus élaborés, par exemple des cartographies de résolution sans cesse augmentée et comportant un nombre de paramètres allant croissant. Une autre remarque d’importance concerne le coût extrêmement élevé de ces moyens d’observation réservé de facto à un tout petit nombre de pays, ceux qui peuvent construire, puis lancer et enfin exploiter des satellites d’observation. Très longtemps les produits d’observation de la terre ont été générés et utilisés par les seuls pays capables de mettre en œuvre les moyens satellitaires d’observation, entraînant une grande inégalité dans l’accès à une connaissance qui pourtant intéresse l’ensemble de l’humanité. Les toute dernières années ont connu de ce point de vue un changement radical. Le « produit » Google Earth est en effet apparu, en diffusion libre, en juin 2005, révolutionnant l’approche vis-à-vis de l’observation de la terre, d’une observation de la terre que l’on pourrait qualifier de « non professionnelle ». Rappelons que Google Earth est un logiciel qui permet une navigation très conviviale et assez ergonomique au-dessus de la planète, en autorisant des descentes et des zooms sur des régions, des localités, voire des maisons ou des détails de l’ordre de quelques mètres. La résolution spatiale accessible n’est pas uniforme, certaines régions du globe étant mieux documentées que d’autres. Il s’agit d’ailleurs là d’un point important. Si Google Earth est effectivement d’accès libre et gratuit, c’est qu’il peut vivre sur un modèle économique particulier : les données utilisées sont celles qui peuvent être obtenues gratuitement car, le plus souvent déjà anciennes et, en quelque sorte, « déclassifiées » par les agences qui les ont obtenues, les coûts d’accès par Internet sont supportés par les utilisateurs, et le coût à supporter n’est plus que celui du développement du logiciel lui-même, largement compensé par les ressources publicitaires qui sont générées. Google Earth peut donc sembler marquer un progrès dans la diffusion de ces données et de la connaissance qui y est attachée.
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Deux dates ont d’ailleurs marqué une étape capitale dans la montée en puissance de Google Earth : le 26 décembre 2004, avec le tsunami qui a ravagé une grande partie de l’océan indien, et la fin du mois d’août 2005, avec l’arrivée en Floride des cyclones Katrina et Rita. Le tsunami de décembre 2004 a suscité une énorme demande en ligne, demande suivie d’un usage important de l’imagerie spatiale, tant par les organisations internationales que les ONG, les médias, … Cet usage constitue le premier événement planétaire suivi par télédétection spatiale. A ce suivi s’ajoutent les démarches collaboratives, où de nombreux amateurs vont utiliser des images et des cartes pour produire de l’information. Cet usage amateur constitue une donnée fondamentale du succès de Google Maps. (…) Les deux cyclones d’août 2005 vont se révéler être des déclencheurs d’une demande planétaire d’observations. Google Earth va fournir un support instantanément reconnu pour la mise à disposition d’informations et les autorités américaines décideront très vite d’encourager la mise à disposition des informations via ce vecteur. Deux caractéristiques marquent cet événement : la convergence d’intérêts entre acteurs publics et privés autour des catastrophes, et la rapidité avec laquelle un outil qui n’existait pas deux mois auparavant s’est imposé comme moyen planétaire de communication3. Cette analyse semblerait donc montrer que les obstacles à la diffusion libre et gratuite des données d’observation de la terre ont pu être levés grâce à l’émergence conjuguée d’une nouvelle technologie et d’un modèle économique particulier. Il faut néanmoins pousser l’analyse un plus loin, pour mettre en évidence les défauts cachés et les risques encourus. On n’oubliera pas tout d’abord que cet accès libre et gratuit suppose que tout utilisateur soit correctement équipé en capacité informatique et puisse supporter les coûts d’accès, ce qui de toute évidence n’est pas le cas, et renvoie à la fracture numérique qui coupe la planète. Mais au-delà existe un risque lui aussi très important, celui de tarir les sources de données, par un mécanisme différent, mais conduisant au même résultat, que ceux opérant dans le cas de l’échange des données météorologiques décrit ci-dessus. Google Earth distribue en effet un produit qui est réalisé avec des données d’observation disponibles, sans se préoccuper de la façon dont ces données sont obtenues. D’une certaine façon il sature l’offre mise en face de la grande demande d’informations, ou tout du moins d’une certaine partie de cette demande. Cette tendance est d’ailleurs parfois renforcée par des producteurs de données eux-mêmes, qui mettent à disposition leurs données sans réelle contrepatie ou sauvegarde. L’attrait de Google Earth est en effet tel que « rester en dehors » apparaît à certains comme un très mauvais choix politique. Bien qu’il ne s’agisse encore que d’un scénario, et pas d’une évolution constatée, on peut néanmoins conjecturer que la saturation en produits gratuits construits avec des données anciennes librement accessibles va réduire le champ dans lequel opèrent les fournisseurs de nouvelles données, et va réduire leurs capacités à mettre en œuvre de nouvelles observations, toujours plus coûteuses. Quant à Google Earth, rien ne prouve qu’il trouve de façon permanente un intérêt à poursuivre ses initiatives. Si la ressource publicitaire qui lui permet de fonctionner venait à baisser, quel serait son comportement ? Ne serait-il pas tenté de cesser cette activité pour se tourner vers d’autres moyens plus profitables ? Ce scénario de la « moisson sans semailles » doit être considéré avec la plus grande attention, et une réflexion sur les moyens éthiquement admissibles pour en corriger les effets doit être lancée. Ce n’est malheureusement pas encore le cas.
3 Cité d’après le Bulletin d’I-Space-Prospace, 10, p.11, 2006
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Le changement climatique L’augmentation des rejets dans l’atmosphère de gaz à effet de serre résultant de l’activité humaine, qu’il s’agisse de gaz carbonique (dioxyde de carbone, C02) émis par l’utilisation des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz) ou d’autres composés tels le méthane émis pour une large part par les activités agricoles (élevage, rizières, …), conduit à une modification progressive de la composition chimique de l’atmosphère. C’est ainsi que depuis le début de l’ère industrielle la concentration de gaz à effet de serre s’est déjà accrue de 25%, passant de 280 ppm4 à plus de 350 ppm, et que les projections les plus « optimistes » pour les prochaines décennies sont de 500 ppm, alors que d’autres scénarii, plus pessimistes, conduisant à des concentrations futures pouvant atteindre 700 ppm, voire 1000 ppm. Les lois de la physique, telles que mises en œuvre dans les grands modèles climatiques, indiquent alors que la température de la planète va augmenter, et que ce réchauffement par effet de serre additionnel pourra atteindre globalement plusieurs degrés (2° dans la partie basse de la fourchette, et jusqu’à 6° ou 7° dans la partie haute de la fourchette). Il s’agit là d’un bouleversement climatique5, aux très nombreuses conséquences pour l’habitabilité de la Terre. Les scientifiques ont, les premiers, tiré la sonnette d’alarme, ces préoccupations étant relayées au plan politique à l’occasion de grandes initiatives comme la conférence sur le changement climatique organisée à Rio en 1992, et la conférence sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre organisée à Kyoto en 1997. Depuis maintenant près de 10 ans les scientifiques spécialistes du climat, de son évolution et des conséquences sociales et économiques de cette évolution, rassemblés au sein du GIEC6, produisent régulièrement une analyse des connaissances, connue sou le nom anglais d’ «Assessment Report». Le 4ème de ces rapports est actuellement en cours de finalisation. Ces rapports permettent de diagnostiquer, à intervalle régulier de 3 à 4 ans, l’état des connaissances sur le changement climatique. Ils sont élaborés de façon extrêmement organisée et complète, avec - un premier groupe de scientifiques (les auteurs principaux et les auteurs associés, « lead and contributing authors »), rédigeant cet état des connaissances au moment donné ; - un second groupe de scientifiques se livrant à une relecture critique complète (les « reviewers »), et apportant les modifications jugées pertinentes. Le consensus scientifique résultant de ce travail impliquant les meilleurs spécialistes mondiaux fait l’objet du rapport lui-même. Ce rapport, volumineux, fait ensuite l’objet d’un résumé exécutif (« Summary for policymakers »), plus concentré, et dont la rédaction est supervisée avec le plus grand soin, y compris par des représentants politiques de différents pays pouvant avoir des intérêts divers vis-à-vis de l’utilisation des combustibles fossiles …, mais sans trahir le consensus scientifique : l’analyse n’est pas modifiée sur le fond, seule la forme peut être reprise et le poids de certains mots pesé avec un soin extrême (comme par exemple le choix entre des termes comme «possible», «probable», «extrêmement probable», …).
4 Partie par million, 1 ppm = 0,0001% 5 Rappelons que la différence de température globale de la planète entre une période glaciaire et une période interglaciaire n’est que d’une demi-douzaine de degrés environ 6 Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat, en anglais IPCC (Intergouvernemental Panel on Climate Change)
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Ces données et connaissances sont donc constitutives d’un patrimoine organisé et partagé par tous à l’échelle globale, et dont l’élaboration respecte les critères de l’éthique et de la déontologie scientifique (recours aux meilleures compétences, revue par les pairs, …). On pourrait donc penser que cette analyse s’impose d’elle-même, puisque tous les avis et critiques scientifiquement fondés ont pu être pris en compte dans le processus d’élaboration. Ce n’est toutefois pas le cas, et l’on peut citer ici deux exemples d’attaques contre les travaux du GIEC, attaquent qui relèvent de sérieux manquements à l’éthique. Dans chacun des 2 cas, ce sont les incertitudes qui affectent encore notre connaissance de l’évolution climatique, incertitudes toutefois reconnues, et pour la plupart d’entre elles, quantifiées dans ses rapports, qui sont prises comme prétexte pour attaquer les conclusions du GIEC à des fins partisanes. Le premier de ces exemples est français. Un ancien ministre chargé de l’éducation nationale et de la recherche, par ailleurs éminent scientifique dans un domaine connexe mais différent de celui du climat, utilise les tribunes médiatiques qui lui sont offertes pour critiquer violemment l’analyse du changement climatique présentée par le GIEC. Il réfute l’existence de lien entre changement climatique actuel et l’augmentation de la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre. Cette position, entièrement contredite par les travaux du GIEC, reçoit pourtant une oreille attentive d’une certaine partie de la presse nationale, toujours encline à privilégier les aspects polémiques, même quand ceux-ci sont artificiels et dénués de justification scientifique. Au-delà de la position individuelle de telle ou telle personne par rapport à une question scientifique, ce comportement soulève une question d’éthique journalistique : il semble que certains medias, relevant du secteur audiovisuel comme de la presse écrite, souffrent de ce qui pourrait être appelé le "syndrome du contradicteur", en privilégiant les présentations où apparaissent deux opinions en débat, même si ce doit être aux dépens d’une information scientifique dépassionnée. Le public ne serait-il donc plus capable de recevoir une information si celle-ci fait l’objet d’un consensus éclairé, et ne pourrait-il apprécier que des présentations faisant appel à un contradicteur, même artificiel ? Le second exemple vient des Etats-Unis d’Amérique. On connaît l’opposition de l’administration républicaine à la signature du protocole de Kyoto, susceptible selon son analyse de pénaliser l’économie du pays. Faut-il pour autant empêcher les scientifiques américains qui relèvent d’une institution fédérale de s’exprimer sur le sujet du changement climatique ? C’est pourtant ce qu’a révélé le journal "Nature" (édition du 28/09/2006) : la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration, agence dépendant du Département du Commerce) aurait bloqué la publication d'un rapport sur les liens entre changement climatique et cyclones. La préparation de ce rapport avait été confiée en février à un comité de 7 scientifiques. Mais, selon Nature, le président du comité, Ants Leetma, du GFDL (Geophysical Fluid Dynamics Laboratory, laboratoire interne à la NOAA situé sur le campus de Princeton), aurait reçu en mai un "email" du Département du Commerce lui enjoignant de ne pas publier le rapport avant qu'il n'ait été rendu "moins technique". Cette affaire vient s'ajouter à un autre incident qui ternit l'image de la NOAA. Un autre chercheur du GFDL, Tom Knutson, s'était vu convier à participer à une émission de CNBC sur les liens entre changement climatique et cyclones le 19 octobre 2005, invitation qu'il avait fini par décliner. Or, un représentant démocrate, Henry Waxman (Californie) a révélé le 19 septembre 2006 la teneur d'emails échangés entre un attaché de presse du Département du Commerce et un responsable des relations publiques de la NOAA. Le contenu de ces échanges atteste de la méfiance de l'administration vis-à-vis des scientifiques qui, comme le Dr Knutson, soutiennent la thèse d'un renforcement des cyclones dû au changement climatique d'origine anthropique (NDLR : contrairement à d'autres collègues, Tom Knutson soutient pourtant que l'effet restera très modéré). Ces deux incidents renforcent l'impression
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que l'administration Bush "encadre" fortement la communication des experts en sciences du climat. En février, un scientifique éminent de la NASA, James Hansen, avait été interdit de parole sur le sujet à la suite de déclarations publiques (...). La NASA avait été contrainte de désavouer l'attaché de presse responsable de cette décision et de réaffirmer son soutien à la liberté d'expression des scientifiques. (…). Enfin, un an après une autre affaire qui impliquait la correction de deux rapports sur le climat par un membre du "Council of Environmental Quality", Phil Cooney, la Maison Blanche fait preuve d'inertie face aux demandes du Congrès dans le cadre de l'enquête qu'il a diligentée. (…)7. Il ne s’agit pas ici de soutenir sans réserve la thèse de ces scientifiques américains qui exposent des arguments allant dans le sens d’une intensification de l’activité cyclonique corrélée avec le réchauffement climatique, car cette relation est encore sujette à débat, comme le discute d’ailleurs en toute clarté le rapport du GIEC. Il s’agit plus simplement de montrer que certains pouvoirs politiques s’insinuent directement dans un débat scientifique pour empêcher une des deux voix de s’exprimer librement. Le scientifique se doit, dans ce cas, de dénoncer vivement ce type d’intrusion éthiquement condamnable. En guise de conclusion ? Les quelques exemples présentés ici ont permis de mettre l’accent sur plusieurs points d’éthique : - comment des démarches allant de prime abord dans le sens d’un meilleur accès de tous à la connaissance et aux données relatives à l’environnement peuvent-elles in fine se révéler néfastes et potentiellement conduire à une réduction de ces accès ; - comment des mesures correctives, semblant au contraire condamnables car restreignant ces accès, peuvent-elles in fine se révéler favorables au développement des échanges ; - comment les sphères journalistiques et politiques peuvent s’introduire dans une question scientifique, soit pour "inventer" un débat là où il n’y en a plus, ou au contraire pour en empêcher un là où il reste scientifiquement fondé.
7 Cité d’après le Bulletin Electronique (BE) de l’Ambassade de France à Washington (USA), édition du 09/10/2006
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PROBLEMES ETHIQUES DU DEVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUE
Sandrine CHIFFLET
Avant d’envisager les différents aspects de cette problématique, il est nécessaire de
comprendre le sens du développement technologique. Le développement comporte en soi
l’idée de progrès qui signifie bien souvent pour l’homme, le passage d’une étape inférieure à
une étape supérieure. Beaucoup d’entre nous associent ce qui est supérieur à quelque
chose de meilleur et par conséquent l’aspiration au bonheur devient un simple fait. Le désir
d’être heureux et de ne pas souffrir ne connaît pas de frontière. Il est inscrit dans notre
nature et à ce titre se passe de justification.
1. Relations entre sciences et utilisateurs
De nos jours, la demande des différentes composantes de la société vis-à-vis du monde
scientifique est de plus en plus pressente et variée. Elle concerne aussi bien des questions
de sécurités, de prévention des maladies que des questions de développement durable,
d’équilibres planétaires et de solidarité dans le cadre de la mondialisation. Peu à peu,
l’humanité prend conscience qu’elle se trouve confrontée à de grands problèmes qui
conditionnent son avenir : les problèmes liés à l’environnement avec le dérèglement
climatique, la préservation de la biodiversité, le stockage et le recyclage des déchets, ceux
liés aux énergies avec l’épuisement des ressources et la nécessité de trouver des solutions
alternatives, les problèmes de sociétés, de respects des droits humains dans la
confidentialité des données qui sont accumulées avec les banques ADN, le secret bancaire,
le passeport électronique…
Cependant, un fort courant de méfiance à l’égard de la science et de la technologie existe
dans les sociétés d’aujourd’hui. Il s’alimente en partie de l’ignorance et de l’incompréhension
de la science par le public. Cette incompréhension peut être tolérée dans le cas d’une
relation patient-médecin car au final, le patient espère un bénéfice sur sa santé. Par contre,
les sociétés ont appris à se méfier également d’une couverture médiatique inexacte ou
incomplète qui pourrait être contrôlée par les politiques ou un pouvoir économique
quelconque. Ainsi ces dernières années, de grands scandales portant sur la santé publique
ont vu le jour en France : les retombées du nuage radioactif de Tchernobyl, la transmission
du sida par des transfusions de sang contaminées, l’usage de l’amiante sans protection…
Mise à part la communication à l’aide des médias de masse qui est largement
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unidirectionnelle, la communication au sens du dialogue permanent entre les scientifiques, le
public et les décideurs est importante. Elle peut être relayée par des associations, des
comités d’examens, des journées portes ouvertes, etc...
Avec la généralisation de la globalisation, il apparaît un monde d’exclus où les revenus de
1% de la population les plus riches sont équivalents à 75% de la population la plus pauvre. Il
s’en suit alors une répartition inégale des coûts et des avantages de la science entre les
différentes sociétés. Petit à petit, il se crée une fracture sociale et géographique que les
Etats ont généralement de cesse de combler en favorisant le développement et
l’approfondissement des savoirs. Mais le volet scientifique reste souvent la dernière priorité
des politiques et ces budgets sont les premiers touchés en cas de crise ou de récession.
Lorsque l’Etat ne favorise plus la recherche publique, le développement technologique est
uniquement supporté par le secteur privé. Les investissements sont limités à une recherche
appliquée directement productrice de biens et seulement accessible aux plus riches. Afin de
favoriser le partage des savoirs pour tous, les organismes internationaux tels que
l’UNESCO peuvent fournir un soutient au développement. En signant avec le Gouvernement
Indien un accord le 14 juillet dernier à New Delhi, l'UNESCO s’est impliqué pour la création
d'un Centre régional de formation et d'enseignement en biotechnologie dans la capitale ; un
exemple d’investissement important portant sur le développement technologique, la
diffusion, la transmission et le transfert des résultats au service du progrès humain. En
améliorant la qualité de la vie, le développement technologique apparaît donc comme un
moyen de transformer les rapports entre les hommes. Grâce à la mise en place d’un réseau
de communication (routes, internet…) il peut permettre les échanges entre les individus et
conduire à la démocratisation de sociétés.
2. Controverses sociales et politiques dans l’accès, la disponibilité et l’utilisation publique des
apports et de l’information scientifique ?
Tout comme la richesse, la science est divisée en deux mondes et l’accès aux savoirs est
loin d’être démocratique. Pourtant, d’un bon équilibre entre les sociétés dépend une paix et
une prospérité durable ainsi que la préservation de l’environnement pour les générations
futures. Or le nombre de scientifiques par million d’habitants des pays en voie de
développement est de 10 à 30 fois inférieur à celui des pays développés. Ainsi l’Amérique
Latine et les Caraïbes ont moins de 150 000 chercheurs (3.5% du total mondial) tandis
qu’aux USA ils sont proches du million (près de 25% du total mondial) ! Sous l’impulsion de
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l’ONU et de la Communauté Européenne, les pays développés sont incités à participer à de
nombreux programmes de coopération Nord Sud pour soutenir la science dans les pays en
voie de développement et améliorer le transfert technologique. Si effectivement des routes,
des ponts et des puits sont des réalisations d’infrastructures bien conçues, elles n’en restent
pas moins souvent inadaptées aux contraintes géographiques et humaines (cyclones,
pollution des sols et de la nappe phréatique, guerres tribales…). Apparaît alors toute la
brutalité du monde occidental à vouloir imposer ses propres normes aux pays en voie de
développement. Exiger des laboratoires du Sud qu’ils travaillent dans le respect des normes
ISO 9002 est parfois irréalisable lorsque l’accès courant à l’eau et l’électricité ne peut être
assuré, lorsque les réfrigérateurs ou congélateurs manquent. Les pays occidentaux
participent également à l’effort de développement technologique en offrant du matériel de
pointe aux pays du Sud mais ils oublient bien souvent la difficulté qu’ont ces pays à obtenir
les consommables nécessaires au bon fonctionnement de ces appareils comme de l’huile,
des gaz... Ils souffrent également d’une « fuite de cerveaux » par le pillage des élites attirés
par des sociétés plus fortes qui offrent des conditions de travail et une situation sociale
beaucoup plus attractives. Dans ces pays, les conventions de coopération se limitent
souvent à l’octroi de bourses d’études dont les projets ne sont pas forcement ne adéquation
avec les priorités nationales ce qui entraîne l’isolement de scientifiques ainsi formé. Depuis
quelques années toutefois, une recherche pour le développement se met en place avec la
mise en lumière des savoirs traditionnels et une formation sur place des élites du Sud plus
en phase avec les besoins du pays.
L’idée que la science est neutre, que les savoirs appartiennent à l’humanité et que le
développement technologique qui en résulte ne doit pas être soumis à la politique est une
position utopique. En permanence des choix politique se décident à l’échelle des Etats de
manière très « nombriliste » soit au nom d’enjeux économiques présentés comme
indiscutable soit au nom de l’urgence. Le développement technologique est investi d’une
sorte de mission : asseoir la supériorité scientifique, économique et politique du pays,
garantir la paix sociale intérieure. Si par ailleurs il aide à la conservation de l’environnement
cet argument est mis en avant mais est-ce bien une réelle priorité ? Ainsi lorsqu’il s’agit de
garantir un pouvoir politique ou économique, les grandes questions liées aux problèmes de
l’humanité ne sont guère prises en compte. Quant est il de la diminution des gaz à effet de
serre afin d’anticiper les changements climatiques futurs, du développement des énergies
renouvelables (solaire, éolien…) face à l’épuisement des matières premières comme le
pétrole, des troubles sociaux engendré par des politiques agricoles inadaptées, etc…Au
niveau international, des problèmes se posent également quant à neutralité des experts. Il
arrive malheureusement que des articles scientifiques soient rejetés pour éviter de
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68Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
disqualifier d’autres recherches conduites par une équipe concurrente. Le scientifique
nommé en tant qu’expert pour un projet d’appel d’offre peut être placé en porte à faux
lorsque ce projet se trouve en concurrence avec ceux qu’il développe en partenariat avec
des entreprises.
3. Commercialisation des connaissances scientifiques, la science est elle un bien public ou
un bien commercial ?
La production des connaissances scientifiques et technologiques, dans le cadre de la
recherche fondamentale et de la recherche orientée vers des applications, est une activité
aujourd’hui en pleine évolution.
Le modèle occidental d’organisation de la science qui semble être progressivement
abandonné est connu. Il accordait partout une place forte à la recherche publique - place
légitimée par le fameux contrat social, qui assurait le financement public de la science en
échange de la contribution de cette dernière à l’amélioration de la richesse, de la santé et de
la sécurité des états. La privatisation accélérée des économies se manifeste en particulier
par la multiplication des droits privés sur toutes les connaissances scientifiques. La tendance
à la privatisation générale de la connaissance s’exprime non seulement par une prolifération
de brevets sur les résultats de recherche mais aussi par la montée des droits d’exclusivité
sur les produits issus du développement technologique sur les instruments, les matériaux de
recherche, les bases de données. Dans bien des cas, l’établissement de droits de propriété
intellectuelle fortifie les incitations privées, permet l’engagement de ressources privées très
importantes et améliore donc les conditions de la commercialisation des inventions. Par
exemple, actuellement de gros efforts sont entrepris par les constructeurs automobiles pour
améliorer la sécurité des véhicules, réduire leur consommation et trouver des solutions
alternatives au pétrole. Mais cela devient préoccupant lorsqu’il y a excès de droit privatifs.
Derrière cette évolution se profile un remodelage des rapports de force entre Etats
(exportateurs ou importateurs nets de productions intellectuelles) et entre groupes sociaux
aux intérêts divergents (actionnaires d’entreprises, enseignants, éducateurs, chercheurs
scientifiques, utilisateurs). Dans un monde où la science reste une prérogative de pays
riches pendant que les pauvres continuent de mourir, nul doute que les raffinements de la
propriété intellectuelle paraissent moins convaincants que les réalités sociales. Les
entreprises transnationales et les institutions des pays riches brevettent tout ce qui est
possible, du génome humain aux plantes subtropicales, commettant un véritable hold-up sur
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69Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
le bien commun de l’humanité. Garantir la protection d’un « domaine public » mondial de
l’information et de la connaissance est un aspect important de la défense de l’intérêt général.
Les marchés internationaux tirent d’ailleurs avantage des « biens publics mondiaux » mais
malheureusement, il n’entre pas dans ses fonctions de contribuer directement à la promotion
et à la défense de ce domaine public.
Le renforcement du principe de production collective permet de reconstruire l’articulation
entre recherche privée et recherche publique, notamment dans la perspective des liens entre
science et industrie et dans celle de la coordination des politiques entre le Nord et le Sud.
C’est cette tendance et les politiques qui la suscitent et l’accompagnent qui doivent
permettre d’éviter un modèle de marché, fondé sur des relations d’exclusivité entre firmes et
laboratoires; qui doit permettre aussi d’éviter un modèle où la recherche publique ne "fait pas
assez attention à l’industrie".
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70Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
Éthique et science dans la globalisation
C’est le titre du colloque qui s’est tenu à Mexico les 24 et 25 octobre 2006, co-organisé par
l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM), l’Académie Mexicaine des Sciences (AMC) et
l’IRD par sa représentation au Mexique et son Comité consultatif de déontologie et d’éthique (CCDE).
Organisé à l’initiative de Rafael Loyola Diaz, sociologue, chercheur à l’UNAM et membre du CCDE, et
à la demande des partenaires mexicains, ce colloque avait pour but de faire émerger les questions
éthiques, susciter l’intérêt des scientifiques et des étudiants pour ces questions et, à terme, inciter à la
création d’un comité dans le pays. Il a réuni sur deux jours 40 intervenants et environ 150 participants
dont 50 étudiants, 63 chercheurs et 25 universitaires. Partant du contexte mexicain, la richesse des
échanges a permis, à partir d’exemples concrets comme l’expérimentation sur l’Homme, la protection
de la biodiversité ou la recherche sur les OGM, une réflexion de portée générale qui aboutira à une
publication d’une grande utilité pour tous.
Ce dialogue des cultures entre le Mexique et la France concernant les questions d’éthique était une
première, saluée par les intervenants, le public et la grande presse mexicaine. Son importance
particulière au moment où nous vivons une transformation des systèmes de valeurs, dans le cadre de
la mondialisation, a été soulignée à plusieurs reprises.
L’éthique et la science
Les participants mexicains ont attentivement examiné et exposé les cas de fraude scientifique, liés à
l’organisation actuelle de la recherche et de la diffusion des connaissances, aux enjeux de pouvoir
des développements technologiques. L’attention de tous s’est portée sur les conflits de valeurs qui
surgissent ici et là.
La liste est longue des situations dans lesquelles la réflexion éthique doit occuper une place
primordiale. Pourtant on ne parle d’éthique qu’en périodes de crises et rarement dans le cadre de la
formation ; le système d’évaluation des publications ne prend pas suffisamment en compte la
dimension éthique de la recherche ; la diffusion des résultats ne permet pas autant qu’il le faudrait la
participation active et critique du public.
La globalisation, changement de contexte
Toutes les interventions ont souligné qu’avec la mondialisation, les contextes de la recherche
deviennent plus complexes. La science n’est, de toute évidence, plus uniquement inspirée, si elle l’a
jamais été, par la simple curiosité et le désir de repousser les limites du connu. La demande sociale
joue un rôle majeur pour abréger le temps qui sépare l’obtention des résultats de leur mise en
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71Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
application. Les pressions des marchés sont plus importantes, les tensions plus fortes, les conflits
d’intérêts exacerbés. On s’est longuement interrogé sur les entorses à l’éthique qui s’ensuivent et les
conséquences qu’elles peuvent avoir, en particulier sur les populations les plus démunies.
Quelques recommandations
Parce que l’éthique ne peut pas être injectée comme un vaccin disait Jaime Uribe, Directeur général
de Probiomed, lors de son intervention, la première recommandation consiste à intégrer ou renforcer
la formation à la réflexion éthique dès l’école.
La science étant considérée comme inhérente à la culture, l’alphabétisation scientifique de la société
est à repenser pour que les nouvelles connaissances soient comprises dans le contexte de leur
production, que les risques potentiels de leurs applications soient expliqués et les incertitudes
scientifiques identifiées et reconnues. Un consensus s’est dégagé pour affirmer qu’il faut tout mettre
en œuvre pour que la société puisse participer activement à un débat qui engage l’avenir de tous.
L’évaluation, elle aussi à réinventer, doit inclure dans son processus un rôle participatif des
composantes sociales.
Les participants mexicains ont conclu le colloque par un appel à la création d’un Comité national
d’éthique, inspiré par le fonctionnement du CCDE. Plus généralement, les participants ont souligné
que la création de comités d’éthique, là où ils font encore défaut, s’avère indispensable pour mettre en
accord les principes avec les réalités locales, permettre une discussion large, propice à la résolution
des dilemmes et conflits d’intérêts, et ouvrir vers la nécessaire complémentarité Sud-Nord.
Au terme de ce colloque, était ainsi explicité l’effort collectif à entreprendre, dont Dominique
Lecourt, Président du CCDE, indiquait dans sa conférence introductive que, seule peut le susciter et
l’entretenir concrètement, au niveau des Etats et des instances internationales, une politique habitée
par une conception de l’homme qui s’attache à déchiffrer en lui et à mettre en valeur la présence de
l’universel dans le particulier.
Cet effort ne saurait être cependant couronné de succès que si se cultive et se développe dans nos
sociétés ce que j’appelle “ l’esprit éthique ”, avait-il conclu en se référant au guide des bonnes
pratiques de l’IRD.
IRD CCDE
72Séminaire " Éthique et science dans la globalisation" Mexico 24-25 octobre 2006
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