Le chameauet le
chamelier
Hank Vogel
Hank Vogel
Le chameau etle chamelier
IUn jour, dans le désert du Hedjaz...
Le chamelier:Si seulement j'avais un amiPour échanger quelques motsOu tout simplement un ennemiCourant derrière mon dosLa vie serait moins monotoneMais d'ici à la MecqueTout est secPas le moindre fruitPas le moindre bruitA en mourir je m'ennuieMême dans mes rêves la nuitBref c’est ma destinéePuisque bédouin je suis né
Un silence.
Mais tout de même!Je mérite que l'on m'aimeEt si j'allais voir ce vieil AbdouQui avec ses cent ans est encore deboutEt passe son temps à se marierIl aurait sûrement une fille à marier
Même la plus vilaine fille des sablesMétamorphoserait ma vie en une fableUne pierre en un châteauUne larme en une flaque d'eauEt cris et soupirsEnrichiraient mes souriresEt ma cervelle de souvenirsMais pour cela on doit faire don d'un cha-meauEt je n’en ai qu'un et qui n’est guère beauTant pis!Pour luiJe ne peux plus vivre ainsiSeul avec des si
IILe chamelier marche en tirant son cha -meau...
Le chamelier:Avance grosse bête!Sois fortFais un effortPour ton dernier voyageNe vois-tu rien sur mon visage?Ne sens-tu pas que mon coeur est en fête?Qu'as-tu dans ton cerveau?Que de l’herbe et de l’eau?Demain j'épouserai une belleCharmante et encore pucelleEt avec elleJe danserai comme un hirondelleDans le ciel du printempsEt j'oublierai le tempsOù je me lamentais sur mon sortEt sur les faiblesses de mon corpsQui amplifiaient ma fatigueEt il y aura des dattes et des figuesDes boissons et des sucreriesMême dans les écuriesOn chantera la joie de vivre
Jusqu’à en être ivreAvance plus viteTa paresse m’irriteJe suis terriblement presséDe rencontrer ma fiancéeQui demain sera ma femmeEt qui dans ce four sans flammesMe permettra de supporterCette chaleur infernaleÉternellement trop matinale
Le chameau:Chez toi l’amour n’est que combineEt je plains cette pauvre bédouine
Le chamelier:Ciel! Mais que se passe-t-il?Le désir rendrait mon imagination fertile?
Le chameau:Elle te transformera en reptileEt tu seras prisonnier de ta propre île
Le chamelier:C’est sans doute la soifOu le soleil sur ma coiffe
Le chameau:Les étroits d’espritRefusent de croire aux espritsEt qu’il existe ailleursUn monde meilleur
Le chamelier:C’est sans doute la fatigueOu mon estomac qui réclame des figues
Le chameau:Il est plus facile de mettre la peurSur le compte de la douleurQue d’affronter la véritéEt de s’avouer sans simplicité
Le chamelier:Le rêve est en train de m 'envahir
Le chameau:Ton entêtement va te punirAie le courageDe dépasser les âgesRegarde derrière toiTon rêve c’est moi
Le chamelier:Soit! Je vais au bout de ma folieDerrière mon dos le désert ne peut êtremoins jolie
Et le chamelier se retourne.
Le chameau:Enfin te voilà face à moi
Le chamelier (étonné):Mais c’est toi c’était toi?
Le chameau:Oui c’était moi
Le chamelier:C’est vraiment incroyableMais depuis quand parles-tu?
Le chameau:Tu me croyais un animal têtu?C’est l’homme qui me rend insupportable
Le chamelier:Réponds à ma question
Le chameau:Puis-je te faire une suggestion?
Le chamelier:Réponds à ma question d’abord
Le chameau:Ce que j’ai à te dire vaut de l’or
Le chamelier:Je veux tout savoir
Le chameau:Vouloir c’est pouvoir
Le chamelier:Cesse de parler en parabolesDepuis quand possèdes-tu la parole?
Le chameau:Peut-être par besoin de souffranceMais cela n’a aucune importance
Le chamelier:Tu vas me rendre malade
Le chameau:Soit! Elle m’est venue au cours de cettebalade
Le chamelier:Vraiment?
Le chameau:Sûrement
Le chamelier:Et pour quelle raison?
Le chameau:Je ne suis pas le maître des saisonsIl faut demander celaA notre seigneur AllahOu à quelqu’un de sa cour
Le chamelier:Ils sont tous devenus sourdsParaît-il
Le chameau:Tu es très subtilMais de moi tu n’en sauras pas plus
Le chamelier:Ton secret me donne des puces
Le chameau:Regarder les beautés d’un momentSans chercher à en faire un monumentC’est vivre pleinement sa vieSans obligation d’en avoir envie
Le chamelier:Je ne comprends rien à tes discours
Le chameau:Il ne fallait pas rêver pendant les coursSurtout de philosophie
Le chamelier:L’école je n’y ai jamais mis les piedsNi de gré ni les mains liésCette noble et universelle institutionN’est réservée qu’à une partie de la popu-lationA ceux qui nagent dans les piastresEt non pas aux déshérités de cet astre
Le chameau:Mais tu es riche!
Le chamelier:Crois-tu vraiment que je triche?Mon lit n’est guère plus grand qu’une niche Toute ma fortune c’est toi
Le chameau:Et sans jardin et sans toitPenses-tu devenir le chef d’une tribu?
Le chamelier:Devenir chef n’est pas mon butMais épouser une fille d’Abdou
Le chameau:Celui qui est né debout?
Le chamelier:Tu veux dire qui est encore deboutMalgré son grand âgeEt qui ne cesse de faire des ravages?
Le chameau:C’est ce que j’ai voulu direAu fait sais-tu lire?
Le chamelier:Ni lire ni écrire
Mais je sais chanter et rire
Le chameau:Ce n’est pas important
Le chamelier:Et toi sais-tu en faire autant?
Le chameau:N’oublie pas que je suis un chameauEt un chameau même le plus beauSe contente d’herbe et d’eauDonc si j’ai bien comprisOn ne t’a jamais rien appris
Le chamelier:Par moi-même j’ai tout découvertEt ainsi je sais qu'il ne faut jamais senourrir de fruits vertsOn risque d'attraper des versÉgalement je saisQu’il ne faut jamais s’exposer au soleilLorsqu’on a sommeilEt surtout pasAprès un grand repas
Le chameau:Et raconter des histoires?
Le chamelier:Je n’ai qu’un mince répertoire
Le chameau:Mais avec un si maigre bagageTu ne pourras épouser qu’une adolescente
Le chamelier:Pourvu qu'elle soit descenteEt déteste les orages
Le chameau:Mais tu mérites mieuxBientôt tu seras vieuxEt avec une femme qui a de la conversationL’ennui perd de position
Le chamelier:Mais tu vaux une mine d’orLa richesse ne remplace-t-elle pas l’ins-tructionDans bien des situations?
Le chameau:Qui te croira que je parle?
Le chamelier:Mais tu parles!
Le chameau:Maintenant avec toi
Le chamelier:Que veux-tu dire par là?
Le chameau:Je refuse de devenir une bête curieusePour avoir à mes trousses Les sectes trop pieusesEt ceux qui toussentNon merci!
Le chamelier:On te prendra pour le MessieEt tu n’auras plus jamais faimEt moi plus d'ampoule à mes mains
Le chameau:J’ai meilleur trésor à t’offrirSi tu ne veux plus souffrir
T’apprendre à réciter des poèmes
Le chamelier:Mais je veux qu’une femme m’aime!
Le chameau:Avec un tel savoirDes milliers voudront t’avoirUne poésie pleine d’humourVaut un baiser d’amourCar un sourire vaut un soupir
Le chamelier:Soit! J’accepte d’être ton élèvePendant tout ce voyageMe paraîtra ainsi de passageCette sale tempêteQui est derrière notre têteEt qui des tonnes de sable soulève
Le chameau:Ouvre alors toutes grandes tes oreillesSurtout au débutOù la fin te semblera sans butEt pourrait te donner sommeil
Le chamelier:Je t’écoute professeurComme un garçon qui écoute sa grandesoeur
Le chameau:Voici la première poésieÉcrite par un artisteQuelque peu humanisteA un moment de fantaisie
Il récite:En navigant près de l’île ÉléphantineJ’ai croisé un pharaonSans pantalonQui travaillait pour une compagnie clan-destineEnnemi numéro unDes musées égyptiensCet homme hors du communQui avait perdu sa foi de politicienÀ force d’avoir adoré RâEt mangé du ratEt à cause de la sécheresseEt de l’égoïsme ses déessesCriait aux touristes navigateursSur leur barque à moteurVenez sur mon île
J'ai un tas de choses à vous faire voir Des amulettes et des statuettes en ivoireEt tout cela avec des souriresEt des rires En navigant près de cette île ÉléphantineJ’ai aussi croisé des ibisEt des fumeurs de cannabisQui ne travaillaient pas pour une compa-gnie clandestineMais ils n’avaient rien d’un pharaonEt pourtant ils portaient tous un un panta-lon
Le chamelier:Je n’ai rien compris
Le chameau:Bien écouter mérite déjà un prix
Le chamelier:J’ai l’impression Que tu te moques de moi
Le chameau:Dans quelques moisTu auras une toute autre opinionCar avec un tel bagage
Comme AbdouCouché ou deboutTu feras des ravagesJe termine ce coursAprès quoi ça sera ton tour De me réciter ce que tu auras retenuN’oublie pasL’essentiel c’est le contenuÉcoute donc sans faire de bruitLe dernier poème pour aujourd’hui
Il récite:Je ne suis ni purNi mûrNi sûrD’être impurMais je suis sûrQue pour acquérir un brin de cultureJ’ai dû franchir mille mursGardés par des hommes dursQui ont horreur de notre futurMême s’il est garni de fraises et de mûresJe ne suis ni purNi mûrNi sûrD’être impurMais je suis sûrQue pour atteindre le sommet de la matu-
ritéAu-delà de toute puretéIl me faudra franchir encore quelques mil-liers de mursEt ce n’est pas pour demainJ’en suis certain
Le chamelier:Mais ces poèmes n’intéressent que lesmousLes singes et les fousEt je crains qu’avec de telles ineptiesUne belle ne me fasse les yeux douxMais plutôt me renvoie sans merci
Le chameau:Aussi étrange que cela puisse te paraîtreSeul les imbéciles ferment leur fenêtreÀ la nouveauté qui vient de naîtreMême destinée à leur apporter le bien-êtreEt si tu épouses une imbécile La vie ne te sera pas facile
Le chamelier:Garde pour toi ta scienceElle ne m’inspire pas confianceJe préfère rester ce que je suis
Et être maître de mes nuits
Le chameau:Fais comme bon te sembleNous aurions fait bon voyage ensemblePas forcément avec grande joieMais plus court en tout casCar un esprit qui raisonneIgnore le temps qui sonne
IIQuelques heures plus tard...
Le chamelier:La tradition veutQue pour épouser une bédouineMême s’il se ruineUn bédouin doit offrir des boeufsDes chèvres ou un chameauAu père de sa future épousea la rigueur un puits d’eau
Le chameau:Jardin n’a toujours pelouseLes idées des genssont aussi capricieuses que le ventUn jour viendraque plus rien ne leur conviendraEt ainsi ils plongerontHurlant des juronsDans le gouffre noir De leurs déboires
Le chamelier:Tes paroles ne me font pas peur
Le chameau:A chaque chose son heureUn jour viendra aussiOù un fou de poésieÉchangera la plus belle de ses progénituresContre un un poème sans structuresNoble ou fantastiquedrôle ou hermétique
Le chamelier:Ce jour-là n’est pas encore néJe sais j’ai du nezEt je connais comme ma pochemes frères de raceIls rêvent de palacesEt non pas de jeux pour miochesNi de phrases qui clochent
Le chameau:Ne sois pas basN’oublie pasque celui qui a découvert Que la terre est rondeA été jeté en enferPar des professeursDes soi-disant connaisseursDe cet imprévisible monde
Le chamelier:Comment se fait-ilQu’un animal de ta sorteSache toutes ces choses?
Le chameau:Terrain fertileNe ferme jamais porteA toute métamorphose
Le chamelier:ta façon de parler Sincèrement me fatigueElle est dure à avalertel un morceau de vieille figue
Le chameau:C’est vraiment dommageQue tu sois hostileÀ devenir un mageVivre en reptileTe paraît plus sagePareille modestieC’est la fin d’une dynastie
Le chamelier:Un bédouin n’est qu’un grain de sable
Dans ce désert si ineffableOseras-tu dire le contraire?
Le chameau:Tu aurais mieux fait de te taire
Le chamelier:Qu’ai-je dit de mal?
Le chameau:Rien d'anormaleMais de trop banal
Le chamelier:On diraitQue tu cherches la petite bête partout
Le chameau:C’est vraiMais afin que tu approfondisses tout
Le chamelier:Tout?
Le chameau:ToutOu le peu que tu connaisses
Le chamelier:Prends garde à tes fessesAprès tout je suis ton maîtreEt tu te comportes en traître
Le chameau:Je ne suis pas un chien Qui tremble face à son patronEt doit faire ses besoinsDerrière son troncUn coup de piedSur mes fessesC’est une caresseMême avec de gros souliersEt puis tu risquerais grosTes larmes couleraient à flotsCar un chameau en colèreContrairement aux humainsNe déplace pas un grain de poussièreEt pour toi ce serait très vilain
Le chamelier:Mais c’est une menace!
Le chameau:Sans aucun douteMais afin que tu gardes tes nerfs en place
Car longue est la route
Le chamelier:Quelle tête!Pour une bête
Le chameau:Un coeur en décadenceAspire à la vengeanceEt se plaît dans la violence
Le chamelier:Soit! Tu es le plus fort
Le chameau:Aurais-tu maintenant des remords
Le chamelier:Non mais je suis presséDe rencontrer ma belle
Le chameau:On t’a bien dressé
Le chamelier:Elle est bien belle!Mais tu renverses les rôles
As-tu perdu le sens du contrôle?Je crois que tu as oubliéQui je suisEt qui tu es
Le chameau:Je n’ai surtout pas oubliéCe que tu poursuisEt ce que tu as tué
Le chamelier:M’accuserais-tu d’assassinat?
Le chameau:Il ne s’agit pas de celaD’ailleurs tu n’irais pas jusque làNon tu as tué ta libertéAu profit de ta fierté
Le chamelier:Mais c’est mon droitD’être aimé d’une femme
Le chameau:Tu as tous les droitsMême de périr dans les flammesCe que je te reproche
C’est ta maladresseAvec ce que l’on a dans les pochesOn trouve toujours une adresseMais l’amour n’est pas un échangeC’est une bénédiction des angesAimer comme une bêteAvec rien dans la têteNi rie dans le coeurC’est plonger dans le malheur
Le chamelier:Alors que me conseilles-tu?
Le chameau:D’être moins têtuEt...
Le chamelier:Et?
Le chameau:Et d’apprendre à réciter ces poèmes
Le chamelier:Jamais de la vie!
Le chameau:Un seul tout de même
Le chamelier:Jamais j’ai dit
Le chameau:Tant pisPrêcher dans le videCela donne des ridesJe préfère me taire à jamaisQui vivraVerraNaîtra sûrement un autre mois de mai
IVLe chameau et son chameau se trouvent,après un très long voyage, face à Abdou...
Abdou:J’ai amassé pierres poliesOr caravanesUn tas d’objets bien joliesEt des caisses de havanesEt de précieux tapisEt des sacs de rizJe suis riche comme personneMa fortuneSe mesure en tonneÀ chaque nouvelle luneMon domaine s’agranditEt chaque nuitJ’ai une nouvelle fille dans mon litJ’ai tout vuJ'ai tout luEt j’ ai tout euEt pourtant ma vie n’est pas si roseIl me manque quelque choseUn peu de fantaisie?Un brin de poésie?Celui qui saura me le me le dire
Jusqu’à sa mort vivra dans le sourireCar il y a un trésorAu-delà de tout confortQui lui sera donnéQuelle belle destinée!
Le chamelier:Précise mieux ta pensée
Abdou:Elle est trop condenséeEt puis si je savaisDe quel mal je souffleTel un volcan plein de souffreDe satisfaction j’exploserais
Le chamelier:Qu’il est compliqué l’être humain
Abdou:Car soucieux du lendemain
Le chamelier:Toi aussi tu en fais partie?
Abdou:Fais partie?
Le chamelier:Des amoureux d’une vie?
Abdou:Puisque tu le dis!Et qui donc me ressemble?Que l’on fasse ménage ensemble
Le chamelier:Je crains que cela soit possibleCar ces gens-làSont trop axés sur leur propre cible
Abdou:Ton désespoir me rend très lasPrésente-moi tout de même un des gens-là
Le chamelier:Mon véhiculeIci présent
Abdou:Ce vieil animal qui reculeFace au moindre vent?
Le chamelier:Il parle comme toi et moi
Abdou:Te moquerais-tu de moi ou quoi?
Le chamelier:Veux-tu en avoir la preuve?
Abdou:Ce désert compte déjà pas mal de veuves
Le chamelier:Tu me crois alors?
Abdou:Je prends soin de mon corpsEst-ce bien vraiCe que tu me racontes?
Le chamelier:Un visage fraisIgnore les contes
Abdou:Et de quoi parle-t-il?
Le chamelier:De philosophie Et de poésie
Abdou:De poésie?Et comment fait-il?
Le chamelier:Tout simplement
Abdou:Tout simplement?
Le chamelier:Oui avec sa gueule et sa langue
Abdou:Et en quelle langue?
Le chamelier:La mienneLa tienne
Abdou:Il connaît des poésiesAs-tu dit?
Le chamelier:Il a été mon professeur Durant ses heures
Abdou:Récites-en une
Le chamelier:Ce soir au clair de lune
Abdou:Maintenant pour me faire plaisir
Le chamelier:Je ne suis pas venu ici faire rireMais pour satisfaire un vieux désirJe ne veux plus être célibataire
Abdou:Et pour dotTu n’as que ce vilain dromadaire?
Le chamelier:Un chameau et extraordinaireEt ma paire de bottesS’il le faut
Abdou:C’est faux!
Le chamelier:C’est faux?
Abdou:Tu n’es qu’un charlatanUn vulgaire marchandQui pour réussirEt satisfaire ses petits désirsVendrait de la pyrite pour de l’orEt n’hésiterait pas de marcher sur les morts
Le chamelier:Je jure sur AllahMon chameau parle comme toi et moi
Abdou:Récite-moi alors une de ses poésies
Le chamelier:Par malheur, j’ai perdu la mémoire
Au chameau:Parle afin qu’il puisse me croire
Le chameau ne réagit pas.
Abdou:Un voleur manque toujours de fantaisie
Et dire que j’ai failli tomber dans ton piègeMais tes idées sont aussi flottantes que leliège
Le chamelier:Mais il parle cher Abdou
Abdou:Et tu essayes maintenant d’être doux?D’abord farceurPuis avec douceurTous les moyens bonsPour s’approprier une belle créatureN’est-ce pas vagabond?
Le chamelier:Tes mots me torturent
Au chameau:Parle sois bonPour que ce vieux richeSache que je ne triche Pas du tout
Abdou:Il est fouIl croit que je suis tombé en enfance
Le chamelier:Tu as tort de ne pas me faire confianceIl parle comme toi et moi
Abdou:Tu l’as déjà dit cent foisrécite-moi alors un de ses poèmesC’est cela que j’aimeEt si je trouve fabuleuxJe pardonnerai pour ton insolenceEt tu sera un homme heureux
Le chamelier:Quelle malchance! Quelle souffrance!Je suis trahi par ma mémoire
Abdou:Alors reviens me voirDans une annéeUne fois avec ta mémoire réconciliéPour l’instant ma fille ne t’est pas destinée
Le chamelier:Une année c’est si lointainEt d’ici là ta fille tu l’auras mariée
Abdou:Ce n’est pas certainCar il m’est si difficile de trouver un allié
VSur le chemin du retour...
Le chameau:Celui qui n’ose plus frapper aux portesSa vie est déjà à moitié morte
Le chamelier:Tiens! Il parle de nouveauMais cela ne sert plus à rien
Le chameau:Je n’ai agi que pour ton bienMon silence c’était mon meilleur cadeau
Le chamelier:J’aurais préféré la fille d’Abdou
Le chameau:Devenir le gendre d’un tel fouC’est pire que d’épouser une folleAussi collant que la colleEt voyant partout la pesteIl surveille le moindre gesteDe ses gendres et de ses filsEr de ses doigts pas un sou ne glisse
Tel un vampireVieux PieuxMais trop envieuxIl cherche même le bonheurEn comptant les heuresJour et nuitSon coeur fait tellement de bruitQu’il est tout étourdiÀ un tel point parfoisQu’il se croitAu sein du paradisMais bien viteCette illusion l’irriteEt il se retrouve seul avec sa souffranceEt pour échapper à son ignoranceIl passe son temps à s'instruireSans jamais rien construireLa poésie l’intrigueMais trop vite le fatigue
Le chamelier:En somme si j’ai bien comprisTa science m’aurait trahiHeureusement que je ne t’ai pas écouté
Le chameau:Au contraire le vieux tu l’aurais envoûtéEt il t’aurait fait don comme de rienDe sa fille et de tous ses biens
Le chamelier:Et j’aurais eu un cinglé derrière moiJusqu’aux portes de la mort
Le chameau:La poésie rend l’homme si fortQu’il finit par ignorerLe chien qui aboie
Le chameau:Pour tout résumerSi je t’avait écoutéJ’aurais pu épouser la fille d’AbdouMais comme je ne t’ai pas écoutéJ’aurais eu tort de devenir le gendre de cefou
Le chameau:Oui car un poète sans un souPeut rendre le peuple saoulMais un ignorant sans un dinarIl est écrasé comme un cafard
Le chamelier:Et un ignorant plein de sous?
Le chameau:Le jour il craint les jalouxEt la nuit il rêve de loupsQui le mordent au cou
Un silence.
Le chamelier:J’ai vraiment agi comme un petit garçon
Le chameau:Veux-tu que nous reprenions la premièreleçon?
Le chamelier:Vraiment tu remettrais cela pour moi?
Le chameau:Si au pouvoir de l’art tu crois
Le chamelier:Je crois surtout à cet angeQui est tombé du cielEt qui donne aux choses un goût de miel
malheureusement je n’ai rien à t’offrir enéchange
Le chameau:Bien que tu sois de temps en temps têtuFaute de n’avoir pas toujours bien vécuTa sincéritéEt ta simplicitéPour un enseignant sont un précieux récon-fortElles te mèneront sûrement à bon port
© Le Stylophile, Hank Vogel, 1985, 2013.
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