MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE …………………
UNIVERSITE DE TOLIARA ..………………..
ECOLE NORMALE SUPERIEURE DE PHILOSOPHIE
LA STRATEGIE ET LA NECESSITE POLITIQUE DE MACHIAVEL A
TRAVERS LE PRINCLE PRINCLE PRINCLE PRINCEEEE
Mémoire en vue de l’obtention du C.A.P.E.N. (Certificat d’Aptitude Pédagogique de l’Ecole Normale),
présenté et soutenu par MARODADY Inné, sous la direction de Monsieur RAKOTONIRAINY Ignace, Maître de conférences. Date de soutenance : 04 Mars 2002 Année Universitaire : 2007 - 2008
MACHIAVELMACHIAVELMACHIAVELMACHIAVEL
LA STRATEGIE ET LA NECESSITELA STRATEGIE ET LA NECESSITELA STRATEGIE ET LA NECESSITELA STRATEGIE ET LA NECESSITE
POLITIQUE DE MACHIAVELPOLITIQUE DE MACHIAVELPOLITIQUE DE MACHIAVELPOLITIQUE DE MACHIAVEL
A TRAVERSA TRAVERSA TRAVERSA TRAVERS LE PRINCELE PRINCELE PRINCELE PRINCE
REMERCIEMENTSREMERCIEMENTSREMERCIEMENTSREMERCIEMENTS
Je remercie chaleureusement ceux qui ont bien voulu m’aider de leurs
conseils et de leurs remarques : Monsieur RAKOTONIRAINY Ignace, mon
encadreur, qui a accepté la lourde tâche de débarrasser le manuscrit des
nombreuses scories qui l’encombraient. Il ne doit pas être tenu pour responsable
de celles qui, par ma faute, pourraient y subsister.
Ce présent mémoire n’aurait pas pu être réalisé sans l’aide de Dieu et la
collaboration de quelques personnes généreuses, que je tiens à remercier
pareillement, de tout mon cœur :
- Monsieur ZENY Charles, Directeur de l’Ecole Normale Supérieure, qu’il
nous a donné un cours sur la méthodologie de recherche et de rédaction
d’un mémoire.
- Monsieur SAMBO Clément, Professeur Habilité, qu’il trouve ici
l’expression de mes sincères et vifs remerciements de ses cours et son
soutien moral.
- Monsieur RAZAFITSIAMIDY Antoine, Enseignant à la Faculté de
Philosophie de l’Université de Toamasina.
- Tous les Enseignants qui, dès la première année jusqu’à cette fin d’étude,
nous ont encadré et appris tant de connaissances.
- Mes parents et mes chères soeurs, qui m’ont soutenu financièrement et
moralement.
- Enfin, tous mes amis et toutes les personnes, de près ou de loin, d’une
manière ou d’une autre, qui m’ont apporté des conseils dans
l’amélioration de ce travail.
Cette page est insuffisante pour vous témoigner ma gratitude mais je vous
dis tout simplement et avec haut respect : « Infiniment merci ! ».
INTRODUCTION
Partant de l’idée selon laquelle l’homme est l’animal le plus complexe par
excellence, nous constatons que dans son milieu social, il aspire toujours aux meilleures
conditions pour son bien-être. Dès l’Antiquité à nos jours, cette question préoccupe bon
nombre de penseurs et notamment les penseurs politiques. C’est dans ce cadre que les
pouvoirs politiques sont devenus nécessaires dans les différentes sociétés. De ce fait, en
politique, la nécessité est plus sollicitée car elle aide beaucoup les princes au pouvoir tout
en fragilisant les multiples influences venant de la méchanceté de l’homme. Conformément
à tout ce que nous assistons au monde politique à l’heure actuelle, nous remarquons que la
stratégie et la nécessité politique sont devenues l’unique principe de légitimité. Le fait
majeur est que la question sociale soit devenue mondiale : les aspirations des hommes au
pouvoir d’aujourd’hui, c’est de se débarrasser de la morale. De cette perspective, l’un des
penseurs de la Renaissance, Machiavel, est fier de la positivité de ses études dans la
politique, sans tenir compte de la réalité des autres en justifiant l’action du prince par la
nécessité et non plus par la morale. Cependant, pour faciliter nos réflexions sur ce point,
nous proposons de nous retourner à notre auteur.
Né à Florence, en Italie, le 04 Mai 1469, dans une famille de la haute bourgeoisie,
Nicolas Machiavel est le fils de Bernard Machiavel, trésorier pontifical à Rome et docteur
en droit, et de Bartolomea de' Nelli. Soucieux de faire de Florence un véritable Etat, à la
fois démocratique et théocratique, Machiavel s’est inspiré du moine dominicain Savonarole
entre 1452 -1498, année où il a exercé la fonction de secrétaire de la seconde chancellerie.
Il est un homme politique qui reçoit une éducation humaniste, et qui, loin des affaires de
son pays, se sent complètement inutile. Il mène des missions diplomatiques, en Italie
comme à l’étranger, se forgeant ainsi déjà une opinion sur les mœurs politiques de son
temps où se sont illustrées ses qualités d’observateurs. Durant cette même période,
Machiavel a accumulé une riche expérience diplomatique, militaire et politique. Cette
même expérience lui a permis de faire une excellente carrière politique de négociations et
d’opérations militaires pour le compte de la République de Florence. De telles compétences
diplomatiques l’ont conduit à étudier les stratégies adaptées par les dirigeants de son temps.
3
Machiavel a ainsi réalisé qu’il serait difficile d’espérer sa survie sans le recours de ses
propres forces. On y trouve les prémices de sa conception politique dans Le Prince.
En 1513, il écrit Le Prince alors que quelques mois plus tôt, la République vient
d’être renversée par les Médicis aidés par les troupes d’occupation espagnoles. Machiavel
est soupçonné d’avoir participé à la conjuration fomentée par Pier Paolo Boscoli. Il a été
ainsi démis de ses fonctions, emprisonné quelques jours, sans doute torturé, et il est tenu
éloigné du pouvoir par les nouveaux maîtres de la cité. Dans ce temps, il s’est effectué de
continuer à écrire cet ouvrage le plus fameux, lequel relate les désordres du gouvernement
de la cité. Ce livre, publié après sa mort, est divisé en vingt-six chapitres : la première partie
est consacrée aux différentes formes de principautés et aux moyens de les conquérir ;
quelques chapitres analysent les grandes questions ayant trait à la vie intérieure et à la
politique étrangère de l'Etat, celles-ci finissant par se réduire à un seul aspect déterminant
l'organisation des forces armées. Mais les chapitres les plus marquants, et qui ont valu à
leur auteur de passer dans la langue courante avec l'épithète « machiavélique », sont ceux
consacrés au prince lui-même, à l'homme d'Etat et aux qualités dont il doit faire preuve
pour diriger les affaires publiques. Implacables et rigoureuses, faisant fi de toute
considération morale, montrant sans détour que la force est le seul principe sur lequel
s'appuie tout Etat digne de ce nom. Ces pages ont posé le fondement de l'analyse politique
moderne. En effet, le Prince énonce sur la politique des jugements si moralement
inadmissibles que le terme de « machiavélisme » a été forgé afin de les qualifier et de les
dénoncer. Est dit « machiavélique », le responsable politique capable d’employer n’importe
quel moyen pour parvenir à ses fins - agissant sans scrupule.
Le but de Machiavel est de dévoiler le pouvoir dans toute sa nudité, et de
s'interroger, non pas sur ce qu'un Etat devrait être, sur des idées à l'instar de Platon, mais
sur ce qu'il est en vérité, ce qui constitue à l'époque une innovation. La réduction de
Machiavel au machiavélisme est cependant trop simpliste. Le Prince est un ouvrage qui
peut sembler inattaquable par sa lucidité. Oeuvre géniale dans son ambiguïté, qui peut être
lu soit comme un traité de gouvernement à l'usage du despote, soit comme un ouvrage de
science, voire comme une critique déguisée du despotisme. On peut même lire Le Prince
4
comme une des premières oeuvres de science politique car l'auteur ne cherche qu'à décrire
les mécanismes du pouvoir, à la manière du physicien qui détermine les lois de la
gravitation. De lecture simple en apparence, il est aussi un ouvrage d'une grande densité
dans lequel des théories fortes et nouvelles sont inscrites. Sans doute, pour Machiavel, son
ouvrage est une tentative de retrouver une place dans la vie politique de Florence. Dans ce
livre célèbre, il ose, comme il l'écrit dans sa dédicace, donner des règles de conduite à ceux
qui gouvernent. En effet, dit-il :
Il ne faut pas que l’on m’impute à présomption, moi un homme de basse condition, d’oser donner des règles de conduite à ceux qui gouvernent. Mais comme ceux qui ont à considérer des montagnes se placent dans la plaine, et sur des lieux élevés lorsqu’ils veulent considérer une plaine, de même, je pense qu’il faut être prince pour bien connaître la nature et le caractère du peuple, et être du peuple pour bien connaître les princes1.
La tâche politique de Machiavel ne s’arrête pas avec Le Prince. Il a aussi
judicieusement commenté l’histoire romaine dans le Discours sur la Première Décade de
Tite-Live en 1520, où il a exprimé son propre vœu. C’est dans ce sens qu’il affirme que :
C’est pour détromper, autant qu’il est à moi, les hommes de cette erreur, que j’ai cru devoir écrire sur tous les livres de Tite-Live que la méchanceté des temps ne nous a pas dérobée. Tout ce qui, d’après la comparaison des événements anciens et modernes, me paraîtra nécessaire pour en faciliter l’intelligence. Par là, ceux qui me liront pourront tirer l’utilité qu’on doit se proposer de la connaissance de l’histoire 2.
Pour comprendre les réalités socio-politiques de son temps, cet ouvrage illustre avec
le principe, les principales occupations de Machiavel à savoir l’art de la pensée politique
qui trouve aujourd’hui sa justification partout dans le monde. Voilà pourquoi nous avons
choisi la pensée politique de Machiavel et, notamment ce qui a trait à l’analyse de la
stratégie du pouvoir. C’est ainsi que ce mémoire est intitulé : LA STRATEGIE ET LA
NECESSITE POLITIQUE DE MACHIAVEL A TRAVERS LE PRINCE. Sur ce point, les
questions qui se posent sont les suivantes : Est-ce qu’un homme peut être gouverné par un
homme ? Comment accéder ou s'emparer du pouvoir ? Que faut-il faire pour le maintenir ?
Quelles qualités doit avoir l’homme d’Etat idéal ?
1 Nicolas Machiavel, Dédicace du Prince à Laurent II de Médicis. 2 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, p. 378
5
Dans Le Prince, Machiavel décrit non seulement l’art politique du prince pour
conquérir ou maintenir le pouvoir, mais aussi les méthodes techniques propres à faciliter la
tâche du prince sur son trône. Le Prince présente un régime politique où la Raison d'Etat
prime et doit permettre l'amélioration de l'homme et de la société. C’est ainsi que se définit
la philosophie politique de Machiavel, et qui n’est pas sans rappeler celle de Lénine, pour
qui, la fin justifiait souvent les moyens. Cependant, gardons-nous de considérer le
machiavélisme à un simple second degré, la volonté de Machiavel, de par des calculs rusés,
démagogiques et souvent perfides, est de préserver le peuple de soulèvements qui
pourraient le conduire à la famine et à la répression armée. Ici, on expose l'art et la manière
de gouverner en jouant habilement des humeurs antagonistes du peuple et des Grands, au
moyen d'une politique sachant faire usage aussi bien des lois que de la force et de la ruse3.
Pour ne pas être mal interprété, Le Prince doit être lu en parallèle avec le Discours sur la
Première Décade de Tite-Live, ouvrage explorant, à la lumière de l'exemple de Rome, les
moyens nécessaires à l'édification en Italie d'une véritable République. L'objet d’étude de
Machiavel est l'exercice du pouvoir.
Pour l’essentiel, ce travail est une esquisse d’analyse sur les concepts directeurs qui
anime la pensée de Machiavel, allant des principes machiavéliens aux modes d’acquisition
et de conservation du pouvoir, faisant appel à certaines stratégies biens déterminées. La
ruse et la force font néanmoins appel à certaines qualités d’âmes et de moyens technico-
financières : la virtù, l’habilité, la fortune. En entreprenant ce travail, tout un arsenal de
difficultés nous a assailli. Pour l’étude de fond, nous étions confrontés à la dispersion des
concepts machiavéliens qui sont, certes, assez explicites, mais qu’il faut analyser en
fonction de leur contexte lié aux situations politiques actuelles où le machiavélisme
s’affiche. Ce travail aussi apparaît comme un guide à tous ceux qui veulent se maintenir au
pouvoir. Malgré ces dispersions des textes de Machiavel, nous allons centrer notre travail
dans deux ouvrages : Le Prince et Le Discours sur la Première Décade de Tite-Live, et
nous sommes amenés à étudier ce sujet en trois parties. La première s’intitule : la spécificité
de la politique machiavélienne. Nous l’élaborons en trois volets principaux. Dans le
premier volet, nous analyserons les principes machiavéliens. Dans les deux autres, nous
3 Malcom-X, http://www.vulgum.org/spip.php, Samedi 03 Juin 2006 (20h 45)
6
insisterons sur la conquête du pouvoir et l’art de gouverner une fois au trône. De là, nous
estimons indispensable d’étudier comment le prince entend conquérir le pouvoir suivi de
l’art politique dans l’exercice du pouvoir. Quant à la deuxième partie, elle constitue une
analyse politique de Machiavel, enrichie avec les rapports issus des activités politiques de
différents Etats du monde. Le premier chapitre définit le rapport entre Machiavel et le
prince, clôturé avec les principes moraux dans l’art de gouverner, au dernier chapitre. La
force et la ruse sont liées à l’art spécifique de paraître un homme de mérite. La dernière
partie du travail met l’accent sur les apports conceptuels de Machiavel, qui a commencé par
la modernité machiavélienne, faisant appel au rôle principal du prince et mis au point par
les grands traits de sa conception politique.
7
PREMIERE PARTIE :
LA SPECIFICITE DE LA
POLITIQUE MACHIAVELIENNE
8
Il faut d’abord rappeler que Machiavel est un penseur de la Renaissance, une
époque où se forment les nouvelles sciences physiques et naturelles. Elle se distingue du
Moyen-âge qui ne cherchait que le sens et la fin de l’univers dans une norme qui ne pouvait
être qu’au-delà de notre monde. Dans la maîtrise de la nature, la société renaissante se
transforme grâce aux savants et aux ingénieurs. Mais elle doit aussi inventer des techniques
propres pour assurer la domination d’hommes sur d’autres hommes si elle veut s’affranchir
de l’autorité de l’Eglise. C’est pourquoi, dans le domaine de l’histoire et de la politique,
Machiavel rompt avec la tradition chrétienne issue de Moyen-âge, renoue avec les
historiens de l’Antiquité et tâche d’éclairer de façon rigoureuse les pratiques politiques de
son temps. Essayons d’analyser les principes machiavéliens avant de mieux pénétrer plus
avant.
CHAPITRE 1 : LES PRINCIPES MACHIAVELIENS
Avant tout, la pensée selon laquelle tout n'est pas politique, mais la politique
s'intéresse à tout, nous incite à bien distinguer la politique proprement dite dans la stratégie
de Machiavel. Nous sommes maintenant en mesure de donner une définition générale de la
stratégie machiavélique. Sur ce cas, nous proposons de considérer comme machiavélique
toute stratégie qui consiste à servir ses intérêts par l’emploi de méthodes amorales sous le
couvert d’une apparence de moralité. A partir de cette définition, nous pouvons aisément
dire que c’est là le modèle fondamental de la stratégie de gestion. Pour s’en convaincre, il
suffit de constater l’influence considérable de l’analyse coût - bénéfices dans les décisions
d’affaires.
Ainsi, sous le couvert d’une rationalité scientifique, l’entreprise peut justifier
certaines de ses pratiques les plus douteuses, comme l’illustre le célèbre cas de la Pinto de
Ford. Dans les années 70, Ford produisait des voitures dont le réservoir à essence était situé
à un endroit peu sécuritaire car l’importance du style de cette automobile l’emportait sur les
exigences de l’ingénierie. Dans ce cas, à la suite d’impact, le réservoir à essence risquait
d’exploser et le résultat donne au moins 53 morts. Ford savait que sa voiture était
dangereuse, mais ayant évalué que ses pertes dues à ce défaut étaient inférieures au coût de
modification de ses véhicules, l’entreprise jugea que la décision la plus rationnelle était de
9
ne pas procéder à la modification. Lors de poursuites judiciaires, Ford soutient qu’elle
n’avait rien à se reprocher car elle respectait toutes les normes de l’industrie. Elle
s’abstenait cependant de déclarer qu’elle avait tout fait pour retarder l’adoption de normes
de sécurité plus exigeantes. Ainsi, sous le couvert d’une vertueuse volonté de respecter la
loi, Ford avait manoeuvré de façon à servir ses intérêts sans tenir aucunement compte de
l’éthique4.
De la même façon, le cas de l’amiante constitue un autre exemple de stratégie
machiavélique. Afin de ne pas augmenter leurs coûts d’opération, les compagnies
d’amiante ont refusé pendant des décennies de reconnaître les risques que représentait
l’amiante pour la santé des travailleurs. Même s’il était scientifiquement prouvé depuis
1949 que la poussière d’amiante est nocive pour la santé, les compagnies avaient
sciemment négligé d’installer des dispositifs de contrôle et d’élimination de la poussière
d’amiante. De plus, afin de se donner une apparence de moralité, les compagnies
soumettaient leurs employés à un examen annuel dans leur propre clinique et leur déclarait
qu’ils étaient en santé alors qu’en fait ils étaient sérieusement atteints. C’est ainsi que l’on
demanda un jour à un cadre d’une compagnie d’amiante américaine : « Êtes-vous en train
de me dire que vous allez laisser ces gens travailler jusqu’à ce qu’ils tombent morts? » Et
le cadre répondit : « Oui, nous épargnons de cette manière beaucoup d’argent »5. Voilà la
raison qui nous permet de dire la stratégie machiavélique. Nous ne pouvons pas oublier
aussi que les maisons pré - fabriquées italiennes formant les cités universitaires malgaches
sont faites avec cette matière.
Les cas que nous venons de présenter sont sûrement de véritables abominations.
Mais il est également évident que si une entreprise décide de se doter de critères moraux
supérieurs à ceux de ses concurrentes, en investissant, par exemple, pour diminuer ses
émissions polluantes, améliorer la sécurité sur les lieux de travail et s’assurer de la sûreté de
ses produits, elle augmentera nécessairement ses coûts de production et risquera d’être
écrasée par la concurrence. Justifiant cela, Philippe Van Parijs nous dit :
Tournons-nous maintenant vers les entreprises et demandons-nous ce qui se passe lorsque l’une d’entre-elles, ou un certain nombre
4 Cf. Michel Dion, L’éthique ou le profit, pp. 103 - 105 5 Louise Otis, « Éthique et travail : un défi vers l’égalité », L’éthique au quotidien, p. 80 - 81
10
d’entre-elles, s’efforce de faire prévaloir l’éthique sur la rentabilité, ses valeurs sur ses intérêts, là où il existe entre celles-là et ceux-ci un véritable conflit. Cette fois, non seulement le mécanisme du marché ne va pas conduire au triomphe de la vertu, à la moralisation de la conduite de ceux-là mêmes qu’aucune morale n’inspire. Mais, en raison de l’avantage concurrentiel dont jouissent les entreprises qui ne s’imposent aucune autre contrainte éthique que celle que motive la crainte de sanctions légales, il induit au contraire l’extermination systématique - éthique comprise - des entreprises qui tentent de se conformer, malgré leur coût, à des exigences éthiques plus fortes que le simple respect de la loi6.
Par conséquent, les exigences de la moralité ne peuvent influencer le monde des
affaires que si elles épousent sa logique interne, ce qui signifie que la moralité doit être
rentable pour l’entreprise. En effet :
Pour que l’éthique soit prise au sérieux par les écoles d’administration et la direction des entreprises, elle doit être liée d’une manière ou d’une autre à la performance économique7.
Telle est la réalité du marché capitaliste, qui est celle d’une guerre perpétuelle et
impitoyable qui ne sait faire que des gagnants et des perdants. En ce sens, nous pouvons
conclure que le capitalisme et le mode de gestion qui l’accompagne, constituent
l’incarnation économique du machiavélisme.
I.1.1 : L’immoralité et l’amoralité de Machiavel
Le prince est une personne honorable et considérable dans le pouvoir. Un bon
prince est un homme sage qui calcule ses projets, prévoit et réfléchit. Il doit être un homme
compétant pour dépasser toutes les formes d’entraves politiques ou difficultés sociales. Sur
le plan politique, la décision du prince doit être irréversible et doit défendre ses initiatives
jusqu’au bout. Par conséquent, il devient méchant quand ses intérêts sont menacés. Or, le
prince est un homme pacifique et généreux. En tant que chef d’Etat, il doit être aussi un
organisateur et homme responsable de son pays.
Par un souci de réalisme, Machiavel entreprend de voir l’homme tel qu’il est,
passionné et avide lorsqu’il est question de politique, et il refuse de le juger. Ce qui compte,
6 Philippe Van Parijs, Sauver la solidarité, pp. 63 – 64 7 Rogene A. Buchholz, Fundamental Concepts and Problems in Business Ethics, p. 23.
11
c’est de lui donner les moyens d’être politiquement efficace. Le petit livre, Le Prince, se
veut donc réaliste dans ses constats et pragmatique dans ses recommandations ; il se définit
par là comme strictement amoral et immoral. Tout comme la maladie a besoin de
médicament pour qu’elle soit guérie, le pouvoir a aussi besoin d’un moyen nécessaire pour
être maintenu et conservé. Ainsi écrit notre auteur :
Et comme je sais que beaucoup ont écrit là-dessus, je crains, en écrivant moi aussi, d’être tenu pour présomptueux parce que je m’écarte, surtout dans la discussion de cette matière, du chemin suivi par les autres8.
Il est bien connu que Machiavel a découvert la nécessité de l’autonomie en politique
en rejetant la tradition religieuse tout en s’orientant vers l’immoralité. Cette immoralité est
l’unique cause de son opposition à ses devanciers. Car, pour eux, ils ne font que régler la
politique sur la tradition. Or, pour Machiavel, cette dernière est un élément de la politique.
Cependant, il convient de rappeler que les croyants sont qualifiés d’incultes ou alors des
hommes non cultivés parce qu’ils ne tirent pas des expériences valables par le présent. A
titre d’exemple, il est rare qu’un prince de ce genre parvienne à ses fins. Machiavel ne veut
pas l’usage de la morale traditionnelle parce qu’elle se cadre dans ce qui devrait être, ne
correspond pas à ce qui est, au présent, à la nécessité. Il est immoral car il a fait rupture
avec la morale des autres. Et sur cet ordre, les gens qui croyaient à la primauté de la
religion conçoivent la doctrine de Nicolas Machiavel comme doctrine satanique. Dans Le
Prince, Machiavel définit les fins du gouvernement : sur le plan extérieur, maintenir à tout
prix son emprise sur les territoires conquis ; sur le plan intérieur, se donner les moyens de
rester au pouvoir. Parce que les hommes sont égoïstes, le prince n'est pas tenu d'être moral.
Cet ouvrage de Machiavel a souvent été accusé d'immoralisme, donnant lieu à l'épithète
machiavélique, bien qu'il ait été aussi loué comme traité politique, par exemple par
Rousseau qui en faisait le « livre des républicains ». L’amoralité dans son œuvre est aussi
frappante et lui fera fameux. L’adjectif « machiavélique » qualifie un comportement
cynique et immoral, au service de la passion de domination. Pour Machiavel, le prince doit
être un homme de décision ferme et de volonté. Car cette volonté unique est à l’origine du
pouvoir politique. De plus, il doit être un homme doué d’intelligence pour gérer le pouvoir.
8 Nicolas Machiavel, Le Prince, trad. par Yves Lévy, 1983, p. 155
12
I.1.2 : La morale individuelle et le but de la pensée machiavélienne
Contrairement aux princes qui ne pensent qu’à tromper et trahir les gens, un bon
souverain juge bien nécessaire de faire apparaître une solution dans une situation au lieu de
miser sur ces qualités susdites. On assiste à une mutation dans la pensée machiavélienne :
tous les moyens sont bons. Machiavel a rompu avec la morale traditionnelle parce que cette
morale constitue toujours un frein au niveau de la politique. Autrement dit, la politique n’a
pas un aspect positif au niveau de la morale traditionnelle. Et ce serait une des raisons qui
pousse les politiciens modernes à mettre en valeur la nécessité politique tout en étudiant le
présent. Eric WEIL a souligné que : « Il n’y a pas de progrès moral, personne n’a jamais
réussi à le prouver, ou seulement d’indiquer les moyens d’une preuve. »9
Par conséquent, on peut nier l’importance de cette morale dans la vie politique en
tournant le dos à la pensée réaliste de Machiavel. Si la morale individuelle, qui se définit
comme point de base de la politique machiavélienne, est une bonne chose, utile et féconde
et qu’elle est un des moteurs nécessaires dans sa politique, il faut penser qu’elle est un des
aspects de la dignité de l’homme en politique. Même des institutions plus ou moins
déréglées ont des valeurs nécessaires si la morale individuelle les appuie. Sur ce point de
vue, la morale individuelle est un facteur du domaine de la politique, car elle aide le
dirigeant actuel à persister au pouvoir. La rupture entre la morale traditionnelle et la
politique a conduit Machiavel à être pragmatiste politique. Il est un réaliste parce qu’il veut
mettre fin à la morale des anciens et établir une séparation entre la politique et la morale
individuelle. Il veut considérer les hommes tels qu’ils sont.
Quant au but, la pensée de Machiavel est de sauvegarder le Souverain. Machiavel
accorde son attention aux principautés. La principauté est un petit Etat gouverné par un
prince, qui est une réalité institutionnelle d’une organisation politique. A titre d’exemple, la
principauté de Monaco. Sur ce cas, Machiavel distingue plusieurs types de principautés tels
que la principauté héréditaire, la principauté nouvelle et la principauté mixte. La première
est un mode d’organisation politique qui se transmet par droit de succession sans
9 Eric WEIL, Philosophie et réalité, p. 266
13
modification. Ce pouvoir peut appartenir à un prince et cette principauté est facile à
gouverner. Voilà pourquoi Machiavel affirme :
Je dis donc que dans les Etats héréditaires et accoutumés à la race de leur prince, la difficulté à les conserver est beaucoup moindre que dans les nouveaux, car il suffit de ne point transgresser ni enfreindre l’ordre des ancêtres10.
Dans cette optique, la principauté héréditaire est plus facile à conserver parce que
les peuples sont déjà habitués à l’obéissance de l’ordre des ancêtres. L’auteur du Prince
donne une importance aux principautés nouvelles, car c’est dans et par ce genre de pouvoir
qu’on rencontre les multiples problèmes et qu’on fasse également appel à la nécessité
politique. C’est ce qu’affirme notre auteur quand il déclare : « Aussi est-il nécessaire au
prince qui se veut conserver d’apprendre à n’être pas bon et d’en user ou n’user pas selon la
nécessité. »11
Dans cette perspective, Machiavel préconise des méthodes nécessaires pour le
prince nouveau. Ce dernier doit établir des choses nouvelles pour que le pays conquis soit
nouveau. Il convient également d’ajouter que le souverain doit se fier au peuple qu’à des
rivaux qui aspirent aux mêmes avantages ou à des Grands, qui ont aussi envie d’accéder au
pouvoir. Toutefois, même si on se fie à la populace, on doit mettre en garde des forces
armées, car les Grands ne cesseront jamais de créer des moyens qui leur permettront
d’accéder au pouvoir. Pour mieux gouverner, le prince doit agir en connaissance de cause
ou par nécessité. Machiavel s’est inspiré de la décadence politique de son époque pour
fonder sa propre pensée politique. Sa théorie apparaît comme étant le fruit de sa propre
expérience politique. L’étude minutieuse des principes et écrits de la pensée de Machiavel
nous amène à analyser l’action politique dans la principauté mixte.
I.1.3 : L’action politique dans la principauté mixte Tout d’abord, une République, pour Machiavel, est un Etat dans lequel le peuple se
donne ses propres lois sans les recevoir d'un prince. Elle est un Etat libre. C'est un régime
idéal, mais il n'est pas toujours réalisable. Seul un prince peut rétablir l'ordre dans un Etat
10 Nicolas Machiavel, Le Prince, pp. 290 – 291 11 Ibidem, trad. de Jacques Gohory, pp. 98 – 99
14
corrompu. Machiavel étudie les Républiques dans ses Discours sur la Première Décade de
Tite-Live. Quant à la principauté mixte, elle est un type d’organisation d’un Etat qui est
sous le commandement d’un autre Etat. Prenons par exemple, le cas de l’Irak, qui dépend
toujours du gouvernement de George Walker Bush, Président des Etats-Unis actuel. Cette
principauté est plus difficile à gouverner par rapport à la principauté héréditaire, car on peut
y trouver des politiciens représentants des intérêts différents. La principauté mixte est un
mélange de deux Etats différents. Le prince doit chercher une manière efficace pour
conserver et gouverner les principautés. Machiavel veut parler seulement de ces
principautés en disant :
Je m’arrêterai seulement aux principautés en retissant sur la trame ourdie ci-dessous, à disputer par quelle manière elles se peuvent gouverner et conserver12.
La principauté mixte fait partie d’un pouvoir anarchique. Ce pouvoir entraîne des
désordres et des confusions à l’égard du prince. Il peut entraîner aussi la faiblesse de
l’autorité publique. Ce pouvoir nous montre que les hommes veulent changer
volontairement leurs seigneurs dans la mesure où ils aiment toujours la nouveauté. Dans cet
amour, ils prennent les armes pour changer leur maître. Voilà pourquoi Machiavel
affirme que :
Les hommes changent volontiers de maître, pensant rencontrer le mieux. Laquelle opinion est cause qu’ils courent aux armes contre leur seigneur en quoi ils s’abusent, car ils connaissent après l’expérience, qu’ils ont inspiré des conditions13.
Dans la nouvelle théorie politique de Machiavel, un nouveau prince doit cacher ses
griffes avec lesquelles il va combattre ses ennemis. Cependant, il faut éviter une principauté
mixte car elle contient des désordres et peut entraîner une perte. Dans ce pouvoir, le prince
aura toujours d’ennemis étrangers venant d’un autre pays. Un prince fort doit se méfier de
la pénétration des étrangers dans son territoire national ; à titre d’exemple, la pratique
politique de Nicolas SARKOZY, Président de la République française actuel. Il doit
prendre en considération les désordres qui se présentent dans son pays. Il doit être habile à
donner des remèdes à ces désordres. Machiavel note dans le chapitre II du Prince :
12 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 290 13 Ibidem, p. 41
15
Ils firent donc en ce cas ce que les princes sages doivent faire, qui ne doivent pas seulement avoir regard aux désordres présents mais à ce qui adviendront, et mettre toute leur habilité à les éviter ; d’autant qu’en les prévoyant de loin on y peut facilement remédier14.
En outre, un prince habile doit être vigilant pour éviter la ruine du pays. Il est
nécessaire à un prince d’instaurer quelques règles afin d’éviter les erreurs et les fautes. Ces
fautes sont au nombre de six, selon Machiavel. Dans ces fautes, les cinq premières sont
tolérables ; tandis que la sixième consiste à accroître la puissance de l’Eglise. Machiavel se
réfère à Louis XII, roi qui a commis pas mal de fautes intolérables :
Louis avait donc fait cinq fautes : ruiner les plus petits, accroître en Italie la puissance d’un puissant, y avoir introduit un étranger très puissant, n’y être point venu demeurer et n’y avoir point envoyé des colonies. Lesquelles fautes pouvaient, de son vivant du moins, ne pas lui nuire, s’il n’eut fait la sixième : d’ôter leur s Etats aux Vénitiens ; car s’il n’eut point fait le Pape si puissant ni mis l’Espagne en Italie, il était bien raisonnable et nécessaire de les abaisser15.
La principauté mixte est un Etat qui a souvent des difficultés d’ordre social, car
chaque pays du monde veut d’intérêt à son voisin. Cet intérêt engendre des conflits et des
conquêtes. Dans cette conquête, le prince aura du mal à gouverner un pays qui est
accoutumé à vivre en liberté. Nous reconnaissons que les hommes sont stupides en matière
de gouvernance. Aux yeux de Machiavel, une principauté ancienne, nouvelle ou mixte
repose sur les bonnes lois et les bonnes armes. Il y a des difficultés pour se maintenir dans
les principautés nouvelles, acquises par un prince de sa propre valeur et ses propres armes.
Ici, le prince doit être un homme de valeur et de mérite. Il doit montrer son mérite à la tête
de l’Etat. Ce mérite ne s’obtient que soit par la valeur, soit par l’appui de la fortune que
nous verrons plus tard. Le mérite du nouveau prince réside sur la façon d’éviter les dangers
qui risquent de menacer son Etat.
Bref, Machiavel convient d’abord de faire la distinction entre la République et la
principauté. Seules les principautés sont prises en considération dans le Prince. La
principauté héréditaire ne présente pour lui qu’un intérêt médiocre. Pourtant, cette
principauté est facile à acquérir et facile à conserver à condition de ne pas outrepasser
l’ordre et les mesures établies par ses prédécesseurs et de céder à propos aux évènements.
14 Ibidem, p. 295 15 Ibidem, p. 297
16
Machiavel s’attache à étudier la principauté nouvelle ou principauté non héréditaire. Il en
distingue deux : la principauté mixte et la principauté ecclésiastique (difficile à obtenir car
il faut payer). La principauté nouvelle présente un danger d’instabilité, car le peuple peut
espérer qu’un nouveau prince sera supérieur au prédécesseur. Il faut recourir aux moyens
pour conquérir et maintenir le pouvoir.
CHAPITRE 2 : LA CONQUETE DU POUVOIR ET L’ART DE GOUVERNER
Le pouvoir est une capacité légale de faire une chose. Il est une fonction juridique
consistant à dicter les règles d’une organisation politique et administrative d’un pays. Bon
nombre de politiciens sont alors mis en jeu entre ce problème de la conquête du pouvoir et
l’art de gouverner. Mais nous allons mettre au point de départ que : là où la volonté est
grande, les difficultés diminuent ; et que, pour être efficace, il faut cacher les intentions !
Sur ces points, plusieurs étapes sont à affronter dans la conquête et l’art de gouverner. La
conquête est une action pour conquérir le pouvoir par la force ou par la loi. Ainsi, conquérir
c’est prendre le pouvoir par les armes. Un pouvoir conquis est celui qu’on a conquis par la
conquête militaire. Il peut être aussi un pouvoir qu’on veut gagner par la sympathie et
l’amour du peuple. En d’autres termes, par l’unanimité du peuple ou des opposants, un
politicien peut conquérir le pouvoir ; d’où l’expression : « L’union fait la force. »16
Pour Machiavel, dans le Prince, conquérir le pouvoir va s’efforcer de prendre le
gouvernement. Un conquérant qui veut conquérir le pouvoir doit calculer les désirs de son
peuple, parce que l’opinion du peuple est changeante. Sur ce cas, il doit créer des
obligations plus fortes et doit cultiver des sentiments de crainte devant les sujets. Ces
sentiments ne doivent pas s’accompagner de la haine s’il veut gagner du succès dans sa
conquête.
Il distingue plusieurs façons d’acquérir des principautés : premièrement, par la vertu
qui est une énergie, ressort, résolution, valeur farouche, et, s’il le faut, féroce, l’habilité
politique et ses propres armes qui sont difficiles à installer en faisant croire par la force,
mais faciles à conserver. Deuxièmement, faciles à acquérir mais difficiles à maintenir, c’est 16 Selon l’adage
17
par la fortune et par les armes de l’autrui : la fortune montre surtout son pouvoir « là où
aucune résistance n’a été ». Les nouveaux princes dépendent trop de la volonté et de la
fortune ; ils manquent des racines profondes. Troisièmement, par la « scélératesse ». Il
distingue des bonnes et des mauvaises cruautés pour conserver un Etat usurpé. Les
« bonnes » sont pratiquées tout au début du règne et tout à la fois comme l’exemple
d’Hitler, les « mauvaises » se multiplient. Quatrièmement, par la faveur de ses
concitoyens : fortune et vertu. Le prince peut être élevé par les Grands (conflits), ou par le
peuple (mieux). Un prince qui s’est déjà détaché du peuple peut gouverner une principauté
de deux manières : soit, par son hérédité, il hérite d’un trône, soit par la conquête, il étend
sa principauté. Pour ce faire, Machiavel propose différentes règles pour être sûr de
conserver ces nouvelles conquêtes. Plusieurs critères entrent en considération comme la
présence ou non des Grands qui facilitent la conquête, mais compliquent la conservation ou
les coutumes antérieures. De toute façon, il faut éteindre la race des princes précédents, ne
pas modifier les lois en place, s’allier avec les petits alliés voisins, se méfier des grands
princes alentours, installer des colonies et non des garnisons et si possible installer sa rési-
dence, toutes ces mesures ayant pour but de ne pas porter atteinte aux anciens intérêts du
peuple qui ne veut que la stabilité.
Machiavel pose le délicat problème des Etats conquis sous le régime républicain,
« libre » ; il est beaucoup plus dur pour un prince d’y instaurer son pouvoir. Machiavel
propose comme formule la plus simple de tout détruire ou d’y aller faire sa résidence. Par
ailleurs, le prince doit incarner l’égalité dont l’Etat a besoin en usant de la loi comme
technique de conquête. Pour conquérir le pouvoir, le prince doit avoir des armées. Ces
dernières sont l’ensemble des forces militaires d’une nation. Il doit calculer et utiliser des
stratégies pour pouvoir réussir. Il faut savoir garder le trône tout en faisant taire les
opposants. Pour faciliter cette action, il faut réduire les Etats en un Etat.
I.2.1 : La réduction des Etats en un Etat
La division de l’Italie, au XVIème siècle, a engendré des guerres et des pillages.
L’objectif de Machiavel est de voir l’Italie unie. Cette unité ne verra pas le jour sans la
réduction des Etats en un seul Etat. Ce dernier se définit comme un ensemble des individus
18
qui assurent l’administration d’un pays. De plus, il ne faut pas confondre un Etat et une
société parce que :
En philosophie politique, l’Etat est la société organisée, dotée d’un gouvernement et considérée comme instance morale à l’égard des autres sociétés semblablement organisées. L’Etat implique ainsi l’existence d’institutions politiques, juridiques, militaires, administratives, etc.17.
Par contre, la société est l’ensemble des hommes vivants en communauté. C’est
l’Etat qui doit gouverner cette société. En effet, le fondement de l’Etat appartient à la
totalité des citoyens sans distinction de race, de fortune ou de capacité. Cette idée est l’une
des facteurs principaux de la politique. Elle ne vise pas l’intérêt particulier, mais l’intérêt
commun.
Selon notre théoricien politique, il faut prendre les hommes tels qu’ils sont mais non
pas tels que l’on aimerait qu’ils soient. Dans ce cas, le prince doit considérer les hommes
comme des êtres rationnels, sinon, il est difficile de comprendre leur méchanceté. Sur ce, le
prince doit mener les citoyens dans un seul but, qui est le bien de l’Etat en utilisant un
moyen efficace pouvant réduire les Etats à un Etat. Le prince doit savoir que son peuple à
un mode de vie et un comportement propre. Il doit savoir aussi se masquer dans les
coutumes du pays qu’il gouverne. Pour être un bon politicien, il faut savoir combattre
l’égoïsme des hommes. Le combat doit s’orienter vers le bien de la communauté. Comme
disait Edmond Barincou :
La politique est une activité fondamentalement orientée vers le bien de la communauté, ou toute instruction de considérations étrangères, si honorable qu’elles paraissent (indifférent à la religion, à la morale à l’honneur mondain est loin d’être insensible à la pitié) ne peut apporter que des déceptions18.
En fait, pour gouverner, le prince doit être capable d’unir le pays. Car dans plusieurs
Etats, il n’est pas en mesure de décider, ni d’être respecté par ses citoyens. Il faut réduire
ces petits Etats en un seul Etat. Dans ce cas, le prince doit faire en sorte que les activités des
hommes se réalisent dans l’Etat. Un dirigeant doit respecter tous les citoyens. Hegel
soutient que :
17 Baraquin Noëlla, in Dictionnaire de philosophie, p. 137 18 Edmond Barincou, Machiavel par lui-même, p. 19
19
L’homme est l’essence fondamentale de l’Etat. L’Etat est la totalité réalisée, élaborée et explicitée de l’essence humaine. Dans l’Etat, les qualités et activités essentielles de l’homme se réalisent dans des « états » particuliers, pour être à nouveau ramenées à l’identité dans la personne du chef de l’Etat. Le chef de l’Etat doit représenter sans distinction tous les « états », ils sont tous devant lui également nécessaires et également justifiés. Le chef de l’Etat est représentant de l’homme universel19.
Pour réduire les Etats, le prince doit être fort et cruel pour introduire ses nouvelles
lois modifiant le comportement social afin de garder la souveraineté. Le fondement d’Etat
oblige le prince d’être cruel. Le prince doit toujours triompher dans ses décisions dans la
mesure où son autorité est totale. Selon une expression comorienne : « L’Etat ne doit pas
avoir peur du diable. »20 Le prince aussi doit être un homme prudent et s’engager dans la
voie sans peur des opposants, pour mieux gouverner. Voilà pourquoi Machiavel affirme :
« L’homme prudent doit suivre toujours les voies tracées par les grands personnages,
imitant ceux qui ont été très excellents. »21
Aux yeux de Machiavel, la réduction des Etats en un Etat permet au prince de
réduire les différents partis politiques afin de bien rester longtemps au pouvoir. Malgré tout,
aux yeux de Jean Louis Quermane, les partis constituent un dynamisme politique qui sert à
mobiliser l’opinion non seulement sur certains objectifs, mais de participer également au
pouvoir. Selon ses propres termes :
Les partis sont des forces politiques organisées qui groupent des citoyens de même tendance politique, en vue de mobiliser l’opinion sur un certain nombre d’objectifs et de participer au pouvoir ou d’infléchir son exercice pour les réaliser22.
En tant qu’un parti est une réunion d’hommes qui professent les mêmes doctrines
politiques23, il ne doit viser qu’une seule idéologie politique. Pourtant, l’homme a toujours
des nouvelles revendications à faire pour avoir ses intérêts personnels. Ces derniers doivent
être défendus dans le public. Car, la vie politique est fondée sur les débats entre les intérêts
particuliers et les intérêts communs. Dans ce débat, chaque politicien a sa façon de voir la
politique qui permet au prince d’éliminer les partis politiques. La réduction des partis 19 Cf. Hegel, in Machiavel et Marx, philosophie d’aujourd’hui, p. 134 20 Attoumane Abdou, la nécessité de la psychologie dans la stratégie politique de Machiavel à travers le
Prince, Mémoire de maîtrise, p. 17 21 Nicolas Machiavel, Le Prince, in œuvres complètes, p. 303 22 Jean Louis Quermane, Les régimes politiques occidentaux, p.194 23 Ibidem
20
politiques constitue la meilleure concentration du pouvoir. Dans cette perspective, le prince
doit être respecté. Dans ce respect, les paroles du prince doivent être sacrées. Nous
soulignons que les hommes sont rivaux. Il faut que le chef d’Etat sache gérer cette rivalité
des conflits humains pour régner.
I.2.2 : La résolution des conflits
La nature de l’homme est l’ensemble des caractères innés, physiques et moraux,
propres à l’être humain. Elle vient du latin « natura » qui signifie réalité physique existant
indépendamment de l’homme. Elle est un ensemble des caractères fondamentaux propres à
l’être humain, à une chose ou à un animal24. Ici, l’homme a une nature conflictuelle qui est
une détermination naturelle. Nous constatons que ce sont les désirs particuliers qui
entraînent les hommes à des conflits dans l’organisation politique. La connaissance de la
nature conflictuelle de l’homme nous permet de bien organiser notre société. Cette
organisation est nécessaire, car les hommes veulent vivre en paix. Dans cette politique, un
chef d’Etat a toujours des opposants comme une réalité de l’insociabilité. Cette insociabilité
se trouve aussi dans la vie sociale des hommes. Cette opposition se manifeste par le fait que
la justice peut être corrompue par les hommes. L’homme est un être social qui veut des
intérêts surtout dans la vie politique. En revanche, Lucien SFEZ nous met en garde que la
politique n’est pas seulement affaire d’intérêts, sinon elle prendra le nom d’« économie ».
Selon sa propre expression :
La politique n’est pas spécifiquement affaire d’intérêts, sinon il se nommerait « économie » ni de structure, sinon son domaine serait couvert par la sociologie25.
L’amitié et l’égoïsme sont au fond de cette politique d’intérêt. La deuxième est une
disposition de l’homme à chercher exclusivement son plaisir et son intérêt personnel. Il
vient du latin « ego » qui signifie moi, c’est un vice de l’homme qui rapporte tout à soi. Il
engendre des rapports d’hostilités entre les hommes à cause de la lutte pour pouvoir
s’approprier les moyens de satisfaire ses propres intérêts. A ce stade, l’égoïsme fonde et
24 Petit Larousse illustré, 1988, p. 622 25 Lucien SFEZ, in la nécessité de la psychologie dans la stratégie politique de Machiavel à travers le Prince,
Mémoire de maîtrise, p. 9
21
justifie la nature de l’homme. Par ailleurs, la tâche d’un chef d’Etat est de savoir gérer
l’égoïsme et l’intérêt conflictuel. Cette régulation est la grande affaire de la politique. La
pensée politique de Machiavel est une pensée ayant un regard lucide et sans illusion sur la
société. Cette pensée politique nous permet de constater l’idée d’Aristote selon laquelle :
« L’homme est par nature un animal politique.»26
Le but de l’homme est de vivre ensemble. En réalisant cette tendance de vivre en
société, l’homme tend vers son bien propre. L’individu est inachevé ; il vit donc en cité,
non pas par intérêt, mais pour y réaliser son bonheur. Par ailleurs, la société est un groupe
d’individus unis. Ce groupe humain veut toujours un chef pour défendre l’intérêt collectif.
Cette réflexion se contredit par la pensée de Hobbes quand il affirme que : « L’homme est
un loup pour l’homme. »27 A l’état de nature, l’homme vit sans loi ni Etat et le plus fort
devient chef. Dans cet état, les hommes sont égaux et chacun a le droit de faire tout ce qu’il
veut. Ils sont libres d’utiliser ses pouvoirs naturels et tous les moyens pour bien vivre.
Au contraire, Rousseau condamne la société fondée sur la propriété. Il pose l’état de
nature comme état idéal28. Car dans cet état, les hommes entretenaient naturellement des
relations harmonieuses. L’homme était heureux et innocent. Alors, Chez Machiavel,
l’homme doit être dans une organisation politique pour imposer ses lois et ses droits. A ce
point, le prince doit avoir une bonne organisation politique. De nature, l’homme a besoin de
quelqu’un pour gouverner. Car, la condition naturelle de l’homme est un système de droit
et de pouvoir. Elle permet à chacun d’être le meilleur juge de son pouvoir. Toutefois, le
déséquilibre est né de la composition du désir du pouvoir et de la crainte de la mort
violente. Pour Machiavel, l’homme est naturellement méchant et ambitieux. Dans cette
étude, nous constatons que l’état naturel est instable dans la mesure où il y a manque de
sécurité. Raison pour laquelle, l’auteur pose une politique rude et pénible. Cette politique
est insupportable pour les moralistes. Pour Machiavel, la politique doit se baser sur la
nature de la communauté humaine même si la nature de l’homme est changeable. Par ce
changement inévitable, il y a des conflits qui surgissent. Par nature, l’homme dévoile sa
propre nature qui est cultivée par le désir du pouvoir. La nature humaine est mauvaise parce
26 Aristote, La politique, p. 28 27 Thomas Hobbes, in Histoire des Philosophes, p.146 28 Cf. J.J. Rousseau, Le Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, p. 250
22
que tous les hommes sont égoïstes et toujours en conflit. Il n’a pas de penchant naturel à
aimer ses semblables mais à les jalouser et finalement à les attaquer. Pour pouvoir mettre
en lumière notre argument, Machiavel a écrit que :
Les hommes hésitent moins à nuire à un homme qui se fait aimer qu’à un autre qui se fait craindre ; car l’amour se maintient par un lien d’obligations et parce que les hommes sont méchants, là où l’occasion s’offrira d’un profit particulier, ce li en est rompu ; mais la crainte se maintient par une peur de châtiment qui ne te quitte jamais29.
Dans cette perspective, le conflit repose sur l’attrait des désirs. L’homme veut
toujours poursuivre ses intérêts personnels. A ce stade, l’homme est en conflit avec l’autre
dans les diversités de ses conduites. A ce propos, Hobbes déclare :
La nature de l’homme est la somme de ses facultés naturelles, telle que la nutrition, le mouvement, la génération, la sensibilité, la raison[…] Nous nous accordons tous à nommer ses facultés naturelles ; elles font renfermer dans la notion de l’homme que l’on définit un animal raisonnable30.
Toute forme d’organisation politique postule un conflit d’intérêt entre les hommes
dont la base est le maintien du pouvoir. Par là, le prince doit maîtriser l’art de gouverner.
Bref, les conflits sont soient ouverts, lorsqu’ils mettent en danger le régime, soient latents,
quand le prince a réussi à imposer l’ordre. Dans le premier cas, les sujets font valoir leurs
intérêts par la violence ou la révolte, alors que dans le second, ils subissent le contrôle
opéré par le monarque et par ses lois. Le plus fort gagne, et le faible accepte sa domination,
attendant une occasion de se rebeller. La paix sociale est une apparence que seules les
armes soutiennent. L’ordre paraît, le conflit demeure. Pour aller assez loin, il n’y a pas une
société sans conflit, sans désordre et sans politique. Cette dernière vise la paix et la sécurité
de l’homme. Cette vision politique nous permet de voir que Machiavel nous parle des
exigences du prince dans la conservation du pouvoir.
29 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 79 30 Thomas Hobbes, De la nature humaine, p. 3
23
I.2.3 : Les exigences du prince dans la conservation du pouvoir
La conservation et la sauvegarde du pouvoir, en fonction de ses intérêts, sont le but
de l’être humain. Il faut que le prince utilise la force sans brutalité, gouverner selon la
réalité, prendre des mesures en fonction de ce qui est mais non pas de ce qui doit être. Il
doit être un homme habile sans pour autant être sentimentale et aussi fort dans sa politique.
Il doit toujours recourir à la force, quand c’est nécessaire, pour accomplir sa mission dans
le maintien du pouvoir. Un prince qui veut se maintenir au pouvoir dépend de la nécessité.
C’est pourquoi Machiavel affirme : « Le prince qui veut se maintenir doit donc apprendre à
ne pas être bon, à l’être ou ne pas l’être selon la nécessité. »31 La capacité de conserver le
pouvoir est un signe d’efficacité des actions du prince, mais il faut viser un objet qui est la
conservation du pouvoir. En politique, il est important de réussir, c’est-à-dire faire régner
l’ordre public, conserver la cohésion sociale et garantir la liberté du peuple. Il est nécessaire
au prince aussi de trouver des moyens efficaces pour réaliser son but. Machiavel conseille
au nouveau prince de savoir conserver son pouvoir en formant une troupe nationale capable
d’assurer sa victoire :
C’est pourquoi un prince sage évite toujours de telles troupes et recourt aux siennes propres ; il aime mieux perdre avec les siens que gagner avec les étrangers, estimant que celle qu’on obtient avec les armes d’autrui n’est une vraie victoire32.
Le prince doit tenir compte que certains hommes n’aiment pas la stabilité
politique. Il doit être capable de défendre les intérêts de l’Etat. Il peut conserver son
pouvoir par le choix de la prudence. Dans ce choix, il doit agir d’une façon bestiale, si
les circonstances l’exigent. Le prince peut faire des actes moraux dans son action. Car
pour gouverner, il faut être à la fois moral et immoral. Finalement, le prince doit aussi se
présenter en personne devant son peuple pour être aimé.
Machiavel constate que la pauvreté est un mal, en rupture avec le modèle
traditionnel, valorisant la générosité. Il écrit qu’un prince, pour ne pas devenir trop
pauvre, pour pouvoir défendre son Etat s’il est attaqué, pour ne pas surcharger ses sujets
de nouveaux impôts, doit craindre d’être taxé d’avarice puisque ce prétendu vice fait la
31 Cf. Nicolas Machiavel, De machiavel à nos jours, in Dictionnaire des œuvres politiques, p. 25 32 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 71
24
stabilité et la prospérité de son gouvernement. De plus, le nouveau prince doit établir des
nouvelles règles. Il doit nommer des nouveaux magistrats, des autorités nouvelles et des
nouveaux hommes. Raison pour laquelle Machiavel affirme que :
Il consiste, puisqu’il est prince nouveau, à établir toutes choses comme lui ; ainsi, nouvelles magistratures, nouveaux noms, autorités nouvelles, hommes nouveaux33.
En effet, la politique, en tant qu’art de gouverner le peuple, ne doit pas être à la
portée des ignorants. Ce qui veut dire, gouverner un peuple n’est pas une entreprise facile.
Il faut être un homme de stratégie pour conserver le pouvoir.
CHAPITRE 3 : L’ART POLITIQUE DU PRINCE DANS L’EXERCICE DU POUVOIR
Tout d’abord, on entend par art politique, ce qu’on doit faire dans la politique. Ainsi,
au cours du XVème et du XVIème siècles, l’Europe a été ébranlée par des secousses
politiques et religieuses. A cette époque, l’Italie est divisée et morcelée. Devant ces réalités
politiques, Machiavel, un grand connaisseur de l’histoire de l’Antiquité, est conscient que
pour résoudre le problème, il faut se référer aux exemples antiques. Il s’est d’abord plongé
dans une réflexion profonde sur l’histoire de l’Antiquité. Puis, en tant que diplomate et
magistrat florentin, il a observé attentivement les données de la vie politique de son époque,
pour finir par proposer une synthèse de ses expériences, lorsqu’il occupait encore des
postes politiques. On peut déduire que la pensée de Machiavel a été la résultante de la
décadence politique de son époque. Dans son œuvre, il informe les dirigeants politiques sur
la marche à suivre pour éviter les malheurs pouvant surgir, comme le coup d’Etat, pour ne
citer que cela. Sa doctrine est née d’une bonne volonté de veiller à la longévité saine de
l’organisme de l’Etat, ou encore, qui le sait, pour la raccourcir ; car le peuple peut se
soulever pour aller à l’encontre d’un dirigeant machiavélique. C’est ce qui a fait dire Sami
NAÏR que : « Le pouvoir chez Machiavel est nu. »34
En fait, un politicien doit être efficace dans son action politique ; car l’effet
politique exige une réussite. Réussir c’est utiliser les moyens efficaces pour conquérir et
garder le contrôle du pays. Dans cette optique, un bon conquérant doit écarter les valeurs 33 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, p. 442 34 Sami NAÏR, Machiavel et Marx, p. 18
25
morales des anciens. C’est pourquoi Machiavel, dans ses écrits, utilise l’image du lion et
du renard pour représenter le prince. Le lion symbolise la force et le renard symbolise la
ruse. Donc, force et ruse sont des déterminations fondamentales dans la conception
machiavélienne du pouvoir, mais la force sera le dernier recours. De cette façon, le projet
du prince est de combattre pour durer et de fortifier son implantation au pouvoir car :
Il est nécessaire aux princes de savoir bien pratiquer la bête et l’homme […] puis donc qu’un prince doit savoir user de la bête, il doit choisir le renard et le lion. Il faut donc être renard pour connaître le filet et le lion pour faire peur aux loups35.
Cette vision montre que le prince doit être rusé et capable d’user de la force si c’est
nécessaire, pour les intérêts de l’Etat. Il faut donc « savoir bien user de la bête et de
l’homme ». User de l’homme, c’est faire appel à la loi ; user de la bête, c’est se faire
comme un lion et un renard. Il faut que le prince choisisse le renard et le lion ; car le lion
ne peut se défendre des filets, le renard des loups. Il faut avoir également besoin d'être
renard pour connaître les pièges, et lion pour épouvanter les loups. Ceux qui s'en tiennent
tout simplement à être lions sont très malhabiles. Pour élever sa personnalité, il faut qu’un
prince sache user de l’une ou de l’autre nature, et que l’une sans l’autre ne soit pas
durable36. Ceux qui veulent seulement faire les lions ne comprennent rien à la politique.
De tous les moyens de conquérir ou de conserver le pouvoir, la ruse est plus économique
que la force. Machiavel ajoute que la tradition philosophique n’ignorait pas ce précepte.
C’est ce que donnent à entendre les auteurs anciens qui nous disent que les princes grecs
comme Achille furent élevés par Chiron, le plus sage des centaures37. Machiavel suggère
peut-être ainsi que l’idéalisme politique de la tradition philosophique n’était qu’une
façade. Sa nouvelle métaphore, « user de la bête », se montre tantôt lion, tantôt renard,
signifie, faire usage tantôt de la force, tantôt de la ruse. Dans ce cas, notre auteur insiste sur
la ruse, la ruse portée à sa forme extrême : l’infidélité à la parole donnée, mais une
infidélité habilement dissimulée. Pour mieux comprendre et appréhender cette analyse,
nous allons voir cette notion de la ruse.
35 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, p. 141 36 Cf. ROUX-LANIER Catherine, Le temps des philosophes, p. 181 37 C’est un être fabuleux moitié homme et moitié cheval.
26
I.3.1 : La place de la ruse
La ruse est l’art de dissimiler et de tromper qui témoigne la personnalité du prince
en tant que « homme ». Elle est l’acte astucieux, ingénieux et une démarche en finesse qui
permet au prince de se procurer les intérêts de l’Etat. Elle est un moyen habile, honorable et
convenable à un chef d’Etat. A titre d’exemple, il est nécessaire d’utiliser la ruse dans la
guerre. Car, l’emploi de la ruse contre un ennemi ne s’appellera pas tromperie mais
prudence militaire. Chez Machiavel, elle est la stratégie d’un homme politique et non d’un
homme vulgaire. La ruse, plus qu’une stratégie, elle est une détermination spécifique dans
la conservation du pouvoir.
Par ailleurs, la ruse a aussi une importance capitale dans la conquête du pouvoir
avec deux significations différentes. D’une part, elle est une stratégie ou une tactique
utilisée par le prince pour ménager ses forces. Elle apparaît comme une arme habile et
civilisée qui économise la violence et épargne la vie de ses sujets. Elle consiste également à
atteindre un objectif visé qui n’est rien d’autre que l’acquisition du pouvoir ou sa
conservation. D’autre part, la ruse dissimule les ambitions du prince face au peuple. Dans
ce cas, le prince doit affecter ses vertus pour se faire obéir. C’est ainsi qu’en faisant allusion
à cette dissimulation, la ruse apparaît comme étant la clef de la réussite au pouvoir. Elle
peut éviter des répercussions de l’opinion du peuple pouvant bloquer l’action du
gouvernement. De ce fait, la ruse contribue à l’essence du gouvernement. Elle satisfait deux
certitudes : la transformation du pouvoir déjà possédé et la préservation de la paix. Tenant
compte de ces certitudes, le prince doit bien analyser ses paroles pour garder l’unité de son
peuple. Machiavel conclut que : « Ce prince doit donc soigneusement prendre garde que
jamais ne lui sorte de la bouche un seul mot qui ne soit masqué. »38
Pour amplifier cette idée, prenons l’exemple de César Borgia qui a établi la paix et
la stabilité politique en Romagne grâce à la ruse. Il a usé de cette technique pour préserver
les ressources de son Etat. Il a justifié l’utilisation de la brutalité par son ministre cruel et
expéditif pour ramener la paix dans son pays. Mais, César Borgia veut gagner les hommes ;
c’est-à-dire, il veut le soutien de la population. Dans ce cas, il a utilisé la ruse pour exécuter
38 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, p. 94
27
son ministre publiquement. La ruse est une attitude politique, combinant le calcul des
intérêts personnels, la manipulation d’autrui et la violence. César Borgia a tué son ministre
pour gagner la faveur du peuple. Il se donne une apparence d’homme bon en instituant un
procès et en accusant son ministre d’être source de l’oppression du peuple. Cet exemple de
Borgia montre bien l’importance de la ruse politique. Un chef ne doit pas donner une
procuration dans un acte criminel. Il doit donner tout simplement l’ordre verbalement à son
ministre. Dans cette perspective, on ne tient pas compte de l’acte cruel, mais la façon dont
le prince a agi pour écarter son ami dans la scène politique. Ici, la ruse est un moyen
préférable à la vérité politique car elle peut unir deux rivaux politiques pour discuter sur
une même table. Elle est un comportement caractéristique d’un homme politique en
utilisant sa raison pour parvenir à ses fins, sans respect de la morale. La ruse est une arme
d’un homme habile, non violent et moral. Cette arme permet au prince d’économiser la
violence à l’égard de son peuple. Prenons par exemple, la fable de la Fontaine qui parle du
corbeau et du renard. Sur ce cas, le renard séduit le corbeau par la parole. Il a récupéré la
proie sans faire la guerre ou la vengeance39. Sur le plan politique, la ruse est très honorable,
et Machiavel la loue quand il dit :
Quoique la ruse soit détestable partout ailleurs, elle est cependant très honorable à la guerre ; on loue le général qui lui doit la victoire comme celui qui l’a remportée de vive force40.
Pourtant, la ruse se voit aussi dans les relations des hommes et des femmes.
L’homme est capable de persuader une femme avec des belles paroles. Dans ce cas, la
femme croit aux paroles de l’homme et elle tombe finalement dans le piège. Le mensonge
doit être un comportement secret de l’homme pour séduire une femme. Effectivement, il ne
faut pas être trop confiant pour ne pas être trompé, mais le mensonge est toujours un art de
conquérir une personne ou un pouvoir. Bref, la ruse incarne le mensonge et l’homme rusé
doit être intelligent et habile. Elle doit trouver son efficacité dans la naïveté ou dans la
tromperie des hommes. Elle peut suffire à un prince pour maintenir son pouvoir. En
politique, la ruse est l’art nécessaire d’un prince qui doit gouverner son pays avec efficacité.
Elle permet aussi au prince de justifier l’utilisation brutale de la violence dans son pays.
Cette violence est justifiée par la Raison d’Etat. Dans une situation de crise, le prince doit
39 Cf. Jean de la Fontaine, Les Fables, p. 20 40 Nicolas Machiavel, op.cit., p. 706
28
réagir de manière réaliste et apprendre à être aussi cruel que ses adversaires. Il doit soigner
son image auprès du peuple en poursuivant toujours ses objectifs, sans être bon. Sur ce
point, Michel SENELLART donne faveur à Machiavel en affirmant que : « La Raison
d’Etat désigne l’impératif au nom duquel le pouvoir s’autorise à transgresser le droit dans
l’intérêt public. »41
Le recours à la ruse a un double constat relatif à la nature humaine telle que la
méchanceté, la crédulité et la naïveté des hommes. La méchanceté des hommes est leur
caractère passionnel comme l’ambition, le goût du changement, etc. Le prince n’a pas à
compter sur la loyauté de ses sujets. A lui de prendre des précautions à cet égard, et il n’a
pas à attendre d’avoir été trompé pour tromper. La crédulité et la naïveté des hommes, qui
donnent toute leur efficacité à la ruse du prince, tiennent aussi une grande part. Un prince
bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait
nuisible, et que les raisons qui l'ont déterminé à promettre n'existent plus : tel est le
précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien ;
mais comme ils sont méchants, et qu'assurément ils ne tiendraient point leur parole,
pourquoi le prince devra la tenir ?
On voit là encore l'amoralisme du prince car il n'est pas à proprement parler
immoral, mais il est au-dessus de la morale. La morale ordinaire ne vaut pas pour lui. Le
devoir du prince étant d’assurer la stabilité de l'Etat, il se place au-dessus de toute morale42.
Et d'ailleurs, un prince doit avoir de raisons légitimes pour colorer l'inexécution de ce qu'il
a promis. Aujourd’hui, on qualifie de machiavélique ce qui est rusé, perfide et tortueux.
Cela n’est pas faux, mais on oublie souvent que Machiavel n’a fait que proposer la recette
du succès politique par l’abstraction de la morale. L’emploi de la ruse ne veut pas dire
assassiner son prochain ou détruire une province, mais est un moyen stratégique pour
éliminer les adversaires.
Enfin, si certes, il est très louable pour un prince d’être fidèle à ses engagements, il ne
faut pas risquer de perdre le pouvoir par un excès de vertu. Il faut donc essayer d’être
honnête, mais, si besoin est, déroger à cette honnêteté. Combien il serait louable chez un
41 Michel SENELLART, Machiavélisme et Raison d’Etat, p. 5 42 Cf. Maryvonne Longeart, http//www.ac-grenoble.fr/philo/Sophie/articles, 13 Mars 2007 (18h17)
29
prince de tenir sa parole et de vivre avec droiture et non avec ruse, chacun le comprend.
Toutefois, on voit par expérience, de nos jours, que tels dirigeants ont fait de grandes
choses qui de leur parole ont tenu peu compte, et qui ont su par ruse manoeuvrer la cervelle
des gens, et à la fin ils ont dominé ceux qui se sont fondés sur la loyauté.
I.3.2 : La place de la force
La force, ici, est la possibilité, pour quelqu’un, de faire un effort physique ou
intellectuel important, de résister à une épreuve43. Elle est une puissance physique qu’est la
cause provoquant un mouvement ou un effet. Elle est aussi un pouvoir ou une intensité de
l’action d’une chose. En fait, la force et le pouvoir sont deux expressions inséparables dans
la politique parce que le fondement de tout pouvoir est la force. Par contre, cette dernière
est un acte de fondation. Elle peut faire peur aux hommes. Machiavel écrit à ce sujet : « Les
hommes nuisent ou par peur ou par haine. »44 Celle-ci renvoie à l’idée de la fondation et de
la justification du pouvoir politique. Sur ce concept, tout Etat est fondé sur la force. C’est la
raison pour laquelle, aux yeux de Noëlla BARAQUIN : « La force doit être toujours au
service du pouvoir politique, et le but de Machiavel est de constituer l’Etat comme force
légitime. »45
La politique, en tant que science de gouverner des Etats, peut se servir de la force
pour l’organisation intérieure d’une société. La force joue un rôle décisif sur le plan
international. Elle sert aussi à garantir l’existence de chaque citoyen dans une ambiance sûre
et pacifique. Claude ROUSSEAU affirme que : « Sans la force, rien ne se crée, mais non
plus selon Machiavel, ne se conserve. »46 Autrement dit, la force est la source de toute
fondation du pouvoir. Elle assure le bien-être du prince et la paix au sein d’une société. Elle
est primordiale à un individu qui veut conquérir le pouvoir et de s’y maintenir. La réalité
historique de la force humaine se voit dans un homme fratricide. Voilà pourquoi Léo
STRAUSS affirme que :
43 Cf. Petit dictionnaire de la langue française, 1987, p. 462 44 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 123 45 Noëlla Baraquin, in Dictionnaire des philosophes, p. 198 46 Claude Rousseau, Profil d’une œuvre : le Prince de Machiavel, p. 14
30
La société civile n’est pas enracinée dans la justice mais dans l’injustice, et le fondateur le plus célèbre des empires est un fratricide 47.
Sans doute, la force est le fondateur du pouvoir étant donné que la nature de
l’homme est un être désireux. C’est dans ce sens que Machiavel déclare :
La nature a créé l’homme tel qu’il peut désirer tout sans pouvoir tout obtenir ; ainsi le désir étant toujours supérieur à la faculté d’acquérir, il obtient le mécontentement de celui qu’il dépossède pour n’avoir lui-même que petit contentement de sa conquête48.
Le désir est supérieur à la faculté d’acquérir quelque chose, et la force
intellectuelle peut régner dans toutes les affaires politiques. Chez Machiavel, la force se
définit comme principe de puissance pour conquérir le pouvoir. Elle peut contraindre
celui qui n’a pas le pouvoir. Prenons l’exemple de César Borgia qui est un modèle d’un
bon prince à travers sa force pour faire régner l’ordre public. Il était un homme fort et
craintif de son pouvoir. Sa stratégie vise la sécurité d’un peuple qui a envie de rester le
seul maître du jeu. L’idée de Hobbes va dans ce sens quand il écrit : « Il faut que le plus
fort l’emporte, et c’est au sort du combat à décider la question des vaillances. »49
Dorénavant, Machiavel pose la question de la stratégie sur la politique
proprement dite : un prince ne doit pas surestimer ses forces. La volonté unique du
prince est compréhensible dans son rapport avec la force. Cette dernière est un principe
logique et ontologique de tout pouvoir. Le pouvoir est fort dans la mesure où il s’élève
sur la base d’un rapport de force. La force est puissante selon la volonté du prince ; car la
prise du pouvoir est basée sur la puissance. Cette puissance renforce le pouvoir d’un
prince. En ce sens, la force est inhérente à la volonté unique du prince. Et, l’expression
de la volonté unique s’identifie à la loi car la loi est faite en fonction des objectifs du
prince. Elle est le facteur majeur pour défendre le pouvoir et joue un rôle décisif dans sa
conservation. Ici, il faut savoir donc qu'il y a deux manières de combattre : l'une avec les
lois, l'autre avec la force ; la première est propre à l'homme, la seconde est celle des
bêtes ; mais comme la première, très souvent, ne suffit pas, il convient de recourir à la
seconde. Donc, la force est juste quand elle est nécessaire et, amplifions par l’idée que :
47 Léo Strauss, Droit naturel et historique, p. 194 48 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, p. 461 49 Thomas Hobbes, Les citoyens ou les fondements de la politique, p. 29
31
« Si tu peux tuer ton ennemi, fais-le, sinon fais-t’en un ami. »50 Dans cette vision, la
force est nécessaire parce qu’elle est un instrument propre du pouvoir politique. Par
conséquent, elle est aussi, à la limite, la qualité d’un acte ou d’un jugement d’un chef
d’Etat qui permet d’exécuter un ennemi. Elle se base sur l’ensemble des formations
d’une armée nationale qui est à la disposition du prince pour assurer le respect de la loi et
de l’ordre. Cette armée a pour mission d’écarter tous les conflits de la cité. Elle ne doit
pas avoir peur d’une autre force. Machiavel écrit :
Il voudra mieux ne céder qu’à la force plutôt qu’à la peur de la force. Si vous cédez à la force, c’est pour écarter la guerre et vous ne l’écarterez pas51.
Le prince utilise la force pour éviter toutes les manifestations du peuple. Il peut se
servir de cette force pour conserver l’intégrité territoriale du pays. La force est le moteur de
la paix sociale. Chez Machiavel, elle s’identifie au lion étant donné qu’il est capable de
produire le mal dans n’importe quelle circonstance. Le prince doit se référer à cet animal
pour que les individus aient l’idée de la crainte. Par la force, le prince doit résister à toute
attaque brusque et violente. De là, il doit être en mesure de commander son peuple par la
force. Pour Machiavel, la force doit être utilisée au dernier moment pour calculer la
violence. Le prince ne doit pas hésiter son application car elle sert à consolider le pouvoir.
Grâce à la force, il doit être capable de l’utiliser dans sa diplomatie politique. La force est
utile pour garantir l’ordre de chaque citoyen. Elle peut assurer le bonheur de tous. L’idée de
la force nous permet de réfléchir sur les milices, les mercenaires et les troupes auxiliaires
que nous parlerons plus tard.
En un mot, la force est un concept qui désigne l’ensemble des hommes armés d’un
Etat. Elle est une condition indispensable pour la défense de la nation. Elle est très
importante dans les affaires politiques, seulement elle est insuffisante pour atteindre le
résultat final. Le machiavélisme est une théorie nécessaire des dirigeants car il contient de
la force. Pour bien régner, le prince doit avoir une puissance forte. Un prince fort doit être
en mesure de résister à toute attaque venant d’un pays étranger. Sa force doit être une
violence calculée sans brutalité. Cette violence est non gratuite mais au service de l’intérêt
50 Encyclopédie Agora, http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Nicolas_Machiavel, 05 Décembre 2006 (18h 40) 51 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, pp. 548 - 549
32
du pays. Elle est justifiée par la Raison d’Etat. De cette violence calculée, nous allons
analyser l’art du paraître du prince.
I. 3. 3 : L’art du paraître
Dès le début du chapitre XIV du Prince, Machiavel met nettement en garde contre
toute tentative de se détourner de ce qui est, et qui est toujours mêlé, au profit de ce qui est
pur et sans mélange. En effet, l’ignorance de la distance entre ce qui est et ce qui doit être
fait oublier la nature des hommes. Le prince doit nécessairement tenir compte des réalités
effectives. Il doit prendre conscience, et faire avec, de la spécificité de l’espace social et
politique, le contexte de son action. En cet espace, l’apparence domine. Le prince ne peut
pas l’ignorer et doit savoir lui-même en jouer, sinon, il sera pris au piège de cette dualité
trompeuse : être - apparence.
Le verbe « paraître » signifie avoir l’apparence de quelque chose, ou traduit
vaguement par « sembler ». Le prince doit paraître commencer à être visible ou à exister. Il
doit manifester sa présence devant le peuple comme un être bon. Par là, le paraître est l’un
des moyens le plus dynamique d’un nouveau prince. Ce dernier doit varier ses propositions
politiques pour enrichir son pouvoir. Il doit maîtriser son art de paraître pour calmer l’esprit
du peuple et pour exercer son pouvoir ; car il lui permet de changer son image en cas de
circonstances néfastes au pays. Dans cette situation, il doit utiliser tous les moyens pour
ramener le calme dans le pays. Les qualités qui font louer ou blâmer les hommes ne sont
pas celles qu’ils ont réellement, mais celles qu’ils paraissent avoir. Il n’est donc pas
nécessaire d’être, mais seulement de paraître. Autrement dit, il n'est pas bien nécessaire
qu'un prince possède toutes les bonnes qualités, mais il l'est qu'il paraisse les avoir.
Machiavel ose même dire que, s'il les avait effectivement, et s'il les montrait toujours dans
sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu qu'il lui est toujours utile d'en avoir
l'apparence. Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément, pitoyable, fidèle,
humain, religieux, sincère et droit... Pour bien mettre l’idée au point culminant, l’art du
paraître peut avoir toutes les qualités d’un bon prince. Ce dernier doit se présenter comme
humaniste pour convaincre son peuple en utilisant la prudence. Cette prudence est une
attitude qui consiste à percevoir les dangers. Elle permet au prince d’éviter les
33
circonstances fâcheuses d’une action du peuple. Faut-il dire qu’il ne faut pas être vertueux
mais seulement le paraître ? Machiavel partage-t-il le jugement populaire sur la valeur des
qualités morales ? Il dit seulement qu’il est utile d’être vertueux. Pourquoi ?
La vertu n’est pas un bien en soi, il est même parfois dangereux de la pratiquer
dans un milieu qui ne la reconnaît pas. Il vaut mieux ne pas pratiquer la vertu plutôt que de
risquer de perdre le pouvoir. De ce fait, Machiavel donne comme exemple, le renard et il en
tire la leçon suivante : il faut savoir jouer sur l’opposition de l’être et de l’apparaître.
Notamment, il va dire qu’il faut parfois que le prince revienne sur ses promesses, mais il ne
doit pas le montrer. Les vertus politiques ne peuvent donc s’aligner sur les vertus privées de
l’amitié et de la confiance réciproque. Dans l’analyse, il faut toujours sauver les apparences
de la moralité à cause de leur effet politique et il n’est pas toujours nécessaire ni même
souhaitable d’être moral. Sans doute, il est utile aussi d’être vertueux parce qu’il est alors
plus facile de le paraître. Un point est en tout cas très clair : il n’est pas souhaitable d’être
toujours vertueux ; ce serait politiquement préjudiciable. Prenons comme exemple les
démagogues et les politiciens qui n’hésitent pas à trahir les paroles données.
Les vertus que l’on aime chez les hommes ordinaires sont peu appréciées chez les
princes et peuvent même être dangereuses. Le prince doit persévérer dans le bien lorsqu’il
n’y trouve aucun inconvénient et s’en détourner lorsque les circonstances l’exigent. Donc,
le prince ne doit pas tenir sa parole quand cela se retournerait contre lui, et quand les causes
qui l'ont conduit à promettre ont disparu. Et jamais un prince n'a manqué de motifs
légitimes pour colorer son manque de foi. De cela l'on pourrait donner une infinité
d'exemples modernes, et montrer combien de paix, combien de promesses ont été rendues
caduques et vaines par l'infidélité des princes. Celui qui a su mieux user du renard est arrivé
à meilleure fin. Autrement dit, celui qui a mieux su faire le renard s'en est toujours le mieux
trouvé. Mais il faut savoir bien masquer cette nature, être grand simulateur et dissimulateur.
Pour Machiavel, le prince doit paraître devant son peuple sous forme d’une autorité
incontestable, capable d’imposer sa force, sans être contesté. Il doit à chaque instant
contrôler la diffusion de son image, sans avoir trop confiance en elle. Il doit savoir forger
son image s’il veut conserver son pouvoir. On retrouve donc ici, sa perspective, non
l’idéalisme mais le réalisme politique. Ce qui compte, c’est l’efficacité politique, valeur
34
suprême. Pour être efficace, le pouvoir doit tenir compte de ce que sont les hommes qui en
sont les sujets, des êtres qui ont quelque chose de spécifique telle que l’aptitude à respecter
un ordre légal et à avoir des sentiments moraux, et des êtres passionnels qui n’obéissent
qu’à la force. L’art du paraître se base sur l’intention de la morale traditionnelle. Dans ce
cas, le prince doit faire semblant de respecter la religion. Or, il doit agir contre cette
religion et doit savoir que le paraître relève de l’apparence. Machiavel précise quand il
écrit :
Mais faisant beau semblant de les avoir, alors elles sont profitables ; comme de sembler être pitoyable, intègre, religieux, et de l’être, mais arrêtant alors ton esprit à cela que, s’il faut ne l’être point, tu puisses et saches user du contraire52.
En politique, ce qui compte c’est la réussite et la nécessité, quelque soit le chemin
qu’on suit. Dans l’examen de la nécessité politique qui s’oppose aux vices, Machiavel se
désintéresse toujours à des intentions morales pour n’envisager que la seule relation du
gouvernant aux gouvernés. Ceci laisse à dire que l’être du prince n’existe que pour le
dehors et que les gouvernés jugent sur les apparences. Ces dernières sont aussi une
condition sine qua non, puisque les hommes jugent aux yeux. Il est clair qu’un dirigeant ne
doit reculer ni devant la cruauté ni devant la fourberie, pour faire régner l’ordre public et
garder son pouvoir. Cette phrase que Machiavel n’a jamais écrit « la fin justifie les
moyens » semble résumer toute sa politique. C’est ce qui a fait écrire Machiavel que :
Tout le monde voit bien ce que tu sembles mais peu ont le sentiment de ce que tu es et ces peu-là n’osent contredire à l’opinion du grand nombre, qui ont de leur côté la majesté de l’Etat qui le soutient53.
Cette citation nous montre finalement ce qui est plus important dans la nécessité
politique de Machiavel. Il est évident de marcher derrière la force, mais elle doit être
équilibrée du fait que tout excès ne mène jamais une entreprise à terme. Pourtant, tout le
monde voit ce que le prince paraisse ; peu connaissent à fond ce qu’il est : Etre ou paraître?
Le politicien doit répondre aux attentes de son public pour que la scène politique porte bien
son nom. Le prince est un acteur dont on ne sait rien au-delà des rôles qu'il joue. Il faut qu'il
gagne son public sur la base de sa performance et non sur celle de sa nature privée, son être
52 Nicolas machiavel, Le Prince (œuvres complètes), p. 342 53 Ibidem, pp 128 - 129
35
véritable54. Et ce petit nombre n'osera point s'élever contre l'opinion de la majorité,
soutenue encore par la majesté du pouvoir souverain. L’art du paraître intervient sur les
affaires politiques parce qu’il y a des lois morales et lois politiques qui ne sont pas bonnes.
Au surplus, dans les actions du prince, ce que l'on considère c'est le résultat. S'il y
réussit, tous les moyens qu'il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde55.
En d’autres termes, un prince est souvent contraint, pour maintenir ses Etats, d'agir contre
sa parole, contre la charité, contre l'humanité, contre la religion puisque tous les moyens
seront toujours estimés honorables et loués de chacun, car le vulgaire ne juge que de ce
qu'il voit et de ce qui advient. Ici, l’art du paraître est une attitude et une sorte de stratégie
adoptée par le prince pour faire face aux différentes occasions qui peuvent se présenter dans
le pays afin de pouvoir gouverner. Il est aussi un moyen efficace pour éliminer
physiquement un adversaire. Le prince doit masquer sa propre image devant la foule afin de
fuir la haine. Il doit faire ces calculs secrets sans qu’il dépende de personnes. Il doit faire sa
politique sous l’apparence de la morale et apparaître comme un homme moral, religieux
mais il doit être sanguinaire quant à la nécessité. L’art du paraître est une arme habile du
prince pour enrichir son pouvoir et préserver ses intérêts. La question de la loyauté et du
mensonge est au coeur de toute la philosophie morale depuis l'Antiquité. Sur cette question,
Machiavel oppose la théorie à la pratique. La question de savoir ce que doit faire le prince
reviendra une fois encore à se demander ce qui est le plus avantageux du point de vue de
l'efficacité politique.
54 Cf. Maryvonne Longeart, http//www.ac-grenoble.fr/philo/Sophie/articles, 13 Mars 2007 (18h17) 55 Cf. Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 343
36
DEUXIEME PARTIE :
L’ANALYSE POLITIQUE DE
MACHIAVEL
37
La politique machiavélienne se fonde sur un principe de méfiance étant donné que
l’homme est voué par sa nature à haïr et à jalouser ses semblables. De ce fait, on ne peut
pas l’arrêter à ne pas faire du mal à ses congénères. Si les hommes sont capables de se nuire
les uns des autres, la stabilité politique est au prix de la nécessité. En effet, c’est à cause de
la mauvaise nature humaine que l’usage de la nécessité est très important pour le prince. Le
gouvernement doit toujours s’attendre aux réactions de ceux qui veulent aussi s’emparer du
pouvoir. Si on traite de la nécessité politique, c’est en raison de son importance. Elle n’a
d’autre but que d’atteindre des objectifs politiques. Nous allons approfondir nos analyses
sur le rapport entre Machiavel et le prince.
CHAPITRE 1 : LE RAPPORT ENTRE MACHIAVEL ET LE PRINCE
II.1.1 : La place de l’opinion et l’opposition du prince
Tout d’abord, l’opinion vient du mot latin « opinio » qui signifie jugement. Elle est
un jugement commun, ensemble des idées ou convictions communes à une collectivité. Par
contre, une opposition est une résistance qu’oppose une personne ou un groupe. Elle est un
ensemble de personnes opposées au gouvernement. Elle vient du latin « oppositio » qui
signifie empêchement ou obstacle. Pourtant, un prince est celui qui possède une
souveraineté ou qui appartient à une famille souveraine. Il détient le pouvoir et il peut être
aussi une personnalité noble.
Pour Machiavel, le prince ne doit pas se fier aux différentes opinions et aux flatteries
du peuple ; car les hommes font semblant de lui donner des conseils, alors qu’ils sont
malhonnêtes. Ils cherchent des moyens pour déstabiliser le pouvoir. D’ailleurs, Machiavel
montre que les hommes changent d’opinions selon les circonstances. Dans ce cas, le prince
doit avoir une attitude qui consiste à percevoir les dangers. Il doit réduire les Etats car la
non réduction des Etats permet aux hommes de manifester leurs opinions. Cette
manifestation d’opinion entraîne le goût de l’honneur et du bonheur. En tenant compte de
cet argument, les décisions du prince doivent être confidentielles ; car le peuple apparaît
comme étant une force aveugle qui change toujours d’opinion. C’est ainsi que
38
MANGALAZA Eugène Régis montre que : « Le peuple est comme une force aveugle qui
change précisément d’opinion ; ce qu’il applaudit aujourd’hui, il rejette demain. »56
Le prince doit avoir des notables capables de fournir des informations par
l’espionnage. Il doit donc faire des arrestations à tous ceux qui veulent déstabiliser le pays.
Et, s’il veut bien rester au pouvoir, il doit avoir des espions partout dans le pays. Il ne doit
pas prendre en considération toutes les opinions. A ce point, Machiavel nous écrit :
Il n’y a pas d’autres moyens de se regarder des flatteurs que de faire comprendre aux hommes qu’on ne s’offensera pas d’entendre la vérité ; mais en vous disant la vérité, on vous manquera de respect57.
De plus, le prince ne doit pas avoir une confiance totale à ses conseillers. Toute
action, surtout l’organisation du gouvernement, doit être sous l’ordre du prince après avoir
entendu les conseils des gens selon son désir. C’est pourquoi Machiavel déclare :
Le prince doit toujours entendre les conseils, mais selon son désir à lui, non sur celui des autres, il doit même décourager chacun de lui donner des conseils qu’il ne sollicite point. Il doit cependant souvent les solliciter, et entendre ensuite patiemment la vérité requise, s’irrite même si quelqu’un la dissimule par prudence58.
Effectivement, plus le prince ne doit pas se laisser entraîner par les flatteries de ses
conseillers, il doit toujours savoir se méfier des opinions des gens qui l’entourent. Comme
il n’est pas sur le même pied d’égalité que les gens, donc, il doit les écouter avec prudence.
Il faut savoir garder certaine méfiance envers les hommes. A titre d’exemple, dans une
réunion publique, un mauvais prince croit avoir obtenu les renseignements voulus et
valables. Or, ce ne sont que des flatteries qui embellissent seulement les discours. Ce type
de prince court au danger, car, il croit aux opinions des gens infidèles. Il faut que l’attitude
du prince apparaisse comme un caméléon qui change de couleur en fonction du milieu. Le
prince doit s’informer lui-même après avoir écouté les opinions de ses conseillers. Il doit
prendre lui-même ses propres décisions et ne pas se laisser simplement dominé par des
flatteries. Car les bons conseils proviennent de la sagesse du prince. D’où Machiavel
déclare :
56 MANGALAZA Eugène Régis, Lire et comprendre Platon, p. 8 57 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 109 58 Ibidem, p. 126
39
C’est pourquoi je conclu que les bons conseils, d’où qu’ils viennent, procèdent toujours de la sagesse du prince et non la sagesse du prince de ces bons conseils59.
De ce fait, le prince doit découvrir ce qui est caché dans les différents conseils
qu’on lui donne. Il doit savoir également que certains conseils peuvent manquer de la
sagesse ou du respect. Il doit aussi consulter les conseillers sur une situation difficile et
incompréhensible. Dans cette situation, il prend ses décisions après avoir analysé les
diverses opinions. Il ne doit pas limiter l’espoir de son peuple. Car, l’espoir est un moyen
de faire vivre les hommes. Machiavel conseille de ne se reposer en rien sur l’opinion mais
de compter essentiellement sur la force et la ruse. En revanche, par ruse, pourquoi ne pas,
en plus, manipuler l’opinion et se faire aimer de la foule, sans oublier qu’il est « plus sûr
d’être craint que d’être aimé » ?
Comme nous avons vu dans l’art du paraître du prince, à propos du vulgaire, deux
éléments doivent être mis au point ; mais que faut-il entendre par vulgaire ?
La foule par opposition à l’élite, la foule aveugle ou myope par opposition à une élite
clairvoyante. C’est le sens de l’opposition entre : « voir » et « percevoir » et « juger par les
yeux » et « juger par les mains ». Or que voit la foule ?
Ce qui est voyant est le résultat de l’action politique. Elle ne perçoit pas les moyens mis en
œuvre. Autrement dit, en politique, il n’y a que le résultat qui compte. Constat peut-être
pessimiste… Dans le monde où il n’y a que le vulgaire, le prince n’a pas à redouter les gens
clairvoyants, qui auraient « perçu » les aspects discutables de sa politique. Parce que ces
gens sont peu nombreux et qu’ils ne pèsent d’aucun poids auprès de la foule, le prince a su
se gagner celle-ci par certains résultats voyants de sa politique. Puisque les hommes, en
général, jugent plus par leurs yeux que par leurs mains. Machiavel oppose ici la
connaissance à l'opinion. En politique, on acquiert la connaissance en participant à l'action
et non en regardant. Pour gouverner, le prince doit pouvoir s'appuyer sur l'opinion publique.
Or, le peuple assiste à l'action politique en spectateur. Il n'a pas l'occasion de participer
directement à l'action. Il ne peut donc que se fier aux apparences. La véritable connaissance
de la chose politique lui manque. Il n'a pas accès à « la vérité de la chose ».
59 Ibidem, p. 75
40
Les hommes sont si simples et si faibles que celui qui veut tromper trouve toujours
des dupes. Le caractère des peuples est mobile, on les entraîne facilement vers une opinion,
mais il est difficile de les y maintenir. Le prince doit être attentif à ce que l’on dit, à ce
qu’on croit de lui, à ce que reflète l’opinion. La réputation, la rumeur publique, sont des
constructions fantasmatiques qui peuvent être à distance des qualités et défauts du prince ;
mais il ne s’agit nullement de s’en détourner, au contraire, il faut savoir en profiter. Il n’est
nullement le maître de l’opinion, ni de l’impression qu’il donne. Machiavel dit que cela
doit se faire avec le but de se faire aimer de son peuple. Son comportement est justifié,
comme il le dit tout au long de son ouvrage, en ce que sa volonté est de défendre son Etat,
et de chercher à le perpétuer.
Bref, on voit ici que le prince machiavélien n’est pas machiavélique ou un tyran.
En effet, ce que veut dire Machiavel, c’est, non pas que le prince fait ce qu’il veut, au gré
de ses caprices, de son bon vouloir, mais qu’il est un être fragile, ayant à s’exercer dans un
monde fragile, et dépendant de tout ce qui est « au-dehors ». Le prince est triplement
dépendant de la constitution, de la société ou des groupes qui ont favorisé son accès au
pouvoir, et les humeurs de chaque classe sociale étant changeants. Il ne faut pas faire
dépendre son pouvoir de la satisfaction des attentes immédiates ; car les gens oublient vite
les faveurs passées. En fait, le nouveau prince ne doit pas se reposer sur l’opinion du peuple
étant donné qu’elle est changeante. De cette analyse, un prince qui se fonde sur cette
opinion sera anéanti par les opposants. Il doit manipuler les opinions pour se faire aimer de
la majorité du peuple. Ce talent permettra au prince d’éviter les pièges du peuple. Comme
la plupart des hommes portent leurs jugements sur l’apparence des choses, l’apparence du
prince doit donner beaucoup d’espoir à son peuple. Dans cette optique, le prince doit être
social, généreux et incarner les meilleures qualités humaines ; car la réalité du pouvoir
politique repose sur le jeu des apparences. Ces dernières permettent au dirigeant d’être un
homme médiatisé. Le prince doit savoir que la politique est instable. Ce qui signifie qu’il ne
peut pas rester éternellement au pouvoir. Néanmoins, il est obligé d’utiliser ses capacités
intellectuelles pour faire régner l’ordre. Il doit être un grand calculateur habile pour mesurer
ses forces et régler ses projets politiques pour ne pas se tromper. Car, la politique est une
lutte perpétuelle.
41
II.1.2 : La politique comme lutte perpétuelle
Diverses définitions sont proposées sur la politique. Elle est une science ou art de
gouverner un Etat et une conduite des affaires publiques. Elle englobe l’ensemble des
affaires publiques d’un Etat, les événements et les luttes des partis. On peut la définir donc
de la manière suivante :
La politique est l’art d’administrer une société, d’y maintenir la paix sociale, de transformer la législation pour l’adapter aux modifications entraînées par l’histoire, de contrôler les diverses activités des hommes de telles sorte que les institutions soient justes et efficaces, de régler les relations entre l’Etat et les autres Etats60.
Pourtant, le mot perpétuel vient du latin « perpetualis » qui signifie durer ou se
maintenir longtemps. Une lutte perpétuelle est une lutte qui ne finit pas ou qui ne cesse pas.
Elle dure toute la vie et revient sans cesse dans la politique. Comme disaient bon nombre de
savants, les choses de la terre sont tous dans le mouvement et ne peuvent demeurer fixes.
Donc, la vie de l’homme repose sur un changement de lutte perpétuelle des choses. Ici, la
politique est une lutte perpétuelle dans la mesure où elle est un art d’organiser une société.
Cette politique-lutte se voit entre les politiciens et les citoyens comme une guerre
permanente vis-à-vis des différentes oppositions d’idées et d’intérêts. Le dirigeant doit
lutter contre ses adversaires jusqu’au bout pour rester au pouvoir. C’est la raison pour
laquelle, le prince doit lutter perpétuellement afin d’aboutir à son objectif par sa capacité.
Car, la lutte apparaît comme étant une condition essentielle de la vie. Il faut savoir que
l’univers est une lutte, la justice, un conflit et que le devenir est déterminé par la
discordance61. Le prince doit savoir que tout oppresseur peut se défendre par tous les
moyens. Il a pour fonction essentielle de maintenir l’équilibre politique dans son pays. Mais
sans la justice, cet équilibre n’est pas possible.
Comme nous avons vu auparavant, les hommes entrent en conflits pour accroître
leur puissance et les conflits entrent dans le cadre des luttes perpétuelles. Et, la ruse entre
dans l’art de la guerre car elle permet au chef d’Etat de faire la guerre. Cette dernière est
nécessaire à ceux qui veulent conquérir un pouvoir. Elle est comme son unique moyen de
60 Cours sur : « L’Ethique politique et bonne gouvernance », Avec RAZAFINDEHIBE Etienne Hilaire,
Université de Toamasina, Juin 2006 61 Cf. Battistini (Yves), Les trois présocratiques, p. 47
42
gouverner et conçue comme une activité d’un homme politique. Dans la guerre, chez
Machiavel, il perd, celui qui sait ce qu'il va faire s'il gagne ; il gagne, celui qui sait ce qu'il
va faire s'il perd. L’art de la guerre est une condition indispensable qui permet au prince de
réussir dans la politique. Dans cette politique, le prince doit faire preuve de la ruse et de la
force pour faire disparaître les ennemis et garder son honneur. Toutefois, la force et la ruse
doivent aller ensemble en cas de guerre. Car l’utilisation de la force seule engendre des
conflits et des haines dans le pays. D’où la déclaration de Raymond ARON :
Les conflits surgissent lorsque les techniques de la prise de la conservation, requiert l’emploi de la force et la ruse, et surtout, plus généralement, un monument amoral des humains62.
Le but de l’homme politique, c’est de trouver une unité pour une finalité commune,
qui est la conquête du pouvoir. En d’autres termes, chaque politicien désire entrer dans la
classe dirigeante. Celui qui aura la chance d’atteindre ce but ultime doit diriger sa pensée en
tenant compte du peuple. Car la vie politique ne stagne jamais, elle change continuellement.
Et ce changement est inévitable dans la mesure où il prend source auprès des hommes.
C’est ainsi qu’un homme au pouvoir doit être un homme de guerre. Ici, Machiavel affirme :
« On fait la guerre quand on veut, on la termine quand on peut. »63 Et il ajoute aussi que :
« On ne doit jamais laisser se produire un désordre pour éviter une guerre ; car on ne l'évite
jamais, on la retarde à son désavantage. »64
Pour faire la guerre, le prince doit avoir des troupes armées. Car la ruse de la guerre
est composée des troupes qui appartiennent au nouveau prince. Ces troupes sont les armées
nationales utilisées par un prince, pour conquérir et asseoir son pouvoir. D’après l’auteur,
on distingue quatre types d’armées : les armées propres ou armées de citoyens, les armées
mercenaires ou armées de guerriers professionnels non citoyens, les armées auxiliaires ou
armée d’un Etat et les armées mixtes ou la combinaison de trois. Pour lui, les armées
propres sont les meilleures étant composées de citoyens. Elles seront fiables contre
l’ennemi extérieur et contre les abus du pouvoir. En effet, l’armée de citoyens veillera à ce
que les lois soient bonnes, c’est-à-dire établies pour le bien du peuple.
62 Raymond Aron, Machiavel et les tyrannies modernes, p. 210 63 Maryvonne Longeart, http//www.ac-grenoble.fr/philo/Sophie/articles, 13 Mars 2007 (18h17) 64 Ibidem.
43
Etymologiquement, le mot mercenaire vient du mot « merces » qui signifie salaire.
Le terme mercenaire désigne un soldat étranger à la solde d’un Etat. De la même manière,
l’armée auxiliaire est formée par des combattants étrangers comme les mercenaires pour
aider également le chef d’Etat. Mais la différence est que si les mercenaires sont dangereux,
l’armée auxiliaire est pire. Cette dernière est une troupe unie. Elle n’est pas comme les
mercenaires. Toutefois, le prince doit être attentif pour ne pas tomber dans le joug. Il doit
aussi former des milices pour assurer la puissance du prince. Dans cette puissance, la force
doit devenir une loi. Car, la loi bien fondée constitue une force. Selon les explications de
Machiavel :
Les mercenaires et les auxiliaires ne valent rien et sont fort dangereux ; et si un homme veut fonder l’assurance de son Etat sur les forces mercenaires, il ne sera jamais soutenu ferme, car elles sont désunies, ambitieuses, sans discipline, déloyales ; graves chez les amis, lâches devant l’ennemi ; elles n’ont point de crainte de Dieu ni de foi avec les hommes, et tu ne diffères ta ruine qu’autant que tu diffères l’assaut ; en temps de paix tu seras pillé d’eux ; en temps de guerre, des ennemis. La cause de cela est qu’ils n’ont autre amour ni autre occasion qui les tienne au camp qu’un peu de gages ; ce qui n’est pas suffisant à faire qu’ils veuillent mourir pour toi 65.
L’armée est toujours nécessaire pour surmonter les obstacles d’un Etat. Mais,
l’armée de mercenaires présente des inconvénients (coût, fidélité fragile) car : « En temps
de paix, le mercenaire dérobe ; en temps de guerre, il déserte. »66 C’est pour cette raison
que l’armée de mercenaires ne devrait constituer qu’une force d’appoint à une armée
nationale (fidèle car elle se bat pour elle-même, moins coûteuse car il suffit d’assurer son
entretien). Ici, le prince doit faire de l’art de la guerre, leur unique étude et leur seule
occupation ; c’est là proprement, la science de ceux qui gouvernent. Le pouvoir est toujours
le fruit de l’emploi efficace de la force. Bref, le prince idéal doit disposer de « bonnes
armes » et cultiver « l'art de la guerre ». Il peut ainsi s'assurer de ses ennemis et se concéder
l'amitié des faibles. Quand un prince conduit une armée, gouvernant une multitude de
soldats, c’est alors qu’il ne se faut nullement soucier du nom de cruel, car sans ce nom, une
armée n’est jamais unie ni prête à aucune opération.
65 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 325 66 Ibidem
44
Le prince, bon stratège et sage, saura parfaitement choisir son armée en se défiant
des mercenaires et des soldats auxiliaires. Le prince vertueux sera celui qui mène lui-même
au combat ses armées, constituées de ses propres sujets. Il doit posséder l’art de la guerre et
savoir bien régner sur son armée. Autrement dit, on peut dire que le prince doit être un
homme de guerre, « un lion » autant qu’« un renard ». Il faut qu’il soit rusé, comme un
renard, et fort, comme un lion, pour atteindre ses objectifs. Il use de la ruse pour avoir son
peuple et, en cas de force majeur, il fait intervenir la force. Du même coup, le prince doit
évaluer s'il a assez d'hommes et d'argent pour entretenir une armée assez forte pour
défendre son Etat contre une attaque extérieure. Si ce n'est pas le cas, il doit s'assurer
d'avoir la confiance de ses sujets et défendre en priorité sa capitale. Un prince doit
examiner alternativement aussi les actes des armées anciennes. Car, les techniques d’une
armée sont nécessaires pour l’intérêt du prince.
Cependant, par les armes, un prince peut se faire obéir et respecter de ces
concitoyens. L’usage de l’armée permet au prince de faire peur à ses opposants. Sa stratégie
est de veiller à sa sécurité et celle du peuple. Le prince doit être fort et capable, pour réagir
dans une situation difficile, dans la mesure où cette politique, comme lutte perpétuelle, a
comme but d’atteindre le pouvoir ou les objectifs politiques. En effet, la lutte perpétuelle
entraîne la haine et la division du peuple. Cette division engendre la corruption aux biens
de l’Etat. D’ailleurs, la force n’intervient que lorsque le peuple agit contre le pouvoir en
place. Bien que l’art de la guerre soit le moyen principal d’arriver à ses fins, le prince peut
aussi faire preuve de ruse et de scélératesse, pour manipuler ses adversaires. Toutefois,
voulant restaurer l’ordre de sa monarchie, s’il doit commettre des actes cruels ou
répugnants, il doit le faire sous couvert d’un bien paraître que rien ne peut altérer. Ainsi, la
nature de l’homme est virulente, il s’ensuit que le gouvernement s’arme et sache son rôle
vis-à-vis de la guerre. Cette dernière est juste quand elle est nécessaire, parce que :
La guerre est nécessaire pour restaurer la liberté ou la maintenir quand elle est menacée. Pour Machiavel, toute guerre est juste quand elle est nécessaire67.
Pourtant, la guerre n’est rien d’autre que la manifestation de l’humanité naturelle
qui dresse les uns contre les autres. En ce sens, le prince doit être un homme de guerre, car
67 Frolov (Dr), in Dictionnaire des philosophes, p. 118
45
le pouvoir se maintient toujours avec les armes. Il ne doit pas s’assurer du capitaine mais il
doit chercher à le discréditer dans l’armée. Pour cela, il doit être cruel et incontestable de
ses ennemis. Il doit être un vrai commandant ayant la maîtrise convenable de l’art de la
navigation. Comme nous voyons que sans commandant, les matelots constituent une force
aveugle. De même, c’est dans le guide de la nation que le prince et ses soldats doivent
savoir bien nager pour éviter des éventuels échecs.
Les luttes politiques sont éternelles car de nature, l’homme aime toujours le
pouvoir. Dans ce pouvoir, le prince se trouve obligé de s’engager à des guerres car il a des
ennemis. Or, ces guerres engendrent des troubles. De ces troubles, chacun souffre et lui
devient ennemi. Un prince qui veut éviter le malheur de soupçonner ou celui d’être ingrat
doit commander en personne toutes les expéditions68. Bref, la politique est un combat entre
deux camps. L’un des dirigeants et l’autre des dirigés. La première désigne le prince et son
entourage et la seconde incarne les opposants et le peuple. En d’autres termes, diriger ou
gouverner les hommes est un combat acharné du prince face aux opposants. Par cette
raison, les conflits ne cessent d’éclater dans le pays. Cette lutte perpétuelle est nécessaire
dans la vie humaine, même parfois sanguinaire ; car le prince qui se fait lâche doit
s’attendre à la mort. Il faut que le prince n’hésite pas à faire le mal s’il est question de
chercher le bien de tout le monde. En un mot, la guerre joue un double rôle sur la défense
contre les menaces extérieures et intérieures. Ici, il ne faut pas prendre la guerre au sens
négatif. Elle a aussi ses côtés positifs, vu que toute tentative de guerre vise un certain ordre.
De ce fait, la guerre est dans sa globalité inévitable pour ceux qui veulent gouverner.
Pendant la guerre, on se prépare à la paix ; pendant la paix, on se prépare à la guerre. Pour
cela, Machiavel conçoit l’homme comme un être méchant. Ainsi, allons-nous maintenant
nous consacrer sur cette analyse.
II.1.3 : L’anthropologie machiavélienne
L’anthropologie machiavélienne se présente comme une anthropologie unitariste et
pessimiste. Elle est en quelque sorte une étude existentialiste. L’anthropologie est l’étude
des cultures de différentes collectivités humaines comme les institutions, les structures
68 Cf. Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite Live, p. 448
46
familiales, les croyances et les technologies. Elle est une science qui étudie l’homme. Elle
peut étudier aussi l’espèce humaine des points de vue anatomique, psychologique et
biologique69.
Tout gouvernement doit envisager une manière de se défendre. Il ne s’agit pas de
deviner ce que va faire l’ennemi mais ce qu’il peut faire ; car un danger prévu est à demi
vaincu. La prudence est une vertu militaire ; et on dit souvent qu’à la règle de la prudence,
correspond la règle du moindre mal. Gouverner signifie, pour Machiavel, arracher l’homme
à sa méchanceté naturelle pour le rendre bon. Ici, l’anthropologie machiavélienne se résume
sous la formule suivante : « Tous les hommes sont méchants. »70 Cette méchanceté est
interprétée de différentes manières comme par exemple, l’interprétation morale selon
laquelle les hommes sont pervers ou mal intentionnés. Vis-à-vis de cette interprétation,
nous arrivons à inscrire la pensée de Machiavel dans une orthodoxie du péché originel.
Machiavel reconnaît une pensée politique qui se détourne bien de la voie théocratique qui
vise à spiritualiser le monde. Chez lui, la méchanceté est une détermination spécifique de
l’homme. Elle se voit dans le désir, qui est une tendance particulière à vouloir obtenir
quelque chose pour satisfaire un besoin. En d’autres termes, elle est une tendance à se
procurer une émotion déjà éprouvée ou imaginée. Donc, l’homme est un être désireux,
ambitieux et méchant. Cette nature désireuse vient de la nature, car l’homme cherche
toujours une satisfaction. Cela montre que les désirs de l’homme semblent bien être à
l’origine de la méchanceté humaine. Machiavel voit en l’homme une méchanceté innée.
L’homme a le désir naturel d’acquérir un pouvoir qui lui rend méchant. Dans cette
méchanceté, il crée des lois et des contraintes dans la vie sociale. Pourtant, les hommes
doivent vivre ensemble, par des lois des contraintes. C’est pourquoi Léo STRAUSS affirme
que :
Les hommes sont méchants, il faut les contraindre à être bons. Mais cette contrainte doit être l’œuvre de la méchanceté, de l’égoïsme de la passion égoïste71.
La méchanceté fait partie intégrante de la nature humaine mais cette nature humaine
est mauvaise. C’est pourquoi, l’anthropologie est une nature qui se veut méchante. La
69 Cf. Encyclopédie de la psychologie générale, p. 182 70 Nicolas Machiavel, Le Prince (œuvres complètes), p. 339 71 Léo STRAUSS, Qu’est-ce que la philosophie, p. 46
47
connaissance de l’homme est un atout indispensable en politique car il permet au prince de
faire obéir aux hommes par les lois. Par nature, tous les hommes ont des caractères
communs tels que la méchanceté, le désir, l’égoïsme... Cette nature est l’ensemble des traits
qui constituent l’être humain. Si chaque individu est désormais considéré comme un être
égoïste qui dresse sa puissance contre les puissances du monde (la nature et les autres
hommes), comment doit-il se comporter pour assurer au maximum sa conservation?
Il importe de toujours éviter les tromperies de l’imagination et de la morale. La vie
ne doit plus être considérée comme un passage vers une existence meilleure, ou comme un
ici-bas méprisable devant être transcendé. La vie est sur terre et c’est une lutte acharnée
contre la fortune. La motivation fondamentale de la bête humaine est l’égoïsme. Et cette
fortune contre laquelle se dresse l’égoïsme d’un individu, est souvent l’égoïsme des autres
comme dans le commerce et la politique, par exemple. Si tous les hommes sont égoïstes,
alors personne ne doit tenter d’être bon car cela lui risque d’être fatal. La bonté est un luxe
pour un royaume imaginaire et une République fantasmatique. La morale conduit tout
simplement à la perte de celui qui veut la respecter. En effet, la méchanceté humaine vise à
justifier l’égoïsme et le désir. Selon Jean Jacques ROUSSEAU, l’homme est bon mais il est
méchant dans et par la société. Voici ce qu’il nous dit sur ce sujet :
On pourrait dire que les sauvages ne sont pas méchants précisément parce qu’il ne savent pas ce qui est bon, car ce n’est ni le développement des lumières ni le frein de la loi, mais le calme des passions ou ignorance du vice qui les empêchent de mal faire72.
A l’état de nature, l’homme n’est ni bon ni méchant au sens moral de ces mots ;
mais il devient méchant dans l’état social. Cette méchanceté est dure grâce à l’influence des
multitudes des passions factices, haineuses et cruelles qui rendent les hommes ennemis les
uns les autres. C’est ainsi que notre auteur met l’accent sur la méchanceté humaine en
disant :
Tous les écrivains qui se sont occupés de politique s’accordent à dire que quiconque veut fonder un Etat et lui donner des lois doit supposer d’avance les hommes méchants, et toujours prêts à montrer leur méchanceté toutes les fois qu’ils en trouveront l’occasion73.
72 ROUSSEAU (J.J.), Discours sur les inégalités parmi les hommes, pp. 388-389 73 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite Live, pp. 388-389
48
Dans cette perspective, nous pouvons dire que la nécessité est ce qui est
indispensable dans une situation donnée. L’homme fait le bien ou le mal par nécessité. Il
est enfermé dans le désir de passion ou de conservation de soi. Il ne peut pas échapper à la
méchanceté au fur et à mesure qu’elle fait partie de la nature humaine ; d’où la déclaration
de Raymond Aron : « Rien ne peut assouvir les désirs insatiables de l’homme […]. Il en
résulte dans le cœur humain un mécontentement perpétuel. »74
L’homme peut entrer en conflit avec les autres pour pouvoir satisfaire ses passions
infinies. En rapport avec cette idée, la méchanceté incarne également le désir de conserver
et de prendre le pouvoir. Elle se définit comme un penchant de l’homme à faire du mal à
autrui. C’est dans la société que les hommes s’entretuent eux-mêmes. Ce passage de
Hobbes illustre bel et bien cette idée : « La nature de l’homme est la somme de ses facultés,
telles que la nutrition, le mouvement, la génération, la sensibilité, la raison etc. »75 C’est le
sentiment de l’homme qui désire, entraîne une opposition avec autrui. Cette multitude
diversité est une donnée naturelle, ou une donnée de la méchanceté humaine. Dans ce cas,
l’homme devient méchant et jaloux dans la société, parce qu’il y a une opposition des
intérêts entre les hommes. Cette opposition rend les hommes méchants. Cette méchanceté
des hommes apparaît comme une indignité morale ou une corruption dans la vie sociale.
Malgré tout, Nietzsche nous met en garde que la méchanceté est la réalité même de la
réalité. Car, il faut qu’il y ait du plaisir. C’est pour ce plaisir que l’individu devient non
seulement égoïste mais aussi méchant. C’est juste à titre que Nietzsche a fait cette
remarque :
La méchanceté n’a pas pour but le mal d’autrui pour lui-même, mais notre propre jouissance ; comme aucun plaisir égoïste n’est ni bon, ni mauvais, pas de vie sans plaisir. La lutte pour le plaisir est une lutte pour la vie76.
Par la méchanceté, l’homme fait des actes désagréables ou étonnants. Par la
réflexion, l’homme est un animal qui a besoin d’être dirigé. Dans ce besoin, l’Etat est la
base de l’homme pour assurer la paix sociale. Dorénavant, le prince doit savoir que la
méchanceté n’est pas le fruit du hasard. L’homme ne fait pas la méchanceté par goût ou
74 Raymond Aron, Machiavel et les Tyrannies modernes, p. 68 75 Thomas Hobbes, De la nature humaine, p. 3 76 Frederich Nietzsche, La volonté de puissance, Essai de transmission de toutes les valeurs, p. 120
49
encore par volonté mais pour atteindre un but ou un objectif. Bref, le souverain doit, en cas
d’urgence, être capable de faire aussi le mal. Dans l’intérêt de la conservation du pouvoir, il
n’est pas utile d’être bon, mais seulement de paraître bon afin d’être apprécié par le peuple.
Pour plus de compréhension, nous allons approfondir le point suivant, les principes moraux
dans l’art de gouverner.
CHAPITRE 2 : LES PRINCIPES MORAUX DANS L’ART DE GOUVERNER .
Gouverner vient du latin « gubernare » qui signifie diriger, manœuvrer ou
exercer le pouvoir politique sur un groupe. C’est administrer, voir la conduite politique du
peuple. En effet, la politique est l’art de gouverner le peuple. Elle vise le bien être de tous
les citoyens. A ce niveau, un prince doit savoir diriger, commander, organiser les membres
de la cité pour vivre en harmonie. Il doit être le chef d’Etat pour qu’il y ait égalité entre les
individus. Pourtant, l’Etat est une entité politique constituée d’institutions diverses pour
organiser une société. L’homme d’Etat doit participer à la direction du pouvoir. Il doit
avoir la capacité de présider, de diriger et de conduire la société civile dans le bon sens. La
politique est une technique adoptée par le prince pour réaliser le bien commun de la
société. Elle doit être efficace. Car, selon la propre expression de Philippe BROUD :
L’objet réel de la science politique est donc l’étude du champ politique, sans empiétement sur les territoires des autres sciences de l’homme77.
La technique de la politique concerne l’organisation, l’administration et la gestion
des affaires publiques. Elle est l’activité qui consiste à gérer ou à diriger le pouvoir intérieur
ou extérieur du pays. A ce stade, l’art d’administrer sert à instaurer l’ordre de tous les
membres de la cité. Il se base dans l’ordre des institutions légales. En effet, l’art de la
politique a pour objet de connaissance les différents aspects de l’homme et de la société.
Cela montre que l’homme est un être voulant ; c’est-à-dire, qui a des besoins et des désirs.
C’est par les désirs que Machiavel reconnaît en l’homme une ambition de gouverner. Les
difficultés du prince viennent du fait qu’il veut introduire de nouvelles institutions et de
reformes des coutumes, pour bien fonder son Etat et assurer son pouvoir. Dans l’exercice
du pouvoir, le prince doit profiter des occasions de la politique pour augmenter son 77 Philippe BROUD, La science politique, p. 15
50
autorité. Dans cette vision, il doit penser au bien de son peuple en garantissant également la
sécurité de tout un chacun. Il doit être à la hauteur pour gouverner l’Etat, avec une méthode
efficace, écarter toutes les autres formes de réflexions, de ne plus reconnaître que la réalité
pure et rejeter toutes considérations éthiques ou religieuses.
En fait, un chef d’Etat doit être sage et garder l’unité du peuple pour fortifier sa
souveraineté. Il doit être dynamique et capable de réagir rapidement face à une situation
quelconque qui se présente. Il ne doit pas être lâche et efféminé. Il doit être honnête et bon
dans l’apparence. Cette apparence du prince doit être un désir d’atteindre la gloire ou la
réussite sociale. Le prince doit avoir l’ambition de rendre utile son pouvoir. Cela signifie
que le prince doit être ambitieux à conserver son pouvoir. C’est pourquoi notre auteur attire
l’attention du prince en disant : l’appétit du pouvoir est tel qu’il ne loge pas seulement dans
le cœur de ceux qui y ont des droits, mais aussi dans celui des autres78. Gouverner, c’est
prendre conscience de la réalité humaine qui est la recherche de la gloire et de la richesse.
Nous allons essayer d’appréhender maintenant, le rapport entre le prince et l’Etat.
II.2.1 : Le prince et l’Etat
Dans l’exercice de la souveraineté, le prince est censé être ferme. Il doit se
conformer ou imiter ses prédécesseurs ; car ces princes ont fait aussi des bonnes choses. La
notion de « prince » peut désigner : premièrement, celui qui détient seul l'autorité politique
et deuxièmement, le souverain, c'est-à-dire l'autorité politique, qu'elle soit détenue par un
individu ou un groupe. Pour Machiavel, c'est le premier sens qu'il faut retenir.
Pourtant, un bon prince doit faire face aux difficultés de l’Etat pour dénouer les
problèmes. Il doit avoir du talent pour conserver son Etat, car le talent ou la prudence peut
aider à résoudre les problèmes. En politique, l’Etat apparaît comme étant une personne
morale de droit public qui personnifie la nation à l’intérieur et à l’extérieur du pays dont il
assure la gestion, ou l’administration. Il peut avoir le monopole de la violence, le bon usage
de la cruauté. Pour fonder un Etat, il y a des difficultés qui se basent sur les institutions et
les usages. Pour cela, le prince doit toujours fonder sa sécurité. Machiavel avance que :
78 Cf. Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, p. 615
51
Ceux qui semblablement, doivent à leur mérite de devenir princes, ont des difficultés, et les difficultés, qu’ils ont à parvenir au pouvoir naissent en partie des institutions et des usages nouveaux qu’ils sont forcés d’introduire pour fonder leur régime et leur sécurité79.
Quant à la fonction, l’Etat a le pouvoir de capturer un homme devenu dangereux. Il
peut assassiner un homme rebelle qui veut faire un coup d’Etat. Dans cette situation, le
prince doit utiliser sa cruauté à tous les insurgés pour conserver son Etat. Par là, l’Etat doit
s’inspirer de la crainte. Dans les conflits, les hommes proposent des solutions bâtardes mais
qui sont pires. Ces solutions ne sont ni dans la bonne voie ni dans la mauvaise voie. C’est la
raison pour laquelle la mission d’un chef d’Etat est de faire régner l’ordre et de massacrer
les ennemis. En rapport avec cette analyse, selon Philippe Guilhaume, « Il n’y a pas un
individu qui ne serait regardé pour criminel s’il se permettait ce que l’Etat se permet. »80
Machiavel est le premier auteur à avoir employé le mot « Etat » dans son sens
moderne. L’Etat est un cadre dans lequel diverses formes de pouvoir son exercées. D’autres
questions vont aussi être avancées, notamment celle de la « Raison d’Etat », qui est une
considération invoquant l’intérêt supérieur de l’Etat pour justifier une action contraire aux
règles de droit habituelles ou aux règles morales reconnues. Machiavel apparaît comme
l’inventeur de ce concept qui consiste à tout légitimer, à justifier, même les actions les plus
cruelles dans l’unique but de la préservation du régime. Par exemple, dans le cas du crime,
alors que la clémence serait à première vue, la méthode la plus démocratique et humaine.
La sûreté de l’Etat implique d’appliquer une méthode exemplaire, draconienne, qu’un
prince se trouvera plus humain en faisant un petit nombre d’exemples nécessaires, que ceux
qui, par trop d’indulgence, encouragent les désordres. Seulement, seule la Raison d’Etat
peut justifier pour une courte période, la pratique de tels actes. C’est par cette notion de
Raison d’Etat que Machiavel achève le Prince par une exhortation à la libération de l’Italie
par un libérateur qui, par tous les moyens, devra réunifier son pays en appliquant les
préceptes machiavéliens.
Le prince, vivant en danger permanent, doit apprendre à ne pas être toujours bon, à
l’être ou pas « selon la nécessité ». Ce qui compte, c’est uniquement le résultat : survie
79 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 81 80 Philippe Guilhaume, Lettre ouverte à tous les Français qui veulent plus être pris que pour cons, p. 113
52
personnelle et préservation de l’Etat. Il a le devoir de veiller sur les desseins des puissants
dans l’Etat et sur les desseins des puissances environnantes. Il doit se méfier des autres
princes puissants et bien choisir ses conseillers. Après avoir discerné les bonnes relations
avec le peuple et l’armée, Machiavel s’attache aux Grands, la troisième composante de la
population d’un Etat. Dans le choix des ministres, ceux-ci doivent être intelligents et plus
intéressés par les affaires publiques que par les siennes, car le prince sera jugé suivant son
entourage. De même, par sa prudence, le prince doit savoir se méfier de l’avis de ses
conseillers qui tendent souvent à la flatterie et ne reflètent pas la réalité de leur intention.
On doit bien comprendre qu'un prince, et surtout un prince nouveau, est souvent
obligé, pour maintenir l'Etat, d'agir contre l'humanité, contre la charité, contre la religion
même. Il faut donc qu'il ait l'esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que
le vent et les accidents de la fortune le commandent. Il faut que, tant qu'il le peut, il ne
s'écarte pas de la voie du bien, mais qu'au besoin il sache entrer dans celle du mal. Un
homme de bien et un bon prince ne gagnent pas leur réputation de la même manière. En
effet, un homme de bien doit bien conduire sa vie, mais un bon prince doit bien gouverner
son Etat. Les obligations et les responsabilités ne sont pas les mêmes. C'est pourquoi un
prince peut déroger à ses obligations, en tant qu'homme, sans déroger à ses obligations, en
tant que prince. L’Etat doit utiliser des moyens pour satisfaire les besoins de la population.
Ces moyens sont surtout la création des emplois. L’homme doit travailler pour vivre. Sous
cet angle, l’Etat doit être l’ennemi du chômage, mais comment s’effectue le rapport entre le
prince et le peuple ?
II.2.2 : Le prince et le peuple
Partant du principe qu’étant à la fois homme du peuple et homme politique,
Machiavel prétend connaître les princes et pouvoir écrire une œuvre didactique, dans le but
d’éclairer aussi bien le peuple que les princes, sur l’art de la politique. Il est finalement un
moraliste puisqu’en révélant ce qui est, il nous permet précisément de comprendre le secret
de la Raison d’Etat et d’agir. Donnons un exemple de cette belle mise en lumière du
phénomène politique : le prince doit être cruel. Ensuite, le peuple, vient du latin
« populus », se définit comme un ensemble d’êtres vivants sur le même territoire ou ayant
53
en commun une culture, des mœurs et un système de gouvernement. L’existence d’un
peuple exige une constitution. Cette dernière est l’ensemble des lois fondamentales qui
déterminent la forme de gouvernement d’un Etat. Ce gouvernement est dirigé par un prince.
Ce prince doit être le fondateur de la constitution du peuple. Cette fondation marque déjà
un premier rapport entre le prince et le peuple. Par cette réflexion, les lois permettent au
prince de gouverner parallèlement avec le peuple. Dans cette gouvernance, il y a une
relation symétrique entre le prince et le peuple :
On doit mettre en parallèle avec ses princes, un peuple gouverné comme eux par des lois ; c’est alors qu’observera dans ce peuple la même vertu que dans ces princes, et on ne le verra ni servir avec bassesse, ni régenter avec insolence81.
Le peuple est l'ensemble des citoyens qui ne distingue ni la richesse, ni le
pouvoir. Il est le plus sûr soutien du prince. Mettons au point de départ que l'expérience
prouve que : jamais les peuples n'ont accru leur richesse et leur puissance sauf sous un
gouvernement libre. A cet égard, le prince doit renforcer sa relation avec le peuple. Cette
relation se base sur la loi morale. Dans cette loi, le prince doit faire semblant de respecter
les institutions vénérables de la religion dominante du pays. Cette apparence morale peut
renforcer le pouvoir du prince. En cas de trouble, le prince doit se référer à la loi du pays.
Cette loi n’est rien d’autre que la loi faite par le prince. Malgré tout, Charles WERNER
nous met en garde que les lois de l’Etat ne doivent pas être n’importe quoi. Car elles
doivent être inspirées de la contemplation philosophique. Selon sa propre expression :
« Les lois de l’Etat doivent être tirées de l’immuable perfection qu’est l’objet de la
contemplation philosophique. »82
Machiavel étudie l’attitude que doit avoir le prince vis-à-vis du peuple. Il part du
fait que celui-ci est de toute façon mauvais et corrompu pour montrer que tout prince,
même bon à l’origine, doit se comporter comme le peuple pour être sûr de maintenir son
pouvoir. Machiavel légitime les actions, non toujours morales du prince, par le fait que
celui-ci doit s’aligner sur la perfidie du peuple. Il cite trois défauts que le prince doit savoir
user pour se conserver : l’avarice, la cruauté et la perfidie. Le prince avare laisse au peuple
la possession de ses biens et même s’il est méprisé, il n’est pas haï par son peuple. Trop de 81 Nicolas Machiavel, Discours sur la première Décade de Tite-Live, p. 502 82 Charles WERNER, La philosophie grecque, p. 109
54
clémence encourage le désordre et la rébellion. Un prince ne sera plus humain s’il a recours
à la cruauté exemplaire qui le fait craindre et respecter du peuple et qui calmera les
rébellions. Il en est de même pour l’armée qui doit subir une stricte discipline. Pareillement
à la tromperie, elle doit être efficace pour berner le peuple. La politique du prince a pour
unique fonction d’éviter le mépris et la haine du peuple. La politique donc, est un mal
nécessaire qui exige le respect de certaines règles et l’approbation, sinon ouverte, du moins
tacite de la majorité de la population ; c’est ce qu’on appelle le « consensus ».
Pour Machiavel, le prince doit être prudent, avoir de la sagesse et calculer les
intérêts du peuple pour être apprécié par la communauté internationale. En revanche, il doit
faire en sorte que la justice défende et protège les intérêts du peuple. Car le prince veut
l’obéissance du peuple. Il est en quelque sorte le premier responsable de la vie du peuple.
Régner c’est assurer les lourdes responsabilités du peuple. Car, l’amour du peuple enrichit
le pouvoir du prince. Machiavel en déduit que :
On peut blâmer le caractère d’un peuple que celui d’un prince, parce que tous sont également sujets à s’égarer quand ils ne sont retenus par rien83.
Toutefois, le meilleur jugement du prince est d’avoir le soutien du peuple. Il doit
être doué pour prévoir le bien et le mal. En effet, un acte juste dans l’entreprise du prince
est considéré comme un acte utile. Ce dernier est un fait qui peut satisfaire le besoin du
prince. Par exemple, le fait de tuer quelqu’un est utile si le prince veut garder la
souveraineté. Pour maintenir l’ordre du pays, le prince doit utiliser la force comme moyen
utile. Il doit être amoral pour conserver le pouvoir. Pourtant, le prince et le peuple doivent
vivre dans un territoire bien déterminé. Dans cette situation, le prince peut contrôler le
peuple, en cas de mutinerie ou de révolte par la violence contre le prince. Dans cette
révolte, le prince doit mener en personne ses négociations avec le peuple. Cet acte politique
permet au peuple d’accorder une grande valeur au prince. Certes, certains actes du prince
sont mal compris par le peuple. Mais, le prince, pour préserver le bien public, doit être
toujours tendre à l’égard des ennemis. Raison pour laquelle, la cruauté du prince s’exerce
83 Nicolas Machiavel, op. cit., p. 503
55
contre ceux qu’il juge comme ennemis de son intérêt particulier. D’où l’affirmation de
l’auteur :
Les cruautés du peuple ne s’exercent que contre ceux qu’il soupçonne d’en vouloir au bien public ; celles d’un prince, contre ceux qu’il redoute comme ennemis de son intérêt particulier84.
Ici, le prince doit examiner ce que désire son peuple, qui est toujours la liberté ;
c’est-à-dire, il veut se sentir libre. Par là, le meilleur moyen est de se concilier avec le
peuple. Par cette amitié, le prince doit se délivrer de l’inquiétude du peuple. Car, l’amour du
peuple est une occasion favorable du prince. Dans cette occasion, le vœu le plus cher du
peuple est la liberté. Par cette liberté, le prince ne peut pas satisfaire le désir de tous les
citoyens. Car, le désir des citoyens est de commander le pays. Toutefois, le prince doit
prendre des mesures durables pour instaurer la sécurité et l’ordre. Cet ordre doit être
conforme aux lois. Par ailleurs, le prince doit s’abstenir de pilier les biens des autres.
Le pouvoir du prince et le pouvoir du peuple sont symétriques. Cette symétrie enrichit
le pouvoir du prince. Le peuple est donc son plus sûr allié. Les Grands veulent toujours
opprimer, être supérieurs et avoir le pouvoir. C'est pourquoi le prince doit toujours aussi
craindre la conspiration des Grands. Le peuple veut seulement n'être point opprimé. Certes,
son désir est tout à fait innocent. Le désir (ou la fin) du peuple est plus honnête que celui
des Grands. Mais, c’est d’une bonté toute passive ou négative qu’il s’agit. Cela dit,
Machiavel, en dévalorisant radicalement les prétentions des Grands à la vertu et en faisant
du peuple le support de la seule honnêteté que l’on puisse trouver dans la cité, est le premier
penseur démocratique. Il est vrai que si le peuple devient ennemi, le prince ne peut s'en
assurer, parce qu'il s'agit d'une trop grande multitude ; tandis qu'au contraire, la chose lui est
très aisée à l'égard des grands, qui sont toujours en petit nombre. Mais, au pis aller, tout ce
qu'il peut appréhender de la part du peuple, c'est d'en être abandonné, au lieu qu'il doit
craindre encore que les Grands n'agissent contre lui. L'opposition du peuple est passive,
celle des Grands est active. Machiavel ne semble pas envisager le cas d'une révolution
populaire spontanée, qui ne serait pas manipulée par les Grands. La force du peuple est
physique : c'est la supériorité du nombre. La force des Grands est intellectuelle : c'est la
84 Ibidem, pp. 505 - 506
56
supériorité de la ruse. Vis-à-vis du peuple, la seule tâche du prince sera, non de satisfaire ses
intérêts instables, mais de ne pas se faire haïr.
Selon Machiavel, trois forces s’opposent au sein de la société : le prince, les Grands
et le peuple. Les Grands veulent dominer et le peuple simplement ne pas l’être. Quant au
prince, il veut conserver son pouvoir avec une tâche difficile de neutraliser leurs ambitions,
tout en se défendant contre les puissances étrangères. En ce sens, il doit être en mesure de
voir la réalité telle qu’elle est et d’agir en conséquence. Il s’en tient au bien, s’il le peut,
mais sait entrer dans le mal, s’il le faut. Selon notre auteur, l’intérêt du prince est de
satisfaire le peuple afin de s’appuyer sur lui, car le peuple est un meilleur appui que les
grands, les nobles oisifs et corrompus. Ici, le prince ne doit jamais donner l’impression de
bafouer ce que le peuple tient pour « sacré ». Un peuple qui n’a jamais été libre ne pourra
pratiquement pas le devenir, un peuple qui a connu la liberté ne l’oubliera plus jamais. Le
peuple n’est jamais considéré comme un rassemblement de personnes mais uniquement
comme une entité représentative d’une faction de l’Etat au même titre que l’armée et les
Grands.
En grosso modo, un prince, s'il est sage, doit savoir se conduire de sorte que ses
sujets aient besoin de lui. Celui qui devient prince par la faveur du peuple doit travailler à
conserver son amitié, mais à celui qui le devient par la faveur des Grands, contre la volonté
du peuple, il doit chercher à se l'attacher, et cela est facile encore, puisqu'il lui suffi de le
prendre sous sa protection. Du reste, en comptant sur le peuple, le prince s'est fondé sur une
base très solide ; mais pas forcement car : « Qui se fonde sur le peuple, se fonde sur la boue.
»85 Bref, le prince doit donc, s'il est doué de quelque sagesse, imaginer et établir un système
de gouvernement86.
85 Microsoft corporation, Encyclopédie Encarta, « Le Prince de Machiavel », Version 2005 86 Cf. Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi, http://www.pages.infinit.net/sociojmt, "Les classiques des sciences sociales", @ 30 Mai 2004
57
II.2.3 : Le prince et la « virtù »
D’une manière générale, Machiavel aime le chemin vers un Etat durable. Le
fondement de cela est la qualité et la volonté de puissance d’un souverain. Un homme
politique doit parler peu et écouter beaucoup. Ce n’est pas par l’idée du bien ou du mal
qu’on peut gouverner un pays, mais par l’intelligence ou la « virtù ». C’est ainsi qu’un
homme au pouvoir doit être nécessairement un homme « virtueux ».
La « virtù » vient du mot « vir » qui signifie « virilité ». Par définition, la « virtù »
est une énergie, valeur farouche ou féroce d’un homme politique. Elle est un mot traduit
improprement par « vertu » qui désigne une valeur personnelle. Elle est un principe actif
inaugural de l’histoire. Elle détermine les qualités telles que : l’audace, le talent, l’habilité,
la fermenté, la prudence d’un homme politique. Ainsi Sami NAÏR déclare que :
La virtù est sans doute comprise ici comme force, mais aussi comme lucidité, intelligence de la situation, conscience de la supériorité qui rend possible l’inouï d’un champ de bataille : tranquillité dans le massacre87.
Cette « virtù » est un principe actif dynamique de la politique. Elle détermine le
comportement socio-politique d’un chef. Un prince doué de « virtù » est un prince agissant.
Donc, une société doit être constituée par la « virtù » sinon c’est l’anarchie qui règne dans
le pays. A ce propos, Sami NAÏR écrit : « Une société où le pouvoir n’est pas constitué, où
la « virtù » fait défaut, est une société livrée à l’anarchie et à la décadence. »88 La « virtù »
est une capacité de pouvoir maintenir n’importe quelle situation en main, soit au moment
du désordre ou de l’ordre. C’est ce qu’on appelle accommodation. Il est manifeste à un
prince d’avoir cette qualité, vu le changement naturel en l’homme. Ici, la « virtù » exprime
la capacité, la compétence qui dépasse toutes les formes d’entraves politiques ou difficultés
sociales. Chez Machiavel, tout bien est nécessairement accompagné du mal car, le mal
incarne certains biens. De même, la « virtù » est nécessaire à un prince qui veut gouverner
avec efficacité. C’est ainsi que Verdine Hélène déclare :
87 Sami NAÏR, Machiavel et Marx, p. 63. 88 Ibidem, p. 38.
58
Dans le Prince, le concept de virtù se dépouille de tout son caractère éthique traditionnel pour se réduire à la seule recherche de l’efficacité89.
En analysant ce concept de « virtù » dans son utilisation et dans sa fonction
significative à l’intérieur du système machiavélien, plus précisément dans la nécessité
politique, on constate que c’est une qualité très recherchée pour ceux qui gouvernent. Elle
est une disposition constante qui porte à faire le bien et à éviter le mal. Machiavel montre
qu’un bon dirigeant doit être un homme de « virtù ». Un chef est censé avoir cette qualité,
car étant un homme de « virtù », il pourra induire son peuple avec pleine assurance à des
comportements meilleurs. En d’autres termes, un prince doué de « virtù » peut forcer son
peuple d’aller vers l’avant ou de l’induire à des comportements meilleurs. Il peut tenir son
peuple de façon unie. En ce sens, le gouvernement qui aura la chance d’avoir un homme de
« virtù » peut mener à bien son pouvoir. Il peut le maintenir assez longtemps. La virtù
conserve mieux le pouvoir, car en réalité, elle fonde la positivité du pouvoir. A cet égard, la
« virtù » est la faculté d’organisation, de fonder et de conserver le pouvoir, en tant que
totalité sociale où les intérêts particuliers sont harmonisés. Elle est à l’origine de la
grandeur du peuple dans le champ politique que dans les domaines culturels. Elle est un
principe constitutif du peuple, parce qu’elle assure la cohérence, la réalité, la fondation et la
durabilité d’un pouvoir. De ce fait, un homme de « virtù » a de la chance d’être à la tête
d’un pays. Il est un homme qui dispose des capacités audacieuses pour dominer le pouvoir
politique qui est la manifestation de la « virtù ». Cette dernière assure l’instauration du
pouvoir et sa conservation. Claude Rousseau affirme cela de cette façon :
Si la fortune concourt à donner le pouvoir, elle ne permet de le conserver ; un prince qui veut durer doit compter avant tout sur la « virtù »90.
La « virtù » fonde mieux le pouvoir que la force brutale et immédiate des armes.
L’échec de Jérôme Savonarole, le moine dominicain, vient justement du manque de la
« virtù ». Il était incapable d’utiliser les ressorts de la religion pour prendre et conserver le
pouvoir. Machiavel conçoit la figure historique de cet homme comme un prophète désarmé.
Car il n’était pas capable de battre la fortune par la violence. Il a pratiqué des reformes
profondes des mœurs. Cette politique lui a conduit à pratiquer des autodafés. Par 89 Verdine Hélène, Le Prince de Machiavel (profil d’un œuvre), p.28. 90 Ibidem
59
conséquent, Savonarole a brûlé publiquement les œuvres des écrivains humanistes estimés
licencieux. Malgré, il est condamné par le Pape Alexandre VI, et progressivement
abandonné par les grandes familles de l’oligarchie florentine. Savonarole fut arrêté, torturé
et exécuté sur la place de la seigneurie en 1498. Par cet exemple frappant, Savonarole
n’avait pas le talent de pouvoir maintenir la situation en main. Il n’était pas doué d’une
certaine « virtù ». Il n’était au pouvoir que par la chance. Il a perdu le pouvoir aussitôt que
le peuple commence à ne plus croire en lui. Par ailleurs, selon Machiavel, Moïse est un
prophète armé et devenu prince par valeur mais non par fortune. Il est parmi les princes les
plus excellents. Il a été un simple exécuteur des choses qui lui avaient été commandés par
Dieu. En effet, la « virtù » est un principe d’équilibre social ou politique. Elle est la faculté
qui incarne l’audace d’un prince. Sami NAÏR ajoute :
La « virtù » a donc une triple fonction. Elle organise la grandeur d’un peuple et de ses institutions, aussi bien dans le champ politique que dans le domaine de mœurs ; elle est le principe actif, dynamique, dans la totalité close et à jamais analogue du monde ; elle surgit ici comme une lumière soudaine et irrésistible, et disparaît comme une étoile dans la nuit : elle est alternative et mouvante91.
De ce fait, la « virtù » est également postulée comme savoir-faire, qualité quasi
technique, mais elle est toujours dominée par l’élément de la conscience. Elle est sans doute
comprise ici comme lucidité, intelligence de dominer une situation. Elle est le choix des
moyens d’actions adaptés par le prince dans les circonstances. Elle est une qualité
spécifique à l’homme politique digne de son nom. Elle devient une force matérielle. Elle
est aussi sous une forme d’aventure pour avoir de succès comme disait Sami NAÏR :
La « virtù » est donc ce qui permet au projet de se réaliser dans les institutions, de devenir une force matérielle. Et l’aventure, de passer d’homme privé à un prince trouve là sans doute son assurance et ses chances de succès92.
La « virtù » donne une forme de puissance incontestable de l’homme politique.
Alors, elle permet au nouveau prince de résister à la fortune, qui est un désordre ou une
violence. Pour éviter cette dernière, le prince doit être un homme de « virtù ». De ce point
de vue, la « virtù » est un ensemble de qualités et d’atouts majeurs du prince pour bien
91 Sami NAÏR, Machiavel et Marx, p. 59 92 Ibidem, p. 61
60
maîtriser la chose politique. En ce sens, aux yeux de Noëlla BARAQUIN, la « virtù » ne
doit pas être que la vertu du sage :
La « virtù » doit être entendu non comme la vertu morale du sage, mais comme un ensemble des qualités, audace et ruse, sagacité, énergie dans la conception et rapidité dans l’exécution, qui constituent en quelques sorte le génie politique, c’est-à-dire l’art de choisir les moyens en fonction des circonstances et de maîtriser ainsi la fortune93.
La « virtù » d’un prince ne tient plus de l’astuce que des valeurs morales, mais il
n’est pas une conception morale. Elle est une puissante virtuosité qui incarne la prudence
des grands hommes politiques. C’est dans cette incarnation que ces derniers deviennent
capables d’exploiter la fortune à leur profit. La fortune désigne les circonstances complexes
et changeantes. Machiavel élabore l’attitude que le prince devra adopter : homme de vertu,
de mérite, courageux à l’idée de conduire ses propres armées et savoir analyser les
circonstances pour connaître la fortune. La maîtrise de soi est une des caractéristiques de la
force de caractère du prince que Machiavel appelle « virtù ». Autrement dit, cette dernière
englobe dans sa signification, une partie de ce qu’on appelle ambition, courage, force,
violence, volonté, talent ou alors savoir - faire : qualité sine qua non. Le prince doit
posséder ces notions pour prendre et conserver son pouvoir. A titre de rappel, le mot
« virtù » est différent de la vertu qui est une disposition à faire le bien et à fuir le mal. Or la
« virtù » incarne quelque chose du mal. Pour être clair, prenons le cas de la vertu chez
Platon. Ce dernier parle d’un Etat idéal, que chaque citoyen ait en lui les quatre vertus
cardinales à savoir : la sagesse, le courage, la tempérance et la justice. D’où les trois classes
distinctes de la cité idéale : En tête, les philosophes-rois qui correspondent à la vertu de la
sagesse ; ensuite, les gardiens président de la vertu du courage, enfin les producteurs, les
artisans ou les agriculteurs doivent avoir la vertu de la tempérance. La vertu est une
disposition acquise dans la vie sociale, dans la mesure où elle définit la conduite d’un
homme sociable.
Selon Aristote, la vertu apparaît sous un double aspect, à savoir l’intelligence et la
morale. La première provient de l’instruction dont elle a besoin pour se manifester et se
développer, sans oublier l’exigence de la pratique et du temps. La vertu morale provient des
93 Noëlla BARAQUIN, in Dictionnaire des philosophes, p. 61
61
bonnes habitudes, plus précisément des mœurs. Pour Aristote, la vertu d’un Etat est le but
ou la fin envisagée par l’Etat. Dans cette situation, un prince doit utiliser ses
comportements pour réaliser son but. En politique, il se trouve toujours obliger d’agir à
l’encontre de la loi morale car la « virtù » est un moyen nécessaire pour exercer les actions
politiques.
Pour Machiavel, la politique se caractérise par le mouvement, par le conflit et des
ruptures violentes. Afin de prendre, conserver puis stabiliser son pouvoir dans un Etat, le
prince doit faire preuve de « virtù », pour s'adapter au mieux aux aléas de la fortune. La
virtù du prince n'est donc pas morale mais politique : c'est l'aptitude à conserver le pouvoir
et à affronter les contingences de l'histoire, en sachant doser la crainte et l'amour qu'il peut
inspirer de façon à maintenir l'ordre et l'unité de sa cité. L'originalité de la pensée de
Machiavel est, cependant, de ne pas conseiller pour autant au prince de mépriser toute
forme de moralité, pour s'assurer du soutien et d'appui de la population. Le prince devra
respecter publiquement, au moins en apparence, les règles de morale admises par son
peuple. Dans le pouvoir, le prince doit assurer toute la responsabilité de son action par la
« virtù ». Il doit être généreux et homme de pays. Il doit adapter son comportement aux
circonstances. Il doit reconnaître les exigences de la fortune et s'y adapter pour mieux la
dompter. S’il doit se maîtriser, c'est finalement pour mieux maîtriser la fortune94.
94 Cf. Maryvonne Longeart, http//www.ac-grenoble.fr/philo/Sophie/articles, 13 Mars 2007 (18h17)
62
TROISIEME PARTIE :
LES APPORTS CONCEPTUELS DE MACHIAVEL
63
Machiavel inaugure l’analyse politique moderne en ne considérant que le but de
toute action politique, insistant sur le fait que la fin justifie les moyens. Son seul objectif est
l’efficacité, faisant passer au second plan toutes considérations de doctrine, de morale ou de
principe. C’est pourquoi on a pu glorifier Machiavel pour sa perspicacité et l’honnêteté
parfois brutale de son analyse, ou le rejeter pour son inhumanité et son dédain pour le
peuple. Toutefois, qu’on l’aime ou qu’on le méprise, Machiavel est un auteur
incontournable et le Prince fut le livre de chevet de bien des chefs d’Etat moderne.
CHAPITRE 1 : LA MODERNITE MACHIAVELIENNE
L’étude du chapitre XXV du Prince, intitulé « comment dans les choses humaines
la fortune a du pouvoir, et comment on peut y résister », montre que Machiavel propose
une attitude résolument moderne. Ce chapitre expose les attitudes possibles face à la
fortune. Conscient que sa thèse est à l’encontre de l’opinion courante, Machiavel
commence par exposer cette dernière, en avouant avoir déjà été tenté par elle, que tout
serait contrôlé par la fortune et par Dieu ; l’homme n’ayant qu’à se soumettre aux caprices
du destin. Machiavel tente de corriger cette vision fataliste des choses, que la volonté
humaine serait capable de maîtriser la moitié des évènements. Il ne faut pas se laisser
écraser par la force des choses. Nous devons, par la puissance de notre raison et la volonté
de notre action, canaliser les forces qui tentent de nous asservir pour les amener à nous
servir. En utilisant sa raison pour agir contre la nature, l’homme adopte une attitude active,
c’est la prise en main de son destin par la science. Machiavel imagine qu'il peut être vrai
que la fortune dispose de la moitié de nos actions, mais qu'elle en laisse à peu près l'autre
moitié en notre pouvoir. Il faut choisir non seulement d’agir de telle ou telle façon, mais de
choisir aussi les raisons de ce choix par le libre arbitre qui est une capacité de
s’autodéterminer. En politique, il faut vouloir ou prévoir, et ce qui est en notre pouvoir,
c’est la force de notre volonté ou de la « virtù ».
Notre étude tentera de montrer comment le machiavélisme a fourni le cadre
interprétatif du capitalisme moderne et du mode de gestion qui lui est associé. Nous avons
déjà vu que la politique est un combat, et la guerre est le vrai métier du prince. Les deux
façons de se battre sont : ou avec les lois, ou avec la force. On oppose généralement le
64
droit et la force. Voir en particulier la célèbre critique du « droit du plus fort » au chapitre
III Du Contrat social de Rousseau. Pour Machiavel, au contraire, les lois et la force sont
comparables en tant que ce ne sont que deux manières différentes de s'imposer. C'est
reconnaître qu'il y a une force des lois sans laquelle celles-ci ne seraient que des vains
mots. La première est propre à l'homme, la seconde est celle des bêtes. En associant les lois
à l'homme et la force à la bête, Machiavel oppose implicitement l'état civil et l'état de
nature. Cependant, loin d'être disjoints, ces deux états coexistent en politique. La politique
est donc toujours un peu inhumaine. Mais comme souvent, celle-là ne suffit point, on est
obligé de recourir à l'autre. Il faut donc qu'un prince sache agir conformément à ce que les
circonstances (la fortune) exigent. Ensuite, d’autres facteurs entrent en jeu, dont
principalement le hasard et le talent du prince.
L'avenir d'un Etat dépend de trois facteurs : la nécessité, la « virtù » et la fortune. La
nécessité est l'ordre du monde. La fortune est le hasard ou la chance due à la complexité des
événements qui les rend imprévisibles. C'est le caractère incontrôlable des circonstances
mais, en partie, l'effet de la nécessité. La virtù est la force de celui qui est capable d'imposer
sa loi envers et contre les circonstances ; c'est-à-dire envers et contre la fortune. C'est donc
l'exercice de la liberté qui infléchit le cours des événements.
III.1.1 : Le rapport de la fortune avec la « virtù »
Tout d’abord, la fortune est un mot qui signifie obstacle ou résistance. Elle est
l’ensemble des éléments dont l’homme n’est pas le maître. Elle est une porteuse d’occasion
d’agir. La fortune est une force non humaine, la chance, bonne ou mauvaise, qui intervient
dans les affaires humaines. Elle n’est pas une richesse mais une chance, c’est-à-dire le
hasard des circonstances. Ici, ce n'est pas la chance des jeux de hasard, mais le bonheur, au
sens premier du terme, de voir le cours nécessaire des circonstances s'accorder avec nos
projets et nos aspirations. La fortune est une puissance qui incarne du bonheur ou du
malheur aux humains. Elle peut incarner la chance d’un homme valeureux. C'est en ce sens
que l'on dit « faire contre mauvaise fortune, bon cœurs ». Machiavel résume ainsi sa
conception du devenir historique :
65
Le temps chasse également toute chose devant lui, et il apporte à sa suite le bien comme le mal, le mal comme le bien. Il appartient au prince de savoir profiter de la bonne fortune et résister à la mauvaise95.
La fortune est considérée comme une ennemie à abattre. Il faut agir sans attendre
ses bons coups. Il faut penser à tout et ne rien laisser au hasard. Machiavel nous offre une
image puissante de la fortune qui montre que l’on peut la dompter. Il en est de même de la
fortune qui montre surtout son pouvoir, là où aucune résistance n'a été préparée, et porte ses
fureurs, là où elle sait qu'il n'y a point d'obstacle disposé pour l'arrêter. Sur ce cas, Fichte
proclame que :
La bonne fortune particulière qui surgit de différents événements, c'est chaque individu qui se l'approprie et l'attache à sa suite, en s'engageant dans une grande entreprise avec un plan profond et ample96.
D’une manière générale, la fortune est en harmonie avec la « virtù » qui est le culte
de s’adapter aux circonstances. En ce sens, elle est une opportunité et une occasion dont
l’homme doit profiter. Cette occasion ne se présente pas à tout moment. La fortune n’est
pas fiable car elle est un principe aveugle. En outre, la « virtù », traduit abusivement par
vertu, principale qualité du prince, renvoie à une disposition humaine de réaction ou de non
réaction, face à l'évènement. S'exerçant dans et à travers la fortune, la virtù est au cœur de
l'art du prince. L’ensemble des qualités requises, que Machiavel nomme « virtù », est
l’audace, le courage, la détermination et la prudence. Par contre, la fortune est une réalité
incontournable dont le prince doit se fier mais la « virtù » est une connaissance rationnelle.
Machiavel conçoit la fortune à l’image de la femme. Elle est l’amie des jeunes gens, parce
que les jeunes sont moins circonspects. Un prince qui s’appuie sur la fortune tombe quand
elle change. Il faut que le prince bouscule la fortune. A ce propos, Machiavel nous
explique : « La fortune est femme, et elle est nécessaire, si on veut la soumettre, de la battre
et de la bousculer. »97
D’ores et déjà, la nature est plus forte que nous, elle nous dépasse. Il ne reste plus
qu’à développer une attitude d’acceptation et de modération. Il est clair qu’avec une telle
95 Maryvonne Longeart, http//www.ac-grenoble.fr/philo/Sophie/articles, 13 Mars 2007 (18h17) 96 Ibidem 97 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 115
66
perspective sur le monde, l’homme ne puisse absolument rien faire contre la puissance
écrasante de la fortune et sa seule liberté est d’accepter l’ordre du monde. C’est pourquoi,
comme le soutient Aristote dans L’Éthique à Nicomaque, le but de la vie humaine, son
ultime bonheur, est la contemplation théorétique du réel. Nous le voyons bien, cette attitude
est passive. La société qui l’a fait sienne, l’occident médiéval, par exemple, n’évolue que
très lentement. Pour Machiavel, la politique se caractérise par le mouvement, par le conflit
et les ruptures violentes.
Dans un univers dominé par le hasard que Machiavel nomme « fortune », il
convient de repenser les normes du comportement politique valeureux, afin de fournir un
modèle de comportement aux nouveaux responsables politiques. Il faut donc prendre garde
à la portée morale des arguments machiavéliens. Pour le mérite, il s’agit de savoir utiliser
l’occasion accordée par la fortune. Citant l’exemple de Moïse, Machiavel montre que le
mérite s’obtient après avoir surmonté de grands obstacles, uniquement par leur propre
vertu, qui leur permit de se faire vénérer du peuple et de légitimer leur qualité de prince.
Relativement à deux manières de devenir prince, c'est-à-dire par l’habileté ou par la
fortune, Machiavel veux alléguer deux exemples qui vivent encore dans la mémoire des
hommes de nos jours : ce sont ceux de Francesco Sforza et de César Borgia. Le premier
devient prince par une grande valeur et par le seul emploi des moyens convenables. Au
contraire, le deuxième, vulgairement appelé le duc de Valentinois, devenu prince par la
fortune de son père et perdit sa principauté, aussitôt que cette même fortune ne le soutint
plus. La politique devient alors l’art de calculer des moments, en sachant qu’ils sont
instables, précaires, rapidement changeants, parce qu’ils ne renvoient à rien d’autre qu’au
caprice de la fortune et à les utiliser par les différents moyens évoqués. Machiavel propose
deux comparaisons de la fortune : il s’agit d’abord d’un fleuve impétueux qu’il convient de
maîtriser et d’utiliser sa force pour soi et ensuite d’une femme qu’il faut battre et maltraiter.
Ainsi dit-il :
Je la compare à un fleuve impétueux qui, lorsqu’il se fâche, inonde les campagnes, abat les arbres et les édifices, emporte le terrain de différents endroits pour le déposer en d’autres ; alors chacun s’enfuit et cède à sa violence, sans pouvoir y mettre obstacle98.
98 Nicolas Machiavel, Le Prince, p.114
67
La fortune représente les circonstances, le hasard capable de ruiner ou d’élever un
prince. Un prince arrivé au pouvoir par la fortune doit donc la maîtriser et trouver d’autres
appuis pour conserver son pouvoir que le simple fait des circonstances. Ce qui, de simple
particulier, devient prince par la seule faveur de la fortune, le devient avec peu de peine ;
mais il en a beaucoup à se maintenir. Aucune difficulté ne l’arrête dans leur chemin.
L'existence de tels princes dépend entièrement de deux choses très incertaines, très
variables : de la volonté et de la fortune de ceux qui les ont créés. Machiavel insiste
seulement pour que le prince reconnaisse la mobilité de toutes choses par la nécessité de
rester en éveil, pour s’adapter aux circonstances. En donnant des conseils aux princes, il
veut éviter qu’à la précarité de leur pouvoir, viennent s’ajouter des comportements
incohérents avec l’espace politique. La fortune est une nécessité extérieure à laquelle il faut
généralement répondre dans l'urgence. Cela illustre la part d'imprévisible avec laquelle les
acteurs politiques doivent composer. Aussi l'action politique ne saurait se ramener
uniquement à l'imposition d'une volonté, même la plus déterminée. Les intentions ne
suffisent pas pour la réussite de l'action politique. Il faut avoir quelque chose de plus que la
volonté. La fortune dicte sa loi à ceux qui abdiquent devant elle et ne lui opposent rien.
La virtù est l'autre versant de la pensée de l'action politique de Machiavel. Elle doit
avant tout être comprise comme la capacité d'imposer sa volonté à la fortune. Aussi, la virtù
des acteurs politiques ne renvoie pas directement à leur caractère vertueux, mais plutôt à
leur vaillance, à la qualité avec laquelle il aborde la fortune et essaye de la maîtriser. C'est
la souplesse plus que la rigidité que Machiavel entend défendre. Ainsi, Machiavel
recommande une conduite pragmatique de l'action politique, une conduite qui sache adapter
l'action politique à la contingence des circonstances. L’analogie du fleuve déchaîné et des
digues explique que la fortune montre surtout son pouvoir là où aucune résistance n’était
préparée. La fortune sans virtù est à l’image de la nature non maîtrisée99. La « virtù » peut
conserver un pouvoir acquis par la fortune. Voilà pourquoi Claude Rousseau affirme que :
Néanmoins, si la fortune concourt à donner le pouvoir, elle ne permet pas de le conserver ; un prince qui doit durer doit compter avant tout sur la « virtù100.
99 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, p. 12 100 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 28
68
De plus, dans le chapitre VI du Prince, Machiavel montre bien que la virtù est la
capacité d’imposer sa loi à la fortune. Elle est donc l’occasion de faire preuve de ses talents
politiques que sans elle, l’occasion eût pu disparaître. La fortune vole au secours de celui
qui sait ne pas s’illusionner et être habile. Là où la virtù est à son maximum, la fortune n’a
qu’un rôle d’appoint. Affrontée, grâce à la lucidité, la fortune apparaît comme l’aiguillon de
la nécessité d’agir et d’analyser les rapports de force en présence. La virtù est donc effort
de lucidité en des circonstances particulières, effort intellectuel à l’oeuvre dans le concret
de l’histoire. Le concept de « nécessité » indique donc la place des circonstances
incontournables, mais jamais totalement claires, sauf pour une pensée politique avisée.
Selon Helmuth Plessner, contemporain de Heidegger, la politique se définit, de manière très
machiavélienne, comme « l'art de l'instant favorable, de l'occasion propice », ce que les
Grecs appelaient le « kairos ». C’est pourquoi Machiavel associait la fortune à la virtù
nécessaire à l'homme politique101.
Il est vrai que l’homme aime la chance dans toutes ses activités, mais il doit aussi
être courageux et intelligent pour profiter de la fortune. La « virtù » est un guide de la
fortune, car un prince vertueux peut maîtriser la fortune. La « virtù » du prince n'est pas sa
moralité mais sa force de caractère, sa vaillance grâce à laquelle il maîtrise la fortune,
bonne ou mauvaise. Lorsque que tout semble aller en notre faveur, ce ne serait pas tant en
fonction de notre bonne façon de procéder, mais plutôt parce que les circonstances se
prêtent bien à notre manière d’agir. Mais enfin, Machiavel refuse le fatalisme et affirme que
la fortune est favorable à ceux qui sont audacieux et violents. Il affirme encore que le
prince est heureux ou malheureux, selon que sa conduite se trouve ou ne se trouve pas
conforme au temps où il règne.
Tous les hommes visent le même but : la gloire et les richesses ; mais dans tout ce
qui a pour objet de parvenir à ce but, ils n'agissent pas tous de la même manière. Les uns
procèdent avec circonspection, les autres avec impétuosité ; ceux-ci emploient la violence,
ceux-là usent d'artifice. Il en est qui sont patients, il en est aussi qui ne le sont pas du tout.
Ces diverses façons d'agir, quoique très différentes, peuvent également réussir. On voit
d'ailleurs que de deux hommes qui suivent la même marche, l'un arrive et l'autre n'arrive
101 Cf. Wikimedia Foundation, Encyclopédie libre, http://fr.wikipedia.org/wiki/Marketing, 30 avril 2008 (9h 11)
69
pas ; tandis qu'au contraire deux autres qui marchent très différemment, et, par exemple,
l'un avec circonspection et l'autre avec impétuosité, parviennent néanmoins pareillement à
leur terme. C'est ce qui fait que deux actions différentes produisent un même effet, et que
deux actions pareilles ont des résultats opposés. C'est pour cela encore que ce qui est bien
ne l'est pas toujours. Nous pouvions changer de caractère selon le temps et les
circonstances, la fortune ne changerait jamais. Machiavel s’aperçoit que les princes qui
s’appuient moins sur la fortune sont d’ordinaire les plus heureux. Pourtant, ils ne doivent
pas compter beaucoup plus sur la fortune, car elle est source de malheur. Elle est comme
l’opportunité et une occasion dont l’homme doit profiter. Cette occasion se manifeste à tout
moment dans le pays. Elle est à l’origine de la moitié de nos actions dont les princes se
laissent gouverner par les armes. Le pouvoir fondé uniquement par la fortune ne dure
jamais et le dirigeant risque d’être assassiné comme Savonarole. Ce dernier, moine
dominicain, a été brûlé par Alexandre VI, étant donné qu’il n’a pas eu la maîtrise de la
fortune et sans « virtù ». Le dirigeant doit fonder sa politique avec les forces sociales ou la
« virtù ». Car la fortune est une donnée que l’homme fort doit exploiter pour être heureux
dans son pouvoir. Tous ceux qui acquièrent un Etat par la fortune doivent utiliser la
« virtù » pour le convaincre. Car un prince doit être un homme de volonté et de courage.
Par le courage, un prince peut s’assurer de ses ennemis et vaincre son peuple. Le courage
politique consiste à savoir parfois s’excepter des règles morales habituelles, sans pour
autant se dégager complètement d’une idée d’excellence qui se confond avec l’idéal
patriotique. La fortune est un chaos qui survient au moment où le prince est lâche. Un
prince doit être un héros, qui est un demi-dieu. Il se rend célèbre par son courage et son
succès dans les affaires politiques. Par là, un prince qui ne veut pas être lâche doit savoir
affronter la fortune, qui est porteuse du bonheur à un homme valeureux.
Le rôle de la virtù est donc de prévoir les catastrophes et de les prévenir. Il est facile
de donner à un homme un pouvoir mais difficile de le conserver sans certains « virtù ». La
fortune désigne les circonstances changeantes et complexes et qui permet au pouvoir de ne
pas durer. En effet, il est sûr que la fortune existe dans les sociétés mais une société « douée
de la fortune » est une société « vouée à l’échec ». Il est certain que dans cette société c’est
le pillage, les désordres et les guerres qui dominent même si elle une négation indéterminée
de toute forme de pouvoir. Le vrai prince est donc celui qui ne baisse pas les bras dans un
70
contexte écrasant et par conséquent qui sait prévoir. Il doit savoir trouver la répartie juste
devant les circonstances toujours changeantes de son action, et donc, surmonter les pièges
tendus par la fortune. Machiavel exige un emploi judicieux et vigoureux, à la fois de la
vertu et du vice, en fonction de ce qu’exigent les circonstances. C’est l’alternance
judicieuse de la vertu et du vice qui est « virtù ». C’est ainsi qu’un des enjeux
philosophiquement importants du prince est la définition de la valeur ou de la virtù, en
italien. Il faut donc prendre garde à la portée morale des arguments machiavéliens sous la
double condition du réalisme (voir les choses telles qu’elles sont) et du pragmatisme (agir
efficacement). Il existe, en effet, une excellence toute politique, qu’on pourrait nommer
l’idéal moral de la politique.
III.1.2 : La vérité effective et la nécessité de la psychologie
Beaucoup d’hommes se sont imaginés des Républiques et des principautés qu’on
n’a jamais vues ni jamais connues existant dans la réalité. Mais une telle distance sépare la
façon dont on vit de celle dont on devrait vivre, que celui qui met de côté ce qu’on fait pour
ce qu’on devrait faire apprend plutôt à se perdre qu’à se préserver.
L’anthropologie philosophique se trouve aussi bouleversée par Machiavel.
L’homme n’est plus cet être presque divin, épris de justice, dont la plus noble activité est de
cultiver son âme, rationnelle (chez les Grecs) ou aimante (chez les chrétiens), en vue de la
communion fusionnelle avec l’autre et la contemplation du principe premier de toute chose,
Dieu ou le logos. Machiavel rejette cette conception : l’homme est une totalité organique
unique, une bête dont l’élan fondamental est l’égoïsme, en vue de la conservation de soi.
L’autre n’est plus qu’un instrument de survie qu’il faut exploiter au maximum selon ses
intérêts personnels. La maxime de Machiavel est simple qu’il faut arracher du réel, autant
humain que naturel, tous les éléments utiles à la conservation de soi. Il est maintenant clair
que le changement paradigmatique entre Anciens et Modernes se trouve chez Machiavel. Il
n’est plus question, chez lui, d’une contemplation théorétique du réel qui ne donne rien
d’utile.
Machiavel accorde très peu de place à la volonté divine dans sa réflexion sur le
pouvoir. C'est la volonté du prince qui fait la différence. D'où l'importance pour le prince de
71
disposer de règles d'action fondées sur « la vérité de la chose ». Il distingue aussi la fortune
de la volonté divine. Cette première n'est donc pas pour lui la prédestination. Elle n'est pas
non plus à proprement parler le hasard puisque les choses arrivent de façon ordonnée,
conformément à la nature des choses. C'est d'ailleurs pour cela que Machiavel peut
prétendre dégager des règles du gouvernement pour les princes. Si on ne peut pas prévoir la
fortune, c'est que d'une part, la réalité politique est complexe, et que d'autre part, elle peut
être infléchie par la volonté des agents. La fortune a du pouvoir, mais on peut y résister.
Au début de son ouvrage, Le Prince, Machiavel se présente comme un homme issu
du peuple. Provenant des « lieux bas », il soutien que son éloignement lui permet de bien
contempler les hauteurs, soit le comportement des princes et la manière de régler leur
gouvernement. Il base son argumentation et ses explications sur une observation rigoureuse
de la réalité et déclare : « Il m’a paru plus pertinent de me conformer à la vérité effective de
la chose qu’aux imaginations qu’on s’en fait. »102
Par un raisonnement empirique basé sur son propre expérience, son grand savoir et
sa connaissance de la psychologie humaine, Machiavel exprime des jugements de fait à
partir desquels il élabore une pratique politique tendant à l’efficacité. Il semble nous dire
que l’attitude fondamentalement passive des Anciens à l’égard de la nature et des
évènements vient d’une confusion entre l’être tel qu’il est et l’être tel qu’il devrait être,
entre l’imaginaire et le réel immédiat. C’est le concept de vérité effective : la vérité est dans
les faits et non pas dans l’imagination. Il faut réfléchir sur ce qui est et non pas sur ce qui
doit être. Se débarrasser de l’imaginaire illusoire comme croire que l’ordre du monde est
voulu par Dieu, permet alors de prendre les moyens nécessaires pour mater la fortune. Le
concept de vérité effective provoque un renversement dans la conception de la justice, car
ce n’est plus ce qui est moralement juste qui est considéré comme utile, mais c’est plutôt ce
qui est utile qui sera considéré comme juste. La vertu est dès lors plus associée à la force
qu’à la moralité. La détermination de l’être est le concept de force, d’énergie et
d’effectivité. Nous ne sommes plus, comme avec Aristote, en présence d’un Télos de l’être
en puissance vers l’être en acte. Désormais, tout être est une puissance en acte et ce qui
existe est la chose effective. Mentionnons également que cette conception de la nature
102 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 131
72
résolument moderne a servi de contexte interprétatif à la science moderne, en particulier la
physique, qui considère aujourd’hui que tout est énergie et que la réalité est structurée dans
un rapport de force.
Etymologiquement, la psychologie vient du mot grec « psyché » qui veut dire âme
et de « logos » qui signifie science. Elle est une étude scientifique des faits psychiques. Elle
est une connaissance empirique des sentiments ou de la conduite de l’autrui. La
psychologie apparaît comme étant l’ensemble des manières de penser, de sentir, d’agir qui
caractérise une personne ou un groupe. Cette notion est créée au XVIème siècle par le
réformateur Allemand MELANCHTHON (1497-1560). Selon lui, la psychologie se définie
comme étude de la morale et de l’intelligence de l’homme103. Elle est un discours et un
savoir autonome de l’homme. Dans ce cas, la psychologie a pour objectif d’étudier
l’homme dans ses comportements, ses conduites et ses états de consciences. Elle cherche à
formuler les lois de ces phénomènes. Elle n’est pas seulement une connaissance mais elle
est aussi une action. Action veut dire manifestation concrète de la volonté dans un domaine
déterminé. La psychologie est une discipline théorique qui vise à rendre intelligible la
pensée humaine par des procédés complexes, de plus en plus objectifs et expérimentaux.
Avec Machiavel, la politique devient une psychologie expérimentale ce qui signifie une
étude scientifique des faits psychiques.
La psychologie a pour caractère essentiel de faire ressortir la solidarité et la diversité
des états et des actes mentaux. Elle cherche une relation de cause à effet dans le temps et
dans l’espace. En effet, c’est à partir de la connaissance empirique ou intuitive des
sentiments, des idées, des comportements d’autrui que Machiavel a bien réfléchi sur la
psychologie de l’homme. Il a recours à la psychologie, non seulement pour avoir une bonne
maîtrise des comportements de l’homme, mais aussi pour bien asseoir sa pensée politique.
La non maîtrise de ce comportement fait obstacle à la bonne gouvernance dans nos Etats
actuels, pense Machiavel. Quant à la nécessité de la psychologie dans la pratique politique,
la psychologie sociale apparaît comme étude de la mentalité d’un peuple afin de pouvoir
connaître sa manière d’agir et de réagir. Cette étude nous permet de comprendre la passion
103 Melanchthon, in Encyclopédie de la psychologie générale, p. 401
73
de l’homme. Cette dernière est un mouvement violent de l’âme, résultant d’un désir intense
d’un penchant irrésistible. En d’autres termes, c’est un désir que l’homme éprouve pour une
chose, et qui cherche à conduire à la révélation de la nature ou à une impossible sagesse.
Les comportements humains sont des éléments indispensables en politique. Car,
reconnaître les ressorts de la psychologie humaine, c’est s’assurer du pouvoir politique.
Dans cette réflexion sur la psychologie sociale, le prince doit être une personne qui
a du talent, capacité de gouverner un pays. Il doit cultiver des sentiments de crainte envers
ses sujets, mais ces sentiments ne doivent pas s’accompagner de la haine. Il doit, si
nécessaire, faire en sorte que les gouvernés obéissent à ses ordres. En politique, le prince
doit être capable de deviner les mentalités du peuple et de chercher dans l’immédiat une
solution efficace. Dans cette étude de la psychologie, le prince peut faire régner l’ordre et
faire du bien à son peuple. De plus, il doit être en mesure de maîtriser la nature humaine.
Cette nature est la base de la méchanceté de l’homme. Cependant, nous considérons le
prince comme garant et guide de l’Etat. En fin de compte, la politique devient une sorte
d’expérience.
Pour Machiavel, si les hommes étaient raisonnables, il est possible à un prince de
gouverner par des lois, l’expression de la raison. Mais le prince est dans l’obligation d’user
d’autres moyens tels que la violence. Bref, Machiavel est cependant plus nuancé dans le
Discours sur la Première Décade de Tite-Live, où il juge comme une vérité incontestable
que les hommes ne peuvent que seconder la fortune. Il refuse cependant toujours de baisser
les bras. L’espoir que nous puissions soumettre la fortune à notre volonté est, toujours là, à
condition de recourir à la ruse et à la violence.
III.1.3 : L’éthique de la violence et de la ruse
Chez Machiavel, la force a son importance dans les affaires politiques, mais elle
est insuffisante pour atteindre le résultat final. De ce fait, le prince doit se servir de la ruse
qui est plus efficace que la force. D’ailleurs, cette dernière ne doit pas être appliquée dans
les affaires politiques qu’une seule fois. La réussite politique nécessite que l’on utilise la
violence et la ruse, de manière combinée. Il est impossible de prendre et de conserver le
74
pouvoir si l’on n’est pas à la fois « renard et lion ». A cet égard, il est impossible de
disculper entièrement Machiavel du « machiavélisme ». Mais il ne s’agit pour lui, ni de
préconiser systématiquement la répression sanglante, ni de prescrire la fourberie de manière
absolue. Le prince habile sait doser l’une et l’autre dans une juste mesure, en fonction de ce
que la situation commande. L’impératif étant pour lui de demeurer au pouvoir et par là de
conserver son Etat, si possible dans la paix. Machiavel entend donc mettre en place les
conditions d’une économie de la force et de la ruse. Le prince doit utiliser la violence pour
mieux asseoir son pouvoir. D’ailleurs, l’emploi systématique de la violence permet au
nouveau chef d’Etat d’être efficace. L’efficacité politique est l’objet central de la politique
machiavélienne. Par les armes, il peut être respecté par son peuple. Il doit exercer le
pouvoir dans son autorité en tant qu’administrateur de l’ordre public. Par conséquent, un
prince inefficace sera déchu parmi ses amis. Car il doit être un homme décisif dans sa
politique. Dans cette perspective, Machiavel invite le prince à être un homme sage, en
tenant compte seulement de son intérêt.
La politique machiavélienne apparaît comme une arme habille, non violente, dans
la mesure où elle économise la violence et épargne la vie de ses sujets. En rapport avec
cette idée, Machiavel nous met en garde qu’un prince sage doit gouverner avec prudence. Il
doit être également prudent envers ceux qui l’environnent : « Tout roi sage et qui veut
gouverner avec prudence ne doit vouloir auprès de lui que des hommes de cette espèce. »104
La violence du prince doit être tempérée par l’humanité. Immergé dans une
pluralité de forces écrasantes, les mortels humains tentent de sauver leur peau. La tension
est si grande qu’ils sont prêts à tout : ils situent la sauvegarde de leur biens matériels avant
la survie de leurs pères. La méchanceté humaine conduit à la violence. Puisqu’il faut agir
en conséquence avec le milieu où l’on se trouve, la méchanceté des hommes fait en sorte
que, pour survivre, tous doivent être durs et prêts à lutter. Et dans tous les cas où une force
violente doit être utilisée, Machiavel recommande d’agir vigoureusement et rapidement. Il
importe surtout d’être toujours méfiant. En effet, il faut se méfier des autres puisque les
hommes sont tous égoïstes, tous veulent que les hommes soient à leur service. Le problème,
c’est que tout le monde veut être le premier et soumettre les autres. Or, cela est impossible,
bien que la lutte pour le pouvoir ne connaisse pas de répit. C’est ici qu’intervient la qualité 104 Cf. Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite Live, p. 738
75
du renard, la ruse : il faut à tout prix être en mesure de détecter le mal que les autres nous
veulent. Les autres nous font du mal afin de survivre ; comme nous voulons survivre aussi,
nous leur ferons à notre tour du mal. Le bien des uns est le mal des autres. La société
n’aime personne. Il nous faudra donc dresser des pièges et endormir les autres par les
apparences et le mensonge. Pour survivre parmi les hommes, il est donc nécessaire d’être
immoral, cruel, menteur et hypocrite afin d’avoir l’apparence du contraire de ce que l’on
vient d’énumérer. La cruauté doit cependant être utilisée de façon rationnelle afin qu’elle ne
nous soit pas finalement nuisible. Ici, la violence est la compétence de prendre une situation
en main. Elle est la clef de l’ordre. Elle permet au prince d’instaurer l’ordre et la longévité
du pouvoir. Elle est le génie du grand politicien qui est capable d’exploiter ce que notre
auteur appelle fortune.
Les hommes sont en effet tellement attachés aux nécessités présentes qu’ils oublient
le mal qu’on leur inflige. Il faut toujours se souvenir qu’il ne faut être cruel que dans une
période courte et qu’ensuite, il faut dispenser des bienfaits fort parcimonieusement et sur
une longue période, dans le but d’endormir les gens. La recommandation de Machiavel sur
la nécessité d’une cruauté intense mais brève est très claire au chapitre III du Prince :
Là-dessus, on doit noter que les hommes doivent être ou bien cajolés ou bien anéantis ; parce qu’ils se vengent des torts légers, alors qu’ils ne peuvent pas se venger des graves ; si bien que le tort qu’on fait à l’homme doit être fait de façon à n’en pas craindre la vengeance105.
La réalité n’est composée que d’entités de puissance en perpétuelle compétition les
unes contre les autres pour la survie et qu’il est possible de dominer les circonstances par
l’usage de la raison, de l’audace et de la violence. Le monde n’est plus que le décor d’une
lutte acharnée et sans répit où tous s’entredévorent. Il y a vraiment chez Machiavel, une
séparation entre l’éthique et la politique. Le bien n’est qu’une illusion destinée à tromper
les naïfs, ce qui existe vraiment est l’utile, le pouvoir. Mais, Machiavel n’efface pas la
distinction entre le bien et le mal, il la préserve au contraire et il doit la préserver, s’il veut
établir la proposition scandaleuse et capitale : le bien est fondé par le mal. Ici est le point
capital : affirmer la nécessité et la fécondité du mal, c’est affirmer l’autosuffisance de
l’ordre terrestre, de l’ordre profane. On s'attire la haine en faisant le bien comme en faisant
105 Nicolas Machiavel, Le Prince, pp. 16-17.
76
le mal. Et notre auteur amplifie aussi qu’il faut estimer comme un bien le moindre mal. Il
faut donc qu'un prince qui veut se maintenir apprenne à ne pas être toujours bon, et en user
bien ou mal, selon la nécessité. Ce concept de « nécessité » est très important pour
Machiavel. La politique n'est pas une entreprise aléatoire. Les circonstances ne peuvent pas
être entièrement contrôlées par les agents historiques, mais compte tenu des circonstances,
il y a des actions qui s'imposent rationnellement. Dans ce cas, jamais les hommes ne font le
bien que par nécessité car : « Tout le mal de ce monde vient de ce qu'on n'est pas assez bon
ou pas assez pervers. »106
Machiavel légitime donc le crime, par une règle proposée à l’usurpateur, lorsqu’il
est indispensable pour s’emparer du pouvoir et suspendu pour la conservation. C’est de
faire d’un seul coup toutes les cruautés qu’il est obligé de faire. Ici, celui qui usurpe un Etat
doit déterminer et exécuter tout d'un coup toutes les cruautés qu'il doit commettre, pour
qu'il n'ait pas à y revenir tous les jours, et qu'il puisse, en évitant de les renouveler, rassurer
les esprits et les gagner par des bienfaits. Celui qui, par timidité ou par de mauvais conseils,
se conduit autrement, se trouve dans l'obligation d'avoir toujours le glaive en main, et il ne
peut jamais compter sur ses sujets, tenus sans cesse dans l'inquiétude par des injures
continuelles et récentes. Les cruautés doivent être commises toutes à la fois, pour que, leur
amertume se faisant moins sentir, elles irritent moins ; les bienfaits, au contraire, doivent se
succéder lentement, pour qu'ils soient savourés davantage. La violence n’a ici qu’un
caractère pour ainsi dire tactique, elle entre dans les calculs comme une menace que comme
une réalité. Pourtant, la violence entraîne la terreur ; c’est-à-dire une violence systématique.
L’usage de cette violence systématique est légitime puisqu’elle est la pratique primordiale
pour accéder et conserver le pouvoir.
CHAPITRE 2 : LE ROLE PRINCIPAL DU PRINCE
L’œuvre de Machiavel ne fait que fournir des conseils purement techniques, éclairés
par les grands exemples historiques. Ils sont terribles parce qu’ils sont aussi immoraux
qu’imparables. Un prince usurpateur doit éteindre toute lignée de son prédécesseur, faute de
106 Maryvonne Longeart, http/www.ac-grenoble.fr/philo/sophie/articles.php, 13 Mars 2007 (18h17)
77
quoi il risquera de voir des descendants se lever contre lui. Si pour prendre le pouvoir, on
doit commettre des crimes, il faut les accomplir d’un seul coup afin que le peuple soit
impressionné et rassuré de l’avenir. Machiavel a formé le prince à devenir tyran, et le
peuple à détruire le tyran. Nous allons aborder maintenant un point fort qu’est l’usage de la
loi et l’élaboration d’un meilleur régime politique.
III.2.1 : L’usage de la loi et l’élaboration d’un meilleur régime politique
A l’état de nature, les hommes étaient dispersés comme des animaux. Mais après les
cataclysmes naturels, ils se sont réunis pour lutter contre ceux-ci. De leur union, se fonde la
société. Dans cette société, l’homme commence à connaître ce qui est bon et mauvais. Pour
cela, rien ne serait à l’abri de cette réunion après avoir élu un chef sans l’élaboration des
lois. Sur ce, Machiavel affirme :
On voit un homme nuire à son bienfaiteur. Deux sentiments s’élèvent à l’instant dans tous les cœurs ; la haine pour l’ingrat, l’amour pour l’homme bienfaisant. On blâme le premier, et on honora d’autant plus ceux qui, au contraire, se montrèrent reconnaissants que chacun d’eux sentit qu’il pourrait éprouver pareille injur e. Pour prévenir de tels maux, les hommes se déterminèrent à faire des lois et à donner des punitions pour qui y contreviendrait107.
La loi est l’ensemble des prescriptions juridiques établies par l’autorité souveraine.
Elle est faite et applicable à tous les citoyens. Elle définit les droits et les devoirs de chacun.
Ces prescriptions juridiques sont imposées à tous les individus d’une société. Elles assurent
la permanence et la continuité de l’Etat. Elles sont une prescription obligatoire du pouvoir
législatif. Elles garantissent la fraternité d’une société. Selon Montesquieu, la loi est
essentiellement le principe de base qui sert pour gouverner le monde. Elle sert également de
règles de conduites aux nations policées. La loi est la raison humaine en tant qu’elle
gouverne la nature des choses. Ainsi dit-il :
La loi, en général, est la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre ; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que le cas particulier où s’applique cette raison humaine108.
107 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite Live, p. 39 108 Montesquieu, Analyse de l’esprit des lois, p. 15
78
Les lois obligent chaque individu à suivre le commandement du prince afin de
permettre aux hommes d’être bien disciplinés, car elles servent à organiser le pouvoir
public. La loi est faite pour harmoniser la vie en société et pour sécuriser le dirigeant et le
dirigé. Elle sert à punir les méchants étant donné qu’elle est une règle obligatoire dans la
vie sociale. Elle peut renforcer la solidarité de l’ensemble des individus même si elle est
une discipline à suivre dans un pays. Cette discipline est une règle de conduite que le prince
impose au peuple pour le tenir sous son commandement. Elle sert à sanctionner les
adversaires et les malfaiteurs qui troubles la paix et la liberté du pays. Le prince doit
appliquer durement la loi pour assurer la stabilité du pays. Voilà pourquoi Machiavel
déclare :
Il faut donc n’attaquer personne ou appliquer d’un seul coup les rigueurs, puis rassurer ensuite les esprits partout ce qui peut ramener le calme et la stabilité109.
L’homme ne fait pas de bien que forcément ou par nécessité. Tant qu’il aura
l’occasion de commettre le mal, il le fera avec plaisir, sans gêne. Seules les lois obligent les
hommes à être honnêtes. Par le pacte d’association, les hommes se délivrent de la barbarie
naturelle et la société se constitue comme corps politique échappant à la violence. Ainsi
s’annonce un Etat de droit qui va mettre fin à la guerre de tous contre tous. L’élaboration
d’un contrat permettra à chaque citoyen de connaître ce qu’il a de droit et ce qu’il doit faire
de droit : d’où l’établissement des lois. Sans cela, le pays risque de tomber dans le désordre.
Si le pays se trouve dans l’insécurité, le pouvoir ne sera pas stable. Par la loi, le prince est
en mesure de garder sa souveraineté en temps de guerre comme en temps de paix. Il doit
prendre son temps à étudier les lois car, c’est dans et par la loi qu’il peut arracher des
victoires. Selon Machiavel, quiconque s’empare d’une ville ou d’un Etat qui est habitué à
vivre sous sa propre loi, il y a trois façons de le conserver. La première façon est de le
ruiner, la seconde est d’aller y habiter personnellement et la troisième est de la laisser vivre
avec ses lois.
Par là, la loi est la première tâche du prince pour constituer son gouvernement.
Cette loi est la première mission du gouvernement pour assurer le pouvoir du prince. En
rapport à cette analyse, POPKIN stipule qu’un dirigeant capable doit savoir instituer des 109 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite Live, p. 479
79
lois efficaces pour une telle ou telle fin. Car, les dirigeants incapables conduiront le
peuple au bord du gouffre en instituant des mauvaises lois :
Le dirigeant capable saura quelles sont les lois efficaces pour une telle ou une telle fin, […]. D’ailleurs, veut-on que les incapables gouvernent ? Ils feraient mauvaises lois et entraîneraient de grands malheurs ?110
Pour gouverner, le prince peut modifier les lois quand elles ne sont pas conformes à
son projet. Le nouveau prince est contraint de faire la réforme des lois de ses prédécesseurs.
Car, ces lois étaient à leur ambition. En tant que nouveau prince, la réforme est nécessaire
et même la révision de la constitution pour bien garder son pouvoir. Cette reforme des lois
peut renforcer le pouvoir du prince. En cela, le prince doit veiller à la sauvegarde de ces
lois. Par conséquent, le non respect de ces lois peut entraîner la mort. Raison pour laquelle,
chez notre théoricien, parfois, il est favorable de tuer si on cherche le bien du peuple. La loi
est efficace dans la mesure où elle privilégie l’égalité des hommes. Elle évite les guerres et
satisfaire le peuple. Pourtant, une fois qu’un chef d’Etat a découvert que la constitution
n’est plus fonctionnelle, il doit la changer. C’est dans ce sens que le Sage Solon disait : «
une constitution est pour un peuple et pour une époque ». Car le non-respect des normes et
des institutions conduit le chef d’Etat et son pouvoir dans la décadence. Le prince doit
fonder et structurer ses lois comme a fait le président de Madagascar, Marc
RAVALOMANANA en changeant la constitution après avoir été réélu le 03 Décembre
2006. Ce changement de la constitution n’a point d’autres critères que de renforcer son
pouvoir de président. Le changement pourrait se faire brusquement ou progressivement.
C’est en ce sens qu’on dit que les lois doivent être appliquées sur tous les hommes car une
République n’est jamais parfaite si les lois sont réservées pour quelques-uns seulement.
Elles contribuent beaucoup à la stabilité des gouvernements ; là où elles font défaut on ne
peut atteindre aucun bien. Dans cette perspective, Montesquieu amplifie cette notion par
son affirmation : « Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi. Mais elle doit être loi
parce qu'elle est juste. »111 Les lois sont fructueuses d’une part à une autre mais, elle est la
clef de n’importe quel pouvoir du monde. Même la dictature qui est souvent jugée et
considérée comme porteuse du mal, produit toujours les plus grands biens tant qu’elle fut
régie par les lois :
110 POPKIN, Philosophie efficace, p. 107 111 Montesquieu, Analyse de l’esprit des lois, p. 15
80
Car ce qui nuit à une République, ce sont les magistrats qui créent eux-mêmes, les autorités qui s’acquièrent par des voies illégitimes, et non celles qui sont obtenues par des voies ordinaires et légales112.
La dictature conférée par les lois prend l’image d’une dictature. Car, qui dite
dictature veut entendre un pouvoir qui ne se conforme à rien. Autrement dit, qui ne tient
pas compte de l’opinion publique et ne respecte pas les lois. Or, quand elle se conforme aux
lois, elle prend une autre image que celle d’une dictature. Ainsi, se dessine à travers toutes
ces explications, l’unité de l’usage des lois. Sur ce point, pour qu’un dirigeant puisse
devenir un dictateur, il doit avoir une grande fortune et disposer de nombreux adhérents à
son parti. Toutefois, il est à noter que la dictature n’a pas de place là où les lois priment. Il
est clair que dans les pays où l’on respecte les lois, les sujets ne songent pas à renverser le
prince ; c’est en ce sens qu’on dit que les lois chassent les malheurs et permettent au
souverain et à ses sujets de vivre en sécurité.
En politique, les lois peuvent conserver ce que la force a acquis. Ajoutons qu’une
fois que l’Etat est faible, il ne peut y avoir que des mauvaises lois. Dans le cas contraire, il
y aura des bonnes lois. Sur ce, on peut dire que la nécessité des lois s’enracine dans la
force. En réalité, c’est la force qui assure le salut public, tout de même, il faut reconnaître
que Machiavel est loin de sous-estimer la loi, seulement, il insiste sur la primauté de la
nécessité. Sous cet angle, les idées ou alors les pensées d’un dirigeant ne sont jamais celles
de son être en tant que tel, mais celles de la présence représentée. Le prince doit appliquer
la loi pour conserver le pouvoir, car la loi est ce qui fonde la vie de l’homme. Dans cette
technique, le prince doit veiller sur les lois institutionnelles. Les lois sont des conditions
nécessaires et suffisantes pour gouverner un Etat. Du moment où le bien règne
naturellement, là on peut se passer de la loi. Mais dans le cas contraire, on doit toujours
recourir à la loi pour remettre l’ordre. Le prince peut utiliser la loi pour sanctionner les
criminels puisque Machiavel affirme que :
Parmi les lois qu’il fit établir pour assurer la liberté des citoyens, il y avait une qui permettait d’en appeler au peuple de tous les jugements rendus pour crimes d’Etat113.
112 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite Live, p. 103 113 Nicolas Machiavel, le Prince, p. 162
81
Psychologiquement, les lois sont inséparables des armes. Elles forment une unité,
fondées par certains intellectuels du pays. Par cette vision, ces lois sont en faveur du
dirigeant. Ce raisonnement nous pousse à dire que Machiavel est un théoricien d’un Etat
fort. Dans cette politique, il est préférable de se référer dans les débats et les luttes
politiques. La forme du gouvernement que Machiavel sollicite n’est ni la République, ni la
monarchie. Il sollicite le régime qui dure. Sur ce, sa prise de position est, à cet égard
remarquable. Machiavel s’inspire de la constitution de Lycurgue114. Ainsi écrit-il :
Parmi les hommes justement célèbres pour avoir établi une pareille constitution, celui qui mérite le plus d’éloge, sans doute, est Lycurgue115.
On voit au clair, la valeur des lois ou de l’élaboration d’un meilleur régime politique
dans sa conservation. La loi et la force sont à l’origine du fondement de tous les Etats. Il est
important d’avoir de bonnes lois là où la force fait défaut. Dans ce cas, la loi doit être
accompagnée de la force. Toutefois, il est à noter qu’en l’absence de la force, les lois n’ont
pas des valeurs. C’est ainsi que les lois demandent l’aide de la force afin qu’elles soient
nécessaires ; autrement dit, là où la force est vie, la loi est la vigueur. La force apparaît
comme un moyen nécessaire pour protéger la loi. Cette dernière peut être une puissance
conservatrice ; d’où l’affirmation de Machiavel :
Il ne suffit donc pas, pour le bonheur d’une République, ou d’une monarchie, d’avoir un prince qui gouverne sagement pendant sa vie, mais il faut un qui donne les lois capables de la maintenir après sa mort116.
En fait, le prince doit connaître que les opposants ou les syndicats peuvent
déstabiliser son régime politique. Il doit être vigilant vis-à-vis de son peuple. Il doit
toujours se référer à la loi pour lui servir de protection. Un prince qui conserve sa loi peut
garder facilement son pouvoir. Machiavel est très explicite sur ce point, car il conçoit la loi
comme quelque chose de sacré :
114 Législateur Spartiate du IXème Siècle av. J.C, qui avait entrepris une réforme complète de l’Etat à Sparte
qui dura longtemps. 115 Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, pp. 386-387 116 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 177
82
Les princes se pénètrent donc de cette vérité ; ils commencent à perdre le trône à l’instant même où ils violent les lois […] car les peuples, quand ils sont bien gouvernés ne cherchent ni ne désirent aucune autre liberté117.
Machiavel compose plusieurs stratégies, qui sont ordonnées selon les occasions qui
se présentent. Elles consistent en la domination, l’écrasement ou l’annihilation des
adversaires et les actions que le prince rend tolérables en se faisant passer pour un sauveur.
La gouverne idéale qui en résulte est un soigneux équilibre des forces sociales, maintenu
par des lois convenant aux particularités du royaume. Par ailleurs, un équilibre garanti par
le potentiel militaire du prince doit aussi être trouvé avec les puissances étrangères ; il fera
renoncer tout assaillant éventuel à entrer en confrontation. Une armée forte permet d’établir
cette dissuasion et de mettre en place un réseau d’alliances, car un bon accord ne peut être
trouvé qu’entre deux parties armées. Voilà pourquoi le prince doit appliquer la loi jusqu’au
bout, plus qu’elle renforce la puissance du prince. Il est vrai que l’élaboration d’un meilleur
régime politique se fait par la nécessité des pratiques des lois. Ainsi nous allons examiner
un autre point - clé.
III.2.2 : Le couteau à double tranchant
Le prince doit savoir tenir le couteau à la main droite et la cravache à la main
gauche. La cravache signifie gouverner durement. Par contre, le couteau signifie que le
prince ne doit pas avoir pitié à personne. Il doit être sanguinaire. Dans cette logique, le
prince doit être trompeur afin de réussir dans la politique. Ceci pour dire que l’art de
gouverner n’est pas une morale ou une tâche facile. Selon Noëlla BARAQUIN, la politique
ne doit pas être soumise à la religion. Malgré tout, elle doit mettre les croyances du peuple
à son profit pour parvenir à le dominer.
Comme on a déjà montré un peu plus haut que l’être du prince n’existe que pour le
dehors et que les gouvernés jugent sur les apparences, le prince nouveau choisira une image
qui prendra en considération l’ambivalence et la versatilité de ses sujets. Cette image
donnera le changement en étant ni bonne, ni mauvaise. C’est pour cette raison qu’il n’y a
117 Sami Naïr, Machiavel et Marx, pp. 616 - 617
83
pas, en définitive, deux manières de gouverner (les lois ou la force), mais trois puisque le
prince va privilégier la ruse. C’est elle qui lui permet de dominer les réalités imprévisibles
de la conjoncture. La ruse comparée aux lois et à la force, n’est pas sur le même plan. Les
lois existent concrètement dans les Institutions, de même que la force prend une forme
réelle dans l’armée ou la police. La ruse, quant à elle, n’existe pas. Son mode d’être est de
prendre appui sur les deux autres mais de n’apparaître jamais. Lorsque la ruse se glisse
dans la loi, elle est tromperie politique ou idéologique ; quand elle s’infiltre dans la force,
elle est stratégie. Dans un univers humain où règne la duplicité, le rôle du prince est de
dominer l’ambivalence par la ruse, d’élever la duplicité à son degré le plus élevé pour rester
le maître d’œuvre.
Bref, le pouvoir s'impose de trois façons : par la loi, par la force matérielle et par la
ruse. L'art de gouverner, c'est l'art de recourir à l'une ou à l'autre de ces armes ou à leur
combinaison pour « en imposer », c'est-à-dire gagner l'assentiment de ses sujets. Alain
reprendra cette idée que tout pouvoir repose en fin de compte sur l'opinion : « Tout
pouvoir persuade...»118
A ce propos, on peut citer une infinité d'exemples modernes, et alléguer un très
grand nombre de traités de paix, d'accords de toute espèce, devenus vains et inutiles par
l'infidélité des princes qui les avaient conclus. On peut faire voir que ceux qui ont su le
mieux agir en renard sont ceux qui ont le plus prospéré. Mais pour cela, ce qui est
absolument nécessaire, c'est de savoir bien déguiser cette nature de renard, et de posséder
parfaitement l'art de simuler et de dissimuler. Ce qui signifie, cultiver l'apparence au
mépris de la réalité. Les hommes sont si aveuglés, si entraînés par le besoin du moment,
qu'un trompeur trouve toujours quelqu'un qui se laisse tromper.
III.2.3 : Le rôle de la crainte et de l’amour dans le maintien du pouvoir
La crainte est un sentiment d’un être qui craint, avoir de la peur ou de l’inquiétude.
L’homme qui est capable de faire peur aux autres, capable de gouverner. Pour Machiavel,
le prince doit se faire craindre car la crainte permet à lui d’assurer la liberté des citoyens et
118 Maryvonne Longeart, http//www.ac-grenoble.fr/philo/Sophie/articles, 13 Mars 2007 (18h17)
84
de bien régner. En outre, l’amour est un goût vif pour quelque chose ou une activité ou une
passion vers un autre. Il est un sentiment d’affection que ressentent les uns pour les autres.
A cet égard, l’homme politique doit être à la fois craint et aimé: « Il est sûr d’être craint que
d’être aimé seulement. »119
D’après la nature humaine, Machiavel croit qu’il est plus sûr d’être craint que d’être
aimé étant donné que les hommes sont généralement ingrats, changeants, dissimulés,
timides et âpres au gain. Là-dessus naît une dispute, s’il est meilleur d’être aimé que craint,
ou l’inverse. Comme il est bien difficile de les marier ensemble, il est beaucoup plus sûr de
se faire craindre qu’aimer, s’il faut qu’il y ait seulement l’un des deux. Tant que tu fais du
bien aux hommes, ils sont tous à toi, ils t’offrent leur sang, leurs biens, leur vie et leurs
enfants. Mais quand ils approchent, ils se dérobent. Et le prince qui s’est fondé seulement
sur leurs paroles, se trouve dénué d’autres préparatifs, il est perdu.
Nous savons que les hommes hésitent moins à nuire à un homme qui se fait aimer
qu’à un autre qui se fait redouter. Car l’amour se maintient par un lien d’obligations, et
puisque les hommes sont méchants, là où l’occasion s’offrira de profit particulier, il est
rompu. Mais la crainte se maintient par une peur de châtiment qui ne quitte jamais.
Néanmoins, le prince se doit faire craindre en sorte que, s’il n’acquiert point l’amitié, pour
le moins, il fuie l’inimitié. Il peut très bien avoir tous les deux ensembles, d’être craint et
n’être point haï ; ce qui adviendra toujours s’il s’abstient de prendre les biens et les
richesses de ses citoyens et sujets, et leurs femmes. Le prince serait forcé de procéder
contre le sang de quelqu’un, il doit ne le faire point sans justification convenable ni cause
manifeste ; mais sur toutes choses s’abstenir du bien d’autrui, car les hommes oublient plus
tôt la mort de leur père que la perte de leur patrimoine. Et puis, les occasions ne manquent
jamais pour ôter les biens, et celui qui commence de vivre de pillage trouve toujours des
motifs pour occuper le bien des autres ; mais on en a moins pour le faire mourir, et qui
passent plus vite. Par conséquent, la crainte de perdre engendre les mêmes passions que
celle d'acquérir, car les hommes ne tiennent pour assurer ce qu'ils possèdent que s'ils y
ajoutent encore.
119 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 79
85
De même, pour assurer la bonne gouvernance, Machiavel fait recours à l’idée de la
crainte et de l’amour. Le prince qui se fait lâche ne cessera de périr. Vis-à-vis de cette idée,
Noëlla BARAQUIN propose que :
Le prince ne doit jamais croire aux sentiments de fidélité et d’amour désintéressé de ses sujets et la crainte qu’il doit inspirer est le meilleur garant de leur dépendance, donc la sécurité du pouvoir120.
Parmi les moyens pour accéder et se maintenir au pouvoir, la crainte qu'inspire le
prince, par le déploiement de sa puissance, est un des plus adéquats. Celui-ci devra donc
s'employer au premier chef à acquérir tous les moyens militaires, économiques et
juridiques qui garantiront sa force. Dans une lettre à Piero Vettori du 16 avril 1527,
Machiavel écrit ainsi :
Moi [...] j'aime plus ma patrie que mon âme; et je vous dis ça après l'expérience de ces soixante ans passés, pendant lesquels on a travaillé les questions les plus difficiles, où la paix est nécessaire mais où l'on ne peut pas abandonner la guerre, et avoir sous la main un prince qui, avec difficulté, peut accomplir seulement l'une ou l’autre121.
La pratique politique ne doit pas faire avec des bons sentiments mais, elle se fait
avec des actes efficaces. En ce sens, un prince qui veut la fin doit chercher ses moyens pour
atteindre son objectif. L’objectif du prince est son intérêt, voire même celui de son peuple.
En politique, un prince doit agir d’une manière réaliste et apprendre à être cruel à l’égard de
ses adversaires. Mais aux yeux du peuple, le prince doit apparaître bon et faire semblant de
s’attacher aux traditions et aux valeurs du pays. L’essentiel de cette politique est d’être
admiré et non haï par le peuple. Le prince doit donc savoir gérer les différents événements
qui se produisent dans le pays. Cependant, Machiavel recommande au nouveau prince
d’être craint et toujours méfiant de son peuple. Car les hommes font du mal afin de
survivre. Le prince doit savoir faire le mal, quand il s’agit de le faire. Car selon un adage
« le bonheur des uns est le malheur des autres ». Pour bien rester au pouvoir, le prince doit
être apte à établir l’ordre public. Sur ce cas, Denis HUISMAN dit : « Le prince ne doit pas
reculer ni devant la cruauté ni devant la fourberie pour faire régner l’ordre public. »122
120 Noëlla BARAQUIN, Dictionnaire des philosophes, p. 197 121 Wikimedia Foundation, « Encyclopédie libre », http//www.wikipedia.org, le 18 décembre 2007 (14h 22) 122 Denis HUISMAN, Histoire des philosophes, p. 116
86
Pour Machiavel, il y a l’opposition entre « être » et « devoir être », c'est-à-dire
entre le « fait » et le « droit ». Cette distinction est la base de toute morale : le devoir
n'est pas dicté par le fait mais par la norme. Cependant, notre auteur, au contraire,
préconise ici de fonder l'action du prince, non sur le droit mais sur les faits. Il faut donc
qu'un prince, qui veut se maintenir, apprenne à ne pas être toujours bon, et en user bien
ou mal, selon la nécessité. Il doit être prêt à agir selon la nécessité et se faire craindre de
telle sorte qu’il gagne l’amitié de son peuple. Sur cette idée, Machiavel affirme que :
Le prince doit se faire craindre de tel sorte qu’il ne peut gagner l’amitié, du moins il n’inspire aucune haine, car ce sont là deux choses qui peuvent très bien s’accorde123.
En revanche, Machiavel dit que les hommes prudents savent toujours se faire un
mérite des actes auxquels la nécessité les a contraints124. Dans ce cas, le prince doit occuper
toutes les postes importants du pays. Par ailleurs, la politique exige d’une part la bonté.
D’autre part, de la cruauté. La bonté symbolise l’amour d’un prince. Sur ce, l’amour et la
crainte sont deux mobiles qui font agir les hommes. C’est pourquoi Machiavel a dit :
Deux grands mobiles font agir les hommes, l’amour et la crainte ; en sorte que celui qui se fait aimer prend autant d’empire sur ceux qui se fait craindre. Disons bien que la crainte rend souvent leur soumission plus prompte et plus assurée125.
Un prince doit évidemment désirer la réputation de clémence, mais il doit prendre
garde à l’usage qu’il en fait, il vaut mieux qu’il soit craint qu’aimé. Cependant, il doit se
faire craindre de telle sorte que s’il n’est pas aimé, du moins il ne soit pas haï.
Effectivement, le prince doit peindre ce qu’il ne faut pas peindre et rend visible ce qu’il
répugne à la vue. Il doit savoir s’intégrer dans la vie sociale. Car, l’amour apparaît comme
satisfaction des besoins fondamentaux du peuple. Dans cette perspective, le prince doit agir
avec modération et prudence. Il doit se méfier de son peuple, car Machiavel affirme que :
Un prince nouveau doit être lent à se laisser persuader à cette nécessité, éviter toute affrontement, agir avec modération, prudence et humanité de peur que trop de confiance ne le rende imprudent et trop de méfiance intolérable126.
123 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 88 124 Maryvonne Longeart, http//www.ac-grenoble.fr/philo/Sophie/articles, 13 Mars 2007 (18h17) 125 Nicolas Machiavel, op. cit., pp. 70-71 126 Ibidem, p. 87
87
Bref, le prince doit être à la fois bon et méchant pour éviter la haine de son
peuple. Il doit être tendre et prêt à lutter contre les opposants. C’est dans et par la cruauté
que le prince peut se faire aimer de son peuple. Le prince doit en même temps caresser
son peuple.
Ce n'est pas l'auteur qui est machiavélique, c'est la société et le pouvoir politique
qu'il décrit. La célèbre phrase,« il est plus sûr d'être craint que d'être aimé », s'adresse
autant aux peuples qui, dans leur lâcheté, ne plient que sous la force qu'aux tyrans abusant
de leur pouvoir. En ce sens, un prince doit éviter d’instaurer trop de peur car, la peur
provoque la désorganisation et la déstabilisation du pays. Car une fois qu’un prince se fait
haï de ses sujets, il n’y aura aucune chance de conserver son pouvoir. Entre tous les princes,
c’est au prince nouveau qu’il est impossible d’éviter le nom de cruel, parce que les
nouveaux Etats sont pleins de périls. Toutefois il ne doit pas croire ni agir à la légère, ni se
donner peur soi-même, mais procéder d’une manière modérée, avec sagesse et humanité, de
peur que trop de confiance ne le fasse imprudent et trop de défiance ne le rende
insupportable. Enfin, il doit être craint dans certaines conditions et de se faire aimer envers
les hommes. De plus, Machiavel parle donc des différents traits de la conception politique.
CHAPITRE 3 : LES GRANDS TRAITS DE LA CONCEPTION POLITIQUE DE
MACHIAVEL
Il y a une tension dialectique entre la pensée des Anciens et la pensée de Machiavel.
Tout son effort philosophique est en effet un renversement de la conception ancienne du
monde, afin de tracer la voie de la modernité. La politique a pour fin le bien général, et
cette fin justifie les moyens qui vont être employés pour l’atteindre. Machiavel prône un
gouvernement pragmatique, détaché de la morale et de la religion, ayant parfois recours au
mensonge ou à la force dans le but d’apporter, à terme, le bien général. Cette attitude
diffère profondément de la pensée médiévale contemporaine à Machiavel, qui est une
vision pragmatique de la politique. Le machiavélisme est souvent présenté comme
moralement condamnable. Edward Meyer a recensé trois cent quatre vingt quinze
références à Machiavel dans la littérature élisabéthaine et pour tous ces auteurs que le
88
machiavélisme est l’incarnation du mal. Pour Spinoza, il est certain que cet homme si
sagace aimait la liberté et qu’il a formulé de très bons conseils pour la sauvegarder. Du
même coup, Antonio Gramshi, marxiste, fit l’apologie de Machiavel, comme faisait Hegel,
mais mettant en parallèle son œuvre et celle de Marx. Pour lui, le prince moderne est le
parti communiste127.
III.3.1 : La politique et l'histoire
Pour la postérité, Le Prince est un ouvrage dont son enjeu dépasse une simple
histoire de la philosophie ; œuvre à la fois admirée par Napoléon, Talleyrand ou De Gaulle,
critiquée par Descartes, Frédéric II de Prusse ou Diderot. Cet ouvrage est un manuel destiné
à affermir et maintenir le pouvoir. Comme l’homme est un produit de l’histoire, il ne peut
pas se passer de l’histoire. Raison pour laquelle, Machiavel invite au prince de savoir
d’abord l’histoire de son pays. C’est en partant de l’histoire qu’un prince peut se défendre
la cause de son peuple. Sur ce cas, prenons par exemple, la montée de l’histoire américaine
vis-à-vis de l’Irak, l’idée du machiavélisme guidé par GEORGE Walker Bush, en chassant
SADDAM Hussein, pour mettre la main dans le pétrole irakien.
Sans avoir jamais développé une philosophie de l'histoire, Machiavel se réfère
continuellement à l'histoire comme source d'enseignement. Il cherche à nouveau à tirer des
enseignements de ses connaissances en matière d'histoire. A travers l'exemple de Rome, il
retrace la vie et la mort d'une République en comprenant les raisons pour lesquelles le
régime n'a pas duré. L’homme d’action devra faire preuve d’adaptabilité. Il devra régler sa
conduite sur le temps, changer de méthode selon les circonstances, alterner coup d’audace
et temporisation. L’art de l’action s’éclaire par la connaissance de l’histoire, car les
hommes ne changent pas. Notre auteur conçoit la leçon d’histoire comme moyen de
gouverner ou de prendre le pouvoir.
127 Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi, http://www.pages.infinit.net/sociojmt, "Les classiques des sciences sociales", le 30 Mai 2004
89
Pour aller loin, il faut connaître l’histoire pour comprendre les événements. Car, en
étudiant le passé, on doit acquérir des connaissances qui nous permettent de comprendre
comment on prend le pouvoir, mais aussi comment on le garde, malgré l’imprévisibilité du
cours des choses. Il s’agit donc, pour Machiavel, de trouver les lois éternelles de la
domination des hommes. Ce mode d’approche de l’histoire est inédit (qui n’est pas publié,
ni imprimé), car il ne s’agit plus d’avoir une représentation mythique ou alors imaginaire
des événements historiques ni d’expliquer l’ordre des choses par l’action constante de la
sagesse de Dieu. Si Machiavel observe le champ naturellement flou des actions humaines
dans le passé, c’est donc pour saisir ce qui est et ce qui va arriver. Ainsi, il a encore des
thèses qui rendent possibles une connaissance de l’action humaine et plus spécialement de
l’action politique. Pour notre auteur, si la roue de l’histoire tourne, ce n’est pas parce
qu’elle suit un chemin tracé, mais parce qu’elle est en recherche constante d’équilibre entre
forces opposées. La tâche du prince est de rétablir une stabilité perdue, ou de profiter d’un
mouvement de bascule pour en instaurer une nouvelle. Ce juste milieu est trouvé lorsque
l’on procède en s’accordant à la réalité. Les actions des hommes créent l’histoire suivant
leur aptitude à reconnaître et profiter des situations propices.
III.3.2 : La politique et la religion
Le christianisme, pour la part de Machiavel, n’est guère différent, par rapport à sa
conception de la nature, de l’ensemble de la philosophie ancienne. Le monde est créé par
Dieu et rien ne se produit contre la volonté divine à laquelle, il faut se soumettre
docilement. La religion chrétienne valorise l’amour et la justice, bien que l’amour tende à
une union avec Dieu plutôt qu’à la formation d’une unité politique. La justice, quant à elle,
n’exclue pas l’individualité de la personne. On peut bien vouloir se révolter, on peut bien se
révolter contre ce grand pouvoir qui s’autorise du Christ, le pouvoir monarchique, mais
comment penser ce que l’on veut obscurément, comment concevoir ces droits de la nature
profane que l’on veut opposer à l’Eglise ?
La redécouverte de la pensée d’Aristote autour de l’an 1300 en Italie, va marquer
l’opposition au pouvoir politique de la papauté, d’abord avec Dante ou Marsile de Padoue,
puis avec Machiavel. La position de Machiavel, à l’égard de sa politique, marque la fin de
90
la conception antique de l’ordre et annonce la mise en cause des difficultés qui se situent
sur les principautés ecclésiastiques. Pour lui, la religion doit se réduire à n’être qu’un
procédé de conservation de pouvoir politique. Dans cette position, les choses humaines sont
soumises aux aléas de la fortune. Il considère le cas des principautés ecclésiastiques, c'est-
à-dire, des états religieux, et conclut que ces états ne diffèrent en rien des autres. Il n'y a pas
pour lui de pouvoir de « droit divin ». Il prône même la séparation du pouvoir temporel et
du pouvoir spirituel, ou bien la séparation de l'église et de l'Etat. Pour lui, la religion en
politique n'est qu'une des forces en présence dont il faut tenir compte et dont il faut savoir
se servir habilement comme moyen de domination.
Dissociant politique et religion, Machiavel est le premier penseur de l'Etat laïque.
Il ne voit pas dans la religion le fondement du pouvoir, mais tout au plus un instrument
du pouvoir. Il peut être utile de se servir de la religion pour gouverner, mais l'Etat n'a pas
à rendre des comptes à l'Eglise. Selon Machiavel, le pouvoir ne vient ni de Dieu (contre
les théories du Droit divin), ni d'une convention (contre les théories du contrat social)
mais de la force. Il faut, dit-il « s'en tenir à la vérité de la chose ». Machiavel est un
réaliste.
L’adoption d’une manière d’agir en accord avec les grands principes religieux
comme l’acceptation de la souffrance, mépris des choses de ce monde, pardon des
offenses… conduit certainement à l’échec politique. Pour conquérir et conserver une
principauté, il faut avoir et exercer la force, ce qui est le contraire de la douceur
évangélique. Machiavel n’est pas pour autant antireligieux ou désireux de détruire l’église.
Il pense même que la religion peut favoriser le bon fonctionnement de l’Etat, à condition
que le prince utilise la religion et non pas qu’il soit contrôlé par elle. Il marque une hostilité
à l’égard de l’Eglise romaine. Loin de favoriser l’unité italienne, l’Eglise, par son mauvais
exemple, y a détruit tout sentiment de piété et l’a doté de tous les vices, sans oublier, sa
responsabilité dans la division politique du pays.
Les princes sont soutenus par les anciennes institutions religieuses, dont la
puissance est si grande, et la nature est telle, qu’elle les maintient en pouvoir, de quelque
manière qu'ils gouvernent et qu'ils se conduisent. Mais, le prince qui fait accroître la
91
puissance de l’Eglise risque de perdre son Etat. Machiavel insiste là-dessus tout en accusant
les Français d’avoir laissé l’Eglise s’agrandir en disant :
Les Français n’y entendaient rien aux affaires d’Etat, parce que s’ils y avaient compris quelque chose, ils n’auraient pas laissé l’Eglise s’agrandir à ce point128.
C’est ce décri et ce déclin de l’idée de bien qui coïncide avec l’assomption de l’idée
du peuple. Par ailleurs, le médium de communication entre le philosophe et la cité, le bien,
disparaît. Le philosophe est totalement extérieur à la cité. Il la comprend mieux qu’elle ne
se comprend elle-même. Or, adopter ce point de vue, c’est poursuivre l’Eglise sur son
propre terrain. Machiavel occupe cette position pour, de là, attaquer ce qui fonde à la fois la
consistance autonome de l’Eglise et son droit d’intervention dans la cité : l’idée de bien.
Une fois que le corps politique aura été interprété comme une totalité close, advenue grâce
à la violence fondatrice et préservatrice, il sera établi que le « bien » apporté par l’Eglise
tend à détruire plutôt qu’à perfectionner la cité, que le bien n’a pas de support dans la
nature des choses humaines. Machiavel est plus un réformateur religieux qu’un philosophe.
Il veut changer les maximes qui gouvernent effectivement les hommes. En cela, il est le
premier grand penseur du libéralisme.
III.3.3 : La politique et la morale
Tout d’abord, entre les rapports de la politique et de la morale, les premières
questions qui se posent est de savoir : Machiavel rompt-il avec la tradition de la philosophie
politique antérieure ? La politique est-elle compatible à la morale ?
Machiavel s'oppose en tout cas à une tradition de philosophie politique héritée de
Platon, qui est idéaliste, philosophie politique qui a en vue un idéal, c'est-à-dire, une
exigence morale. Ainsi pour Platon, dans la République, le politicien doit être le
philosophe, qui connaît les Idées de bien, de justice, etc. La politique a d'ailleurs
explicitement pour tâche de rendre les hommes meilleurs, tâche normalement plutôt
religieuse... Plus tard, Jean Jacques Rousseau dans Du contrat social affirme que ceux qui
voudront traiter séparément la morale et la politique n'entendront jamais rien à aucune des
128 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 50
92
deux. C’est Machiavel qui va résoudre ce problème. Avec lui, l’expérience moderne trouve
son expression propre, hors du contexte antique, très différent. Aristote considère la cité
selon sa fin. La cité est le seul cadre dans lequel l’homme puisse accomplir sa nature
d’animal rationnel, en pratiquant les vertus, inséparablement civiques et morales, qui lui
permettent de manifester son excellence. Il sait bien que la vie politique a sa pathologie, ses
révolutions, ses changements de régime souvent accompagnés de violence, mais concentrer
exclusivement le regard des hommes sur ces phénomènes ce serait leur faire perdre de vue
leur fin propre et celle de la cité. Machiavel, au contraire, nous persuade d’attacher notre
attention exclusivement, ou presque exclusivement, sur ces phénomènes. Il veut nous faire
perdre notre « innocence ».
Contrairement à la plupart des traités traditionnellement destinés à l'édification
morale du chef d'Etat, supposés l'encourager à l'usage vertueux et juste du pouvoir,
Machiavel pose rapidement qu'il n'y a pas de pouvoir vertueux s'il n'y a pas de pouvoir
effectif. Aussi, la question fondamentale dont il s'agit de partir n'est pas « comment bien
user du pouvoir selon les vertus morales et chrétiennes ? » mais « comment obtenir et
conserver le pouvoir ? ». En ce sens, Nicolas Machiavel n’a pas à faire avec l’homme en
tant qu’être moral, mais il a à faire avec l’homme en tant qu’être politique. Il a comme but
celui de la réussite du pouvoir. Or, cette réussite ne peut se faire que par l’usage des
moyens nécessaires. C’est pourquoi notre étude aboutit à la nécessité politique. Bien que
Machiavel n'ait jamais écrit la phrase « la fin justifie les moyens », qu'on lui attribue, elle
résume bien sa position sur le sujet. Pour lui, le but de la politique n'est pas la morale mais
la réussite. La politique est un art de la dissimulation au nom de l'efficacité. Cependant, la
finalité de la politique est d'instaurer de bonnes lois pour le bien du peuple. Mais il n'y a pas
de bonnes lois là où il n'y a pas de bonnes armes. Le prince n'est pas à proprement parler
immoral. Il est amoral en ce sens qu'il est au-dessus de la morale ordinaire. L'efficacité est
la morale du prince, car seul un pouvoir fort peut assurer la paix et garantir la moralité du
peuple129.
129 Maryvonne Longeart, http/www.ac-grenoble.fr/philo/sophie/articles.php, 13 Avril 2007 (18h17)
93
Notre auteur avait déjà des notions politiques mais il n’était pas sûr et il avait
consulté les Anciens comme Platon, Aristote … Force est de constater que les Anciens
perdaient pédale du fait que pour eux, la politique va avec la morale. De toute façon,
Machiavel a remercié les Anciens en prenant sa position sur cette dernière. Il s’agit de
s’orienter vers lui-même, vers une théorie alternative, ou mieux encore comme suit :
renversement de valeur. Sur ce cas, on peut faire un tableau alternatif sur la question du
rapport entre politique et morale, et sur la signification du réalisme machiavélien en
politique :
POLITIQUE MORALE
Bien Mal
Mal Bien
Chez Machiavel, il y a une séparation entre la morale et la politique. En politique,
on parle de la nécessité étant donné qu’elle a son sens et sa justification. A titre d’exemple,
les évènements montrent que Socrate, dans un dialogue avec Calliclès, a mal fini et que
selon toute probabilité, Calliclès n’a pas mieux réussi. Mais plus rapidement, le surcroît de
la sagesse nous ramène à l’affirmation que le philosophe ne doit pas mettre le doigt dans
l’engrenage politique et que la politique de la nécessité ferait mieux de ne pas parler de la
morale.
Machiavel justifie sa recherche d’une philosophie politique réaliste par les
considérations des fondements de la société civile. Cela veut dire que par des
considérations sur l’univers dans lequel vit l’être humain, la justice n’a pas de fondement
naturel ni de supra-humain. Les faits humains sont trop changeants pour pouvoir être
soumis à des principes permanents de justice. C’est la nécessité plutôt que l’intention
morale qui détermine dans chaque cas la conduite censée à tenir. C’est pourquoi, la société
civile ne peut pas même aspirer à être juste, purement et simplement. Toute légitimité a sa
source dans l’illégitimité. Il n’est pas d’ordre social ou moral qui n’ait été établi à l’aide des
moyens moralement discutables. La société civile n’est pas enracinée dans la justice mais
dans l’injustice, et le fondateur le plus célèbre des empires est fratricide. Ce dernier fut
allusion à Romulus, frère jumeau de Remus. D’après l’histoire, Remus fut le fondateur et le
94
premier Roi légendaire de Rome. A sa naissance, il fut exposé avec son frère dans une
corbeille abandonnée sur les eaux du Tibre ; les deux frères furent recueillis par une louve
qui les allaita. Après une vie de brigandage, ils fondaient tous les deux la future Rome. Au
cours de la fondation de la ville, Romulus tue son frère Remus. C’est dans cet ordre que
nous avons présenté le tableau d’alternance car il y a toujours une bonne et mauvaise
solution, le malheur veut que la bonne solution sur le plan moral soit souvent la mauvaise
sur le plan politique et inversement. D’où la nécessité qui doit accabler avec la stratégie en
politique.
Les hommes n’agissent honnêtement que s’ils sont contraints, il n’y a pas de morale
où il n’y a pas d’Etat. Dès lors, le fondateur ou le réformateur de l’Etat ne doit être soumis
à aucune règle morale. Il ne s'agit pas de se référer à des valeurs morales transcendantes
comme le faisait Platon dans La République, ni de poursuivre une utopie. La politique doit
s'exercer en tenant compte des réalités concrètes, ce qui fait nécessairement passer la
morale au second plan, et d'une marge de liberté entre la contingence de l'histoire (la
fortune) et le caractère cyclique et éternel de celle-ci.
Si le cynisme consiste à exprimer sans ménagement des opinions contraires à la
morale reçue, Machiavel mérite d’être appelé cynique. Mais, ce faisant, il se borne à
dévoiler les mécanismes sociaux et psychologiques d’une société elle-même, féroce et
imprudente. Il a décrit l’exercice réel du pouvoir en levant tous les masques et formulé de
manière irréprochable les impératifs du gouvernement et la Raison d’Etat. En un mot, le
machiavélisme est une méthode de gouvernement sans scrupule ni morale. Il est une
conduite loyale et perfide. Il désigne le système politique de Machiavel longtemps
considéré comme négation de toute loi morale. Il est une nouvelle vision politique. Le
machiavélisme est une doctrine sans pitié mais aussi un jeu de passions et d’intérêts qui
animent les forces opposées. En effet, cette politique est conçue par certains penseurs
comme une politique dépourvue de conscience, de bonne justice et de bonne foi. Le
machiavélisme, au rebours des apparences, en dépit de succès provisoires, ne triomphe pas
l’histoire humaine, en dernière analyse, il devient l’art de faire le malheur de l’humanité
tout entière.
95
La doctrine politique de Machiavel reste pour la plupart des gens comme une
pratique politique qui garde une visée spécifique pour la prise et la conservation du
pouvoir. L’idée de machiavélisme s’attache exclusivement à une politique de moyens.
Cette politique est à la fois immorale parce qu’elle considère l’efficacité sans regard à la
morale. Machiavel est acteur de lui-même, il enseigne dans le monde d’aujourd’hui une
politique d’astuce. Cette politique, soit disant rusée, suscite également des révoltes et des
massacres. Bref, le machiavélisme est une conception de l’exercice du pouvoir qui
enveloppe des pratiques telles que la force et ses conséquences. Sur ce, l’Etat doit tenter de
corrompre un homme devenu dangereux. Il doit tuer pour instaurer la paix, mais certains
ont mal compris le machiavélisme en prenant les armes pour s’entretuer au lieu de
construire le pays.
96
CONCLUSION
La philosophie politique est une activité rationnelle qui suspecte, mais aussi
s’enracine au cœur même de l’existence sociale des hommes. Le rôle du penseur politique
est alors d’établir, à partir du contexte spatio-temporel bien déterminé, une perspective
d’innovation susceptible, certes, de réaliser le bien commun, mais aussi l’aspiration du
prince à la cité. Machiavel révolutionne cette notion politique et invente la science
politique. Dans l’action politique, l’intérêt n’est plus d’accomplir un idéal parfois utopiste
ou religieux comme avec Rousseau, Marx…, mais de comprendre les jeux politiques des
hommes. Il nous amène à repenser la politique d’une façon plus claire et lucide en même
temps, à choisir non seulement la liberté mais aussi la nécessité. Ce présent travail de
recherche s’inscrit dans ce cadre : la stratégie et la nécessité politique machiavélienne.
Cette nécessité est d’une extrême jeunesse.
Dans la moitié du XVIème siècle, le problème de la guerre s’élargit à l’échelle
mondiale. Il y a des guerres civiles, des guerres idéologiques, des guerres religieuses etc.
Tout type de guerre touche en premier lieu les dépositaires du pouvoir. Il convient ainsi, à
ces derniers, de mettre en pratique certaines techniques qui peuvent aider le prince à garder
le pouvoir. C’est dans cette perspective que la nécessité politique a son sens et sa
justification pour les gouvernants. La politique est toujours envisagée comme un lieu de
conflit, parce qu’elle est le domaine où des intérêts divergents s’affrontent sans cesse. Le
Prince explique donc comment il est possible de prendre et de conserver le pouvoir, sans
laisser de coté, les qualités requises d’un dirigeant. Par là, l’auteur rompt avec la
philosophie politique classique, héritée de l’Antiquité et transmise aux Modernes par
l’humanisme de la Renaissance. Celle-ci réfléchissait sur la condition humaine afin de
mettre en œuvre le meilleur type de régime possible.
La stratégie et la nécessité politique de Machiavel à travers le Prince se base sur les
considérations d'intérêt, de sécurité, et de puissance militaire, qui incite le prince à créer les
conditions de la République où il faut lutter contre les puissants, protéger les humbles,
armer le peuple et non s'armer contre lui. Tout au long de notre analyse, concernant la
spécificité politique, il faut que le prince doive être immoral et amoral. La réduction des
97
Etats en un Etat et la résolution des conflits humains tiennent une grande part, pour garder
le pouvoir. Le prince doit savoir contrôler toute attaque venant d’un pays étranger et avoir
des espions pour contrôler les opinions des hommes, qui changent de temps en temps. Par
ce changement d’opinions, les opposants sont capables de toute manipulation pour semer
des troubles dans le pays. Le prince, devant cette alternative, doit prendre des solutions,
bonnes ou mauvaises, peu importe. Il s’agit là d’une nécessité, à cause de la faiblesse et de
la lâcheté du peuple. De ce fait, un prince, qui veut conquérir et durer au pouvoir, doit
compter sur la nécessité, sur la puissance de suivre le mouvement de la vie politique qui est
toujours instable ; car : « La nature des peuples est changeante et il est aisé de les persuader
d’une chose, mais difficile de les garder en cette persuasion. »130
Effectivement, le prince doit s'assurer contre ses ennemis, de se faire des amis, de
vaincre par force ou par ruse, de se faire aimer et craindre des peuples, suivre et respecter
par les soldats, de détruire ceux qui peuvent et doivent lui nuire, de remplacer les anciennes
institutions par de nouvelles, d'être à la fois sévère et gracieux, magnanime et libéral, de
former une milice nouvelle et dissoudre l'ancienne, de ménager l'amitié des rois et des
princes, de telle manière que tous doivent aimer à l'obliger et craindre de lui faire injure. Il
doit se montrer comme un homme valeureux, courageux et sage pour gouverner son pays.
Cependant, il n’y a point de valeur à massacrer ses concitoyens et à livrer ses amis, à être
sans foi, sans pitié, sans religion ; tout cela peut faire arriver à la souveraineté. Mais un
homme qui veut être parfaitement honnête au milieu de gens malhonnêtes ne peut manquer
de périr tôt ou tard. Machiavel a décrit l'exercice réel du pouvoir politique, ce que les
gouvernants font effectivement. Les concepts fondamentaux de la philosophie politique de
Machiavel sont les suivants : premièrement, le prince, entendu comme souverain, celui qui
exerce le pouvoir réel. Ensuite, la fortune, ensemble de circonstances complexes et mobiles,
devant lesquelles l'homme est impuissant s'il n'utilise, au bon moment, le bon moyen :
l'occasion propice à l'initiative audacieuse. Puis, la « virtù », à ne pas confondre avec la
vertu au sens traditionnel du terme, les qualités du sage, qui désigne l'énergie dans la
conception et la rapidité dans l'exécution, la résolution et la ruse, le « génie politique », en
130 Nicolas Machiavel, Le Prince, p. 43
98
quelque sorte. Mais, bornons-nous donc à conclure qu'on ne saurait attribuer à la fortune ni
à la vertu l'élévation qu'il obtint sans l'une et sans l'autre.
Certains hommes pensent que pour gouverner, le dirigeant doit être bon, tandis que
pour d’autres, il doit être méchant. Mais comme les hommes sont méchants, et toujours
près à manquer à leurs paroles, le prince ne doit pas se montrer bon. Ce manque de
sentiment du prince peut être justifié par le fait que les hommes sont méchants et égoïstes.
Machiavel est très clair, car il veut que le prince soit un homme talentueux, capable de
maintenir la paix et la sécurité. Le prince doit être à la fois bon et méchant. L’essentiel pour
lui est de bien jouer le personnage. Il doit connaître son rôle pour bien feindre afin
d’aboutir à son but. Il peut entrer dans la voie du mal si nécessaire sans pour autant faire
abstraction du bien. Voila pourquoi :
C’est la passion de l’Etat qui inspire Machiavel, et qui fait que le prince, investi de ces responsabilités exceptionnelles, se trouve placé hors du commun et doit savoir entrer dans la voie du mal si nécessaire mais savoir aussi ne s’éloigner pas du bien qu’il peut131.
La réussite politique nécessite que l’on utilise la violence et la ruse, de manière
combinée : il est impossible de prendre et de conserver le pouvoir si l’on n’est pas à la fois
« renard et lion ». La force et la ruse doivent s’exercer simultanément pour valoriser le
statut du prince, en tant qu’homme d’Etat. A cet égard, il est impossible de disculper
entièrement Machiavel du "machiavélisme". Mais, il ne s’agit pour lui ni de préconiser
systématiquement la répression sanglante, ni de prescrire la fourberie de manière absolue.
Le prince doit gouverner incontestablement, si possible dans la paix. Il entend donc mettre
en place les conditions d’une économie de la force et de la ruse. Sans oublier qu’un simple
particulier peut accéder au pouvoir suprême de quatre manières différentes : le mérite, la
fortune, le crime, la faveur du peuple ou des Grands. Pour le mérite, il s’agit de savoir
utiliser l’occasion accordée par la fortune.
Machiavel propose une attitude qui permet à l’homme avide de pouvoir de parvenir
à ses fins. Que l’amoralité de nos actes soit dissimulée sous un masque de vertu, voilà l’une
des plus essentielles leçons de Machiavel. Pour bien comprendre la portée de cette
invective, il faut savoir qu’elle présuppose la radicale séparation de l’éthique et de la praxis. 131 FROLOV (Dr), Dictionnaire des philosophies, p. 367
99
La moralité n’est qu’une illusion destinée à tromper les naïfs, ce qui importe réellement,
c’est la réalité effective de chaque chose, c’est-à-dire, son utilité dans la lutte contre toutes
les autres volontés de puissance. Plutôt que de partir de ce qui devrait idéalement être,
Machiavel se propose de partir de la "vérité effective" des choses. Or, en politique, celle-ci
concerne avant tout le conflit entre les hommes et la nécessité de réguler par les moyens les
plus efficaces, leurs relations.
Bref, on a surtout retenu du Prince, les conseils cyniques relatifs à la dissimulation,
à l'exercice du secret et de la manipulation résumés dans la sentence bien connue : qui veut
la fin veut les moyens. Le machiavélisme est une doctrine qui assure la victoire. Il devient
un guide pour tous les princes ou chef d’Etat du monde sur le maintien et la conservation
du pouvoir. L’homme d’Etat idéal doit posséder le talent, le mérite, le courage et la sagesse.
C’est-à-dire, il doit être en mesure de voir la réalité telle qu’elle est et d’agir en
conséquence : il s’en tient au bien, s’il le peut, mais sait entrer dans le mal, s’il le faut. De
là s’explique que le machiavélisme devient non seulement systématique mais raisonnable.
Car, bon nombre de chefs d’Etats mettent en technique tout l’art de cette doctrine.
Actuellement, le machiavélisme se trouve dans toutes les techniques de l’art de gouverner
les hommes. Il a des règles de la prise du pouvoir, de la conservation et du renforcement de
ce pouvoir. La réalité de ces règles sont les techniques modernes du coup d’Etat,
l’envahissement d’un pays par la guerre, la conquête légale du pouvoir par l’usage des
coutumes et l’abus des procédés par le système démocratique. Le résultat en est que
certaines élites du tiers monde utilisent le machiavélisme sans le maîtriser. La preuve en est
qu’ils ont divisé leurs pays au lieu de les unir. Cette doctrine n’est rien d’autre que le
moyen. A ce sujet Raymond ARON affirme que :
Le machiavélisme est bien, dans l’interprétation vulgaire, devenu la doctrine des rois et des princes, une théorie des moyens, la fin supposée étant pour chacun la puissance propre132.
Aujourd’hui, Machiavel est présenté comme un homme cynique dépourvu d’idéal,
de tout sens moral et d’honnêteté, ce que définit l’adjectif machiavélique. Sa stratégie
politique fait abstraction de la morale. En définitive, la politique machiavélienne n’est pas
132 Raymond ARON, Machiavel et les tyrannies modernes, p.75
100
sage car elle a divorcé avec la morale. Sa politique ne regarde que la nécessité et par là, elle
piétine la dignité humaine et la souveraineté du peuple. La conception politique de
Machiavel ne va pas de pair avec celle de la philosophie en tant que telle, car c’est la pire
loi de la jungle, là où la raison du plus fort fait justice. Machiavel ramène les rapports de
pouvoir à des rapports de nécessité.
En un mot, le Prince, comporte un profond calcul du pouvoir. D’une part, il aide le
dirigeant surtout dans l’organisation des troupes armées pour se protéger. D’autre part, il
animalise le dirigeant pour qu’il ne regarde que la nécessité et prend l’action de tuer. De ce
dernier côté, il incite le peuple à se soulever contre un dirigeant machiavélique. Machiavel
discerne, analyse et exploite les ressorts, bons comme mauvais, qui conduisent un homme à
se maintenir au pouvoir. Surtout, il le fait avec détachement, sans jugement de valeurs. En
effet, partout dans le monde, il existe certains principes fondamentaux du machiavélisme.
Mais les politiciens ont du mal à se déclarer machiavélique. Ils appliquent ce système sans
se rendre compte.
101
BIBLIOGRAPHIE
I - ŒUVRES DE NICOLAS MACHIAVEL :
1. Œuvres complètes, Introduction par Jean Giono, Texte présenté et annoté par Edmond
Barincou, Edition Gallimard, Imprimé en France, Paris, 1952, 1641 pages.
2. Le Prince, P.U.F., Paris, 1989, 192 pages.
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5. Le Prince, Edition librairie générale française, Paris, 2000, 192 pages.
6. Le Prince, Traduction de Jacques Gohory, Edition Gallimard, Paris, 1980, 286 pages
7. Le Prince, Traduction de Jean Anglade, Edition livre de poche, Paris, 1972, 303 pages.
8. Discours sur la Première Décade de Tite-Live, Traduit par Christian Bec, Collection
Bouquins, Paris, 1996, 654 pages.
9. Discours sur la Première Décade de Tite-Live, Traduit par Toussaint Guiraudet, Edition
champs Flammarion, Paris, 1986, 362 pages.
II – ŒUVRES SUR MACHIAVEL :
10. ABDOU (Attoumane), La nécessité de la psychologie dans la stratégie politique de
Machiavel à travers le Prince, Mémoire de maîtrise, Université de Tuléar, Madagascar, 2007,
86 pages.
11. ARON (Raymond), Machiavel et les tyrannies modernes, Edition de Fallois, Paris, 1993,
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12. BARINCOU (Edmond), Machiavel par lui-même, Edition du Seuil, Paris, 1972, 191 pages.
13. NAIR (Sami), Machiavel et Marx, Edition P.U.F., Paris, 1970, 235 pages.
14. NAÏR (Sami), Machiavel et Marx, Philosophie d’aujourd’hui, Collection dirigée par P.U.F.,
Edition Seghers, Paris, 1984, 188 pages.
15. ROUSSEAU (Claude), Profil d’une œuvre : Le Prince, Machiavel, Edition Hatier, Paris,
1973, 194 pages.
102
16. SENELLART (Michel), Machiavélisme et la raison d’Etat, Edition P.U.F., Paris, 1989,
339 pages.
17. VEDRINE (Hélène), Machiavel ou la science du pouvoir, Collection dirigée par André
Robinet, Edition Seghers, Paris, 1972, 188 pages.
III - DICTIONNAIRES ET ENCYCLOPEDIES :
18. AUROUX (Sylvain), Dictionnaire des auteurs et des thèmes de la philosophie, Paris,
Editions revue et augmentée, 1996, 227 pages.
19. BARAQUIN (Noëlla), Dictionnaire des philosophes, Armand Colin Editeur, Paris, 1997,
336 pages.
20. DENIS (Huisman) et CLAUD (D), Encyclopédie de la psychologie générale, Edition
Fernand Nathan, Paris, 1972, 426 pages.
21. DUROZOI (Gérard) et ROUSSEL (André), Dictionnaire de philosophie, Nathan, Paris
1990, 370 pages.
22. FROLOV (Dr), Dictionnaire des philosophes, Edition du Progrès, Moscou, 1985,
568 pages.
23. LAGANE (René), NIOBEY (Georges) et CASALIS (Didier), Collection, Petit dictionnaire
de la langue française, Larousse, Juillet 1987, Paris, 1094 pages.
24. Petit Larousse illustré, 17 Rue du Montparnasse, 75298 Paris Cedex 06, 1988, 1804 pages.
IV - PENSEE POLITIQUE :
25. BATTISTINI (Yves), Les Trois présocratiques : Héraclite, Parménide, Empédocle, Préf.
Par René Char, Edition Gallimard, Paris, 1988, 190 pages.
26. POPKIN (R.A.), STROLI (H.), FELLER (F.W.), Philosophie efficace, Edition Zélos, Paris,
1986, 351 pages.
27. ROUX-LANIER (Catherine), Le temps des philosophes, Avec la collaboration de Laurent le
Caustumer, Edition Hâtier, Paris, 1995, 640 pages.
28. VERGEZ (André) et HUISMAN (Denis), Histoires des philosophes, Préface de Ferdinand
Alquin, Fernand Nathan, Paris, 1966, 445 pages.
103
29. STRAUSS (Léo), Qu’est-ce que la philosophie politique ? Traduit de l’anglais par Olivier
SEDEYN, P.U.F., Paris, 1992, 297 pages.
30. STRAUSS (Léo), Droit naturel et historique, Bibliothèque de la philosophie, Dits et Ecrits,
Paris, 1997, 283 pages
31. WERNER (Charles), La philosophie grecque, Edition Payot, Paris, 1964, 209 pages.
V - AUTRES OUVRAGES :
32. ARISTOTE, La politique, Traduction nouvelle et notes par Jean Tricot, J. Vrin, Paris, 1977,
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33. BUCHHOLZ (Rogene A.), Fundamental Concepts and Problems in Business Ethics,
Englewood Cliffs, N.J., Prentice-Hall, 1989, 98 pages.
34. DION (Michel), L’éthique ou le profit, Fides, 1992, 185 pages.
35. HOBBES (Thomas), De La nature humaine, Paris, P.U.F., 1971, 128 pages.
36. HOBBES (Thomas), Les citoyens ou les fondements de la politique, Edition Flammarion,
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37. MANGALAZA (Eugène Régis), Lire et comprendre Platon, Publication du département de
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38. MONTESQUIEU (Charles), Analyse de l’esprit des lois, Tome II, Librairie Larousse, Paris,
1962, 162 pages.
39. NIETZSCHE (Frédéric), La volonté de puissance, Essai de transmutation de toutes les
valeurs, Traduit de l’Allemand par Henri Albert, Librairie générale Française, Paris, 1991,
604 pages.
40. PHILIPPE (Guilhaume), Lettre ouverte à tous les Français qui ne veulent plus être pris que
pour des cons, Edition Allin Michel S.A, 75014, 22 rue Huyghens, Paris, 1992, 160 pages.
41. QUERMANE (Jean Louis), Les régimes politiques occidentaux, Edition du Seuil, Paris,
1986, 321 pages.
42. ROUSSEAU (Jean Jacques), Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, Textes
établis par Henri Guilhemum, Union générale, Edition Flammarion, Paris, 1973, 331 pages.
43. La Fontaine (Jean de), Fables, Librairie générale française, Paris, 1972, 20 pages.
44. WEIL (Eric), Philosophie et réalité, Edition Bauchesne, Paris, 1982, 404 pages.
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45. OTIS (Louise), « Ethique et travail : un défi vers l’égalité », L’éthique au quotidien,
Montréal, Québec/Amérique, 1990, 224 pages
46. VAN PARIJS (Philippe), Sauver la solidarité, Les éditions du Cerf, Paris, 1995, 214 pages
VI – WEBOGRAPHIE :
47- Malcom-X, http://www.vulgum.org/spip.php, Samedi 03 Juin 2006 (20h 45)
48- Maryvonne Longeart, http//www.ac-grenoble.fr/philo/Sophie/articles, 13 Mars 2007 (18h17)
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http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Nicolas_Machiavel, 05 Décembre 2006
50- Jean-Marie Tremblay, Professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi, « Les classiques des
sciences sociales », http://www.pages.infinit.net/sociojmt, 30 Mai 2004.
51- Wikimedia Foundation, « Encyclopédie libre », http://fr.wikipedia.org/wiki/Marketing, 30
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52- Wikimedia Foundation, « Encyclopédie libre », Http//www.wikipedia.org/wiki/Le
prince#cite_note-0, 18 décembre 2007 (14h 22).
53- Microsoft Corporation, Encyclopédie Encarta, Version 2005.
105
TABLETABLETABLETABLE DEDEDEDESSSS MATIERESMATIERESMATIERESMATIERES
REMERCIEMENTS…………………………………………………………………… ……. 01 INTRODUCTION……………………………………………………………………… ……. 02 PREMIERE PARTIE : LA SPECIFICITE DE LA POLITIQUE MACHIAVELIENNE……………… ……………………………. 07
CHAPITRE 1 : LES PRINCIPES MACHIAVELIENS………………………… …… 08 I.1.1 : L’immoralité et l’amoralité de Machiavel………………………………….. 10 I.1.2 : La morale individuelle et le but de la pensée machiavélienne……………… 12 I.1.3 : L’action politique dans la principauté mixte………………………….......... 13
CHAPITRE 2 : LA CONQUETE DU POUVOIR ET L’ART DE GOUVERNER………………….…………………………………….. 16
I.2.1 : La réduction des Etats en un Etat…………………………………………... 17 I.2.2 : La résolution des conflits……...………………………………………........ 20 I.2.3 : Les exigences du prince dans la conservation du pouvoir…………………. 23
CHAPITRE 3 : L’ART POLITIQUE DU PRINCE DANS L’EXE RCICE DU
POUVOIR………………………………………………………….. 24 I.3.1 : La place de la ruse………………………………………………………… 26 I.3.2 : La place de la force……………………………………………………….. 29 I.3.3 : L’art du paraître…………………………………………………............... 32
DEUXIEME PARTIE : L’ANALYSE POLITIQUE DE MACHIAVEL ………...……... 36 CHAPITRE 1 : LE RAPPORT ENTRE MACHIAVEL ET LE PRINC E………… 37 II.1.1 : La place de l’opinion et l’opposition du prince….…………………….... 37 II.1.2 : La politique comme lutte perpétuelle…………………………………… 41 II.1.3 : L’anthropologie machiavélienne............................................................... 45 CHAPITRE 2 : LES PRINCIPES MORAUX DANS L’ART DE GOUVERNER……………………………………………………… 49 II.2.1 : Le prince et l’Etat………………………………………………………. 50 II.2.2 : Le prince et le peuple………………………………………………....... 52 II.2.3 : Le prince et la « virtù »………………………………………………… 57
106
TROISIEME PARTIE : LES APPORTS CONCEPTUELS DE MACHIAVEL……… 62 CHAPITRE 1 : LA MODERNITÉ MACHIAVÉLIENNE ………………………... 63 III.1.1 : Le rapport de la fortune avec la « virtù »…………………………………. 64 III.1.2 : La vérité effective et la nécessité de la psychologie……..…..………... 70 III.1.3 : L’éthique de la violence et ruse…………………................................... 73
CHAPITRE 2 : LE ROLE PRINCIPAL DU PRINCE……….. …………………… 76 III.2.1 : L’usage de la loi et l’élaboration du meilleur régime politique……...... 77 III.2.2 : Le couteau à double tranchant………………………………………… 82 III.2.3 : Le rôle de la crainte et de l’amour dans le maintien du pouvoir……… 84
CHAPITRE 3 : LES GRANDS TRAITS DE LA CONCEPTION POLITIQUE DE MACHIAVEL ………………………………………………………... 87 III.3.1 : La politique et l’histoire……………………………………………….. 88 III.3.2 : La politique et la religion…………………………………………........ 89 III.3.3 : La politique et la morale………………………………………………. 91
CONCLUSION…………………………………………………………………………… 96 BIBLIOGRAPHIE ……………………………………………………………………….. 101 TABLE DES MATIERES ……………………………………………………………….. 105
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