1
SHRI AUROBINDO
LA MANIFESTATION SUPRAMENTALE SUR LA TERRE
SHRI AUROBINDO, La manifestation supramentale sur la Terre,
traduit de l'anglais par LA MRE, ditions Sri Aurobindo Ashram, Pondichry, 1974, 2e dition
CHAPITRE I :
LA PERFECTION DU CORPS
La perfection du corps, une perfection aussi vaste qu'il nous est possible de l'obtenir par les moyens
dont nous disposons, tel doit tre le but ultime de la culture physique. La perfection est le vrai but de
toute culture - spirituelle et psychique, mentale, vitale, et elle doit tre galement le but de notre
culture physique. Si nous sommes la recherche d'une perfection totale de l'tre, la partie physique
ne peut pas tre laisse de ct, car le corps est la base matrielle, le corps est l'instrument que nous
devons employer. Sharram khalou dharmasdhanam, dit le vieil adage sanscrit, le corps est le moyen
d'accomplissement du "dharma", la loi intrieure; or, le "dharma" comprend tous les idaux que nous
puissions nous proposer, quels qu'ils soient, ainsi que la loi de leur ralisation et de leur mouvement.
Une perfection totale, tel est le but ultime que nous nous sommes fix pour idal, car c'est la Vie
Divine que nous voulons crer ici-bas, la vie de l'Esprit accomplie sur la terre, la vie qui ralise sa
propre transformation spirituelle ici mme dans la matire et dans les conditions de l'univers matriel.
Cette vie parfaite n'est pas possible si le corps lui-mme ne subit pas une transformation et si son
mouvement, son fonctionnement, ne parvient pas une capacit suprme et toute la perfection qui
lui est possible ou que nous puissions lui rendre possible.
Dans un message prcdent, j'ai dj montr qu'une perfection relative de la conscience physique
dans le corps, une perfection du mental, de la vie et du caractre que le corps abrite, tait, non moins
que l'veil et le dveloppement des facults naturelles du corps, un intressant rsultat de pratiques
et exercices de culture physique auxquels nous avons commenc accorder une attention et une
importance particulires dans notre Ashram. Le dveloppement de cette conscience physique reste
toujours une partie considrable de notre but mais, pour cela, le dveloppement correct du corps lui-
mme est essentiel - la sant, la force, l'aptitude sont les besoins premiers, mais la structure physique
elle-mme doit parvenir au sommet de ses possibilits. Une vie divine dans un monde matriel
implique ncessairement l'union des deux bouts de l'existence : le sommet spirituel et la base
matrielle. L'me a pos sa base de vie dans la Matire et elle s'lve vers les hauteurs de l'Esprit,
mais elle ne rejette pas sa base : elle fait le lien entre les hauteurs et les profondeurs. L'Esprit
descend dans la Matire et dans le monde matriel avec toutes ses lumires, ses gloires, ses pouvoirs
et, par eux, emplit et transforme la vie du monde matriel afin qu'il devienne de plus en plus
divin. La "transformation" n'est pas un changement qui nous fait passer un tat purement subtil et
spirituel o la Matire apparat rpugnante de nature, un obstacle et une chane, une entrave de
l'Esprit; elle assume la Matire comme une forme, de l'Esprit - bien que, pour le moment, cette forme
dissimule l'Esprit - et la mtamorphose en un instrument de rvlation; elle ne rejette pas les nergies
2
de la Matire ni ses capacits, ses mthodes, mais dlivre leurs possibilits secrtes, les soulve en
degr, les sublime et tire au jour leur divinit inne. La vie divine ne rejettera rien qui soit capable de
divinisation - tout doit tre empoign, sublim, pouss son absolue perfection. Le mental d' prsent
est encore ignorant, bien qu'il s'efforce la connaissance, mais il doit s'lever la lumire et
la vrit supramentales, baigner en elles, les faire descendre pour qu'elles imprgnent notre pense,
nos perceptions, notre vision intrieure et tous nos moyens de connaissance jusqu' ce qu'ils
irradient la suprme vrit dans leurs mouvements les plus extrieurs autant que dans les
mouvements les plus profonds. Notre vie est encore pleine d'obscurit et de confusion, encore remplie
de bien des mobiles infrieurs et lourds, mais elle doit sentir tous ses lans et ses instincts s'ennoblir,
s'irradier et devenir une rplique glorieuse de la super-vie supramentale en haut. La conscience
physique et l'tre physique, le corps lui-mme doit parvenir la perfection de tout ce qu'il est et de
tout ce qu'il fait, une perfection difficile imaginer maintenant. Et finalement mme, le corps pourra
rayonner la lumire, la beaut et la batitude de l'Au-del, et la vie divine prendra un corps divin.
Mais d'abord, il faut que l'volution de la nature humaine parvienne au point o elle est capable
d'entrer en contact direct avec l'Esprit, de sentir l'aspiration au changement spirituel et de s'ouvrir
l'action du Pouvoir qui la transformera. Une perfection suprme, une perfection totale n'est possible
que par la transformation de cette nature infrieure, humaine, une transformation du mental en un
instrument de lumire, de notre vie en un instrument de pouvoir et d'action juste qui utilisera
correctement toutes ses forces, lvera joyeusement tout son tre et le soulvera au-del de ses
possibilits actuelles relativement troites pour lui donner la force qui s'excute spontanment en
actes et la joie de la vie. galement, il faut une transformation du corps; une transformation qui
mtamorphose son action, son fonctionnement, ses capacits, et en fasse un instrument dlivr de
toutes les limitations qui l'alourdissent maintenant et l'entravent jusque dans ses ralisations
humaines les plus hautes. Pour l'intgralit du changement que nous devons oprer, il faudra
employer les moyens et les forces humaines aussi; ils ne doivent pas tre abandonns mais utiliss,
largis, pousss au sommet de leurs possibilits et faire partie de la vie nouvelle. On peut concevoir
sans grande difficult cette sorte de sublimation de nos pouvoirs humains actuels, mental et vital, et
qu'ils se changent en lments d'une vie divine sur la terre, mais sous quelle forme allons-nous
concevoir la perfection du corps?
Autrefois, le corps tait considr par les chercheurs spirituels comme un obstacle, quelque chose qui
devait tre vaincu, rejet, et non comme un instrument de la perfection spirituelle et le terrain mme
du changement spirituel. Il a t condamn comme une matire grossire, un encombrement
insurmontable, et les limitations du corps comme une irrmdiable infirmit qui rendait impossible
toute transformation. De fait, mme en pleine forme, le corps humain semble tre exclusivement m
par une nergie vitale, elle-mme limite et avilie par bien des petites activits physiques mesquines,
vulgaires ou mme malfaisantes; le corps lui-mme porte le fardeau de l'inertie et de l'inconscience
de la matire, il n'est que partiellement veill et, bien qu'aiguillonn et m par une activit nerveuse,
il reste sub-conscient dans l'opration fondamentale des cellules et des tissus qui le constituent et
dans leur fonctionnement secret. Mme au sommet de sa force et de sa vigueur, mme dans la plus
3
haute gloire de sa beaut, c'est encore une fleur de l'Inconscience matrielle; l'inconscient est le sol
o il a pouss et, chaque pas, oppose des bornes troites tout largissement de ses pouvoirs et
tout effort de dpassement de soi radical. Mais s'il est vrai qu'une vie divine est possible sur la terre,
ce dpassement aussi doit tre possible.
Dans notre poursuite de la perfection, nous pouvons partir de l'un ou l'autre bout de l'tendue de
notre tre, et nous devons alors nous servir des moyens et des procds correspondant notre choix,
du moins au dbut. Avec le yoga, le procd est spirituel et psychique; mme les procds vitaux et
physiques prennent une tournure spirituelle ou psychique et sont hisss un fonctionnement
suprieur qui dpasse celui de la Vie et de la Matire ordinaires, comme, par exemple, dans l'usage
de la respiration ou des sana dans le Hathayoga et le Rdjayoga. Gnralement, une prparation
prliminaire du mental, de la vie et du corps est ncessaire afin que ceux-ci deviennent aptes
recevoir l'nergie spirituelle et organiser les forces et les mthodes psychiques, mais cette
prparation elle-mme prend la tournure particulire du yoga. Par contre, si nous partons de l'un
des domaines du bout infrieur, nous devons employer les moyens et les procds propres la Vie et
la Matire et respecter les conditions ou ce que nous pourrions appeler la "technique" impose
par l'nergie vitale et matrielle. Certes, nous pouvons accrotre les activits, les ralisations, les
perfections dj acquises et les pousser au-del des possibilits initiales et mme au-del des
possibilits normales, mais nous sommes tout de mme obligs de rester sur la base d'o nous
sommes partis et dans les bornes que nous fixe cette base. Il n'est pas vrai que l'action d'un bout et
celle de l'autre ne puissent pas se rencontrer et que la perfection d'en haut soit incapable d'intgrer
et de soulever la perfection d'en bas, mais gnralement ceci ne peut se faire qu'en passant du point
de vue infrieur au point de vue suprieur, de l'aspiration infrieure et des motifs infrieurs
l'aspiration et aux motifs suprieurs - c'est ce que nous devrons faire si notre but est de transformer
la vie humaine en une vie divine. C'est l qu'intervient la ncessit d'intgrer les activits de la vie
humaine et de les sublimer par le pouvoir de l'esprit. La perfection d'en bas ne disparatra pas de ce
fait; elle restera, mais largie et transforme par la perfection d'en haut que seul le pouvoir de
l'esprit peut donner. Ceci est vident si nous prenons la posie et l'art, la pense philosophique, la
perfection du verbe ou l'organisation parfaite de la vie terrestre : tout doit tre intgr, et les
possibilits dj ralises ou les perfections dj acquises doivent tre incluses dans une perfection
nouvelle, plus haute, mais avec la vision et l'inspiration plus larges d'une conscience spirituelle et
sous des formes nouvelles, par des pouvoirs nouveaux. De mme pour la perfection du corps.
Inclure la vie et la matire dans ce qui est essentiellement une recherche spirituelle, au lieu de les
rejeter et en fin de compte de les exclure comme le faisait la spiritualit qui repoussait la vie du
monde ou lui tournait le dos, implique certaines innovations que les institutions spirituelles du vieux
genre considreraient comme trangres leur but. Mais une vie divine dans le monde, ou une
institution ayant ce but, ne peut pas rester compltement en dehors de la vie ni ferme aux hommes
ordinaires du monde ni indiffrente l'existence mondaine; elle doit faire le travail du Divin dans le
monde et non quelque travail en dehors du monde ou spar de lui. La vie des anciens Rishi dans
leur Ashram tait relie au monde extrieur; les Rishi taient des crateurs, des ducateurs, des
4
guides pour les hommes, et la vie du peuple indien dans l'antiquit s'est en grande partie dveloppe
sous leur direction et par leur influence formatrice. Certes, la vie et les activits incluses dans
l'entreprise nouvelle ne seront pas du mme ordre, mais elles doivent avoir une action sur le monde,
tre une cration nouvelle au sein du monde. La nouvelle entreprise doit avoir un contact, des liens
avec l'extrieur et des activits qui s'inscrivent dans la vie gnrale, et il est bien possible que ses
objectifs initiaux, immdiats, ne semblent pas trs diffrents de ceux des activits du mme genre
dans le monde extrieur. Ici, dans notre Ashram, nous avons jug ncessaire d'ouvrir une cole pour
les enfants des disciples rsidents, et l'on y enseigne suivant les principes familiers, mais avec
certaines diffrences et en donnant une place, mme une place trs importante, l'entranement
physique intensif des enfants, ce qui a donn naissance aux sports et l'athltisme tels qu'ils sont
pratiqus par la "Jeunesse Sportive de l'Ashram" dont ce Bulletin est l'expression. Certains ont
demand quelle pouvait tre la place des sports dans un Ashram destin aux chercheurs spirituels et
quel rapport il pouvait y avoir entre la spiritualit et les sports? La rponse immdiate se trouve
dans ce que je viens de dire des rapports entre une institution de ce genre et les activits de la vie
humaine en gnral, et aussi dans ce que j'ai crit prcdemment sur l'utilit de ce genre
d'entranement pour la vie d'une nation, avec le bnfice que la vie internationale peut en tirer.
L'autre rponse s'impose nous si nous regardons par-del les buts immdiats et envisageons
l'aspiration une perfection totale, qui comprend la perfection du corps.
Si nous admettons des activits comme les sports et exercices physiques dans la vie de l'Ashram, il
est vident que les mthodes et les buts immdiats atteindre doivent relever de ce que nous avons
appel le bout infrieur de l'tre. l'origine, ils ont t instaurs pour l'ducation physique et le
dveloppement corporel des enfants de l'cole de l'Ashram; or, ceux-ci sont trop jeunes pour qu'un
but ou des pratiques purement spirituelles puissent faire partie de leurs activits; d'ailleurs, il n'est
pas certain qu'un grand nombre d'entre eux adoptent la vie spirituelle quand ils seront d'ge
choisir leur avenir. Le but est donc d'entraner le corps et de dvelopper certaines parties du
mental et du caractre autant qu'il se peut par ce genre d'entranement et cette occasion; dj j'ai
indiqu la dernire fois comment et dans quel sens cela pouvait se faire. Dans ces limites, c'est une
perfection humaine, relative, que l'on peut obtenir; une perfection plus haute ne peut se raliser que
par l'intervention de pouvoirs suprieurs : les pouvoirs psychiques, le pouvoir de l'esprit.
Cependant, mme dans le cadre de ces frontires humaines, ce que l'on peut obtenir est dj trs
considrable, parfois immense : ce que nous appelons le "gnie" fait partie du dveloppement des
rgions humaines de notre tre, et ses ralisations, surtout dans le domaine de la pense et de la
volont, peuvent nous conduire mi-chemin du divin. Tout ce que le mental et la volont peuvent
tirer du corps dans le domaine du corps proprement dit et de sa vie, tels les exploits physiques,
l'endurance corporelle, les prouesses de toutes sortes, les activits prolonges sans cder la fatigue
ni l'accablement et qui peuvent se poursuivre au-del de ce qui semblait tout d'abord possible, le
courage et le refus de succomber malgr une souffrance physique continuelle et meurtrire, toutes
ces victoires, et bien d'autres encore qui tiennent du miracle et parfois y atteignent, font partie du
domaine humain et doivent tre incluses dans notre conception d'une perfection totale. Le corps de
5
l'homme, autant que son mental et son nergie vitale, est capable de rpondre sans flchir et avec
tnacit tout ce que l'on peut exiger de lui dans les circonstances les plus difficiles et les plus
prouvantes, telles les ncessits de la guerre, les voyages, l'aventure; son endurance peut tre
pousse un degr surprenant - mme l'inconscient dans le corps semble tre capable de rpondre
d'une faon tonnante.
Le corps est une cration de l'Inconscient, nous l'avons dit, et il est lui-mme inconscient, ou en tout
cas sub-conscient en certaines de ses parties et dans la plupart de ses fonctionnements cachs, mais
ce que nous appelons l' "Inconscient" est une apparence, c'est la demeure ou l'instrument d'une
Conscience secrte ou d'un Supraconscient qui a cr ce miracle que nous appelons l'univers. La
Matire est le champ d'action et la cration de l'Inconscient, mais la perfection des oprations de
cette Matire inconsciente, leur adaptation parfaite des moyens un dessein et une fin, les
merveilles qu'elles accomplissent et les splendeurs de beaut qu'elles crent, tmoignent, en dpit de
tous les dmentis ignorants que nous pouvons opposer, de la prsence et du pouvoir de conscience
d'une Supraconscience en chaque partie et chaque mouvement de l'univers matriel. Elle est l,
dans le corps, c'est elle qui l'a bti, et son mergence dans notre conscience est le but secret de
l'volution et la clef du mystre de notre existence.
Les sports et exercices physiques destins l'ducation individuelle des enfants et de la premire
jeunesse devraient avoir pour but d'amener la surface leurs possibilits prsentes et latentes et de
porter ces possibilits leur degr le plus complet, mais les moyens et les mthodes que nous devons
utiliser sont limits par la nature mme du corps, et leur objectif doit tre la perfection humaine
relative des pouvoirs et des facults du corps, y compris les pouvoirs mentaux de volont, de
caractre et d'action dont le corps est la fois la demeure et l'instrument, dans toute la mesure o
ces mthodes peuvent aider leur dveloppement. J'ai suffisamment parl de l'aspect de perfection
mentale et morale que ces exercices peuvent contribuer crer et je n'ai point besoin d'y revenir
ici. En ce qui concerne le corps proprement parler, les perfections que l'on peut former par ces
moyens visent d'abord ses qualits et capacits naturelles, ensuite son aptitude gnrale servir
d'instrument toutes les oprations que peuvent exiger de lui le mental, la volont, l'nergie vitale
ou les perceptions, impulsions et instincts dynamiques de notre tre physique subtil (1), lequel est un
lment ou un agent trs important de notre nature, bien que non reconnu. La sant et la force sont
les premires conditions de la perfection naturelle du corps; non seulement la force musculaire, la
solidit des membres et la trempe physique, mais la force plus fine, plus veille, plastique,
adaptable, que les parties nerveuses et le physique subtil peuvent apporter aux activits de
l'organisme. Il existe galement une force plus dynamique encore que l'on peut introduire dans le
corps en faisant appel aux nergies vitales et qui peut l'instiguer des activits plus larges, mme
des hauts faits d'un caractre trs extraordinaire dont il serait incapable son tat normal. Enfin, il
existe l'nergie que le mental et la volont peuvent communiquer au corps ou lui imposer en matres
ou inspirateurs par leurs exigences ou leurs stimulations et par leurs pouvoirs secrets que nous
utilisons (ou qui nous utilisent) sans trs bien connatre la source de leur action. Parmi les qualits
et les pouvoirs naturels du corps qu'il est ainsi possible d'veiller, de stimuler et d'entraner une
6
action normale, nous pouvons compter l'adresse et la stabilit dans les activits physiques de toutes
sortes, telles la rapidit la course, la dextrit dans le combat, l'habilet et l'endurance du
montagnard, la fermet des rflexes souvent extraordinaire avec laquelle rpondent le corps du
soldat, du marin, du voyageur, de l'explorateur, tout ce que l'on peut exiger d'eux, comme je l'ai
dj signal, ou dans les aventures de toutes sortes, puis la vaste gamme des ralisations physiques
laquelle l'homme s'est habitu ou est exceptionnellement pouss par sa propre volont ou sous la
contrainte des circonstances. Une aptitude gnrale du corps excuter tout ce que l'on peut
demander de lui, telle est la formule commune de tous ces accomplissements; cette aptitude acquise
par quelques-uns et mme un grand nombre, pourrait tre gnralise par une ducation et une
discipline physiques largies et diversifies. Certaines de ces activits peuvent tre incluses parmi
les sports; pour d'autres, les sports et exercices physiques servent de prparation efficace. Certaines
exigent un entranement une action commune, un mouvement concert, une discipline, et les
exercices physiques que nous pratiquons ici peuvent nous y prparer; d'autres demandent plutt
une volont individuelle dveloppe, une habilet mentale, des perceptions rapides, une puissance
dans l'nergie vitale et dans les impulsions du physique subtil, et elles peuvent mme tre l'unique
ducateur ncessaire. Tout doit tre inclus dans notre conception des pouvoirs naturels du corps, de
ses facults, de son aptitude servir d'instrument la pense et la volont humaine, et donc tre
inclus dans notre conception de la perfection totale du corps.
Cette perfection repose sur deux conditions : un veil aussi total que possible de la conscience
corporelle, et une ducation, ou plutt une vocation de ses potentialits, galement aussi totale et
complte que possible et, si l'on peut, aussi diversifie que possible. Cette forme qu'est le corps est
sans doute originellement une cration de l'Inconscient - et elle est limite par lui de tous les cts -,
mais c'est un Inconscient qui fait surgir la conscience secrte cache en lui et qui crot en lumire de
connaissance, en pouvoir et en nanda (2). Nous devons le prendre au point o il en est arriv dans
l'volution humaine de la connaissance, du pouvoir et de l'nanda, et faire un usage aussi complet
que possible de ses acquisitions, puis, autant que nous le pouvons, nous devons pousser cette
volution au degr le plus haut que la force de notre nature et de notre temprament individuels
puisse le permettre. Au sein de toutes les formes de ce monde, une force agit; dans ses formations
infrieures, elle agit inconsciemment ou elle est touffe par l'inertie, mais, dans l'tre humain, elle
est immdiatement consciente et ses potentialits sont en partie veilles, en partie assoupies ou
latentes - ce qui est veill, nous devons le rendre pleinement conscient; ce qui est assoupi, nous
devons le tirer du sommeil et le mettre en action; ce qui est latent nous devons l'voquer et
l'duquer. Pour cela, deux aspects de la conscience corporelle doivent tre envisags : l'un semble
une sorte d'automatisme qui continue son travail sur le plan physique sans la moindre intervention
du mental, et mme, certains niveaux, en dehors de toute possibilit d'observation directe du
mental, ou, si cet automatisme est conscient et observable, il se poursuit - ou peut se poursuivre une
fois qu'il est mis en mouvement par une action apparemment mcanique qui n'a nul besoin de la
direction mentale et continue aussi longtemps que le mental n'intervient pas. Certains autres
mouvements sont enseigns et forms par le mental, mais peuvent continuer oprer
7
automatiquement, sans erreur, mme lorsque la pense ou la volont n'interviennent pas. D'autres
mouvements encore peuvent oprer dans le sommeil et produire des rsultats prcieux pour la
conscience de veille. Mais le plus important est ce que nous pourrions appeler un automatisme
duqu, acquis : une habilet et une aptitude perfectionnes de l'il, de l'oreille, des mains et des
membres rpondant vite tout appel, une spontanit acquise dans le fonctionnement de
l'instrument, une aptitude complte excuter tout ce que le mental ou l'nergie vitale peuvent
exiger. Tel est gnralement le sommet de ce que nous pouvons atteindre par le bout infrieur de
notre tre quand nous partons de ce niveau et nous nous limitons ses moyens et ses mthodes.
Pour obtenir davantage, il faut faire appel au mental et l'nergie vitale proprement parler ou
l'nergie de l'esprit, et dcouvrir ce qu'ils peuvent faire pour une perfection suprieure du corps.
Tout ce que nous pouvons accomplir sur le plan physique et par les moyens physiques est
ncessairement fragile et circonscrit certaines limites; mme une sant et une force physique
apparemment parfaites sont prcaires et peuvent s'effondrer n'importe quel moment sous les
fluctuations intrieures ou sous une forte attaque, un choc extrieur. C'est seulement en brisant nos
limites que nous pouvons parvenir une perfection plus haute et plus durable.
Il est un point sur lequel notre conscience doit grandir : de plus en plus, nous devons soumettre le
corps et ses pouvoirs l'influence du dedans ou d'en haut; il doit apprendre rpondre plus
consciemment aux parties suprieures de notre tre. Le mental est l'homme par excellence;
l'homme est un tre mental, et, plus il correspond la description de l'Oupanishad - un tre mental
ou Pourousha qui est le conducteur de la vie et du corps -, plus sa perfection humaine grandit. Si le
mental peut prendre en main et matriser les instincts et les automatismes de l'nergie vitale, de la
conscience physique subtile et du corps, s'il peut s'y immiscer, les utiliser consciemment et,
pourrions-nous dire, mentaliser compltement leur fonctionnement instinctif ou spontan, la
perfection de ces nergies, leur fonctionnement aussi, devient tout de suite plus veill, plus
conscient et plus parfait. Mais il est ncessaire que le mental lui-mme grandisse en perfection; or, il
n'y russit vraiment que quand il est moins dpendant de l'intellect faillible du mental physique,
quand il n'est plus limit, ft-ce par le jeu ordonn et prcis de la raison, et qu'il peut crotre en
intuition, acqurir une vision plus large, plus profonde, plus directe, et obir la pousse plus
lumineuse de l'nergie d'une volont suprieure, intuitive. Dj, dans les limites de son volution
actuelle, il est difficile de dfinir le degr auquel le mental peut pousser sa matrise ou son
utilisation des pouvoirs et des capacits du corps, mais quand il s'lve des pouvoirs plus hauts
encore et repousse ses frontires humaines, il devient impossible de fixer aucune limite; dans
certains cas mme, il semble possible de faire intervenir la volont dans le fonctionnement
automatique des organes du corps. Partout o les limites reculent - et plus elles reculent -, plus le
corps devient plastique, rceptif, et, dans cette mesure, un instrument plus parfait et mieux adapt
aux oprations de l'esprit. Chaque fois qu'une activit veut tre efficace et avoir un pouvoir
d'expression ici-bas dans le monde matriel, la collaboration des deux bouts de notre tre est
indispensable. Si, par fatigue ou incapacit naturelle, ou pour quelque autre raison, le corps est
inapte seconder la pense ou la volont, ou si, d'une faon quelconque, il ne rpond pas ou rpond
8
insuffisamment, l'action choue proportionnellement ou reste infrieure ou se rvle plus ou moins
dfectueuse et incomplte. Dans le flot de l'inspiration potique, par exemple, qui semble tre un
exploit purement mental de l'esprit, la vibration de rponse du cerveau est indispensable et celui-ci
doit s'ouvrir tel un canal pour que le pouvoir de pense et de vision et la lumire du verbe puissent
percer ou frayer leur chemin et trouver une expression parfaite. Si le cerveau est fatigu ou
engourdi par un encombrement quelconque, l'inspiration ne peut pas venir et il n'y a pas de
cration, ou l'inspiration fait dfaut et tout ce qui peut sortir est mdiocre; ou bien une inspiration
infrieure prend la place de l'expression plus lumineuse qui cherchait prendre forme, ou encore le
cerveau trouve plus commode de se prter quelque stimulant moins brillant, moins qu'il ne
s'efforce laborieusement de confectionner un artifice potique. Mme pour les activits les plus
purement mentales, l'aptitude, la promptitude et le parfait entranement de l'instrument corporel
sont une condition indispensable. Cette promptitude, cette aptitude rpondre font galement
partie d'une perfection totale du corps. Le dessein essentiel de l'volution qui crot ici-bas, son
signe, est l'mergence de la conscience dans un univers apparemment inconscient, puis la croissance
de cette conscience, et, par suite, la croissance de la lumire et du pouvoir de l'tre; le
dveloppement des formes et de leur fonctionnement ou leur aptitude survivre, bien
qu'indispensables, ne sont pas le sens complet ni le mobile central. Un veil de plus en plus puissant
de la conscience et son ascension des niveaux de plus en plus hauts, une vision et une action qui
s'largissent sans cesse, telles sont les conditions de notre progrs vers cette perfection suprme,
totale, qui constitue le but de notre existence. C'est aussi la condition de la perfection totale du
corps. Il se trouve des niveaux du mental qui dpassent tous ceux que nous concevons maintenant;
un jour, nous devons y parvenir et nous lever par-del encore, jusqu'aux sommets d'une existence
plus vaste, une existence spirituelle. mesure que nous montons, nous devons ouvrir les parties
infrieures de notre tre ces niveaux suprieurs et les emplir de ces dynamismes de lumire et de
pouvoir suprieurs et suprmes; nous devons faire du corps une forme et un instrument de plus en
plus conscients, voire totalement conscients - un signe conscient, un sceau et un pouvoir de l'esprit.
Plus le corps grandit en perfection, plus la force et l'tendue de son action dynamique, plus sa
rponse, son service de l'esprit doivent s'accrotre, et simultanment, la matrise du corps par
l'esprit doit grandir de mme que la plasticit, non seulement du fonctionnement de ses pouvoirs
naturels et acquis, mais de ses ractions automatiques, y compris celles qui maintenant sont
purement organiques et semblent tre les mouvements d'une inconscience mcanique. Tout cela, ne
peut pas se faire sans une vritable transformation et, en effet, la transformation du mental, de la vie
et du corps lui-mme est le changement vers lequel notre volution s'achemine secrtement - sans
cette transformation, l'ampleur complte d'une vie divine sur la terre ne saurait merger. Par cette
transformation, le corps lui-mme peut devenir un agent et un collaborateur. Certes, l'esprit
pourrait parvenir une manifestation considrable avec un corps purement passif et
imparfaitement conscient qui lui servirait de dernier moyen de fonctionnement matriel tout en bas,
mais ce ne serait l ni parfait ni complet. Un corps entirement conscient pourrait mme dcouvrir
et faonner la mthode matrielle et le processus exact de la transformation matrielle. Pour cela,
9
nul doute, la lumire et le pouvoir suprmes de l'esprit, sa joie cratrice, doivent s'tre manifests
au sommet de la conscience individuelle et avoir envoy leur fiat jusque dans le corps; nanmoins le
corps lui-mme peut prendre sa part spontane au travail de dcouverte de lui-mme et , la
ralisation. Ainsi, le corps serait le participant, l'agent de sa propre transformation et de la
transformation intgrale de tout l'tre; ceci ferait galement partie de la perfection totale du corps,
c'en serait le signe et la preuve.
Si l'mergence de la conscience, sa croissance est le mobile central de l'volution et la clef de son
dessein secret, cette croissance, de par la nature mme de l'volution, implique ncessairement non
seulement des capacits de conscience de plus en plus tendues, mais une ascension des niveaux
de plus en plus levs, jusqu' ce que le sommet suprme soit atteint. De fait, cette volution part du
niveau le plus bas de l'involution dans cette Inconscience que nous voyons uvrer au sein de la
matire et qui a cr l'univers matriel; elle chemine dans une Ignorance qui, pourtant, fait surgir
de plus en plus la connaissance et s'lve une lumire toujours plus grande, une organisation,
une volont toujours plus efficaces, une harmonisation de tous ses pouvoirs inhrents mesure qu'ils
mergent. Finalement, elle doit parvenir un point o elle rvle ou acquiert la plnitude complte
de ses capacits, et, ncessairement, ce ne doit plus tre un tat, un fonctionnement, o l'ignorance
est en qute de la connaissance, mais o la Connaissance est en possession d'elle-mme, inhrente
l'tre, matresse de ses propres vrits et ralisant celles-ci avec une vision et une force naturelles
qui ne sont plus affliges par les limitations et les erreurs. Ou, s'il existe une limitation, ce doit tre
ncessairement un voile volontaire que la Connaissance s'impose elle-mme et derrire lequel elle
garde la vrit afin de la manifester dans le temps, mais avec le pouvoir de la tirer volont et sans
le moindre besoin de chercher ni d'acqurir, dans l'ordre voulu par une perception juste des choses
et suivant la gradation juste de ce qui doit se manifester conformment l'appel des temps. Ceci
voudrait dire que l'on s'approche ou que l'on entre dans ce que l'on pourrait appeler une
"Conscience-de-Vrit" indpendante dans laquelle l'tre serait conscient de ses propres ralits et
aurait le pouvoir naturel de les manifester dans une cration temporelle o tout serait la Vrit
marchant sur ses propres traces infaillibles et combinant ses propres harmonies - chaque pense,
chaque volont, chaque sentiment, chaque acte serait spontanment juste, inspir, intuitif, m par la
lumire de la Vrit, et, par consquent, parfait. Tout serait l'expression des ralits naturelles de
l'esprit - le pouvoir de l'esprit serait prsent avec une certaine plnitude. Nous aurions dpass les
limitations actuelles du mental : le mental serait une vision de la lumire de Vrit; la volont, une
force et un pouvoir de la Vrit; la vie, un accomplissement progressif de la Vrit; le corps
lui-mme, un rceptacle conscient de la Vrit et un moyen de ralisation de l'esprit, une forme de
son existence consciente. Il faudrait pour le moins qu'un dbut de cette Conscience-de-Vrit, une
premire forme ou un premier fonctionnement de cette conscience s'instaure et entre dans une
premire phase opratoire si nous voulons parvenir une vie divine ou quelque manifestation
complte de la conscience spiritualise dans le monde de la matire. Ou, au minimum, il faudrait
que cette Conscience-de-Vrit soit en communication avec notre mental, avec notre vie, notre
corps, qu'elle descende et les touche, qu'elle dirige leur vision et leur action, inspire leurs mobiles,
10
se saisisse de leurs forces et modle leur direction et leurs desseins. Il est possible que tous ceux qui
seraient touchs par cette Conscience ne soient pas capables de l'incarner compltement, mais
chacun devrait pouvoir lui donner une forme ou une autre suivant son temprament spirituel, ses
capacits intrieures et la ligne particulire de son volution dans la Nature : chacun atteindrait
avec sret la perfection dont il est immdiatement capable et serait en route pour la possession
complte de la vrit de l'Esprit et de, la vrit de la Nature.
Le fonctionnement de cette Conscience-de-Vrit comporterait un certain automatisme conscient
qui voit et qui veut chaque pas de sa vrit, au lieu de l'automatisme infaillible de la Force
inconsciente, ou soi-disant inconsciente, qui a fait surgir d'un Vide apparent le miracle de cet
univers organis; ainsi se crerait au sein de la manifestation de l'tre un ordre nouveau o une
parfaite perfection deviendrait possible - une suprme et totale perfection apparatrait mme
l'horizon des possibilits ultimes. Si seulement nous pouvions tirer ce pouvoir dans le monde
matriel, nos rves millnaires de perfectibilit humaine, de perfection individuelle, de
perfectionnement de l'espce et de la socit, de matrise intrieure de soi-mme et de domination
complte des forces de la Nature avec leur manipulation et leur utilisation parfaites, pourraient
enfin avoir une chance de ralisation totale. Ce total accomplissement humain chapperait
probablement toutes les limitations et finirait par prendre la forme d'une vie divine. Aprs avoir
intgr et manifest le pouvoir de la vie, puis la lumire du mental, la matire ferait descendre en
elle la lumire et le pouvoir suprieurs et suprmes de l'esprit, et, dans un corps terrestre dpouill
de ses lments inconscients, deviendrait une matrice de l'esprit parfaitement consciente. Une sant
et une robustesse stables, compltes, sres, seraient garanties en cette demeure physique par la
volont et par le pouvoir de son habitant spirituel; toutes les capacits naturelles de la forme
physique, tous les pouvoirs de la conscience physique parviendraient leur ampleur suprme et
seraient disponibles volont, assurs de leur action sans dfaut. Cet instrument qu'est le corps
acquerrait une capacit parfaite, une aptitude intgrale tous les usages que l'hte intrieur
pourrait en exiger, infiniment au-del de tout ce qu'on peut en obtenir maintenant. Il pourrait
mme devenir un vaisseau rvlateur de la beaut et de la batitude suprmes, rpandre la beaut
de la lumire de l'esprit, se teinter de sa couleur et rayonner telle une lampe reflte et diffuse la
luminosit de la flamme qui l'habite, porter la batitude de l'Esprit, la joie du mental qui voit, la
joie de la vie et l'allgresse spirituelle, la joie de la matire dlivre et transforme en une
conscience spirituelle vibrant d'une extase continuelle. Telle serait la perfection totale d'un corps
spiritualis.
Tout cela ne se produira probablement pas d'un seul coup, bien qu'une illumination soudaine serait
possible si un Pouvoir, une Lumire et un nanda divins pouvaient prendre position au sommet de
notre tre et faire descendre leur force dans le mental, dans la vie et dans le corps, illuminant,
remodelant les cellules et veillant la conscience dans tout notre organisme. En tout cas, le chemin
serait ouvert et la perfection de toutes les possibilits de l'individu pourrait progressivement se
raliser. Le monde physique lui-mme aurait sa part dans la perfection du tout.
11
Des horizons s'ouvriraient toujours plus loin mesure que l'Esprit infini entranerait la Nature
volutive vers des hauteurs toujours plus leves, des espaces toujours plus larges dans cette marche
qui emporte l'tre libr la possession de la Ralit suprme, de l'existence suprme, de la
conscience, la batitude suprmes. Mais il serait prmatur de parler de ces choses; ce que nous
venons d'en dire est peut-tre le sommet de ce que la mentalit humaine, telle qu'elle est construite
maintenant, peut s'aventurer envisager, tout ce que la pense claire peut comprendre dans une
certaine mesure. Les consquences d'une descente de la Conscience-de-Vrit prenant possession de
la matire seraient une ample justification du labeur volutif. Cette grande vague ascendante de
l'esprit soulevant tout pourrait simultanment dclencher ou entraner la grande vague descendante
du triomphe d'une Nature spiritualise incluant tout, transmuant tout et oprant le changement
glorieux de la matire et de la conscience physique, du fonctionnement du corps et de la forme du
corps, et nous permettre de dire que nous sommes en prsence non seulement de la perfection totale
mais de la suprme perfection du corps.
(1) chacun des plans de conscience qui s'chelonnent de la matire aux hauteurs suprmes de
l'Esprit correspond un tre en nous ou un "corps" qui nous relie ce plan. Le "physique subtil" est
le degr immdiatement adjacent notre monde physique, et nous avons un corps physique subtil,
sokshma sharra, dont Sri Aurobindo reparlera plus loin, qui correspond ce plan et qui forme une
sorte d' "enveloppe" autour de nous, dote de divers centres en rapport avec les divers degrs de
conscience et d'nergie cosmique et spirituelle. Ce corps subtil est capable de recevoir des nergies
d'une autre nature que l'nergie matrielle, de voyager loin du corps physique, de percevoir des
choses qui chappent aux sens matriels et d'agir distance, directement, sur des personnes ou des
faits apparemment lointains. Tous nos contacts avec le monde extrieur passent par ce corps subtil
qui nous protge en mme temps des contacts indsirables ou des forces de maladie, s'il est en bon
tat. (Note de l'diteur)
(2) nanda : la joie divine.
Le 23 mars 1949
Source: SHRI AUROBINDO, La manifestation supramentale sur la Terre, traduit de l'anglais par
LA MRE, ditions Sri Aurobindo Ashram, Pondichry, 1974, 2e dition, pp. 9-39.
12
SHRI AUROBINDO
LA MANIFESTATION SUPRAMENTALE
SUR LA TERRE
CHAPITRE II :
LE CORPS DIVIN
Une vie divine dans un corps divin, telle est la formule idale que nous envisageons. Mais que sera ce
corps divin? Quelle sera la nature de ce corps, sa structure, le principe de son activit, la perfection
qui le distinguera du physique limit et imparfait o nous sommes maintenant enferms? Quelles
seront les conditions et le fonctionnement de sa vie - qui reste encore physique de par sa base sur la
terre - permettant de reconnatre qu'il est divin?
Si ce corps divin doit tre le fruit d'une volution - et c'est ainsi que nous devons l'entendre - , une
volution qui est partie de notre imperfection et de notre ignorance humaines pour s'lever la
vrit suprieure de l'esprit et de la nature, par quel processus ou quelles tapes ce corps peut-il se
former et apparatre, ou rapidement surgir? Le processus de l'volution terrestre a toujours t
lent, tardif - quel principe doit donc intervenir pour qu'une transformation, un changement
progressif ou soudain puisse se produire?
En fait, c'est par l'effet de notre volution que nous sommes parvenus la possibilit de cette
transformation. De mme que la Nature volutive a dpass la Matire et manifest la Vie, dpass
la Vie et manifest le Mental, de mme elle doit dpasser le Mental et manifester une conscience et
un pouvoir d'existence dlivrs de l'imperfection et des limitations de notre existence mentale : une
conscience supramentale, une conscience-de-vrit capable d'exprimer le pouvoir et la perfection de
l'esprit. Ds lors, la loi ou la mthode de notre volution ne sera plus ncessairement un lent
changement tardif, sauf dans la mesure o l'ignorance mentale s'accroche encore plus ou moins
longtemps et entrave notre ascension, car, ds que nous aurons assez grandi pour entrer en la
conscience-de-vrit, c'est son pouvoir de vrit essentielle, spirituelle, qui dterminera tout. En
cette vrit, nous serons librs : c'est elle qui transformera le mental, la vie, le corps. La lumire, la
batitude, la beaut et la perfection du fonctionnement juste et spontan de tout l'tre, tels sont les
pouvoirs naturels de la conscience-de-vrit supramentale; ils transformeront donc tout
naturellement le mental, la vie et le corps ici mme, sur cette terre, et en feront une manifestation de
l'esprit conscient de la vrit. Les obscurcissements de la terre ne prvaudront pas contre la
conscience-de-vrit supramentale, car, ici mme, sur la terre, elle peut apporter assez de lumire
omnisciente et de force toute-puissante de l'esprit pour conqurir. Il se peut que tout le monde ne
s'ouvre pas la totalit de sa lumire et de son pouvoir, mais tous ceux qui s'ouvriront, et dans cette
mesure, devront subir le changement. Tel sera le principe de la transformation.
Il se pourrait qu'un changement psychologique, une matrise de l'me sur la nature, une
transformation du mental en un principe de lumire, une transformation de la force de vie en un
pur pouvoir, fussent la premire tape, un premier essai de solution du problme afin d'chapper
la formule purement humaine et d'tablir quelque chose que l'on puisse appeler une vie divine sur
13
la terre : une premire bauche de surhumanit ou de vie supramentale dans les conditions de la
Nature terrestre. Mais tout cela n'est pas le changement complet, radical, dont nous avons besoin; ce
ne serait pas la transformation totale, pas la plnitude d'une vie divine dans un corps divin. Le
corps serait encore humain et, en fait, animal de par son origine et ses caractristiques
fondamentales; il imposerait encore aux parties suprieures de l'tre incarn ses limitations
invitables. De mme que les limitations de l'ignorance et de l'erreur sont le dfaut fondamental
d'un mental non transform, que les limitations des impulsions imparfaites du dsir, de ses efforts,
ses tensions, ses besoins, sont le dfaut d'une force de vie non transforme, de mme l'imperfection
du pouvoir d'action physique, les dficiences et les limitations des rponses semi-conscientes du
corps ce que l'on exige de lui, la grossiret et les souillures de son animalit originelle, sont les
dfauts d'un corps non transform ou imparfaitement transform. Ces dfauts doivent
ncessairement entraver et mme dgrader l'action des parties suprieures de notre nature. La
transformation du corps est la condition indispensable d'une transformation totale de la nature.
Il se pourrait aussi que la transformation se produise par tapes. Certains pouvoirs de notre nature
- qui pourtant relvent encore de la rgion mentale - sont des potentialits d'une gnose en voie de
dveloppement : ils s'lvent au-del de notre mentalit humaine, ils participent dj de la lumire
et du pouvoir du Divin, et il semblerait qu'une ascension par ces plans, leur descente dans l'tre
mental, dussent tre la courbe volutive naturelle. Mais pratiquement, il pourrait se rvler que ces
niveaux intermdiaires sont insuffisants pour effectuer la transformation totale, car, tant
eux-mmes des potentialits illumines de l'tre mental, n'tant pas encore supramentaux au sens
complet du terme, ils pourraient simplement faire descendre dans le mental une divinit partielle,
ou seulement soulever le mental vers ces niveaux, mais non effectuer son lvation la complte
supramentalit de la conscience-de-vrit. Nanmoins, ces niveaux pourraient jalonner les tapes de
l'ascension et certains tres pourraient s'lever jusque-l, s'arrter l, tandis que d'autres
grimperaient plus haut et pourraient parvenir aux strates suprieures d'une existence semi-divine et
y vivre. II ne faut pas s'attendre ce que l'humanit tout entire s'lve en bloc jusqu'au
supramental; au dbut, seuls pourraient atteindre aux cimes suprmes ou quelque sommet
intermdiaire de l'ascension ceux qui ont t prpars ce si vaste changement par leur volution
intrieure ou soulevs par le contact direct du Divin et transports en sa lumire, sa batitude et son
pouvoir parfaits. Il se pourrait que la grande masse des tres humains reste encore longtemps
satisfaite d'une nature humaine normale ou simplement partiellement illumine et inspire. Mais ce
serait dj l un changement suffisamment radical, un commencement de transformation de la vie
terrestre : le chemin serait ouvert pour tous ceux qui auraient la volont de s'lever; l'influence
supramentale de la conscience-de-vrit toucherait la vie terrestre et influencerait mme sa masse
non transforme - un espoir natrait, et aussi une promesse que tous finalement pourront participer
ce que seul le petit nombre peut maintenant partager ou raliser.
En tout cas, ce ne serait qu'un dbut et cela ne saurait constituer l'intgralit de la vie divine sur la
terre; ce serait un tournant nouveau de la vie terrestre mais non son changement parfait. Pour cela,
le rgne souverain de la conscience-de-vrit supramentale doit s'instaurer et toutes les autres
14
formes de vie doivent se subordonner elle, se rfrer cette conscience comme au principe
directeur et au pouvoir suprme, la considrer comme le but, mettre profit son influence, tre
mues et souleves par son illumination et par sa force clairvoyante. Notamment, de mme que le
corps humain a d natre par une modification de la forme animale prcdente et que la position
verticale de son corps symbolisait un pouvoir de vie nouveau, que ses mouvements et ses activits
taient faits pour exprimer la vie d'un tre mental et servir le principe mental, de mme un corps
nouveau doit se former avec de nouveaux pouvoirs, des activits ou des degrs d'action divine
nouveaux qui seront faits pour exprimer un tre conscient de la vrit, servir une conscience
supramentale et manifester un esprit conscient. Certes, nous devons tre capables d'embrasser et de
sublimer toutes les activits de la vie terrestre qui sont susceptibles d'tre spiritualises, mais en
mme temps, nous devons transcender l'animalit originelle et les activits incurablement
corrompues par elle, ou du moins leur faire subir une certaine transformation rgnratrice,
spiritualiser ou "psychiser" la conscience et les mobiles qui les animent et nous dpouiller de tout ce
qui n'accepte pas d'tre ainsi transform; mme un changement de ce que l'on pourrait appeler la
structure instrumentale du corps, de son fonctionnement, son organisation, une matrise complte
de l'organisme telle qu'on n'en a encore jamais vue, doivent accompagner ce changement total ou en
dcouler. Dans une certaine mesure, ce genre de matrise existe dj dans la vie de bien des humains
qui ont acquis des pouvoirs spirituels, mais c'est l quelque chose d'exceptionnel, des cas isols, la
manifestation fortuite ou partielle d'une capacit acquise plutt que l'organisation d'une conscience
nouvelle, d'une vie nouvelle, d'une nature nouvelle. Jusqu'o cette transformation physique
peut-elle tre pousse? Quelles sont les limites o elle doit demeurer pour tre compatible avec la
vie sur la terre sans la faire basculer en dehors de la sphre terrestre ou la pousser une existence
supraterrestre? - La conscience supramentale n'est pas une quantit fixe; c'est un pouvoir qui passe
par des niveaux de possibilits de plus en plus hauts, jusqu' ce qu'il parvienne aux sommets
suprmes de l'existence spirituelle qui compltent le supramental en mme temps que le
supramental complte les tendues de la conscience spirituelle qui grimpent jusqu' lui depuis le
niveau humain ou mental. Dans cette progression, le corps peut, lui aussi, parvenir une forme plus
parfaite, dcouvrir une gamme de pouvoirs d'expression suprieure, devenir un rceptacle de plus
en plus parfait de la divinit.
***
Dans le pass, pareille destine du corps fut rarement envisage, du moins pour un corps ici-bas, sur
la terre; on imaginerait plutt ou verrait des formes de ce genre comme le privilge d'tres clestes,
mais elles sembleraient impossibles comme une demeure physique pour une me encore lie la
nature terrestre. Les vashnava (1) ont parl d'un corps spiritualis conscient, chinmaya dha (2);
on trouve aussi la, conception d'un corps radieux ou lumineux qui serait peut-tre le jytirmaya
dha vdique. Certains ont vu une lumire irradier le corps de personnes hautement dveloppes
spirituellement, ceci pouvant aller jusqu' l'manation d'une aura enveloppante; on relate un dbut
de phnomne de ce genre dans la vie d'une personnalit spirituelle aussi grande que celle de
Rmakrishna. Mais ces phnomnes sont rares, fortuits, ou bien ils n'ont exist qu'en concept, et la
15
plupart du temps on ne considrait pas que le corps et des possibilits spirituelles ni ft capable de
transformation. Il a bien t dit que le corps tait le moyen de raliser le dharma (3) - et le dharma
inclut tous les desseins levs, les accomplissements ou idaux de la vie, sans en exclure le
changement spirituel -, mais c'tait un instrument que l'on devait laisser tomber une fois le travail
termin; certes, il peut et il doit y avoir une ralisation spirituelle pendant que nous sommes encore
dans un corps, mais elle ne peut parvenir sa pleine fructification qu'aprs l'abandon de cette
forme physique. D'une faon gnrale, la tradition spirituelle considrait le corps comme un
obstacle, comme une substance incapable de spiritualisation ou de transmutation, un poids lourd qui
attachait l'me la nature terrestre et empchait, soit son ascension vers l'accomplissement
spirituel en le Suprme, soit la dissolution de son tre individuel en le Suprme. Mais si cette
conception du rle du corps dans notre destine convient assez bien une sdhan (4) qui considre
la terre simplement comme un lieu d'ignorance et la vie sur terre comme une prparation une
sortie salvatrice hors de la vie - qui serait la condition indispensable de la libration spirituelle -,
elle est insuffisante pour une sdhan qui conoit une vie divine sur la terre et qui estime que la
libration mme de la nature terrestre fait partie du dessein total de l'incarnation de l'esprit ici-bas.
Si une transformation totale de l'tre est notre but, la transformation du corps doit
indispensablement en faire partie. Sans elle, aucune vie divine intgrale n'est possible sur la terre.
L'volution passe du corps, et surtout sa nature animale, son histoire animale, semblent tre
l'obstacle cet accomplissement. Le corps, nous l'avons vu, est le fruit ou la cration de
l'Inconscient, lui-mme inconscient ou seulement semi-conscient; il a dbut comme une forme de la
matire inconsciente, a donn naissance la vie et, d'objet matriel, est devenu une pousse vivante,
a faonn le mental et, de la subconscience de la plante et de la premire mentalit rudimentaire ou
de l'intelligence incomplte de l'animal, a faonn la mentalit intellectuelle et l'intelligence plus
complte de l'homme; et maintenant il sert de base physique, de logement et d'instrument toute
notre entreprise spirituelle. Son caractre animal et ses limitations grossires sont certainement un
obstacle notre perfection spirituelle, mais le fait qu'il ait faonn une me et qu'il soit capable de
lui servir d'instrument peut indiquer aussi qu'il est capable d'un dveloppement ultrieur et qu'il
peut devenir un sanctuaire, une expression de l'esprit, rvler la spiritualit secrte de la matire,
devenir conscient entirement au lieu de l'tre moiti et parvenir une certaine unit avec
l'esprit. Ce progrs-l, au moins, il doit le faire; jusqu' ce point, au moins, il doit transcender sa
nature terrestre originelle, s'il veut devenir l'instrument complet de la vie divine au lieu d'tre un
obstacle.
***
Nanmoins, les inconvnients du corps animal, de sa nature animale, de ses impulsions animales, et
les limitations du corps humain, mme le meilleur, sont prsentes au dbut et persistent aussi
longtemps que n'intervient pas la libration complte et fondamentale; or, son inconscience ou sa
semi-conscience, son empire sur l'me, sur le mental et sur la force de vie qu'il enchane la
matire, enchane aux matrialits de toutes sortes et aux appels de la nature terrestre non
rgnre s'opposent constamment l'appel de l'Esprit et circonscrivent l'ascension aux degrs plus
16
hauts. Il apporte l'tre physique l'esclavage des instruments matriels - du cerveau, du coeur, des
sens - et leur obscur mariage la matire et toutes sortes de matrialismes, l'esclavage du
mcanisme corporel et de ses besoins obligatoires, l'esclavage de la ncessit imprieuse de la
nourriture et la proccupation d'avoir les moyens de se la procurer et de l'amasser - l'un des soucis
obsdants de la vie -, l'esclavage de la fatigue, du sommeil, de la satisfaction des dsirs corporels. De
mme, la force de vie dans l'homme est enchane ces petitesses; elle est contrainte de restreindre
le champ de ses ambitions et de ses ardeurs plus larges, de refrner l'lan qui la pousse dpasser
l'attraction de la terre et suivre les intuitions plus clestes de ses facults psychiques, l'idal de son
coeur et les aspirations de son me. Au mental, le corps impose les frontires de l'tre physique, de
la vie physique, et le sentiment que seules les choses physiques ont une ralit complte tandis que le
reste est simplement une sorte de feu d'artifice brillant de l'imagination, un jeu de lumires et de
gloires qui ne peuvent avoir d'existence complte que dans les cieux de l'au-del et sur des plans
d'existence suprieurs, mais certes pas ici-bas; il jette sur les ides et les aspirations le poids du
doute, sur le tmoignage des sens subtils et de l'intuition, l'incertitude, sur l'immense tendue de la
conscience et de l'exprience supra-physiques, l'accusation d'irralit, et il accroche ses racines
terrestres la pousse de l'esprit qui voudrait sortir des limites de son humanit originelle pour
entrer en la vrit supramentale, en la nature divine. Ces obstacles peuvent tre surmonts; les
dmentis et les rsistances du corps peuvent tre vaincus, sa transformation est possible. Mme la
partie animale et inconsciente en nous peut tre illumine et devenir capable de manifester la
nature des dieux, tout autant que notre humanit mentale peut devenir capable de manifester la
surhumanit de la conscience-de-vrit supramentale et la divinit de ce qui, maintenant, pour nous,
est supraconscient - la transformation totale peut devenir une ralit ici-bas. Mais, pour cela, les
obligations et les contraintes de son animalit doivent cesser d'tre obligatoires; une purification de
sa matrialit doit s'effectuer afin que cette matrialit mme puisse se muer en la solidit
matrielle de la manifestation de la nature divine. Car rien d'essentiel ne doit tre exclu de la
totalit du changement terrestre; la matire mme peut devenir un instrument de rvlation de la
ralit spirituelle, du Divin.
La difficult est double : psychologique et corporelle. La premire tient l'animalit non rgnre
et l'influence animale sur la vie, surtout par l'insistance des instincts, des impulsions et dsirs
grossiers du corps; la deuxime est l'effet de notre structure corporelle et de nos instruments
organiques qui imposent leurs restrictions au dynamisme de la nature divine suprieure. La
difficult psychologique est plus facile traiter et vaincre, car, ici, la volont peut intervenir et
imposer, au corps le pouvoir de la nature suprieure. Certains instincts et impulsions du corps se
rvlent particulirement nocifs pour l'aspirant spirituel et viennent peser considrablement en
faveur d'un rejet asctique du corps. Le sexe et l'impulsion sexuelle, et tout ce qui relve du sexe ou
tmoigne de son existence, devaient tre bannis et rejets de la vie spirituelle - ce n'est pas du tout
impossible, bien que ce soit difficile, et l'on peut en faire une condition essentielle pour le chercheur
spirituel. Cette condition est naturelle et invitable pour toute pratique asctique, et, bien qu'au
dbut il ne soit pas facile d'y satisfaire, elle se rvle tout fait praticable au bout d'un certain
17
temps. La conqute de l'instinct et du dsir sexuels est certainement imprative pour tous ceux qui
veulent arriver la matrise de soi et mener une vie spirituelle. Il est essentiel pour tout chercheur
spirituel de les matriser totalement et, pour les asctes complets, de les extirper. Ce principe doit
tre admis et l'on ne saurait minimiser son importance obligatoire.
Mais, mis part l'assouvissement physique grossier de l'impulsion sexuelle, nous ne saurions
exclure ni refuser compltement de reconnatre le principe sexuel dans une vie divine sur la terre; il
est l, dans la vie, il joue un rle considrable et doit tre pris en considration; on ne peut pas
simplement faire semblant de ne pas le voir, le supprimer tout bonnement ni l'touffer, le chasser de
nos yeux. Et tout d'abord, sous certains de ses aspects, c'est un principe cosmique et mme divin :
sous sa forme spirituelle, c'est l'shwara et la Shakti sans lesquels il ne peut pas y avoir de cration
cosmique ou de manifestation du principe cosmique de Pourousha et de Prakriti (5), tous deux
ncessaires la cration, - ncessaires aussi, par leur association et leurs rapports, au jeu du
fonctionnement psychologique de l'univers, et, par leur manifestation en tant qu'me et Nature,
essentiels au droulement total de la ll (6). Dans la vie divine elle-mme, une incarnation de ces
deux pouvoirs, ou du moins leur prsence sous une forme ou une autre, ou leur influence
inspiratrice travers leurs incarnations ou leurs reprsentants, serait indispensable pour rendre
possible la cration nouvelle. Dans son jeu humain, au niveau mental et vital, le sexe n'est pas un
principe foncirement non divin; il a ses aspects nobles et son idalisme; reste voir de quelle
manire et dans quelle mesure ces lments peuvent tre admis dans la vie nouvelle plus large. Tout
assouvissement animal grossier de l'impulsion et du dsir sexuels devra tre limin; cela ne peut
continuer que chez ceux qui ne sont pas prts la vie suprieure ou pas encore prts une existence
spirituelle complte. Chez tous ceux qui aspirent la vie suprieure, sans toutefois tre encore
capables de l'adopter totalement, le sexe devra tre raffin, se soumettre l'influence psychique ou
spirituelle, la direction du mental et du vital suprieurs, se dpouiller de toutes ses formes lgres,
frivoles ou dgrades et sentir l'appel de la puret de l'idal. L'amour demeurera, de mme que
toutes les formes de la pure vrit de l'amour des degrs de plus en plus hauts, jusqu' ce qu'il
touche sa nature suprme, s'largisse en un amour universel et fusionne en l'amour du Divin.
L'amour de l'homme et de la femme devra subir aussi cette sublimation, parvenir ce sommet, car
tout ce qui est capable de sentir l'appel de l'idal et de l'esprit doit pouvoir suivre le chemin de
l'ascension, jusqu' ce que soit atteinte la divine Ralit. Le corps et ses activits doivent tre
accepts et faire partie de la vie divine, passer sous la loi, mais, comme il en fut des autres
transitions volutives, ce qui ne peut pas accepter la loi de la vie divine ne doit pas tre accept et
devra quitter notre nature en ascension.
Une autre difficult laquelle doit faire face la transformation du corps est qu'il dpend de la
nourriture pour son existence mme; ici aussi, nous sommes en prsence des instincts, impulsions et
dsirs physiques grossiers qui accompagnent ce facteur difficile : les gots irrsistibles du palais,
l'avidit pour la nourriture et la gloutonnerie animale du ventre, l'alourdissement du mental quand
il se vautre dans la boue des sens et obit la servitude des parties purement animales pour
embrasser l'esclavage de la matire. L'homme suprieur en nous cherche refuge dans la modration
18
et la temprance, dans la frugalit, l'abstinence, moins qu'il ne ddaigne le corps et ses besoins, et
s'absorbe dans les poursuites suprieures. Souvent, l'instar des asctes jan, les chercheurs
spirituels se rfugient en des jenes prolongs et frquents qui les tirent des griffes du corps et de ses
exigences, du moins temporairement, et les aident sentir en eux-mmes la pure vacuit des grands
espaces de l'esprit. Mais tout cela n'est pas la libration - et l'on peut se demander si, non seulement
ses dbuts mais toujours, la vie divine aussi ne devra pas tre soumise ces ncessits. Pourtant,
elle pourrait s'en dlivrer compltement si elle dcouvrait le moyen de puiser l'nergie universelle
afin de soutenir non seulement les parties vitales de notre organisme mais aussi la matire qui le
constitue, sans avoir besoin de recourir une substance extrieure, matrielle, pour se nourrir.
Certes, il est possible, tout en jenant pendant de trs longues priodes, de garder toutes les
nergies et de continuer les activits de l'me, du mental, de la vie, et mme du corps; de rester
veill et concentr tout le temps dans le yoga, ou de rflchir profondment et d'crire jour et nuit;
de se passer de sommeil, de marcher huit heures par jour, et de poursuivre toutes ces activits en
mme temps ou sparment sans prouver la moindre perte de force, fatigue, dfaillance ni
diminution. Il est mme possible, la fin du jene, de reprendre immdiatement la quantit normale
de nourriture, ou mme davantage, sans aucune des transitions ou prcautions prescrites par la
science mdicale, comme si le jene complet ou le festin complet (alternant de l'un l'autre par une
transition immdiate et facile) taient les conditions naturelles d'un corps dj entran tre
l'instrument des pouvoirs et des activits du yoga par une sorte de transformation prliminaire.
Mais il est une difficult laquelle nous n'chappons pas : c'est l'usure des tissus matriels du corps,
de sa chair, de sa substance. On peut concevoir, cependant, que si l'on pouvait trouver un moyen
pratique, ce dernier obstacle apparemment invincible pourrait, lui aussi, tre surmont et que le
corps pourrait se nourrir par un change de forces avec les forces de la Nature matrielle, le corps
donnant la Nature ce qu'elle rclame de l'individu et prenant d'elle directement les nergies
sustentatrices au sein de l'existence universelle. Il est concevable que l'on puisse redcouvrir et
rtablir au sommet de l'volution de la vie le phnomne que l'on observe sa base : le pouvoir de la
vie de puiser tout autour les moyens de se sustenter et de se renouveler. Ou bien, l'tre volu
pourrait acqurir un pouvoir plus grand encore et tirer ses forces d'en haut au lieu de les tirer d'en
bas ou de les puiser a et l dans le milieu ambiant ou en dessous. Mais tant qu'un pouvoir de ce
genre ne sera pas acquis ou rendu possible, nous devrons revenir la nourriture et aux forces
tablies par la Nature matrielle.
En fait, bien qu'inconsciemment, nous puisons constamment l'nergie universelle ou la force de
la matire pour rapprovisionner notre existence matrielle et les nergies mentales, vitales ou
autres du corps : nous le faisons directement par d'invisibles processus d'changes que la Nature
fait jouer constamment et par les moyens spciaux qu'elle a invents - la respiration est l'un deux, le
sommeil aussi et le repos. Mais le moyen de base choisi par la Nature pour entretenir le corps
physique grossier et renouveler son fonctionnement et ses forces internes est l'absorption de la
matire extrieure sous forme de nourriture, la digestion, l'assimilation de ce qui est assimilable et
l'limination de ce qui ne peut pas ou ne doit pas tre assimil. Ceci en soi suffirait simplement
19
subsister, mais pour assurer la sant et la vigueur du corps entretenu par ces moyens, elle y a ajout
la tendance inne aux exercices physiques, aux jeux de toutes sortes - qui sont d'autres moyens de
dpenser et de renouveler les nergies - et le choix ou la ncessit d'agir et de travailler de diverses
manires. Dans la vie nouvelle, du moins ses dbuts, il ne serait pas ncessaire, ni recommandable,
de vouloir rejeter compltement et prcipitamment le besoin de nourriture ou la mthode
naturellement tablie pour la conservation d'un corps encore imparfaitement transform. Si ces
moyens doivent tre transcends, ou quand ils devront l'tre, il faudra que la dcision vienne d'un
veil de la volont de l'esprit, et aussi d'une volont dans la matire elle-mme, d'une pousse
volutive imprieuse, d'un acte issu des transmutations cratrices du temps ou d'une descente des
transcendances. En attendant, il se peut fort bien que le puisage l'nergie universelle autour de
nous par un mouvement conscient des pouvoirs suprieurs de notre tre, ou d'en haut par un appel
ce qui, pour nous, est encore une conscience transcendante, ou par une invasion, une descente de
la Transcendance elle-mme, devienne un phnomne occasionnel, frquent, voire constant, et que
l'on puisse mme rduire la nourriture et son besoin un rle secondaire qui ne proccupe plus,
une ncessit mineure et de moins en moins imprieuse. Pour le moment, nous pouvons accepter la
nourriture et les moyens habituels de la Nature, mais leur usage doit tre libre d'attachement, de
dsir, d'apptits grossiers et sans discernement, et de rapacit pour les plaisirs de la chair, car telle
est la manire de l'Ignorance; les moyens physiques doivent tre subtiliss, et il faudra sans doute
liminer les plus grossiers, dcouvrir des moyens nouveaux, ou qu'mergent de nouveaux
instruments. Tant que l'on admet la nourriture, y prendre un plaisir raffin est permis, il se peut
mme qu'un nanda du got sans dsir remplace les saveurs physiques et nos prdilections
humaines guides par le got et le dgot, car telle est la faon imparfaite dont nous rpondons
actuellement aux invites de la Nature. Il faut se souvenir que si nous voulons une vie divine sur la
terre, la terre et la matire ne doivent pas et ne peuvent pas tre rejetes; il faut seulement les
sublimer et qu'elles rvlent du fond d'elles-mmes les possibilits de l'esprit, qu'elles servent aux
usages les plus hauts de l'esprit et se transforment en instruments d'une existence plus vaste.
Toujours, c'est l'lan vers la perfection qui doit animer la vie divine; or, la perfection de la joie de la
vie fait partie de la vie divine, mme une partie essentielle, le bonheur du corps dans ce qu'il fait et
la joie de vivre du corps ne sont pas exclus de la vie divine; eux aussi doivent devenir parfaits. Une
large totalit, telle est la nature mme de ce nouveau mode d'existence progressif : une plnitude des
possibilits du mental transmu en substance de lumire, une plnitude de la vie convertie en force
de joie et de pouvoir spirituels, une plnitude du corps transform en instrument de l'action divine
et de la connaissance divine, de la batitude divine. Tout ce qui est capable de se transformer peut
faire partie de la vie divine - tout ce qui peut tre un instrument, un canal, un moyen d'expression
de la totalit de l'Esprit qui se manifeste.
***
La sexualit pose un certain problme pour tous ceux qui veulent rejeter in toto les obligations
qu'impose l'animalit du corps, et ce problme, l'animalit ne manque pas de le soulever obstinment
chaque fois qu'elle veut barrer le chemin de l'aspirant la vie suprieure : c'est la
20
ncessit de la perptuation de l'espce, puisque l'activit sexuelle est le seul moyen que la Nature
ait jusqu' prsent fourni aux tres vivants et qu'il s'impose inluctablement l'espce. En fait, pour
celui qui cherche individuellement la vie divine, il n'est pas ncessaire de se proccuper de ce
problme, ni mme pour un groupe qui ne la recherche pas pour lui seul mais dsire la faire
accepter par l'humanit dans son ensemble, du moins comme un idal. Il y aura toujours la
multitude de ceux qui ne s'intressent pas la vie divine ou qui ne sont pas prts la mettre
intgralement en pratique; ceux-l peuvent prendre soin de la conservation de l'espce. Le nombre
de ceux qui mnent la vie divine peut fort bien rester constant et mme s'accrotre par l'adhsion
volontaire de ceux qui sont touchs par l'aspiration mesure que l'idal se rpand, et, pour cela, il
n'est pas ncessaire de recourir des moyens physiques ni de s'carter de la stricte rgle
d'abstinence sexuelle. Cependant, il peut exister des circonstances o l'on trouverait peut-tre
souhaitable, d'un autre point de vue, de crer volontairement des corps pour certaines mes qui
cherchent entrer dans la vie terrestre afin d'aider la cration et l'expansion de la vie divine sur
la terre. Dans ce cas, la ncessit d'une procration physique cette fin ne pourrait tre vite que
si l'on dcouvrait et disposait de moyens nouveaux d'ordre supraphysique. Ce genre de phnomne
relve videmment d'un domaine que l'on considre maintenant comme "occulte" et il implique
l'usage de pouvoirs d'action ou de cration cachs qui ne sont ni connus ni la disposition du mental
ordinaire de l'espce. En fait, l'occultisme est un usage des pouvoirs suprieurs de notre nature, de
notre me, de notre mental, de notre force de vie et des facults de la conscience physique subtile
qui, par la pression de leur loi secrte et de leurs potentialits, peuvent produire certaines
manifestations ou rsultats sur leur propre plan ou sur le plan matriel, dans le mental, dans la vie,
dans le corps humain ou terrestre, ou parmi les objets et les vnements du monde de la matire.
Dj, certains penseurs rputs considrent que la dcouverte ou l'extension de ces pouvoirs peu
connus ou encore embryonnaires doit constituer la prochaine tape de l'humanit dans son
volution immdiate; une procration du genre dont nous parlons ne figure pas encore parmi leurs
prvisions, mais on pourrait fort bien l'envisager parmi les possibilits nouvelles. La science
physique elle-mme s'efforce de trouver des moyens physiques pour se dispenser des mthodes et
des procds ordinaires de la Nature aux fins de la reproduction ou du renouvellement de la force de
vie physique chez l'tre humain ou chez les animaux, mais l'usage de moyens occultes et de procds
physiques subtils, s'il s'avrait possible, ouvrirait une voie plus vaste et permettrait d'viter les
limitations, les dgradations, les insuffisances et la lourde imperfection des moyens et des rsultats
accessibles aux seules lois de la force matrielle. En Inde, depuis les temps les plus reculs, on a
toujours trs gnralement cru en la possibilit et en l'usage effectif de ce genre de pouvoirs par des
hommes trs avancs en la connaissance des choses secrtes ou possdant une connaissance
spirituelle, une exprience spirituelle dveloppe et une force dynamique; on trouve mme dans les
Tantra (7) tout un systme organis exposant la mthode et la pratique de ces pouvoirs. D'une faon
courante, on croit que l'intervention d'un yogi, par exemple, peut provoquer la naissance de la
progniture dsire et l'on fait souvent appel lui dans ce but; on lui demande mme, parfois,
d'accorder sa bndiction ou de faire acte de volont afin que l'enfant ainsi conu jouisse d'une
21
ralisation spirituelle ou d'une destine spirituelle - des phnomnes de ce genre sont relats non
seulement dans la tradition du pass mais par des tmoins du prsent. Mais tous ces cas supposent
encore ncessairement un recours aux moyens normaux de procration et aux mthodes grossires
de la Nature physique. Si nous voulons viter cette ncessit, il faut qu'une mthode purement
occulte devienne possible, un recours des procds supraphysiques agissant par des moyens
supraphysiques en vue d'un rsultat physique, sinon le recours l'impulsion sexuelle et au processus
animal ne saurait tre transcend. Si les phnomnes de matrialisation et de dmatrialisation ont
quelque vrit et les occultistes les dclarent possibles, ils sont attests par des incidents dont
beaucoup d'entre nous furent tmoins (8)-, une mthode de ce genre ne sortirait pas du domaine du
possible. En fait, suivant la thorie occultiste et selon la gradation des plans et tendues de notre
tre tels que la science yoguique les dcrit, il existe non seulement une force physique subtile, mais
une matire physique subtile qui se situe entre la vie et la matire grossire; crer dans cette
substance physique subtile et prcipiter dans notre matrialit plus grossire les formes ainsi cres
est faisable. Il devrait tre possible (et nous croyons qu'il est possible) qu'un objet form dans cette
substance physique subtile puisse passer de cet tat subtil l'tat de matire grossire directement,
par l'intervention d'une force et d'une mthode occultes, avec, ou mme sans l'aide ni l'intervention
d'un procd matriel grossier. Une me qui dsirerait entrer dans un corps ou se former un corps
pour elle-mme afin de prendre part la vie divine sur la terre pourrait ainsi tre aide le faire,
ou elle pourrait mme se voir fournir une forme par ce procd de transmutation directe sans
passer par la naissance ou par les moyens sexuels et sans tre soumise aucune des dgradations ni
des lourdes limitations qui accompagnent invitablement notre croissance mentale et le
dveloppement de notre corps matriel selon notre mode actuel d'existence. De la sorte, cette me
pourrait immdiatement acqurir la structure, les pouvoirs et le fonctionnement suprieurs d'un
corps matriel vraiment divin tel qu'il mergera un jour dans cette volution progressive qui
s'achemine vers une existence totalement transforme en sa vie comme dans ses formes au sein
d'une nature terrestre divinise.
Mais quelles seraient la forme, la structure interne et externe, les instruments de ce corps divin?
L'histoire matrielle du dveloppement du corps animal et humain fait que ce corps est enchan
un systme compliqu d'organes minutieusement labors et un fonctionnement prcaire qui
tout moment peut se changer en dsordre : un fonctionnement susceptible de n'importe quelle
dsorganisation gnrale ou locale, soumis un systme nerveux qu'un rien drange, command par
un cerveau dont les vibrations sont supposes mcaniques et automatiques et non sous notre
contrle conscient. Suivant les matrialistes, tout cela est exclusivement un fonctionnement de la
matire, dont la ralit fondamentale est chimique. Nous devons croire que ce corps est bti par
l'action d'lments chimiques qui chafaudent les atomes, molcules et cellules, et qu'en outre
ceux-ci sont les seuls agents et les seuls pilotes la base de cette structure et de ces instruments
physiques compliqus, lesquels sont la seule cause mcanique de toutes nos actions, toutes nos
penses, tous nos sentiments; l'me est une fiction; le mental et la vie, une pure et simple
manifestation ou figuration matrielle et mcanique de cette machine, laquelle est combine et
22
automatiquement mise en mouvement par les forces inhrentes la matire inconsciente, avec une
illusion de conscience dedans. Si telle tait la vrit, il est vident qu'une divinisation ou une
transformation divine du corps, ou de quoi que ce soit d'autre, serait une pure illusion, une
imagination, une chimre impossible et insense. Mais mme si nous supposons qu'une me, une
volont consciente soit l'oeuvre dans ce corps, elle ne pourrait pas parvenir une transformation
divine sans un changement radical dans l'instrument corporel lui-mme et dans l'organisation de
son fonctionnement matriel. L'agent transformateur, me ou volont, resterait enchan, son
travail serait bloqu par les limitations immuables de l'organisme physique, entrav par l'animal
originel inchang en nous ou imparfaitement chang. Les possibilits de dsordres, de
drangements, de maladies, qui sont naturelles cette organisation physique, seraient toujours l et
ne pourraient tre prvenues que par une vigilance constante ou par une intervention obligatoire,
perptuelle, de l'habitant et matre spirituel de l'instrument corporel. Ceci ne saurait s'appeler un
corps vraiment divin - un corps divin serait naturellement et perptuellement libre de tous ces
troubles; cette libert serait la vrit normale et naturelle de son tre, et, par consquent elle serait
immanquable et invariable. Une transformation radicale du fonctionnement - peut-tre mme de la
structure, en tout cas certainement des impulsions et des forces motrices trop mcaniques et trop
matrielles du systme corporel - est imprieusement ncessaire. Quel agent trouverons-nous pour
oprer un changement si considrable et raliser une libration si totale? Quelque chose doit exister
en nous - ou doit se dvelopper : peut-tre une partie centrale et encore occulte de notre tre -, qui
contient des forces mais dont les pouvoirs dans notre constitution actuelle, pratique, ne reprsentent
qu'une petite fraction de ce qu'ils pourraient tre; s'ils prenaient toute leur stature et le
commandement, ils seraient vraiment capables d'oprer la transformation physique ncessaire avec
toutes ses consquences, condition qu'ils fassent appel l'aide de la lumire et de la force de l'me
et de la conscience-de-vrit supramentale. Nous pourrions trouver certains indices ce sujet dans
le systme des chakra tel , qu'il est rvl par la connaissance tantrique et reconnu dans les divers
systmes de yoga; ces chakra, ou centres de conscience, sont la source de tous les pouvoirs
dynamiques de notre tre : ils organisent leur action travers divers plexus qui s'chelonnent en
une srie ascendante depuis le centre physique le plus bas (9) jusqu'au centre mental et spirituel le
plus haut appel "lotus aux mille ptales"(10) o la Nature ascendante (le "Pouvoir" symbolis par
le "Serpent" des Tantriques) rencontre le Brahman et se libre en l'tre divin. Ces centres sont
ferms ou demi ferms en nous et il faut les ouvrir pour que leurs potentialits compltes puissent
se manifester dans notre nature physique; mais une fois ouverts et compltement actifs, il n'est
gure de limite que l'on puisse fixer au dveloppement de leurs puissances et la possibilit d'une
transformation totale.
Mais quel serait l'effet de l'mergence de ces forces et de leur action libre, divine, sur le corps
lui-mme? Quelle serait leur connexion dynamique avec le corps et leur action transformatrice sur
la nature animale, qui est encore l avec ses impulsions animales et son fonctionnement
grossirement matriel? Nous pouvons considrer que le premier changement invitable serait la
libration du mental, de la force de vie, des instruments physiques subtils et de la conscience
23
physique : leurs activits deviendraient plus libres, plus divines, les oprations de leur conscience
seraient illimites et s'tendraient plusieurs dimensions, les pouvoirs suprieurs jailliraient
largement au grand jour, la conscience corporelle elle-mme se sublimerait avec ses instruments et
ses facults, elle deviendrait capable de manifester l'me dans le monde de la matire. Les sens
subtils, prsent cachs en nous, pourraient venir la surface et fonctionner librement; les sens
matriels eux-mmes pourraient devenir des intermdiaires ou des canaux pour percevoir ce qui est
maintenant invisible pour nous et dcouvrir bien des choses autour de nous qui, pour le moment,
sont insaisissables et voiles notre connaissance. Les impulsions de la nature animale pourraient
tre solidement contrles ou purifies et subtilises de manire servir d'auxiliaires au lieu d'tre
un encombrement et, ainsi transformes, elles pourraient prendre part au fonctionnement d'une vie
plus divine. Mais mme tous ces changements laisseraient encore un rsidu de fonctionnements
matriels qui garderaient leurs vieilles habitudes et n'obiraient pas la direction suprieure, et si
ce rsidu ne peut pas tre chang, tout le reste de la transformation risque d'tre mis en chec et
incomplet. Une transformation totale du corps semble exiger un changement suffisant dans la partie
la plus matrielle de l'organisme, dans sa constitution, son fonctionnement et dans la structure de sa
nature.
En outre, on pourrait croire qu'une matrise complte devrait suffire : une connaissance de
l'organisme et une vision de son fonctionnement invisible, une matrise effective qui rgle ses
oprations conformment la volont consciente - ce genre de possibilit a dj t ralis et l'on
affirme qu'il fait partie du dveloppement des pouvoirs intrieurs chez certains individus. Arrter la
respiration tout en gardant l'quilibre de la vie du corps, sceller hermtiquement et volont non
seulement le souffle mais toutes les manifestations vitales pendant de longues priodes, arrter
volontairement le coeur, galement, tandis que la pense, la parole et les autres activits mentales
continuent sans interruption, tous ces phnomnes et bien d'autres tmoignant du pouvoir de la
volont sur le corps sont des exemples connus et bien prouvs de ce genre de matrise. Mais ce sont
l de simples succs intermittents et sporadiques, ce n'est pas la transformation; il faut un contrle
total, une matrise permanente, habituelle; en fait, il faut une matrise naturelle. Mais mme si l'on
y parvenait, il faudrait encore quelque chose de plus fondamental pour oprer la libration
complte et changer notre corps en un corps divin.
On pourrait soutenir aussi que la structure organique du corps autant que sa forme extrieure,
fondamentale, devraient continuer d'exister comme une base matrielle indispensable pour garder
le lien avec la nature terrestre, faire la jonction entre la vie divine et la vie de la terre, et assurer la
continuit du processus volutif en empchant une rupture vers le haut, un clatement hors de
l'volution, dans un tat d'tre qui appartiendrait un plan suprieur proprement parler et non
une ralisation divine sur la terre. Prolonger l'existence mme de l'animal dans notre nature - en le
transformant suffisamment pour qu'il devienne un instrument de la manifestation et non un obstacle-,
serait indispensable la prservation de la continuit, la totalit volutive; l'animal serait
ncessaire en tant que vhicule vivant (vhana) du dieu qui merge dans le monde matriel et qui
devrait accomplir les uvres et les merveilles de la vie nouvelle. Il est certain qu'une forme
24
corporelle est ncessaire pour faire la jonction et qu'il faut un corps dont le fonctionnement puisse
contenir le dynamisme terrestre et ses activits fondamentales; mais ce chanon ne doit pas tre une
chane ni une limitation emprisonnante ni une contradiction de la totalit du changement. Or,
prcisment, garder notre organisme tel qu'il est sans la moindre transformation serait assurment
une chane et un emprisonnement dans la vieille nature. Il y aurait bien une base matrielle, mais
elle serait tout fait terre terre; ce serait la vieille terre et non une terre nouvelle avec une
structure psychologique plus divine, car le vieil organisme ne serait pas en harmonie avec cette
structure plus divine, il serait incapable de servir son volution future ni mme de supporter cette
structure et de lui servir de base dans la matire. Il enchanerait une partie de l'tre - la partie
infrieure - une humanit non transforme, un fonctionnement animal inchang, et empcherait
sa libration en la surhumanit de l
Top Related