HISTOIRE DE L’ARC (suite)
LES PREMIERS INDICES
Où le premier arc fut-il bandé? et quand? voilà qui demeure un mystère. Il est extrêmement rare de découvrir du bois conservé depuis le Paléolithique et, des projectiles utilisés, il ne reste donc
que les pointes en os, en ivoire ou en bois de cervidé. Et il est particulièrement difficile de
trancher en présence de pointes de dimensions moyennes : venaient-elles armer des sagaies ou des flèches?
Parfois, la forme et la taille
permettent de conclure: une pointe en bois de
cervidé de 30 cm de
longueur pour 15 mm d'épaisseur n'aura
certainement pas été
emmanchée sur une flèche. De même, une hampe
massive n'aura pas été armée de minuscules et
friables pointes de silex.
Pointe en os , Parpallo Espagne -17000 ans
En règle générale, on place
la limite entre la hampe de flèche et la hampe de sagaie
aux alentours de 10 mm, mais il est toujours risqué
de projeter des
considérations modernes sur les techniques du
Paléolithique.
Pointe à cran en silex ,Parpallo
Espagne -17000 ans
En Espagne et au Portugal, la découverte de pointes de flèches en silex de petites dimensions pourrait indiquer la présence de l'arc et de la flèche vers 17'000 av. J.-C. déjà. Comme les
hampes en bois ne se sont pas conservées, il est difficile de dire si ces pointes venaient armer des flèches ou des sagaies. De manière générale, on constate que les pointes de Parpallo,
Comunidad Valenciana, Espagne, sont vraiment trop petites pour constituer des pointes de
sagaies efficaces (fig. 8-10). La largeur du pédoncule oscille entre 3 et 9 mm seulement. Les pointes en os et les pointes on silex munies d'une encoche latérale découvertes sur le même site
présentent aussi des dimensions inférieures à celles utilisées au nord des Alpes. Elles
conviendraient mieux à des flèches qu'à des sagaies.
Le site de Stellmoor, près de Harnbourg, a livré la preuve la plus ancienne au monde de
l'existence de l'arc et de la flèche, avec la découverte de flèches en bois de pin. A la fin de la dernière période glaciaire, vers l0'000 av J-C, les chasseurs de rennes qui parcouraient la toundra
d'Europe septentrionale fabriquaient des hampes de flèches absolument parfaites sur le plan technique. En bois de pin refendu, elles étaient munies d'une partie distale amovible qui assurait
un échange simple et rapide.
Les encoches observées à une
extrémité des flèches apportent la preuve qu'elles étaient tirées à l'arc,
puisque c'est là que venait se placer
la corde. Les arcs eux-mêmes n'ont malheureusement pas été mis à
jour. Deux fragments éventuels, en
bois de pin et provenant également de Stellmoor, ont été détruits en
même temps que les hampes de flèche au cours de la Seconde
Guerre mondiale. C'est d'un sous-
sol gorgé d'eau depuis la préhistoire que proviennent ces
trouvailles : un petit lac s'était
formé dans une dépression, alimenté en eau par une langue
glaciaire qui resta en place après le retrait des glaciers. Les troupeaux
de rennes, obligés de suivre ici
l'étroite vallée, étaient une proie facile : on découvrit les ossements
de plus de mille animaux.
fig.13:Pointes de
flèche en os fichée
dans une vertèbre de
loup, découverte à
Stellmoore. D'après
Rust 1943
A de nombreuses reprises, on put observer des fragments de pointes de
flèches en silex encore fichés dans les
os. Des milliers de flèches firent sans doute tirées lors de ces véritables
massacres. L'archéologue allemand
Alfred Rust en mit au jour plus d'une centaine dans les années trente. Les
flèches étaient formées d'une hampe principale, longue de 70 cm environ
empennage compris, et d'une hampe
amovible de 15 à 20 cm. La pointe de pierre venait se fixer sur cette
dernière.
Fig. 14: Hampes amovible en bois de pin,
certaine avec pointe de silex encore en place,
preovenant de Stellmoor, Allemagne.- D'aprés
Rust 1943
Certaines hampes
étaient simplement
taillées en pointe, mais elles servaient
bel et bien aussi à
la chasse, comme le montre l'os d'un
jeune loup traversé par une pointe de
bois encore
conservée. Si une pointe était
endommagée il
était facile d'échanger la
hampe amovible contre une
nouvelle. Mais le
chasseur devait absolument
entourer le tout d'un tendon animal,
travail qui requiert
un grand soin, afin d'éviter que la
flèche ne se fende
au prochain tir.
Fig.11: Flèche en bois de pin entièrement conservé de
stellmoor, Allemagne, datant de la fin de la dernière
glaciation, encore munie de sa hampe amovible. A
côté,le couteau de poche de l'auteur.-D'aprés Rust
1943
Fig.17:Flèche de chasse en viorme ou en cornouiller avec pointe de flèche en silex à tranchant transversal.
Vissenberg, Danemark. Vraisemblablement Mèsolithique
Les plus anciens arcs connus an monde viennent de Scandinavie. Deux douzaines de
pièces ont été mises au jour au Danemark, parmi lesquelles on compte plusieurs arcs complets. C'est du non du lieu de découverte des deux premières pièces que l'on qualifie
les arcs mésolithiques du type de Holmegârd. Quelques trouvailles proviennent également
du nord de l'Allemagne et du sud de la Suède. Ces armes très abouties sur le plan technique appartenaient à des chasseurs-cueilleurs de l'ère post-glaeiaire, ayant vécu entre
8000 et 5000 av. J.-C. Sur le plan technologique, les arcs de ces périodes reculées ne
pouvaient guère être améliorés, exception faite du bois utilisé, qui aurait pu être plus adapté. A une exception près, un arc d'enfant en bois de sorbier provenant du sud de la
Suède, tous les arcs mésolithiques sont en orme. S'il est vrai que ce bois n'est de loin pas aussi adapté que le bois d'if, ce qui importait à cette époque était de disposer en suffisance
de bois droits et sans nœuds.
Ces arcs, hauts comme un homme, frappent
par leur design
technique remarquable. Les branches sont en
règle générale relativement plates et
larges. La face externe
bombée correspond à l'extérieur de la
branche, dont seuls ont été enlevés l'écorce et
le liber. Les fibres du
bois ne sont interrompues à aucun
endroit, ce qui favorise
la résistance à la cassure lors de la
tension, La face interne plane a quant à elle une
forme idéale pour
résister à la pression. Tandis que l'extérieur
de l'arc doit s'aIlonger
lorsqu'on le bande, l'intérieur doit pouvoir
se contracter. Compte-tenu des contraintes
physiques, les arcs du
Mésolithique présentent donc une
section idéale.
On peut observer
d'autres détails raffinés
On estime approximativement
la force de tension
nécessaire pour un arc d'adulte
mesurant de l m 40 à l m 90 entre 21 et 32
kg, resp. 45 à 70 lb.
Cela permettait de tirer des flèches de
chasse légères à une vitesse située entre
120 et 180 km/h. Au
Mésolithique, les flèches ont d'abord
été réalisées en pin,
puis ultérieurement aussi en noisetier, en
viorne (flburnum) ainsi que dans
d'autres bois. Pour
chasser des petits animaux, on utilisait
des flèches
présentant un renflement en forme
de massue à la place de la pointe. Le petit
gibier peut en effet
être abattu par le seul impact du tir,
qui permet également
d'immobiliser le
sur certains des arcs. La poignée et la partie
extérieure des branches sont parfois fortement
amincies. Plus la
poignée est mince, moins la flèche subira
de déviation latérale. C'est pour cette raison
que les arcs modernes
présentent des encoches servant de
fenêtres de tir
"permettant un center shot" parfait. Plus les
extrémités sont étroites, plus elles sont
légères, ce qui
demande moins de force pour resserrer les
branches et donne une meilleure accélération
à la flèche. À côté des
grands arcs d'adultes, il y avait également des
arcs plus petits pour les
enfants et les adolescents.
A fig. 15: 1) Fragment d'un arc en orme découvert à Holmegârd, Danemark, mesurant environ 1 m
70.- 2) Arc en orme découvert à Holmegârd, long
de l m 54.- Datation des deux pièces: vers 6500 av
j-C Musée national, Copenhague. 3)
Reconstitution de l'Arc d'adoIescent de
Mollegabet, Danemark, mesurant à I'origine près
de I m 15.- Vers 5400 av j-C.-Langelands
Museum, Rudkobing.
plus grand gibier. L'avantage de ce
type de tir, s'il n'est fait à pleine
puissance, est que la
fourrure ou le plumage ne sont pas
endommagés...
À partir de 4500 av. J.-C., on n'a plus utilisé en Europe centrale et de l'ouest que du bois d'if (Taxus
baccata) pour réaliser les arcs. En raison des mauvaises conditions climatiques de la dernière période
glaciaire, ce n'est que dans des régions reculées, par exemple dans des vallées protégées, que l'on
trouvait des peuplements forestiers conséquents. A la fin de l'ère glaciaire, vers l0 000 av. J.-C., les
arbres se sont à nouveau répandus, mais l'if qui croît lentement, a mis beaucoup plus de temps que les
autres espèces. Aujourd'hui encore, l' if est considéré comme le meilleur bois pour faire des arcs et
c'est dans ce bois que les constructeurs d'arcs traditionnels réalisent les pièces
les meilleures et les plus recherchées. Le bois d'if se compose de deux couches
de couleur différente: la partie extérieure est jaune clair, le cœur brun-rouge.
L'aubier est souple et élastique, tandis que le cœur est plus dur et plus cassant,
ce qui a des conséquences importantes pour la confection d'un arc: un arc en if
doit en effet avoir sur sa partie avant une couche d'aubier, afin d'éviter la
cassure; le cœur du bois utilisé pour l'intérieur garantit quant à lui de hautes
performances. Ce n'est qu'en associant les propriétés spécifiques des deux
parties composant le bois d'if que l'on obtient des performances supérieures.
Cette règle était déjà prise en compte au Néolithique: sur de nombreux arcs en if mis au jour, on peut
attester l'utilisation des deux types de bois, détectables par leur couleur ou par des caractéristiques de
séchage particulières.
En ce qui concerne leur mode de
fabrication, les arcs du
néolithique sont semblables à
ceux du Mésolithique. La
meilleure qualité du matériau
permet toutefois de réaliser des
arcs beaucoup plus minces. Dans
les grandes lignes, on peut dire
qu'il existait deux types d'arcs
pendant la période néolithique: un
type droit, en forme de baguette,
et un type arqué, dont la forme va
de la pale à la pagaye. Même s'il
est possible que les deux types
aient été utilisés conjointement,
les comparaisons ethnographiques
tendent à montrer que, dans un laps de temps restreint, dans des
zones géographiques limitées
possédant une culture homogène,
on utilisait plutôt un seul type
simultanément. Pour l'heure, nous
disposons toutefois d'un éventail
d'arcs bien trop restreint et trop
mal daté pour pouvoir affirmer de
façon plausible quand et où tel
type d'arc était utilisé
Fig. 22: Arc complets
appartenant à deux villages
voisin de la culture de Pfyn.
1)Thayngen (SH), vers 3800-
3600 av. J.-C. 2)Niederwil(TG),
3660-3585 av. J.-C.
Ces deux grands groupes d'arcs
présentent une multitude de détails
différents. Les différentes formes
d'attaches de cordes et de poignées
peuvent être considérées comme des
variantes plutôt esthétiques, tandis que
les variations dans la section des
branches de l'arc ont plus
probablement une explication
technique. La corde pouvait être fixée
par une simple encoche, un bouton
plus ou moins luxueux ou des
extrémités en forme de bouton ou de
cuiller. Les poignées ont aussi été
réalisées de façons très diverses.
Parfois, elles n'existent pas en tant que
telles, la zone de préhension étant
simplement le centre de l'arc. Sur
certains arcs, elles se présentent sous la
forme d'un rétrécissement latéral, sur
d'autres d'un renflement médian. Une
autre variante consiste en une zone de
préhension rétrécie et épaissie en
forme de bouton sur la face interne.
Les revêtements de poignées ainsi que
les poignées en cuir ne faisaient pas
partie des usages.
Fig.-21: Exemples de deux types d'arc
droit et en forme de pale.
1) Bodman, Allemagne, longueur 1m50,
non daté.- Rosgarten-
museum,Constance.
2) Onstwedde, Pays-Bas, longueur
1m72.- Vers 2600-2400 av. J.-C.-
Provinciaal Museum,Assen.
La section des branches de
l'arc est plus ou moins
semi-circulaire. La face
avant, bombée, correspond
à l'extérieur de l'arc, tandis
que la face interne est soit
plane, soit concave.
L'utilité de ménager une
telle gorge à l'intérieur de
la branche nous échappe
aujourd'hui. Au contraire
d'une face plane, elle
diminue sensiblement ta
résistance à la tension et
diminue objectivement la
qualité de l'arc. Peut-être
cet affaiblissement
délibéré était-il destiné à
diminuer la tension sur la
face externe pour atténuer
le risque de fracture. Il faut
attendre le Néolithique
récent pour qu'une
amélioration technique soit
apportée à l'arc, dont la
section est modifiée: en
laissant une mince face
plane sur l'extérieur, la
résistance à la tension est
sensiblement améliorée, ce
qui diminue les risques de
brisure. En dépit de cette
découverte, nombre d'arcs
ont encore été fabriqués
avec une gorge sur la face
interne. Tandis que les
notions utilisées en
archéologie s'appliquent à
des civilisations ayant duré
plusieurs siècles, les arcs
subissent des modi-
fications dans des laps de
temps beaucoup plus
courts. Un exemple du
nord de ta Suisse témoigne
de cette rapidité de
transformations. C'est ainsi
que t'on trouve des arcs de
types différents dans deux
villages de la culture de
Pfyn séparés d'à peine 24
km, Thayngen (511) et
Niederwil (TO). Tandis
Cliquer pour agrandir Fig. 23:
1) Pointe de flèche en silex avec brai de
bouleau, provenant de Taüffelen (BE).-
Néolithique.- D'après Müller-Beck 1965.
2) Manchon en bois de cervidé pour flèche à
extrémité arrondie découvert à Arbon (T~.-
Vers. 3370 av J.-C.- E. 1:1.- Cliché: Amt für
Archäologie, canton de Thurgovie.
3) Reconstitution d'une pointe de flèche
néolithique à extrémité arrondie.
4) Reconstitution d'une lèche avec pointe de
silex triangulaire, inspirée des exemplaires
découverts auprès d',"Otzi
que l'arc de Thayngen présente clairement des
extrémités effilées avec de
petits boutons
d'accrochage pour la corde,
ainsi qu'une surface
intérieure plane, les arcs de
Niederwil, plus récents d'à
peine 200 ans, sont des
arcs droits, avec des
extrémités
inhabituellement grandes,
en forme de cuiller et d'une
section concave avec une
profonde gorge interne.
Les plus anciens arcs de la
civilisation de Cortaillod
(env. 4100 - 3600 av. J.-
C.) sont droits, avec une
section semi-circulaire.
FABRIQUER UN ARC EN IF
Herminette en os
Refente & Ecorçage
Les gestes du constructeur d'arc Néolithique se reflètent particulièrement bien dans les ébauches et les pièces non achevées, en raison des traces qu'elles révèlent à l'œil exercé du
spécialiste: refente du bois, mise en forme grossière à la hache, travaux de finissage à l'herminette, traces de polissage ou parfois même de râpage. Ces traces le prouvent sans
aucun doute possible: le bois était travaillé encore vert, et non après un séchage de
plusieurs années, comme c'est le cas aujourd'hui pour la fabrication d'arcs traditionnels. Il n'est pas possible d'établir un standard des techniques de fabrication, car elles varient
fortement d'une pièce à l'autre, faisant d'un arc un chef-d'œuvre alors que d'autres sont de
qualité médiocre. Certains artisans faisaient preuve d'une grande virtuosité dans le maniement de l'herminette. Les traces de raclage observées sur quelques ébauches et
pièces achevées montrent que l'égalisation de la surface était réalisée à l'aide de lames ou de racloirs en silex. On apportait un tel soin au polissage qu'il est généralement impossible
de distinguer une quelconque trace de travail sur un arc d'adulte achevé. Les artisans
s'investissaient à fond dans la fabrication de, leurs arcs, sans doute parce que l'arc était un objet d'une importance toute particulière pour les hommes de l'âge de la Pierre.
Retrouver les gestes des
constructeurs d'arcs
néolithiques.
Afin d'estimer le temps nécessaire à la
confection d'un arc et de vérifier certaines hypothèses concernant les
techniques de fabrication de l'âge de
la Pierre, nous avons abattu deux jeunes troncs d'if, sans départs de
branches, mesurant près de l m 70. La fabrication d'un arc de chasse fut
menée à bien dans les jardins du
Musée Schwab à Bienne, avec pour tout équipement les outils dont
disposaient sans doute les
Néolithiques (image 1). C'est le cinquième jour après l'abattage de l'if,
d'un diamètre de 9 cm, que débutent les travaux, avec la mise en forme de
l'ébauche. Le bois, encore très
humide, est tendre. Vers midi, on fend le petit tronc d'if dans le sens de la
longueur, à l'aide de deux coins de bois et d'un maillet en buis (images 2
à 6). Nous constatons qu'il est plus
difficile d'en contrôler la direction qu'avec des outils modernes en métal.
Toutefois, le résultat est satisfaisant,
puisque l'une des moitiés du tronc semble convenir à la fabrication d'un
arc. L'opération de 1'écorçage se déroule sans aucun problème, puisque
l'écorce humide se détache facilement
en de grands lambeaux (image 7).
Refente du petit tronc d'if
Retrouver les gestes des
constructeurs d'arcs
néolithiques.
Pour donner sa forme à
l'ébauche, nous disposons de deux petites herminettes, la
première munie d'une lame en os de bovidé, et la seconde
d'une lame en bois de cerf.
Nous tentons de reproduire les traces observées sur les
ébauches néolithiques, qui proviennent à coup sûr d'outils
au tranchant bien marqué. Une
lame de hache en os peut être davantage affûtée que celle
d'une hache en pierre, qui
s'effritera facilement. Nous optons pour ce type d'outil en
raison de la faible dureté du bois vert et nous nous
attachons à donner sa forme à
l'arc (images 5 à 11). Bien que les deux lames soient très
tranchantes au début des travaux, quelques coups
suffisent à les émousser
nettement, bien que le bois soit tendre. Nous en déduisons que
ce type d'outil ne convient pas
à la fabrication des arcs. Afin d'exclure le fait que ce
dommage ne résulte de notre manque d'expérience, nous
poursuivons notre travail à la
hache en os, à un rythme extrêmement lent, aiguisant le
tranchant très souvent. Après
deux heures de travail, l'arrondi de la face externe est achevé.
Bien que nous aiguisions constamment les haches, la
coupe du bois s'avère
impossible, ce qui nous oblige à effectuer un mouvement de
Mise en forme de l'ébauche
raclage particulièrement
astreignant. Les négatifs laissés par nos outils ne correspondent
en rien à ceux observés sur les
ébauches originales, puisqu'ils sont plus proches d'un
traitement à la paille de fer qu'à
des coups nets (images 12 à 13). Étant donné que nous ne
disposons pas sur place de haches de pierre adéquates,
nous terminons la mise en
forme de l'ébauche avec une herminette moderne à lame
d'acier, qui produit enfin des
traces identiques à celles observées sur les pièces
néolithiques. Avant de poursuivre notre travail, nous
devons laisser sécher l'ébauche
(image 15). Cinq heures ont été nécessaires à sa fabrication.
Cette première étape achevée, nous pouvons en conclure qu'il est impossible de travailler le
bois d'if même vert, à la hache en os ou en bois de cerf, et, secondement, que les traces
observées sur les ébauches néolithiques indiquent qu'on utilisait des haches pourvues d'un
tranchant particulièrement marqué. Il reste à définir s'il s'agissait de la hache de pierre
conventionnelle, au tranchant peu acéré, ou s'il faut prendre en compte d'autres matériaux.
On évoquera la néphrite, beaucoup plus dure et résistante, et qui peut donc être polie de
manière à lui conférer un tranchant particulièrement affûté. On peut aussi concevoir
l'utilisation de haches en cuivre, du fait que toutes les ébauches d'arcs néolithiques
découvertes à ce jour se placent dans une phase relativement tardive du Néolithique, lors
de laquelle le travail du cuivre n'était pas inconnu, bien qu'encore peu pratiqué.
Retrouver les gestes des
constructeurs d'arcs
néolithiques.
Huit jours après la mise en
forme de l'ébauche, Je bois a
perdu plus de 30% de son poids par évaporation. Dés
lors, il va rester pratiquement
stable. Avec ses 530 g, la pièce est déjà bien sèche, dure
Séchage, mise en forme par
raclage
avec des éclats de sile,
et premiers tests de flexion.
et sonore lorsqu'on la frappe. Malgré nos craintes, elle n'a
pas subi de déformation latérale durant le séchage.
L'arc est achevé 10 jours après
la mise en forme de l'ébauche, ou 15 jours après que l'arbre a
été abattu. Lors de la première étape de travail, nous nous
étions déjà bien rapprochés
des proportions définitives de l'arc, et nous poursuivons la
réduction de la pièce en la
raclant avec des éclats de silex, encore plus efficaces
lorsqu'ils sont brisés en deux (images 16 à 20). Plus l'éclat
est lourd, plus le travail
avance rapidement. L'amincissement des branches
de l'arc repose sur la seule estimation de l'artisan. Le plus
grand danger de gâcher un arc
est qu'il se fracture Il est donc indispensable de répartir la
courbure de manière régulière
sur l'ensemble de l'arc. Dès le Moyen Âge au plus tard, on
utilisait dans ce but une planche munie d'encoches
servant à augmenter
progressivement la tension. Les constructeurs d'arcs
néolithiques ne connaissant
pas de telles méthodes, ils devaient sans doute demander
à un compagnon de tendre l'arc afin d'en estimer la
flexion. Les parties trop
épaisses qui pouvaient entraver l'harmonie du
mouvement devaient être amincies, afin de dessiner une
courbe parfaite.
Retordage de la corde en lin. Taille de l'encoche.
L'arc est bandé pour la première
fois
Retrouver les gestes des
constructeurs d'arcs
néolithiques.
Nous tendons une première fois
notre arc avec une corde de lin,
et seul un segment très proche
de la poignée nécessite une
retouche (images 22 à 27). Nous
achevons donc le raclage à cet
emplacement, et nous obtenons
une courbure parfaite. Nous
avons consacré deux heures au
raclage. Avant d'aborder le
polissage, nous nous munissons
d'un petit grés tendre et d'une
poignée de tiges de prêles
(images 28 à 30). Au bout de
deux heures supplémentaires, la
surface de l'arc est entièrement
polie. Nous avons donc travaillé
en tout 10 heures à la confection
de notre arc, avec les difficultés
rencontrées et décrites plus
haut, réparties sur deux jours.
L'abattage et le transport ne sont
pas pris en compte dans ce
calcul. Hann Paulsen, du
Schleswig-Holstein, a réalisé un
arc néolithique semblable en 5
heures et 21 minutes seulement,
grâce à une hache plus
tranchante munie d'une lame de
silex, et de quelques autres
lames non emmanchées.
Polissage à l'aide de grès et de prêle,
essai avec l'arc achevé.
Le site de Stellmoor, près de Harnbourg, a livré la preuve la plus ancienne au monde de
l'existence de l'arc et de la flèche, avec la découverte de flèches en bois de pin. A la fin de la dernière période glaciaire, vers l0'000 av J-C, les chasseurs de rennes qui
parcouraient la toundra d'Europe septentrionale fabriquaient des hampes de flèches
absolument parfaites sur le plan technique. En bois de pin refendu, elles étaient munies d'une partie distale amovible qui assurait un échange simple et rapide.
Les encoches observées à une extrémité des flèches apportent
la preuve qu'elles étaient tirées à l'arc, puisque c'est là que venait
se placer la corde. Les arcs eux-
mêmes n'ont malheureusement pas été mis à jour. Deux
fragments éventuels, en bois de pin et provenant également de
Stellmoor, ont été détruits en
même temps que les hampes de flèche au cours de la Seconde
Guerre mondiale. C'est d'un
sous-sol gorgé d'eau depuis la préhistoire que proviennent ces
trouvailles : un petit lac s'était formé dans une dépression,
alimenté en eau par une langue
glaciaire qui resta en place après le retrait des glaciers. Les
troupeaux de rennes, obligés de suivre ici l'étroite vallée, étaient
une proie facile : on découvrit
les ossements de plus de mille animaux.
fig.13:Pointes de
flèche en os fichée
dans une vertèbre de
loup, découverte à
Stellmoore. D'après
Rust 1943
A de nombreuses reprises, on put observer des fragments de pointes
de flèches en silex encore fichés
dans les os. Des milliers de flèches firent sans doute tirées lors de ces
véritables massacres. L'archéologue
allemand Alfred Rust en mit au jour plus d'une centaine dans les années
trente. Les flèches étaient formées d'une hampe principale, longue de
70 cm environ empennage compris,
et d'une hampe amovible de 15 à 20 cm. La pointe de pierre venait se
fixer sur cette dernière.
Fig. 14: Hampes amovible en bois de pin,
certaine avec pointe de silex encore en
place, preovenant de Stellmoor,
Allemagne.- D'aprés Rust 1943
Certaines hampes
étaient simplement
taillées en pointe, mais elles
servaient bel et
bien aussi à la chasse, comme le
montre l'os d'un jeune loup traversé
par une pointe de
bois encore conservée. Si une
pointe était
endommagée il était facile
d'échanger la hampe amovible
contre une
nouvelle. Mais le chasseur devait
absolument entourer le tout
d'un tendon
animal, travail qui requiert un grand
soin, afin d'éviter
que la flèche ne se fende au prochain
tir.
Fig.11: Flèche en bois de pin entièrement
conservé de stellmoor, Allemagne, datant de la
fin de la dernière glaciation, encore munie de sa
hampe amovible. A côté,le couteau de poche de
l'auteur.-D'aprés Rust 1943
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