8/18/2019 De CORTONE, Élie - Deux Sonnets Alchimiques
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mineur dont frère Elie avait été le supérieur, qui compila l acte des fautes
qu on lui imputa. Frère Salimbene formula douze chefs d accusation contre
frère Elie, parmi lesquels
le
onzième
lui
reproche
de
s être occupé d alchimie :
« Undecimus
defectus Fratris Jlelyefuit, quia infamatusfuit, quod intromit
·teret se de
alchimia
»3
Il est fort probable
que
frère Elie faisait partie de ce courant franciscain
qui utilisait l alchimie pour la préparation de remèdes, pratiquant la distil
lation des herbes et d autres substances. Il faut se rappeler qu une des tâches
fondamentales des frères mineurs était l assistance aux malades, et si l on peut
exclure
la
présence d alambics et d autres objets utilisés en alchimie médicale
dans le
contexte de pauvreté
de
la
vie de
saint François, la situation changea
après sa mort, surtout
du
fait de la lèpre, qui, introduite en Europe par ceux
qui revenaient des croisades, frappa durement
les
populations. a diffusion des
lazarets fut la riposte médicale
à
la maladie en ·même temps qu une mesure de
prévention, et une des épreuves du noviciat chez les frères mineurs fut
l assistance
aux
lépreux
dans
ces lieux
de
souffrance.
Les clarisses
de
saint Damien étaient déjà connues pour leurs préparations
de médicaments à l intention des lépreux, et les frères mineurs ont assurément
dû
suivre leur exemple, à
en
juger par leur intense activité
dans les
lazarets.
Ce développement de leur intérêt pour la médecine a dû se conjuguer, proba-
blement à deux facteurs non négligeables : d une
part,
l arrivée dans l ordre
de
laïcs et de moines venant d autres ordres (notamment
de
celui
des
bénédictins),
qui contribuèrent fortement à l organisation de la vie monastique ; d autre
part,
les
donations de terrains et d immeubles qui, conformément
à
la règle de
saint Benoît, ~ l i i e n t permettre,
à
l intérieur des monastères, la pratique des
diverses
artes, en particulier de la pharmacologie. Dans ce contexte, Elie a pu
certainement mettre
à
profit
des
connaissances
acquises
pendant
son
séjour
en
Syrie. Là, l alchimie avait trouvé
un
terrain de développement favorable de-
puis plusieurs siècles, et la pratique distillatoire était chose courante, surtout
3. Chronica Fratris Salimbene de Adam Parmensis ordinis minorum, Bari,
1942, Liber de Prelato, 1, p. 233. Sur cette question de frère Elie alchimiste, cf.
H. M. Briggs,
«
De duobus fratribus minoribus Medii Aevi alchimistis : Fr.
Paulo de Tarento et Fr. Elia» Archivum Franciscanum Historicum,
XX
(1927),
pp. 305-313 ; Mario Mazzoni, Sonetti alchemici-ermetici di Frate Elia e Cecco
d Ascoli, S. Gimignano, 1930 ; Gino Testi, «Frate Elia
u
alchimista ? »,
La
Chimica, X (1934), pp. 86-89 ; G. Del Guerra, lmpronte Pisane nella storia
della Medecina e delle Scieme, Pise, 1931, pp. 119-127 et De Maximo secreto
Medicinae.
Un
codice medico-alchimico del sec. XV con scritti del XIII, Pise,
1953, pp. 3-28 et 49-71 (tiré
à
part du Bolletino storico pisano, XX-XXI
(1951-1952) ; Bruno Boni, «Frate Elia e l alchimia »
Chimica,
X (1956).
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Deux sonnets alchimiques attribués Elie
e
Cortone
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dans la préparation des parfums vendus devant les mosquées. Frère Elie put
avoir ensuite l occasion, lors de son séjour à la cour
de
Frédéric Il, de se
perfectionner dans la pratique distillaloire, bien connue à l école de Salerne, où
l on exerçait la médecine depuis le 1xe siècle: les alchimistes et astrologues y
pratiquaient couramment leurs arts dans un milieu intellectuel
et
savant, dont
Michel Scot fut une figure de première importance, défini par Dante comme
celui qui «delle
magiche frodi seppe
l
gioco (Enfer,
XX, 117).
La construction de la basilique de Saint François fut certainement l une
des principales causes de l animosité des frères mineurs envers frère Elie et des
accusations subséquentes de pratiques alchimiques portées contre lui ; cela
pour deux raisons. D abord, la rapidité avec laquelle la basilique fut achevée
nécessita un gros effort financier de la part des différentes provinces de l ordre,
et l exigence perpétuelle de fonds dont frère Elie faisait preuve donna l oc-
casion à ses ennemis personnels, mais aussi aux ennemis de l ordre, de
l accuser de pratiques alchimiques : l accusation ne devait pas apparaître tout à
fait sans fondement, car l achèvement de l imposante basilique en quatre an-
nées, comme nous le dit
G.
Vasari dans
La vita di Arnolfo di Lapo,
nécessita
une grande quantité d or, qui pouvait sembler n avoir pu être obtenue qu à tra-
vers des opérations alchimiques; le problème des faussaires se posait déjà
et
devait aller en s aggravant, ce qui aurait poussé le pape Jean XXII à prononcer
l extravagante Spondent quas non exhibent
4
• L autre raison était que frère Elie
côtoya pendant la construction de la basilique toutes sortes d artisans spéciali-
sés dans plusieurs
artes
et surtout le fait qu il voulut ériger un clocher
d imposantes dimensions : or l art de fondre les cloches, et surtout de leur
donner une certaine sonorité, entrait dans le cadre de secrets métallurgiques
mal distingués des secrets alchimiques.
La réputation d alchimiste de frère Elie s installa de façon stable au cours
des x1ve et xve siècles, où
l
est cité comme tel par J. Lacinius dans sa
Preciosa margarita novellas. Au xve encore, dans le Liber laureatus, dont G.
Carbonelli nous offre quelques passages, frère Elie est rangé parmi les doc-
teurs avec Albert le Grand, Vincent de Beauvais, saint Thomas et Roger
l Anglais6. Au
XVIe
siècle, V. Biringuccio le mentionne dans sa Pirotechnia
(Venise, 1550) parmi les alchimistes de renom (p. 5),
et
G. B. Nazari, dans
l édition de 1572 (p. 139)
de
son Della tramutatione metallica sogni tre,
4. Cf.
Extravagantes communes, V
VI « De crimine falsi
».
5. Cf. éd. Venise, 1557, f. [6r]. C est par erreur que Bruno Boni, art. cit.,
note 36, renvoie à la P.retiosa Margarita de Petrus Bonus, où Elie n est pas cité.
6. Cf. G. Carbonelli, Sulle fonti sloriche della chimica e dell alchimia in
ltalia,
Rome 1925, p. 5.
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attribue lui-même à Elie trois ouvrages d'alchimie : un Ad componendum
lapidem,
un
De lapide philosophorum
et un Vade
mecum.
Cette réputation
paraît bien montrer que, de quelque façon, Elie a
pu
s'occuper d'alchimie
7
•
L'authenticité des traités qui lui sont attribués
8
n'a pas encore pu être
vérifiée. La plupart d'entre eux sont très certainement apocryphes, car ils
contiennent des anachronismes facilement repérables, même s'il faut tenir
compte du fait qu'il était fréquent pendant le travail de copie, surtout chez les
alchimistes, d'interpoler les textes à la guise du copiste. Et cette attribution
d'ouvrages à frère Elie répondit peut-être à la nécessité de cacher leurs véri
tables auteurs après· les décisions, prises au chapitre de Narbonne de 1272,
d'interdire aux franciscains de posséder des livres de magie ou d'alchimie .
Réduits comme nous le sommes à l'incertitude, nous considèrerons donc
que les sonnets alchimiques attribués à frère Elie présentés ici constituent
d'abord un témoignage de la renommée dont ce dernier jouissait à la fin du
xve siècle. Ils sont tirés d'un incunable publié à Venise en 1475
et
contenant
une série d'ouvrages d'alchimie : Summa perfectionis magisterii Liber trium
verborum Epistola Alexandri M. Geberi liber investigationis magisterii,
Carmina
lalina et Fr. de Asculo.fratris
E/iae
et
anonymi carmina
ita/ica.
Signalons que dans la première partie de l'ouvrage, se trouve une autre
version du poème Solvete
li corpi
... , attribuée celle fois à Cecco d'Ascoli.
Les variantes par rapport
à
la version attribuée
à
frère Elie sont minimes, et
portent surtout sur la partie finale: il manque en fait deux lignes conclusives
à l version du pscudo-Cecco d'Ascoli9.
Les deux sonnets ne sont pas d'une grande pureté stylistique, surtout le
Solvete ....Ils ne respectent pas toujours la versification en décasyllabes, et la
structure de chaque sonnet dans son ensemble n'est pas correcte - signe,
peut-être, d'un remaniement à partir de vers non encore organisés en sonnets.
7 Toutefois le cas, entre autres, du pseudo-Flamel incite à la prudence (cf.
R. Halleux,
«
Le mythe de Nicolas Flamel ou les mécanismes de la
pseudépigraphie alchimique » Archives internationales d histoires des sciences,
XXXIII
(1983), pp. 243-255).
8. Voir la liste (incomplète) donnée par L. Di Fonzo, art. cit., p. 175.
9 Compte tenu des maigres éléments dont nous disposons en l'état actuel
des recherches, contentons-nous d'observer
à
titre d'exemple que Giuseppe
Castelli attribue nos sonnets à Cecco d'Ascoli (cf.
La vita e
le
opere di Cecco
d Ascoli, Bologne, 1892) ; V Rossi, dans un compte-rendu du livre de Castelli
(Giornale storico della Letteratura ltaliana, XXI (1893), pp. 386-399), est plus
enclin à croire que frère Elie en est l'auteur. Enfm, un manuscrit français recensé
par J Corbett, le Montpellier 493 (cf. Catalogue des manuscrits alchimiques
latins,
Paris, 1939, II, p. 131), attribue le second sonnet
(Solvete ... )
à Dante.
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Solvete
l
corpi in acqua d tucti
dico
Voi che cercate fare sole e Luna
delle doi acque
prenderete
una
quai
piu
ve
pi cef te
que che
hio
dico.
Date/a
bere
quel
vostro
inimico
sensa
mangiare hio
dico
cosa
alcuna
morio Io travarai el vero ve
dico
dentro de
corpo del lione antiqoo.
Possa li date l
sua sepultura
si e in ta/ modo che tucto
se
desfaccia
la
carne
e
le
ossa
e
tucta sua iontura.
Et facto questo fate
che
se fac ci
de
l acqua
terra che
sia
necta epura
e della terra e de lacqua se vol terra/are
Cosi
la
pret
vole multiplicare
Si tu
me
scolti e pr tichi el sonecto
serrai signor de quel che
si
sogiecto.
El vostro Frate lleli
Dissolvez les corps dans l eau, à tous je dis,
Vous
qui cherchez
à
faire soleil et lune
Des deux eaux prenez l une,
Celle que vous préférez, faites cc
que
je
dis.
Donnez-la à boire à ce vôtre ennemi,
Sans manger dis-je, aucune chose,
Mort
tu
le trouveras, je vous dis le
vrai
,
A l intérieur du corps du lion antique.
Puis donnez-lui sa
sépulture,
Ainsi
et de telle sorte que tout [entier] l se défasse,
a
chair et les os et toute sa jointure.
Et cela fait faites que se fasse
e
l eau terre
qui
soit nette et pure,
Et
de la
terre et de l eau se veut faire la
terre.
Ainsi la pierre veut multiplier.
Si tu m écoutes et pratiques le sonnet,
Tu seras seigneur de ce qui est sujet.
Votre
frère
Elie
Alfredo Perifano
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