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Droit coutumier amazigh face aux processus dinstitution et
dimposition de la lgislation nationale au Maroc
Rapport tabli par :
El Khatir ABOULKACEM
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Objet et problmatique....2
I. Considrations gnrales sur le droit coutumier...5
a. lazrfdans les chroniques historiques ....5
b. la production sur la coutume..7
c. les coutumiers crits ....8
d. tablissement du coutumier ..10
e. forme et contenu du coutumier.....15
f. procdures judiciaires.....17
II. Attitudes des principaux acteurs du Maroc prcolonial23
a. les ruraux et leurs institutions...24
b. le point de vue du Makhzen et de ses lgistes..28
III. Formation de la lgislation nationale et exclusion de la coutume...31
a. la rforme coloniale....31
b. processus nationaliste et ngation de la coutume...38
IV. Formes de rsistance du droit coutumier..43
a. volution du dispositif juridique de lEtat...43
b. prgnance du droit coutumier..46
Conclusions.56
Quelques rfrences bibliographiques.59
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Objet et problmatique
Ce rapport, qui tente de rendre certains aspects des rapports complexes entre droit
coutumier et lgislation nationale au Maroc, porte, dune part, sur la place du droit dans les
structures sociales tribales et, dautre part, sur limpact des mutations sociales sur
lvolution du droit dans les socits amazighes. De nombreux chercheurs ont signal et
analys certaines formes de la permanence de ce droit dans ces socits et son volutionperptuelle. Ils retiennent essentiellement comme ide centrale la capacit de ces socits
produire le droit et sadapter au changement. Lhypothse qui sous-tend ce travail serait
ainsi que malgr ltablissement dune lgislation nationale, comme pratique inhrente
lavnement dun tat de type national, et les processus de son imposition, le droit
coutumier continue dexister et dorganiser certains secteurs de la vie sociale et religieuse
dans ces socits. Cest en ce sens que la dtermination de ces secteurs qui restent rgis par
ce droit constitue un des objets de ce travail.
Au-del, un survol rapide de la place et des caractristiques de ce droit dans
lhistoire des socits amazighes savre intressant. Il peut permettre de se rendre compte
des conditions qui ont contribu au maintien de ce droit dans lhistoire pr-nationale et de
limpact des transformations sociales et de lintervention des administrations coloniales et
postcoloniales aussi bien sur les structures tribales que sur les degrs de prsence de ce
droit dans le monde rural. Dans ce sens, la constitution de ce droit en objet des dbats
juridiques et sa mise en crit ont accumul une production importante. Comment doncmettre profit cette documentation dans toute apprhension de ce droit ? Si elle donne une
ide claire de lhistoire et de limportance de ce droit dans la structure sociale et ses
rapports avec la hirarchie institutionnelle au sein de cette structure et les domaines de son
application, elle renseigne galement sur son image dans la conception officielle et
comment celle-ci a contribu son dclassement dans le processus de la construction de
limage de la nation et de sa mise en uvre ?
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ltablissement dune lgislation nationale et comment elle avait introduit des
reclassements dans les structures sociales prexistantes et leurs pratiques juridiques.
Il nous parat ainsi intressant, pour une meilleure apprhension des rapports entre
droit coutumier et lgislation nationale dans les socits amazighes de voir comment seprsente ce droit avant lintroduction de la lgislation pour mieux saisir les transformations
survenues. Nous allons ainsi procder, dune part, une tude socio-historique pour mettre
en relief les raisons qui sont lorigine de sa prgnance dans la socit et dterminer quel
moment de lhistoire il commence reculer face la prminence de la lgislation
nationale et, dautre part, une tude ethnologique pour voir les lieux de rsistance de ce
droit dans les socits amazighes actuelles.
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I. Considrations gnrales sur le droit coutumier
Appel izerfdans laire tamazight, llhouIkccuden, lurf dans le Haut Atlas et le
Sous, tiqqidinchez les At Atta, le droit coutumier, quon peut dsigner de droit positif
tribal, prsente lun des anciens systmes juridiques en prsence dans le Maroc historique.Avant la rforme coloniale, il rgissait lensemble des aspects de la vie prive et publique
des membres des populations rurales amazighes, organises souvent en localits et en
tribus, et les relations que ces groupes entretenaient entre eux (alliances, marchs, lieux de
cultes et gestions des parcours communs,). Il jouait galement un rle important dans
lorganisation de certains secteurs de la vie active dans les cits urbaines, comme les
corporations artisanales hinta1. Produit de la socit en fonction des contextes et des
conditions sociales et politiques, il a subi des transformations aprs les rformes colonialeet nationale, et reste en vigueur dans bien des secteurs de la vie sociale et conomique. Si
lAzrfet lurfdsignent tous les aspects de ce droit, la taqqittet le lluh sont les noms qui
sont utiliss respectivement dans le Sud-Est et le Souss pour dsigner les recueils o sont
consignes les rgles qui organisent les rapports au sein dune fraction, dune tribu ou dun
igherm (Ksar) ou qui rgissent lentretien et les rapports sociaux au sein dun grenier
collectif (agadir), dun lieu saint (mosque, timzgida), dun march ou dun moussem.
a. lazrfdans les chroniques historiques
Nous connaissons, grce quelques indications des chroniqueurs, de la production
des lgistes et des recueils coutumiers ou actes juridiques, lenracinement de ce droit dans
les pratiques des socits rurales nord-africaines. Hormis la conscration de certains
institutions coutumires, commeAhl al jamaaet ahl al khmsin,Ayt rbinet ayt chrapar
le pouvoir des Almohades rendue clbre par les chroniqueurs de la dynasties (Lvi-
Provenal, 1928), dautres auteurs ont signal certaines institutions coutumires ou des
mesures procdurales se rapportant llaboration ou lapplication de ce droit. Ainsi, leKitab al-Ansab [Livre des gnalogies], crit vraisemblablement par Abdallah Ben salih
Ben Abderrahmane, en voquant lpisode de la conqute des Haskura (une confdration
du Haut Atlas) par Uqba Ibn Nafi, signale le pacte conclu entre ce gnral musulman et
Hurma ben Tutis, le chef des Haskura. Il rapporte que
1 Dans les villes, le droit coutumier rgit des secteurs de la vie conomique et artisanale (comme les
corporations, hinta), mais lunivers urbain nentre pas dans les proccupations de ce travail.
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quand Uqba arriva au pays des Haskura, il senquit de leur chef et on lui
rpondit que cest un homme qui sappelle Hurma ben Tuttis. Il demanda alors
le voir et [une fois devant lui, il] prit de Hurma sa lance et lui dit : que ce soit [le
signe d] un pacte de non violence entre nous, si vous embrassez lIslam. Les
Haskura lembrassrent alors de bon cur, et le pacte scell par Hurma, ou amur n
lhurmadevint depuis dans la langue de cette tribu, une expression par laquelle ils
prtent serment dans leurs alliances et engagements (cit par Mezzine, 1987,
p.183).
Ce texte donne le terme de amur n lhurmadans le sens dun pacte de paix et de non
violence et constitue un des premiers textes avoir signaler le terme damur qui a pris
dautres significations dans la production et la pratique juridiques de laire tamazight,
comme la protection tribale, le pacte pour une dfense commune et bab n umurqui signifie
le garant dun lignage ou dun pacte dalliance. Pour sa part, le gographe El Bekri signale
un aspect de lorganisation dans le Haut-Atlas relatif la structure juridique. Il crit :
Autrefois, Aghmat, les habitants se transmettaient entre eux la charge dmir ;
celui qui en avait exerc les fonctions pendant un an tait remplac par un autre
que le peuple choisissait dans son sein. Cela se faisait toujours par suite un
arrangement lamiable (Cit, Amahan, 1992, p.97).
Ce passage rappelle la fonction damghar n tqblit, chef de tribu, en prsence dans
certaines rgions amazighes. Lamgharest lu pour une anne et les candidatures cette
charge sont fournies par une fraction tour de rle. Dans certaines tribus, il dsigne les
rpondants de chaque lignage qui froment ljmat, lassemble. Il se charge de la fixation
des dates de la mise en dfense des cultures et des rcoles et veille lexcution des
dcisions prises et des peines. Dans dautres rgions, ce sont les reprsentants dsigns des
lignages qui procdent llection de lamghar et se prsente comme le responsable
excutif de lassemble quils forment.
Au-del, la production juridique des lgistes et les recueils coutumiers, accumuls
aprs lintroduction de lcrit dans les socits amazighes et particulirement depuis la fin
du XVesicle, fournissent des informations importantes sur lvolution, les institutions, les
procdures et les domaines dapplication du droit. Lanalyse des productions dont nous
disposons peut nous permettre de comprendre ses niveaux en fonction de la hirarchie des
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institutions tribales, ses objets et ses procdures ainsi que sa constitution en objet dans la
production juridique de lpoque.
b. la production sur la coutume
La production sur le droit coutumier est dans lensemble riche, foisonnante et trs
varie. Au-del les corpus des rgles coutumires tablis au moins depuis le XVIesicle et
les jugements accumuls durant la priode coloniale, elle comporte des tudes effectues
dans des perspectives scientifiques diffrentes et la somme de la production juridique
classique.
Chronologiquement, les premires manifestations de lintrt pour la coutume
rsident dans les crits des lettrs de la priode prcoloniale. La coutume avait en effet
constitu une matire des dbats de lcole juridique marocaine. Ainsi, des ulmasindpendants et des lgistes officiels ont exprim des attitudes sous forme davis juridiques
fatawi, dimprvus juridiques nawazil, ou de rponses ajwiba. Outre la construction de
lavis prononc, ces crits contiennent des descriptions de certaines pratiques coutumires,
leur fondement lgal et leur utilit sociale. Lanalyse de cette production permettra, dune
part, de saisir au prix de quelles concessions certaines autorits se sont prononces en
faveur de lapplication de ce droit dans certaines situations et, dautre part, comment
limplication dans les enjeux du pouvoir conduisent les autres savants se poser endfenseurs du droit canonique musulman et assimiler la coutume des pratiques anti-
islam. Cest pourquoi cette production, une fois prsente et analyse, pourra nous fournir
des lments indispensables pour apprhender la nature de ce droit, les interrogations que
se posent les communauts locales quant la lgitimit de leurs institutions ainsi que les
processus de la constitution dun ensemble thmatique au sein de la catgorie des lgistes
officiels, comme schmes gnrateurs du discours dominant. Elle est en ce sens une entre
principale pour faire une socio-histoire du rapport entre droit et pouvoir dans le Maroc
prcolonial.
Outre cette production, on trouve des recueils de rgles coutumires que des rudits
locaux, mobiliss par les communauts locales dont ils dpendent, ont consign par crit.
Dans lAnti-Atlas, on commence trouver des codifications de la coutume partir du XVIe
sicle, mais ces premiers coutumiers transcrits dans planchettes en bois, do le nom
quon utilise pour les dsigner, ikechchoudenou tilwh(alwhen arabe) - ne concernent
que lorganisation de la protection des greniers collectifs igudaro le groupe dpose ses
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biens comme les crales, les bijoux et les actes natariaux. Mais au fur mesure que la vie
du groupe sorganisait autour de cette btisse communautaire, ncessitant lapparition dun
groupe de spcialistes lus qui se dnomment Ayt Ugadir ou ineflas, les coutumiers
transcrits intgrent dautres rgles qui rgulent les autres activits sociales, politiques et
conomiques. Chez les At Atta par exemple, la confdration tribale nomade du versant
sud de lAtlas, la codification de la coutume traduit une tape importante de lvolution de
ce groupe pastoral (voir infra).
Par ailleurs, le retour de la coutume au centre des intrts du Protectorat franais
a permis la dcouverte de certains recueils de coutumes et la collecte dautres qui ntaient
alors transmis quoralement. Leur transcription et leur traduction ont accumul une
documentation importante. Paralllement, beaucoup dtudes consacres aux techniques et
aux mthodes de ce droit ainsi quaux rformes introduites ont galement vu le jour cette
poque.
Aprs lindpendance, lmergence dune tradition historique, qui sappuie sur la
mthode de lhistoire sociale, a permis, outre la dcouverte et la publication dautres
recueils de coutume, de dresser un bilan de lhistoire de la transcription de la coutume et de
sa place dans lorganisation de la vie sociale et politique des tribus amazighes. Par ailleurs,
toute une production anthropologique actuelle soriente vers une apprhension des
dynamiques en uvre dans ces socits, ce qui peut permettre lintgration du facteur du
changement dans une approche dynamique du droit coutumier dans les socits amazighes
actuelles.
c. les coutumiers crits
Daprs MHamd Al Othmani (2004, p.105), lancien recueil attest remonte la
fin du XVesicle, et prcisment 1498. Il sagit du lluhde lagadir n Ujarif. Il est en cela
un recueil qui rgit lorganisation et la gestion dun grenier collectif. Il parat que
lvolution des structures sociales dont le grenier en constitue une forme labore a jou un
rle important dans la consignation par crit de certains types de coutume. Dans ce sens,
Larbi Mezzine (1998) signale quil est impossible dignorer le rle fondamental que le
recours aux igudarou greniers collectifs, comme institution communautaire par excellence
dans le Haut et lAnti-Atlas, a jou dans la modification du regard quon porte sur le droit
coutumier et dans llaboration et la consignation par crit de la coutume dans le Haut et
lAnti-Atlas. Cest ainsi que les codifications considrs comme les plus anciens recueils
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de droit coutumier connus au Maroc concernaient des greniers collectifs et rgissaient la
conservation des grains, la vie au sein de ldifice et son entretien. Cette institution se
trouvait sous la responsabilit dun corps de responsables appel Ayt ugadir (Afa 1988,
p.269) ou inflas(Al Othmani, 2004) qui dsignent un anflus/laminou responsable charg
de veiller au respect des lois consignes. Le recueil le plus labor est celui de lAgadir n
Ikunka ou des Ayta Bahman. Il constitue un document important pour saisir les diffrents
aspects de lorganisation des relations humaines au sein du grenier, de sa gestion matrielle
et de son entretien. Sa version en arabe notarial se trouve dans Al Othmani (2004, pp.225-
260) et la version franaise a t effectue par Robert Monatgne (1930, Arhmouch, 2001,
pp.123-164). La construction des difices collectifs dhabitation et de conservation des
grains, suite linstallation des tribus nomades dans les Oasis du Sud-Est marocain, serait
aussi, suivant lanalyse de Mezzine (1987, pp.32-33 et 1998), lorigine de ltablissement
des recueils de coutume dans cette rgion. Il explique, daprs la tradition orale, que, dans
un contexte dinscurit, les tribus agro-pastorales du Jbel Saghro, les Ayt Wahlim et les
Ayt Isful, dcidrent de construire un grenier collectif quelles appelrent igherm amazdar
pour y entreposer leurs crales au moment de leurs dplacements. Cette dcision a t le
dbut dune alliance, sous le patronage du saint de Tamslouht dans le Haouz de Marrakech
Sidi Abdallah ben Hsan, qui a aboutit la formation de la tribu des Ayt Atta. Chaque
tribu avait fourni un contingent appel irssamnpour la construction du qsar et, par la suite,
pour y habiter et en assurer la garde. Cest ainsi que sest forme la tribu des Ayt Isa. Pour
grer le qsar, on tablit des rgles qui ont donn naissance une taqqitt, celle dIgherm
amazdar. Mais compte tenu de la structure de ligherm, comme lieu dhabitation et donc
lieu du social, ce recueil sest volu pour couvrir, outre le dpt des grains et lentretien
de ldifice, les autres secteurs de la vie sociale, conomique et politique du groupe form
par linstallation des familles des irsammnet de leurs descendants. Il commence ainsi a
subir des modifications et des ajouts en fonction des rapports sociaux ns de la constitutiondu groupe, ce qui le diffre du statut des greniers dans lAnti-Atlas. Par ailleurs, le
dveloppement de la confdration des Ayt Atta a conduit ce que ce corpus senrichit
dautres dispositions labores en consquence des problmes poss par la transhumance et
par les rapports entre lignages ou tribus. La Taqqitt dIgherm Amazdar devint avec le
temps la loi fondamentale de toute la confdration et le recours juridique suprme de
toutes ses composantes en cas de litige et la tribu des Ayt Isa, ne de cet acte de fondation
qui en fait une tribu neutre, sest impose comme linstance juridique et politique
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suprieure de toute la confdration. Cest en ce sens que la taqqitt prsente un cas
particulier. Outre le fait quelle est lorigine une loi rgissant un grenier, elle est volue
pour rgir les rapports entre lignages constitutifs dun igherm(habitation collective) et, du
fait que celui-ci constitue une unit sociale de base, pour organiser la vie conomique,
sociale et politique. Lvolution de la fonction politique de lIgherm Amazdar au sein de la
confdration des Ayt Atta en fait galement un recueil dalliance. Cest ainsi que cette
taqqittse rapproche formellement dun autre type de coutumier en prsence dans lAnti-
Atlas que Al othmani dsigne de lluh n amqqun. Ce genre de document qui consacre
lalliance entre les localits dune tribu ou entre un groupe de tribus comporte, outre la liste
des rpondants devant lesquels seront portes les rclamations et le chef qui se charge de
lexcution des sentences, une liste de sanctions rserves aux contrevenants dans le
territoire que couvre lalliance [le seul lluhdans le Souss, notre connaissance, qui couvre
des secteurs importants de la vie sociale et politique est celui de Masst, dans la rgion
dAgadir (Arhmouch, 2001, pp. 89-108). Le fait que diffrentes localits partagent des
intrts conomiques en raison de la prsence dune communaut dirrigants tendue
explique ce fait].
Contrairement aux taqqitt-s du Sud-Est marocain, qui traduisent la spcificit de
lorganisation sociopolitique de ligherm et couvrent les diffrents secteurs de la vie du
groupe, les lluh du Sous peuvent contenir les rgles qui rgissent un secteur ou un lieu
prcis. Ainsi, des coutumiers sont attests qui ne concernent que lorganisation du
droulement dun march, comme lluhdu march Tlata n ayt mru dans le territoire des
Idaw Baqil dans lAnti-Atlas occidental (Al Othmani, 2004, pp.275-278), dun moussem,
comme le lluh du moussem de la tribu des Idaw Gwugmar dans le territoire des Idaw
Baqil (Al Othmani, 2004, pp.295-298), le prix dengagement dun matre coranique (Al
Othmani, 2004, p.331). Il peut aussi ne comporter que des dispositions consacres aux
infractions commises au sein dune mosque ou dun tombeau, comme le lluhrserve la
mosque des Igusaln dans le territoire des Idaw Smlal dans lAnti-Atlas occidentat (Al
Othmani, 2004, p.319).
d. tablissement du coutumier
En examinant lensemble des coutumiers que nous avons pu consulter aussi bien
dans le fonds constitu par Tamaynut [il comporte, outre certains recueils dj publis et
connus, certains recueils de lAnti-Atlas mridional et des valles de Bani, recueillis par
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Brahim Oubella] que dans les recueils publis (Mezzine, 1980-1, 1987, MHamdi, 1989,
Arehmouch, 2001, Ahda, 2001, Al Othmani, 2004), les dispositions rapportes par les
lluh-sse limitent des rgles de pnalits et les territoires concerns dpassent souvent les
frontires de la localit et couvrent les espaces de tribu ou de confdration de tribus ou
des lieux communs, comme la mosque ou du march, qui ne dpendent pas des attributs
de ljmat dune localit. Les lluh-s traduisent ainsi des moments importants dans la
dynamique des institutions tribales. Ne comportant pas des dispositions relatives la vie
conomique et sociale au sein de la localit villageoise qui constitue lunit de base de
lorganisation sociale (Adam, 1950, Amahan, 1992 et 1999), ils renseignent sur la
constitution dalliances entre localits au sein dune tribu ou de tribus qui forment des
assembles comme instances politiques et juridiques suprmes, et ninterviennent souvent
que dans le domaine pnal. La concidence des frontires sociales et politiques de la tribu
et de la localit dans le cas des igherman(qsur) explique par ailleurs le caractre global des
tiqqidin dans le Sud-Est. En cela, la coutume crite ninforme pas uniquement sur la
fondation dtablissements collectifs de conservation des biens, mais aussi sur la
dynamique dalliances qui avait marqu les socits rurales amazighes et particulirement
depuis la fin du XVesicle. Elle est ainsi labore sous forme de contrat crit et rpond
des impratifs de lvolution de la structure sociale ou de lexistence des lieux communs
dintrts entre groupes supra-locaux (March, gestion de lirrigation et des parcours
communs,). Elle exprime aussi la constitution dune instance politique suprme qui se
charge de la gestion de la violence entre les membres de groupes allis et de leurs rapports
avec les groupes voisins. Cest pour cette raison quon peut comprendre pourquoi ce genre
de coutumiers est mieux expos aux mutations sociales compte tenu du caractre
circonstanciel des instances qui le produisent. Par ailleurs, la coutume qui sest maintenu et
imbrique dans les pratiques sociales et circonscrite aux limites du village navait pas fait
objet de consignation par crit. Etant lie aux structures de base de lorganisation socialeque reprsente la localit, elle a mieux rsist aux changements et rgit essentiellement la
vie sociale et conomique du groupe. Elle constituera lobjet dun prochain chapitre.
Cela dit, lazerftant essentiellement fonctionnel, il est rest li la socit qui le
pense et le produit. Ses formes crites traduisent lexistence dune hirarchie
institutionnelle et expriment une situation socio-historique que caractrise la recomposition
des structures sociales supralocales en absence des services spcialiss dans le monopole
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de la violence lgitime. Mais comment on procde la consignation par crit de dispositions
coutumires et comment sorganise un recueil coutumier ?
La rdaction dun recueil coutumier est luvre des spcialistes de lcrit dans les
socits rurales, les laurats des universits rurales, mais sous la surveillance des instancesconstitues. En prsence des membres de ljmat et de son chef lu ou des garants dsigns
pour former linstance suprme de la tribu ou de la confdration ou pour assurer la gestion
dun grenier ou dun igherm, un lettr, gnralement le matre de la mosque du groupe,
est charg de la rdaction du recueil coutumier. Son travail consiste dans la transcription de
ce quon lui dicte, il na aucun droit de jugement ni de contestation,
nous avons crit ce texte avec la permission des oumana [garants], leur accord et
leur agrment, et en leur prsence, comme il a t dit au commencement du livre ,dit titre dexemple le transcripteur du lluhdes Ikunka (Arehmouch, 2001, p.154).
Mobilis pour une journe ou plus, il se mit la consignation par crit des
dispositions que linstance lui dicte. La rdaction consiste dans la transcription de
dispositions transmises jusqualors oralement ou dans la reproduction dun texte ancien
appartenant un autre groupe, mais aprs son adaptation et amnagement pour convenir
aux ralits du groupe. Dans lAnti-Atlas, le lluh dAjarif sest constitu en modle
rfrentiel dominant et celui dAgadir n Ikkunka nest, suivant Jacques-Meuni, quunecopie conforme (1951, t.II, p.70). Selon Al Othmani, le prambule du lluhdes Ayt Wizzln
signale que le groupe sest appuy sur le recueil dAjarif pour ltablissement du coutumier
de leur grenier (2004, p.106). Il en est de mme pour les tiqidin des Ayt Atta. Elles
respectent lanciennet des qsur-s suivant lhistoire de ltablissement successif des
diffrents lignages et se rfrent tous celle dIgherm Amazdar, considre comme tant la
premire coutume et acte de fondation de la confdration (Mezzine, 1987).
Lopration de la rdaction a pour objet ltablissement du recueil pour la premirefois, sa rvision en fonction des impratifs nouveaux par des modifications ou des ajouts
au gr des nouveaux problmes poss lassemble ou la communaut. Cest ainsi que
certains lluh-sdonnent une ide sur lvolution de la coutume crite chez certains groupes.
A propos de taqqitt n lgara dans la valle de Ziz, Mezzine signale, daprs des
informations orales, quelle a t tablie par le fqih du qsar en trois jours. Celui-ci crit les
rgles que les habitants de Lgara venaient lui dicter suivant les jugements rendus par les
diffrentes assembles de ligherm dont ils se souviennent encore. La taqqitt est en ce
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sens la transcription de rgles connues, aprs limination de rgles juges dsutes. La
transcription de la coutume tmoignerait ainsi du processus de la sdentarisation des
nomades Ayt Atta dans les igherman de la rgion. Elle traduit aussi ladaptation des
anciennes rgles ce nouveau cadre de vie et llaboration dautres rgles en fonction des
impratifs de la sdentarisation (1987, pp.41-42).
La transcription de la coutume peut avoir aussi une signification lgitimiste. Ecrite
par un homme de science religieuse ou sous les auspices dune autorit spirituelle2, elle
exprime la volont du groupe de sadapter, au moins au niveau formel, aux valeurs
dominantes de la communaut globale, surtout quand le pouvoir central devient trs
entreprenant. Lcriture donne une lgitimit la coutume. Elle permet de la doter dun
prestige en fournissant une image positive de la coutume dcrie par les lgistes. Dans unautre contexte, Gianni Albergoni souligne, propos dune tribu rurale de la Cyrnaque,
qucrire la coutume permet la tribu de donner une image positive sur elle-mme
ladresse des interlocuteurs trangers (2000).
Cest ainsi que certains lluh-s prcisent clairement leur inscription dans un cadre
lgal. Le langage utilis dans les prambules informe de cette volont harcelante par des
expressions qui revoient la divinit et des prires qui sollicitent de Dieu de bnir le
groupe qui cherche son bien et son salut. Je remets toute mon affaire Dieu, crit le lettr charg de la transcription du
lluhde lAgadir des Ayt Bahman, certes Il voit clairement ses esclaves. Losque
Dieu en a dcid, la jema des Beni Bhman notables et gens du commun- et
ceux qui sont entrs avec eux (dans cette assemble), les Beni Ssa et les Beni
Mechrak, se sont mis daccord pour rgler les affaires de leur pays, en tirer profit
et repousser ce qui est nuisible. Nous demandons Dieu, dans sa Providence, de
nous diriger dans la bonne voie et de nous donner de bonnes aspirations.
(Arhmouch, 2001, p.123)
Aussi, certains lgistes locaux chargs de la transcription de la coutume se sont
montrs favorables ltablissement et lapplication de la coutume. Au moment de la
consignation par crit de certaines dispositions coutumires, ils ont ainsi intgr leurs
opinions positives au prambule du coutumier. A cet gard, le Savant Abdallah ben Al Hajj
2A titre dexemple, la taqqittdIgherm Amazdar a consacr tout un passage Abdallah ben Hsayn et ses
descendants qui ont veill la constitution de la confdration.
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Chouayb de Talidla dans la confdration des Ilaln, Anti-Atlas mridional, a approuv,
dans le prambule du lluh de lagadir de Talidla quil avait transcris, la lgalit de la
coutume. Il prcise que considrant que le groupe dsigne ses garants qui procdent en
commun accord ltablissement de dispositions juridiques et leur consignation par crit
pour que ce document soit leur ultime recours, et considrant que ces dispositions ont t
labores pour parer contre tout ce qui touche lintgrit du groupe et leurs biens et, par
consquents, elles sont applicables tous les membres quelle que soit leur position sociale,
la pnalisation des dlits et lutilisation des sommes accumules des amendes infliges aux
contrevenants sont lgalement permises (Al Othmani, 2004, p.139) 3 . Dautres
transcripteurs insistent sur la ncessit qui donne droit, dans la doctrine malkite, faire
recours certains actes blmables. A titre dexemple, le lluh des Ayt Bahman postule que
146- ceci est pour le profit de la scurit des pauvres et des faibles, ainsi que les
autres.
147- ceci est (fait) en obissance Dieu, son prophte, notre mir, et pour
dsobir Satan.
148- ceci est quitable, conforme la vrit ; Dieu louange et remerciement ! ,
(Arehmouch, 2001, p.154).
Certains lluh-s noncent quils ont t tabli conformment aux coutumes des igudardes
Umsiltn, dans le territoire de la confdration des Ilaln, parce que le Sultan a approuv aux
Ilaln lapplication des coutumiers de leurs greniers (Al Othmani, 2004, p.246). Le renvoi
lattitude positive du Sultan montre la volont de certains groupes qui se trouvent dans des
rgions exposs aux actions du Makhzen donner une base lgale leur pratique juridique.
Sur un autre plan, bien que ces coutumiers soient crits en arabe, ils prsentent des
traits singuliers. Dabord, il sagit dun arabe altr, les rgles de grammaire et de
lorthographe tant ignores. Ensuite, lcrivain ne soigne pas son style. Il traduit
littralement des expressions en usage dans la langue locale vers larabe, il arabise certains
termes amazighs en rapport avec les procdures juridiques, il utilise certains termes arabes,
qui taient au dbut un emprunt de lamazighe larabe avant de subir des tribulations
smantiques, dans leur acception dans la langue amazighe sans tenir compte de lcart
3Un autre savant, Mohammed Ben Ali Al Yaqoubi al-Hilali, a justifi sa contribution ltablissement et latranscription de la coutume du grenier de la Zaouia de Sidi Bu Yaqub en affirmant quil est dans le devoirde la communaut et dans le devoir des savants de faire de leur possible pour tablir des rgles qui fortifientle temple du bien et sanctionnent toute acte visant laltration des intrts communs du groupe, (Al Othmani,
2004, pp.139-140).
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smantique et introduit aussi des vocabulaires juridiques amazighes (comme tamwult,
subvention, tafgurtou azzayn, amende, amksul, tranger) sans donner parfois dquivalents
en langue arabe. Cest ainsi que le dchiffrage de ces documents ncessite une matrise de
lamazighe et une connaissance suffisante du contexte et de la vie sociale et juridique du
groupe. La langue des coutumiers est une langue singulire, elle sapparente celle utilise
dans les actes notariaux. Elle nest pas de larabe, elle est une forme drive et amnage
quon peut dsigner darabe notarial. Avec la frquence et la rgularit stylistique de ce
langage on peut parler dune tradition singulire. La matrise relative de la langue arabe
des lettrs rustiques que certains chercheurs avancent pour expliquer la domination de cette
langue dans ce genre dcrit nest pas suffisante, lexistence dune tradition savante et bien
soigne en langue arabe dans la rgion montre la prsence dun corps important de lettrs
qui ont une matrise parfaite de la langue arabe. Il faut peut-tre chercher ses origines dans
la volont dinstituer une tradition spcifique et limite ce secteur vital de la vie sociale et
politique.
e. forme et contenu du coutumier
Au-del de la langue, les coutumiers crits prsentent gnralement des traits
communs au niveau de leur forme. Ils commencent par un prambule qui comporte la liste
des reprsentants des lignages prsents au moment de la rdaction, le nom du chef lu pourprsider lassemble constitue et veiller sur lapplication des dcisions prises, le nom de
lautorit religieuse ou scientifique sous les auspices de laquelle a t tabli ce
coutumier/contrat et, parfois, les circonstances dans lesquels a t tabli et ses fondements
lgaux. Ensuite, ils numrent les dispositions coutumires qui noncent les dlits et les
pnalits prvues, se rapportant aux diffrents aspects du domaine que couvre le
coutumier. Enfin, lcrivain introduit certaines recommandations et prie pour que Dieu
assiste la communaut dans son action pour le bien commun. Il met son nom et la date de
ltablissement du document.
Si la forme reste relativement rgulire, cest dans le cadre des dispositions
coutumires nonces quun coutumier diffre de lautre. Nous avons dj signal que le
lluhdu Souss consacre une alliance ou ltablissement dun difice ou dun lieu commun,
comme lagadir/grenier, timzgida/mosque ou un march et moussem. Cest ainsi que les
lluh-sconstituent des juridictions sectorielles. Certains tablissent juste ce qui se rapporte
lorganisation et la gestion dun march ou dun moussem, la scurisation des routes et
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des marchants et la lutte contre le trafic illgal des produits, ou la gestion dun difice
collectif (les lluh-s des greniers) ou la sanctification dun lieu saint, comme la mosque et
la zaoua dpendant des groupes allis. Dautres, qui consacrent une alliance, peuvent aller
de la rglementation de la coutume pnale dans les territoires que couvre lalliance jusqu
lorganisation des secteurs de la vie sociale, conomique et politique partags entre les
diffrents groupes allis. A cet gard, le lluhde Masst prsente le coutumier le plus labor
et le plus gnralis de la rgion. Etant donn quun ensemble important de localits
partagent des lieux communs, comme les services dirrigation, le march, les zaouas, le
coutumier rglemente la gestion de ces lieux et les pnalits infliges toute contravention.
Il couvre ainsi, outre le domaine pnal, les droits des eaux, la gestion des marchs et des
zaouas, la mise en dfens des rcoltes, la dfense du territoire de la tribu et les personnes
exemptes de ce devoir comme les tudiants coraniques, le foncier, lorganisation des
pturages et des dispositions concernant la procdure juridique et la relation avec la justice
coranique4. Par contre, le coutumier des Ayt Wadrim se limite aux dlits et des infractions
commis ausein de la tribu et ses lieux communs, comme laltration de lentente conclue,
le meurtre, le vol, le vol dans le march et dans le moussem, blessures et armes utilises,
menaces par une arme, complicit de meurtre ou de vol, perturbation de procdure
judiciaire, bagarre, dgts matriels et vol dans les lieux saints (Al Othmani, 2004, pp.
269-273). Les coutumiers comportent aussi des dispositions concernant les procdures
judiciaires et les critres requis pour quun individu soit membre de lassemble
lgislatrice ou excutive. Nous observons que les coutumiers de Souss, tant des actes
consacrant des alliances supralocales ne se rapportent pas aux secteurs essentiels de la vie
sociale et conomique du groupe. La gestion de ces derniers qui entrent dans les
attributions des assembles de localit na pas fait objet de consignation par crit.
Par ailleurs, la spcificit de lorganisation sociale et politique de l igherm (qsar)
dans le Sud-Est a fait que les coutumiers de ces habitations collectives rgissent tous les
aspects de la vie prive et publique. Prenons par exemple la taqqitt dIgherm de Lgara,
dans le Tafilalt, fond par des lignages Ayt Atta. Daprs lanalyse de Larbi Mezzine
(1987), elle comporte un prambule, trois chapitres et deux documents annexes. Le
premier chapitre contient des rgles se rapportant aux dlits commis au sein du qsar, des
4A titre dexemple, la disposition portant le n110, postule : Deux individus, aprs avoir prsent un litigedevant la tribu ou la djema, dcident dun commun accord de porter ce litige devant le chra ; si cettejuridiction dfre le serment lun des deux plaideurs il devra jurer selon les rgles admises par le chra tout-
puissant, et non selon les prescriptions de lOrf , (Arehmouch, 2001, p.106).
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dispositions relatives la vie politique et sociale, la rglementation de la vie dans les
pturages et aux modalits de fixation des prix pour les objets localement fabriqus. Pour
ce dernier point, la taqqitt stipule dans sa disposition 152 que
le ayh choisit quatre personnes et sajoute elles pour fixer avec les potiers, lesforgerons et les autres artisans, le prix de tous leurs articles. Il ne sera plus possible
lartisan, aprs cela, de vendre un prix suprieur au prix fix. Quiconque
manque cet accord est passible dune amende de 5 mitqal-s, et son protecteur ne
pourra, en aucun cas, le dfendre (Mezzine, 1987, p.222)
Le deuxime chapitre est relatif la palmeraie. Il comporte ainsi des pnalits
prvues pour des dlits, des dispositions se rapportant la rglementation de la vie dans ce
secteur conomique vital comme les modalits de lorganisation de lirrigation et desrcoltes et lapplication de la mise en dfens. Au-del, certaines dispositions concernent les
modalits de la constitution des Ayt Izerf, une forme de tribunal local. Le troisime
chapitre est consacr aux rgles qui rgissent lassociation agricole du khamms et la
condition sociale des Haratin. Il intgre galement des dispositions se rapportant la vie
dans le qsar et dans la palmeraie et la fonction du chef lu. En cela, la taqqitt,
contrairement aux lluh-s de Souss, nest pas exclusivement focalise sur les rparations
matrielles dans les affaires pnales, elle touche aussi des domaines oublis par les autres
coutumiers comme lorganisation de l'exploitation collective des terres agricoles, le statut
foncier, lassociation agricole et le statut des ouvriers agricoles et lorganisation de la vie
sociale, conomique, politique et juridique du qsar.
f. procdures judiciaires
Au-del des diffrents secteurs de la vie rgis par la coutume, les coutumiers nous
renseignent galement sur les procdures judiciaires et les voies suivies pour lapplication
des sentences. Dans ce cadre, nous allons prsenter brivement cette question sans dtaillertoutes les pripties. Tout dabord on procde la constitution du tribunal coutumier,
appel selon les rgions ayt uzrf, imzzurfa,inflas, ayt rbin, qui diffre dune rgion une
autre. Dans certains cas se sont les personnes mentionnes dans le prambule dun lluhqui
constituent ce tribunal, ils reprsentent les diffrentes localits dans le conseil suprme de
la tribu ou de la confdration. Il leur revient dappliquer, aprs avoir pris connaissance de
laffaire, la sentence prvue par le document crit. Si la rgle nest pas prvue, il leur
revient de dlibrer. A cet gard, le lluh de lAgadir des Ayt Bahman, stipule dans sa
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disposition portant n149, toute convention qui ne se trouve pas, cest--dire dans ce
lluh, est dans la tte des cheikhs et ce sont eux les ummals[responsables dsigns] ,
(Arehmouch, 2001, p.154). Dans la rgion du Sud-Est, cest lamgharlu qui dsigne les
imzzurfa, personnes justes et matrisant les dispositions coutumires, chargs de la
constitution du tribunal local. A cet gard, la taqqittde Lgara, prcise les modalits de sa
constitution. Elle stipule, dans la disposition n213, qu
il appartient au ayh de choisir les gens dizerf au sein des rubu [ un quart
littralement, division lignagre] du pays. Sils narrivent pas se mettre daccord
sur laffaire en instance, le ayh devra choisir dix autres personnes. Si elles
narrivent pas se mettre daccord de nouveau, le ayhdevra encore choisir dix
autres personnes. Si elles narrivent pas se mettre daccord [pour la troisime
fois] il fait le total [des voix des trois dizaines], et si la majorit aux deux tiers est
atteinte laffaire est close. Sil ya galit des vois, les trente personnes iront
soumettre laffaire aux gens de Tahiamt [un autre qsar des Ayt Atta considre
comme lancien qsar fonde dans la rgion de Tafilalt]. Sils ne sont pas satisfaits
par la sentence considre comme ultime chez les gens de Tahiamt, laffaire sera
prsent au ayhdes Ayt umnasf [un ancien lignage de la confdration) qui lui
appliquera lultime solution prvue pour un tel cas. Si les trente personnes se
divisent en deux parties gales, le dernier mot reviendra ceux avec qui le ayhsaligne , (Mezzine, 1987, p236-7).
Quant la procdure juridique, elle est relativement identique et se caractrise par sa
simplicit. Le plaignant avertissait le conseil et laccus et dpose sa plainte auprs du chef
du conseil, de tribu ou des ayt rbin. Un dlai conventionnel tait donn laccus pour se
prsenter ou de mandater un rpondant. La prsence est obligatoire. A cet gard, la taqqitt
de Lgara mentionne clairement, dans sa disposition portant n218, que
lorsquun individu dit, en prsence dun tmoin, un autre : si tu ne me suis
pas devant le ayhtu fera dfaut en justice (tirzi n usrud[en amazigh]), et que
celui qui a t cit en justice ne se prsente pas devant ayh, il est, aprs attestation
du dit-tmoin, passible dune amende de 2 mitqal-s. Si cet individu traduit la
personne en question devant leayhet ne peut prsenter de tmoin, cette amende
se retourne contre lui (Mezzine, 1987, p.231)
Dans le mme cadre, le lluhde Massat postule dans la disposition 31 que
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celui qui ne rpond pas la citation de son adversaire devant les Inflasde la
Djema ou devant le mhakkim (Cadi), selon le cas, paiera 25 onces
(Arehmouch, 2001, p.94).
Aprs avoir vrifi les dclarations et les preuves prsentes, le tribunal rend sonjugement. Parfois, laccus est oblig de prter sermon avec un nombre dtermin selon les
chefs daccusation pour prouver son innocence. Faire partie de ce tribunal, plac sous la
responsabilit du chef, exige du candidat dtre g, responsable et avoir une connaissance
des rgles coutumires, parce que, dans certains cas, le manque de rgle dans le coutumier
rfrentiel crit ncessite le recours une dcision unanime ou majoritaire issue de
dlibrations collectives des membres du conseil5. Il est ainsi formellement interdit, dans
certains lluh-s de Souss, toute personne accuse de vol dans le grenier de figurer dans laliste du conseil qui gre cet difice. Aussi, tout membre de conseil impliqu dans une
affaire pnale ou morale est destitu de ses fonctions (Al Othmani, 2004, p. 163 et p.233).
Lapplication de la dcision et lexcution des sentences rentrent dans les attributions du
conseil. Il utilise les moyens de pression morale en impliquant, dans le cas chant, les
autres membres de son lignage. Dans la procdure excutoire, le chef fixe un dlai
dexcution de la sentence prononce et veille lui-mme sur son application. Les sentences
consistent dans la rparation par restitution de lobjet vol et dans le ddommagement en
cas de meurtre, de blessure ou dadultre en plus de pnalits verss au conseil. Dans
certaines rgions, il est possible de faire appel. Dans ce cas, la hirarchie institutionnelle
fonde sur des considrations dautochtonie de tribu ou de confdration est respecte. Le
cas dIgherm Amazdar, qui constitue linstance juridique suprme de la confdration des
Ayt Atta et dont la sentence prononc est juge tre sans appel, illustre mieux ce cas de
figure.
Certains coutumiers dterminent aussi les modalits de conservation et de lusage du
document contenant les rgles applicables. Ainsi, dans le lluhdes Ikkunka, il est prcis
que toute personne, charge de garder le document chez elle, est oblige de le prsenter au
conseil lu au cas du besoin. Si elle refuse, son acte est passible dune amende. Il prcise
aussi que le lluhdevrait tre dpos auprs du gardien du grenier (lamin) et si la personne
5En ce qui concerne la dcision collective, les disposition 44 et 307 de taqqittde Lgara stipulent que ladsignation des ouvriers du pressoir huile se fait aprs concertation du ayh et de ses mzarig imengas[rpondants des lignages]. Si lunanimit nest pas ralise, on adopte le choix de la majorit et si tousles gens de la qbila sentendent sur une quelconque affaire, [lopposition d] une personne ou deux jusqu
cinq ou six, ne peut entraver leur dcision (Mezzine, 1987, p.203 et p.247).
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auprs de laquelle a t dpos lavait montr a quelquun dautre sans la prsence de tous
les responsables dsigns, il est condamn payer une amende prvue pour cette infraction
(Al Othmani, 2004, p.236). Dautres mthodes ont t galement institues pour informer
les intresses des dispositions de loi tablies par le groupe, comme la lecture du lluhet
son explication aux intresss dans une runion publique ou noncer des rgles prcises
par la voie du crieur public (abrrah) dans les marchs ou dans les villages en fonction des
dcisions ou des saisons. Le lluhdes Ayt Lmadr ordonne ainsi de crier publiquement sur
le toit de la mosque tout ce qui a t dcid dans le recueil pour que tout le monde le
sache (Al Othmani, 2004, p.109).
Il rsulte de ce bref rappel de certaines considrations gnrales propos du droit
coutumier, et en particulier sa version codifie et crite, que cet un droit trs labor etrpondant aux exigences de la structure sociale. Il couvre dans la rgion o la structure de
la tribu concide avec les frontires de lunit sociale de base, tous les aspects de la vie
sociale, conomique, politique et cultuelle du groupe, alors que dans les rgions o la tribu
se prsente comme une alliance de localits, qui forment les units de base, il rgit
essentiellement les affaires pnales et la gestion de certains difices, territoires et lieux
communs aux groupes ayant conclus une alliance. Dans ce cas, crire une coutume marque
souvent ltablissement dune alliance et la constitution dun conseil charge de veiller sur
son maintien ou ldification dun lieu ou dun service commun. Il complte ainsi une
autre composante de la coutume qui, tant inscrite dans les pratiques sociales, demeure lie
la gestion quotidienne des affaires et sa transmission et son apprentissage se fait sur le
tas. Elle est souvent relative la gestion des secteurs vitaux de la vie conomique, comme
la mise en dfens des rcoltes, le partage des droits deau, la gestion des lieux du culte, des
parcours et des terres collectives. Lexistence des niveaux diffrents de coutume dans les
socits amazighes, surtout dans le domaine de prsence de lluh-s, sexplique par la
hirarchie des institutions dans la structure tribale (assembles de localits, conseil de
fraction, de tribu ou de confdration (Inflas)). Cette division qui traduit une hirarchie de
structures est dterminante dans la comprhension des lieux de rsistance de la coutume
aprs les mutations sociales et cultuelles perptres aprs lintervention coloniale et le
dbut de processus de formation et dimposition de la lgislation nationale.
Signalons galement que malgr la suprmatie de la coutume dans lorganisation de
la vie du groupe qui sexplique par la souverainet de ses instances lues, la justice
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coutumire ne sarroge pas les comptences attribues la lgislation formelle musulmane
dans les affaires du statut personnelle et, dans certaines rgions, les affaires foncires et de
lhritage. Toutefois, lassemble lue garde un droit de regard et veille sur la dcision du
juge ou de lautorit religieuse dsigne pour trancher cette affaire. Elle peut mme infliger
des amendes contre des juges ou des lettrs injustes. Certains lluh-s ont fix les modalits
du recours au droit chra dont se chargent les autorits scientifiques reconnues par les
instances de la tribu. Ainsi, le coutumier de Masst prcise que
35- lorsque le Cadi prononce un jugement et que celui-ci est confirm par un
deuxime magistrat, laffaire est considre comme dfinitivement close. Mais, si
le jugement est infirm, laffaire est alors porte devant un jurisconsulte ou nadir
qui examine les deux jugements et rend le sien, lequel est dfinitif et absolu.
36- undelqui na jamais fait de faux et qui nie avoir rdig un acte au bas duquel
il avait appos sa signature : 20 mitqals et hbergement desIneflas.
37- mmes peines pour celui qui se rend coupable de faux et dont la culpabilit est
nettement tablie.
38- les personnes qui se disputent en pleine audience devant le Cadi : 5 mitqals
chacune.
39- les Tolbasen fonction des les mosques, peuvent officier au mme titre que les
doul; leurs crits seront valables au point de vue juridique.40- si un magistrat, Cadi ou Mufti, aprs avoir prononc un jugement, obtient
certaines preuves sur laffaire juge par lui, preuves la suite desquelles il infirme
son jugement, il est ncessaire quun autre magistrat reprenne laffaire en mains
pour recommencer la procdure. Dans ce cas, le premier juge ne peut tre lobjet
daucune poursuite et ne peut tre accus dabus de pouvoir (Arehmouch, 2001,
pp.94-95).
Dautres dispositions du mme lluh-s dlimitent les frontires entre les procdures dela coutume et du chra:
107- lorsquun individu reconnat au souk ou au moussem, entre les mains de
quelquun, un objet qui lui a t vol, les deux parties, si elles sont daccord,
peuvent porter leur diffrend devant le chra qui le jugera. Dans ce cas, lOrf
naura pas simmiscer.
() 110- Deux individus, aprs avoir prsent un litige devant la tribu ou la
djema, dcident dun commun accord de porter ce litige devant le chra; si cette
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juridiction dfre le serment lun des deux plaideurs il devra jurer selon les
rgles admises par le chratout-puissant, et non selon les prescriptions de lOrf
(Ibid, pp.105-106).
Si ces dispositions montrent lexistence de la procdure chra au sein de certainestribus, elles informent galement que son fonctionnement est surveill par les institutions
coutumires. Cest ainsi que les Cadis dsigns par le pouvoir central ne bnficient pas de
la confiance des communauts locales. A titre dexemple, le Cadi Ahmed Ben Brahim As-
Semlali, charg par le Sultan Hassan 1er la fin du XIXesicle doccuper la charge de cadi
dans le territoire des Ayt Bamran, mentionne dans une lettre crite son seigneur quil
na pas t sollicit par les habitants de la rgion pour trancher leurs litiges (MHamdi,
1989, p.79). Cela ne montre pas, comme lavance ce jurisconsulte, que les gens ignorent la
justice chra, mais approuve, compte tenu de lexistence des lettrs locaux qui statuent
dans le domaine du statut personnel, que les ruarux prfrent solliciter lintervention de
cadis que eux-mmes choisissent. Par ailleurs, au moment de llaboration de rgles, les
Inflas peuvent galement demander lavis de plusieurs jurisconsultes et dlibrent sur
lavis adopter. Mais cela ne signifie pas une obissance totale aux jugements rendus par
ces autorits, le dernier mot revient toujours aux institutions tribales qui tendent
amnager ces avis pour les adapter aux ralits locales et dimposer la solution qui rpond
mieux aux intrts communs. Elles prservent ainsi leur autorit et leur comptence
lgislatrice. Cest en ce sens que le droit positif tribal est troitement li aux instances
charges de son laboration et de son application. Il est dynamique, changeant et sadapte
aux ralits nouvelles en fonction des circonstances. Il est ouvert sur toutes les sources du
droit avec lesquelles il est entr en contact, en particulier la lgislation formelle musulmane
chra. Il lui emprunte des principes juges ncessaires lintrt du groupe et rejette,
suivant le principe de ncessite, ce qui peut nuire la cohsion et au maintien du groupe,
comme condition essentielle la continuit de la vie dune socit.
Etant ainsi visible et central dans la gestion des affaires commune, il sest constitu en
objet du dbat, en particulier de la part des lgistes religieux.
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II. Attitudes des principaux acteurs du Maroc prcolonial
Limportance du droit coutumier dans la structure sociale ne sexplique pas
seulement par leffort dploy pour son laboration et pour sa dotation de supports
institutionnels puissants, mais aussi par sa constitution progressive en un objet danslhistoire des savoirs propos de la culture et de la socit dans le Maroc prcolonial. Ce
droit est en effet un de ces objets qui de longue date ont occup la production des discours
sur la socit rurale qui comportent, outre les crits des chroniqueurs et des lgistes, les
avis et imprvus juridiques fatawi et nawazil et les rponses ajwiba. Selon Ali Sadki
Azayku (2001, pp.185-238), cest partir du XIVe sicle que le dbat propos des
institutions coutumires commence merger, donnant naissance des points de vue qui,
marqus par les conditions sociales et politiques de leur production, sont multiples etcontradictoires. Ce dbat est mettre en rapport avec la prsence dune forte dynamique
entre la volont de centralisation de la part des pouvoirs centraux qui se sont succd et de
fortes autonomies rgionales. En fait, la formation dune forme de pouvoir central qui
exerce une pratique politique inspire de la tradition islamique a fait que le Maroc, dans
lordre gographique mais aussi dans lordre culturel et politique, comporte deux territoires
socio-politiques distincts : un espace rural et priphrique et un autre citadin et central, lieu
du pouvoir et de sa culture lgitimes. Comprendre donc pourquoi la coutume a fait objet de
toute une production cest connatre les rapports complexes que ces deux espaces
entretenaient et limpact de lusage des symboles religieux dans la mise en uvre des
processus sociaux et politiques de lgitimation. Dans ce cadre, laction du pouvoir et les
processus de sa lgitimation, fonds essentiellement sur la gnalogie et sur une utilisation
massive de symboles religieux, joue un rle dterminant dans la formation dune
production idologique. On assiste ainsi la formation dune catgorie de lgistes qui,
affilis au pouvoir, se consacrent la dfense dune forme particulire de culture et
critique certaines pratiques sociales et culturelles juges loignes de la norme religieuse
officialise. Il est donc intressant de se rappeler la frontire sociale, et mme politique,
entre cet espace rural et priphrique et li aux institutions sociales traditionnelles, appel
dans la littrature historique classique pays de la dissidence, bled es-Siba, et lespace
citadin, organis suivant une certaine interprtation de lIslam classique et leiu du pouvoir
et de culture lgitimes, appel bled el-Makhzen, pour une meilleure apprhension de la
formation des discours sur la coutume.
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Si cette production permet de saisir comment le droit est peru elle constitue
galement une source importante pour situer les origines culturelles de la fabrication de la
coutume comme corps ngatif de la nation durant le processus nationaliste. Au sein de
cette production, on peut distinguer entre, dune part, les attitudes qui donnent raison
lexistence de la coutume en mettant en avant les conditions qui poussent les communaut
locales sattacher leurs pratiques juridiques et, dautre part, la position ngative du
pouvoir central et de ses lgistes. Pour commencer, nous tenterons de voir pourquoi les
ruraux et leurs lgistes dfendent la pratique coutumire.
a. les ruraux et leurs institutions
Durant le processus dislamisation du Maroc, les socits rurales amazighes,
organises souvent en communauts locales, sont entres en contact avec le droitcanonique musulman, parce que lIslam nest pas simplement un systme de croyance, il
porte aussi un modle dorganisation sociale et politique. Toutefois, ce modle, n dans le
contexte dune cit marchande, est difficilement applicable dans les socits rurales. Cest
ainsi que ladoption de lIslam ne sest pas traduit par un abandon total de certaines
pratiques souvent dcries par les lgistes urbains. La situation de contact et, parfois, de
tension, ne de ce processus, mais caractrise par un quilibre et un dialogue entre
lassimilation et le rejet qui fait le propre dune socit fonctionnelle, a permis au systmecoutumier de se maintenir et de senrichir et aux ruraux dlaborer des stratgies de
lgitimation de leur systme juridique.
Pour comprendre cette situation, nous allons prsenter lattitude des ruraux et la
position positive de certaines autorits scientifiques averties des affaires rurales. Pour ces
socits, la conservation dune autonomie de gestion et de contrle de ressources est un
moyen ncessaire leur maintien. Elles sopposent ainsi tout monopole du pouvoir
politique et administratif. La dlgation de la gestion des affaires communes aux lgistes,qui ignorent souvent les lois de fonctionnement de la socit et les pripties de
lorganisation sociale et des particularismes locaux, conduit ncessairement au dsordre et
la ruine. Daprs un rcit, les habitants de la valle dIlmgert, dans le territoire des Idaw
Kensus dans lAnti-Atlas mridional, considrent la prsence des fonctionnaires du
pouvoir central comme synonyme de la perte dquilibre social. Ils racontent quun
reprsentant du Makhzen nomm lqaydAbdallah u-Buzayd sest install dans un temps
quils narrivent pas dterminer dans la valle. Il a tabli son quartier avec sa famille et
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ses lieutenants dans un endroit proche de la source deau (dar lin). Aprs leur
installation, ils commencent scarter de la conduite rgulire. Ils perturbent ainsi lordre
de la vie sociale et jettent des cadavres de leurs bestiaux dans la source. Par leur prsence
et leurs actes, ils privent les habitants de leau et sa distribution sur les ayants droit se
trouve galement perturbe. Ils mettent ainsi en danger les rcoltes et privent les habitants
de leur ressource principale. Le rcit ne donne pas dautres dtails sur la dure de leur
prsence ni des ractions diverses des habitants. Il se contente dindiquer quaprs la mort
du reprsentant du Makhzen, qui na pas t remplac, et lexpulsion desdits trangers ,
la vie sociale et les normes rgulatrices des relations entre diffrentes localits de la valle
ont repris leur cours normal. Ce rcit explique en effet que la concentration du pouvoir
entre les mains dun seul personnage met en danger lquilibre social et que la prise en
charge des affaires communes par les instances traditionnelles a permis le rtablissement
de lordre et de lquilibre.
Le recouvrement de la souverainet institutionnelle sur la gestion des affaires
communes constitue ainsi un lment essentiel la structure sociale. Il sert prserver les
fondements structuraux du maintien de lordre social par la consolidation des institutions
locales. Cest ainsi que certains groupes locaux, comme les habitants de loasis de Figuig
dans le Sud-Est, ont fait de la reconnaissance de leur autonomie de gestion le pralable la
reconnaissance de lautorit du Sultan. Ali as-Soussi, missaire de Hassan I, parti inspecter
les confins algro-marocains dans la deuxime moiti du XIXe sicle, signale dans son
rapport lattitude de ces groupes organiss en qsur. Il crit :
Quand on leur a demand de se mettre daccord sur la dsignation du
reprsentant du cad Abdelmalek, ils ont manifest un sentiment profond de refus
et de mcontentement. Ainsi, nous les avons interrog sur la raison de leur attitude.
Ils ont dit : Si les affaires de Figuig sont tombes dans les mains dun seul
homme, le pays risque de se perdre et de sexposer la conqute des mcrants.
Une personne ne pourra pas grer efficacement le bien commun . Nous avons
alors accept leur propos raisonnable. Et nous avons consign que les affaires de
Figuig et leur relation avec le roumi nentreront pas dans les prrogatives du
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reprsentant makhznien. Ce dernier se contenterait de sa prsence au sein de la
jema. Ainsi, ils ont accept de reconnatre lautorit du Makhzen 6.
Lopposition au pouvoir central traduit ainsi cette ncessit ressentie, exprime et
formule de prserver la gestion des biens communs aux instances locales. En cela, lareconnaissance de la lgitimit politique ou religieuse du Sultan ne signifie pas au regard
des communauts rurales la soumission au pouvoir politique effectif du Makhzen, parce
que la logique de concentration du pouvoir entre les mains de fonctionnaires qui ignorent
tout des affaires rurales ne peut quaboutir au dsordre social. Cest pourquoi la rvolte des
ruraux relve de la ncessit dune autogestion localise du bien commun, en absence
dune gestion quitable de la part du pouvoir central. La dissidence est alors lie tout le
systme social de la socit rurale. Il nest pas inconsidr daffirmer que la totalit de ces
ractions sinscrivent dans la dfense dun droit au contrle des espaces vitaux de la vie
sociale et politique des communauts locales. La socit rurale tient aux conditions de sa
continuit et de reproduction. Et compte tenu du fait que la coutume occupe une place
centrale dans cette structure sociale, il est normal quelle soit au centre des discours sur
cette socit et ses institutions. Dans ce cadre, la position des lettrs qui sont affilis aux
institutions rurales et dont le prestige et le traitement y dpendent, ne peuvent que soutenir
cette position et, par consquent, dfendent la lgitimit de la pratique coutumire. En
posant le problme du statut lgal des institutions coutumires avec lesquelles ces lettrs
doivent composer, ils penchent souvent pour la lgitimation de la coutume. Pour ce faire,
ils appuient leurs avis favorables sur la ncessit du maintien de la paix et de la
prservation de lordre et de la justice. La dfense de la lgitimit est ainsi dicte par les
exigences de lintrt gnral. Les stratgies de lgitimation sarticulent autour du principe
juridique ncessit fait loi. Au-del des positions dj cites et inclues dans les prambules
des lluh-s, les avis dautres autorits illustrent mieux cette stratgie. Ainsi, et en rponse
une question adresse par Sidi Sid Ben Abdlmunim al-Hahi, un marabout dans le Haut-
Atlas au temps des Saadiens, le cadi de Taroudant, Isa as-Suktani, affirme que toute
personne concerne par la question de la coutume devrait prendre en considration les
conditions des populations rurales, de leurs affaires et intrts, parce que la ncessit fait
loi. Il part dune exprience et dune connaissance suffisante des affaires rurales, cest ainsi
quil rsume son avis en disant que voir est tout fait diffrent de se contenter dentendre
6Ali As-Soussi, Muntaha an-nnuqqul wa mushtaha al-uqul (le plus probant des crits et la passion des
esprits), ms BG, D.633, p. 155.
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sur ces affaires (laysa man raa ka man samia). Aussi, le cadi Ibrahim Ben Youns
considre, dans sa rponse la mme question, que ltablissement du tribunal des inflas
est un devoir et leurs actes sont tolrables. Il est mme dans le devoir des personnes ou des
autorits qui se trouvent leur proximit de les aider dans cette affaire (Sadki Azayky,
2001). Dans le mme sens, un autre lettr du nom dAl-Abbasi postule, daprs Ali
Amahan (communication personnelle), que tout gouverneur devrait obliger ses gouverns
suivre les coutumes locales. Lapplication de textes juridiques de la tradition sans
connaissance du contexte particulier des socits rurales serait ainsi une erreur. Dautres
juristes, comme Abu Salim as-Sijilmasi et Muhammad Ben Abdallah ad-Dilmi, ont
galement soutenu que lassemble locale, compose dhommes justes et dcids
appliquer quitablement les dispositions labores en vue du maintien de la paix et de la
justice, peut se substituer au sultan ou au cadi dans le cas o ils nexistent pas ou sils sont
injustes (Al Othmani, 2004, pp.150-154). Un autre savant, de nom de Abdallah Ben Lhajj
Chouayb originaire de la localit de talidla dans le territoire des Ilaln, a dfendu lutilit
des inflas, en les levant au rang de combattants/Mujahidin. Il prie Dieu de lassocier leur
uvre pour permettre la socit de maintenir les conditions favorables toute vie et
lexercice de la religion (Ibid, p.153). De son ct, Baba at-Tamboukti ne condamne pas
les institutions coutumires. Il avance quen labsence de toute forme institutionnelle lgale
(reprsentant du Sultan lgitime, Cadi), il est tolrable que les communauts musulmanes
priphriques lisent des groupes informels, mais ceux-ci doivent imprativement
appliquer la loi lgale. Il apparat donc que ce savant dfend une implication au moins
consultative du lettr (Sadki Azayku, 2001).
Nous pouvons ainsi dire que, du point de vue des ruraux, la runion des conditions
ncessaires au maintien de lordre et la gestion rationnelle des ressources structure leur
conception des choses. Cest ainsi quils sopposent toute ingrence extrieure y compris
celle du pouvoir central, mme sils reconnaissent sa lgitimit. Et du point de vue de la
classe de lettrs, ils admettent la lgitimit de la coutume et des institutions que son
laboration et application impliquent. Ils ne veulent pas ainsi souscrire la conception des
lgistes officiels, parce que, dune part, ils ne souhaitent pas voiler les ralits locales et,
dautre part, entrer en conflit avec des institutions puissantes avec lesquelles ils doivent
composer. Mais cela ne veut pas dire que tous les savants ruraux ont des attitudes
positives, certains, comme le Cadide Marrakech au temps des Saadiens Muhammad Ben
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Umar al-Hashtuki, condamnent la structure sociale et la loi quelle produit et postulent
que la manire normale de se comporter est de se soumettre lautorit lgitime et sa loi
(sadki Azayku, 2001 et Al Othmani, 2004, p.143-4). Ce genre dattitude traduit une
position sociale et prfigure les avis ngatifs de la majorit des lgistes officiels qui
dfendent leur statut social en se proclamant dfenseurs de la lgitimit.
b. le point de vue du Makhzen et de ses lgistes
Pour mieux saisir la position ngative des lgistes officiels, il savre ncessaire de
placer cette classe socioprofessionnelle dans son contexte social et politique. Affilie au
pouvoir central, elle dfend son statut au travers llaboration des stratgies de sa
lgitimation. Ce pouvoir est dinspiration islamique. Il sattache ainsi se distinguer des
groupes sociaux qui, organiss globalement en tribus suivant dautres modles, chappent son pouvoir militaire et administratif. Dans ce cadre, la dfense dune norme politico-
religieuse historiquement tablie fonde une stratgie de conqute ou de dfense de la
lgitimit dynastique. Elle implique ainsi lexagration des traits culturels qui dfinissent
lautre proche et concurrent. Cest en ce sens que toute une vision de la ruralit ngative
sest constitue travers lhistoire et sest transmise au sein des lites qui gravitent autour
du Sultan et sarticule autour des thmes de la dissidence et de lhrsie. Le pouvoir central
en se prsentant comme dtenteur lgitime de la norme religieuse se dfinit par rapport auxautres groupes sociaux qui obissent dautres lois dorganisation sociale et politique.
Cest en ce sens quils sont dsigns comme rebelles et dissidents, et leur mode
dorganisation sociale et politique est qualifi dhrtique et de jahiliya. La jahilya est la
priode pr-islamique. Elle dsigne, dans le langage des Ulmas officiels et du Makhzen,
lignorance, le non respect de la loi lgale, lobscurantisme et la btise. Cest dans ce
contexte que le terme de siba (dissidence, anarchie) qui caractrise toute une histoire de
savoirs propos des relations entre le Makhzen et les tribus prend toute sa signification. Il
est utilis pour marquer la diffrence statutaire entre ces deux espcaes. Ds le XIesicle, le
jurisconsulte Abu Imran al-Fassi (m.430/1039) opra une distinction entre al-bilad as-
saiba le territoire de la dissidence et al-balad al malum bi taa territoire de
lobdience7. Le premier est le lieu de linsoumission et le deuxime dsigne le territoire
dpendant de lautorit du chef lgitime. Au XVIIesicle, al-Arabi al-Fassi (m.1692) donne
7Voir, Abu Imran al-Fassi,Masail al-mudawannah (questions de corpus de jurisprudence), ms D1839 de la
bibliothque gnrale de Rabat, pp. 32-102.
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une dfinition gographique et juridique de la siba. Elle sapplique aux tribus qui se
trouvent en dehors du domaine du pouvoir central. Il crit :
al-qabail fi lbilad allati la tanaluhum fiha ahkam as-Sultan li taqallusi dhili
ddawlati ani lqathar wa lmucahadatu fi lwaqti huwwa anna lqabaila baida
ghayata lbudi an tanfidi zzawajiri lmuqaddira wa ghayriha fiha ala wajhi ash-
shari [les tribus qui se trouvent dans le pays o lautorit du Sultan natteint pas
cause de la faiblesse du pouvoir de lEtat Etant ainsi lointaines, ces tribus ne
sont pas en mesure de rsoudre leurs problmes en accord avec la loi religieuse 8.
Dans ce sens, la siba est le fait de se tenir dans une position rfractaire lautorit
effective du Sultan, en tant que chef lgitime de la communaut. Elle marque les limites dela soumission et de lordre. Elle est en quelque sorte la manifestation dune dfiance
lgard de lautorit centrale. Cest pour cette raison quelle est souvent condamne et, si
les moyens sont suffisants, combattue. Ces qualifications juridiques donnent une ide de la
manire avec laquelle la socit rurale marocaine est conue par des autorits scientifiques
proches du pouvoir central. La notion de siba mane alors de ce que Berque qualifie
dirrdentisme juridique. A titre dexemple, le Sultan Abd Rahman (1822-1859) dsigne,
dans une lettre, les pratiques coutumires relatives la vie politiques des tribus amazighesde conduite illgale. En rapportant le cas dun cad makhzen qui, au gr des circonstances,
sest ralli politiquement ces tribus qui entourent la ville de Fs, il explique :
Il sest rendu coupable dune vilenie inconnue dans sa ligne en acceptant de passer
avec eux le pacte de tada, auquel aucun homme digne, aucun Arabe de bonne naissance,
naurait souscrit ; il a accept de suivre leurs coutumes antislamiques [jahiliya], de
partager avec eux le repas traditionnel prpar cet effet, de venir chez eux dchauss et
tte nue pour que, la crmonie stant droule dans les formes, ils aient confiance enlui et le considrent comme un des leurs 9.
Le cad est originaire de Beni Ahsen, une tribu guich. En se rendant ainsi chez les
ruraux dissidents et en adoptant les rgles de leur coutume politique, il a rompu ses liens
8Cf. al-Mahdi al-Wazzani, an-Nawazil al-jadida al-kubra(Grandes et nouvelles imprvues juridiques), Fs,dition lithographique, 1910, p. 186.9Cit par Ibn Zaydan, Ithaf alam an-nnas bi jamal hadirat Maknas, Rabat, Imprimerie Wataniya, 1929-1933, t. V, p. 80. La traduction franaise est tire de, A. Laroui, Les Origines sociales et culturelles du
nationalisme marocain, Casablanca, Centre Culturel arabe, 1993 (1977), p. 165.
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avec le Makhzen qui incarne la conduite politique normative. En un sens, il ne fait plus
partie de la grande famille. Il est devenu dissident. Adopter la coutume des ruraux,
considre comme appartenant une socit jahilienneet sauvage, apparat ainsi comme
une excommunion. Si on doit appliquer la thorie de F. Barth cette situation, la frontire
ethnique entre le Makhzen et la socit rurale nest ni linguistique, ni gnalogique (mme
si le texte parle dArabe et de bonne naissance), elle est juridique. Elle est marque par
cette diffrence entre le chraet la coutume. Lasibaserait ainsi lantithse du Makhzen et
de sa loi. Elle empche la ralisation dune organisation de la socit islamiqueet, partant,
le maintien des intrts du Sultan qui la reprsente et des couches urbaines qui soutiennent
sa lgitimit. Etant donn que ces intrts stendent la campagne et surtout aux voies
commerciales qui la traversent, le domaine de lasibaest conqurir, soumettre aux lois
de charet donc intgrer au domaine du pouvoir effectif du Makhzen. Le modle idal
de la cit islamique comme il a t conu par les savants des villes est difficilement
conciliant avec le rel et le vcu des socits rurales et priphriques. De ce fait, le chra
et ses dfenseurs ne tolrent pas le statut lgislateur dune assemble locale, la jema,
parce que la loi, prconisent-ils, ne peut pas maner de la volont dun groupe. Nous
pouvons ainsi comprendre pourquoi le chra et lazrf se sont transforms en binarit
inconciliable et comment la coutume, associe la dissidence et la jahilia, sest
progressivement constitue, dans limaginaire des lgistes urbains, en corps ngatif. Elle
est ainsi condamnable et son retour au centre des dbats dans lpoque coloniale, marque
par lmergence du discours nationaliste au sein du champ culturel urbain domin par les
lgistes officiels, ne peut que favoriser son exclusion dans le Maroc indpendant.
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III. Formation de la lgislation nationale et exclusion de la coutume
Ltablissement du Protectorat franais au Maroc aprs la conclusion du trait de
Fs, le 12 mars 1912, sonna le glas des structures anciennes de lempire chrifien et initia
le processus de la constitution dun Etat centralis sur le modle de certains payseuropens. Il inaugura ainsi la mise en place de la lgislation formelle qui allait devenir
aprs lindpendance la lgislation nationale. Aussi, il avait provoqu des mutations
sociales et culturelles qui, aggraves par les contradictions de lEtat colonial, donnrent
naissance au Mouvement nationaliste. Ce dernier, en salignant sur le discours juridique
des lgistes officiels de la priode prcoloniale, a produit un discours trs ngatif
lendroit de la coutume. Cest ainsi que la priode coloniale a apport des changements
dans la situation du droit coutumier non seulement dans ses mcanismes defonctionnement, que la mise en uvre de toute une srie de rformes a boulevers, mais
aussi par la cration des conditions de dveloppement dun discours anti-coutumier qui
allait favoriser son exclusion dans le projet de la formation de la lgislation nationale.
a. la rforme coloniale
La pntration franaise trouve sa raison fondamentale dans la ncessit
dintroduire des rformes sur ldifice administratif de lEmpire chrifien, suite lchec
de toutes les tentatives imposes aux sultans depuis la deuxime moiti du XIXe sicle.Cest ainsi que les oprations militaires de soumission ont t accompagnes par une srie
de rformes politiques, administratives et juridiques, ce que le premier Rsident Gnral de
la France au Maroc le Gnral Lyautey appelle lorganisation du Protectorat. Sur le plan
juridique, la cration du bulletin officiel en arabe et en franais et la promulgation du dahir
des contrats et des obligation du 12 aot 1913 constituent le point de dpart de la mise en
place du noyau dur de la lgislation qui allait devenir nationale aprs lindpendance et la
promulgation du dahir de 1965 qui consacre sa marocanisation, son unification et sonarabisation. Le trait de Fs, conclu entre le sultan Abdelhafid et le reprsentant de la
Rpublique franaise, se dit certes respectueux du caractre religieux du Sultan et affirme
lengagement de la France respecter lIslam et les institutions qui forment le Makhzen,
initier leur rforme et imposer son autorit temporelle sur lensemble des territoires
reconnus comme tant ses domaines. Cependant, les contraintes des oprations militaires,
les exigences du ralliement des notables ruraux et lorganisation administrative et juridique
des tribus conquises ont amen les autorits de la Rsidence Gnrale prendre en
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considration la coutume comme faisant partie des systmes juridiques en prsence au
Maroc. La rforme de la coutume et sa reconnaissance dans le cadre du pluralisme
juridique que la situation marocaine impose la France a fait de ce droit, outre un objet de
recherche scientifique, un espace juridique organiser. Cest ainsi que toute une srie de
dahirs et de circulaires ont vu le jour et ont pour objet la rforme et la codification de la
justice coutumire. La mise en uvre des politiques des rformes avait ainsi apport des
changements dans lamnagement de lespace et dans lorganisation des instruments
juridiques et institutionnels, labors pour le contrle et la transformation du monde rural.
Le droit coutumier tant, par sa fonction, un lment dterminant dans le fonctionnement
de ces structures est aussi entran dans le mouvement des changements en cours. Bien que
le pluralisme juridique avait permis la coutume de figurer parmi lhritage juridique
institutionnalis, sa rforme en rapport avec la politique coloniale va largement contribuer
une restriction des domaines que les institutions coutumires en prsence dans le monde
rural graient et contrlaient auparavant.
En effet, la rforme de la justice coutumire sinscrit dans le cadre de la politique
indigne mise en uvre par le Rsident Gnral Lyautey. Aprs avoir t inform de
limpossibilit dlargir la politique des grands cads10, mise en uvre dans la rgion de
Marrakech, la rgion du Moyen-Atlas, il a soumis au Sultan Moulay Youssef un premier
texte relatif au statut coutumier des tribus amazighes, le dahir du 11 septembre 1914 a t
ainsi approuv. Ce dahir reconnat ces tribus, qui viennent dtre soumises aprs les
premires oprations militaires, le droit de conserver leur statut coutumier.
Considrant, dit son prambule, que de nouvelles tribus sont, par le progrs de la
pacification, journellement rattaches lEmpire ; que ces tribus de race berbre
ont des lois et des coutumes propres en usage chez elles de toute antiquit et
auxquelles elles sont attaches ; considrant quil importe pour le bien de notre
sujets et la tranquillit de notre Empire, de respecter le statut coutumier qui rgit
ces tribus ,
le premier article prconise que
10Les grands cads taient au dpart des chefs de tribus, mais, profitant des circonstances favorables la findu XIXesicle, ils ont russi imposer leur pouvoir dautres tribus voisines ou lointaines et former de petitsroyaumes dans la rgion de Haouz et du Haut-Atlas, comme le Glaoui, le Metouggi, le Goundafi. Pour avoir
plus dinformations sur leur naissance et volution (R. Montagne, 1930).
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les tribus dites de coutume berbre sont et demeurent rgies et administres
selon leurs lois et coutumes propres sous le contrle des autorits.
Cette initiative traduit certes la volont des autorits franaises de contrler sans grand
effectif lespace rural et de crer de nouvelles lites locales intermdiaires, mais elle estaussi aligne sur une certaine conduite des monarques qui consiste dans le respect du statut
coutumier de certaines tribus dites dissidentes. Elle permet aussi lintroduction des
rformes juges ncessaires sans la mobilisation de moyens, comme le montre juste titre
les remarques incluses dans le Compte rendu des travaux de commission de lorganisation
de la justice berbre, runie en Fvrier et mars 1929 :
Dans le bloc berbre, les tribus qui ont toujours lutt pour leur indpendance ont
gard la tendance se juger elle-mme[]. Les parties sadressaient un arbitredont elles sengageaient, dun commun accord, accepter la sentence. Puis, dans
un stade plus volu, les plaideurs sadressrent un collge darbitres auquel ils
accordaient leur confiance [] tel tait ltat des choses notre arrive. En 1914
un dahir reconnaissait lexistence des tribus de coutume berbre et leur droit tre
administres selon leur coutume propre. Cette justice, organise avec le concours
des djemaas, ne pouvait tre que gratuite [avec des] moyens trs rduits ; un
secrtaire de djemaa [] couche les dcisions de la djemaa sur les registres
spciaux. Ces dcisions sexcutent delles-mmes (cest moi qui souligne).
(Marie-Luce Glard, 2000, p.241).
Cela montre que les autorits coloniales ont engag lorganisation de la justice
coutumire avec des moyens trs modestes, ce qui avait conduit ne pas prendre au
srieux ce processus de rforme. Ainsi et hormis une instruction du gnral Lyautey en
1915 qui rglait le fonctionnement de la justice indigne chez les tribus de coutume
berbre, le dcret du 11 septembre 1914 est rest sans grand effet. Il faut attendre les
annes vingt pour que les autorits jugent ncessaire de prendre des mesures pour la mise
en uvre de la rforme de la justice coutumire. Ainsi, la Rsidence a publi, en 1924,
deux circulaires. La premire, datant du 29 janvier, avait pour objectif lorganisation des
djemasjudiciaires . Quant la seconde, datant du 14 fvrier, elle rglementait la tenue
des registres et des audiences de ces djemas. Cependant, cette organisation prsentait une
lacune fondamentale. Ntant pas approuve par un dahir sultanien, elle ne reposait pas sur
un fondement lgal. De ce fait, toutes les dcisions rendues par ces instances navaient
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aucune autorit juridique. Il savre ainsi ncessaire de donner une base juridique et lgale
aux jugements coutumiers. Cest pour combler cette lacune que la rsidence a institu, par
un arrt rsidentiel du 7 dcembre 1929, une commission spciale charge de ltude de
lorganisation et du fonctionnement de la justice coutumire. Au sein de la commission
sopposaient les tenants dun discours assimilateur envisageant lintgration des Amazighs
la civilisation franaise aprs un passage phmre par le statut coutumier, et les tenants
dune politique de conservation des faits et des ralits prgnantes. Daprs J. Luccioni
(1984), cest dans cette perspective, soutenue la fois par le Gnral Nogus et le
prsident de la commission, tendant consacrer ce qui existe dj que les dbats ont
t conduits sans que la commission ne russisse aboutir un consensus. A cet gard,
le compte rendu de cette commission donne quelques lumires en prcisant qu
il nest pas possible denvisager une organisation unique pour tout le bloc
berbre. Il faut laisser ce qui existe en le consacrant lgislativement. On verra plus
tard, sil est possible dencadrer les djemaas ou de leur enlever le pouvoir de juger.
Mais il ne faut pas actuellement agir prcipitamment [] Il vaut mieux
actuellement laisser, ici, les choses en ltat et de renforcer simplement notre
contrle (Glard, 2000, p.242)
La commission admettait certes le caractre provisoire de lorganisation de la
coutume, mais elle ne voulait pas saventurer pour laborer, en dehors du souci du
contrle, une vision claire et dfinitive de ce systme. Elle sest ainsi contente la fin de
sa mission dmettre un simple avis technique sur la question de lorganisation de la justice
berbre et reconnat au gouvernement la comptence de prendre des mesures ncessaires11.
Cest dans ce cadre que le Rsident Gnral Lucien Saint a soumis au sultan Mohammed
ben Youssef le texte du dahir relatif lorganisation de cette justice. Il est approuv le 16
mai 1930 et porte le titre du dahir du 16 mai 1930 (17 Hija 1348) rglant le
fonctionnement de la justice dans les tribus de coutume Berbre non pourvues de
mahakmas pour lapplication du Chra . Ainsi considre, la cration des tribunaux
coutumiers sinscrit dans le cadre de politique gnrale des autorits franaises au Maroc,
en particulier celle relative lorganisation judiciaire et administrative. Cest en ces termes
que le lieutenant-colonel Huot, alors Directeur des Affaires indignes, dfinit les
caractristiques de la politique coutumire :
11Pour les dlibrations de cette commission, voir J. Luccioni, LElaboration du dahir berbre du 16 mai
1930 ,Revue de lOccident musulman et de la Mditerrane,n38 (2), 1984, pp. 75-81.
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La vritable politique berbre consistera respecter cette organisation et ces
coutumes et faire cadrer avec elles les rformes administratives et politiques que
nous aurons introduire dans le pays (Luccioni, 1984, p. 116).
En un sens, cette politique respecte lesprit conservateur de la politique prne par leRsident gnral Lyautey qui consiste faire voluer le pays dans le cadre de ses
institutions traditionnelles. Elle trouvait sa lgitimit dans son action de r
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