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Le Morane 406 : des handicaps connus, des performances occultées
Le 10 Mai 1940, lorsqu’est déclenchée l’offensive allemande, le Morane 406 est
numériquement le principal chasseur français. Il représente plus de la moitié des chasseurs
présents dans les unités de métropole, 390 sur 724, et arme 13 groupes de chasse monoplace
sur 24. De ce fait, ses insuffisances, plaçant les pilotes français en infériorité systématique
lors de leurs rencontres avec l’adversaire, devaient peser lourd dans le déroulement de la
campagne.
Le meilleur chasseur du monde !
En mars 1937, seulement 3 ans avant la campagne de France, l’hebdomadaire Les Ailes
traduisait un sentiment très répandu en France lorsqu’il écrivait que le Morane 405 était sans
doute « le meilleur des avions de chasse modernes », comme il apparait dans l’encadré ci-
dessous.
« Le meilleur avion de chasse », les Ailes, 11 mars 1937, via Gallica.
A l’époque même, le propos est discutable, le Hurricane vole depuis novembre 1935, trois
mois seulement après le 406 et le Spitfire depuis mai 1936: il est difficile de considérer ces
appareils comme inférieurs au Morane.
Le 25 Juillet 1936 déjà, le CEMA avait conclu un rapport fort élogieux par ces mots : « le
Morane 405 possède les qualités exigées par les avions C1 du programme de 1934 ; sa valeur
est fonction uniquement de la qualité de ses performances"1. Il faudrait peu de temps pour
que, du fait de ses performances effectivement réalisées, et des informations filtrant sur les
chasseurs étrangers, anglais et allemands en particulier, le chasseur Morane apparaisse comme
rattrapé, puis dépassé. L’expérience des opérations actives, au dire des rapports collectés par
1 Cité par Gaston Botquin, dans le premier article d’une série consacrée au Morane 406 dans « Le Fanatique de
l’Aviation, N°100 à 109, mars à novembre 1978.
2
l’état-major après l’Armistice, allait jeter une lumière crue sur les multiples défauts que
présentait ce type de chasseur. Sans cacher cette insuffisance globale, les auteurs d’après-
guerre allaient cependant lui prêter, en particulier en matière de vitesse maximale, des
performances honorables.
Une publication de référence, les articles de G. Botquin.
Il y a là un problème. En effet, autant les multiples défauts et insuffisances du Morane 406
sont bien documentées, autant les performances qui lui sont attribuées ne correspondent pas à
la réalité historique.
Retours d’expérience : un jugement sévère
Dès le 23 juillet 1940, une Décision Ministérielle invitait les officiers ayant exercé un
commandement au cours des opérations actives, jusqu’au niveau escadrille, à présenter leurs
observations, en vue de dégager les enseignements à tirer de la campagne. Unanimement, les
commandants d’unités équipés de Morane 406, loin de la compréhension dont feront preuve
de nombreux auteurs d’après-guerre, portent un jugement sévère sur cet appareil. Voici un
échantillon de ces appréciations:
Le Commandant Morlat relève les difficultés rencontrées sur le Morane 406 : « Du fait du
manque de vitesse, horizontale, ascensionnelle et en piqué : difficulté et même impossibilité
de rattraper l’ennemi; impossibilité, dans la plupart des cas d’imposer le combat et nécessité
3
de le subir souvent dans des conditions déplorables. Par suite de l’armement un peu trop
faible: obligation, étant au contact, d’abandonner l’ennemi faute de munitions, ou nécessité
d’employer plus d’avions»2.
Le commandant Tricaud, du GCI/6, privé d’armement par le tir d’un DO 17 qu’il avait abattu
au moment de faire face à une patrouille de 3 ME 109, pourra écrire, non sans humour, :
« Plus d’armement ! Le DO17 m’avait sans doute atteint le circuit pneumatique. J’ai trouvé le
sort particulièrement cruel et injuste à mon égard, car il y a 4 ou 5 ans, à la 4ème
escadre à
Reims, j’avais, au cours d’un travail d’hiver, demandé une arme indépendante du circuit
d’air »3.
Le commandant Durieux, du groupe II/7, fait état des sujétions suivantes : « le groupe a
touché 3 moteurs neufs. Pour pouvoir tenir, un service de dégroupage de moteurs a été
organisé au groupe. Les moteurs étaient dégroupés au bout de 90 heures. Le service [du
groupe] a dégroupé environ 30 moteurs. Les pièces de rechange venaient directement
d’usine ».
Le commandant de Saint-Albin, du I/4, équipé de Curtiss, remarque que, « chaque fois que le
Groupe I/4 entra dans un de ces dispositifs [étoffés et étagés], il eut à tenir la place supérieure,
la plus dangereuse. Les Curtiss devaient ainsi protéger les Morane, considérés comme
inférieurs en combat »4; constat que reprend le lieutenant-colonel Moniot, du sous-
groupement 43 : « Le Morane était terriblement handicapé par son manque de performances,
son faible approvisionnement en munitions. Les patrouilles de Morane ne pouvaient plus
opérer seules, et il était absolument indispensables de les protéger par des échelons supérieurs
de Bloch et de Dewoitine. Cette déficience n’a pas été sans avoir des répercussions très graves
sur le moral des pilotes des groupes ainsi équipés »5 .
Les Groupes de chasse observent fréquemment que les Morane arrivent difficilement à suivre
les avions qu’ils doivent escorter, comme le Potez 63-11 « de performances sensiblement
égales à celles du Morane 406 ». D’après le GC II/7, les Potez « effectuent leur travail en
groupe à une vitesse d’ailleurs trop élevée pour être suivie»6.
2 GC II/3, rapport du 23-07-40, SHD 3D510, p. 9.
3 Rapport du 5 Janvier 1941, SHD 3D510.
4 Rapport du14 Aout 1940, SHD 3D510.
5 Rapport non daté, SHD 3D510.
6 CR d’une réunion organisée par l’Inspection de la chasse, Avril 1940, in SHD 1D6.
4
Un Morane en opération pendant la guerre, source: site de F.-X. Bibert.
En définitive, l’avis des pilotes est bien résumé par cette réponse lapidaire du commandant
Michel du GC II/1 : « Matériel aérien : le groupe était armé de Morane 406. Question connue
sans objet. Performance inférieure, armement insuffisant »7. La réponse du colonel Dumèmes,
du Groupement 22, est aussi laconique : « On signalera les deux faits suivants, du reste
parfaitement connus à l’époque et concernant les avions Morane 406 :-insuffisance de
performances,-insuffisance de l’armement »8.
De multiples déficiences techniques
Les rapports d’opération formulaient également une longue liste de déficiences, que nous ne
ferons que citer, sans entrer dans les détails :
-fonctionnement aléatoire des postes de radio ;
-manque de rétroviseurs montés en série ;
-mauvaise visibilité, entrainant la pratique du vol à cockpit ouvert, d’où une pénalisation
supplémentaire en termes de performances;
-vibrations du collimateur, dont la fixation manquait de rigidité, d’où une visée imprécise ;
-réservoir principal de 320 litres sous un petit de 80, le remplissage se faisant via le petit
réservoir supérieur est très lent. De ce fait, les pleins d’essence sont très longs, ce qui
constitue un handicap certain sur le plan tactique ;
-pertes de panneaux de capot en vol, par mauvaise tenue des fixations ;
-fragilité du stabilisateur horizontal aux projections de pierres, bien illustrée par le témoignage
suivant :
7 Rapport du 19 Mars 1941, ibid.
8 Rapport non daté, SHD 3D510.
5
Le 25 Aout 1939, le groupe I/3 quitte la base de Dijon pour son terrain d’opération de
Velaine-en-Haye, près de Nancy: « Nous nous posâmes vers 16h30. Sans plus tarder, nous
eûmes une surprise fort désagréable qui nous donna même des doutes sur l’endroit où nous
avions atterri : un champ couvert de cailloux. Les béquilles de nos avions les avaient projetés
sur les empennages horizontaux, qui étaient transformés en passoire. Vingt Morane
indisponibles et vingt pilotes dans la nature : nous avions l’air fin »9.
Il convient pourtant de relever le caractère paradoxal de la vulnérabilité du MS 406. Comme
l’écrit Botquin, « si la structure n’est pas monocoque, elle est très robuste et ce n’est pas en
elle qu’il faut rechercher des causes de la faiblesse opérationnelle du 406 […] L’ensemble des
nombreux circuits pneumatiques hydrauliques et électriques qui parcourent l’appareil n’est
absolument pas protégé et c’est leur grande vulnérabilité, jointe à la faible puissance du
12Y31 et la faiblesse de l’armement qui handicaperont le plus le 406 à la guerre »10
.
Endommagé par le tir d’un H111, ce Morane s'est posé sur le ventre, Source: site Somme Aviation.
Compte tenu de ces insuffisances, il n’est pas étonnant que le Morane ait été le chasseur
français le moins efficace en termes de ratio victoires/pertes. A contrario, les résultats obtenus
dans des conditions aussi défavorables font honneur au courage et au savoir-faire des pilotes
de l’Armée de l’Air.
9 Général J. Pape, Parfois j’ai envie d’oublier, Icare n°54, été 1970, p. 98.
10 Le Fana, art. cités.
6
Particulièrement défectueux, le radiateur
Parmi les sources de handicap opérationnel du MS 406, les problèmes de radiateurs méritent
une mention particulière, car ils constituent l’exemple d’un défaut qui aurait du être
diagnostiqué plus tôt, alors que sa correction a été entreprise trop tard et, dans un premier
temps, trop mal. Le principe du radiateur escamotable comportait un paradoxe: la vitesse
maximale n’était atteinte qu’une fois le radiateur relevé, ce qui limitait le refroidissement et
donc la possibilité de maintenir cette vitesse au-delà de quelques minutes. En fait, l’avantage
de ce système n’apparaissait qu’en montée, à pleine puissance où le rendement d’un radiateur
fixe était réduit du fait de la vitesse limitée. Sur le Bf 109E, adversaire du MS 406, également
équipé d’un radiateur escamotable, ce système fonctionnait correctement. S’il limitait à
quelques minutes le temps où la vitesse maximale de 570 km/h pouvait être maintenue, il
permettait de très bonnes performances en montée. Sur le Morane, non seulement le radiateur
trainait trop, du fait d’une mauvaise intégration aérodynamique, mais il avait un mauvais
rendement, du fait de circuits trop compliqués.
On semblera découvrir le problème pendant la guerre. Pourtant, dès le 16 Septembre 1938, le
Commandant David, du cabinet du ministre, rapporte que les « responsables de la SNCAO à
Bouguenais lui ont déclaré qu’il était impossible de maintenir pendant plus de deux minutes
un régime maximum sur l’appareil sans risquer de griller le moteur ». Le problème est alors
minimisé par le CEMA, selon lequel « la température stabilisée du [liquide de
refroidissement] Prestone à 4000 m était au radiateur de 113°» pour un maximum admissible
de 120. La marge paraissant trop faible, l’ingénieur Thouvenot, également au cabinet de Guy
La Chambre, prescrit de « demander à Mr. Joux [chef de la Direction Technique et
Industrielle] si une étude a été entreprise par le Service Technique en vue de pallier à cet
inconvénient »11
.
L’anomalie est qu’il ait fallu 4 ans et plus de 1000 exemplaires produits pour qu’il y soit porté
remède, trop tard, sur les Morane 410. Des tentatives antérieurs s’étaient enlisées, ou soldées
par des échecs, comme sur la variante 411, étudiée de l’automne 37 à l’été 1938, munie d’un
dispositif compliqué et peu orthodoxe de refroidissement12
qui dénotait la difficulté des
ingénieurs concernés à résoudre des problèmes pourtant maitrisés à l’étranger.
11
Fonds Thouvenot, SHD Z11607. 12
Cf. Botquin, L’épopée du Morane 406,10, p.25, Fana de l’Aviation, ,
7
Un radiateur mal intégré, source: site avionslégendaires
.
Parmi les velléités d’améliorations tardives, nous avons relevé que, le 31 Octobre 1938,
« l’Inspecteur Général Joux déclare que le MS 406 est perfectible. Il gagnera 20 km/h avec le
radiateur fixe et 30 km/h avec le compresseur Szydlowski, ce qui portera sa vitesse à 540
km/h [sic !] »13
.
Une fabrication laborieuse
Nous n’approfondirons pas ici les problèmes rencontrés dans la production en série du
Morane 406.Ces problèmes tenaient d’abord à la conception même de l’appareil.
« Le Morane 405 ne comptait pas moins de 7000 pièces différentes nécessitant la confection
de 6000 outillages spécialisés. Le temps de construction de cet appareil était de 14 000 à
20 000 heures » devait déclarer Guy La Chambre en 1947, rapportant au passage cet avis du
sénateur de La Grange, devant Pierre Cot, le 9 Décembre 1937 : « c’est un appareil que vous
ne pouvez pas construire en séries importantes avec de gros outillages, car c’est un appareil
conçu par des ingénieurs qui ne savent pas ce que c’est qu’une machine-outil»14
.
Une attestation a contrario du défaut de maitrise, par le bureau d’études Morane de 1934-35,
des exigences de la production en série sur la conception des avions nous est donnée lorsque,
en avril 1940, Morane prévoit pour son modèle 460 une formule innovante: la structure d’aile
en caisson formant réservoir15
. C’est l’occasion pour Pierre Satre de relever l’effort de
Morane, qui « a beaucoup à faire pour rattraper son retard » en matière de conception de
structures faciles à construire.
13
PV du CoMat 31-10-38 14
Cité par D. Cordier, Jean Moulin, tome II, p. 549. 15
Note du service technique au SHAA, carton 652 3K2 259.
8
Note P. Satre sur le MS 460, source CAA Chatellerault.
Malgré ce handicap structurel, et grâce à la mobilisation de moyens importants, la production
du Morane 406 devait dépasser les 1000 exemplaires dont environ 960 à Bouguenais, par la
SNCAO, avec divers sous-traitants, et 120 chez Morane, à Puteaux.
C’est pourtant au moment où étaient surmontées ces difficultés, et où la chaine de Bouguenais
atteignait son plein rendement, avec des sortie mensuelles dépassant les 100 exemplaires,
comparables donc au rythme de sortie du Messerchmidt109 et du total Hurricane plus Spitfire
que la production du Morane devait être volontairement abandonnée. Cette mesure se
comprend en temps de paix. Lorsque, le 24 Mai 1939, une note de la Direction Technique et
Industrielle stipule que « la commande des avions Morane sera arrêtée après livraison des
1061 appareils actuellement commandés »16
, elle ne fait qu’appliquer les dispositions du Plan
V. Il est plus problématique de maintenir cette mesure en Septembre, dans le programme de
guerre, alors qu’elle implique une chute durable de la production de chasseurs en attendant
que débouche la série des Dewoitine 520. Seule, l’infériorité perçue du Morane justifiait une
telle décision paradoxale : imagine t’on l’Air Ministry interrompre ses commandes de
Hurricane, sous prétexte de les reporter sur le Spitfire nettement plus performant ?
Le mythe des 486 km/h
Ouvrages, articles ou sites, comme Wikipedia et Aviafrance, pratiquement toutes les sources,
y compris les plus réputées, s’accordent pour attribuer au Morane 406 une vitesse maximale
de 486 km/h à 5000 m. Il parait donc présomptueux de remettre en cause ce consensus.
Pourtant, le mystère aujourd’hui ne réside pas dans la vitesse maximale d’un Morane 406 de
1940, mais dans l’étrange processus d’occultation qui permet de maintenir, comme le dénonce
Drix dans plusieurs articles, la publication de performances fictives.
Comme nous l’avons vu à travers les témoignages des pilotes l’ayant conduit au combat, le
handicap du MS 406 en matière de performances va bien au-delà de celui qui résulterait d’une
vitesse maximale de 486, qu’il s’agisse de rattraper des bombardiers allemands ou d’escorter
des Potez 63 et, a fortiori, des Leo45.
Alors que les premiers prototypes du MS 405 n’avaient pu dépasser la vitesse de 443 km/h,
inférieure donc aux 450 exigés par le programme de 1934 modifié, le second prototype, à
moteur de puissance inchangée mais équipé d’un réducteur permettant une hélice mieux
16
Note DTI du 24 Mai 1939, SHD 3B6.
9
adaptée atteignit 480 (ou 483) au printemps 1937. Ce résultat semble pourtant peu en rapport
avec les performances réalisées en service par les Morane 406 de série17
. Au-delà de cet
essai, on a du mal à identifier les conditions et la date auxquelles s’est trouvée validée la
vitesse ‘officielle’ de 486 km/h qui ne semble pas s’être retrouvée sur les exemplaires de
série.
Fait troublant, en 1942, lors d’essais approfondis des appareils d’un nouveau lot reçu après
l’armistice, les Finlandais ont obtenu une vitesse de 449 km/h à 5000 m, mais aussi à un
temps de montée à cette altitude de 10 minutes, contre 7 selon les données officielles18
.
L’écart est bien important, même si l’on prend en compte la marge de variation entre
appareils : « dès 1939, les pilotes au front se plaignent de sensibles différences de
performances d’un avion à l’autre, qui rendent l’évolution des patrouilles parfois difficiles »19
.
Les données figurant dans des ouvrages français révèlent parfois certaines contradictions:
Gaston Botquin, par exemple, dans sa série d’articles très documentés, reproduit la vitesse
« officielle » de 486 km/h, pour indiquer ensuite que le n° 1035, équipé de nouvelles pipes
d’échappement, atteignant 509 km/h en Avril 1940, était plus rapide de 40 km/h que le MS
406 standard ce qui fixe implicitement à 469 km/h la vitesse dudit 406 standard. Par un calcul
‘coin de table’, à partir des performances réalisées par le 405 de présérie N°12, Drix établit
que la vitesse du 406 pouvait être de l’ordre de 460 km/h.
De ces contradictions, faut-il conclure que la vraie vitesse du Morane 406 de série, en 1939,
nous est pour toujours inconnue ? Nous ne le pensons pas, car des documents d’époque, de
nature incontestable, permettent de lever les incertitudes.
La vitesse de 450 km/h, qui ressort de divers témoignages de pilotes de Morane usagés
utilisés en opérations, tels que le sergent Boillot ou le capitaine Williame, est cohérente avec
la vitesse de rebut de 460 indiquée au CRAS pour des avions neufs: nous ne voyons donc
aucune justification à perpétuer dans des ouvrages ou articles documentaires le mythe des 486
km/h20
. Il est significatif que l’historique de l’aviation de chasse, jamais publié en l’état, qui
indiquait 485 km/h en première rédaction, est raturé pour indiquer 450 de vitesse maximale!21
Au-delà de la marge d’incertitude qui demeure sur les performances réelles du MS 406,
l’important est que ces appareils ne disposaient au mieux que d’une marge de vitesse sur les
bombardiers allemands trop étroite –Williame l’évalue à une dizaine de kilomètres heures-
pour une interception efficace. Les rapports abondent de patrouilles de Morane ayant
poursuivi des Dornier ou des Heinkel sans pouvoir se placer à distance de tir. De plus, une
fois le dégagement effectué après une première passe, le délai et la distance parcourue avant
une nouvelle passe rendait souvent aléatoire un renouvellement de l’attaque.
17
On trouvera une argumentation très approfondie, mettant en cause les performances ‘officielles’ du MS 406,
sur le site Aviadrix, art. cité, en ligne. 18
Cf. Botquin, L’épopée du Morane Saulnier 406, 12. 19
Botquin, ibid. 20
Instructions du 9-06-39 et du 5-4-39, selon Fiches de réception du CRAS, 29 Février 1940. 21
‘Texte principal’, p.53, in SHD 3D497.
10
Où l’on trouve la vraie vitesse du Morane 406
Divers documents, internes à l’état-major ou au Service technique, convergent pour attribuer
au Morane 406 une vitesse maximale de l’ordre de 465 km/h.
Tableau récapitulatif, Septembre 1939, SHD.
Sur un tableau de Septembre 1939, indiquant les « Caractéristiques des avions modernes », la
vitesse du Morane 406 est donnée égale à 465 km/h, alors que le Curtiss figure pour 490 et
l’Arsenal VG33 pour 56022
. Un autre récapitulatif, également de septembre 1939 donne au
MS 406 une vitesse de 470, contre 520 au MB 152 et D520, doté d’un compresseur
Szyldowski à la désignation bien approximative !23
. On peut discuter la valeur probante de
tels documents récapitulatifs. On ne peut en revanche contester la valeur de l’instruction
fixant au CRAS –Centre de Réception des Appareils de Série- la vitesse de rebut des avions
qui lui sont présentés. Cette norme en effet conditionne une décision lourde de conséquences,
l’éventuel refus de réception d’un appareil pouvant mettre en question l’acceptation de tout un
lot.
22
Annexe à un tableau : Situation de l’Armée de l’Air française, 20-09-39, SHD 2B164. 23
Caractéristiques des matériels devant équiper les unités aériennes, SHD 2B2
11
Fiche de réception par le CRAS
Sur ce document, dont nous reproduisons le passage essentiel, les vitesses exigées des avions
de référence, dans un lot de fabrication, s’échelonnent de 457 à 465 km/h, selon le modèle
d’hélice monté sur l’appareil. C’est par rapport à cette norme que l’on signale le 6 Février
1940, qu’un Morane 406 n°855 « n’a pas réalisé ses performances. Le CEMA estime
nécessaire de vérifier les bases pour étudier, d’une façon certaine, s’il est nécessaire de
refouler tout le lot auquel appartient cet appareil »24
.
Un document de Mai 1940 présente l’intérêt de situer cette vitesse de réception par rapport
aux autres chasseurs en construction.
24
Notes prises au cours de la réunion des avions de série, 6-02-40, SHD 2B164.
12
Comparaison des vitesses exigées, source SHD 11Z12939.
L’indication, dès lors bien illusoire, des 486 km/h devait subsister dans l’Armée de l’Air,
comme l’atteste un document ultérieur. Le rédacteur de l’historique officiel, sur « L’aviation
de chasse française pendant les opérations de la campagne de 1939-1940 »25
avait fait d’abord
apparaitre la donnée « officielle » de 485 km/h, donnée corrigée par une rature ramenant cette
vitesse à 450 km/h. Dans le corps du texte, une rature semblable fait état de 460 km/h, en
phase avec les indications que nous avons relevées antérieurement.
25
Texte principal, archives SHD3D497.
13
Dans l'historique officiel, une donnée corrigée, source SHD 3D497.
Devant cette concordance d’éléments, a priori sur l’invraisemblance des 486 km/h, et surtout
a posteriori, avec la présentation de documents de source incontestable, la question n’est
plus de savoir: quelle était la vitesse maximale du Morane 406, mais plutôt: pourquoi la
littérature d’après-guerre n’a-t-elle pas porté sur cette indication manifestement non pertinente
la même correction que celle qui figure sur le texte, non publié, de l’historique officiel ?
Au-delà de l’inertie des sources de documentation, nous sommes en présence d’un véritable
processus d’occultation, destiné à protéger la réputation de concepteurs et de décideurs qui
avaient un intérêt commun à ne pas mettre au grand jour des insuffisances dont ils
partageaient la responsabilité.
Et si….
La mention, bien répandue dans la littérature, qu’il aurait fallu au Morane 406 un moteur plus
puissant, répond bien mal aux enjeux auxquels doit répondre un scénario contrefactuel qui
verrait cet appareil mis en mesure d’affronter la Luftwaffe de Septembre 1939 à juin 1940,
voire au-delà.
Le scénario le plus pertinent réside dans le développement beaucoup plus rapide d’une
version correspondant pour l’essentiel au MS 410 historique. Après tout, le Hurricane
disposait dès 1938 d’un radiateur raisonnablement efficace et de pipes d’échappement à effet
propulsif. En matière d’armement, le programme technique A23 avait déjà, en Décembre
1937, prescrit une dotation de 4 mitrailleuses pour les chasseurs à moteur-canon en ligne. En
14
revanche, l’inertie de la Manufacture de Chatellerault retardait le développement d’armes à
alimentation continue, et celle des services ministériels le remplacement du système de
commandes de tir pneumatiques.
L’effort industriel, historiquement réalisé, avait permis d’atteindre des cadences de sorties
atteignant les 120 par mois à l’été 1939. Avec un MS 410 plus compétitif, les commandes
auraient pu être renouvelées et la fabrication poursuivie, tout en amorçant un tuilage
progressif vers le Dewoitine 520 plus performant et plus facile à construire.
Un scénario plus radical suppose que le Morane 406 ait été soumis à un processus complet
d’adaptation structurale, du type de celui mené par Servanty sur le Bloch 150. Cela aurait
supposé une forte impulsion, procédant d’une volonté ministérielle d’imposer énergiquement
les normes de la production industrielle moderne. A ce stade, toutefois, nous sortons d’un
scénario technique spécifique pour constater la nécessité d’un scénario plus global, seul
pertinent pour imaginer les conditions et modalités d’une Armée de l’Air en mesure
d’affronter avec succès son adversaire de 1940.
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