7/25/2019 Art Contemporain Animisme
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TABLE DES MATIRES
LISTE DES FIGURES v
RSUIVl vi
INTRODUCTION
1
CHAPITRE 1APPROCHE
PHNOMNOLOGIQUE
DE L'ALTRIT
.4
1.1
Husserl: Dela consciencedumondecommephnomneauphnomnedela
conscience 6
1.2
Husserl:
Del'Autredansnotreconscience
la
consciencedel'Autre 13
1.3 Delasensationde l'Autreauchiasma 18
1.4 De l'immanencedumondecommun au mondevcu
26
CHAPITRE Il ANIMISME ET EFFET DE
PRSENCE 32
2.1
Leprimitifd'hieretd'aujourd'hui 34
2.2De l'espacevcu l'espacesacr 35
2.3Cosmologieetreprsentationscollectives:autoanantissementd'unelogique.
............................................................................................................................
41
2.4La loide la participationet le cheminde l'immanence .47
2.5Le numineux :sensationset reprsentations .49
2.6Imagesnumineusesen artcontemporainetactuel 54
2.7Artetanimismeperceptuel 58
CHAPITRE III LA MISE
EN CONDITIONS
DE PERCEPTION D'UNE
PRSENCE6
3.1 LeForty-PartMotet, 2001 :phnomnologiedela voix 64
3.1.1JanetCardiff, Forty-PartMotet, 2001 :Description 65
3.
1.2
Lavoixcorps/Lavoixpsychisme 65
3.1.3Le timbre, l'unique
68
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3.1.4
La chair du rachitique et le parcours vcu 69
3.1.5
La trace comme reprsentation numineuse de l altrit 71
3.1.6 Renchantement d un haut-parleur 72
3.1.7
Aborder l uvre par son effet
de
prsence la prire
73
3.2 1Want Vou to Feel the Way 1
do
1998 : Phnomnologie de la sensation
thermique 77
3.2.1
1
Want you
to
feel the way
1
do: Description
78
3.2.2
La rencontre corporelle 78
3.2.3
La sensation thermique de la rciprocit
la hantise
80
3.2.4 Hantise et incarnation
83
3.2.5
Le langage comme nourriture de l aperception
84
3.2.6
Le corps participant 87
3.2.7
Prsence due/le et envotement
88
3.3 Helen Choe,
Too
Sweet Go Away, Phnomnologie de l'odeur 90
3.3.1 Too Sweet Go Away: Description
91
3.3.2
Le sucre, la peau
91
3.3.3 La physicalit
de
l odeur,
le
souvenir 92
3.3.4 Le numineux, une peau qui respire 94
3.3.5
Renchantement du matriau comestible
95
3.3.6
Sculpter le savon/sculpter le parfum.
97
3.3.7
Entre le dsir et le cannibalisme
98
3.4
Marianne Corless, Lodge et autres uvres de fourrure: phnomnologie de
la
tactilit 100
3.4.1
Marianne Corless, Lodge : Description
101
3.4.2
La rencontre pidermique
101
3.4.3
Le gouffre tactile 103
3.4.4 Vido
dynamisme
et
incarnation
104
3.4.5
Reprsenter le corps/sculpter le corps
106
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IV
CONCLUSION
111
BIBLIOGR PHIE
115
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LISTE ES FIGURES
Figure 3.1 : Janet Cardiff, Forty-Part Motet, 2001 64
Figure 3.2 : Jana Sterbak,
1Want You ta Feel the Way 1Do,
1998 77
Figure 3.3.1 : Helen Choe, ao
Sweet
Go
Away,
2004 90
Figure 3 3 2: Felix Gonzales Tores, Untitled Ross),
1991
98
Figure 3.4.1 : Marianne Corless, lodge, (extrieur),2004 100
Figure 3.4.2 : Marianne Corless, Lodge, (intrieur), 2004 101
Figure 3.4.3 :Jana Sterbak, Robe de
chair pour
albinos anorexique, 1998 108
Figure 3.4.4 : Marianne Corless,
ur
Queen, 2002 109
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RSU
Ce mmoire reprsente l ensemble de mes rflexions portes sur le phnomne de
\
effet de prsence dans des uvres d art contemporaines. Il s attache d abord
la
prsence elle-mme. Avec une approche phnomnologique, j expose
la
manire
dont la prsence
de
l Autre tre humain se construit dans la perception humaine.
Dans un deuxime temps, c est une rflexion sur l effet lui-mme qui est opre par
l tude de
la
religion primitive dite animiste. J expose
ici
comment
la
prsence dans
les choses inertes s rige dans l esprit animiste. Cette rflexion me permet e
proposer un claircissement sur l effet de prsence dans des uvres d art, sur la
manire dont celui-ci opre dans notre perception. Finalement, quatre uvres
contemporaines
(Forty-Part Motet,
Janet Cardiff,
Want Vou ta Fee the Way Do,
Jana Sterbak,
Tao Sweet
Go
Away,
Helen Choe
et Lodge,
Marianne Corless) sont
tudies selon leur effet
de
prsence.
PHNOMNOLOGIE, HUSSERL, ALTRIT, PRSENCE, PRIMITIF, ANIMISME,
REPRSENTATION, INSTALLATION, POLYSENSORIALlT
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INTRODU TION
l Y a d abord une exprience des uvres d art qui se prsente comme une
nigme, puis vient ensuite
le
dsir de la comprendre, de la dcrire le plus justement
possible. Plus la recherche avance et plus mon dsir de rsoudre l nigme se
dissipe pour laisser place celui de la nourrir. e mmoire se prsente alors
comme l ensemble des rflexions portes sur
un
phnomne particulier expriment
dans des uvres d art contemporaines, celui de l effet de prsence. Les uvres qui
ont inspir
ce
mmoire offrent
un
agencement d objets qui, lorsque je les visite,
s rigent dans ma conscience comme prsences, comme altrits. Ce phnomne
est donc au cur de ce travail, je cherche ici le dcrire et le comprendre. L effet
de prsence est
un
phnomne rcurrent en art contemporain et actuel, c est
pourquoi il m a sembl important de l tudier et d offrir quelques pistes pour
l aborder.
J expose comment l effet de prsence se constitue dans la conscience et ce
qu il engendre son tour. L altrit est
un
phnomne largement tudi, les crits
abondent sur ce sujet. J ai choisi, comme point d ancrage, la mthode
phnomnologique d Husserl parce qu elle me permet de dcrire ce phnomne en
profondeur sans le dcharner. Par ailleurs, cette mthode s intresse la
conscience et, par la mise entre parenthses du monde qu elle opre, elle fait
advenir l Autre dans l immanence. Ainsi, elle ouvre la description de l effet de
prsence celle de la perception humaine et non simplement celle d un artifice
appartenant un objet ou
un
agencement d objets. Le phnomne dcrit par
Husserl n effectue pas de scission entre le ple objectal et le ple subjectif.
Il
les unit
dans une dynamique qui prend racine dans la conscience humaine.
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Mes rflexions s organisent donc en trois chapitres ayant comme fil
conducteur l tude du phnomne de l effet de prsence. Dans le premier chapitre,
c est la prsence elle-mme qui m intresse, la description de la constitution de la
prsence dans la conscience. Avec la phnomnologie d Husserl, dont je retrace les
principales tapes de sa mthode (parce que ces diffrentes tapes demeurent dans
l esprit de toutes les rflexions opres dans ce mmoire), je dcris comment l alter
ego s rige dans la conscience. Toutefois cette description m apparat un peu
rductrice parce qu elle n intgre pas la polysensorialit, elle concentre son attention
uniquement sur le sens de la vue. Je complte donc mon expos en m inspirant de
la
philosophie de Merleau-Ponty et de Levinas pour largir
la
description de la
prsence. Je m intresse finalement la manire dont le monde commun s rige
dans notre perception partir de
la
perception de l altrit. J expose l ide de
l inexistence d un seul monde commun en apportant le concept
du
monde vcu de
Merleau-Ponty.
Si la
manire dont
la
prsence s rige dans
la
conscience peut s clairer
la
lumire
de la
phnomnologie d Husserl,
la
description du phnomne de
l
effet
en tant que tel est beaucoup plus laborieuse. La phnomnologie ne distingue pas
l effet de
la
ralit.
Si la
sensation est
la
mme pour l un et pour l autre, l effet est du
mme coup une ralit pour celui qui
le
peroit.
La
phnomnologie d Husserl
s intresse
l Autre lorsqu il n y a aucune quivoque dans
la
conscience, lorsqu il y a
certitude. Ici je m intresse
une sensation de l Autre mle
celle de l objet inerte.
Il
y
sensation de l Autre tout
en
sachant qu il n en est rien. L effet de prsence dans
l inertie est
un
phnomne qui existe depuis toujours dans l histoire humaine. C est
pourquoi je m intresse galement
la
religion dite primitive,
la
religion animiste.
L tude
de la
religion animiste vient consolider mes ides sur l effet de prsence
se construisant l intrieur de celui qui le peroit. Mes rflexions sur cette religion se
concentrent donc sur
la
sensation de prsence construite par des reprsentations
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3
mentales, par
la
participation ces reprsentations et par des sensations religieuses
relatives au primitif certes, mais l tre humain en gnral.
Si
l effet de prsence
rsulte de reprsentations construites dans l immanence
et
d une participation
celles-ci,
il
en est de mme de
la
reprsentation artistique. Les artistes crent des
reprsentations qui se reconstruisent chaque fois dans
la
perception du spectateur
qui y participe par sa prsence. Pour qu il y ait effet de prsence,
il
faut donc que
l uvre mette
en
conditions de perception
la
prsence. Elle doit agencer des
sensorialits pour que
la
construction de
la
prsence puisse s oprer.
On
comprend
alors que
le
chemin parcouru jusqu prsent me sera utile pour l tude de ce
phnomne l intrieur de chacune des uvres.
Le
troisime chapitre est consacr aux tudes de cas. Je m intresse
quatre uvres qui ont suscit en moi l effet de prsence:
Forty-part Motet,
Janet
Cardiff,
Want Vou t Fee the Way Do,
Jana Sterbak,
Too Sweet
o
Away,
Helen
Choe
et
Lodge,
Marianne Corless. J expose ainsi comment l effet de prsence
s
construit pour chacune des uvres en reprenant la mthode phnomnologique
pour
la
description de
la
constitution de l'alter ego dans
la
conscience. Diffrentes
sensorialits sont sollicites dans ces uvres. Cela me permet d exposer comment
le son, la chaleur, le tactile et l odeur peuvent engendrer un effet de prsence dans
la conscience. On y comprend aussi comment la perception harmonise les
sensations en une sensation globale: il y a une synergie entre nos cinq sens. Cette
synergie perceptive gnre l effet de prsence parce que les lments de l uvre,
lorsqu ils sont reconstruits dans le foyer perceptif
en
une perception globale,
gnrent une reprsentation mouvante. Il m intresse d envisager les significations
de ces uvres partir de ce phnomne de l effet de prsence et de voir comment
le dynamisme entre l inerte et l anim engendre une dualit.
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CHAPITRE 1
APPROCHE PHNOMNOLOGIQUE E L ALTRIT
L effet de prsence que je souhaite tudier dans les uvres d art
contemporaines et actuelles relve de
la
perception d un agencement d objets qui,
lorsque que je l exprimente, s rige dans ma conscience comme lter ego.
Il
me
faut d abord dcrire, l aide de la mthode phnomnologique d Husserl, la
constitution
de
cet
effet
de prsence dans ma conscience lorsque je suis confronte
rellement l autre tre humain. Les textes des penseurs d hier et d aujourd hui
regorgent de rflexions sur l altrit, l Autre en gnral, si bien que le vaste ventail
des tudes sur
ce
phnomne est trs diversifi. Les rflexions qui arpentent le
champ de l Autre sont
la
fois inpuisables, parce que l altrit se redfinit sans
cesse dans le regard de celui qui le mdite. Une seule explication de ce phnomne
est
un
but inatteignable puisqu il ne cesse de fasciner, et
ce
dans une multitude
d approches thoriques relevant autant de
la
psychologie, de
la
sociologie
ou
encore
de
la
philosophie. L Autre est tout ce qui
se
prsente comme tel, d une motion
jusqu la perception de l autre tre humain, de la diffrence
de
sexe jusqu la
diffrence culturelle. L o svit une frontire l intrieur de moi-mme, me
permettant d envisager l extriorit,
il
y a
l
quelque chose tudier
du
point de vue
de l altrit.
La
phnomnologie husserlienne, dj exclusivement par son approche,
redfinit l altrit en me plongeant au cur mme de mon exprience de l Autre,
dans toute
la
densit de
la
rencontre immanente. S il m est impossible
de
cerner
dfinitivement cette exprience, qui m chappe chaque fois o je pense
la
saisir, je
souhaite plutt
lui
apporter une simple lueur. Cette premire claircie sera ainsi un
guide, pour mes futures rflexions sur l art, car elle sera
mon
point de dpart et
d ancrage.
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5
J ai ici choisi de scruter quelques crits des philosophes phnomnologues
afin de traduire selon eux, puis, selon moi,
le
phnomne de l altrit comme
alter
ego le
moment intense
o il
m apparat et
la
manire dont
il
lutte pour
sa
survie. Je
marche dans les pas d Husserl et de sa mthode labore dans les Mditations
Cartsiennes
1
Je souhaite refaire le chemin qu il emprunte afin d arriver sa propre
description de
la
constitution de
l alter ego
dans
la
conscience humaine: celui-ci
se
construit dans l immanence. Je dois d abord comprendre plus gnralement le
renversement radical de l attitude naturelle qu Husserl propose. C est
partir de ce
bouleversement fondamental, ainsi que d une sorte de fouille archologique intense
en
son tre mme, qu Husserl parvient
rejoindre l ego transcendantal. Celui-ci est
un tat d esprit permettant d tre le spectateur de sa propre conscience. L ego
transcendantal permet au philosophe de dcrire le phnomne qui m intresse pour
ce chapitre, la sensation de prsence. La mthode est ici expose pour bien
montrer comment le philosophe parvient cette description, mais aussi parce qu elle
se manifeste tout
au
long de cette tude et des tudes d uvres d art. Les
diffrentes strates de son parcours ne sont pas toutes tudies, je prends soin
d exprimenter celles qui
me
semblent incontournables et que j utilise tout
au
long de
mon
propre parcours vers la constitution de l effet de prsence dans la conscience
humaine.
Je prsente donc les moments importants
de la
mthode phnomnologique
d Husserl afin de pntrer dans l univers de l altrit. J claire ensuite certains
concepts revus sous la plume de Merleau-Ponty. J ai aussi recours quelques
notions de Levinas, largissant le champ de l altrit et de son apprhension dans
toute l paisseur de
la
sensation. e cette altrit immanente, relevant de
la
phnomnologie d Husserl, le monde (ou l exprience
du monde
ce qui revient au
Edmund Husserl. 1991. Mditations Cartsiennes, Paris, Presses Universitaires de
France,1949.
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mme pour Husserl) se trouve ainsi boulevers. Je
me
questionne donc
sur
l existence possible d un espace commun. Ce questionnement gnre l vidente
primordialit de l espace vcu un espace qui me relie aux choses et qui m inonde
lors de mon exprience des uvres d art.
1.1 Husserl:
De
la conscience du monde comme phnomne au phnomne de la
conscience.
Lorsque le monde lui-mme apparat la conscience comme pur
phnomne, portant
en lui la
possibilit de
sa
non-existence, la prsence d un sol
fondateur s impose.
La
recherche de l apodicticit de toute connaissance chez
Husserl est ce vers quoi il tend. La mthode phnomnologique, telle que prsente
dans les Mditations cartsiennes est
en
quelque sorte un chemin qui ne saurait
avoir une destination tout fait certaine. Il porte
en
lui son retour, mais
il
est dirig
par un
dsir
celui de fonder toutes les sciences.
Le
chemin porte son retour
vritablement comme dans une activit mditative,
o
celui qui s y adonne
dbroussaille l intrieur de lui-mme. Il refait le chemin de son vcu, mais en
s affranchissant sur son passage de tout
ce
qui a trait
sa
personne elle-mme, s en
dtachant du mme coup. Si cette mthode devient pour Husserl un outil essentiel
tout philosophe, c est parce que notre sensation premire est que nous sommes
enracins dans le monde. Une grande partie de ce monde, d une part, nous
chappe et, d autre part, nous imprgne. Nous nous trouvons ainsi dans l attitude
naturelle. Nous ne sommes que d infimes parties phmres du monde. La
prsence du monde semble si vidente que nous nous y perdons, nous y croyons et,
par le fait mme, nous ne l envisageons pas comme une croyance. La possibilit de
nous en dtacher ne nous vient pas d abord l esprit. Le monde est l sous nos
yeux, rien de plus vident. Selon Husserl, cette conviction est
ce
point enracine
qu elle est
l origine mme
de
toutes les sciences, de
la
science naturelle jusqu
la
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psychologie, et donc
de
toutes connaissances
2
Cette attitude est l'origine de toute
croyance et c'est par celle-ci que je vis gnralement. Je suis donc imprgne de
cette manire d'tre lorsque je fais l'exprience des uvres puisque je ne remets
aucunement en cause leur existence
et,
par extension, celle
du
monde non plus.
Le monde, une croyance, est donc la source de tout ce que nous appelons
connaissances.
L o la
science prtend natre en dehors des sens humains (du
monde sensible) et procurer des connaissances vritables, elle s'enfonce dans sa
navet et renforce
sa
croyance.
La
gomtrie, par exemple,
la
forme gomtrique,
est directement issue d'une intuition sensible des multiples formes de la nature et du
monde. Pourtant elle se prsente dans toute sa rationalit comme si elle n'mergeait
pas de l'exprience sensible du monde.
La
psychologie, dit Husserl qui cherche
s'en distancier dans ses nombreux ouvrages, une discipline qui semble s'ancrer
dans l'immanence, porte sur des faits psychiques. L'ide
du
fait psychique lui-mme
implique une scission entre le corps et
le
psychisme. Ainsi
la
psychologie tient
comme acquise
la
dduction dualistique prsuppose dans toutes les approches
psychologiques, celle
du
corps et de l'esprit. Cette abstraction relve pourtant d'une
intuition empirique sensible impliquant d'emble une croyance aveugle en
l'existence
du
monde. Elle relve d'un tas de prdispositions mergeant ds la
3
mathmatisation galilenne de la nature
Ce qui est retenir ici, et j'y reviendrai au
second chapitre, est que la scission corps/me ne va pas de soi. Elle est
dfinitivement une croyance. La scission est prsente dans
la
perception de ceux qui
l'ont apprise.
Ibid, pp.49-70.
3Husserl labore sur le fondement fragile des sciences occidentales en reprenant l'histoire de
la mathmatisation de la nature galilenne
en
passant par la philosophie de Descartes, la
psychologie de Locke et de Hume jusqu'
la
philosophie kantienne
dans
Edmund
Husserl.1962.
La crise des sciences europennes et
l
phnomnologie transcendantale,
Paris, Gallimard, 1954, pp.25-116.
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8
Husserl croit donc que
la
psychologie ainsi que toutes
les
autres sciences
modernes ne questionnent aucunement le sol sur lequel elles reposent. Celui-ci est
exclu dans toutes les rflexions que les sciences peuvent apporter sur elles-mmes.
C est aussi l o Descartes a fait son erreur dterminante et o Husserl bifurque
dans
un
parallle l intrieur de
la
mthode de Descartes.
En
voulant trouver une
vidence indniable,
en
se dpouillant de tout prsuppos envers
le
monde par sa
fameuse skepsis l s est empreint d une croyance en un tre suprme qui lui-mme
tait une abstraction relevant d une intuition empirique
du
monde sensible. Cet idal
est une construction qui
ne
saurait tre
l
d emble, car toute ide prend racine dans
l exprience sensorielle
4
Descartes n a donc pas su s affranchir vritablement
e
tous les prsupposs qui animaient sa rflexion. Dans la pense husserlienne, un
tel prsuppos est
un
pilier sur lequel il est impossible d riger quoi que ce soit
puisque, ignorant
le
sol sur lequel
il
repose,
il
est destin s effondrer. Il s agit d un
travail lphantesque que celui d lucider les prsupposs voils derrire toutes
connaissances, ceux qui
se
trouvent dans mon propre regard. Selon Husserl, une
grande lumire est fondamentale pour effectuer
un
vritable renversement de
l attitude naturelle. Je retiens cette premire tape qu est celle de l lucidation
puisqu il est pour moi important de pouvoir dcrire ce qui sous-tend la perception
animiste des uvres d art.
Il me
faut quelque peu me dtacher de l attitude naturelle,
dans laquelle je perois
un
effet de prsence devant ces objets, afin de dcrire ce
phnomne et d en comprendre le noyau. Si cette lucidation est ncessaire, c est
parce que je sais que ces objets ne sont pas proprement parler du rel vivant. Ils
doivent se distinguer, dans leur construction perceptive en tant que prsence, de
celle de
la
prsence humaine.
Selon Husserl, il faudrait alors chercher l origine des sciences et de tous les
prsupposs se prsentant comme des racines indniables, afin de dnouer les
4 Ibid p.p. 49 70.
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raisons de leur prsence. Cette recherche peut devenir une fouille profonde dans
l histoire humaine, mais s achve toujours sur l existence inhrente
du
monde.
L exprience
du
monde sensible tant la source de toutes connaissances et
de
leurs
prsupposs, son questionnement radical est donc un point de dpart la mthode
phnomnologique.
Si
Husserl s empresse d anantir
la
navet, c est vritablement
celle qui a trait la certitude concernant le monde
qui
sera d abord abolie. l ne s agit
pas de se fermer les yeux et de contraindre tous les autres sens comme pour amortir
l imbibement
du
monde.
l
s agit plutt de maintenir le monde tel qu il se donne
moi, sans toutefois lui accorder de jugement quant son existence
ou
sa
non
existence. Je ne saurais me dtacher rellement de tous les prsupposs qui
animent mon regard sur le monde, mais je m efforce de ne pas porter de jugement
quant leur validit. l s agit donc d une mise entre parenthses
du
monde et ainsi
de
tous les jugements ports sur lui. Cette maintenance
du
monde
en
tant que
phnomne, aussi appele poch phnomnologique, m entrane transformer
tout ce qui se donne moi en purs phnomnes. Le monde et tout ce qui a trait
celui-ci, c est--dire les prsupposs, les sciences, notre histoire, notre culture, sont
comme dans un tat flottant
au
sein de ma conscience. Celle-ci offre une
transparence de son propre spectacle, de tout ce qui l habite. Si une telle lucidit est
possible pour Husserl, je ne prtends pas pouvoir l atteindre. Comme
j
l exposerai
bientt, cette tape de
la
mthode
du
philosophe, qu II semble lui-mme croire avoir
atteint, le porte vers une description trs intressante de
l Al ter ego.
Ce qui est
en
effet fascinant est que, dans
ce
bouleversement, les choses ne
prennent plus racine de
la
mme manire que lorsque je suis dans l attitude
naturelle. Celle-ci me portait voir les choses, le monde, la terre, l extrieur de
moi. Cette nouvelle lucidit m offre des certitudes qui reposent sur l immanence
mme
du
contenu. Autrement dit, je ne pourrais, selon la mthode
phnomnologique d Husserl, affirmer que parce que je perois une montagne, il y a
une montagne hors
de ma
perception. l y a plutt, dans
ma
conscience, des vcus
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s organisant de manire former une perception d une montagne.
La
mthode est
uniquement descriptive,
la
perception de
la
montagne se dpeint comme une activit
de la conscience. Les choses s enracinent toutes l intrieur de moi et le monde
qui fut autrefois tangible devient flux de vcus. Si quoi que ce soit porte la trace de la
transcendance, elle
ne
peut qu tre immanente. Cette nouvelle posture, qui
me
porte
vers une plus grande conscience rsulte de
la
dcouverte de
ce
sol impntrable, le
seul sur lequel il m est possible de construire un savoir qui soit digne de ce nom,
selon Husserl, l ego transcendantal
5
Celui-ci est irrductible.
Si par la mditation, Husserl atteint l ego transcendantal, et que, par cette
disposition, le voile des phnomnes laisse tout ce qu il porte dans une limpidit
absolue, il peut ainsi librement observer l activit mme de la conscience. Il peut
dcrire
la
structure de
la
conscience
en
toute
neutralit. La transparence
soudaine des vcus permet alors Husserl d tudier la conscience, le thtre o
s entremlent et se percutent les vcus. L vidence premire relative la structure
de
la
conscience, et dterminante de toute la philosophie d Husserl, est son
intentionnalit, conscience est toujours conscience de Je ne pourrais m imaginer
une conscience qui
ne
serait pas conscience de quelque chose. La conscience est
une nose, l acte de vise, un mouvement vers l extrieur qui cherche se combler.
Elle porte invitablement
un
contenu,
le
nome, qui ne saurait tre fig puisque le
spectacle qu ouvre
la
conscience est
en
mouvement continu.
Sa
structure est le
temps, l coulement d un flux de vcus qui dferlent sans relche. Son mouvement
incessant ne transforme pas pour autant la structure de
la
conscience, celle-ci ne
saurait tre phmre. Je pourrais ici me reprsenter cette structure comme une
sorte de contenant dans lequel se meuvent tous mes vcus, dans lequel mes
perceptions entrent de manire tout fait chaotique et explosent dans tous les sens.
Pourtant, ces vcus semblent s ordonner, s organiser selon une structure, dans une
Ibid pp.49-70.
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11
cohrence parfaite
6
Les vcus, les sensations primaires, se joignent et se dissocient
et forment
dans
la conscience des choses, des objets. La conscience organise
son
contenu sous le
mode de
l association, un fonctionnement qui rige le sens du
peru. La reconnaissance de ces objets, dans la conscience, relve de toutes
les
expriences vcues qui, par le
tressage
associatif, sont identifies. Le tissage se
fait
de manire spontane,
il
s agit
d une synthse p ssive
7
Si l association rassemble mes vcus en un objet quelconque, c est
que
cet
objet existait pralablement
pour
moi.
C est
donc paradoxalement
partir
d un
prsuppos,
d une forme
idale,
que
les
vcus
sont susceptibles
de s organiser dans
la cohrence de cette mme forme. Pour ainsi dire, l objet idal montagne est
une abstraction des expriences vcues
d une
montagne mais il est aussi le fil
conducteur de la synthse des perceptions de la montagne . Autrement dit, l objet
idal est la fois le guide, mais puisque je ne saurais le prsupposer rellement, il a
d abord d tre construit, lui aussi, par la perception sensible d abord. La perception
de l objet est aussi et surtout
compose
d aperceptions. Je ne saurais voir toutes les
faces
d une
chaise en un
mme moment de
perception, mais j intuitionne
dj
pourtant sa forme totale. Je peux dcouvrir la chose en me dplaant autour d elle.
Par une suite
de
perceptions
comprenant
en elle la rtention (la perception qui survit
dans
mon regard lors de ma prochaine perception) et la protention (l attente
de
la
prochaine perception). Toutefois la chaise peut aussi tre vue de face et son
aperception peut
se
construire en moi-mme. La synthse p ssive est en
quelque
6 Husserl semble prendre comme acquis dans toutes ces descriptions de
la
conscience, l tat
normal de l adulte, il met volontairement de ct toutes personnes ayant une pathologie
quelconque.
7 cette synthse passive s ajoute la synthse active. Beaucoup moins frquente, celle-ci se
rattache davantage
l imagination et
la
crativit. Par
la
synthse active je peux inventer
un objet nouveau que je construis en choisissant ses proprits.
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12
sorte un amalgame de sensations, perceptions, aperceptions, rtentions,
protentions
et de souvenirs qui, par l association, permettent l identification de l objet
8
L objet comme entit, bien que je me sois obstine
l appeler ainsi,
s anantit pourtant la lumire de la phnomnologie de Husserl. Dans le terme
mme
du
nome, qui fait fi d tre le ple objectal de ma perception, l objet porte en
lui
la
vise, ou plus encore,
il
est une vise. Je ne saurais en discerner
un
contour
prcis, une frontire externe quelconque, car
il
est insparable de celui qui le
regarde.
a
seule rupture
qui
puisse l identifier comme
un
objet est une rupture
l intrieur mme de celui qui s imbibe de l objet. Cet entrelacement des ples
notiques et nomatiques,
de
l acte
de
vise et de l objet vis, est au cur
de
mes
rflexions. l me porte chercher mes claircissements sur l effet de prsence dans
l immanence.
C est justement
partir
de ce
tissage inhrent
toutes perceptions que
repose ma pense sur la constitution de l Autre dans
la
conscience humaine. Le
nome montagne appartient donc
chacun de nous jusque dans l aperception,
le
flanc
de
montagne qui est tout
fait dans l ombre. Je peux accueill ir aisment
l ide de l immanence des aperceptions, puisqu elle est tout
fait cohrente avec
celle de l entrelacement que prsentent le nome et la nose. Si l objet vis est en
moi dans mon acte de vise, tout
ce
qui le constitue comme tel est aussi issu de
moi-mme. Lorsque je regarde les uvres d art, je les construis
en
moi-mme dans
ma perception. Dans le cas des uvres choisies pour ce mmoire, le ou les objets
qui constituent l uvre ne sont pas l uvre, ils en font tout simplement partie. Je
reconnais ces objets parce qu ils font chos dans ma conscience
et
parce que
perceptions, aperceptions
et
associations se mettent
l uvre pour dvoiler
l identit
de
l objet. Toutefois l uvre est toute autre, elle
en
est l exprience. Je ne
8 Ibid., pp.71-100
7/25/2019 Art Contemporain Animisme
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13
la saisis pas ainsi aussi rapidement parce qu elle m incruste davantage dans son
existence. Elle ne peut tre porte ma conscience tel un concept, par exemple, le
concept montagne parce que mon exprience mme fait partie de son identit.
Un concept ne change pas. Issu des multiples expriences, l se fige quelque part
afin que je puisse m y reprer lors des constantes synthses passives qui s articulent
dans ma conscience. L objet uvre des uvres que j ai choisies est mouvant.
Il
se rgnre tout le temps parce que les uvres sont aussi des prsences dans ma
conscience.
Un
peu comme
la
prsence d un tre humain, elles comportent quelque
chose qui me dpasse, qui est hors de mon contrle.
Il est plus ais, maintenant, avec la mthode husserlienne, de dcrire la
constitution d un objet dans ma
conscience, la manire dont il advient et s rige
comme tel. Toutefois cela se complexifie fortement lorsque je me confronte l Autre.
L Autre n est pas un nome tel qu un objet peut l tre.
Il
porte aussi en lui un ego que
j rige en tous points dans ma conscience. L Autre prsente une aperception que je
construis, certes, mais contrairement
l aperception des choses inertes,
l aperception de l autre m est inaccessible par essence. Dans la philosophie
d Husserl, rien ne semble pouvoir m chapper rellement. La transcendance, se
prsentant comme quelque chose d inaccessible, est elle-mme construite par la
conscience partir de ce qui lui est accessible. L aperception porte en elle sa
possibilit. D o vient donc cette sensation indubitable de transcendance qui advient
lorsque je me retrouve en prsence e l Autre?
1.2 Husserl: De l Autre dans notre conscience la conscience de l Autre
La prsence de l Autre,
si
je tente de dnouer un peu les associations qui
la
forment, possde une large part d aperceptions. Tout ce qui nous est dissimul et
qui fait en sorte que l objet est objet (et par extension, que l Autre est l Autre),
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14
provient d abord, si je demeure fidle Husserl et toute construction des choses,
d une perception originaire. La seule perception originaire que je puisse avoir e
l Autre est celle que j ai de son corps. L altrit ne semble pas se situer dans cet
lment physique, mais quelque chose qui le dpasse et qui le fait briller. L Autre
brille du fait qu il vit et que j intuition ne toute la prsence de son tre. Si cette
intuition, qui se prsente sous le mode de
la
certitude lorsque je suis devant l Autre,
est issue de moi-mme, je devrai accepter tt ou tard que l Autre
en
tant
qu homologons
me
porte aussi en lui. L Autre est vis, mais l autre
me
vise aussi.
l
ne s agit pas d un objet inerte, mais d une autre conscience intentionnelle. l est un
nome qui devient nose et qui n hsite pas me transformer en nome son tour.
Si
l objet peut s exprimer du point de vue de l altrit, c est d une manire distincte
de l altrit de l Autre tre humain. C est pourquoi Husserl modifie quelque peu sa
mthode pour dcrire cette constitution de l Autre dans la conscience.
Plonge en moi-mme, et comme dans l effet d un ddoublement, j observe
de loin, dans
la
distance que me procure l adoption de l attitude transcendantale et
comme si je regardais dans une lorgnette toute spciale, les vcus qui pntrent
dans ma conscience. Je porte soudainement toute mon attention, en cherchant dans
la foule de mes expriences, celles qui ont trait l exprience trangre. J observe
l Autre, mais aussi tous les phnomnes, tels ceux de la culture, de l histoire, de la
socit, qui me rappellent
la
prsence indniable de l Autre. l est maintenant
insuffisant de les vider d un jugement quelconque,
il
faut maintenant s efforcer de les
faire disparatre totalement. travers ma lorgnette, j observe que la scotomisation de
toutes expriences impropres effeuille progressivement
ma
sphre d exprience de
toutes ses paisseurs. l ne me reste que ma propre sphre d exprience se
dfinissant ici comme
la
ngative de tout
ce
qui ne m est pas tranger. Cette
nouvelle fouille sparative me prsente ce qui m est spcifique, ce
partir de quoi il
m est possible de faire toute exprience.
L
o
il
ne m est plus possible de dterrer
et de discriminer, j atteins l irrductible fondation, mon monde propre. Le seul objet
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5
que je connaisse de l intrieur et duquel je matrise les mouvements est mon corps9.
Il est donc cette dernire strate. Je pourrais dire de cette strate essentielle qu elle est
dnude lors de ma naissance et qu elle acquiert rapidement tous ses revtements
avec l exprience du monde. De ce corps propre, je peux toucher et tre touche u
mme coup.
Si
l ego transcendantal est
le
fondement des connaissances, le corps,
lui, est l objet qui me permet l accessibil it
au
monde sensible. Lorsque je fais
l exprience trangre, lorsqu un autre corps entre dans ma sphre propre, c est par
le
biais de celle-ci que je le rencontre.
Rduit
mon corps propre
et
ma spcificit, je peux maintenant faire entrer
le corps de l autre l intrieur de ma sphre d exprience, par exemple, dans mon
champ de vision. La vue est le sens le plus tudi chez Husserl, j exposerai
postrieurement comment
la
perception de
la
corporalit n est pas simplement
visuelle. Avec cette rduction particulirement conue pour l tude du phnomne
tranger, je me permets d exposer la rencontre de l Autre, comme d abord et avant
tout, une rencontre corporelle. L Autre s immisce dans ma lorgnette
en
tant que
corps. Toutefois ce corps me ressemble et je fais l exprience de ce corps Autre
avec mon corps propre. Toujours dans ma lorgnette rduite, j ai l intuition que ce
corps possde
un
matre. Les agissements de ce corps s inscrivent en cohrence
avec les miens. Ils sont rgis par quelqu un d autre.
Ce
corps est comme
le
mien. La
possibilit de son psychisme provient de l appariement qui est effectu tout
passivement, au sens de la synthse passive husserlienne) en moi. Je n voque
pas ici l ide d une dduction logique de l exprience de la physicalit de l Autre,
mais plutt celle d une intuition du corps de l Autre comme
un
autre
mo
qui fait aussi
l exprience d un monde propre. L aperception de l Autre s rige comme une tige qui
pousse en moi. Lors de la perception du corps tranger, elle forme une sorte de
bulbe dans laquelle je conois la possibilit que d autres tiges peuvent y pousser,
Ibid.
pp.141-155
7/25/2019 Art Contemporain Animisme
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16
bien que je n en fasse jamais l exprience originaire. Ce bulbe est
en
quelque sorte
la sphre spcifique de l Autre qui construit
lui
aussi en lui l aperception des autres
sphres spcifiques, de
la
mienne par exemple. Une part de moi-mme m chappe
alors peut-tre, mais cet chappement est aussi mon propre difice. L exprience
originaire de l Autre est donc celle de son corps.
La
cohrence dans les
mouvements et les agissements permet une concordance suffisante
l appariement10.
Dans ce dbut de constitution, je dois dj admettre que l Altrit est quelque
chose qui n existe que par moi-mme.
Il
se forge en moi, se solidifie ou s amoindrit
selon mon exprience.
Le
psychisme de l Autre, sur lequel
ma
lorgnette n a
malheureusement aucun point de vue, apparat toutefois indniable. Lorsque j ai
perception d un objet, je l ai indiqu plus tt pour la synthse passive,
la
perception
de l objet, identifi comme tel, est aussi construite d aperceptions. Seulement, ces
aperceptions de l objet, qui se donnent moi, sont vrifiables, elles portent en elles
la
possibilit d une vrification. Je n aperois point
le
dos de
la
chaise, mais je peux
tout de mme me mobiliser et marcher tout autour de l objet et ainsi transformer
l aperception en une perception et la perception prcdente, en une aperception ou
rtention. Lorsque je parle du psychisme de l Autre, je dois admettre qu il s agit l
d une aperception qui sera toujours inaccessible ma perception. Contrairement au
dos de la chaise, le psychisme de l Autre est inatteignable par essence. Ce qui m est
inaccessible de
la
chaise est
la
perception que l Autre a de cette chaise avec ses
propres vcus, souvenirs, rtentions et protentions, et donc, encore une fois de
l Autre lui-mme. C est de cette construction de l aperception de l Autre que jailli t la
prsence de l Autre.
O Ibid.
pp
157 22.
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7
Si la
prsence de l'Autre est finalement une sensation profonde qui survit e
mon immanence, et que cette sensation est suscite parce que
le
corps de l'Autre
s'apparente au mien,
il
est curieux que je parvienne le dissocier de moi-mme.
Puisque j'exprimente, dans ma sphre propre, l'Autre comme un autre moi, quelque
chose doit se produire afin que je ne sois pas confondue avec cet Autre, son
psychisme aprsent.
Si
une frontire s'rige entre
moi
et l'Autre que je convoite,
elle provient du cadre spatio-temporel qui distingue immdiatement l'Autre de moi
mme. Par
un
cadre, que dlimitent l'espace et
le
temps, je parviens, selon Husserl,
maintenir une tranget. Je suis ici, ce moment prcis et cet endroit prcis, et
l'Autre se prsente sur le mode du
l-bas,
ce mme moment distinctement. Je ne
saurais me trouver ici et l-bas au mme moment. L'Autre ne pourrait tre ici
o
je
suis au mme moment o je m'y retrouve.
Du
pouvoir moteur de mon corps se
dessine en moi la possibilit d'un dplacement et de transformer
le
l-bas de l'Autre
en un ici pour moi et ainsi d'avoir le mme point de vue sur les choses que Autre
avait quelques minutes plus tt. Cette disposition faire du l-bas de l'Autre mon ici
et vice-versa est prcisment la scission ncessaire l'exprience de l'altrit
11
Cette scission, et toute l'exprience de l'altrit, rside trangement, pour Husserl,
dans une sensation essentiellement visuelle. L'Autre est
en
moi, la frontire qui me
permet de
le
maintenir ainsi est aussi ma cration, bien qu'elle soit passive et elle
se limite au cadre spatio-temporel.
C'est donc ainsi que se forge l'altrit et, par extension, l alter
go
dans
la
conscience humaine pour
le
phnomnologue.
La
rencontre du corps peut se faire
autrement que visuellement
U y
reviendra bientt). L'extriorit, ainsi rige dans
ma
conscience, gnre l'altrit, tout ce qui est autre et qui n'est pas moi. Cette
sensation peut se prsenter devant des objets, mais dans
le
cas de
la
perception du
corps, elle gnre
la
prsence
e
l'autre tre humain.
l
Ibid., pp.
165, 169
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18
1.3 De la sensation de l Autre au chiasma
La prdominance du visuel dans l apprhension de l Autre et
la
constitution
finale de l Autre se ralisant par
le
cadre spatio-temporel sont deux lments
importants que l on retrouve dans
la
philosophie de l altrit d Husserl. Ces lments
me portent, dans
le
cadre de
ce
mmoire, vers un dsir d ouvrir leur champ et de les
approfondir tout autrement.
Le
premier peut s tendre toutes
les
sensorialits. Le
deuxime mrite d en dcrire
la
rupture qui svit
au
moment de l exprience
e
l Autre. Cette rupture semble se munir d une
double intention. J expliquerai
davantage ce dernier lment au cours de ce chapitre. L exclusivit confre la
modalit sensorielle du visuel est tout fait trange. Dj, lorsque je parle du regard,
il n y a pas une seule sensorialit l uvre. Le regard lui-mme, selon Merleau
Ponty, n est pas simplement visuel, il est aussi tactile
12
Si ma main qui effleure les
choses
du
monde devient elle-mme touche,
il en
est de mme de mon regard.
Lorsque je le porte sur les objets, ceux-ci touchent d une certaine manire
ma
rtine
pendant que mon regard pouse les formes et les textures.
Si le
regard palpe tout ce
qu il trouve sur son passage, les autres sensorialits sont tout autant impliques
avec les choses du monde. Je rencontre toutes sortes d odeurs qui ont
un
certain
degr d intensit pour moi. Lorsqu elles sont trs fortes, elles semblent mme
endommager les conduits qui la portent
en
moi. L odorat relve de
la
sensation
tactile et ce, jusqu au moment
o
l odeur s immisce dans mes poumons.
Le
got est
aussi une forme de toucher,
la
sensation tactile y est indliable du moment
o
je
dguste
un
aliment.
Bien que
la
conscience intentionnelle ne saurait nier les autres sensorialits,
je n y trouve pas mme une bauche de leur fonctionnement dans l apprhension de
l Autre telle que dpeinte par Husserl. Les diffrentes sensorialits ne sont que des
12
Maurice Merleau-Ponty. 1954. Le visible t in visible Paris, Gallimard, 1964, pp.171-173
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9
modalits
de
la conscience intentionnelle,
ou
encore des modalits
de
donation
e
l objet. Toutefois la description de l avnement de l Autre dans ma conscience, chez
Husserl, repose sur la perception visuelle. La sensation profonde de l Autre ne
saurait natre exclusivement d une sensation visuelle, d une simple apparence sur
laquelle je devine passivement, au sens Husserlien, la prsence de l Autre.
Lorsqu une voix vient mon oreille ou lorsqu une odeur humaine s infiltre dans mes
narines, sans mme que j aie pu en apercevoir
la
source, elles sont dj pour moi
Alter ego. La
rupture s effectue ds le moment o j entends le son d un Autre, parce
que je sais qu il n est pas mien. La voix humaine ainsi que l odeur corporelle sont
non seulement lies un corps comme des prsences indicielles de celui-ci, mais
elles sont pour moi qui n en vois rien, corps propre de l Autre. Au mme titre que
visuellement j aperois le corps de l Autre, j entends le corps de l Autre et je le sens.
J rige la prsence de l Autre et toute son aperception, son psychisme, partir e
perceptions originaires non visuelles. Bien que
le
visuel soit peut-tre
le
plus prcis
des sens chez l tre humain, le phnomne
de
l altrit peut relever d une sensation
autre que
la
sensation visuelle. Je peux vivre
la
dchirure profonde de
la
prsence
de l Autre par le biais d une voix qui rsonne dans mon oreille ou par la sensation
odorifique, calorifique
ou
tactile d un corps humain. La sensation profonde de l Autre
s rige par sa ressemblance
moi-mme (un appariement)
et
sa
non
ressemblance
moi-mme afin qu elle ne soit pas confondue au moi propre. La voix, l odeur et la
chaleur de l Autre se prsentent sur le mode du l bas au sens du non ici. Elles
n manent pas de moi, mais d une source extrieure. Lorsque j mets un son,
je
ressens
ma
propre voix de l intrieur.
La
voix de l Autre, elle, entre en moi, mais elle
ne prend pas racine dans mon
ici.
Elle n est pas le fruit d un mouvement intrieur de
mes muscles.
La sensation originaire et aperceptive de l altrit est, selon Husserl, toujours
intentionnelle.
Il
s agit l de la structure de
la
conscience. Une conscience non
intentionnelle
ne
semble pas envisageable, car si je demeure fidle la philosophie
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2
d Husserl, tout
ce
qui entre dans ma conscience porte l intentionnalit de celle-ci.
Il
en va de mme pour tous les vcus qui y sont entrs et qui peuvent tre
possiblement ramens la conscience prsente et
ce
n importe quel moment. Or,
la
sensation de l altrit semble
se
munir d une non intentionnalit, ou encore d une
intentionnalit qui n est pas unique et volontaire. J ai parl plus tt d une double
intentionnalit, mais dj ce terme est paradoxal. C est le propre de l intentionnalit
d tre unique, chez Husserl. Je ne saurais effectuer deux actes de vise au mme
moment, l un s anantit toujours pour faire place l Autre. S il
y
en a deux
au
mme
moment, c est selon
moi
parce que l un d entre eux n est
pas
tout fait intentionnel.
Il
est mme viscral et lutte pour sa survie.
Il
est prsence trangre dans la
conscience et donc altrit. L altrit merge alors de
la
lutte continue entre ces
deux
intentions
.
L activit de
la
conscience se complexifie quelque peu lorsqu il s agit d riger
l Altrit puisqu il
y
a une sorte de fracture, une discontinuit au sein mme de
la
cohrence, qui permet l autre de faire son apparition comme Autre.
l
parat alors
douteux de croire en l apprhension exclusivement intentionnelle de
la
prsence de
l Autre. Celui-ci est de plus tout fait hors de notre contrle,
il
nous tombe dessus,
nous marche sur
le
pied. Levinas interroge la conscience intentionnelle lorsqu elle
dcouvre l Autre, sous toutes ces formes, jusque dans son rapport aux besoins et
aux dsirs
13
La conscience vise en direction de quelque chose et cette vise est soit
comble, soit elle se heurte sa propre invention. Au-del de la conscience
intentionnelle, qui pointe vers sa vise qui s emplit
o
s vide,
il y
a les dsirs et les
besoins qui ne sont pas seulement des vises.
La
sensation vcue du besoin
ou
du
dsir m arrache moi-mme, rattrape mon intentionnalit
un moment o elle se
concentrait sur une vise toute autre.
13 Emmanuel
Levinas. 1978.
Autrement qu tre ou audel
e
l essence,
Paris Librairie
gnrale franaise,
p.111.
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21
Levinas prtend que
le
psychisme
de
l intentionnalit agit comme une sorte
de dphasage.
La
notion d altrit s ouvre toutefois ici tout ce qui peut tre
vcu comme tel et non seulement l Autre en tant qu autre tre humain. Il s agit
donc d un dcalage entran par une rupture interne. Un besoin qui grandit
en
moi
mme et qui cherche ardemment se combler peut certainement tre compris
comme altrit. Ce besoin semble chercher
m ensevelir afin de transformer tout
mon tre en ce besoin. La rsistance, la volont de ne pas succomber, engage un
effort intense. Je prends ici
un
exemple tir du quotidien pour mettre
en
relief cette
rupture. Cet exemple est suggr bien que non explicit par Levinas 14 Supposons
que je dorme profondment et que soudainement
un
bruit connu m arrache
violemment des bras de Morphe. Rsonne alors en moi l urgence de me lever, car
je dois me prparer pour un rendez-vous important. Une partie de moi me tire hors
du lit pendant que l Autre, et je mets ici volontairement la majuscule A me supplie e
m assoupir nouveau. L tre semble se diviser en deux parties distinctes et ainsi
s engage une sorte de lutte intrieure pour ramener l tre dans son entit. Entre
l intention et
le
besoin,
il
y a comme un abme,
un
dphasage
.
Il
y a
un
vcu non
intentionnel. Je souhaite me lever, mais quelque chose d Autre en moi veut que je
dorme. La prsence pourrait
mon avis tout aussi bien s exprimer ainsi, comme une
dchirure
au
sein de ma propre conscience crant en
moi
une tranget.
Il
y a un
dbat continu entre la part de contrlable et
la
part d inatteignable de l Autre et entre
ce
qui m appartient et
ce
qui relve de l autre. L effet de prsence gnr par
l exprience des uvres, quant lui, engendre une rivalit plus profonde parce que
la
prsence provient d un agencement d objets inertes. l y a ainsi une sensation de
prsence et une part de moi qui rsiste parce que je sais qu il n y a
pas
l
vritablement
un
tre humain. Les oeuvres crent
ce
ddoublement et engendrent
du
mme coup des rflexions sur les objets qui s y animent.
14
Nous retrouvons la pense de Levinas sur la conscience intentionnelle dans Emmanuel
Levinas Ibid.,
pp.1
05-111 et dans Entre nous, essais su le penser--I autre, Paris, Grasset,
1991. p.132.
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22
Ce
dcalage s apparente, certains gards, au chiasme
de
Merleau-Ponty,
bien que
le
chiasme soit essentiellement corporel
5
Le corps est
la
fois frontire
avec les choses, le monde et les autres. Il est d abord et avant tout le moyen par
lequel j exprimente. Tout
ce
qui est visible porte une distance dans
ma
conscience.
Le
visible se constitue comme hors de moi, sans quoi il disparatrait aussitt. Toute
chose Autre ncessite donc une sensation d cart dans
ma
conscience. Cette
sensation me permet de dissocier
ce
qui est mien de
ce
que je constitue comme ce
qui est un point c est tout. Ce qui se donne ma conscience ne saurait tre
qu immanent. C est de la construction possible de la transcendance, mme dans
l immanence, que nat toute forme d altrit. Seulement le dcalage est d autant plus
fort devant un autre tre humain, l alter ego, puisque je me le constitue comme un
autre moi. Il est un sujet pensant, un sujet qui rgne et qui possde le pouvoir absolu
sur son objet, son corps propre. Il est aussi
en
mesure de constituer ma propre
transcendance dans
sa
conscience. En constituant l Autre comme tel, comme un
alter ego,
j ouvre
la
porte une confrontation qui engendre souvent une rsistance.
Celle-ci dlimite mon
mo
propre, sans quoi je me perdrais dans cet Autre.
Ce
dtachement, me permettant d riger l Autre dans toute sa prsence, est aussi le
moyen par lequel je suis moi-mme. Le moyen par lequel je possde une identit.
Les multiples associations
me
permettent de constituer l Autre, mais c est surtout la
dissociation,
la
fameuse rupture intrieure au rebord de mon identit, qui me porte
la
construction de l Autre. Elle semble survenir au moment mme
o
j rige
l aperception, le psychisme
de
l Autre. Celui-ci jaillit de moi-mme et semble aussitt
m chapper. L Autre
en
moi est
le
mystre, une connaissance incertaine et surtout
inachevable, mais auquel je crois, parce que j en ressens
la
prsence indniable.
15
Merleau-Ponty Le visible et l invisible,
pp.171-173
7/25/2019 Art Contemporain Animisme
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3
L Autre, une partie de moi-mme qui est inaccessible,
un
dsir inassouvissable
lorsque je m y intresse quelque peu. S il se fusionne
moi-mme, et que, par
mgarde, je n en rige pas
la
frontire, l Autre s anantit aussitt. Aller vers l Autre
c est aussi s auto dfinir dans
la
rupture qui svit entre
le
spcifique et
le
non
spcifique.
Le chiasme de Merleau-Ponty est aussi
un
entrelacs:
un
tressage
du
corps
non comme objet, mais comme corps propre avec le monde.
Il
ne faudrait pas voir,
dans
la
constitution de l Autre, une vritable fracture. Il s agit plutt d une dlimitation
aussi trange que celle qui spare
le
jaune du blanc de l uf,
la
fois clairement
perceptible, bien que ces lments soient impossibles
dsunir. C est le corps dans
toute sa profondeur dont
il
s agit.
Un
corps qui ne saurait qu tre le mur entre
moi
et
les Autres puisqu il est l unique moyen par lequel je communique et perois. Ainsi
tout
ce
qui est autre se prsente comme dans un tissage
moi-mme.
Le
chiasme
est
un
clivage, mais il est une relation l Autre avec lequel il n y a pas uniquement
une rivalit. Selon Merleau-Ponty,
l
y a plutt
un
co-fonctionnement entre les
corps. Bien que li au corps, le
chiasme
de Merleau-Ponty vient de l intrieur mme
de l tre. C est partir du corps propre que je dcouvre l Autre et c est de la notion
de chair que dcoule
la
relation l altrit:
Si
ma main gauche peut toucher ma main droite pendant
qu elle palpe les tangibles, la toucher en train de toucher,
pourquoi, touchant
la
main d un autre, ne toucherais-je pas en
elle le mme pouvoir d pouser les choses que j ai touches
dans la mienne? 6
6
Ibid. p183.
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31/125
4
Ainsi Merleau-Ponty relate que les deux mains touchent les mmes choses
parce qu elles appartiennent au mme corps propre. Elles profitent tout de mme
d une exprience tactile diffrente. l y a une relation entre les deux mains, telle celle
qui relie nos deux yeux produisant une vision unique, m indiquant qu il y a
un
seul
monde tangible. C est de
la
relation entre tous les sens que l on peut parler d espace
du
corps propre. Ainsi
en
touchant l Autre qui touche, je lui accorde le mme pouvoir
de rencontrer les choses et de participer cette chair commune
17
Merleau-Ponty fournit l exemple de
la
poigne de main, illustrant ainsi toute la
rversibilit
du
touchant-touch. S il y a effectivement une synergie l intrieur
de
mon corps propre, rassemblant les sensations de tous les organes une seule
sensation,
il y en
quelque sorte un seul organe.
l y
une unit qui ressent et cette
mme synergie doit exister entre les diffrents organismes, c est--dire, avec l Autre
en
tant qu autre corps propre. Mes sens ne sont pas des entits autonomes par le
simple fait que je ne vois,
ni
ne sens rellement qu avec l organe
du
sens, mais en
synergie avec
le
reste
du
corps et l tre que je suis.
Si
je peux toucher l Autre, celui
ci
participe d un mme monde, d un mme corps global. L harmonisation des sens
en une sensation unique me permet aussi de soutenir l ide que la sensation de
la
prsence peut
se
construire
non
seulement partir de modalits de sensation
distinctes, mais aussi partir de l amalgame de ces sensations vcues
en
un mme
moment de perception. C est donc dire que l effet de prsence, puisque sa mise en
scne est avant tout une construction, s rige dans
la
conscience partir de ce qui
peut tre ressenti par celui qui exprimente l uvre. C est cela mme qui fait le
spectacle.
On
peut ainsi faire interagir les sensorialits de manire modifier
la
perception visuelle puisque l interaction entre les sensorialits transforme celles-ci
en
une sensation globale, celle de la prsence.
[
Ibid. p.183
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5
Si Merleau-Ponty se permet d ajouter l ide du mme (la symbiose des sens
d un corps humain et l harmonisation de tous les corps en
un
corps total), c est qu il
se donne la libert d ajouter la dimension de l Altrit la question du langage. Le
partage par le langage rend commune l exprience et rend partiellement accessible
le psychisme de l Autre, sa pense. l n y a mme plus d alter ego, mais un corps
commun, la chair du monde, devant un visible qui nous habite dans un anonymat.
Le simple fait de voir quelque chose qui nous voit
son tour ouvre
la
possibilit d un
monde intercorporel : une chair commune, car l Autre est un corps avant tout. En
plongeant mon regard dans
un
regard qui plonge son tour dans le mien, ce regard
ne
me fait pas simplement cho. L change engendre le tissage de cette chair
commune. Mon corps devient ainsi une mtaphore
non
seulement du corps de
l Autre, mais de nous tous. Nous formons
un
corps commun, une sorte de monde
organique dans lequel nous sommes tous tisss les uns aux autres. Pourtant,
Husserl persiste
me
mettre
au
centre de mon monde, plutt que
de
me faire
participer
une communaut. Je suis destine
me
heurter constamment
moi
mme. J ai
la
sensation
de la
transcendance, mais elle est toujours illusoire
puisqu elle n est jamais autre chose qu une simple sensation. J ai la perception d un
monde commun, mais elle est aussi futile. Elle est mon propre difice parce que
mme le langage ne m assure pas une vritable communion avec un autre tre. Le
langage est, pour Husserl, un systme issu de la croyance en l existence du monde.
Bien que le langage ne trouve pas sa validit dans la mthode phnomnologique
d Husserl, il n en demeure pas moins qu il me donne une forte impression de
communion avec l Autre et de dcouverte de l Autre. Le langage, lorsqu il est parl,
comporte en lui les inflexions de
la
voix, telle l expression
du
visage comporte les
marques du psychisme. Lorsqu il est crit, il demeure aussi une trace indniable de
la pense de l Autre et dnote encore une fois, une prsence.
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26
1.4 De l immanence du monde commun
au
monde vcu
Le monde est-il donc purement illusoire? Est-ce qu il y a quelque part un
vritable change? Est-il possible de nous rencontrer, nous, les monades qui vivent
en elles-mmes et qui construisent
la
rencontre de l Autre tout au fond d elles
mmes? Suis-je destine une sorte de cage peine translucide, dans laquelle la
lumire n mane que de l intrieur?
La
mthode phnomnologique bouleverse le
rapport au monde et le transforme en un phnomne troubl d incertitudes. J ai pu
observer grandir le phnomne de l Altrit sur
le
terrain fertile et certain de l ego
transcendantal. La construction aperceptive de
la
prsence trangre me permet
alors d ouvrir
le
bulbe d un Autre, et ceux de tous les autres et d envisager cette
ouverture jusqu l infini. Le monde provient de cette construction immanente,
Husserl le nomme
le
monde intersubjectif. Toutefois, bien avant d avoir pris
conscience de cet difice immanent, j avais depuis toujours des perceptions d un
monde.
Selon Husserl, la perception du monde est d abord traduite dans
la
corrlation entre
la
pense
et
le vcu
18
Est corrlatif ce qui
me
fournit une vidence
qui se trouve dans une exprience originaire. Si tout en haut de
la
colline, j aperois
dans le flou du lointain une forme qui s apparente une maison, et que
soudainement aprs avoir gravi
la
montagne, ce qui s apparentait une maison
devient une attente comble par la nouvelle perception (cette fois beaucoup plus
claire), j ai
l une vidence bien remplie. Cette corrlation entre
la
structure que
forment les perceptions d une maison et l ide de la maison, qui, on
le
sait, fut
construite d abord par la perception aussi, ne m indique pas pour autant l existence
8 Edmund Husserl,
Mditations Cartsiennes
pp.84-89.
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27
du monde.
Ce
monde devient
le
corrlat
de ma
pense.
De la
rciprocit entre ma
conscience qui vise et ce qui est vis (comme si la conscience tait double entre la
nose, l acte
de
vise, et
le
nome,
ce
qui est vise), s inscrit une cohrence.
Ce lieu fragile
du
monde comme corrlat
de
ma pense, se trouvant sur cette
fine correspondance entre la conscience et son objet, participe aussi la chair telle
que
la
conoit Merleau-Ponty.
La
chair est partout, mais elle n est pas tout. Elle
se
situe sur
la
dlicate couche
l
o
le
peru s enroule sur
le
corps
de
celui qui voit.
l
s agit mme, pour Merleau-Ponty, d un
rapport magique [... ]ce pli, cette cavit
centrale du visible qui est ma vision 9
C est l o mon regard pouse les formes et
o
mon oreille reconstruit
la
mlodie.
La
chair est
la
fois intrieure et extrieure.
Mon corps
en
est
la
mtaphore: je sais que je ne perois pas uniquement par les
organes des sens. Ce monde, comme corrlat de ma pense, ne dpasse pas celui
de la
correspondance.
Je ne
saurais tablir, partir
de
celui-ci, l existence indniable
du monde en tant que monde commun et extrieur moi-mme. Merleau-Ponty le
porte vers
du
visible anonyme dans lequel les tres sont
en
communion, dans une
intercorporit.
C est par le langage que Merleau-Ponty parvient rendre commune
et extrieure l exprience corrlative. S il y a
un
terrain vritablement commun, un
endroit
o
je partage avec les autres une comprhension, c est bien dans le langage
sous toutes ses formes qu il se trouve. Il consolide la corrlation
en
harmonisant
mon exprience avec celle des autres.
Merleau-Ponty n envisage pas
le
monde comme enclos dans ma perspective,
puisque dans celle-ci, des parties de
mon
corps m chappent. Je
ne
vois pas mon
dos, mais je
le
ressens. Mon corps propre, duquel je ressens et dans lequel je rgne,
m chappe alors. Je
ne me
possde pas moi-mme dans
la
totalit puisque l Autre a
un
autre point de vue sur mon corps et
ma
personne. Ce point
de
vue
lui
est
19
Maurice Merleau-Ponty, Le visible etl invisible, p.189
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28
privilgi et je le rcupre
un
peu par le langage
2o
.
Par ailleurs, les choses changent
malgr
moi
et elles le feront aprs mon passage sur terre.
J ai creus jusqu son sol
la
possibilit d un monde et voil
o
j en suis, il
s anime en chacun de nous par une sorte de force appariante et empathique.
Il
est
intressant maintenant de voir comment je peux tudier le monde ainsi construit
lorsque je me trouve dans l attitude naturelle. Puisque
le
monde est vcu, mais que
nous le raisonnons sans cesse par toutes sortes
de
prsupposs scientifiques ou
non, Merleau-Ponty propose deux aspects
du
monde qui sont entremls lors de la
perception: le monde commun et le monde vcu
21
Il s agit l videmment d une
scission purement philosophique effectue l intrieur mme
de
l tre.
Le
monde
commun, bien qu il soit avant tout tiss par
le
corps, comme je le cerne
conceptuellement ici, est ce monde socialis par les paroles qui s inscrivent sur sa
toile. Bien loin de toucher l essence des objets qui le constituent,
ce
monde ou,
devrais-je dire, cet aspect
du
monde
en
moi, est purement rationnel. Il relve avant
tout
de
l entendement
et de la
logique. Je peux ainsi m entendre avec les autres sur
le
fait qu il y
a
entre telle chose et telle autre, une telle distance calcule avec le
mtre. Pour toute personne connaissant le systme mtrique, ce fait est difficilement
contestable.
Ce
monde est commun dans
la
mesure o nous l avons gnralement
appris ainsi dans notre environnement et notre culture. Il relve d une construction
commune. l est rendu possible par l apprentissage de systmes logiques intgrs
par
la
suite lors de
ma
perception. Certaines expriences me plongent
particulirement dans cet espace commun parce que j me sens dtache de
la
situation. Cet espace commun fait aussi gnralement rfrence
la
modalit de
sensation visuelle parce qu elle est la plus rationalisante de mes sensorialits.
2
Maurice Merleau-Ponty. 1945. La phnomnologie de la perception Paris, Gallimard,
~ F 4 0 6 4 0 7
Ibid.
pp.324-344.
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9
Le
monde vcu, l autre ple de
ma
perception, est celui qui m est propre. Les
distances entre quelqu un que j aime et quelqu un que je dteste, mme
si
elles sont,
par
le
biais d un calcul, identiques, sont profondment diffrentes dans mon
exprience propre.
La
distance vcue est variable d un individu l autre. Il ne s agit
pas ici
d un systme qui est appris diffremment, mais simplement d un vcu qui n a
pas
la
mme ampleur.
Le
monde vcu est la part qualitative de ma perception. Ce
concept permet
Merleau-Ponty de comprendre certaines pathologies et de pouvoir
dcrire celles-ci par
le
biais
du
monde commun et vcu.
Il
tudie l ampleur que
prennent ces deux aspects
l intrieur de l individu, dans
sa
perception. e que le
schizophrne entend, une voix qui vient de l intrieur, mais qui est
son sens toute
extrieure
lui, ne se prsente pas
ici
comme une hallucination purement
subjective.
La
voix entendue est objective puisqu elle se donne rellement au
malade qui constitue son monde.
Il
est
le
seul
l entendre donc elle n est pas
socialise et ainsi elle n est pas commune. Le schizophrne souffre d un
rtrcissement de l espace vcu ou encore d un empitement du monde vcu sur le
monde commun.
Le monde vcu est celui
de
mes sensations. J en suis immerge lorsque je
me retrouve
au
cur d un vnement qui me touche particulirement. Les
sensations tactiles, thermiques, odorantes et auditives y sont davantage relies dans
la
mesure
o la
part de moi-mme et
la
part
de
l Autre m apparaissent difficiles
discerner lors
de
la perception
e
celles-ci. Le monde commun de Merleau-Ponty est
un
monde conventionnel, il ne va pas de soi et il n est pas universel. Il semble mme
pouvoir tre dlimit
l intrieur d une seule socit
ou
d une seule forme
d apprentissage. Il pourrait tre diffrent d un groupe
l autre partageant
le
mme
espace social.
Du
moment qu il ne soit pas qu un,
il
est commun.
Du
moment que ce
qui s y trouve forme l unanimit, il est commun. Il est difficile de prescrire un seul
monde commun pour tous les tres humains, bien que l on puisse constater
l emprise d un monde commun dtermin sur tout
le
reste de l humanit. Je ne
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saurais affirmer qu un groupe n ayant pas appris lire, crire ou mesurer vit
uniquement dans son monde vcu, et cela mme s il tait dnu de toute logique.
Le monde commun du profane et du religieux diffrent et cela n empche pas
l existence d une communaut religieuse. Les faits, indniables pour les pratiquants
et improbables pour les athes, qui sont au cur de la religion, relvent d un monde
commun. Si leur monde est
un
monde vcu, ce n est pas de leur propre point de vue
qu il parat ainsi, mais de celui qui prtend connatre
le
seul vrai monde commun.
l
est sans doute l une des choses les plus difficiles, parce que contradictoire,
d accueillir dans sa pense la possibilit de plusieurs mondes communs. Voil
pourquoi, dans l attitude naturelle,
il
n y a pas un vritable monde commun. Celui-ci
ncessite une lucidation des prsupposs qui le sous-tendent, un dpouillement
jusqu
la
racine, l ego transcendantal selon Husserl, et une vritable reconstruction
partir de celui-ci.
Comme je l ai relat tout au long de mon exprience phnomnologique de
l altrit,
la
prsence de l Autre ouvre
la
constitution
du
monde immanent. Je
pourrais dire que j ai
ici
franchi un premier terme mon parcours sur
la
constitution
de
l effet de prsence dans
la
conscience humaine. Cet
effet
d une simple prsence
altre, me procure
la
force empathique de faire l difice du monde. Cela est
possible partir du sol apodictique de mon ego transcendantal, issu de l poch
phnomnologique. Je l ai dcouvert par
la
structure saillante de
la
conscience, du
moment
o
j ai maintenu cette mise entre parenthses
du
monde tel que je le
conois dans l attitude naturelle.
e
ma sphre d exprience rduite ce qui m est
propre, j ai port le regard vers l Autre, une vritable altrit qui est originairement
corporelle, mais essentiellement aperceptive. L paisseur et
la
fracture qui jaillissent
de
cette aperception m a dvoil la complexit de l apparition de l Autre comme
prsence immanente. Celle-ci est perue comme transcendante, c est--dire,
extrieure moi. L aperception de l Autre devient ainsi vritablement
le
germe de
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3
toute
la
possibilit d un monde commun
au
sens intersubjectif. Le monde rige son
difice dans mon immanence par une sorte de reconnaissance de l Autre comme un
Autre
moi
e que je constate maintenant est que considrer l Autre comme un
autre
moi
c est aussi construire son aperception travers toutes mes observations
vides
le
plus possible de leurs prsupposs.
Dans l attitude naturelle, cette exprience
de
l Autre peut tre vcue
e
manire radicalement diffrente. Par
la
suite, cette mme exprience naturelle peut
se redfinir par l observation de cette exprience, travers
la
lorgnette
u
phnomne husserlien. La comprhension
de
l Altrit comme dchirure, comme
distinction de moi-mme, semble pouvoir s effectuer autrement. Comme j ai tent
d largir
la
dfinition au-del de l Autre comme tre humain,
la
dchirure peut se
prsenter tout autrement lorsqu elle est vcue dans l attitude naturelle.
Si
les uvres
choisies pour
ce
mmoire
se
donnent
moi
comme prsences, bien qu elles soient
inertes,
il
est donc possible que, dans
ma
perception, certains lments forgent en
moi une altrit. Bien que je reprenne
la
mthode phnomnologique d Husserl du
dbut jusqu
la
constitution de l Autre dans
ma
conscience,
il lui
manque quelque
chose. C est justement cette possibilit de voir les choses s animer que je ne
retrouve pas dans
la
phnomnologie d Husserl.
Le
philosophe m apporte le chemin
de l immanence et les dtours qui lui sont ncessaires. Par ailleurs, les sensations
de l Autre qui s inscrivent dans une sorte d incohrence ne sont pas tenues en
compte. Ce phnomne lui-mme doit donc tre tudi dans une tradition o le
rapport l Autre est tout fait diffrent de ma conception habituelle, bien que ce
nouveau regard porte tout de mme
la
trace de mes propres prsupposs qui me
semblent malheureusement impossibles d radiquer totalement.
Si
les objets d art
qui
me
fascinent pour ce travail sont des objets que je qualifie de prsences,
ou
d animistes,
il
me faut alors comprendre comment cet effet de prsence se constitue
lorsque
la
prsence n y est pas rellement.
La
mthode husserlienne
me
permet de
dcrire le phnomne
de
la sensation de l Autre comme tre humain, mais la
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sensation de l Autre qui n est pas
un
tre humain est une sensation toute particulire
qui ne s puise pas l lumire de l phnomnologie de Husserl.
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CH PITRE
Il
NIMISME ET EFFET E PRSENCE
L exprience originelle du corps
de
l Autre, selon Husserl, serait donc
la
source de toute l aperception qui fait grandir
en
moi la prsence trangre. Si la
phnomnologie d Husserl, de Levinas et de Merleau-Ponty m claire grandement
sur l exprience d une prsence relle (relie
un
corps humain),
la
manire dont
elle merge en moi, mes ides se brouillent un peu lorsque je ressens une prsence
anime. Celle-ci
ne
dcoule pas de cette rencontre corporelle avec l Autre. Il
semblerait que, selon Husserl, si je me dpouille de tous mes prsupposs, seul
l autre tre humain se donne moi comme un
alter ego
Il n en est rien dans
l attitude naturelle qui s imbibe de toutes sortes de perceptions et sensations
tranges se rapportant un vcu ou ... une croyance. Si cet effet de prsence se
retrouve dans l art,
il
s agit l d un phnomne complexe que je
ne
crois pas pouvoir
expliquer en une seule bonne rponse. La mthode phnomnologique d Husserl
me
soutient fortement pour dcrire ce phnomne et
me
maintenir dans une attitude
la plus dnue de prjugs. Je dois quelque peu remettre en cause la limpidit de
l ego transcendantal. Non que je veuille en contester sa possibilit, mais plutt que j
ne
puisse prtendre atteindre une telle lucidit moi-mme. Je m y efforce
simplement.
Il
peut sembler trange que je m intresse poursuivre une rflexion
sur
la
croyance primitive animiste.
n
effet,
le
fait que certains objets d art se
donnent de
la
sorte n est pas tranger cet tat primitif qui subsiste l intrieur de
chacun de nous ainsi que du dsir de
le
communiquer.
La
constitution de la
prsence dans
la
conscience, lorsqu elle est nourrie de
la
croyance, pose donc un
problme plus complexe. Elle implique le prsuppos de cette croyance. J avance ici
qu il n est pas tout fait un prsuppos comme les autres, il est ancr en nous. Il est
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beaucoup plus une facult de l tre humain, une prdisposition chez tout homme,
qu un simple jugement.
Je souhaite d abord tudier le phnomne de cette croyance l o il merge
manifestement: chez le primitif
22
Le terme primitif porte toutefois plusieurs
significations, j expose donc la dfinition qui lui sera attribue dans ce mmoire.
Quant
la religion primitive animiste, la dfinition la plus courante de celle-ci, su
laquelle je reviendrai abondamment, est celle
de
l attribution d une me
tous les
objets et phnomnes qui nous entourent. L ide de l attribution d une me est une
manire rationnelle et conceptuelle de dfinir une exprience dont je ne saurais ainsi
extraire l essence. e que m apprend toutefois l animisme est que la source d une
prsence vivante dans la conscience humaine peut survenir de quelque chose
d inanim.
Je m intresse ensuite
la
description des manifestations
de ce
phnomne
pour alors plonger
l intrieur de celui-ci afin d en comprendre l aspect immanent.
C est partir de l espace vcu et de l espace commun que je tente d riger une
dfinition de l espace sacr ou primitif. Dcrire l espace dans lequel le croyant
s oriente et peroit m immerge moi-mme dans cet tat d esprit. L animisme a t
largement discut par des sociologues, des psychologues et des anthropologues. Je
tente, travers les crits relatifs ce sujet, de refaire le chemin de l tude externe de
la croyance. Je m intresse d abord au visible de celle-ci, pour ensuite situer l effet
de prsence dans la conscience comme quelque chose de fondamentalement
humain. Je m inspire largement de la philosophie de Lvy-Bruhl qui reconnat
la
reprsentation une vitalit sans prcdent, ainsi que de la philosophie d Otto et de
son tude de l immanence du sacr. Je cherche comprendre de quoi se constitue
cet effet,
le
numineux J expose
la
manire dont
il
se donne
moi et
ce
qu il en reste
22
Maurice Merleau-Ponty. 1945.
a phnomnologie de
la
perception
Paris, Gallimard,
p.230.
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34
chez le soi-disant profane. Il m intresse ensuite d claircir, aprs une tude des
manifestations et une tude immanente, de quelles manires
le
phnomne
s exprime par l tre humain. Je recherche aussi comment
il
se transmet d une
personne
l Autre comme
un
partage. C est videmment
ici
l art contemporain que
j introduis comme mode d expression et
un
partage: les uvres d art comme des
mises en
conditions
de
perception d une prsence.
2.1
Le
primitif d hier et d aujourd hui
Le
primitif est ici tudi la fois comme un anctre, mais aussi comme un
tat humain qui tend
disparatre avec
le
bagage de connaissances scientifiques et
la rationalisation de l environnement. Associ
la mentalit dite
prlogiqu
(que
j exposerai plus loin), selon Lvy-Bruhl, le primitivisme relve plus d une mentalit
particulire que d une race quelconque
3
Mme
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