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Université Nancy 2

Année universitaire 2008/2009

NINJA FLICHTY

Evolution de la représentation du ninja dans l'inconscient collectif

Une histoire du ninja au cinéma

Mémoire en Cinéma et Audiovisuel

Directeur de recherche : Monsieur Laurent Ninja

Septembre 2009

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Evolution de la représentation du ninja dans l'inconscient collectif

Une histoire du ninja au cinéma

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AVANT-PROPOS

Etant donné l'importance allouée au Japon au sein de ce mémoire, un certain nombre

de choix linguistiques et pragmatiques ont dû être fait pour garder une cohérence globale et

faciliter la lisibilité. Ainsi, il a été décidé de conserver l'absence de plurialité des noms

dans la langue japonaise et par conséquence de ne pas en franciser les termes utilisés,

«samouraï» ne prenant par exemple pas de «s» au pluriel. Par contre, les personnalités

japonaises verront leur nom écrit de façon occidentale, le prénom précédent le nom, et non

pas l'inverse comme le voudrait la règle au Japon.

La plupart des films japonais évoqués au fil des pages n'ont jamais été distribués en

France et seront nommés par leur titre dit «international», impliquant une exploitation dans

des pays de langue anglo-saxonne, au cinéma ou en vidéo. Quelques exceptions néanmoins

lorsque le titre original est nécessaire à une explication bien précise et appuie le propos.

Dans ce cas, il sera bien évidemment traduit en français. Il en est de même pour tout film

de langue autre qu'anglaise. Dans le cas du cinéma américain, le titre conservé sera celui

sous lequel le film est communément connu, qu'il ait été retitré en France ou pas. Ceci afin

d'éviter toute méprise pouvant conduire à une incompréhension. Exemple : Nine Deaths of

the Ninja et American Ninja sont tout deux sortis la même années aux Etats-Unis, leur

exploitation en France a amené à adapter les titres, le premier devenant American Ninja et

le second American Warrior, menant parfois à une confusion entre les deux films. On ne

vit que Deux Fois sera par contre cité sous son titre français au vu de la notoriété de la série

des James Bond en général.

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INTRODUCTION

L'influence du cinéma asiatique en Occident n'a jamais été aussi prégnante que

depuis la fin du siècle dernier. Si le cinéphile averti s'y intéresse depuis plusieurs

décennies, des films comme Matrix et Tigre et Dragon ont définitivement marqué de leur

empreinte tout un pan de la culture populaire américaine et européenne. Le premier par ses

références et ses emprunts stylistiques, le second par son idéologie zen à laquelle est

souvent rattachée la culture chinoise auprès du grand public et aussi par une distribution

internationale plus que conséquente. En plus du cinéma, ce sont aussi les clips musicaux et

la publicité qui utilisent l'imagerie popularisée par les deux films, comme par exemple les

combats câblés et aériens, devenue à présent un lieu commun aussi usé que les gros plans

sur les yeux et les mains lorsqu'il s'agit de mettre en scène un duel de western lorgnant sur

le cinéma italien. A chaque époque son engouement vis-à-vis du continent asiatique, les

années 70 avaient Bruce Lee, aujourd'hui c'est Bollywood qui monopolise l'attention. Les

chansons des comédies musicales indiennes passent en fond sonore des émissions

télévisées, les chorégraphies sont récupérées à des fins commerciales au sein de publicité

n'entretenant parfois qu'un lointain rapport avec l'imagerie indienne et de plus en plus de

films bollywoodiens sont distribués dans les cinémas hexagonaux. Le succès récent de

Slumdog Millionnaire, bien que co-production britannique et n'intégrant aucune scène

musicale en dehors du générique de fin, atteste de cet engouement. Les années 80 aussi ont

eu leur icône asiatique en la personne du ninja, source de dizaines et dizaines de films au

succès variable.

Aujourd'hui, le ninja est quasi-absent au cinéma et il n'en reste qu'un vague pantin

affublé de noir doué au combat, que ce soit du ninjutsu, du karate ou du taekwondo, peu

importe. Et pourtant, même la personne la moins intéressée par le domaine des arts

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martiaux est capable d'accoler un visuel au nom de l'espion à l'origine japonais, aussi

erroné soit-il. Façonnée par la culture populaire au fil des ans, cette image du ninja est à

présent ancrée dans l'inconscient collectif qui est, selon une des définitions faites par Jung,

«le dépôt constitué par toute l'expérience ancestrale depuis des millions d'années, l'écho

des événements de la préhistoire, et chaque siècle y ajoute une quantité infinitésimale de

variation et de différenciation.1», . Dans le cas du ninja, le personnage aura déjà subi un

grand nombre de variations et se sera relativement éloigné du mythe originel lorsqu'il sera

récupéré par le cinéma. Pourtant ce dernier en modifiera encore plus la représentation au

point d'en effacer sa véritable identité.

Dans les chapitres suivants, nous verrons dans un premier temps comment le ninja

est perçu dans son propre pays, puis dans un second temps, par quels procédés une figure

historique typiquement nippone s'est progressivement vue exploitée par une culture dont

elle ne fait pas partie. Le premier chapitre retracera l'histoire du personnage, le deuxième

sa progressive popularisation au cinéma et le troisième chapitre s'intéressera aux

mécanismes ayant mené au ninja tel qu'il est connu aujourd'hui.

1 JUNG, Carl Gustav, L'homme et ses symboles, Paris, Robert Laffont, 1964, p. 67

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SOMMAIRE

AVANT-PROPOS............................................................................................................... 4INTRODUCTION............................................................................................................... 5

CHAPITRE 1CONTEXTUALISATION DE LA FIGURE DU NINJA AU SEIN DE LA CULTURE JAPONAISE......................................................................................................................... 9

1.1 Une histoire à peu près objective du ninja.................................................................... 10 1.1.1 Origines et premières apparitions...................................................................... 10 1.1.2. Une figure incontournable de l'histoire japonaise............................................. 12 1.1.3 Quand la réalité historique se heurte au cinéma................................................ 14

1.2 Une figure historique façonnée par les arts et légendes............................................... 17 1.2.1 Contes et légendes............................................................................................. 17 1.2.2 Art pictural et théâtre kabuki............................................................................. 22

CHAPITRE 2POPULARISATION DU NINJA AU CINÉMA............................................................ 29

2.1 L'âge d'or du ninja au Japon......................................................................................... 30 2.1.1 Mise en parallèle de l'évolution de ninja avec l'histoire du chambara............... 30 2.1.2 Des studios aux spécialités bien définies........................................................... 35 2.1.3 Au coeur du ninjutsu : Shinobi no Mono........................................................... 39

2.2 Internationalisation du ninja......................................................................................... 46 2.2.1 On ne vit que deux fois : la rencontre de deux icônes populaires...................... 46 2.2.2 Les années 70 : une époque de transition........................................................... 50

CHAPITRE 3EXPLOITATION ET DÉGÉNÉRESCENCE D'UN MYTHE..................................... 55

3.1 Une mutation vers le point de non-retour...................................................................... 56 3.1.1 Menahem Golan et la Cannon : l'explosion du ninja aux Etats-Unis.................. 56 3.1.2 Le retour du héros pour enfants........................................................................... 64

3.2 Sur le devant du marché de la vidéo : la fin d'un mythe............................................... 66 3.2.1 Hong Kong, terre d'exploitation.......................................................................... 66 3.2.2 De la VHS au DVD : survie en eaux troubles..................................................... 77

CONCLUSION.................................................................................................................. 80BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................ 82FILMOGRAPHIE............................................................................................................. 84ANNEXE............................................................................................................................ 86 Table des périodes de l'histoire du Japon (de -300 avant JC à nos jours).................... 87INDEX................................................................................................................................ 88

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CHAPITRE 1CONTEXTUALISATION DE LA FIGURE DU NINJA AU

SEIN DE LA CULTURE JAPONAISE

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1.1 Une histoire à peu près objective du ninja

1.1.1 Origines et premières apparitions

De par sa fonction d'espion et par extension d'homme de l'ombre, le ninja est un

personnage souvent absent des grands récits historiques parsemant l'histoire du Japon. Cela

pourrait revenir à dire qu'il a donc efficacement joué son rôle lors des diverses missions qui

lui ont été attribuées. Mais c'est surtout parce que jusqu'au XVIème siècle, les récits de

guerre étaient destinés à un public aristocratique, préférant écouter des faits basés sur des

valeurs telles que bravoure, héroïsme et fidélité à un Seigneur plutôt que de vils actes

indignes d'un samouraï voire d'un homme. Malgré tout, quelques livres sont là pour conter

et raconter certains faits d'armes et anecdotes permettant de replacer ce personnage durant

le second millénaire. Ceux-ci ont ont tendance à romancer ces histoires afin de lui accoler

une image d'homme mystérieux et implacable, image qui va perdurer jusqu'à nos jours. La

difficulté devient dès lors de démêler le vrai du faux.

Si l'on doir chercher une origine à la fonction même d'espion en extrême-orient,

avant même de parler de ninja, il faut se tourner vers L'art de la Guerre écrit par Sun Tzu

en Chine quelques 400 années avant Jésus-Christ. Dans ce livre restée comme une des

références au sujet de la stratérie guerrière et militaire, on y évoque pour la première fois

certaines missions qui seront le quotidien des ninjas plus de mille ans après, telles que

créer la discorde dans le camp ennemi, l'affaiblir ou encore s'infiltrer pour obtenir des

informations2. Un exemple nous indique que l'enseignement de Sun Tzu était parvenu au

Japon lors que Kibi Makibi visita la Chine au VIIIème siècle en tant qu'ambassadeur et

ramena plusieurs textes dont l'Art de la Guerre3. Mais rien ne prouve que ce type d'activité

n'avait pas déjà été développé au Japon auparavant, la figure même de ninja étant tout à

fait unique.

Il est difficile de donner une date exacte de l'apparition des ninja car il s'agit d'une

évolution progressive. Les ninja étaient à l'origine des troupes de guerriers comparables à

des milices, formées entre le VIIIème et le IXème siècle par les immigrés chinois et

2 TURNBULL, Stephen, Ninja, The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, Poole, Firebird Books, 1991, p. 12

3 Ibid p. 12

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coréens, et les rônins4 qui se sont réfugiés dans les provinces d'Iga et de Koga5. Le but de

ces milices, dans ces contrées sauvages entourées de montagnes sans grand intérêt

économique pour les seigneurs voisins, était la défense de la province. C'est dans les

gunkimono, fameux récits relatant les supposés actes actes héroïques des samouraïs du

10ème au 12ème siècle dans un style similaire à l'Illiade d'Homère, que l'on peut trouver

les premières histoires relatant des faits se rapprochant de la future ''activité'' ninja. Le

Shomonki, premier gunkimono connu, évoque ainsi l'utilisation d'un agent secret tandis que

que le Heike Monogatari indique deux exemples de tromperie et infiltration ayant eu lieu à

la fin du XIIème siècle lors de la guerre de Gempei qui a vu deux clans se disputer le trône

impérial6. Ce sera la principale cause des très nombreuses guerres civiles ayant vu jour

dans les siècles qui suivirent. Il est à noter que le terme ninja n'est que très rarement utilisé

dans ces livres, on lui préfère ceux de rappa, kusa ou encore le plus fréquemment utilisé,

encore de nos jours, shinobi. La fin de la Guerre de Gempei démarre l'époque des Shogun7

et relègue l'empereur et sa cour au second plan. Chaque seigneur de la moindre province,

aussi petite soit-elle, ayant pour désir d'accéder au titre de Shogun, on va voir apparaître de

nombreux assassinats ayant pour but de semer la discorde.

C'est au 14ème siècle qu'apparaissent les premiers exemples de guerre basée sur les

attaques surprises, opérations nocturnes et l'art de la tromperie. Un gunkimono, le Taiheiki,

relate ainsi diverses stratégies menée par le général samouraï Masashige Kusonoki8 (1294-

1336), dont une opération d'infiltration, mais ce mélange d'histoire et de romance ne lui

permet pas, tout comme les livres précédemment cités, d'être considéré comme une source

historique exacte. Il donne cependant un bon aperçu des valeurs tenues par les samouraï à

l'époque. Il est également à noter que si les campagnes et raids du général Kusonoki étaient

menés par des soldats normaux agissant de façon irrégulière, il n'y a aucune preuve qu'ils

formaient une unité ninja, au sens d'une formation spécialisée dans ce type d'action. C'est à

partir du siècle suivant que le ninja deviendra indispensable à toute opération militaire,

siège et guerre civile, devenant la figure mystérieuse qui a fait sa renommée dans les

siècles qui suivirent.

4 Samouraï errant et sans maître5 TURNBULL, Stephen, Ninja, The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, Poole, Firebird Books,

1991, p. 296 Ibid p. 187 Dictateur militaire et véritable dirigeant du Japon8 Ibid p. 23

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1.1.2 Une figure incontournable de l'histoire japonaise

Du Xème au XIXème siècle, le Japon était constitué de seigneurs féodaux menant de

main de fer de vastes territoire, la plupart du temps hérités de leurs ancêtres. Appellés

daimyō, ils suivaient le régime instauré par le Shogun. La recrudescence d'activités ninja

est largement dûe à la felûre de l'autorité du shogunat à la fin du 15ème siècle et

l'agrandissement du territoire d'un daimyō aux dépends d'un autre.

Chaque daimyō possédait son unité de ninja. La plupart du temps ils font partie

intégrante de l'armée du daimyō et utilisés comme espions ou comme petits groupes d'une

force d'élite dont le but est de semer le chaos et la confusion dans les rangs ennemis. On a

ainsi l'exemple de sentinelles secrètes se cachant contre les limites du camp ennemi pour

intercepter les cavaliers censés rassembler les informations ou encore le récit d'un ninja

s'infiltrant dans le camp ennemi afin de leur voler leur drapeau et de l'accrocher au sommet

des murailles du château assiégé9. Le ninja peut donc être considéré comme le pion de ce

que l'on appellera plus tard la guerre psychologique.

Nous avons évoqué précédemment les provinces d'Iga et de Koga, deux noms

revenant régulièrement dès lors que l'on parle de ninja. Leurs habitants sont en effet

souvent associés aux diverses activités d'espionnage ayant eu lieu du XVème au XIXème

siècle, ces régions montagneuses étant réputées pour leurs écoles de ninjutsu. La première

référence connue qui associe ninja avec Iga ou Koga se situe dans le supplément du Nochi

Kagami10, les annales du shogunat Muromachi11 (vers la fin du 15ème siècle). On y parle

d'allées et venues au sein de châteaux ennemis sans se faire repérer pour observer et aussi

se faire passer pour des alliés, tout cela restant assez flou. Mais c'est véritablement à partir

de 1562 et la prise du château de Kaminojo par le futur Shogun Ieyasu Tokugawa que l'on

peut trouver quelques une des meilleurs preuves écrites des activités ninja durant le

XVIème siècle. Cette époque sera d'ailleurs la plus souvent visitée par les films mettant en

scène des ninja et produits dans les années 50 à 70. La province d'Iga était en quelque sorte

à l'écart des problèmes du reste du Japon de par la «protection» des montagnes. Les

habitants monayaient leurs talents contre de l'argent et étaient donc perçus comme des

9 TURNBULL, Stephen, Ninja AD 1460 – 1650, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Warrior », 2003, p.1710 TURNBULL, Stephen, Ninja, The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, Poole, Firebird Books,

1991, p. 3711 cf. Annexe p. 83

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mercenaires12. Il émerge de ceci la tradition grandissante pour Iga et Koga de fournir une

forme particulière de service, consistant principalement en une connaissance des

techniques pour entrer dans un château. Tout changea en 1579, quand les hommes d'Iga

furent forcés de combattre pour leur survie sur leur propre territoire lorsque le seigneur

Oda Nobunaga attaque la province dans le but de conquérir la totalité du Japon et

s'octroyer le titre de Shogun. Ceci amène une nouvelle dimension aux talents ninja des

habitants d'Iga puisque maintenant utilisés pour la guérilla et secondés par un efficace

réseau d'intelligence. La province d'Iga sera finalement dévastée en 1581 et toute volonté

d'autonomie matée. Mais cela ne signifia en rien la fin de l'esprit qui l'habitait, la tradition

de guerrier de l'ombre allait continuer à être l'élément principal du pouvoir dans les années

à venir. La destruction d'Iga déclencha la propagation des activités des ninja d'Iga dans les

autres régions du Japon, lorsque les survivants ayant réussis à s'échapper du carnage

allèrent se mettre au service d'autres seigneurs13.

Il a souvent été dit que l'expansion des activités shinobi d'Iga vers le reste du Japon

était liée à cette guerre, mais comme vu précédemment, des ninja avaient été actifs dans

d'autres provinces bien avant 1581 et la plupart des exemples n'ont souvent aucun lien avec

Iga. Il y a cependant un lien très net entre la destruction d'Iga et l'utilisation de ninja d'Iga

par un daimyō.

A la mort de Nobunaga en 1582 c'est un de ses généraux, Hideyoshi Toyotomi, qui

poursuivit ce but de conquête. Il unifia le Japon en 1590 et devint Shogun. Mais accéder à

ce titre en cette période de conflits impliquait de combattre l'ennemi désirant prendre sa

place. Dans le cas présent, il s'agissait de Ieyasu Tokugawa. Après la destruction d'Iga, il

prit 300 ninja à son service et les destitua donc de leur statut de mercenaire14. L'homme

dont le shogunat allait durer jusqu'aux temps modernes eu ainsi la présence d'esprit de non

pas détruire ces corps héréditaires d'assassins mais de les prendre à son service et ainsi

éviter que leur expérience ne tombe entre les mains de potentiels rivaux. Ces hommes

étaient commandés par un des ninja les plus célébres dans l'imagerie populaire et ce

jusqu'aujourd'hui : Hattori Hanzo Masashige (1541-1596)15, issu lui-même d'une fameuse

12 TURNBULL, Stephen, Ninja AD 1460 – 1650, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Warrior », 2003, p. 1913 ZOUGHARI, Kacem, Ninpō : Ninjutsu, l'Ombre de la Lumière, Paris, Guy Trédaniel Éditeur, 2003, p. 8714 TURNBULL, Stephen, Ninja, The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, Poole, Firebird Books,

1991, p. 7815 Ibid p. 79

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famille de ninja d'Iga. Ces ninja se muèrent alors en gardes assurant la sécurité du Shogun

dans le château d'Edo16 et se transformèrent en instrument du pouvoir lorsque Tokugawa

accéda à se titre en 1603.

A partir de là, les opérations de ninja seraient plus théoriques que pratiques ; le

mythe grandissant en même temps qu'il s'écartait de la réalité de par les nombreux récits et

illustrations populaires qui allaient faire le tour du Japon à partir du 17ème siècle.

1.1.3 Quand la réalité historique se heurte au cinéma

Malgré sa propension à montrer le personnage du ninja comme un surhomme

spécialisé dans l'assassinat et parfois affublé de pouvoirs magiques, le cinéma a aussi su,

parfois, en donner une image le plus proche possible de la réalité en se raccordant aux

descriptions faites dans les gunkimono ainsi que dans les livres détaillant les techniques

inhérentes au ninjutsu. Le Japon est en cela le plus à même de nous montrer ce vers quoi

peut tendre un ninja réaliste au cinéma.

Dans la majorité des cas, les chambara17 se déroulent à des périodes historiques bien

définies. Nous avons vu précédemment que c'est au cours du XVIème siècle et de ses

nombreuses guerres civiles dont le but est d'accéder au titre de Shogun que les ninja ont été

le plus actifs. Il est donc logique que ce soit cette époque qui intéresse majoritairement les

chambara mettant en scène ces hommes de l'ombre. Cela implique bien souvent des

intrigues tournant autour des figures historiques connues de cette période. Les noms les

plus fréquemment rencontrés sont les 3 généraux à l'origine des plus grandes batailles

japonaises de la fin du XVIème siècle : Oda Nobunaga, Hideyoshi Toyotomi et Ieyasu

Tokugawa ; mais aussi des figures de ninja s'étant bâti une relative célébrité au cours des

siècles : Ishikawa Goemon ou Hattori Hanzo entre autres, même si la plupart de leurs actes

ont sans doute été romancés pour plaire au plus grand nombre. Le cas d'Ishikawa Goemon

est assez représentatif de l'impact que peuvent avoir de simples historiettes racontées de

villages en village à l'époque sur l'image du personnage qu'elles mettent en valeur en dépit

de toute vraisemblance. Avant de devenir au fil des années et des siècles le ninja de

16 Aujourd'hui Tokyo.17 Films de sabre japonais.

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légende qu'il est maintenant, Goemon était un simple bandit de grand chemin s'attaquant

uniquement aux grosses fortunes de sa province. Quelques actes de bravoure et le principe

de ne jamais s'en prendre aux petites gens en ont fait une sorte de héros au grand coeur

doublé d'un pratiquant de ninjutsu de haut niveau. Le cinéma et la télévision en ont gardé

cette image, celle que tout le monde a en tête encore aujourd'hui au Japon où dans certaines

villes de la privince d'Iga, des défilés sont encore organisés en son honneur18. La saga

Shinobi No Mono19 lui consacre ses trois premiers épisodes, et malgré leur volonté de se

rapprocher le plus possible de la réalité, Goemon y est représenté comme l'élève assidu

d'une école de ninjutsu depuis sa plus tendre enfance, devenant ensuite ninja au compte de

Ieyasu Tokugawa pour assassiner Oda Nobunaga. La fiction a tellement pris le pas sur la

réalité qu'il est difficile de savoir quel détail raconté il y a des siècles est vrai, et lequel est

faux. Il a souvent été dit que Goemon avait péri ébouillanté dans un grand chaudron, une

des nombreuses morts possibles, avec la crucifixion, pour avoir attenté à la vie d'une

personne de la noblesse. Le personnage est mené à la mort à la fin du second film mais s'en

sort indemne pour poursuivre la tâche qui lui a été ordonnée par Tokugawa. Dans

Goemon, sorti au Japon en 2009, le personnage y est représenté comme une sorte de Robin

des Bois nippon virevoltant comme le plus agile des acrobates. Largement influencé par le

monde des jeux vidéos, le film fait le portrait d'un Ishikawa Goemon facétieux et aux

capacités physiques surhumaines. Ces films prennent plus ou moins de libertés par rapport

à une anecdote dont la véracité n'a jamais été prouvée. On atteint là les limites de ce que

peut-être la réalité historique au cinéma lorsque l'histoire elle-même est parsemée de zones

d'ombre. Ce qui contribue évidemment à l'image mystérieuse dont s'affuble le ninja au

cours des siècles.

Certains films mettant en scène des ninja se sont essayés à d'autres périodes

historiques, mais ils restent minoritaires. On citera notamment Bakumatsu de Daisuke Ito,

se déroulant à la période charnière entre l'ère Edo et l'ère Meiji20, où apparaissent en fin de

métrage des ninja au service du Shogun, ou encore le sixième volet de la saga Shinobi no

Mono, réalisé par Kazuo Mori, nous montrant le rôle que peut avoir un ninja ne s'étant pas

mis au service d'un daimyō au milieu du XVIIème siècle. Il est étonnant de constater

qu'aussi fantaisiste soit le film, le contexte historique sera assez souvent détaillé par le biais 18 TURNBULL, Stephen, Ninja, The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, Poole, Firebird Books,

1991, p. 14519 Huit films réalisées entre 1962 et 1966.20 cf. Annexe p. 83

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de cartons ou d'une voix-off. Le fantastique se frotte à l'Histoire sans aucun tabou, chose

rarissime dans le cinéma Occidental.

L'apparence des ninja est un des traits les plus connus du personnage, n'importe qui

pourra affirmer qu'il est vêtu d'un costume noir et d'une cagoule, ou d'une capuche,

masquant la quasi-intégralité de son visage. Il a pourtant été prouvé depuis longtemps que

son costume était bleu foncé, de la couleur du ciel nocturne, le noir étant plus que voyant

dans ce cas précis, ou encore noir teinté de rouge dans un but purement psychologique : si

le ninja était blessé, le sang ne se voyait pas, donnant l'impression qu'aucun mal ne pouvait

lui être fait. En plus d'effrayer l'ennemi ayant, pense t-il, donné le coup fatal, cela a

énormément contribué à renforcer l'image de surhomme accolée au ninja par la suite

puisque lui donnant un simili-pouvoir d'invincibilité. Le cinéma japonais ne s'écartera de la

traditionnelle tenue noire que très rarement, préférant garder la représentation la plus

connue du le grand public. Et lorsqu'un film s'essaye à en modifier la couleur, c'est avant

tout à des fins esthétiques ou purement spectaculaires, le titre préparant d'avance le

spectateur à la modification qui a été opérée. Comme s'il pouvait s'agir d'un choc pour tout

japonais ayant été élevé avec la certitude qu'un ninja doit être vêtu de noir. Ainsi dans The

Red Shadow et Purple Killer, tout deux réalisés durant les années soixante, les deux

principaux protagonistes portent logiquement des tenues rouge et pourpre et apportent aux

films un aspect super-héroïque tout à fait volontaire. Offrant là les premières

représentations de ninja en tant que justicier plusieurs années avant que cela devienne la

norme.

Malgré tout la volonté du monde de s'approcher au plus près de la réalité, le cinéma

populaire se doit de faire des concessions pour conserver son public, venu avant tout pour

se divertir et rêver. Les oeuvres et caractéristiques évoquées ici appartiennent cependant à

la catégorie de films les plus consciencieux au niveau de la véracité historique.

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1.2 Une figure historique façonnée par les arts et légendes

1.2.1 Contes et légendes du folklore japonais

Le lien entre ninja et sorcellerie n'est pas récent, il est le résultat de plusieurs

paramètres s'étant progressivement superposés pour créer le personnage tel qu'on le connait

aujourd'hui : des histoires écrites et orales plus ou moins basées sur des faits réels et y

ajoutant mysticisme et magie, l'association du personnage avec les moines yamabushi et

certains livres contenant des secrets d'école de ninjutsu.

La première histoire qui nous intéresse concerne le Prince Yamato Take, dont

l'existence historique n'est pas avérée et qui aurait vécu au 2ème siècle. Le premier livre

japonais connu, le Kojiki, présenté à la court de l'Empereur en 714, relate les faits

suivants : le Roi Keiko avait ordonné à son plus jeune fils, le Prince Yamato, de massacrer

les brigands qui semaient la terreur sur tout le pays. Ce dernier alla raconter la mission à sa

tante, grande prêtresse des Temples Ise, qui lui donna alors une magnifique robe de soirée

censée lui porter chance dans un avenir proche. Arrivé sur l'île de Kiushiu qui était infestée

de brigands, il décida de l'utiliser et à peine portée, le Prince se tranforma en femme. Ainsi

déguisé, il s'invita dans le château ennemi et fut reçu avec beaucoup d'attention. Assis près

des deux seigneurs régnant sur l'île, il les laissa se saoûler et profita de leur ivresse pour les

poignarder. Nous avons là un parfait exemple d'infiltration mêlant magie et déguisement

pour arriver à un but précis : assassiner l'ennemi. C'est pour cette raison que le Prince

Yamato peut être considéré comme un exemple de proto-ninja, près de 1000 ans avant que

les premiers ne fassent parler d'eux.21

Une seconde histoire a énormément influencé les croyances populaires aux sujets des

pouvoirs dont disposaient soit-disant les ninja ; celle de Jiraiya22, personnage d'un célèbre

conte populaire au Japon : Jiraiya Goketsu Monogatari23, ninja capable de se transformer

en crapaud à l'aide de magie. Racontée à plusieurs mains dans près de 43 volumes, elle

nourrit l'imagination des lecteurs de 1839 à 1868. Jiraiya était le souverain d'un puissant

clan situé à Kyushu. Quand son clan tomba en ruine, il alla dans la province d'Echigo pour

21 DAVIS, F. Hadland, Myths and Legends of Japan, London, Dover Publications, 1992, p. 51-5322 Trad. «Jeune tonnerre»23 Trad. «le conte du galant Jiraiya»

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se muer en brigand et devint progressivement le chef d'une bande de voleurs

chevaleresques. Il fut initié à la magie par un immortel habitant sur le Mont Myoko. Il

rencontra ensuite une jeune femme nommée Tsurade, capable de se changer en escargot, et

se maria avec elle. Un de ses fidèles lieutenant, Yashagoro, fut vaincu lors d'un combat par

le sortilège d'un serpent. Mais au lieu de le tuer, le sort le rendit plus puissant, à tel point

qu'il était à présent capable de se transformer en serpent. Il prit le nom d'Orochimaru et

investi de son nouveau pouvoir, décida d'attaquer Jiraiya. Aidé de sa femme, le combat fut

acharné mais ils s'évanouirent après avoir été infecté par le venin d'Orochimaru.

Heureusement, un autre de ses fidèles, à qui Jiraiya avait sauvé la vie, vint à leur secours.24

C'est ainsi et abruptement que se termine le conte. Une histoire d'être humain se

muant en animal n'a rien d'extraordinaire au Japon, après tout se transformer en crapaud,

en oiseau, en araignée ou en escargot sont les principaux pouvoirs des thaumaturges dans

la culture nippone. La principale nouveauté vient du fait que le personnage principal est un

ninja, et cela suffit à rajouter une corde à l'arc de l”homme en noir au sein de l'inconscient

collectif. Un personnage comme Orochimaru est par exemple aujourd'hui célèbre auprès

d'une certaine tranche d'âge de par sa présence récurrente dans le manga Naruto, créé en

1999, et son adaptation en dessin animé à partir de 2002. De même, Jiraiya sera le

protagoniste d'un grand nombre de pièces kabuki et de films muets. Au delà de ces

légendes, le personnage se nourrit de rumeurs et histoires insolites ayant parsemés le

second millénaire. Ainsi, l'assassinat ninja le plus connu de l'histoire du Japon est apparu

dans Asian Fighting Arts de Donn Draeger en 1969 mais sans référence aucune25. Tous les

livres ressassant l'anecdote ensuite prennent ce livre comme référence. Stephen Turnbull,

dans son ouvrage Ninja – The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, nous dit que

l'histoire est aussi possiblement racontée dans un journal d'arts martiaux publié en anglais

et en français au début des années 5026. Mais rien ne prouve que ce soit authentique.

Cet assassinat concerne Kenshin Uesugi, seigneur de guerre devenu célèbre pour ses

prouesses sur les champs de bataille, et comment il aurait été assassiné en 1578 dans ses

toilettes par un ninja s'étant enfermé dans la fosse sceptique située dessous et qui aurait

planté une lance ou une épée dans l'anus d'Uesugi au moment crucial. Celui-ci mourut

24 DAVIS, F. Hadland, Myths and Legends of Japan, London, Dover Publications, 1992, p. 137-14225 TURNBULL, Stephen, Ninja AD 1460 – 1650, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Warrior », 2003, p. 3226 Ibid p. 54

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19 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

quelques jours plus tard, et il fut suspecté que l'assassin avait été envoyé par Oda

Nobunaga. Les circonstances réelles entourant le décès ont été notées dans un registre et ne

contredisent pas la théorie de l'assassin ninja, car il apparait que Kenshin avait souffert

d'une sorte de malaise, possiblement une crise cardiaque, pendant qu'il était aux toilette.

On peut lire dans ce registre, le Kenshin Guki, «le 9ème jour du 3ème, il eut des maux

d'estomac. Cela persista jusqu'au 13ème jour lorsqu'il mourut». La plus forte preuve

réfutant toute explication autre qu'une mort naturelle vient d'un résumé des mois menant à

la mort d'Uesugi, au sein d'un poème où il racontait que sa vie touchait à sa fin. En d'autres

termes, dans les jours qui précédèrent la catastrophe, il anticipait déjà sa mort et cela ne fut

donc pas une surprise pour lui quand elle arriva. Uesugi était également un très grand

buveur, et durant l'année 1577, un de ses vassaux, Naoe Kanetsagu, confia sa peur quant au

futur de leur daimyō. Naoe avait observé qu'Uesugi semblait de plus en plus malade

chaque jour sans aucune explication de sa part. Il vomissait souvent sa nourriture, and fut

bientôt forcé de se contenter uniquement d'eau chaude. Tous les symptômes pointaient vers

un cancer de l'estomac ou de l'oesophage. La connaissance de sa maladie a bien sûr été

tenue secrète mais il n'est pas impossible que Nobunaga l'eut découvert d'une façon ou

d'une autre. Les vassaux les plus proches d'Uesugi étaient au courant de la tumeur à

l'estomac, une crise soudaine peut donc avoir été reconnue comme une possibilité lors de

son décès27. Si c'est le cas, les ninja de Nobunaga ont peut-être commis le crime parfait.

Cette histoire, et bien d'autres, participent à la fascination pour l'activité la plus connue des

ninja : l'assassinat. C'est aussi celle la plus exagérée par la fiction, qui en a fait l'image du

ninja par excellence : habillé en noir et s'infiltrant dans un château la nuit pour tuer sa

victime à l'aide de poison ou d'un couteau. Il n'est donc pas étonnant que ce soit à la fin du

XVIème siècle qu'apparaissent les premiers écrits relatant des exploits presque

surhumains.

En plus de cela, il faut ajouter la propension à attribuer des talents ninja à des figures

historiques telles que Yoshitsune Minamoto, général samouraï ayant vécu au XIIIème

siècle et Masashige Kusonoki, un des plus grands héros de guerre du XIVème siècle, au

point qu'ils soient crédités d'avoir fondé des écoles de ninjutsu. Le cas similaire le plus

célèbre est celui d'Ishikawa Goemon, bandit de grand chemin transformé en héros ninja,

deux termes incompatibles étant donné la fonction même du ninja, par le biais de contes

27 Ibid p.55

Page 20: Ninja Flichty

20 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

oraux narrant des exploits fictifs de plus en plus disproportionnés. Les plus connus étant

ses tentatives d'assassinats sur Oda Nobunaga. Nous reviendrons sur Goemon

ultérieurement, personnage principal de la saga Shinobi no Mono, oeuvre centrale sur le

sujet, et devenu depuis figure populaire au cinéma comme dans les jeux vidéos.

GYOKUZAN, Okada, «Le brigand Ishikawa Goemon», Ehon Taikō-ki, 1802

Une partie de l'aura mystique qui entoure le ninja est sûrement dûe à son ancestrale

association avec les yamabushi, des moines qui faisaient de longs pélerinages avec pour

croyance qu'après que de telles épreuves combinées avec des prières et une phase d'ascèse,

leur religion se révèlerait à eux en même temps que des pouvoirs supérieurs à l'être humain

ordinaire28. Les provinces d'Iga et Koga étaient des destinations réputées pour les moines

yamabushi de par leur relief montagneux. Si l'on ajoute à cela les rumeurs racontant que les

ninja se déguisaient souvent en moines errants pour passer inaperçu lors de mission

d'infiltration, il est facile de voir comment les pouvoirs magiques attribués aux premiers

dérivèrent en direction des seconds. Un autre facteur menant à cette théorie est encore une

28 ZOUGHARI, Kacem, Ninpō : Ninjutsu, l'Ombre de la Lumière, Paris, Guy Trédaniel Éditeur, 2003, p. 98

Page 21: Ninja Flichty

21 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

fois dû au relief des provinces d'Iga et de Koga: les Tengu. Les Tengu sont des divinités

mineures du folklore japonais, souvent associées au bouddhisme et au shintoisme. On en

distingue de deux sortes : les karasu tengu, à la tête et au bec de corbeau, et le konoha

tengu au long nez caractéristique. Ils sont doués d'anthropomorphisme, ont le pouvoir de se

téléporter et sont connus pour leur aspect moqueur et facétieux29. Censés vivre en

montagne, leur «présence» est donc plus que probable en Iga et Koga. De cette façon se

fait la greffe sur l'image du ninja de toute une tradition japonaise de magie et mysticisme.

Le ninja des mythes populaires auraient donc acquis le pouvoir spirituel des yamabushi et

la joyeuse obstination des tengu. Ajoutons à cela des signes étranges faits avec les doigts

pour hypnotiser ou immobiliser un ennemi, tours de magie les plus connus des ninja. Ces

signes, appellés mudra30, sont en fait liés à la religion bouddhiste et visible sur bon nombre

de statues de Bouddha et d'autres divinités. Progressivement associées à la figure populaire

du ninja, elles ont contribués à façonner l'image de magicien réutilisée ensuite par le

théâtre kabuki.

Précédemment a été évoquée l'attribution souvent fantaisistes de la fondation d'écoles

de ninjutsu à des figures historiques célèbres. Si de telles écoles existaient bel et bien, il en

reste peu de traces écrites aujourd'hui. Il faut attendre le XVIème siècle pour que des

ouvrages sur le sujet voient la lumière du jour. Après la révolte paysanne ayant eut lieu en

1637 et 1638 (aussi connue sous le nom de Rebéllion de Shimabara), la paix régnait enfin

sur le Japon. Les ninja qui ne faisaient pas partie de la garde personnelle du Shogun

n'avaient plus que très peu l'occasion de perpétrer leurs activités. Beaucoup décidèrent de

créer des écoles d'arts martiaux pour enseigner leurs connaissances et perpétuer leur

science du combat. Pour garder la trace d'un enseignement, la meilleure solution est de le

théoriser puis de le coucher sur papier. Chaque école avait son propre livre, regorgeant de

secrets et techniques inhérents à l'art martial pratiqué : le ninjutsu. C'est un des mécanismes

qui contribua à rendre le ninja plus impressionnant de par sa façon de gonfler et d'exagérer

ses divers talents en insistant particulièrement sur leurs capacités martiales. Presque toute

la tradition ninja que l'on retrouve dans l'imagerie populaire dérive des livres contenant ces

secrets d'écoles. Le plus connu étant le Bansen Shukai rédigé par Yosutake Fujibayashi et

contenant de nombreuses illustrations31. On peut entre autres y apprendre comment dire 29 Ibid p. 11230 «gestes faits avec les mains» en sanskrit31 TURNBULL, Stephen, Ninja, The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, Poole, Firebird Books,

1991, p. 100

Page 22: Ninja Flichty

22 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

l'heure de la journée en observant les yeux d'un chat.

YAMAGUCHI, «L'horloge pour chat», Bansen Shūkai, 1676

La popularisation du théâtre et la transmission de mains en mains des illustrations

réalisées par les différents artistes de l'époque vont prendre la relève des contes oraux et

des légendes pour faire évoluer à leur tour le mythe ninja.

1.2.2 Art pictural et théâtre kabuki

L'art pictural, que ce soit la gravure, la peinture ou les illustrations imprimées, et le

théâtre kabuki ont souvent repris à leur compte les descriptions faites des ninja dans les

mythes populaires. L'art pictural s'attardant avant tout sur des hauts-faits historiques ou

diverses saynètes représentant un acte ninja bien précis, et le théâtre kabuki adaptant et

repopularisant des histoires et des légendes qui avaient été oubliées ou laissées de côté.

Ainsi, le personnage s'est construit une identité et une apparence grâces à ces deux arts

indissociables de la culture nippone durant le second millénaire.

L'arrivée de Ieyasu Tokugawa au rang de Shogun apporte au Japon une ère de paix et

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23 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

de prospérité qui se traduit par la perte d'influence de l'aristocratie militaire des daimyō, et

la prospérité grandissante des classes marchandes. Cette évolution sociale et économique

s'accompagne d'un changement des formes artistiques, avec la naissance de l’ukiyo et de

ses estampes peu coûteuses. Jusqu'à l'ère Edo, l'imprimerie est presque entièrement

réservée aux textes bouddhistes. L'ukiyo donne l'opportunité à cette industrie de nourrir un

marché de masse grandissant pour les livres à bas prix sur des thèmes séculaires incluant

énormément d'illustrations32. Il n'y en a pas tant que ça montrant des ninja mais les images

existantes suffisent à tracer le développement de l'image visuelle du ninja parallèlement à

sa transformation dans l'inconscient collectif du personnage vers le surhomme. La première

représentation picturale d'un ninja date de cette époque et nous montre un fait s'étant

déroule vers 1580 : l'embuscade d'un camp ennemi par Fuma Kotaro33, général ninja

célèbre pour sa cruauté. Le ninja y est encore vêtu d'une «simple» armure samouraï, une

personne ne connaissant pas le détail historique de cette représentation pouvant tout à fait

confondre l'un avec l'autre.

Le ninja va conserver son armure, héritage des guerres civiles du XIVème siècle,

jusqu'à la seconde moitié du XVIIIème siècle. C'est un genre d'illustrations bien particulier

qui va commencer à le revêtir de sa fameuse tenue noire pour montrer une autre facette du

personnage, plus violente et menaçante, s'éloignant de l'image jusque là romantique de

l'intelligent magicien ou du brave guerrier escaladant un château durant la nuit présente

dans l'imaginaire pictural du XVIIème siècle. C'est dans les illustrations érotiques, voire

pornographiques, que curieurement peuvent être vues quelques une des meilleures

représentations de ninja. L'art érotique japonais ne montre pas vraiment de nu et se

concentre presque exclusivement sur l'acte sexuel dans de multiples positions ; dans le cas

présent, plusieurs livres, séries et livres d'illustrations montrent des viols ou d'autres

violences sexuelles envers les femmes. L'image du ninja en tant qu'être mystérieux et

démoniaque s'infiltrant dans les maisons la nuit a fourni la base pour bon nombre

d'illustrations représentant le ninja comme un violeur. La plus ancienne d'entre elles, tirée

d'un livre datant de 1770, montre peut-être pour la première fois un ninja revêtant un habit

noir, mais portant toutefois un casque34. Ce type d'ouvrage étant réservé à un certain public,

il faut attendre le début du siècle suivant pour que l'image du ninja en noir soit vraiment 32 TURNBULL, Stephen, Ninja, The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, Poole, Firebird Books,

1991, p. 12133 Ibid p. 4734 Ibid p. 139

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24 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

popularisée par le biais de l'art pictural.

TSUKIOKA, Sahei, «Un ninja séducteur», Ehon Takara-gura, 1770

Un des premiers exemples connus est tiré d'un roman basé sur la vie de Hideyoshi

Toyotomi, écrit par Takenouchi Kakusai et illustré par Gyokusan Okada35. Publié en 1802,

on peut y voir un ninja prénommé Kimura en passe d'infiltrer une forteresse à l'aide d'une

corde et d'un grappin. La scène est sûrement fictionnelle mais la représentation est le

meilleur exemple que l'image du ninja en tant qu'homme en noir était immédiatement

reconnaissable pour les japonais de l'époque. Quelques unes des meilleurs illustrations de

ninja dans la littérature nippone se trouvent dans le Nise Murasaki Inaka Genji, publié

entre 1828 et 1842, et illustré par Utagawa Kunisada, l'une d'entre elles nous montrant un

ninja en noir avec sabre et visage masqué par une cagoule, presque l'image moderne

parfaite36.

OKADA, Gyokuzan, «Attaque d'un château», Ehon Taikō-ki, 1802

35 TURNBULL, Stephen, Ninja, The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, Poole, Firebird Books, 1991, p. 125

36 Ibid p. 126

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25 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

Parallèlement au développement de l'ukiyo et de l'art pictural en général, le théâtre

kabuki s'intéresse lui aussi au ninja, plus exactement à l'aspect magique qui l'entoure et les

différents pouvoirs qu'il possède. La pièce Meiboku Sendai Hagi, à la base écrite pour le

théâtre de marionnettes37 en 1777, parvient à nous donner le meilleur portrait connu du

ninja assassin, empoisonneur et magicien. Le personnage principal y est Nikki Danjō, le

ninja le plus célèbre du répertoire théâtral. On peut l'y voir disparaitre dans un nuage de

fumée pour reprendre forme humaine tel un démon, pour entamer ensuite un mudra avec

ses doigts38. La plupart du temps, cela demandait aux acteurs de faire une pose appelée mie

consistant à se geler de façon rigide pour ressembler à une statue, afin d'insister sur un

moment particulier et en accentuer le sentiment recherché. On peut également voir Danjō

se transformer en rat, grâce à un système de trappe39. Un autre détail montre le rapport

étroit qu'entretenait les différents arts au Japon et leur influence sur les croyances

populaires : un des pouvoirs les plus réputés du ninja est son don pour l'invisibilté ;

souvent repris au théâtre, la mise en scène impliquait de trouver un stratagème pour

représenter ce don au cours d'une pièce, on eut alors l'idée d'habiller le personnage en noir

pour symboliser le fait que les autres acteurs ne pouvaient le voir. Difficile de savoir à

partir de quand exactement cette technique a été utilisée et si elle a été influencée par les

ukiyo ou si ce sont les illustrations qui ont reprises le costume utilisée lors des pièces de

théâtre. Au final, l'image de l'homme en noir est resté définitivement ancré dans la

représentation classique du ninja, que ce soit en littérature, en bande-dessinée ou au

cinéma.

SHUNKOSAI, Hokushu, «Le rat redevient Nikki Danjō», Meiboku Sendai Hagi, 1783

37 Connu au Japon sous le nom de bunraku38 TURNBULL, Stephen, Ninja AD 1460 – 1650, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Warrior », 2003, p. 4739 Ibid p. 48

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26 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

La représentation du personnage va peu évoluer jusqu'à la fin du XXème siècle, les

films et romans traitant du sujet se reposant sur ce qui a été fait durant les siècles passées.

Les rares ouvrages qui vont traiter du sujet seront décortiqués pour extirper de nouvelles

informations sur le ninja permettant de faire évoluer son image. Au point que même les

affirmations les plus fantaisistes vont être prises au sérieux. On doit l'exemple le plus

connu à Masaaki Hatsumi, aujourd'hui dernier grand maître ninja au monde, au sens de

pratiquant du ninjutsu, et le seul à être reconnu par toutes les ligues d'arts martiaux au

Japon40. Hatsumi a écrit en 1964 un livre pour enfants41 pour lequel il a inventé tout un

florilège de machines surréalistes prétendument ninja, tel qu'un «lance-flamme bovin42»,

une vache en bois sur roues et crachant du feu, un sous-marin qu'ils auraient conçu au

XVème ou encore des cerfs-volants portant des hommes43. Evidemment fantaisistes, ces

inventions ont pourtant été reprises ensuite dans des livres de ninjutsu sans que leur

authenticité soit remise en cause. Il n'est pas rare encore aujourd'hui de trouver des textes

récents évoquant le cas du sous-marin ninja avec un sérieux imperturbable.

HATSUMI, Masaaki, «Lance-flamme bovin», Ninja Ninpo Gaho, 1964

Bien éloigné de l'espion gravissant une muraille uniquement équipé d'un grappin, le

ninja est aujourd'hui l'évolution logique de toute l'accumulation de légendes, idées

préconçues et inventions de toutes pièces dont on l'a affublé tout au long de l'histoire du

40 Dr. HATSUMI, Masaaki, L'Essence du Ninjutsu (trad. Française), Noisy-sur-Ecole, Budo Éditions, 2003, p. 112

41 Ninja Ninpo Gaho42 TURNBULL, Stephen, Ninja, The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, Poole, Firebird Books,

1991, p. 10843 Ibid p. 108

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27 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

Japon . Le cinéma reprendra à son compte l'image qu'on lui a laissé à la fin du XIXème

siècle, entre magicien aux extraordinaires pouvoirs et assassin sans remord.

Page 28: Ninja Flichty
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CHAPITRE 2POPULARISATION DU NINJA AU CINÉMA

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30 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

2.1 L'âge d'or du ninja

2.1.1 Mise en parallèle de l'évolution du ninja avec l'histoire du chambara

De l'avènement du cinéma au Japon jusqu'aux années soixante, une bonne moitié de

la production cinematographique est constituée de films historiques – phénomène presque

unique au monde. Si les westerns sont nombreux dans la production américaine, ou les

films d'épée dans le cinéma chinois, ils ne constituent qu'un genre parmi d'autres : ils n'ont

pas été produits par centaines chaque année pendant des décennies. Ces films historiques

sont appellés jidaigeki, Tadao Sato en donne la définition suivante : «ce qu'on appelle un

jidaigeki est un film qui raconte une histoire excluant toute fiction irréaliste et qui restitue

fidèlement l'esprit d'avant 1868.44». Si l'on se tient à cette définition, un jidaigeki est un

film dont l'intrigue sera basée sur des faits historiques reconnus et qui se déroulera

postérieurement à 1868, soit avant le début de l'ère Meiji45. Au sein de cette catégorie ce

situe un sous-genre bien particulier : le chambara. Celui-ci met en scène, dans la majorité

des cas, des samouraï, des ronin ou n'importe quel personnage porteur d'une arme et leurs

combats incessants. Jusqu'aux années 70, c'est uniquement dans ce cadre qu'apparaîtront

des ninja dans la production japonaise.

Afin de mieux comprendre ce genre cinématographique et ses thématiques, il

convient de revenir à ce qui en est la plus grande influence. Le kodan est un art oral qui

raconte, avec une intonation et un rythme vifs, des évènements historiques et chante les

exploits de samouraïs loyaux, de gens d'armes célébres, de marginaux défenseurs des

faibles, ou de femmes courageuses, mais sans sortir de la morale féodale. A fin de l'ère

d'Edo46, des voleurs et des voyous contemporains apparaissent parmis les héros du kodan,

et ces histoires de bandits sont montées en spectacle kabuki. Ce dernier ainsi que le kodan

ou encore les spectacles de marionnettes sont montrés dans les yose, des petites salles

populaires destinées au divertissement. Il faut attendre la fin du XIXème siècle pour que

les kodan soits sténographiés et reproduits. Ils occupent alors une place dominante parmi

les publications destinées au grand public.

44 SATO, Tadao, Le Cinéma Japonais – Tome 1 (trad. Française), Paris, Centre Georges Pompidou, coll. « cinéma/pluriel », 1997, p. 226

45 cf. Annexe p.8346 Id.

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31 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

Les premiers films produits au Japon se situent à cette époque de transition entre

l'apogée du yose et la diffusion du kodan imprimé. Entre 1910 et 1930, le scénario de

cinéma s'inspire du kodan, reliquat de l'époque féodale qui continue de plaire à un public

encore très attaché aux idées anciennes. Le kodan comme le kabuki présentent le plus

souvent des fables moralisatrices où les bons finissent immanquablement par triompher des

méchants47, mais en réalité, le spectateur y va pour goûter au charme du mal. Il n'est donc

pas étonnant que cette époque voit naître la première vague de films ayant pour

protagonistes des ninja. Il est aujourd'hui impossible d'en voir la quasi-totalité, une grande

partie du patrimoine cinématographique muet du cinéma japonais ayant

malencontreusement et définitivement disparu. Un des rares films ayant survécu met en

scène la légende de Jiraiya, évoquée précédemment. A la manière de Méliès, le film48

présente le célèbre ninja, joué par Matsunosuke Onoe49, usant de sa magie pour se

transformer en crapaud ou en aigle et ce grâce à de nombreux trucages. Le succès est tel

que d'autres adaptations verront le jour, en 1921 notamment. En dehors de ceci subsiste

uniquement quelques informations et des titres de films comprenant à chaque fois le terme

«ninjutsu». Il faudra attendre les années 50 pour que le personnage retrouve une telle

notoriété.

Entre temps, le kodan disparaît progressivement au profit du roman populaire Si le

premier raconte les exploits des héros de l'époque féodale liés aux valeurs traditionnelles et

mettant en avant la loyauté envers le maître, le second porte sur un sujet similaire un

regard plus critique. Le cinéma basé sur le kodan décline entre les années 20 et 30, sans

toutefois perdre complètement son influence, et se développe en adoptant cette évolution

du kodan vers le roman populaire50. Le chambara va se mettre à raconter des histoires plus

ambigûes, où la loyauté des samouraï sera remise en question. Le personnage du ninja y

trouvera progressivement sa place de par sa morale totalement à l'opposé de celle des

samouraï.

47 SATO, Tadao, Le Cinéma Japonais – Tome 1 (trad. Française), Paris, Centre Georges Pompidou, coll. « cinéma/pluriel », 1997, p. 19

48 Jiraiya Oteru de Shozo Makino, 191449 Un des plus célèbres acteurs japonais de l'ère du cinéma muet avec près de 1000 films tournés en moins

de 20 ans.50 Ibid. p. 93

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32 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

Même si les adultes l'apprécient, ce sont surtout les enfants qui aiment le jidaigeki.

Car il s'agit avant tout de films d'action amusants et faciles à comprendre, où les bons

affrontent les méchants. Les bons sont toujours des partisans de l'Empereur, des samouraï

qui combattent ses ennemis, ou des personnages nobles et forts qui prennent la défense des

faibles. Les méchants qu'ils pourfendent sont des traîtres à la solde du shogunat, des

scélérats ou encore des yakuzas qui s'en prennent aux faibles. Parmi tous ces personnages,

le ninja, par son côté fourbe, imprévisible et faisant fi de toute morale pour arriver ses fins,

tire son épingle du jeu et a tout pour attirer un public plus adulte dans les salles. Il faut

cependant rappeller que durant la seconde guerre mondiale, le gouvernement exige du

peuple qu'il bannisse tout amusement de sa vie quotidienne, encourageant des films

historiques rigoureux et vantant les mérites du patriotisme, avec l'idée qu'une réflexion

sérieuse sur l'Histoire renforce le nationalisme51. Cela a surtout pour conséquence de

drainer le grand public vers des chambara plus rocambolesques. Le héros de jidaigeki le

plus célèbre pendant la guerre est Miyamoto Musashi, le plus grand maître de sabre de

l'Histoire du Japon. Les spectateurs sont comblés par les combats et le souffle aventureux

qui se dégage de ces films. Musashi étant le symbole de la grandeur d'âme et de

l'honnêteté, il est compréhensible qu'il n'y ait pas la place pour un personneage comme le

ninja à cette époque.

Il faut attendre la fin des années cinquantes pour voir apparaître une nouvelle vague

de films centrés sur la figure du ninja. En grande partie grâce à la popularité grandissante

qu'il acquiert au travers d'un manga comme Ninja Bugeicho, illustré et scénarisé par

Shirato Sanpei, un des auteurs les plus connus de l'époque. Ces histoires étant destinées

avant tout à un public jeune, la représentation cinématographique du personnage est donc

logiquement formatée pour plaire à la même tranche d'âge ; celle du magicien doté de

pouvoirs surnaturels est privilégiée à l'homme cagoulé officiant dans l'ombre. Ainsi, en

1957, dans Torawakamaru de Tadashi Sawashima, le protagoniste principal qui donne son

titre au film est un ninja capable de voir à de très lointaines distances, contrôler certains

objets et individus ou encore créer des illusions pour leurrer l'adversaire. Un de ses

ennemis souffle des bourrasques de fumée et on retrouve les mudra, ces signes faits avec

les doigts pour exercer des actes de sorcellerie. Les sentiments sont simplistes, manichéens

à l'extrême ; Ishikawa Goemon, ici grand méchant du film, est tué par Torawakamaru après

51 Ibid p. 226

Page 33: Ninja Flichty

33 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

un rude combat où chacun s'est transformé en divers animaux (serpent et crapaud entre

autres, on retrouve ici l'influence de l'histoire de Jiraiya) ; après quoi son fils, plutôt que

d'être rongé par la colère, parle à son père, maintenant au ciel, et lui affirme qu'il sera un

bon et gentil ninja. La présence d'enfants ou de jeunes adolescents dans des rôles plus ou

moins importants permet au jeune public de s'identifier plus facilement. On en retrouve

ainsi dans Kagemaru of the Iga Clan, réalisé en 1963 par Noboru Ono et adapté du manga

éponyme. Le public visé est ouvertement affiché dès le générique de début quand des

dessins se succèdent sur fond d'un choeur d'enfants chantant une ôde à Kagemaru le ninja,

personnage principal du film.

Quand les fleurs bourgeonnent au Printemps, et les feuilles automnales s'évanouissent

Ils dévastent le pays d'IgaLe peuple Koga est impardonnableVoyez la splendeur de mon cheval

Je suis KagemaruKagemaru d'Iga ! He ! Ho !

Cette méthode est fréquemment utilisée dans le cinéma populaire japonais des années

soixantes, des séries de films comme Godzilla ou Gamera l'ont très bien compris, incluant

des enfants dans les rôles principaux et un générique chanté à plusieurs reprises. Dans

Kagemaru of the Iga Clan, nous avons un frère et une soeur dont les rôles pourraient tout à

fait être supprimés du scénario sans que l'histoire s'en voit altérée. Leur présence est

uniquement justifiée par le but d'attirer le jeune public dans les salles. En 1966, Watari, the

Ninja Boy pousse encore plus loin cette recette puisque le rôle titre incombe à un jeune

garçon ninja doué de pouvoirs extraordinaires. Il s'agit là du meilleur exemple de l'époque

quant à l'influence des manga sur un certain cinéma populaire : les armes ont des formes et

des dimensions irréalistes (la hache de Watari est deux fois trop grande pour lui), des

personnages ont la peau bleue, rouge ou verte et des coiffures très stylisées ; le lien

qu'entretient le film avec le mythe du ninja est quasi-inexistant et n'en conserve que les

éléments les plus fantaisistes. Il est d'ailleurs à noter que contrairement à Torawakamaru et

Kagemaru of the Iga Clan, le film ne s'inscrit dans aucun contexte historique précis.

Parallèlement à cette catégorie de films ancrés dans un univers semi-fantastique, des

jidaigeki plus traditionnels proposent une vision cartésienne du personnage. C'est le cas du

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diptyque Ninjutsu réalisé en 1957 et 1958 par Hiroshi Inagaki. On retrouve les artifices

habituels dès qu'il s'agit de caractériser le personnage du ninja, comme les explosions de

fumée, le déguisement de yamabushi ou quelques galipettes surréalistes, obligatoires dans

le souci de présenter un spectacle mouvementé au public, d'autant plus qu'il s'agit là de

deux grosses productions du studio Toho, responsable entre autres de la plupart des films

d'Akira Kurosawa et de la série des Godzilla. Mais ces deux films proposent des choses

relativement nouvelles pour l'époque. Des séquences mettent en avant les talents «réels»

des ninja du 16ème siècle, nous pouvons par exemple voir lors d'une séquence donnée

deux ninja s'infiltrer dans le château d'Edo par les faux plafonds ou encore certains outils et

gadgets qu'ils utilisaient en toute situation (tel qu'un crochet permettant de bloquer les

portes coulissantes et gagner du temps une fois découvert par l'ennemi). La différence se

fait toutefois au niveau des thématiques portées par le film. Jusque là, le ninja était au

cinéma soit un gentil et guilleret magicien prêt à tout pour aider son prochain, soit un

méchant sorcier au service du mal. Nous sommes ici en face d'êtres humains, avec leurs

faiblesses et leur morale. On nous répète à de nombreuses reprises qu'un ninja n'a pas de

coeur, qu'il ne peut avoir de sentiments humains. Le pesronnage incarné par Toshiro

Mifune se voit bannir par son clan après être tombé amoureux, honte suprême pour

quelqu'un de son statut. Il va dès lors haïr les siens et les considérer, il le dit lui-même,

comme des rats. Un autre personnage veut faire la distinction entre le ninjutsu en tant qu'art

martial et l'activité d'espion assassin des ninja en mettant en avant le bushido, soit le code

d'honneur des samouraï. Dans le film, le personnage du ninja est un individu ayant autant

de mal à se situer au sein de la société qu'auprès de ses semblables. Le cinéma va

cependant lui permettre de trouver sa place, moins présent qu'un samouraï mais à la

popularité croissante.

Un virage va être amorcé au début des années soixantes lorsque qu'Akira Kurosawa

réalise Yojimbo en 1961 et Sanjuro et 1962, tout deux avec Toshiro Mifune. Ces deux

films ont un énorme succès et de ce fait vont influencer le jidaigeki. Kurosawa ajoute le

son qu'il suppose être celui des chairs tranchées par la lame d'un sabreS52 ; ce qui ne parait

être qu'un détail insignifiant va avoir des répercussions sur le réalisme sonore des combats,

augmentant l'implication que peut avoir le spectateur devant ces films. Mais c'est

principalement des scènes choquantes par leur cruauté qui apportent un souffle nouveau au

52 SATO, Tadao, Le Cinéma Japonais – Tome 2 (trad. Française), Paris, Centre Georges Pompidou, coll. « cinéma/pluriel », 1997, p. 129

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35 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

genre. Ouvrant aussitôt la voix à la surenchère. Dans Tuer de Kenji Misumi en 1962, on

voit un corps se scinder en deux dans le sens de la longueur avant de s'effondrer sur les

galets d'une rivière au clair de lune. C'est à cette même période que s'amorce le déclin du

jidaigeki. Ceci s'explique par une certaine désaffection du public pour ce genre de film,

entraînant un manque de rentabilité pour des productions aux coûts assez élevés. Avec la

modernisation du pays et son ouverture à l'occident, il semble que les jidaigeki aient été

progressivement relégués au rang du folklore. La surenchère de violence et la production

de chambara de plus en plus sombres et nihilistes sont significatifs de ce dédain, autant

pour la colère qu'ils expriment que par souci de proposer quelque chose de nouveau.

La saga Shinobi No Mono s'inscrit dans cette mouvance. Lorsque le premier volet

sort en 1962, le film surprend par sa noirceau et sa volonté de proposer un univers réaliste,

principalement dans sa description du personnage du ninja. Filmés en noir et blanc, le film

et ses suites s'attachent à restituer fidèlement l'époque à laquelle ils se déroulent, soit entre

1570 et 1651, et à refuser autant que possible tout manichéisme. Dès le premier épisode, on

s'aperçoit qu'aucun camp n'est meilleur que l'autre, être ninja signifie juste en choisir un

pour survivre. Produits entre 1962 et 1966, les huit films que constituent la série auront

tous un grand succès, popularisant le personnage du ninja jusqu'à l'étranger. A la sortie du

huitième et dernier film, l'âge d'or du jidaigeki vit ses dernier soubresauts, l'époque où il

représentait plus de la moitié de la production cinématographique du Japon est terminée.

2.1.2 Des studios aux spécialités bien définies

Jusqu'au années 30, les grandes compagnies, telles que la Nikkatsu, la Shochiku ou la

Shinto disposent en général de studios à Tokyo pour le gendaideki et à Kyoto pour le

jidaigeki. La Daiei, créée en 1942, puis la Toei, fondée en 1951, adoptent le même

fonctionnement. Suivant les compagnies, ou les époques, c'est soit le gendaigeki, soit le

jidaigeki qui domine, sauf quand les 2 genres se développent de manière équivalente,

comme ce fut le cas jusque dans les années 50, les années d'occupation mises à part.53

Depuis le milieu des années cinquantes, six grands studios se dinstinguent du reste de

53 SCHILLING, Mark, No Borders No Limits : Nikkatsu Action Cinema, Godalming, FAB Press, coll. « Cinema Classics », 2007, p. 7

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36 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

l'industrie cinématographique nippone : Toei, Toho, Nikkatsu, Shochiku, Daiei et Shin

Toho. Au Japon encore plus qu'ailleurs, chaque studio à ses genres de prédilection, le

public sachant à l'avance que s'il va voir un film de science-fiction, il y a de très grandes

chances que ce soit une production Toho, et s'il va voir un film d'action avec des armes à

feu, il s'agira certainement d'une production Nikkatsu. Ce principe est on ne plus plus vrai

pour le personnage du ninja dont la représentation varie en fonction du studio qui

l'exploite. Ainsi, les films produits par la Toei seront des chambara hauts en couleurs,

intégrant magie et grande aventure, ceux de la Toho des fresques historiques à gros budget

tandis que la Daiei a fait le choix de produire des chambara plus sombres, violents et

torturés. Ce sont les trois principaux studios à s'intéresser au ninja, cela n'empêchant

nullement les autres de s'y essayer de temps à autres. Le cas de la Toho est singulier

puisque la quasi-intégralité des films de ninja produits par le studio ont été confiés au

même réalisateur, Hiroshi Inagaki, un des pères fondateurs du film de samouraï, et

spécialisé depuis le milieu des années cinquantes dans les grosses productions historiques.

C'est dans ce cadre qu'il réalise entre 1957 et 1964 le diptyque Ninjutsu, Daredevil in the

Castle et Whirlwind, quatre films mettant en scène le ninja dans les rôles principaux et

ayant contribué à définir la nature de ce personnage pour les années soixantes. Il convient

toutefois de s'intéresser à une exception en provenance de la Toho : Warring Clans.

Réalisé par Kihachi Okamoto en 1963, le film s'intéresse peu à la grande Histoire

malgré quelques noms connus cités ci et là. On y suit un «héros» assez particulier, Kittan

Ochi, ninja peu à l'aise avec son travail actuel et préférant fuir loin de son clan plutôt que

de persévérer dans cette voie. Naïf et un peu idiot, il va s'acoquiner avec Harima Doko,

drôle d'individu calculateur avec qui il va vivre quelques aventures. Le film se démarque

par ses personnages farfelus au comportement parfois nonsensique, tant dans leur gestuelle

que dans leurs réactions à diverses situations, et une distanciation ironique vis-à-vis du

genre qu'il visite, aidé en cela par la musique jazzy de Masaru Sato. Le procédé rappelle

d'ailleurs Sanjuro d'Akira Kurosawa dont Sato était déjà le compositeur, l'influence de ce

film étant une fois de plus avérée. Lorsqu'il réalise Warring Clans, Okamoto est un tout

jeune cinéaste, il n'officie à ce poste que depuis 1958, mais possède déjà une patte bien

particulière. Tout comme Masaki Kobayashi, autre grand réalisateur de l'époque, il a été

profondément affecté part les atrocités dont il a été témoin durant la Seconde Guerre

Mondiale. Cela a eu entres autres pour conséquence sur les deux hommes une aversion

Page 37: Ninja Flichty

37 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

pour le militarisme et les traditions samouraïs, deux des éléments qui finirent par mener le

Japon à sa perte durant la campagne du Pacifique54. Mais contrairement à Kobayashi qui

critiquait avec énormément de sérieux la culture martiale dans ses films (la stupidité du

seppuku dans Hara Kiri, la suprématie des daimyō dans Rebellion), Okamoto préfére

l'humour pour pointer l'absurdité de la guerre et de ses lieutenants. Ceci explique le ton

exhubérant du film, qui reste un cas unique dans la production de films de ninja à l'époque,

encore plus au sein des studios de la Toho.

A la Toei et la Daiei, le genre n'atait pas dominé par un ou deux réalisateurs comme

c'était le cas pour Inagaki à la Toho. Un grand nombre de cinéastes ont exploré l'idée de

l'espion féodal, vivant dans l'ombre, entre héroïsme flamboyant et actes innommables.

Dans les années soixante, ces deux studios produisaient des films de ninja l'un après

l'autre, saturant véritablement le marché. La Toei avait le plus large planning de

production, plus de 100 films par an55, la situation financière la plus aisée et l'attitude

commerciale la plus développée. De son côté, la Daiei était plus modeste, limitant son

nombre de projets afin de privilégier la qualité à la quantité en s'appuyant sur des noms

reconnus comme Kenzi Mizoguchi ou Akira Kurosawa. Avec moitié moins de jidaigeki

produits chaque année que la Toei, le studio prenait peu de risques, proposant des oeuvres

solides mais au final peu variées puisqu'expérimentant rarement de nouvellles choses.

Contrairement à la Toei dont le budget était plus conséquent et pouvait se permettre

quelques exhubérances. Ce dernier s'était donc fait la spécialité des films de ninja versant

dans la fantasy, là où pouvoirs magiques et capacités surhumaines sont la norme, tandis

que la Daiei privilégiait l'aspect torturé du personnage. Les choix techniques de chaque

studio vont dans cette direction : effets spéciaux et couleurs flamboyantes pour la Toei,

noir et blanc très contrasté pour la Daiei. Si le public visé n'est clairement pas le même ,

chacun pioche à l'occasion dans les caractéristiques de l'autre pour attirer le plus grand

nombre de spectateurs possibles dans les salles.

A cette époque, les principales compagnies japonaises de cinéma sont encore à la

fois productrices, distributrices et exploitantes. Les années cinquantes constituent ainsi un

âge d'or financier pour les majors qui réalisent des bénéfices quel que soit le film grâce à 54 GALLOWAY, Patrick, Warring Clans, Flashing Blades : A Samurai Film Companion, Berkeley, Stone

Bridge Press, 2009, p. 2755 SALMONSON, Jessica Amanda, « Challenge of the Ninja Films : Which Japanese Studio was best ? »,

Martial Arts Movies Vol. 2, 1982, n°9, p. 34

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38 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

leurs réseaux de distribution très puissants répartis dans tout le Japon56. C'est entre 1955 et

1961 que les six majors atteignent leur pic de production. En principe, ces studios

distribuent deux nouveaux films par semaine, mais il arrive qu'un film soit projeté deux

semaines de suite, si bien qu'en 1960, le maximum est de 547 films57. Cela rend d'autant

plus difficile l'existence des petites productions indépendantes. Nagisa Oshima réalise en

1966 le seul film de ninja connu à être produit par un studio indépendant. Il a pour cela

créé sa propre société, la Sozosha, afin de pouvoir continuer ses activités, les majors

jugeant le réalisateur trop peu rentable. Carnet Secret des Ninja est l'adaptation

cinématographique de Ninja Bugeicho de Sanpei Shirato, manga très populaire au Japon

dans les années 50 et 60. Par manque de moyens, Oshima expérimente et film les dessins

originaux auxquels il ajoute de la musique et des voix pour en faire un film. Le choix de

l'oeuvre est purement arbitraire, l'intérêt réside avant tout dans la technique utilisée, le

cinéaste voyant là un potentiel expérimental tout à fait intéressant. Etonnament, le film, qui

sera distribué par l'Art Theater Guild, spécialisée dans la distribution de films étrangers

mais aussi parfois d'oeuvres japonaises rejetées par les grands studios et qui se lancera dans

la production dès l'année suivante, aura un certain succès.

De son côté, la Shochiku ne fricotera que très peu avec le genre et donnera l'occasion

à Masahiro Shinoda, réputé pour ses films intellectuels, de réaliser Samurai Spy en 1965.

Plus intéressé par la politique que les combats de sabre, Shinoda tisse tout un réseau

d'intrigues aux personnages complexes changeant fréquemment de camp au cours du film.

Tout comme Kihachi Okamato dans Warring Clans, le propos du réalisateur est avant tout

une critique de la guerre. Shinoda refuse les parti-pris de la plupart des jidaigeki où

l'héroïsme n'est pour lui que prétexte à la glorification de la violence. Il explique son choix

de mettre en scène des ninja pour étayer son propos dans une interview réalisée pour le

DVD de Samurai Spy édité par Criterion aux Etats-Unis :

Si vous êtes un ninja, vous pouvez tuer un complet inconnu. Je pense que c'est ce que tuer est réellement. Mais pour moi, les films de sabre devraient le faire avec discrétion. Donc, dans Samurai Spy [...], toutes les morts sont causées par des ninjas et des espions. Les meurtres prennent place là où personne ne peut les voir. C'est ainsi que j'ai créé mon propre style de chambara. Les ninjas ne tuent pas quand ils le

56 SATO, Tadao, Le Cinéma Japonais – Tome 2 (trad. Française), Paris, Centre Georges Pompidou, coll. « cinéma/pluriel », 1997, p. 129

57 Ibid p. 129

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39 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

souhaitent. Ils le font parce qu'on leur en a donné l'ordre.58

Shinoda utilise le personnage du ninja pour illustrer son refus de la violence

exacerbée au cinéma, critiquant ouvertement Kurosa4wa d'avoir lancé cette tendance,

grandement influencé par les westerns américains projetés au Japon après la guerre. Mais

en 1965, le règne du ninja touche presque à sa fin, en même temps que celui du chambara,

remplacé progressivement par le ninkyo eiga59.

2.1.3 Au coeur du ninjutsu : Shinobi no Mono

Adaptée de romans écrits par Tomoyoshi Muramaya et produite par le studio Daiei,

la série de huit films Shinobi no Mono60 s'attache à décrire de la façon la plus réaliste qui

soit, et ce malgré quelques concessions nécessaires à la viabilité commerciale d'une telle

entreprise, la vie des ninjas de 1570 à 1651. Réalisés entre 1962 et 1966, ces films reposent

tous sur une base commune : une image en noir et blanc, un contexte historique très précis,

des acteurs récurrents dont un en particulier, Raizo Ichikawa, interprétant le personnage

principal de chaque film, une volonté de montrer les différentes facettes du ninjutsu, des

accessoires aux préparations chimiques, et un refus systématique de tout manichéisme.

La série61 se structure de la façon suivante :

– Trois films constituant une trilogie centrée sur le personnage d'Ishikawa Goemon

Shinobi no Mono (1962) ; période couverte : 1575 - 1581

Zoku Shinobi no Mono (1963) ; période couverte : 1582 - 1594

Shin Shinobi no Mono (1963) ; période couverte : 1595 - 1600

58 «If you're a ninja, you can kill a complete stranger. I think tht's what real killing is all about. But to me, swordplay films ought to be done discreetly. So, in Samurai Spy [...], I used only ninjas and spies in the death scenes. The killings take place discreetly where no one can see. That's how I created my own style of chambara film. Spies don't kill others according to their will or desire. They kill by order.» - Interview with Director Masahiro Shinoda , Criterion, 2005

59 Films de yakuza décrivant une sphère idéaliste et passée , généralement entre 1890 et 1930 où les hommes vivent avec des repères moraux clairement définis. A l'opposé du jitsuroku eiga qui voit l’aspect moral du code des yakuza éclater..60 Littéralement «l'homme furtif».61 Les termes Zoku, Shin et Shinsho précédant à chaque fois Shinobi no Mono signifient respectivement

«continuation», «nouveau» et «retour».

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– Deux films centrés sur le personnage de Kirigakure Saizo

Shinobi no Mono – Kirigakure Saizo (1964) ; période couverte : 1614 - 1615

Zoku Shinobi no Mono – Kirigakure Saizo (1964) ; période couverte : 1616

– Un film mettant en avant le fils de Kirigakure Zaiso

Shin Shinobi no Mono – Iga Yashiki (1965) ; période couverte : 1637 - 1651

– Un film centré à nouveau sur Kirigakure Saizo

Shin Shinobi no Mono – Kirigakure Saizo (1966) ; période couverte : 1616

– Un film se déroulant avant tous les autres et axé sur Kojiro Kasumi

Shinsho Shinobi no Mono (1966) ; période couverte : 1570 - 1573

Le choix du noir et blanc pour illustrer la vie des ninja découle de trois impératifs :

économique tout d'abord, puisque plus abordable pour la Daiei qui, malgré son statut de

major, n'a pas les même moyens que la Toei ou la Toho, et aussi celui d'être le plus proche

possible de l'aspect mystérieux des ninja. L'esthétique globable de la série suit cette idée,

l'action se déroulant très souvent la nuit ou bien dans des bâtiments peu éclairés, et c'est

d'abord par l'image que les films insistent sur l'idée d'homme de l'ombre s'infiltrant, tuant et

utilisant l'environnement à son profit. Le troisième impératif enfin est artistique, la Daiei

ayant toujours souhaité garder une certaine intégrité en privilégiant un propos pertinent et

des réalisateurs réputés, et éviter autant que possible les productions bassement

commerciales. Le choix du noir et blanc a ici le but de se différencier des films

exhubérants et hauts en couleur, dans tous les sens du terme, de la Toei, leur plus gros

concurrent quant à la production de films de ninja. Dans cette continuité, Shinobi no Mono

et ses sept séquelles gardent constamment un ton très sérieux, ne s'adonnant à l'humour

qu'à de très rares occasions.

Si la plupart des chambara de l'époque précisent systématiquement le contexte

historique dans lequel se déroule leur intrigue, très peu le font avec la même rigueur

insistante que chacun des épisodes constituant la saga Shinobi no Mono. Le premier film

débute par des cartons indiquant que nous sommes dans la seconde moitié du XVIème

siècle, le Seigneur Oda Nobunaga veut être l'unique souverain du Japon et son ascension se

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41 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

heurte au désir similaire de son principal ennemi : Ieyasu Tokugawa. Différentes dates et

noms de batailles s'ajoutant à ces informations. Il en sera de même à plusieurs reprises

durant le film et dans toutes ses suites. Si l'intrigue reste centrée sur les activités des ninja

de l'époque, il n'est pas rare que ceux-ci disparaissent de l'écran durant un certain labs de

temps pour laisser la place à des palabres politiques et aux stratégies des seigneurs dont ils

dépendent. Le jonin62 écoutant et attendant installé sour le plancher, hors-champ, que son

maître ne lui donne un ordre de mission. Toutes ces précautions n'ont qu'un seul but :

crédibiliser au maximum l'époque au sein de laquelle ce déroulent les intrigues, ainsi que

les personnalités historiques qui s'y débattent. Il y a une très forte volonté d'inscrire la

figure du ninja dans l'Histoire de son pays et son rôle hypothétique au cours de la période

évoquée, ainsi que de modifier son image telle que proposée jusqu'alors dans la majorité de

la production cinématographique.

Avant la sortie de Shinobi no Mono en 1962, les talents, techniques et connaissances

enseignés par le ninjutsu et mis en avant par le cinéma se limitaient au combat de sabre, au

lancer de couteaux et de shuriken, à l'utilisation de procédés chimiques propageant de la

fumée pour disparaître63, et bien sûr à l'activité d'assassin du ninja. La série produite par la

Daiei conserve tous ces aspects, indissociables du personnage, mais décide mettre en avant

le rôle d'espion de ces hommes de l'ombre, leur utilisation de nombreux accessoires pour se

déplacer en tout discrétion et parvenir à leurs fins et leurs connaissances des propriétés des

plantes pour poisons et somnifères. Toujours dans un souci de crédibilité, la Daiei fait

appel à Masaaki Hatsumi pour les aider dans leur tâche. C'est accompagné de son maître,

Takematsu Toshitsigu, qu'il va mettre ses connaissances au service des films et renforcer le

réalisme de l'univers dépeint en même temps que développer la mythologie du ninja au

cinéma. Tout au long des huit films, on peut ainsi le voir pénétrer une forteresse en

rampant sur un câble tendu par ses soins ou à l'aide d'un grappin, escalader un mur en

prenant appui sur son sabre posé au sol avant de le récupérer à l'aide d'une cordelette,

traverser une rivière à l'aide d'une échelle de corde tendue de part et d'autre permettant de

se déplacer dessus sans se mouiller64 ou encore de s'agripper au plafond à l'aide de gants

crantés. Si le ninja se voit ainsi affublé de toute une panoplie d'accessoires, les propriétés

qu'il infiltre multiplient les pièges et stratagèmes pour freiner son avancée. Ainsi, à la fin 62 Ninja en chef, au sommet de la hiérarchie de son clan ou de son unité dans le cas présent.63 A l'existence réelle mais dont l'usage a toujours été exagéré.64 Cet accessoire a contribué à alimenter la dimension surhumaine du ninja puisqu'il donne l'impression que

celui-ci marche sur l'eau.

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42 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

du second volet, Ishikawa Goemon pénètre dans une demeure très bien gardée afin

d'assassiner Hideyoshi Toyotomi, devenu Shogun quelques années auparavant. ; mais alors

qu'il avance à pas feutrés dans un couloir, le plancher grince de manière significative à la

manière d'un oiseau qui chante65. Découvert, il sera arrêté par les gardes du palais et

condamné à mort.

Du point de vue des déguisements, là encore les films se démarquent. S'il est tout à

fait avéré que les ninja étaient friands de ce type d'artifice, il est ici privilégié l'insertion

progressive au sein d'une communauté pour passer inaperçu et ce afin de montrer la

cacapcité d'adaptation du personnage, se créant une nouvelle identité plutôt qu'en

empruntant une superficiellement sur une durée limitée. Le cinquième volet, Zoku Shinobi

no Mono- Kirigakure Saizo, met parfaitement cet aspect en avant lorsque Saizo infiltre un

village de pêcheurs pour démasquer un trafic d'armes. Le personnage va petit à petit se lier

aux habitants et s'immiscer dans la vie du village pour récolter les confidences qui pourront

le mener à mettre la main sur les trafiquants.La volonté de représenter le ninja comme un

espion du Japon féodal et non plus comme un magicien ou un talentueux combattant aux

arts martiaux prend ici tout son sens.

Dans la majorité des films de ninja, le personnage principal est honnête et sincère,

son camp est forcément celui des bons. Dans Kagemaru of the Iga Clan, Kagemaru lutte

contre Ieyasu Tokugawa, montré comme un vieillard lâche et cupide ; dans Castle of Owls,

les ninja d'Iga sont du bon côté, ceux de Koga du mauvais66. Shinobo no Mono abolit cette

frontière en montrant les ninja comme des soldats au service d'un seigneur en temps de

guerre, et non plus comme des justiciers ou d'horribles démons. Les ordres qu'ils exécutent

ne les empêchent pas de constamment remettre en question leurs précepts et sont plus que

jamais des êtres humains. A la fin de Shinobi no Mono – Kirigakure Saizo, le Général

Yukimara, qui avait donné pour mission à Saizo d'espionner Tokugawa, lui ordonne de fuir

la bataille vu qu'il a complété la dite mission. Mais Saizo refuse et affirme que si un ninja

est entraîné pour ne pas avoir de sentiments et vivre comme un animal, lui veut mourir en

homme. Les personnages luttent entre le besoin d'être le meilleur ninja possible et la

volonté de rester humain malgré tout, deux sentiments contradictoires qui n'ont pas leur

65 Appelé Uguisu-bari, littéralement «plancher rossignol», ce piège existe bel et bien et quelques châteaux de la province d'Iga en possèdent encore en parfait état de fonctionnement.

66 Cet ordre est purement arbitraire, n'ayant aucune racine historique connue, mais souvent conservé.

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43 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

place en cette période de guerre civile. Dans le cinquième épisode, deux kunoichi67 doivent

assassiner Saizo, mais celui-ci les a précédemment sorti d'une situation périlleuse

lorsqu'aucun d'entre eux ne connaissait encore l'identité véritable de l'autre. Elles en

viennent à hésiter et douter du but fondé de leur mission. L'ennemi aussi a une âme et n'est

pas un pantin maléfique n'ayant qu'une idée en tête : éliminer le gentil «héros». Pour

appuyer cette idée, chaque personnage étudié au long de la série appartient à un camp

différent : Ishikawa Goemon lutte contre Oda Nobunaga au côté de Ieyasu Tokugawa,

Kirigakure Saizo a choisi le camp de Hideyoshi Toyotomi pour déjouer les plans du fourbe

Tokugawa et Kasumi Kojiro, dont l'histoire se déroule avant que Goemon ou Saizo n'aient

leur rôle à jouer, lutte d'abord pour le Seigneur Takeda Shingen avant de se retourner

contre lui lorsqu'il apprend que celui-ci est responsable de la mort de sa famille ; les

sentiments humains prévalent alors sur la loyauté féodale

Malgré le souci constant qu'à la Daiei de se démarquer du reste de la production, le

studio est contraint de faire des concessions pour attirer le plus de spectateurs possibles

dans les salles. Aussi intègre soit-il, c'est avant tout une entreprise qui doit engranger des

bénéfices si elle veut survivre. Ces concessions sont de deux ordres : spectacularisation de

l'intrigue et de l'action pour plaire à un jeune public masculin et rôle prédominant des

sentiments amoureux pour s'attirer les faveurs du public féminin. Le réalisme à tout prix à

ses limites lorsque de grosses sommes d'argent sont en jeu. Montrer le ninja tel qu'il a, ou

aurait, existé et mettait en application ses connaissances n'a pas forcément un très grand

intérêt pour le grand public d'un point de vue narratif et visuel : se déplacer

silencieusement, assassiner dans l'ombre, se cacher des heures durant en attendant le bon

moment pour passer à l'action est à la limite de l'anti-spectaculaire. C'est pour cela que

Shinobi no Mono continue malgré tout de perpétuer la tradition des explosions de fumée ou

encore des galipettes et autres sauts surhumains, à moindre échelle cependant. La violence

n'est pas en reste, toujours aussi efficace pour titiller l'instinct voyeuriste des spectateurs.

Dans le premier épisode, un ninja fait prisonnier subit une amputation des deux oreilles et,

lorsqu'il s'échappe, se mutile le visage à l'aide d'un shuriken afin de ne pas être identifiable

par l'ennemi, avant de se suicider en se jetant dans le vide. Rien ne nous est épargné durant

cette séquence, que ce soit l'acte en lui-même ou le résultat. De film en film, les actes de

cruauté abondent : défiguration à l'acide, crucifixion, amputations diverses... si le Japon

67 Femmes ninja.

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44 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

féodal est un monde violent et sans pitié, le cinéma japonais de l'époque ne l'avait que très

rarement montré avec autant de crudité.

Les intrigues participent également à rendre les films plus accessibles de par l'ajout

de nombreux rebondissements plus ou moins rocambolesques. A la fin du second épisode,

Ishikawa Goemon se prépare à être jeté dans une cuve d'huile bouillante après avoir été

arrêté par Oda Nobunaga. Le film se conclue sur son visage impassible d'homme marchant

vers la mort. Commercialement parlant, ce choix calqué sur le mode du feuilleton est

évidemment intéressant puisque forçant le spectateur à acheter une autre place de cinéma

s'il veut connaître la suite. Celle-ci -sort quelques mois après, Goemon est toujours en route

vers la cuve où il doit être jeté. Quand soudain, des explosions de fumée ont lieu devant les

yeux médusés des gardes et des villageois venant admirer la mise à mort. Mais Goemon est

toujours là et finit irrémédiablement dans l'huile bouillante. On apprend cependant après le

générique qu'il est bel et bien vivant et a été remplacé par un criminel également condamné

à mort, en échange de quoi la femme de celui-ci a touché une somme substantielle. Shinobi

no Mono n'hésite donc pas à utiliser des stratagèmes narratifs que n'auraient pas reniés les

serials américains des années 30 et 40, lorsque Flash Gordon ou Buck Rogers se

dépêtraient de toutes les situations grâce à un improblable deus ex-machina. Cela reste

toutefois très sporadique pour ne pas altérer la tonalité plutôt sombre de l'ensemble.

Le chambara est souvent considéré comme un cinéma d'homme. Il est vrai qu'il met

en avant une idéologie guerrière typiquement masculine. Les femmes y sont reléguées au

second plan, amours impossibles de héros dont la priorité est de livrer bataille et mourir

pour leur seigneur. Shinobi no Mono n'échappe pas à la règle en mettant en avant

l'interdiction qu'à le ninja de tomber amoureux et avoir des relations avec le sexe opposé

dans un autre but que celui de procréer. Et comme toute interdiction clairement affichée se

doit d'être bravée, chacun des films voit son principal protagoniste s'éprendre à un moment

ou à un autre d'une femme rencontrée par hasard sur sa route ou d'une geisha. Dans la

plupart des cas, la sous-intrigue amoureuse n'aura que très peu d'incidence sur l'histoire du

film et avant tout un prétexte à ajouter une dose de romance. Bien souvent, la femme en

question est une kunoichi du camp opposé qui rappelle fréquemment que son statut

implique qu'elle doti abandonner sa fierté de femme. Ce qui ne l'empêche nullement de

succomber au charme de son ennemi, comme c'est le cas avec Kirigakure Saizo dans les

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cinquième et septième épisodes. Ce scénario est fréquent dans les films de ninja des années

60, Castle of Owls d'Eiichi Kudo et Whirlwind d'Hiroshi Inagaki, produits respectivement

par la Toho et la Toei, en sont d'autres exemples. La Daiei sait très bien que si elle veut

rivaliser commercialement avec ces deux autres studios, elle doit formater de façon

similaire certains aspects de ses films, ici dans le but précis de plaire à un public féminin

qui à priori n'est pas friand de chambara. C'est également le cas pour Zatoichi, autre série

très populaire produite par la Daiei, où le héros éponyme, masseur aveugle doué dans le

maniement du sabre, tombe régulièrement amoureux au cours de ses voyages.

En 1970, quatre ans après la sortie du dernier volet, le studio tentera de lancer une

nouvelle série centrée sur le personnage du ninja avec Shinobi no Shu. Le film est plus

proche des productions Toei, parsemant son intrigue de détails fantastiques, mais toujours

en noir et blanc, et arrive bien trop tard puisque le studio fait faillite la même année.

Malgré quelques sursauts durant les années 70, c'est en Occident qu'il va falloir se tourner

ensuite pour voir le ninjutsu se développer bien au delà de l'Océan Pacifique.

Page 46: Ninja Flichty

46 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

2.2 Internationalisation du ninja

2.2.1 On ne vit que deux fois : la rencontre de deux icônes populaires

Jusqu'à la moitié du vingtième siècle, le cinéma japonais, et asiatique en général, ne

s'exporte quasiment pas. La présence américaine sur le sol nippon d'après-guerre ne donne

lieu qu'à de très rares échanges culturels. Les cinémas diffusent les westerns de John Ford,

les japonais découvrent le mode de vie américain, mais pour les citoyens restés de l'autre

côté du Pacifique, le Japon reste un pays intriguant et mystérieux. Ce sont les grands

festivals européens qui vont mettre en avant le cinéma du pays du soleil levant, à

commencer par Rashomon d'Akira Kurosawa, récompensé par le Lion d'Or à Venise en

1951, plus haute distinction du festival. C'est le début d'une reconnaissance internationale

et une surprise totale pour le Japon. Kenzi Mizoguchi recevra le même prix l'année

suivante pour La Vie d'Oharu, Femme Galante et La Porte de l'Enfer de Teinosuke

Kinugasa se verra attribuer le Palme d'Or à Cannes en 1954. Tadao Sato y voit là «une

prise de conscience des occidentaux de l'existence dans le reste du monde d'autres cultures

riches et variées. Ils découvrirons d'ailleurs ensuite le cinéma indien, qui a déjà une

longue histoire, puis le cinéma chinois.68». Avec la sortie des Sept Samouraï en 1954,

Kurosawa devient connu dans le monde entier. Avec un succès public international, la

consécration pour le cinéma japonais est totale. Ou en tout cas pour un certain cinéma. Ce

n'est que vingt à trente ans plus tard que les films décrivant la vie quotidienne

contemporaine au Japon, tels ceux de Yasujiro Ozu ou de Mikio Naruse, sont présentés aux

occidentaux. Les japonais redoutent en effet que leurs moeurs ne laissent les spectateurs

insensibles.

Lorsque Ian Fleming se rend au Japon en 1963, le ninja prend une grande place dans

l'imagerie populaire du pays, il est au cinéma, à la télévision et dans les magazines.

L'engouement est total. D'abord venu dans le but de faire des recherches pour un recueil

d'articles de voyages, Fleming voit dans le personnage un certain potentiel et décide qu'il

fera partie de l'intrigue de son prochain livre, le douzième volume de la série des James

Bond, qui sera intitulé On ne vit que Deux Fois et sera publié en 1964. Le héros anglo-

68 SATO, Tadao, Le Cinéma Japonais – Tome 2 (trad. Française), Paris, Centre Georges Pompidou, coll. « cinéma/pluriel », 1997, p. 40

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47 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

saxon est alors un des plus populaires de son époque, d'abord en Europe depuis le début

des années 50 et la parution de Casino Royale en 1953, puis dans le monde entier depuis

son arrivée au cinéma en 1962. Aujourd'hui connue pour être la plus longue franchise

cinématographique en langue anglaise à ce jour, avec 22 films jusqu'à maintenant69, c'est

durant les années soixante qu'elle connaît son plus gros succès, chaque nouvelle sortie

impliquant une première place au box-office international70. Bref, la promotion idéale pour

un personnage de ninja jusque là cloisonné à son Japon natal.

Lorsque le livre sort en 1964, c'est le premier ouvrage populaire en anglais à parler

du ninjutsu. Les lecteurs découvrent là une figure singulière quand James Bond est amené

à assister à un entraînement au sein de leur école :

Ils étaient vêtus de noir, des pieds à la tête, et seuls leurs yeux étaient apparents au travers d'une fente dans leurs capuches noires. [...] Ils prirent une longue corde, une poignée de pitons dans les poches de leur costume et se mirent à parcourir le mur telles de grosses araignées noires.71

Immédiatement fascinés par l'image de l'homme en noir, le succès est total. Suivant

de près la parution du roman, Newsweek y consacre un article dans un de ses numéros et

met en avant l'enthousiasme général pour le personnage, perçu comme "le dernier

engouement en provenance du Japon".

Aujourd'hui, une mode sévit, des bambins jusqu'aux grands-parents. Les policiers japonais ne savent plus que faire avec les gangs d'apprentis ninjas, et la presse est désemparée par les mésaventures fréquentes d'enfants cherchant à s'élancer sur les toits et à ramper dans les canalisations à la manière de leur héros favoris.72

69 On considère comme fofficiels les films produits par les société de production EON et United Artist, mais d'autres films ont été tournés profitant du fait que personne ne détenaient encore les droits cinématographique de manière définitive ; Casino Royale (version de 1963) et Jamais plus Jamais ne sont ainsi pas considérés comme faisant partie de la franchise.

70 Le box office total ajusté de la franchise, c'est-à-dire tenant compte des taux de conversion actuels, dépasse les 10 milliards de dollars, les 4 premiers épisodes en ayant rapportés le tiers à eux tout seul.Box-Office Mojo, James Bond, http://www.boxofficemojo.com/franchises/chart/?id=jamesbond.htm

71 «They were dressed from head to foot in some black material, and only their eyes showed through slits in the black hoods. [...]They took lenghts of rope and a handful of small iron pitons out of pockets in their black robes and proceeded to almost run up the walls like fast black spiders»FLEMING, Ian, You Only Live Twice, London, Penguin Books, 2006, p. 95

72 «...today, they enjoy a vogue which sweeps from toddlers to grand parents. Japanese cops ara plagued by gangs of would-be ninja, and the Japanese press with discouraging regularity reports the misadventures of youngsters who seek to soar off rooftops or slip through drainpipes in approved ninja fashion»Newsweek, 3 août 1964, p. 31

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48 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

Si le ninja est à présent connu des fidèles lecteurs de Ian Fleming, c'est véritablement

l'adaptation du roman en 1967 qui va faire rentrer le personnage dans la culture populaire

occidentale de par la portée de la saga auprès du public de l'époque et les ajouts et

modifications opérées par rapport au roman pour le rendre plus spectaculaire. C'est en effet

la première fois qu'un des films diffère autant du livre qu'il adapte. Le scénario, écrit par

Roald Dahl avant qu'il ne devienne célèbre avec ses livres pour enfants, fait une utilisation

excitante du ninja qu'il imprime dans l'esprit du public comme un assassin en noir,

excellant aux martiaux et sans peur de la mort. Une version pas si éloignée que ça de

beaucoup de films japonais de la même époque. Et pour cause, Roald Dahl s'est lui aussi

déplacée au Japon pour faire des recherches et a eu l'occasion de voir les premiers épisodes

de la saga Shinobi no Mono73, auxquels il a fait ensuite quelques emprunts. La nouveauté

vient de l'intégration du ninja dans le monde contemporain ; jusqu'à présent, il agissait au

sein de périodes historiques passées en tant que personnage de chambara et était resté

éloignée du XXsiècle . Avec On ne vit que Deux Fois, il est étroitement lié à la modernité

de son époque, les accessoires qu'il utilise ayant évolués en fonction. C'est d'ailleurs un des

détails qui justifie sa présence dans la diégèse d'un épisode de James Bond. Les deux

pesonnages possèdent beaucoup de points communs, en plus d'être les meilleurs espions de

leur époque respective, chacun à leur façon. Lee Tamahori, réalisateur de Meurs un Autre

jour74, décrit l'agent du MI5 de la façon suivante :

Bond est un tueur. Les films en ont fait un tueur réfléchi. Mais ce qui est fascinant dans les livres, c'est qu'il peut tuer n'importe qui ; qu'untel soit considéré comme pouvant être supprimé, et il se débarrassera de lui. Il al'autorisation de le faire, il ne sera pas jugé pour cela.75

Tout comme James Bond, un ninja reçoit ses ordres de son supérieur et doit faire fi

de tout sentiment pouvant mettre à mal sa mission. Tous les deux utilisent divers gadgets

pour les assister, ceux-ci étant dans le film mis en avant lors de séquences bien précises.

Ainsi, Tiger Tanaka, contact de James Bond au Japon, fait visiter le centre d'entraînement

ninja à l'espion britannique et lui montre le laboratoire où sont créés et testés les différents

gadgets. Remplaçons Tiger Tanaka par Q et l'on a la scène homonyme présente dans

73 WELDON, Michael J., The Psychotronic Encyclopedia of Film, New York, Ballatine Books, 1983, p. 79574 20ème épisode officiel de la série.75 BOUZEREAU, Laurent, James Bond, l'art d'une légende : du story-board au grand écran, Paris,

Flammarion, coll. «Cinéma & Spectacle», 2006, p. 21

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49 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

chacun des films, la seule différence étant la localisation des laboratoires. Le quartier

général du MI5 habituellement, un château secret dans On ne vit que Deux Fois. En

impliquant que les deux individus ont un rôle similaire, le film évite de verser dans une

représentation fantaisiste. Et en gomme par la même occasion l'identité singulière. Otons

leur leurs costumes et il ne reste que de simples espions interchangeables en fonction du

pays qui les emploie. Toutefois, pour conserver une certaine authenticité, la production a

engagé Masaaki Hatsumi, maître ninja évoqué précédemment puisqu'ayant oeuvré sur

Shinobi no Mono, afin d'inculquer aux cascadeurs les principales notions du ninjutsu et

quelques rudiments au combat. Ces précautions visant à amener un semblant de crédibilité

au film semble cependant bien vaines puisque ce que vient chercher un spectateur quand il

se déplace au cinéma pour voir le dernier James Bond, c'est avant tout des séquences

spectaculaires et du dépaysement. Chaque épisode possède au moins une séquence ayant

marqué les esprits au point d'être devenu une sorte de lieu commun dans ce genre de grosse

production : une voiture roulant sur deux roues pour se défaire d'une ruelle étroite dans

James Bond contre Dr. No, une bus à deux étages passant «sous» un pont trop bas et

concassant le second étage dans Vivre et Laisser Mourir. On ne Vit que Deux Fois ne

déroge pas à la règle avec l'assaut final sur la base ennemie où des dizaines de ninja

descendent en rappel le long de cordes tout en tirant à la mitraillette sur tout ce qui bouge

avant de troquer l'arme à feu contre le sabre une fois au sol. Plus tôt dans le film, quand

Bond demande à Tanaka s'il a des commandes pour l'aider dans sa mission, celui ci répond

«j'ai beaucoup, beaucoup mieux : des ninjas». Et en effet, cette méthode d'attaque rappelle

plus des forces d'assauts que le parangon de l'infiltration qu'est le ninja. Ces images ne

seront pas oubliées par les producteurs qui exploiteront le personnage dans les années 80

.

On dit souvent que l'imitation est la plus belle des flatteries, il est donc logique que

des films aussi populaires et au succès commercial incontestable que les James Bond

soient sources de copies et de parodies et voient nombre de détails utilisés dans d'autres

oeuvres. Après tout, On ne vit que Deux Fois proçède de façon similaire puisque Roald

Dahl, après avoir vu les premiers Shinobi no Mono, en a emprunté quelques idées dont une

des scènes les plus marquantes du film : l'assassinat avec fil et poison. Dans Shinobi no

Mono, le protagoniste principal, Ishikawa Goemon, s'est caché dans le faux plafond de la

chambre d'Oda Nobunaga. Il y perce un trou pour y insérer un fil très fin qu'il laisse glisser

jusqu'à la bouche de Nobunaga et y verse quelques gouttes de poison qui vont s'écouler le

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long du fil. Une d'entre elles va malheureusement s'échouer sur la joue du despote, ce qui

aura pour conséquence de le réveiller et de faire échouer la mission. Dans le James Bond,

la scène est reprise à l'identique à un détail près : la personne visée ingurgite le poison et

décède quasi-instantanément. On notera un autre emprunt intéressant puisqu'ayant été

ensuite repris à plusieurs occasions tel un témoin se passant de main en main. Dans le

second Shinobi no Mono, on peut voir Nobunaga, «méchant» du film, caresser à plusieurs

reprises un chat blanc qu'il tient dans ses bras. De la même manière, Ernst Stavro Blofeld,

numéro un de l'organisation Spectre et nemesis de Bond depuis plusieurs films, caresse lui

aussi un chat blanc et n'est d'ailleurs montré que par le biais de sa main et de l'animal

jusqu'à ce qu'on découvre pour la première fois son visage à la fin du film sous les traits de

Donald Pleasance. Idée réutilisée entre autres dans L'Inspecteur Gadget, série animée

diffusée à la télévision française à partir de 1983.

Malgré l'impact culturel indéniable du film, le ninja ne réapparaîtra que très

sporadiquement au cinéma, hors-Asie, et ce jusqu'au second boom qui aura lieu deux

décennies plus tard. Une autre icône asiatique va entretemps monopoliser l'attention du

monde occidental : Bruce Lee. Prouvant là que deux figures fortes en provenance de

contrées «exotiques» ne peuvent avoir simultanément leur place dans la mission

d'exploitation commerciale des producteurs.

2.2.2 Les années 70 : une époque de transition

A défaut d'importer le ninja au cinéma, le succès d'On ne vit que Deux Fois a poussé les

amateurs d'arts martiaux en Occident à se pencher sur un domaine jusque là inconnu de la

plupart, ou tout du moins très mystérieux : le ninjutsu. Dès la sortie du film en 1967, des

revues spécialisées présentent des articles sur le sujet et les livres généralistes sur les arts

martiaux incluent désormais une rubrique sur les ninja76. La plupart du temps, ces travaux

écrits sont bourrés d'erreurs historiques, leurs auteurs ne s'étant que très peu intéressés à

cette partie pour se consacrer avant tout aux techniques de combat. Le plus connu d'entre

eux s'appelle Stephen Hayes, prétendument allé au Japon apprendre le ninjutsu auprès de

Masaaki Hatsumi. Prétendument car il est encore aujourd'hui impossible de connaître la

76 TURNBULL, Stephen, Ninja, The True Story of Japan's Secret Warrior Cult, Poole, Firebird Books, 1991, p. 146

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vérité sur toute l'histoire, seul deux faits sont avérés : Hayes s'est auto-proclamé grand

gourou du ninjutsu aux Etats-Unis à partir de 1975 et Hatsumi a toujours réfuté son

appartenance à une quelconque école. Affirmant son statut, il est à l'origine de toute la

vague d'écoles de ninjutsu apparues ensuite, en majorité sous les ordres de charlatans

promettant le secret d'invisibilité ou le pouvoir de marcher sur l'eau. C'est également lui qui

a apposé au ninjutsu tous ses aspects mystiques et occultes, forcément fascinant pour le

néophyte, qui sont ensuite devenus la norme dans le cinéma s'intéressant au sujet à partir

de la sortie d'Enter the Ninja en 1981.

Les rares films américains intégrant des ninja durant les années 70 ne sont pas encore

imprégnés de cette aura mystique et gardent en tête la représentation faite dans On ne vit

que Deux Fois. A un détail près : le personnage, sous sa cagoule noire ne laissant paraître

que ses yeux, s'est mué en méchant idéal de cinéma, Bruce Lee monopolisant à l'époque

celle de héros. C'est le cas dans The Killer Elite de Sam Peckinpah en 1975 où James Caan,

mercenaire d'une organisation gouvernementale secrète, doit faire face à des assassins

ninja souhaitant éliminer l'homme qu'il a pour mission de protéger. Comme c'est hélas

encore souvent le cas aujourd'hui, l'amalgame est fait entre les différentes nationalités

d'extrême-orient puisque certains japonais y portent des noms chinois, et certains chinois y

sont ninja émérites, tout cela étant évidemment du pareil au même pour la majorité du

grand public. Dans la série Kung Fu, un des épisodes77 nous présente un ninja quasi-

invincible, lançant des shuriken à tout va, véritable machine de mort dont le but est de tuer

le héros incarné par David Carradine. Dans The Octagon en 1979, Chuck Norris à fort à

faire contre des dizaines de ninja solidement entraînés au sein de leur imprenable

forteresse. Le feuilleton Shogun inclue quant à lui quelques incidents liés aux ninja ainsi

que pour la première fois un début d'imagerie occulte. Son succès et les exemples cités

auparavant prouvent que la culture nippone s'est timidement immiscée dans l'imagerie

populaire du continent nord-américain, n'attendant qu'un déclic pour véritablement se

propager.

Si le ninja n'a jamais disparu du cinémas japonais, ses apparitions sont plus

sporadiques et suivent le même schéma qu'en Occident : l'homme en noir est devenu un

ennemi anonyme destiné à attaquer encore et encore le héros bienveillant. A la différence

77 «The Assassin», 18ème épisode de la série, diffusé à la télévision américaine le 27 septembre 1973.

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que dans la majorité des cas, il reste ancré aux XVIème et XVII siècles. Les années 70

apportent un regard décontracté sur les chambara, ou plutôt décomplexé au point de ne

plus se satisfaire uniquement des éternelles remises en questions sérieuses plongées dans

des atmosphères oppressantes au possible. Les geysers de sang y sont fréquents, les

femmes apprécient de montrer leurs poitrines, les valeurs morales sautent, l’ambiance

assume son côté second degré. Des films comme Shadow Hunters et sa suite concentrent

tout à fait cet état d'esprit en nous racontant l'histoire de trois hommes qui, trahis par des

espions du pouvoir, se mettent à éliminer un par un tous les ninja du pays. Les apparitions

de ces derniers se résument à des attaques très succinctes ayant pour seule et unique

conclusion leur mort. Il en est de même dans plusieurs des épisodes de la saga Baby Cart78,

adapté d'un manga écrit par Kazuo Koike, où le héros est régulièrement attaqué par des

ninja sans aucun passif dans la narration du film, apparaissant pour tuer et disparaissant en

mourrant. Dans Demon Spies, le schéma varie puisque les personnages principaux sont

eux-mêmes des ninja, mais le film les présente comme d'atroces tueurs sadiques, sans

possibilité aucune d'avoir une once d'empathie pour eux.

Ces films ont pour point commun de faire une utilisation exagérée du sexe et de la

violence. A partir des années 60, on exige en effet du cinéma japonais qu'il apporte ce que

la télévision procure difficilement : des images flattant les bas-instincts des spectateurs.

Ainsi, les Baby Cart ne lésinent pas sur l'hémoglobine et les mutilations en tout genre, à un

point om la violence devient surréaliste et impossible à prendre au sérieux. Demon Spies

insiste plus sur le sadisme et la sexualité déviante des ses protagonistes, le film débutant

par une longue scène de viol collectif sur la même jeune femme. Tous, y compris cette

dernière, étant élèves d'une école de ninja bien particulière. Il s'agit là d'un apprentissage

dans le but d'en faire de parfaits espions sans remords ; l'exercice est introduit par leur

maître qui leur affirme que «le mâle doit contrôler ses pulsions sexuelles et la femme

oublier ses démons et considérer son corps comme une autre arme de son arsenal». Une

vision plutôt extrême de la fonction de ninja. Cruauté et tortures diverses rythment le film,

ne laissant finalement que peu de place au ninja pour afficher ses talents d'espion. Ces

films sont aussi symptômatiques d'une tendance de l'époque à emprunter certains détails

stylistiques à un autre cinéma populaire ayant goût pour la violence : le western spaghetti.

Juste retour des choses puisque l'initiateur du genre, Sergio Leone, a calqué Pour une

78 6 films réalisés entre 1972 et 1974 suivant le périple d'un samouraï déchu et de son fils qu'il pousse dans un landau.

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poignée de dollars sur Yojimbo d'Akira Kurosawa. Cette influence réciproque donnera lieu

à quelques étrangetés dans le cinéma italien, telles que Blindman et son tireur aveugle,

inspiré de Zatoichi, ou La Brute, le Colt, le Karaté avec Lo Lieh, alors grande star à Hong

Hong, en immigré chinois fraîchement débarqué au far-west. Baby Cart et Demon Spies

affichent ouvertement leur tribut, le premier de par certains cadrages caractéristiques (gros

plans sur les yeux entre autres) et le final du troisième et quatrième épisode se concluant

par de sanglants duels, le second quant à lui est rythmé par un thème dont les trompettes

n'auraient pas été reniées par Ennio Morricone et Luis Bacalov.

Les différents cinémas du monde s'enrichissent mutuellement pour évoluer, en bien

ou en mal, et lorsqu'arrive les années qutre-vingt, le ninja sera paradoxalement plus présent

aux Etats-Unis et à Hong-Kong que dans son pays natal, ne gardant qu'un lien très ténu

avec celui des origines.

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CHAPITRE 3EXPLOITATION ET DÉGÉNÉRESCENCE D'UN MYTHE

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3.1 Une mutation vers le point de non-retour

3.1.1 Menahem Golan et la Cannon : l'explosion du ninja aux Etats-Unis

Chevauchant sa monture dans l'ouest sauvage, apparut l'homme masqué dont l'identité réelle resta secrète à jamais, le Lone ranger. Ensuite surgit l'être aux pouvoir surnaturels, Superman. Vint alors le super espion de tous les super espions, James Bond. Et plus récemment, il y eut le virtuose des arts martiaux, Bruce Lee. A présent, le mystère, les pouvoris surhumains, les talents d'espion et d'artiste martial de ces héros passés ayant marqués les esprits américains arrivent à l'écran sous la forme d'un seul être humain : il est le sinistre nouveau héros américain, le ninja.79

Le ninja serait donc la somme de tous les héros populaires du nouveau continent au

XXème siècle, un être hybride progressivement devenu la plus célèbre des figures

cinématographiques récurrentes des années 80. Avant cela, il est surtout la somme de

plusieurs facteurs artistiques et commerciaux ayant mené à sa notoriété :

– le succès d'On ne vit que Deux Fois, qui a créé le ninja moderne tel qu'on le connaît

aujourd'hui,

– le feuilleton Shogun qui prouva que le grand public américain était réceptif à tout un

pan de la culture japonaise

– le film Shogun Assassin, remontage des deux premiers films de la saga Baby Cart

destiné aux marchés britannique et américain, et micro-phénomène lors de son

exploitation en salle

– le roman The Ninja écrit par Eric Von Lustbader en 1980, dans la liste des best-sellers

du New York Times six semaines après sa sortie et où il resta cinq mois d'affilée80

Tout cela mènant à un aboutissement : la sortie d'Enter the Ninja en 1981, le film qui

déclencha l'engouement massif pour le ninja aux Etats-Unis. Et un peu partout dans le

monde par la suite, un filon commercial étant toujours bon à exploiter

79 «Galloping out of the west rode the masked man whose real identity was never known, the Lone Ranger. Then came the being with supernatural powers, Superman. Next came the superspy of superspies, James Bond. And, most recently, there was the martial arts virtuoso, Bruce Lee. Now the mystery, superhuman powers, espionage skills, and martial arts of these past American heroes come to the screen embodied in a single human form: He's America's sinister new hero, the ninja.»TAJIRI, Lucille, « The Ninja : America's Sinister New Hero », Inside Kung Fu, 1984, p. 23

80 Ibid. p. 23

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John Corcoran, journaliste pour le magazine Inside Kung Fu, avait prédit ce résultat

bien avant que les moguls de l'industrie hollywoodienne s'emparent du phénomène et que

le grand public n'y prête toute son attention.

Les phénomènes de mode ont tendance à fonctionner par cycles de sept ans ; c'est particulièrement vrai dans l'industrie du film. Alors quand la ressortie d'Opération Dragon avec Bruce Lee fit un meilleur score que Kramer contre Kramer à New-York en mai 1980, c'était la preuve finale que les films d'arts martiaux feraient à nouveau merveille au box-office. Il était cependant clair que toute résurgence devait dire au revoir à Bruce Lee et avoir une nouvelle formule. L'arsenal d'armes secrètes du ninja ,ses techniques surprenantes de camouflage et ses pouvoirs surnaturels d'infiltration font de lui un héros né pour le cinéma.81

A noter que Corcoran assimile automatiquement le ninja avec le monde du

surnaturel, témoignant là une fois de plus de l'influence de Stephen Hayes sur la

représentation de l'homme en noir dans l'imagerie populaire occidentale étant donné

qu'aucun des chambara de fantasy produits dans les années 50 et 60, comme ceux de la

Toei, n'ont été exploité sur le continent nord-américain. Il faudra attendre quelques années

pour que la circulation sous le manteau de tout un pan du cinéma japonais se fasse.

Le premier grand film américain centré sur le ninja aurait dû être l'adaptation du

roman de Eric Von Lustbader. Persuadé du fort potentiel commercial du personnage,

Richard D. Zanuck et David Brown82 lancèrent le projet pour la Twentieth Century Fox qui

leur alloua un budget de 20 millions de dollars. Les deux hommes étaient certains de leur

coup au point de faire de nombreuses annonces officielle par voie de presse, telles que

«Nous ne pouvons attendre d'avoir The Ninja devant les caméras83», «Il y aura plus

d'action que vous n'en avez jamais vu84» ou encore «Le roman est tout simplement une des

meilleures choses que je n'ai jamais lu85». Au final, le projet sera abandonné et le roman ne

sera jamais adapté, ni par la Fox, ni par un autre studio.

81 Ibid p. 2482 Deux des producteurs les plus influents des années 70 et 80, responsables entre autres des Dents de la

Mer et de L'Arnaque.83 «We can't wait to get The Ninja in front of the cameras»

Ibid p. 2584 «It will include more action than you have ever seen»

Ibid p. 2585 «The novel is quite simply one of the best things I've ever read»

Ibid p. 25

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Tout comme plusieurs scientifiques qui travaillent chacun de leur côté aboutissent à

la même conclusion, Zanuck et Brown n'étaient pas les seuls à voir le personne comme le

prochain grand sujet du cinéma populaire. Si The Ninja a été le premier film a être annoncé

en production, c'est Enter the Ninja, produit par le studio Cannon, qui sera le premier film

se focalisant exclusivement sur le ninjutsu à atteindre le public américain. Convaincu de

leur flair, on peut lire sur le dossier de presse du film :

Ninjutsu. Il marquera la tendance dans les films d'arts martiaux des années quatre-vingt, en faisant ainsi la décennie du ninja, de la même façon que le kung fu pour les années soixante-dix, le karaté pour les années soixante et le judo pour les années cinquante.86

Difficile de connâitre le grand responsable de la genèse du film tant chacun s'en

approprie le mérite. Attitude logique après la retombée commerciale d'Enter the Ninja et

son impact sur les spectateurs ainsi que bon nombre d'investisseurs y voyant là la nouvelle

poule aux oeufs d'or. On a d'un côté Pricilla McDonald, porte-parole de la Cannon, qui

explique son rôle dans la décision du studio de produire le film :

Je n'avais jamais entendu parlé de ninjas et du ninjutsu. Mais après avoir lu le script, je suis devenu si excitée que je ne pouvais discuter que de ça avec le président de la Cannon, Menahem Golan. Nous n'avions jamais fait de films d'arts martiaux avant et il ne voulait pas en entendre parler. [...] j'ai continué encore et encore de le bassiner avec le scénario pour qu'enfin il me réponde "d'accord, d'accord, apporte-le moi". Il devint ensuite si impliqué qu'il le réalisa lui-même.87

Mais dans une interview récente de Menahem Golan, une toute autre lumière est

apportée à l'affaire lorsque le journaliste lui dit qu'il a lancé le «boom» du ninja avec Enter

the Ninja en 1981 :

Ca a commencé quand les films de kung-fu sont devenus populaires. Je cherchais quelque chose de nouveau dans les arts

86 «Ninjutsu. It will set the trend in martial arts films for the '80s, making them the decade of the Ninja, as Kung Fu was for the '70s, Karate for the '60s, and Judo for the '50s.»Enter the Ninja Pressbook, Cannon Group, 1981

87 «I had never heard of ninja or ninjutsu. But after reading the script, I became so excited about it that that's all I would talk about with the president of Cannon, Menahem Golan. We had never done a martial arts film before and didn't want to hear about it. [...] I just kept blabbering to Mr. Golan, so he finally said, 'Oh, all right, bring him in.' Then once he'd talked to Stone, he became so involved that he ended up directing it himself.»TAJIRI, Lucille, « The Ninja : America's Sinister New Hero », Inside Kung Fu, 1984, p. 27

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martiaux asiatiques et je suis tombé sur une article consacré à la culture ninja dans une encyclopédie [...] Je fus fasciné et je me suis dit que je pouvais écrire quelques amorces d'histoires sur ce sujet, c'est ainsi que nous avons fait Enter the Ninja et American Ninja un peu plus tard.88

Etant réputé pour son bagoût, il n'est pas impossible que Golan ait inventé cette

anecdote de toute pièce pour répondre au journaliste, plus de vingt-cinq ans s'étant écoulés

depuis la sortie du film, personne ne lui en tiendrait rigueur. Toutefois, qu'il ait pris

connaissance de l'existence du ninjutsu avant que Pricilla McDonald ne lui parle du

scénario n'est pas à exclure. Avant que sa société, la Golan-Globus89, n'achète la Cannon en

1979, Menahem Golan était le pilier de l'industrie cinématographique en Israël des années

soixante à quatre-vingt, responsable de la création de presque chaque genre et mode dans

le pays. Dans les années soixante, un autre israëlien avait acquis une certaine renommée, à

plus petite échelle, en devenant le premier élève non-japonais à être accepté par Masaaki

Hatsumi pour apprendre le ninjutsu. De retour en Israël, Doron Navon fonda une école

pour enseigner le savoir qu'il avait acquis90. Que Menahem Golan s'en soit souvenur

lorsque le ninja est arrivé sur le devant de la scène au début des années quatre-vingt est une

théorie qu'il sera difficile de conformer, mais la coïncidence est frappante.

Le choix du titre original, Enter the Ninja, n'est pas anodin et renvoie au titre original

d'Opération Dragon, soit Enter the Dragon, le film qui popularisa le kung-fu en Occident,

malheureusement aidé par le décès de Bruce Lee juste après le tournage. Le but est donc

clairement affiché : faire du ninja le nouveau Bruce Lee et engranger toute une mode

autour du personnage. Pari réussi pour la Cannon puisque le film est un succès populaire,

ce qui pousse le studio à produire de nombreux films de ninja ensuite, et entraîne la mise

en chantier dans d'autres pays du monde, notamment en Asie du Sud-Est, de films se

calquant sur le modèle d'Enter the Ninja. Le studio parvient même à "»créer» une nouvelle

star des arts martiaux en mettant en avant dans la promotion du film son principal méchant:

Sho Kosugi, jusque là élève d'une école de ninjutsu au Japon. D'illustre inconnu, il va

devenir dès Revenge of the Ninja en 1983 le visage officiel du ninja moderne au cinéma.

88 «It started when Chinese Karate films became popular. I looked for something new in Asian martial arts and found information about the Ninja culture in an encyclopedia. That fascinated me and I said I could write story ideas out of it, so we made ENTER THE NINJA and AMERICAN NINJA later on.» SHAI, Oren. Interview : Menahem Golan. http://www.filmsinreview.com/2008/08/20/interview-menahem-golan/ (2008)

89 Du nom de ses deux dirigeants : Menahem Golan et son cousin Yarem Globus, et fondée en 1963.90 THOMPSON, Perry, «The Art of Ninjutsu and the Feldenkrais Method: an Interview with Doron

Navon», Ura & Omote, 1995, n°2, p. 14

Page 60: Ninja Flichty

60 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

Mais la gloire ne sera que de courte durée ; ne se voyant proposer que des rôles similaires,

sa carrière d'acteur s'évanouira en même temps que le boom du ninja à la fin des années

80. Et contrairement à Bruce Lee, sa renommée reste aujourd'hui restreinte aux cercles

d'aficionados du genre.

Sho Kosugi dans Ninja III : The Domination

TOULLEC, Marc, « Ninja, entre Tueur et Justicier », Impact, 1986, n°6, p. 21

Alors quelle image le ninja véhicule t-il dans les productions Cannon de l'époque ? Il

faut tout d'abord diviser en deux catégories les films du genre produit par le studio : d'un

côté, ceux mettant en scène Sho Kosugi, soit Enter the Ninja, Revenge of the Ninja, Ninja

III : The Domination et Nine Deaths of the Ninja ; de l'autre, la série des American Ninja91.

Le traitement étant relativement différent dans chaque cas. Des quatre films avec Sho

Kosugi, Enter the Ninja et Revenge the Ninja sont les plus classiques du point de vue des

caractéristiques générales du personnage maintenant fermement ancré dans le monde

contemporain : capacités martiales hors du commun, gigantesque arsenal d'armes en tout

genre et mysticisme de bazar. Sans verser dans le fantastique, les ninja présents dans ces

films prient régulièrement des présences supérieures, la plupart du temps des divinités

bouddhistes, pour se donner force et courage92. Tout deux intégrent néanmoins les

nouveautés que vont suivre à la lettre tous les films du genre à partir de cette époque :

91 Cinq films réalisés entre 1985 et 1993 .92 Ils utilisent à des fins similaires les fameux mudras en guise d'incantation pour impressionner leur

adversaire.

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61 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

– le héros est un ninja ; jusqu'à présent dans le cinéma occidental, et à l'exception

d'On ne vit que Deux Fois, le ninja était l'ennemi du héros, masqué et anonyme, son

identité et sa personnalité étant sans importance puisque juste bon à mourir sous les

coups de celui-ci. Ici, le héros a appris le ninjutsu et le maîtrise parfaitement, la

mutation du personnage est totale entre les années 70 et 80.

– dans le cas du héros, ninja n'est plus une fonction, telle qu'elle l'était au Japon

féodal, il ne passe pas sa vie à obéir aux ordre d'un supérieur afin d'exécuter des

missions bien définies. Ninja est un talent doublé d'une seconde identité. Sa cagoule

s'enfile de la même façon que le costume d'un super-héros : son identité devient secrète

à partir du moment où son visage est masqué, c'est à ce moment là qu'il se transforme

en justicier. De plus, le héros a une profession propre, militaire dans Enter the Ninja ou

gérant d'un magasin de poupées dans Revenge of the Ninja, et n'utilise son art qu'en sus

de son métier, lorsqu'il le juge nécessaire, ou en dernier recours. Et même s'il le fait la

plupart du temps sous son apparence de ninja, cela n'empêche nullement Franco Nero

de participer à une simple bagarre de bar dans Enter the Ninja, scène prétexte à

augmenter le nombre de démonstrations de ninjutsu du film.

Car ces films se situent dans une catégorie bien précise, celle du cinéma

d'exploitation. C'est-à-dire, par définition, qui exploitent des modes nées de précédents

succès, comportent un grand pourcentage de séquences présentes uniquement parce que

c'est ce que le spectateur est venu voir et flattent la plupart du temps l'instinct voyeuriste du

spectateur à grand renfort de sexe et de violence. Tout cela afin de satisfaire les impératifs

d'une rapide exploitation commerciale, et non une quelconque ambition artistique. C'est

ainsi que Ninja III : The Domination : parvient à raconter une histoire de ninja tout en

plagiant une partie de l'Exorciste et en surfant sur le succès de Flashdance, sorti l'année

précédente au cinéma. Contrairement à ses deux aînés, le film verse allègrement dans le

fantastique : un ninja démoniaque prend possession du corps d'une jeune électricienne pour

survivre à ses blessures. Un peu plus tard, celle-ci subit un exorcisme à la manière de

Linda Blair dans le film de William Friedkin ; même teint verdâtre, même séquence de

vomissement, un sosie de Fu Manchu remplaçant toutefois le Père Merrin. Entre temps

nous aurons eu droit à plusieurs démonstrations d'aérobic très pêchues toutes droit sortie de

Flashdance. Dans Nine Deaths of the Ninja, c'est cette fois James Bond et Rambo qui sont

visés. Le générique nous montre ainsi Sho Kosugi manier le sabre dans un décor enfumé et

entouré de trois demoiselles dénudées, le visuel et la musique rappellant tout deux les films

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62 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

mettant en scène l'espion britannique. Sho Kosugi est cette fois capitaine d'une unité anti-

terroriste à la tenue hybride entre ninja, pour le côté moulant, et commando, pour les

couleurs de camouflage. C'est d'ailleurs plutôt cette dernière fonction qui prend le dessus

puisqu'en dehors de quelques gadgets, comme les éternels shuriken ou une mini-arbalète, le

personnage réagit tout à fait comme Rambo. L'intrigue du second volet se retrouve

d'ailleurs à peu de choses près calquée ici. On peut penser que le film a subi l'influence de

Portés Disparus, sorti l'année précédente, et ayant initié la vague de films de commandos

ou mercenaires devant absolument tout à Rambo II. Films également produits par la

Cannon.

Enter the Ninja avait tenté d'introduire un acteur blanc en tant que héros ninja sous le

visage de Franco Nero, célébrité italienne ayant fait sa réputation de dur à cuire dans le

western spaghetti. Mais l'acteur, fatigué et doublé pour toutes ses cascades, ne jouait pas en

la faveur du ninja, ce qui eu pour conséquence de placer les projecteurs sur Sho Kosugi,

son ennemi dans le film et réellement doué aux arts martiaux. En lançant en 1985 une

franchise avec un héros blanc américain pratiquant le ninjutsu, la Cannon atteint un

nouveau palier : le ninja n'est plus l'apanage du peuple japonais, et le studio s'est

totalement affranchi de l'imagerie originelle, ainsi que tout lien avec l'Asie en général ; il

s'est approprié une figure historique japonaise pour en faire le héros typique du cinéma de

l'époque reaganienne, individualiste et prônant le mode de vie et les valeurs de l'amérique

des années 80. De Enter the Ninja à Nine Deaths of the Ninja, l'identité asiatique s'était

progressivement atténuée pour n'être plus que restreinte à Sho Kosugi et quelques clichés

(le Japon réduit à une maison en bois, un ruisseau dans le jardin et une musique vaguement

orientalisante). American Ninja en est l'aboutissement logique, comme si la Cannon l'avait

consciemment réfléchi depuis le début.

Le héros est membre des marines et envoyé aux quatre coins du monde pour

résoudre des conflits ou en découdre avec des narco-trafiquants. Son corps body-buildé est

tout fait inadapté aux déplacements félins et à l'agilité nécessaire au ninja pour mener à

bien sa mission d'espion, et pourtant, il maîtrise le ninjutsu comme personne. Americain

Ninja amorce ce à quoi va ressembler le personnage dans les années à venir : un monsieur

muscle doué au combat, maniant le sabre et utilisant, parfois, quelques gadgets. Le

costume n'est même plus obligatoire, bien souvent seul les ennemis le portent pour

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63 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

amplifier l'image du combat du bien contre le mal. On sait que le personnage est un ninja

confirmé à partir du moment où lui et les autres personnages l'affirment. Le voir combattre

ne peut qu'entériner ce fait : il a un sabre, c'est donc un ninja. Ajoutons à ce théorème que

désormais, le personnage fait partie intégrante de la culture américaine, voire du décor,

dans la diégèse de ces films. Sho Kosugi et ses ennemis combattaient à l'écart du reste du

monde, sur des toits d'immeuble ou bien dans des repaires secrets, et quand ils

apparaissaient devant le quidam moyen ou la police, la réaction oscillait entre peur,

surprise et incompréhension. A présent, le mot «ninja» est dans la bouche du moindre

figurant, une bataille rangée entre deux clans étant aussi surprenante qu'un combat

d'ivrognes un soir de match de football. En plus de faire rentrer dans l'inconscient collectif

une image du ninja intégralement créée par eux, les studios Cannon ont pour objectif de

trouver un successeur à Sho Kosugi, car Bruce Lee ne fait plus recette et un nouveau

prodige des arts martiaux est récemment arrivé aux Etats-Unis : Jean-Claude Van Damme.

En choisissant Michael Dudikoff pour le rôle du Sergent Joe Armstrong dans la franchise

American Ninja, ils espérent profiter de sa popularité voire, pourquoi pas, le détrôner.

Malgré le succès du film, qui engrangera quatre séquelles, Dudikoff trouvera très

rapidement le chemin de la location quand la vidéo deviendra le nouveau filon à exploiter

sur le territoire américain, prévisageant là de l'avenir du ninja au cinéma.

D'autres films sont produits aux Etats-Unis durant la décennie, chacun réutilisant à sa

façon la représentation faite du ninja dans Enter the Ninja et American Ninja, mais le

marché est monopolisé par Menahem Golan à un tel point qu'il reste peu de place pour eux.

Remplacé par Micheal Dudikoff au sein du studio, Sho Kosugi tentera sa chance ailleurs

avec Pray for Death et Rage of Honor, deux films poussant la surenchère de violence très

loin. Robert Clouse essaye de réitérer son exploit d'Opération Dragon avec Gymkata en

mettant à l'écran une technique de combat originale mêlant gymnastique et karate, mais

même les ninja armés d'arc ne parviendront pas à faire connaître le succès au film. Une

fois arrivé à la fin des années 80, la source semble s'être tarie et l'industrie du ninja telle

que les deux décennies passées l'ont connu périclite. Menahem Golan quitte la Cannon en

1989 et le studio fermera définitivement en 1993. Il faut trouver une nouvelle formule afin

que le personnage ne disparaisse pas totalement des écrans de cinéma. Ou plutôt un

nouveau public pour qui le ninja va une fois de plus subir quelques mutations.

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64 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

3.1.2 Le retour du héros pour enfants

Le premier boom ninja avait commencé au Japon sous la principale influence du

succès des manga centrant leur histoire sur ce personnage bien particulier et dont la cible

idéale était d'une tranche d'âge inférieure à 18 ans. En toute logique, les films apparus à la

fin des années cinquante tentaient d'importer ce jeune lectorat vers le cinéma en proposant

soit des adaptations de ces manga (Kagemaru of the Iga Clan ou The Red Shadow), soit

des films à l'univers imbibé de magie et personnages extraordinaires. L'histoire va se

répéter aux Etats-unis durant les années 80, mais sur un schéma différent, quand une

bande-dessinée destinée à un public adolescent va connaître un relatif succès dès le début

de sa parution en 1984. Les Tortues Ninja naissent d'une d'une blague lorsque deux amis,

Kevin Eastman et Peter Laird, décident d'écrire une histoire parodiant les quatre plus

grands succès de l'époque dans l'industrie du comic-book : deux séries éditée par Marvel,

major de la bande-dessinée américaine, Daredevil et New Mutants, et deux séries

indépendantes, Cerebus de Dave Sim et Ronin de Frank Miller. D'abord prévu pour être un

seul et unique numéro, leur projet va rapidement se transformer en un petit phénomène

forçant leurs auteurs à en écrire une suite. Leur popularité va encore augmenter lorsqu'on

leur propose en 1986 de créer tout une gamme de figurines à l'effigie des Tortues Ninja. La

chaîne de télévision CBS décide alors d'élargir l'âge du public en produisant une série

animée adaptée de la bande-dessinée, plutôt violente pour des enfants de moins de 12 ans,

dès 1987. Le succès sera immédiat, propulsant les Tortues du microcosme de la BD

indépendante à une popularité internationale dont la première conséquence est une énorme

vague de produits dérivés allant du dentifrice aux céréales en passant par des affaires

d'école ou des serviettes. Les objets en question témoignant de la tranche d'âge du nouveau

public visé.

Des ninja de l'ancien temps, Les Tortues Ninja n'entretiennent qu'un très lointain

rapport. Elles utilisent des armes typiquement japonaises (bâton, nunchaku, sabre et sai93),

portent des bandanas comme c'est maintenant la norme dans l'imagerie populaire du ninja,

ont pour maître un rat pratiquant le ninjutsu (peut-être est-ce une référence volontaire au

personnage de Nikki Danjō dans le théâtre kabuki, ou tout simplement une coincidence) et

ont un sens de l'humour affûté. Elles agissent comme des justiciers et sont confrontés la

93 Une courte épée dont les extrémités de la garde s'achèvent par deux courtes lames paralllèles à la lame principale.

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65 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

plupart du temps à des créatures d'un autre-monde ou des créations de savants fous,

intégrant là le ninja dans un courant de science-fiction où il n'avait que très rarement posé

les pieds. Après le dessin-animé télévisé et les jeux vidéos, l'étape suivante est une

adaptation en film en 1990. Celui-ci s'adapte à son nouveau public et écope d'une

classification PG94 pour la MPAA95, réservant généralement le film à une tranche d'âge du

10 ans minimum. La production met toutes les chances de son côté en faisant appel à des

grands noms, chacun étant les réputés dans leur spécialité : Jim Henson, créateur des

Muppets et ayant réalisé Dark Crystal quelques années auparavant, s'occupe des costumes,

Pat Johnson pour la chorégraphie des combats (il s'est fait un nom en s'occupant de ceux de

Karaté Kid qui a eu un énorme impact sur le jeune public et l'influence de la culture

asiatique sur le cinéma américain) ou encore Corey Feldman au doublage, idole

adolescente au sommet de sa célébrité. En plus de d'entériner le phénomène de mode

auprès des enfants, qui portent tous des habits à l'effigie de leur héros préféré et parlent en

utilisant les même termes qu'eux, le film utilise à plusieurs reprises le principe du

placement publicitaire pour la chaîne de fast-food McDonald's. Les Tortues Ninjas sont

devenus un argument de vente très puissant ainsi qu'un outil de marketing efficace pour les

grandes firmes américaines, élargissant fortement la popularité du ninja à travers le monde.

Comme il se doit, le film est un énorme succès, cinquième au box-office mondial l'année

de sa sortie, rapportant plus de 200 millions de dollars pour un budget initial de 13,5

millions.96 Inévitablement, des suites sont mises en chantier, deux exactement, et sortent

respectivement en 1991 et 1993. Les bénéfices seront tout aussi importants.

Les Tortues Ninjas ne seront pas très longtemps les seuls à profiter de l'intérêt que

leur portent le jeune public du monde entier. Dès la sortie de la première adaptation

cinématographique en 1990 débute l'exploitation du phénomène par un certain nombre de

producteurs se reposant sur une recette assez simple pour que l'identification soit

maximale: utiliser des enfants pour jouer les rôles principaux de héros ninja. En cela pas si

éloignée d'un film comme Watari, the Ninja Boy, à la différence toutefois que ce dernier

conservait une image du ninja héritée des différents courants culturels de son pays natal.

Dans le cas de 3 Little Ninjas & The Lost Treasure, premier film de cette vague, difficile

94 «Parental Guidance» , deuxième échelon de la classification de censure américaine.95 «Motion Picture Association of America», nom donné au comité de censure décidant de la classification

des films aux Etats-Unis.96 Box-Office Mojo, Teenage Mutants Ninja Turtles, http://www.boxofficemojo.com/movies/?

id=teenagemutantninjaturtles.htm

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66 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

de voir un quelconque rapport avec l'histoire du ninjutsu: les enfants portent de simples

kimono, adjoints d'un bandeau sur la tête, et se battent à l'aide d'une technique ressemblant

surtout à du karate. A vrai dire, le film tient plus d'un autre succès sorti la même année,

Maman, j'ai raté l'avion, les trois jeunes ninja conservant l'aspect malicieux et débrouillard

de l'enfant interprété par Macaulay Culkin qui joue de sales tours à des adultes plus idiots

que méchants. A la tête de ce projet, on retrouve Emmett Alston, réalisateur de Nine

Deaths of the Ninja pour la Cannon et de plusieurs autres films mettant en scène le

personnage durant la seconde moitié des années 80, qui symbolise à lui tout seul la

reconversion opportuniste de l'industrie américaine du ninja au cinéma vers une cible plus

jeune après son essoufflement en tant que héros américain doué aux arts martiaux. Très

peu distribué, le film connaîtra très rapidement la voie des vidéos-clubs.

Ce sera la Walt Disney Company qui saura le mieux profiter de la situation en sortant

Ninja Kids en 1992, sous la houlette d'un de ses nombreux studios : Touchstone Pictures.

Si la culture japonaise est plus prégnante que dans 3 Little Ninjas & The Lost Treasure, il

s'agit juste d'une touche d'exotisme tentant de justifier l'intrusion du ninjutsu dans le petit

microcosme des trois protagonistes principaux, trois enfants dont le grand-père est japonais

(mais interprété par Victor Wong, acteur chinois) et le père agent du FBI. Ninja émérites

grâce à l'instruction de leur grand-père, ils parviendront à venir à un bout d'un dangereux

trafiquant d'armes de par l'utilisation de leur art. Le film profite de l'absence de nouvelle

adaptation des Tortues Ninja sur les écrans l'année là pour récupérer le public de ces

dernières. Les bénéfices récoltés seront suffisants pour lancer la mise en chantier d'une

séquelle en 1994 puis de deux autres en 1995 et 1998, profitant au maximum de l'attention

qu'a le ninja auprès des enfants, devenu à présent blagueur et se résumant à son bandeau

sur la tête et quelques coups de pieds. Parfait pour s'amuser à l'école avec ses petits

camarades durant la récréation.

3.2 Sur le devant du marché de la vidéo : la fin d'un mythe

3.2.1 Hong Kong, terre d'exploitation

Parallèlement au boom américain du ninja, quelques hommes réfléchissent à la façon

d'exploiter le personnage le plus lucrativement possible, se disant que si un studio comme

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la Cannon a engrangé d'énormes bénéfices sur son dos, il n'y a pas de raison qu'eux aussi

ne puissent pas en profiter, d'autant plus que la vidéo est propice pour inonder ce qui est

alors un tout nouveau marché. Leur acharnement va ouvrir quelques une des plus

fabuleuses pages de l'histoire de la série Z, menant tout droit à la déliquescence de

l'homme en noir.

Plusieurs longs-métrages portent le ninja à l'écran entre 1981 et 1985, des

productions prestigieuses telles que Five Elements Ninja, produit par la Shaw Brothers ou

Ninja in the Dragon's Den, et d'autres plus obscurs, comme Powerforce en 1983. Taillé sur

mesure pour le cinéma de Hong Kong, le personnage sait s'adapter aux fantasisies de la

mythologie chinoise. Ces cas isolés n'auront cependant que peu d'impact quant à la

représentation du personnage et ne susciteront ni engouement, ni culte quel qu'il soit. Il

faut attendre 1985 pour que trois individus peu scrupuleux poussent la recette de

l'exploitation ninja à son paroxysme, entraînant la production de dizaines et dizaines de

films sur le sujet. Le trio est composé de deux producteurs, Joseph Lai et Tomas Tang, et

d'un réalisateur, Godfrey Ho. Avant de devenir le croque mort du mythe ninja dans les

années 80, Godfrey Ho a longtemps travaillé pour le studio Shaw Brothers en tant

qu'assistant de Chang Cheh, un des plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma d'arts

martiaux, et c'est à la fin des années 70 qu'il passera derrière la caméra pour réaliser

plusieurs films exploitant le succès de Bruce Lee97, ou plutôt sa mort, ainsi qu'un certain

nombres en Corée du Sud dont les conditions de tournage sont encore plus avantageuses

qu'à Taïwan et Hong Kong. Premier constat, Godfrey Ho est déjà un fervent adepte de

l'exploitation crapuleuse et des tournages à moindre coût, son expérience va être très utile

pour la suite. Il rencontre Joseph Lai et son associé Tomas Tang quelques années plus tard,

alors qu'ils viennent de créer la société IFD98 Firms and Arts Ltd. Commence alors un

partenariat très fructueux malgré la mésentente entre Lai et Tang qui ménera en 1986 au

départ de ce dernier préférant quitter la société pour créer la sienne ; Filmark. Tout ce qui

concerne les trois homme, et principalement Filmark, est particulièrement nébuleux et

source de nombres interrogrations restées jusqu'à aujourd'hui sans réponses tant personne

ne parvient à se mettre d'accord à ce sujet.

Les deux sociétés ont produit entre 1985 et 1990 presque une centaine de films de 97 Des dizaines et des dizaines de films de kung-fu interprétés par des sosies plus ou moins ressemblant de

l'acteur verront le jour. Depuis l'année de sa mort en 1973 jusqu'au début des années 80. Ce phénomène sera appelé «bruceploitation», contraction de «bruce» et «exploitation».

98 International Finance Development.

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ninja à elles deux, et quasi-exclusivement des films consacrés à ce sous-genre, dont la

ressemblance est telle qu'il est impossible de savoir qui est responsable de quoi sans leur

logo respectif précédant le générique. De nombreuses rumeurs ont fait surface : Tomas

Tang n'existerait pas et serait un pseudonyme collectif utilisé par plusieurs réalisateurs

d'IFD et Filmark, deux sociétés qui n'en faisaient peut-être qu'un99, poussant le vice jusqu'a

feindre leur concurrence, leurs bureaux étant situés au même étage du même immeuble, en

mettant en avant une règle tacite connue de tous : «Si tu travailles pour IFD, tu ne

travailles pas pour Filmark, et vice-versa.100». Adage confirmé par Godfrey Ho dans une

interview accordée au site internet français Hkcinemagic :

Joseph Lai et Tomas Tang étaient à l'origine dans la même compagnie. Ensuite ils se sont séparés, donc il y a entre eux une certaine rivalité. Comme j'étais un bon ami de Joseph, je ne travaillais que pour Joseph. Pas pour Filmark.101

Mais le mystère s'épaissit lorsque l'on regarde de plus prêt les génériques des films

Filmark, comme Death Code : Ninja ou Ninja in the Killing Fields, où les réalisateurs

crédités sont respectivement Victor Sears et York Lam. Or, ces noms sont depuis connus

pour être des pseudonymes utilisés par Godfrey Ho à l'époque102. Détail nié par le

réalisateur : «Les seuls noms que j'utilise sont Godfrey Ho, Benny Ho, Godfrey Hall ou Ho

Chi Keung. Tous les autres, ça n'est pas moi.103». Difficile également de s'y retrouver

parmi toutes les déclarations contradictoires dès que l'on évoque le nom de Tomas Tang.

Mike Abbott, acteur récurrent des productions IFD, affirme l'avoir rencontré104, d'autres

prétendent que Godfrey Ho, Joseph Lai et Tomas Tang ne serait qu'une seule et même

personne ainsi que l'unique réalisateur d'iFD et Filmark. Si des preuves étaient disponibles

dans leurs archives, il est hélas trop tard pour aller vérifier : l'immeuble où se situait les

deux studios a disparu dans un incendie largement médiatisé en 1996, Tomas Tang en étant

soit-disant une des victimes. Soit-disant car là encore encore abondent divers théories pour

aliment la «légende» :

99 Nanarland, Interview de Stuart Smith. http://www.nanarland.com/interview/interview.php?id_interview=stuartsmith&vo=&page=3

100 id.101 Hkcinemagic, Interview de Godfrey Ho.http://www.hkcinemagic.com/fr/page.asp?aid=230&page=3102 SÉVÉON, Julien, « Godfrey Ho - Par le pouvoir du 2 en 1! », Mad Movies Hors-Série: Spécial

Grindhouse, 2008, p. 124103 Hkcinemagic, Interview de Godfrey Ho.http://www.hkcinemagic.com/fr/page.asp?aid=230&page=3104 Nanarland, Interview de Mike Abbott.

http://www.nanarland.com/interview/interview.php?id_interview=mikeabbott&vo=&page=3

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69 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

Les «studios» Filmark / IFD étaient au 7ème étage du Garley Building à Kowloon. [...] La plupart des victimes étaient aux 2ème, 3ème et 4ème étages. Je ne sais pas si qui que ce soit est mort à leur étage. Mais ça ne me surprendrait pas si Ho et Lai avaient essayé de tirer avantage de l'incendie pour arnaquer les assurances. Ca me semble très probable qu'ils aient affublé d'un de leurs pseudos habituels l'un de leurs employés mort dans l'incendie, afin d'obtenir des compensations.105

Le corps du mystérieux Tomas Tang n'ayant jamais été retrouvé, la magouille reste

de l'ordre du probable. Le fait est que toute la brume recouvrant les noms de Godfrey Ho,

Joseph Lai et Tomas Tang ainsi que leurs activités à largement contribué à la

«redécouverte» de leurs films à la fin des années 90 et draîné un tout nouveau public. Mais

il convient tout d'abord de montrer par quels moyens le trio a produit un nombre

considérable de films en à peine plus de cinq ans, donnant au mot «exploitation» ses lettres

de noblesse comme personne d'autre n'a su le faire. La recette repose sur trois principes

fondamentaux :

– utiliser des acteurs blancs, connus sous le nom de gweilos à Hong Kong, dans les rôles

principaux

– en faire le moins possible en poussant la méthode dite du «deux-en-un» dans ses

derniers retranchements

– tourner très rapidement et à moindre coût grâce à des méthodes souvent douteuses

Depuis le début des années 80, les acteurs occidentaux, anglo-saxons principalement,

font partie intégrante de l'industrie cinématographique d'Asie du Sud-est, notamment aux

Philippines, en Indonésie, en Thaïlande et à Hong Kong. Une grande majorité d'entre eux

n'ont aucune expérience dans ce domaine et voient dans le cinéma une façon de gagner un

peu leur vie. Surnommées péjorativement gweilos, littéralement «démons blancs» en

chinois, ils jouent majoritairement des rôles de policiers, de prêtres ou celui du méchant

occidental, impitoyable et cruel, forcément terrassé ou humilié à la fin du film par le brave

et honnête chinois. Une sorte de catharsis pour les spectateurs hong-kongais fatigués de la

présence britannique sur leur territoire et qui n'attendent qu'une chose, la rétrocession de

1997. Godfrey Ho n'ayant aucun intérêt pour une quelconque portée politique dans ses

films, il voit surtout là un très bon moyen de les exporter, les acheteurs étrangers étant très

105 Nanarland, Interview de Bruce Baron. http://www.nanarland.com/interview/interview.php?id_interview=brucebaron&vo=&page=4

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70 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

heureux d'acquérir des films avec des acteurs blancs.

Je missionnais une sorte de producteur délégué, en lui disant : "Va à Chungking Mansions, rencontre des étrangers, demande leur s'ils veulent jouer dans des films…". J'avais simplement besoin de visages occidentaux pour faire les ninja. Ils n'avaient qu'une ligne de texte à dire puis ils s'en allaient, ce n'était pas bien compliqué. C'étaient des doublures qui faisaient les scènes de combat mais j'avais besoin de visages étrangers.106

Progressivement, Godfrey Ho rassemble une équipe de fidèles gweilos que l'on

retrouve de film en film. La plupart n'ont absolument aucun lien avec le cinéma et se

retrouve là totalement par hasard, comme Mike Abbott qui a à peu près exercé toutes les

professions possibles et inimaginables, de pêcheur en haute mer à moniteur de gym en

passant par cuisinier et professeur d'anglais107, ou Bruce Baron, ancien mannequin. Une

exception toutefois puisque Richard Harrisson, ancien acteur de péplum et de western

ayant croisé la route de grands noms du cinéma comme Errol Flynn, Klaus Kinski ou

Christopher Lee, se retrouve lui aussi impliqué dans des productions IFD après que Ho,

qu'il a connu à l'époque du tournage de Marco Polo pour la Shaw Brothers en 1975108, l'ait

contacté. Qu'ils soient plus ou moins expérimentés, tous sont d'accord sur un point : le

statut de gweilos n'a quasiment aucune valeur au sein de l'industrie. Et encore moins dans

les films produits par IFD, qui veille à la dépense de chaque centime.

Nous, les figurants blancs, nous étions grosso modo les plus mal payés sur ce genre de production. La plupart des « acteurs » gweilos étaient des routards, des gens de passage, qui travaillaient pour environ 50 $ US la journée. Les Chinois, surtout ceux de la campagne, ne vous accorderont de respect que si vous êtes quelqu'un de riche, ou qui gagne très bien sa vie.109

Certains, comme Stuart Smith, décident de devenir doubleurs en sus des tournages

souvent exténuants pour arrondir leurs fins de mois. Car à Hong Kong, la majorité des

films sont filmés sans son direct, et toute la bande-son est créée ensuite en studio, encore

106 Hkcinemagic, Interview de Godfrey Ho, http://www.hkcinemagic.com/fr/page.asp?aid=230&page=2107 Nanarland, Interview de Mike Abbott.

http://www.nanarland.com/interview/interview.php?id_interview=mikeabbott&vo=&page=1108 SÉVÉON, Julien, « Godfrey Ho - Par le pouvoir du 2 en 1! », Mad Movies Hors-Série: Spécial

Grindhouse, 2008, p. 124109 Nanarland, Interview de Bruce Baron.

http://www.nanarland.com/interview/interview.php?id_interview=brucebaron&vo=&page=3

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71 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

une fois dans le but d'amoindrir les coûts. Smith post-synchronisait ainsi lui même sa

propre voix mais aussi parfois celle de ses camarades de tournage, gweilos ou chinois.

Nous faisons souvent les trois huit, de jour comme de nuit, en doublant tout, des blockbusters cantonais aux soap opéras brésiliens en passant par des dramatiques TV en costume, sans oublier, bien spur... les films de ninjas !110

De cette façon, Joseph Lai et Godfrey Jo pouvaient se permettre de payer très

modestement leurs acteurs, quelques doubleurs s'occupant de la voix de dizaines de

personnages. Les films pouvaient ensuite êtres vendus plus chers, car déjà doublés en

anglais, et avec des acteurs anglo-saxons au casting. Une première façon de réduire le

budget au maximum. La seconde relève de la méthode du «deux-en-un» dont Godfrey Ho

s'est fait la spécialité avec les films de ninja. Cela consiste à insérer quelques séquences

nouvellement tournées au sein d'un film plus ancien, et de préférence inconnu, de manière

à créer un nouveau film hybride liant les deux par le biais du montage. La façon d'opérer

est relativement simple : IFD s'occupe d'acquérir par dizaines, et pour une bouchée de pain,

des films thaïlandais, taïwanais ou philippins produits durant les années 70 ; Godfrey Ho

tourne ensuite des scènes génériques impliquant ninja et artefacts à retrouver, beaucoup de

combats et des plans de coupe. Dans Ninja Terminator, réalisé en 1985 et premier exemple

de toute la vague qui va suivre, Richard Harrisson, qui incarne un grand maître ninja,

demande à son ami Jaguar Wong, agent d'Interpol, de protéger une femme qu'il pense être

en danger. Seul problème, Richard Harrisson et Jaguar Wong ne jouent pas dans le même

film, ce dernier étant le personnage d'un vieux film de kung-fu sans aucun lien avec

l'intrigue à base de ninja. Leur contact se fera donc uniquement par téléphone, permettant

de passer outre l'impossibilité de les voir au sein du même plan. Dans Ninja Destroyer, les

personnages incarnés par Stuart Smith et Bruce Baron interagissent, de façon très limitée,

avec ceux de l'autre film grâce à des champs/contre-champs n'ayant que peu faire de la

règle des 180°, les raccords regards donnant l'impression que les acteurs discutent avec des

personnages hors-champ.

Les films acquéris par IFD sont ensuite intégralement doublés en anglais, modifiant

de cette façon les dialogues et donc l'intrigue pour que l'intégration se fasse sans heurt. Ce

110 Nanarland, Interview de Stuart Smith. http://www.nanarland.com/interview/interview.php?id_interview=stuartsmith&vo=&page=3

Page 72: Ninja Flichty

72 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

qui n'est absolument pas le cas, la structure se résumant souvent à la même formule : une

nouvelle introduction mettant en scène des ninja, la plupart du temps au combat, puis un

dialogue dévoilant l'intrigue, intrigue ensuite poursuivie par l'ancien film réutilisé, une

nouvelle séquence avec des ninja dont le rapport avec ce qui a précédé est plus qu'abstrait

et se concluant par un dialogue entre acteurs de chaque film, ceci en boucle jusqu'à la

conclusion de l'ancien film suivie par un dernier combat. Au final, ces derniers

apparaissent rarement plus de 15 minutes. Comme si ce la ne suffisait pas à témoigner de

l'efficacité de la méthode pour minimer le budget global d'une production, Ho ajoute des

musiques dont il n'a absolument pas payé les droits. Le principe n'est pas nouveau à Hong

Kong, Tsui Hark avait par exemple procédé de la même manière lorsqu'il avait été

contraint de remonter L'enfer des Armes pour cause de censure en y apposant alors des

titres de Jean-Michel Jarre ou d'autres tirés de la bande-originale du film Zombie de George

A. Romero. Mais Godfrey Ho le fait avec tellement de ferveur et de culot que c'en est

surréaliste. On peut ainsi entendre différents thèmes de La Guerre des Etoiles dans Ninja

Terminator, celui de Deux Flics à Miami dans Ninja, Silent Assassin et plus généralement

le répertoire de Pink Floyd, Tangerine Dream ou Joy Division.

Ce modèle de production permet d'être encore plus efficace que ce à quoi l'industrie

hong-kongaise est habituée.

Les budgets sont minuscules par rapport aux standards hollywoodiens: 1 million de dollars en moyenne, 5 étant réservé aux gros budgets. Les compagnies sont capables d'emballer un film du début à la fin en sept ou huit semaines.111

Le tournage d'une production IFD dure deux semaines et coûte moins de 200 000

dollars112. Mais le budget réel d'un film est beaucoup plus faible car chez IFD et Filmark,

un seul tournage va permettre de monter plusieurs films. Et ce sans en avertir les différents

acteurs. Joseph Lai leur fait en effet signer un contrat pour un ou deux films, les quelques

scènes tournées consistant en quelques dialogues et combats, et ce n'est que bien plus tard

que ceux-ci s'aperçoivent de la présence de leur nom sur la jaquette de plus de films qu'ils

111 «Budgets are minuscule by Hollywood standards : $1 million is average, and $5 is big. Film companies are able to churn out features from start to finish in seven or eight weeks.» DANNEN, Fredric et LONG, Barry, Hong Kong Babylon : An Insider's Guide to the Hollywood of the East, Miramax Books, 1997, p. 7

112 SÉVÉON, Julien, « Godfrey Ho - Par le pouvoir du 2 en 1! », Mad Movies Hors-Série Grindhouse, 2008, p. 124

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73 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

se souviennent en avoir tournés. C'est ainsi que Bruce Baron a appris par le biais de divers

sites internet qu'il avait joué avec Richard Harrisson dans plusieurs productions IFD. Des

scènes avec chacun des acteurs ayant été mélangées et incorporées dans le même film :

C'est, là encore, un bel exemple des méthodes d'IFD, qui consistaient à tripatouiller du métrage et à le ressortir comme un «nouveau» film 2 ou 3 ans après que Richard et moi ayons définitivement cessé toute collaboration avec eux. [...] Je n'ai fait qu'une seule session de tournage pour Ho et Lai [...] Ils m'ont arnaqué en intercalant mes scènes dans Dieu sait combien de films ressortis sous différents titres, distribués et vendus avec nos noms sans nous verser un centime ni à moi ni aux autres.113

C'est Richard Harrisson qui a le plus souffert de ce procédé puisque contrairement

aux autres, il possédait une certaine notoriété dûe à sa longue carrière dans le milieu. Dans

Golden Ninja Warrior, il est crédité au générique, durant lequel il apparaît deux minutes

pour donner un coup de fil... puis, plus rien. Une parfaite démonstration de l'opportunisme

du studio, prêt à tout pour utiliser un nom réputé à des fins purement commerciales.

Harrisson lui-même ne peut confirmer les films dans lequels il a réellement joué, ou plutôt

été inséré : «Je n'ai aucune idée du nombre de films qu'ils ont bien pu faire à partir de la

dernière session de tournage, mais certains vont jusqu'à avancer le nombre de dix.114».

Cela explique comment Godfrey Ho a pu «réaliser» plus de 60 films en l'espace de

cinq ans. Lorsqu'au milieu des années quatre-vingt débute l'âge d'or d'IFD, l'homme est

parfaitement rôdé pour ces tournages «guérilla» se déroulant la plupart du temps dans les

même lieux : les séquences d'introduction et de dialogues dans les bureaux même de la

société, et tous les combats d'abord dans le parc situé en face de leur immeuble puis, quand

la police a commencé à être trop curieuse vu qu'ils n'avaient aucune autorisation, sur les

hauteurs de Hong Kong. C'est pour cette raison que l'on retrouve fréquemment les même

décors d'un film à l'autre. Bruce Baron explique très précisément dans son interview pour

le site internet Nanarland la méthode privilégiée par Ho pour monter le plus de deux-en-un

possible très rapidement et sans changer d'endroit, l'acteur étant à présent conscient de la

supercherie :

113 Nanarland, Interview de Bruce Baron. http://www.nanarland.com/interview/interview.php?id_interview=brucebaron&vo=&page=2

114 Nanarland , Interview de Richard Harrisson, http://www.nanarland.com/interview/interview.php?id_interview=richardharrison&vo=&page=4

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74 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

On préparait une chorégraphie, on enfilait un costume de ninja, on tournait, puis on faisait opérer à la caméra une rotation de 45 degrés pour avoir un décor différent, on mettait un costume d'une autre couleur et on retournait la même chorégraphie. Puis on refaisait pivoter la caméra de 45 degrés, on enfilait un troisième costume, et on tournait à nouveau une chorégraphie identique. Le même combat était ainsi tourné quatre fois, une fois par angle de prise de vue, avec un costume différent pour chacun. Je crois que c'était là la raison pour laquelle nos costumes avaient des couleurs aussi vives : ainsi, les scènes avaient l'air différentes quand on les montait dans des films différents, voire dans les mêmes.115

Godfrey Ho, Joseph Lai et Tomas Tang utilisent tous ces stratagèmes afin de profiter

du marché vidéo, puisque florissent depuis le milieu des années 80 de plus en plus de films

produits uniquement à cet effet. Les clients potentiels étant possiblement moins exigeants

que des spectateurs de cinéma, le trio peut exploiter le filon du ninja sans aucun scrupule.

D'ailleurs, les films se vendaient dans le monde entier avec un certain succès, les Etats-

Unis étant bien évidemment la cible visée, comme le confirme Godfrey Ho : «Si vous êtes

privé du marché américain, vous perdez 50 à 60% des recettes et il devient dificile de faire

de l'argent.»116, d'où le choix des gweilos dans les rôles principaux. Et comme le confirme

Stuart Smith, les films étaient uniquement distribués à l'extérieur de Hong Kong : «[...]

dans les programmes nocturnes de la télé new-yorkaise et sur les ferries entre les îles

indonésiennces, et un peu partout ailleurs. [...] Ils ne sont jamais sortis à Hong Kong.117».

IFD s'en donne à coeur joie, utilisant parfois les même montage en changeant uniquement

les titres et les jaquettes pour les vendre comme des films inédits d'une année sur l'autre.

Partout dans le monde, ces films deviennent des incontournables de la location,

transformant le ninja héros de cinéma en héros de vidéo-club.

En plus d'avoir définitivement fait entrer le ninja dans l'ère de la vidéo, IFD et

Filmark lui ont donné, involontairement, cette image de clown qui continue de perdurer

aujourd'hui. L'aura mystérieuse semant l'effroi chez l'ennemi, les techniques retorses

d'infiltration et l'implacable volonté d'assassinat se sont muées en une panoplie de

caractéristiques plus ou moins ridicules conservée par les deux sociétés du début à la fin de

l'exploitation hong kongaise du ninja. Bruce Baron parlait précédemment de la couleur

115 Nanarland, Interview de Bruce Baron. http://www.nanarland.com/interview/interview.php?id_interview=brucebaron&vo=&page=3

116 Hkcinemagic, Interview de Godfrey Ho, http://www.hkcinemagic.com/fr/page.asp?aid=230&page=4117 Nanarland, Interview de Stuart Smith. http://www.nanarland.com/interview/interview.php?

id_interview=stuartsmith&vo=&page=4

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75 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

vive des costumes utilisé pour faciliter l'insertion des séquences tournés dans différents

films. Enter the Ninja présentait déjà des ninja vêtus de rouge durant son déroulement, le

panel est ici plus large, comportant à peu près toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, choix

plutôt incohérents avec la volonté d'origine du ninja de se fondre dans le décor pour passer

inaperçu. Mais ils n'ont ici que faire de ce détail puisque d'infiltration il n'est jamais

question, allant jusqu'à porter des bandeaux frappé des lettres «NINJA» sur la tête pour

qu'on soit sûr de les reconnaître. Le Japon scindait sa production en deux, entre

productions «réalistes» et univers fantaisiste où la magie jouait un grand rôle. Les Etats-

Unis, à quelques exceptions près, ne dépassaient jamais le cadre de l'ambiance mystique

lorsqu'il s'agissait de montrer l'intérêt du ninja pour l'occulte. Des films comme Ninja

Demon's Massacre ou Ninja Terminator franchissent un nouveau cap et sont les premiers à

affubler leurs personnages de pouvoirs magiques au sein d'un monde contemporain,

permettant d'assister à quelques téléportations ou transformations-éclair de tenue civile en

costume de ninja. Ces éléments montrent des films sous l'influence des séries japonaises

mettant en scène des super-héros aux tenues colorées luttant contre le mal, au budget

souvent minime impliquant des tournages drastiques sur le mode du tourné-monté et aux

effets spéciaux rudimentaires. Appelées Super Sentai, ces séries ont été popularisée dans

les années 80, en France y compris, par des titres comme Bioman ou Ultraman et sont une

véritable institution au Japon. Les productions IFD et Filmark prouvent que leur impact a

été déterminant sur l'image nouvellement modifiée du ninja. Le manque de diversité des

lieux présentés en étant un autre exemple ; carrières désaffectées pour les Super Sentai,

grands espaces verts pour les ninja. Les personnage se déplaçant arbitrairement dans un

espace aux détails suffisamment pauvres pour qu'il soit inutile de faire attention aux

raccords durant le tournage, réduisant ainsi sa durée et donc son coût.

Le ninja tel que représenté dans ces films ne peut être possiblement pris au sérieux et

est un des fers de lance d'une fascination amenant un nouveau comportement chez le

cinéphile depuis une vingtaine d'années : regarder des mauvais films dans le but de s'en

amuser. Le spectateur ne prend désormais plus plaisir à apprécier l'osmose des différentes

qualités techniques et artistiques d'un film mais au contraire à se réjouir de tout ce qui est,

sans aucune volonté de la part des personnes responsables, ridicule, raté et de mauvais

goût. Un terme a été communément désigné pour qualifier en langue française cette

catégorie d'oeuvre cinématographique, celui de «nanar», dont l'origine est parfois à

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76 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

discussion. D'après Bernard Pivot, le terme "nanar" serait un dérivé de "navet", qui

remonterait lui-même à bien avant l'invention du cinéma puisqu'on l'utilisait au 20ème

dans les salons pour désigner des tableaux de peu de valeur ou bien des oeuvres littéraires

ennuyeuses118. Le terme a également été utilisée dans le jargon des brocanteurs et

bouquinistes, un nanar désignant un objet médiocre et invendable119. C'est principalement

par le biais d'Internet que ce comportement s'est développé, des sites comme Nanarland120

en France et So Bad It's Good121 aux Etats-Unis ont énormément contribué à sa

popularisation en faisant la promotion de dizaines et de dizaines de films «drôles car

mauvais122». Une grande majorité de ces films n'étant disponibles que sur les VHS sorties

dans les années 80 et 90, un regain d'intérêt a vu le jour pour ce format.

Grâce à Godfrey Ho, Joseph Lai et Tomas Tang, le ninja est devenu au fil des années

une valeur sûre du «nanar», sa présence sur une jaquette étant source de bonheur pour les

amateurs. La qualité intrinsèque de ces films n'étant pas le seul argument, à cela s'ajoutent.

tous les procédés vidéos les plus malhonnêtes, comme le retitrage abusif, Ninja, the

Protector devenant Motor Devils aux Pays-Bas sans qu'aucun rapport ne puisse être trouvé

au sein du film, ou les flying-jaquettes. Ces dernières consistent à placer sur le boîtier VHS

une jaquette dont le film présenté n'est pas celui disponible à l'intérieur. Des éditeurs

comme Prism ou Delta Canal Vidéo en étaient devenus les spécialistes. Aujourd'hui

encore, et alors qu'on les pensait être des reliques de l'ère de la VHS, les flying-jaquettes

continuent de fleurir dans les rayons des enseignes hard-discount où l'on peut trouver des

DVD calqués sur ce modèle. Principale nouveauté, en plus de ne pas acheter le film que

l'on pense, celui-ci est un simple transfert de VHS. Une chose n'a par contre pas changé : le

ninja est toujours aussi présent dans ce type de supercherie.

118 Nanarland, Définition de Nanar.http://www.nanarland.com/glossaire-definition-69-N-comme-nanar.html

119 Jacqueline Riu, Do You Speak Brocante ?.http://jacquelineriu.fr/webzine/article/8-do-you-speak-brocante.html

120 http://www.nanarland.com/121 Littéralement « tellement mauvais que c'en est bon » : http://www.bad-good.org/122 Nanarland, Définition de Nanar.

http://www.nanarland.com/glossaire-definition-69-N-comme-nanar.html

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77 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

3.2.2 De la VHS au DVD : survie en eaux troubles

Dès le milieu des années 80, le ninja se détourne progressivement du cinéma un peu

partout dans le monde, devenant le prétexte idéal à de très petites productions réservées au

marché de la vidéo. L'image privilégiée est celle du justicier solitaire en provenance des

productions Cannon, idéale pour un film d'action à consommation rapide dont l'intrigue

générique peut être reproduite à l'infinie. Chaque continent veut sa part du gâteau, et même

le Japon va en profiter pour récupérer ce qui lui revient de droit.

Pays méconnu pour son industrie cinématographique, les Philippines ont pourtant été

pendant longtemps parmi les dix plus grands producteurs mondiaux de films. Mais les

comédies musicales et mélodrames des années 30 ont laissé place dans les années 70 à la

montée populaire de films peu coûteux, notamment des films d'horreur et d'action mais

aussi aussi une certaine proportion de cinéma érotique123. Le cinéma de l'époque a souvent

tendance à prendre exemple sur des modèles étrangers, que ce soit le western spaghetti et

l'influence de Django ou toute une vague de films d'espionnage inspirée de James Bond.

L'industrie produit ces films à la chaîne et fait souvent à appel aux gweilos fraichement

débarqués, avant que ceux-ci ne se déplacent à Hong Kong. Arrivé dans les années 80, la

nouvelle mode à exploiter est celle du ninja et les plus grands noms du cinéma populaire

philippin donne à leur tour leur version du personnage. En tête, Romano Kristoff devant la

camérai, Teddy Page derrière et Cirio H. Santiago à la production. Incontournables de

l'industrie du pays, ils tourneront des films comme Ninja's Force ou Ninja Warriors, tout

deux destinés à sortir directement vidéo.

Taïwan participera également à cette mouvance avec les films de Robert Tai,

chorégraphe de combat ayant travaillé pour le studio Shaw Brothers et reconverti en

réalisateur. L'Europe n'est pas en reste avec Honor de Ninja en Espagne, réalisé en 1986

par Salvador Sainz, où un ancien journaliste rescapé des Khmers rouges est recueilli par

des ninja qui vont en faire un maître des arts martiaux ; en Suède, deux films sur le sujet

verront le jour, Ninja Mission et Russian Ninja, les apparitions de ninja dans ce dernier ne

dépassant pas les 10 minutes. La Grèce est peut-être un des pays d'Europe où le marché de

la VHS est le plus développé. La production et consommation massive de magnétoscopes

123 VERA, Noel, «Une courte histoire du cinéma philippin», Mad Movies Hors-Série : Cinémas d'Asie, 2003, n°3, p. 128

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78 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

dans le pays amena l'explosion au milieu des années 80 de films à petit budget tournés au

format vidéo dont la qualité était purement accessoire et destinés exclusivement aux

vidéos-clubs.

Chaque film coûtait approximativement 5 million de drachmes124, mais les bénéfices étaient toujours garantis. Habituellement, pour un budget de 5 millions, le gain était de 7 à 8 millions. Vous pouviez les vendre aux enseignes de vidéos-clubs, les propriétaires n'étaient pas sélectifs du tout. Ils achetaient n'importe quelle cassette.125

Connus sous le nom de «videotainies126», ces films étaient pour la plupart des

comédies dont le casting et l'équipe de tournage étaient constitués d'anciens noms du

cinéma commercial grec passé. Les parodies d'arts martiaux en étaient un des sous-genres

privilégiés, notamment à partir de l'avènement du ninja. L'aspect très amateur peut

expliquer pourquoi ils n'ont jamais été exportés. Dans My Uncle Ninja, les regards caméras

des passants sont plus que fréquents et il n'est pas rare de voir apparaître à l'écran des

techniciens. Lorsque le personnage principal monte dans un bus à la fin du film, habillé en

ninja et filmé caméra à l'épaule, on peut voir la main du caméraman empoigner une barre

métallique pour le suivre. Produits à une vitesse très rapide pour profiter au maximum de la

popularité du ninja avant qu'elle ne s'évanouisse, comme toute mode et engouement, ces

films ne dépassent pas le stade de l'apparence quant à sa représentation. Il n'est pas

impossible que certains producteurs n'aient pas été plus loin que les affiches et les résumés

des films produits par la Cannon, dont le ninja est déjà une caricature en soi, le

transformant par là en une figure anonyme et interchangeable dont le rôle aurait très bien

pu être pris par n'importe quel autre protagoniste de film d'action de l'époque.

Au Japon, le ninja n'a jamais réellement disparu des écrans, il a simplement suivi

l'évolution du jidaigeki dans les années 70 et 80. Durant cette décennie, on ne produit

pratiquement plus de chambara traditionnel pour le cinéma. A la télévision, ces films sont

toujours très populaires, notamment chez les personnes âgées pour qui ils permettent de

revivre un passé révolu. Les grands spectacles héroïques restent l'apanage du cinéma et ne

sont par définition pas propices à mettre en scène le ninja, celui-ci étant resté dans son

124 À peu près 15 000 euros125 Cinemageddon, Videotainia fanpage.

http://cinemageddon.org/doku/doku.php/fanpages:videotainia_fanpage126 «vidéo-cassette» en grec

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79 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

pays à l'opposé des valeurs des samouraï. Une seule solution s'ouvre à lui : la

popularisation du V-Cinema. Littéralement Video-Cinema, c'est le nom donné à l'ensemble

des films tournés pour le marché vidéo au Japon et ce malgré le choix à la base du support

pellicule 16 ou 35 mm. Le format DV étant aujourd'hui privilégié pour des raisons

évidentes de temps et d'argent. Ils durent en moyenne 70 minutes et privilégient le cinéma

de genre, notamment le film de yakuza, la science-fiction et le fantastique. Grande

différence avec son équivalent Occidental, le V-Cinema a rendu célèbre de nombreux

réalisateurs et acteurs tournant quasi-exclusivement pour le marché vidéo ainsi que d'autres

pour lesquels le milieu a servi de tremplin (Hideo Nakata, réalisateur du film Ring ou

Kiyoshi Kurosawa, aujourd'hui présent dans tous les grands festivals). Car en effet, les

cinéastes oeuvrant dans le milieu utilisent le budget très limité pour expérimenter et

proposer des choses plus ou moins intéressantes, même si au final l'intérêt mercantile n'est

pas totalement absent, le V-cinema étant tout de même une industrie économique

fermement ancrée dans la culture nippone127. Pour beaucoup de japonais, il s'agit là d'un

véritable refuge pour ceux qui peuvent vivre dans la plénitude de leur chambre leur passion

pour le cinéma128. Il s'agit donc là d'un creuset intéressant pour le sexe, la violence et les

déviations en tout genre. Le ninja s'y est immiscé dès le début des années 90, remettant au

goût du jour son lien avec l'érotisme, développé par les illustrations au 18ème siècle. La

plupart des histoires impliquent de jeunes femmes, à peine sortie de l'adolescence,

combattant diverses créatures dans leurs tenues moulantes. Des scènes dénudées rythment

le film et l'imagerie proposée est celle des hentaï, ces manga et dessiné animés érotiques

ou pornographiques mêlant sexe et sado-masochisme. L'un d'entre eux, La Blue Girl va

être adapté en trois épisodes durant les années 90 et fera partie des gros succès du V-

Cinema de l'époque.

Progressivement, le chambara va revenir au goût jour, véritable retour au source pour

le ninja qui ne sortira néanmoins que très peu du ghetto du marché vidéo, continuant sa

voie dans l'érotisme facile (la série des Lady Ninja Kasumi, six films jusqu'à maintenant) et

la surenchère de violence (la sortie récente de Geisha vs. Ninja, succession quasi-

ininterrompue de tueries et tortures le confirme).

127 SÉVÉON, Julien, « V-Cinema, la Nouvelle Dimension du Cinéma Nippon », Mad Movies Hors-Série : Cinémas d'Asie, 2003, n°3, p. 63

128 Rappellons que le Japon est le pays des hikikomori, ces jeunes adultes, ou adolescents, restant cloîtrés dans leurs chambres pendant des mois, voire des années, refusant toute communication et ne brisant leurs principes qu'à l'occasion des besoins corporels obligatoires.

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80 - Ninja Flichty in da hood, motherfucker !

CONCLUSION

L'étude de l'évolution de la représentation du ninja au fil des siècles nous a permis de

comprendre comment une figure historique appartenant à la culture japonaise et à priori

ancrée dans une époque bien précise, dont le statut d'espion et de fin stratège en a fait un

objet de fascination, s'est vu transformer en une parodie de héros justicier impossible

aujourd'hui à prendre au sérieux pour la plupart des gens. Si avant même l'avènement du

cinéma, l'image qui était connue de lui se rapprochait d'un malentendu, modelé par les

contes et légendes du folklore japonais et certains des arts les plus populaires du pays au

XVIIIème et XIXème siècles, c'est définitivement son arrivée sur le grand écran qui a

causé sa perte. Sa représentation a plus évolué en l'espace de 50 ans que durant les siècles

où il sévit en tant qu'espion. Le ninja est en cela représentatif de chaque décennie

cinématographique dans laquelle il a évolué, personnage incontournable de la pop culture

japonaise dans les années 60 lorsque nombre de manga en faisaient leur héros, il croise une

des plus grandes stars de la pop culture à l'échelle mondiale : James Bond. Il se fait sadique

et devient un outil de perversion dans des films ne lésinant pas sur le sexe et la violence

dans les années 70 lorsque la censure au cinéma de la plupart des pays du monde se fait

plus leste. Il se transforme en héros américain dur à cuire sous les traits de Michael

Dudikoff dans les années 80, au côté de Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger,

durant les deux mandats de Ronald Reagan et se mue en héros de vidéo-club quand les

premiers films produits uniquement pour le marché vidéo apparaissent.

Le ninja est finalement à rapprocher d'un personnage incontournable de l'histoire du

cinéma dont la représentation a toujours été source de discorde, a évolué en fonction

changements d'époque et ayant été exploité par des cultures qui ne lui sont pas liées : le

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cow-boy. Parfois trop propret dans un far-west sauvage et aux relents racistes envers le

peuple indien, parfois critique de son époque, parfois pouilleux et sans morale, qui peut

dire quel en est l'image la plus fidèle tant l'idée que l'on s'en fait a été quasi-intégralement

façonnée par le cinéma. Tout comme le ninja au Japon avec le chambara, d'autres pays que

les Etats-Unis se sont essayés au western. L'italie, le Mexique, l'Espagne, l'Allemagne et

même le Japon dans les années 60129 ou la Thaïlande avec un film comme Les Larmes du

Tigre Noir ont chacun donné leur version du cow-boy. Mais contrairement au ninja, lui n'a

jamais quitté les écrans et continue de faire rêver les spectateurs.

129 SCHILLING, Mark, No Borders No Limits : Nikkatsu Action Cinema, Godalming, FAB Press, coll. «Cinema Classics», 2007, p. 93

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BIBLIOGRAPHIE

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TOULLEC, Marc, « Ninja, entre Tueur et Justicier », Impact, 1986, n°6, p. 18-22VERA, Noel, «Une courte histoire du cinéma philippin», Mad Movies Hors-Série : Cinémas d'Asie, 2003, n°3, p. 127-128

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FILMOGRAPHIE

Angleterre :On ne vit que Deux Fois (You Ever Live Twice) de Lewis Gilbert, 1967

Etats-Unis :3 Little Ninjas & The Lost Treasure d'Emmett Alston, 1990Ninja Kids (3 Ninjas) de Jon Turteltaub, 19929 ½ Ninja d'Aaron Barsky, 1991American Ninja 2 : The Confrontation de Sam Firstenberg, 1987American Ninja de Sam Firstenberg, 1985Enter the Ninja de Menahem Golan, 1981Nine Deaths of the Ninja d'Emmett Alston, 1985Ninja III : The Domination de Sam Firstenberg, 1984Revenge of the Ninja de Sam Firstenberg, 1983Robot Ninja d'Aaron Barsky, 1990White Phantom De Dusty Nelson, 1987

Grèce :My Uncle Ninja (O Theios mou, o Ninja) de Omiros Efstratiadis, 1987

Hong Kong :Five Elements Ninja (Ren zhe wu di) de Chang Cheh, 1982Golden Ninja Warriors de Joseph Lai, 1986Ninja : Silent Assassin de Godfrey Ho, 1990Ninja Avengers de Godfrey Ho, 1987Ninja Destroyer de Godfrey Ho, 1986Ninja Empire de Godfrey Ho, 1990Ninja Extreme Weapons de Godfrey Ho, 1986Ninja in the Dragon's Den (Long zhi ren zhe) de Corey Yuen, 1982Ninja Powerforce de Godfrey Ho, 1986Ninja Terminator de Godfrey Ho, 1985Ninja the Protector de Godfrey Ho, 1986Ninja's Demon Massacre de Godfrey Ho, 1988Powerforce de Michael Mak, 1983Rage of Ninja de Godfrey Ho, 1988Zombie vs. Ninja de Godfrey Ho, 1987

Japon :Azumi de Ryuhei Kitamura, 2003Carnet Secret des Ninja (Ninja Bugeo-cho), Nagisa Oshima, 1967Castle of Owls (Ninja Hicho Fukuro no Shiro) de Eiichi Kudo, 1963Demon Spies (Oniwaban) de Takashi Tsuboshima, 1974Female Neo Ninjas (Kunoichi Senshi Ninja) de Masahiro Kasai, 1991Geisha vs. Ninja de Gô Ohara, 2008Goemon de Kazuaki Kiriya, 2009Goketsu Jiraiya de Shozo Makino, 1921Kagemaru of the Iga Clan (Iga no Kagemaru) de Noboru Ono, 1963

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La Blue Girl vol.3 : Lady Ninja (Injû gakuen 3: Kunoichi-gari) de Kaoru Kuramoto, 1996Les Ambitieux (Bakumatsu) de Daisuke Ito, 1970Ninja Hunt (Ninja Gari) de Tetsuya Yamauchi, 1982Ninja Wars (Iga Ninpo-cho) de Mitsumasa Saito, 1982Ninja's Weapon (Yoja no Maden) de Sadatsugu Matsuda, 1956Ninjutsu, partie 1 (Yagyu Bugeicho) de Hiroshi Inagaki, 1957Ninjutsu, partie 2 (Yagyu Bugeicho Soryu Hiken) de Hiroshi Inagaki, 1958Samurai Spy (Ibun Sarutobi Sasuke) de Masahiro Shinoda, 1965Shadow Hunters (Kage Gari), de Toshio Masuda, 1972Shadow Hunters 2 : Echo of Destiny (Kage Gari: Hoero taihô) de Toshio Masuda, 1972Shin Shinobi no Mono de Kazuo Mori, 1963Shin Shinobi no Mono: Kirigakure Saizo de Kazuo Mori, 1966Shinobi no Mono : Iga Yashiki de Kazuo Mori, 1965Shinobi no Mono : Kirigakura Saizo de Tokuzo Tanaka, 1964Shinobi no Mono de Satsuo Yamamoto, 1962Shinobi no Shu de Kazuo Mori, 1970Shinsho Shinobi no Mono de Kazuo Ikehiro, 1966Torawakamaru, the Koga Ninja (Nijutsu Gosen-jiai) de Tadashi Sawashima, 1957Warring Clans (Sengoku Yaro) de Kihachi Okamoto, 1963Watari, the Ninja Boy (Dai Ninjutsu Eiga Watari ) de Sadao Nakajima, 1966Whirlwind (Shikonmado – Dai Tatsumaki), Hiroshi Inagaki, 1964Zoku Shinobi no Mono : Kirigakure Saizo de Kazuo Ikehiro, 1964Zoku Shinobi no Mono de Satsuo Yamamoto, 1963

Philippines :Double Edge de John Lloyd 1986Ninja Warriors de John LloydNinj'as Force de Teddy Page et Romano Kristoff, 1985

Suède :Ninja Mission de Mats Helge, 1984Russian Terminator de Mats Helge, 1989

Taïwan :Mafia vs. Ninja (Hong men jue e zhe) de Robert Tai, 1984Ninja Grandmasters of Death (Wang ming ren zhe), Tso Nam Lee, 1983Ninja, the Final Duel de Robert Tai, 1985Shaolin Dolemite de Robert Tai, 1999

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ANNEXE

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Table des périodes de l'histoire du Japon (de -300 avant JC à nos jours)

Période Yayoi (-300 à 250)

Période Yamato (250 - 710)

Époque de Nara (710 - 794)

Époque de Heian (794 - 1185)

Époque de Kamakura (1185 - 1333)

Restauration de Kemmu (1333 – 1336)

Époque de Muromachi (1336 – 1573)

Époque Azuchi Momoyama (1573 – 1603)

Époque d'Edo (1603 – 1868)

Ère Meiji (1868 – 1912)

Ère Taishō (1912 - 1926)

Ère Shōwa (1926 - 1989)

Ère Heisei (1989 – de nos jours)

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INDEX

3 Little Ninjas & The Lost Treasure 65Abbott, Mike 70Alston, Emmett 66American Ninja 4, 59, 60, 62, 63Art de la guerre (l') 10Asian Fighting Arts 18Baby Cart 52, 53Bacalov, Luis 53Bakumatsu 15Bansen Shukai 21, 22Baron, Bruce 70, 71, 73, 74Bioman 75Blindman 53Brown, David 57, 58Bruce Lee 5, 50, 51, 57, 59, 60, 63, 67Caan, James 51Carnet secret des ninja 38Casino Royale 47Castle of Owls 42, 45Cerebus 64Cheh, Chang 67Clouse, Robert 63Corcoran, John 57Culkin, Macaulay 66Dahl, Roald 48Daredevil 64Daredevil in the Castle 36Dark Crystal 65Death Code : Ninja 68Demon Spies 52, 53Deux Flics à Miami 72Django 77Draeger, Donn 18Dudikoff, Michael 63, 80Eastman, Kevin 64Ehon Taikō-ki 20Ehon Takara-gura 24Enfer des Armes (l') 72Enter the Dragon 59Enter the Ninja 51, 56, 58-63, 75Exorciste (l') 61Feldman, Corey 65Five Elements Ninja 67Flashdance 61Fleming, Ian 46, 48Flynn, Errol 70Ford, John 46Friedkin, William 61Fujibayashi, Yosutake 21Gamera 33Geisha vs. Ninja 79Godzilla 33, 34Goemon, Ishikawa 14, 15, 19, 20, 33, 39, 42-44, 49Golan, Menahem 56, 58, 59, 63Golden Ninja Warrior 73

Guerre des Etoiles (la) 72Gymkata 63Gyokuzan, Okada 20Hall, Godfrey 68Hanzo, Hattori 13, 14Hara Kiri 37Hark, Tsui 72Harrisson, Richard 70, 71, 73Hatsumi, Masaaki 26, 40, 49, 50, 51, 59Hayes, Stephen 50, 51, 57Heike Monogatari 11Henson, Jim 65Ho, Benny 68Ho, Godfrey 67-76Homère 11Honor de Ninja 77Ichikawa, Raizo 39Illiade (l') 11Inagaki, Hiroshi 34, 36, 37, 45Inside Kung Fu 57Inspecteur Gadget (l') 50Ito, Daisuke 15James Bond 4, 46-50, 61, 77, 80James Bond contre Dr. No 49Jarre, Jean-Michel 72Jiraiya 17, 18, 31, 33Jiraiya Goketsu Monogatari 17Jiraiya Oteru 31Johnson, Pat 65Joy Division 72Jung, Carl Gustav p.6Kagemaru of the Iga Clan 33, 42, 64Kakusai, Takenouchi 24Kanetsagu, Naoe 19Karate Kid 65Kenshin Guki 19Keung, Ho Chi 68Killer Elite (the) 51Kimura 24Kinski, Klaus 70Kinugasa, TeinosukeKobayashi, Masaki 36Koike, Kazuo 52Kojiki 17Kosugi, Sho 59, 60-63Kotaro, Fuma 22Kramer contre Kramer 57Kristoff, Romano 77Kudo, Eiichi 45Kung Fu 51Kunisada, Utagawa 24Kurosawa, Akira 34, 36, 37, 39, 46, 53Kurosawa, Kiyoshi 79Kusonoki, Masashige 11, 19La Blue Girl 79

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La Brute, le Colt, le Karaté 53Lady Ninja Kasumi 79Lai, Joseph 67-76Laird, Peter 64Lam, York 68Lee, Christopher 70Leone, Sergio 52Lieh, Lo 53Makibi, Kibi 10Maman, j'ai raté l'avion 66Marco Polo 70Matrix p.5Matsunosuke, Onoe 31McDonald, Pricilla 58, 59Meiboku Sendai Hagi 25Méliès, George 31Mifune, Toshiro 34Miller, Frank 64Minamoto, Yoshitsune 19Misumi, Kenji 35, 46Mizoguchi, Kenji 37Mori, Kazuo 15Morricone, Ennio 53Motor Devils 76Muppets Show (the) 65Muramaya, Tomoyoshi 39Musahi, Miyamoto 32My Uncle Ninja 78Nakata, Hideo 79Nanarland 73, 76Naruse, Mikio 46Naruto 18Navon, Doron 59Nero, Franco 61, 62New Mutants 64Nikki Danjō 25, 64Nine Deaths of the Ninja 4, 60, 62, 66Ninja (the) 56-58Ninja Bugeicho 32, 38Ninja Demon's Massacre 75Ninja Destroyer 71Ninja III : The Domination 60Ninja in the Dragon's Den 67Ninja in the Killing Fields 68Ninja Kids 66Ninja Mission 77Ninja Ninpo Gaho 26Ninja Terminator 71, 72, 75Ninja Warriors 77Ninja, Silent Assassin 72Ninja, the Protector 76Ninja's Force 77Ninjutsu 34, 36Nise Murasaki Inaka Genji 24Nobunaga, Oda 13, 14, 15, 20, 40, 43, 44, 49Nochi Kagami 12Norris, Chuck 51Octagon (the) 51Okamoto, Kihachi 36, 37, 38

On ne vit que Deux Fois 4, 46-50, 56, 61Ono, Noboru 33Opération Dragon 57, 59, 63Orochimaru 18Oshima, Nagisa 38Ozu, Yasujiro 46Page, Teddy 77Peckinpah, Sam 51Pink Floyd 72Pivot, Bernard 76Pleasance, Donald 50Porte de l'Enfer (la) 46Portés Disparus 62Pour une Poignée de Dollars 52, 53Powerforce 67Pray for Death 63Purple Killer 16Rage of Honor 63Rambo 61, 62Rambo II 62Rashomon 46Rebellion 37Red Shadow (the) 16, 64Revenge of the Ninja 59, 61Ring 79Romero, George A. 72Ronin 64Russian Ninja 77Sainz, Salvador 77Samurai Spy 38Sanjuro 34, 36Sanpei, Shirato 32, 38Santiago, Cirio H. 77Sato, Masaru 36Sato, Tadao 30, 46Sawashima, Tadashi 32Schwarzenegger, Arnold 80Sears, Victor 68Sept Samouraï (les) 46Shadow Hunters 52Shin Shinobi no Mono – Iga Yashiki 40Shin Shinobi no Mono – Kirigakure Saizo 40Shin Shinobi no Mono 39Shinobi no Mono – Kirigakure Saizo 40, 42Shinobi no Mono 15, 35, 39-45, 48, 49Shinobi no Shu 45Shinoda, Masashiro 38, 39Shinsho Shinobi no Mono 40Shogun 51, 56Shogun Assassin 56Shomonki 11Shunkosai, Hokushu 25Sim, Dave 64Slumdog Millionnaire 5Smith, Stuart 70, 71, 74So Bat it's Good 76Stallone, Sylvester 80Sun Tzu 10Tai, Robert 77

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Taiheiki 11Take, Yamato 17Tamahori, Lee 48Tang, Tomas 67-76Tangerine Dream 72Tigre et Dragon 5Tokugawa, Ieyasu 12-15, 22, 40, 42, 43Torawakamaru, the Koga Ninja 32, 33Tortues Ninja (les) 64-66Toshitsigu, Takematsu 41Toyotomi, Hideyoshi 13, 14, 24, 42, 43Tsukioka, Sahei 24Tuer 35Turnbull, Stephen 18Uesugi, Kenshin 18, 19Ultraman 75

Van Damme, Jean-Claude 63Vie d'Oharu, femme galante (la) 46Vivre et Laisser Mourir 49Von Lustbader, Eric 56, 57Warring Clans 36, 38Watari, the Ninja Boy 33, 65Whirlwind 36, 45Wong, Victor 66Yamaguchi 22Yojimbo 34, 53Zanuck, Richard D. 57, 58Zatoichi 45, 53Zoku Shinobi no Mono – Kirigakure Saizo 40Zoku Shinobi no Mono 39Zombie 72