Venezuela Ver Sune Transition d Fr
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DECEMBRE 2014
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Table des matires Prface Isaac Nahon-Serfaty, Ph. D (traduction Mayra Parra).....3 Revendiquer ltat de droit et la Constitution au Venezuela : le rle du systme judiciaire Nelson Dordelly Rosales, LL.D (traduction Mayra Parra)......6 Militarisme au XXe sicle : le crpuscule de la dmocratie Alfredo Lascoutx Ruiz, M.Sc (traduction Valrie Aubry).19 La nouvelle voie vers le totalitarisme : le cas du rgime chaviste Ariel Segal, Ph. D (traduction Danielle Vincent et Wolfgang Molina). 26 Type de rgime et transition au Venezuela : quel rle pour les forces armes? Jorge Lazo-Cividanes, Ph. D (traduction Cristina Fernndez)....30 propos des auteurs (traduction Mayra Parra).35 propos du CREDP et du FDCV (traduction Mayra Parra).......................................36
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Prface Lorsque le politologue Javier Corrales a publi en 2006 larticle intitul Hugo Boss dans Foreign
Policy, Hugo Chvez tait au sommet de son rgne. Le populisme autocratique quil essayait
dimposer aux Vnzuliens qui, selon Corrales, redfinissait la dictature en Amrique latine
semblait solide. Lide dune rvolution ternelle sous le leadership du Comandante bien aim
semblait une possibilit relle. Mais le dcs de Chvez le 5 mars 2013, de cancer, a branl les
bases du rgime. Nicols Maduro, dsign par Chvez comme son successeur, a gagn les lections
contestes du 13 avril 2013 par une toute petite marge de 1,5 %. On pourrait croire que le dcs de
Chvez et la dsignation dun successeur apparatchick peu charismatique comme Maduro
affaiblirait le proceso terme employ par les chavistas pour faire rfrence au rgime. Mais la
ralit est bien plus complexe et nuance que le discours polaris noir et blanc du chavismo au cours
des quinze dernires annes.
Depuis son lection en dcembre 1998, Hugo Chvez a d faire face lopposition dun important
segment de la socit vnzulienne qui oscillait entre 40 et 50 %, comme le refltaient les rsultats
des lections et des rfrendums tenus pendant le mandat du Comandante. Cette opposition sest
manifeste de diffrentes faons par les partis politiques, mais notamment par diffrents moyens
dexpression de la socit civile, comme le mouvement des tudiants. Il sagissait dune rsistance
pour contrer les ambitions hgmoniques dun rgime qui a viol systmatiquement les droits
humains, a limit la libert dexpression et a employ la violence pour intimider les manifestants et
leurs dirigeants. Les protestations des tudiants en fvrier 2014 ont commenc San Cristobal puis
ont suivi Caracas, la capitale, et se sont rpandues dans tout le pays. Les manifestants ont fait face
une rpression brutale de la part du rgime qui employait son appareil policier et militaire ainsi que
les groupes paramilitaires, connus comme les colectivos, pour briser les protestations. Human
Rights Watch et dautres organisations internationales et nationales des droits humains ainsi que de
nombreux activistes ont dnonc lassassinat de 42 personnes, lemprisonnement arbitraire de
milliers dtudiants (plusieurs ont subi des tortures) et lemprisonnement de dirigeants politiques et
de fonctionnaires lus, sans le moindre respect des droits de la part du gouvernement.
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La situation au Venezuela reste confuse et il est difficile den prdire lissue. Laggravation de la
crise conomique marque par un taux dinflation lev, les pnuries de nourriture, de mdicaments
et de toute sorte de produits, laugmentation de la criminalit prs de 25.000 assassinats en 2013, et
le dmantlement des institutions par le tout-puissant pouvoir excutif, prsagent des moments
difficiles pour le pays. Un revirement est-il envisageable au Venezuela? Si oui, que signifierait ce
changement? Pour explorer ces avenues, le Centre de recherche et denseignement sur les droits de
la personne (CREDP) de lUniversit dOttawa et le Forum Dmocratie Canada Venezuela (FDCV)
ont organis une table ronde Le Venezuela : vers une transition dmocratique? le 27 mai 2014.
Quatre chercheurs ont rpondu cette question depuis diffrentes perspectives, ils ont valu le
rgime en place et ils ont donn leurs ides des issues possibles. La prsente publication runit des
versions remanies des communications prsentes durant la rencontre*.
Nelson Dordelly Rosales, avocat et professeur lcole de dveloppement international et
mondialisation de lUniversit dOttawa, ralise une analyse dtaille de la dtrioration
systmatique de ltat de droit au Venezuela sous la rvolution , un processus qui a commenc
par le dmantlement de lordre constitutionnel en 1999. Dordelly Rosales dmontre la faon dont le
rgime sest servi du systme judiciaire pour consolider ses objectifs autocratiques.
Alfredo Lascoutx Ruiz, journaliste et doctorant lcole dtudes politiques de lUniversit
dOttawa, explique les lments qui dfinissent le militarisme croissant au Venezuela sous le soi-
disant socialisme du 21e sicle . Lascoutx Ruiz argumente que la militarisation de toutes les
institutions de ltat, dabord sous Chvez et ensuite sous Maduro, rpond ce quil appelle la
formule bolivarienne , qui est la combinaison dun leader charismatique, de larme et du
peuple (el pueblo), du parti et des ressources de ltat ptrolier.
Ariel Segal, historien et professeur lUniversidad Peruana de Ciencias Aplicadas (Lima, Prou),
dfinit lexprience chavista comme une nouvelle voie vers le totalitarisme. Pour Segal, la situation
actuelle au Venezuela est un no-totalitarisme dans lequel le fascisme est surtout une mthodologie
de pouvoir dans le but davoir la main mise sur la socit davantage par la violence et lintimidation
que par lidologie.
* Nous remercions Silvia Guimarey qui a ralis la transcription en anglais des enregistrements vido des prsentations. Sans sa contribution, la prsente publication naurait pas vu le jour. Nous voudrions aussi remercier George Bastin et son quipe de traductrices et traducteurs qui ont prpar la version franaise de ce document.
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Finalement, Jorge Lazo-Cividanes, politologue et professeur lcole dtudes politiques
lUniversit dOttawa, propose un cadre danalyse pour tudier le rle de larme dans une transition
ventuelle au Venezuela. Lexamen de la dynamique de pouvoir inhrente au populisme
concentration de pouvoir et volont de se perptuer et incompatible avec la nature ou lessence de
la dmocratie (notamment la sparation et la limitation des pouvoirs), permet Lazo-Cividanes
dentrevoir les scnarios o les militaires pourraient jouer un rle capital dans une nouvelle
situation.
Cette humble publication vise contribuer au dbat sur la vraie nature du rgime chavista,
notamment en ce qui concerne le dmembrement des institutions dmocratiques et la perte du
respect des droits de la personne. Esprons que le fait dlever la voix dans le contexte canadien et
nord-amricain facilitera la comprhension des issues possibles au Venezuela, en dpit de ce que
peut dire la propagande locale et internationale.
Isaac Nahon-Serfaty, Ph. D. Professeur agrg et membre du CREDP Universit dOttawa
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Revendiquer ltat de droit et la Constitution au Venezuela : le rle du systme judiciaire
Nelson Dordelly Rosales, LL.D.
Universit dOttawa
Dans une socit dmocratique, il va de soi que tous, du citoyen commun au fonctionnaire du
plus haut niveau, sont soumis la loi. Au Venezuela, ce principe fondamental a t introduit dans la
premire Constitution de 18111. Lide dveloppe au fil des sicles, selon laquelle la loi est au-
dessus du chef de ltat a t une constante tout au long de lhistoire constitutionnelle
vnzulienne. Ce concept fondamental est la base sur laquelle reposent les pays prospres. Pour ce
pays latino-amricain, ancrer ce principe de base na pas t une tche facile. Les guerres qui se sont
succd entre les Caudillos affams de pouvoir2, en passant par les progrs de la libralisation dans
les annes 1930 et les dbuts incertains de la dmocratisation avec lintroduction de la premire
Constitution socialement responsable en 1947 ont men la consolidation de ltat de droit avec la
Constitution de 19613. Vingt constitutions plus tard, la pression des masses qui demandaient
davantage de rformes sociales a permis dancrer de nombreux droits sociaux, conomiques et
politiques dans la Constitution de 19994. La Constitution a ainsi progressivement pris de
limportance aux yeux des Vnzuliens. En consquence, le systme judiciaire a jou un rle de
premier plan dans le renforcement du respect de la loi. En effet, les controverses nationales les plus
significatives sont amenes la Cour suprme pour une dcision finale. Cependant, la confiance
dans les tribunaux a diminu considrablement ce qui a une incidence sur lapplication et le respect
de ltat de droit.
Ltat de droit depuis la promulgation de la Constitution de 1999
Aprs quinze ans de rvolution , ltat de droit sest dtrior progressivement au
Venezuela. Tout a dbut en dcembre 1998, lorsque le gouvernement rcemment lu, prtendant
reprsenter la volont du peuple, a convoqu une assemble constituante pour rcrire la
1 Pablo Ruggeri Parra, La Supremaca de la Constitucin y su Defensa (Caracas: Corte Federal y de Casacin, 1941). 2 Napolen Franceschi Gonzlez, Caudillos y Caudillismo en la Historia de Venezuela: 1830-1930 (Caracas: Editorial Eximeo, 1979). 3 Ulises Picn Rivas, ndice Constitucional de Venezuela (Caracas, Editorial lite, 1944). 4 Allan Brewer Caras, Las Constituciones de Venezuela (Caracas: Academia de Ciencias Polticas y Sociales, ACIEMPOL, 2008).
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Constitution. Cette dcision a mis en difficult la Cour suprme vnzulienne, car elle a forc les
juges choisir entre lapplication des normes crites (qui empchaient explicitement cette
possibilit) et la participation active aux affaires sociales qui allaient au-del des textes juridiques.
La Cour suprme non seulement a autoris le prsident convoquer un rfrendum, mais
galement dicter la procdure dlection des membres de lAssemble constituante5. Ce soutien a
permis au prsident de dmanteler le systme constitutionnel vnzulien6. En dcembre 1999, les
Vnzuliens, dans lespoir dun avenir meilleur, ont approuv, lors du rfrendum national, la
cration dune des constitutions les plus longues, les plus complexes et les plus exhaustives au
monde7. La Constitution de 1999 a tabli une longue liste de droits sociaux qui ont redessin le
rapport entre ltat et les citoyens. Cependant, une analyse plus profonde met en vidence une
illusion de sparation des pouvoirs, par exemple ltablissement dun groupe novateur de cinq types
de gouvernement : les pouvoirs excutif, lgislatif, judiciaire, citoyen et lectoral, dans le but
dviter la concentration du pouvoir de ltat en un seul. Paradoxalement, le manque de cohrence
dans la dfinition et la dlimitation des pouvoirs et des responsabilits de lexcutif a ouvert les
portes un rgime autoritaire8. Le prsident, en tant que chef de ltat, a la responsabilit de prendre
une grande diversit de dcisions, susceptibles de compromettre lavenir de la nation. Llimination
du systme bicamral du Congrs a permis lAssemble nationale de dlguer au cabinet du
prsident la responsabilit de lgifrer, ce qui son tour a permis lexcutif de gouverner par
dcrets9.
Le prsident contrle troitement les questions conomiques et politiques. Une figure prsidentielle
forte, le Prsidentialisme, met laccent sur la personne plutt que sur la fonction en tant que telle, et,
au Venezuela, cela sest traduit par le manque de respect des normes dmocratiques et des
institutions judiciaires. Selon Katherine Isbester, Laccumulation de rles et de fonctions en une
seule personne investit la prsidence dun mysticisme et dune lgitimit au-del des besoins de
5 Alfredo Arismendi, Derecho Constitucional, in Carlos Luis Carrillo Artiles, ed., Tendencias Actuales del Derecho Constitucional: Libro Homenaje al Profesor Alfredo Arismendi A. (Caracas: UCAB, 2008), at 150. 6 Allan Brewer-Caras, La Constitucin de 1999: Derecho Constitucional Venezolano (Caracas: Editorial Jurdica Venezolana, 2008). 7 Luis Martnez Hernndez, Reflexiones sobre el estado democrtico, social, de derecho y de justicia en la Constitucin de la Repblica Bolivariana de Venezuela, Tribunal Supremo de Justicia, Revista de Derecho, Vol. 11 (2010), N 33. 8 Allan Brewer-Caras, Dismantling Democracy in Venezuela: The Chvez Authoritarian Experiment (New York: Cambridge University Press, 2010). 9 Luis Fernando Angosto-Ferrandez, Democracy, revolution and geopolitics in Latin America: Venezuela and the International politics of discontent (New York: Routledge, 2014), at 49.
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toute gouvernance dmocratique. 10 Ce phnomne a transform le prsident en un Caudillo11
moderne. En guise dexemple, le gouvernement employait ses pouvoirs lgislatifs pour limiter les
marges de bnfice des entreprises un maximum de 15 30 pour cent (selon le secteur), sous la
menace demprisonnement ou de nationalisation pour celles qui nobiraient pas. La loi est un
instrument essentiel pour atteindre un quilibre entre le rle affaibli du secteur priv et les menaces
croissantes de gouvernements de plus en plus puissants. Mais, dans ce cas, les nouvelles mesures
adoptes par le prsident ont fait pencher la balance du ct de lutilisation arbitraire absolue du
pouvoir.
Ltat de droit prvoit non seulement un ordre qui permet lpanouissement de la socit,
mais tablit aussi une srie de rgles pour lorganisation de la vie politique et conomique. La
Constitution de 1999 prvoyait des droits sociaux comme le logement, lassurance maladie,
lducation, la culture, le salaire minimum et bien dautres objectifs louables approuvs par le
rfrendum populaire. Amartya Sen estime que ltat de droit donne aux individus et aux
communauts la capacit de participer la dfinition de ce qui est juste12. Les rdacteurs de la
nouvelle Constitution sont alls plus loin et ont t plus inclusifs dans la dfinition des rapports entre
ltat et les citoyens afin de rpondre lnorme besoin de justice. Dans cette Constitution, conue
comme ltat de droit et de justice dmocratique et social, lattention porte aux droits individuels a
t relgue au pass dans la mesure o la constitution sattle un systme plus juste et plus
quitable pour lensemble de la socit13. Il est indniable que la Constitution renferme une notion
de justice sociale plus inclusive, mais le gouvernement a considrablement restreint les droits des
individus au dtriment de la nation.
Le rle du systme judiciaire
Ltat de droit est troitement li un juste respect des normes et la Cour suprme de Justice,
responsable de donner un sens prcis la Constitution, joue un rle important. La Constitution de
1999 plaait la Cour au cur des dbats les plus polmiques. En effet, le mandat de la Cour, tel que
stipul par le texte de la Constitution, consiste promouvoir la cause de la justice sociale dans toute
10 Katherine Isbester, The Paradox of Democracy in Latin America: Ten Country Studies of Division and Resilience (Toronto: University of Toronto Press, 2011), at 80. 11 Edgar Estvez Gonzlez, La Guerra de los Caudillos (Caracas: Edit.CEC El Nacional, 2006). 12 Amartya Sen, Development as Freedom (New York: Anchor Books, 2000). 13 Constitucin de la Repblica Bolivariana de Venezuela, Gaceta Oficial N 36.860 [30/12/1999], Sections 2 5.
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question juridique de la plus haute importance. La responsabilit accorde aux juges de la Cour
suprme par la nouvelle Constitution est de donner un sens profond aux droits sociaux et
conomiques. Par consquent, la Cour suprme est devenue linterprte par excellence de la
Constitution ainsi que la responsable de latteinte des objectifs sociaux y inclus. Par le fait mme, les
juges se sont vu attribuer le rle de premiers garants des valeurs sociales.
La Constitution de 1999, dans son prambule, fait la diffrence entre la loi et la justice
sociale. Elle affirme que la justice sociale se rfre au partage et la rpartition quitables des biens
au bnfice de la majorit de la socit14. Pour les juges, il sagit dune invitation explicite
participer activement toute une srie de questions dordre social. Dans les faits, llargissement des
droits sociaux dans la Constitution de 1999, ainsi que la responsabilit constitutionnelle de la Cour
suprme de garantir ceux-ci ont influenc davantage la faon dont les juges interprtent la loi.
Sous lgide de la Constitution, les juges sont investis dun pouvoir discrtionnaire suffisant
pour trancher toute question constitutionnelle. Mme sils doivent respecter la Constitution pour
donner des rponses catgoriques, les juges bnficient dune grande marge dapprciation et de
jugement personnel pour interprter le texte constitutionnel. Il est donc permis de se demander si les
juges appliquent vraiment la loi de faon objective, et si oui, jusqu quel point. On pourrait
rtorquer que pour trancher des questions sociales constitutionnelles, les juges ont besoin dune
certaine marge de manuvre15. Cependant, les cas emblmatiques remettent en question le rle des
juges dans lapplication de droits qui, souvent, sont vagues ou se chevauchent. Il est clair que
lattention porte par le tribunal aux questions sociales a eu comme rsultat la rduction de leurs
responsabilits fondamentales. En fait, les problmes les plus pressants et les plus vidents
demeurent sans rponse.
Le fondement de ltat de droit est la protection de la libert. Pour prendre des dcisions
impartiales, les juges doivent tre exempts de toute influence extrieure. Au Venezuela, la Cour
suprme a choisi de subordonner les principes constitutionnels des facteurs non juridiques qui
menacent ladministration impartiale de la justice. Un bon exemple est celui de la libert
dexpression. La pierre angulaire dune socit dmocratique saine est le pluralisme, la tolrance et
14 Constitucin de la Repblica Bolivariana de Venezuela, Gaceta Oficial N 36.860 [30/12/1999], Sections 2 5. 15 Jeff King, Judging Social Rights (Cambridge University Press, 2012), at 97.
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le droit universel exprimer ses ides et ses opinions, et recevoir et fournir de linformation. Le 27
mai 2006, RCTV (une des chanes de diffusion tlvisuelle les plus anciennes), a vu sa concession
rvoque. Le prsident, en vertu de la nouvelle loi sur les tlcommunications, avait le droit
dobliger les chanes de tlvision interrompre leur programmation (sans aucune compensation)
pour diffuser ses discours. Suivant sa politique ditoriale, critique lgard du gouvernement,
RCTV a souvent refus dobtemprer.
Dans un discours la nation, le prsident a dclar : RCTV est devenue une menace pour le
pays, aussi ai-je dcid de ne pas renouveler sa licence; cest ma responsabilit. 16 Pour justifier une
telle dcision inexplicable, la Cour a soutenu que la rvocation de licences ne constitue pas une
violation du droit constitutionnel la libert d'expression dans la mesure o tant RCTV que le public
en gnral ont accs une pluralit de mdias, que ce soit pour exprimer leurs ides et leurs opinions
ou pour recevoir une information libre et plurielle. 17 Cette dcision de la Cour confirmait la
volont du gouvernement de limiter la libert dexpression. Selon la Cour, les juges doivent
connatre lenvironnement social, politique et conomique dans lequel ils prennent leurs dcisions,
notamment dans les cas o il est question de la libert dexpression. Cependant, des prjugs ou des
influences externes ne devraient pas dicter lissue des dcisions de la Cour suprme. La fermeture de
la chane RCTV tait une action claire, destine taire les voix critiques qui se levaient dans les rues
du Venezuela contre le gouvernement. Au cours de la crise actuelle, le gouvernement a intensifi les
attaques contre les droits des citoyens de manifester et de sexprimer librement. Non seulement les
manifestations dans les rues ne peuvent faire lobjet de couverture mdiatique, mais galement le
gouvernement exerce un contrle serr sur tous les enregistrements et la documentation des activits
de protestation. Les mdias ont fait lobjet de rpression car une population informe reprsente une
menace pour le gouvernement qui veut le pouvoir et le contrle. La stratgie du gouvernement pour
viter tout discrdit a t de dmanteler les mdias indpendants et demprisonner les dissidents.
La lgitimit et lautorit de la Cour suprme peuvent tre remises en question. Par exemple,
dans le cas de la rlection prsidentielle de 2006, la Cour devait dcider de la constitutionnalit
dun amendement la clause 230 de la Constitution. La rlection continue du prsident de la
16 Radio Caracas Televisin, RCTV v. Artculo 192 Ley Orgnica de las Telecomunicaciones [11/07/2006] T.S.J., Sala Constitucional, Exp. N 1381. 17 Ibid.
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Rpublique allait contre le principe dmocratique de base nonc dans la clause 6, selon laquelle, ne
doivent tre lus que des nouveaux prsidents.
Les citoyens sont les seuls qui peuvent changer la Constitution. En fait, ils dcident quelles sont les limites de ceux qui les reprsentent. Linterprtation constitutionnelle ne peut pas tre isole ou dconnecte de la socit. La rlection tel que prvue dans le systme constitutionnel nimplique pas une modification de notre systme dmocratique. Au contraire, elle raffirme et renforce le mcanisme de participation prvu dans ltat social de droit et de justice tel quindiqu dans la Constitution de 1999. En outre, les normes besoins de notre socit rendent ncessaires les changements constitutionnels afin damliorer les conditions des citoyens faible revenus socioconomiques, et les dispositions constitutionnelles doivent tre au service de ces citoyens18. Par cette dcision importante, la Cour suprme reconnat clairement les facteurs sociaux,
politiques et conomiques qui permettent aux juges de trancher les litiges selon ce quils estiment
tre les besoins de la socit vnzulienne. Cependant, leurs dcisions entrent en conflit avec la
vritable nature du texte constitutionnel, ce qui remet en question la lgitimit de la Cour.
Lacceptation de lidologie politique en vigueur de la part de la Cour suprme dmontre quel
point les diffrentes valeurs publiques ont une incidence sur le texte constitutionnel. Selon le
chercheur vnzulien Ruben Laguna Navas, aujourdhui, la pense traditionnelle selon laquelle la
fonction judiciaire consiste simplement appliquer des rgles abstraites des cas individuels soumis
aux tribunaux est dpasse. On peut affirmer que la jurisprudence met au jour un groupe de rgles
abstraites qui entranent un enrichissement indniable de la loi. 19 Toutefois, le fait que la Cour
suprme, dans latteinte de ltat de droit et de justice dmocratique et social, privilgie la dfinition
de politiques, y compris lopinion personnelle des juges pour trancher en fonction de ce quils
pensent tre les objectifs sociaux du Venezuela, a chang la faon dinterprter la Constitution. Le
raisonnement la base des dcisions les plus importantes de la Cour est que les juges laissent de ct
le texte crit de la Constitution pour se concentrer sur leurs intrts personnels. Sans aucun doute,
les facteurs politiques, sociaux et conomiques font partie du processus de prise de dcision des
juges, afin dadapter le texte constitutionnel aux affaires courantes. Cette situation ne devrait
cependant pas entrer en conflit avec le principe fondamental de ltat de droit, en tant qulment
essentiel dun gouvernement dmocratique. Ltat de droit doit lemporter sur la rgle des individus.
18 Reeleccin Presidencial [28/07/2006] T.S.J., Sala Constitucional, Exp. N 06-0737. 19 Rubn Laguna Navas, Sala Constitucional, Mxima ltima Intrprete de la Constitucin, supra (at note 394).
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Le Venezuela se dirige vers une crise institutionnelle. Malgr le fait que ce pays repose sur
une des plus grandes rserves de ptroles au monde une poque o les prix du ptrole sont
extraordinairement levs sur les marchs, le gouvernement na pas t capable de satisfaire les
attentes inscrites dans la Constitution. Un pays avec un potentiel conomique qui pourrait, et devrait,
dpasser le Brsil ou le Mexique, a du mal grer le taux dinflation le plus lev de la rgion, les
pnuries de biens essentiels et le taux lev de criminalit20. Les Vnzuliens en ont assez. Les
manifestations contre le gouvernement commencent se gnraliser dans le pays, notamment par
des tudiants qui refusent de croire que leur seul espoir davenir est de quitter le pays. Les
manifestations dans tout le pays tmoignent de la frustration lgard dun gouvernement qui, sous
ltendard de la justice sociale, na apport quune souffrance sans prcdent au peuple. La rponse a
t linterdiction des manifestations publiques ainsi que la rpression contre ceux qui osent dsobir.
Larme et la police ainsi que les groupes paramilitaires qui soutiennent le gouvernement ont tir
ouvertement sur des gens qui manifestaient pacifiquement; le bilan document jusqu prsent fait
tat de quarante-trois (43) morts, huit cent trente-cinq (835) blesss21, trois mille soixante-deux
(3062) dtenus dont quatre cent quarante-quatre (444) en attente de leur procs22. Dans le bureau du
Procureur gnral vnzulien reposent en attente dtude cent-soixante (160) cas de torture et
dabus faits des tudiants emprisonns23. Cest l une preuve grave de violations des droits de la
personne et des droits fondamentaux, y compris le droit la vie, la scurit personnelle,
lintgrit personnelle, la libert, lapplication de la loi, ainsi que de torture et de traitement
humiliant, inhumain et cruel. Les plus hauts fonctionnaires du gouvernement ont reconnu que les
forces de scurit gouvernementales avaient commis des actes de violation des droits de la personne
lors des manifestations qui ont dbut le 12 fvrier 201424. Au cours des dcennies prcdentes, le
respect de la dmocratie et des droits de la personne avait t une des russites dont le pays tait fier,
avec pour corollaire la croissance de la prosprit au bnfice du peuple. Mais la dmocratie nest
pas parfaite. En fait, chaque secteur de la socit doit sengager fermement afin de maintenir les
institutions qui garantissent le respect et limpartialit pour tous. Au lieu de cela, les Vnzuliens
font face la crise la plus dchirante, o les jeunes tudiants dfient un gouvernement qui semble
avoir oubli son mandat principal, savoir, apporter de la prosprit et du bonheur son peuple.
20 Venezuelas economy: Of oil and coconut water, The Economist, disponible en ligne en anglais 21 Ministerio Pblico, Cifras de la Violencia de Protestas Opositoras, Vol. 20 (2014), N.7. 22 Resumen de Detenidos, Foro Penal Venezolano, disponible en ligne en espagnol 23 Supra note 13 24 HRW, Punished for Protesting (New York: Human Rights Watch, 2014).
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Ltat de droit a t clips par la terreur. La Cour suprme du Venezuela, linterprte ultime
de la Constitution du pays, a laiss a dlaiss sa responsabilit de protger les droits constitutionnels
fondamentaux pour imposer des modifications radicales la loi en fonction des prfrences
idologiques personnelles de chaque juge. La capacit de la Cour dinterprter la loi justifie-t-elle de
saper la confiance de la population dans les principes constitutionnels fondamentaux?
Le 24 avril 2014, dans le cas Gerardo Sanchez Chacon, la Cour dans son interprtation de la
disposition 68 de la Constitution vnzulienne qui porte sur le droit manifester dclare :
Toute concentration, manifestation ou runion non autorise par lautorit pertinente fera lobjet dune intervention policire ou dune autre force de scurit afin de prserver lordre public et, partant de garantir le droit la libert de mouvement et dautres droits constitutionnels.25
Cette importante dcision constitutionnelle remet en question le droit contester et
participer des manifestations pacifiques au Venezuela. En fait, cette dcision va plus loin, car elle
prvoit que ceux qui nobtemprent pas lautorit peuvent faire face des accusations criminelles
pour insubordination. Cette dcision inconsidre na fait quaccrotre les mcontentements envers le
gouvernement et les manifestations de rue massives. La criminalisation du droit manifester a
entran une chasse aux sorcires contre les dirigeants de lopposition, notamment Leopoldo Lopez
qui sest rendu afin dviter plus de violences contre ses partisans26. Lorsque les juges permettent
que leur opinion personnelle, leur idologie politique et leurs ides moralisatrices influencent leurs
dcisions, la Cour perd lgitimit et autorit. Le systme judiciaire perd de plus en plus son rle de
garant de la loi pour succomber dangereusement larbitraire. Les tudiants demeurent la seule force
sur pied contre le gouvernement qui semble avoir perdu tout sens de la ralit. Lamlioration de la
gouvernance est indispensable au maintien du progrs socioconomique; celui-ci est impossible sans
un systme judiciaire fort et indpendant qui dfende la Constitution et ltat de droit. Un niveau
lev de corruption et un rgime autoritaire diminuent la possibilit de participation, de transparence,
de responsabilisation, de prvisibilit et de consensus. Tels sont les facteurs essentiels du maintien
de lgalit et de linclusion, des principes de base de justice sociale. Autrement dit, ltat de droit
est indispensable la prosprit du pays. 25 Gerardo Sanchez Chacon [20/4/2014] T.S.J Sala Constitucional, Exp. N 14-0277. 26 BBC Venezuela opposition leader Leopoldo Lopez on trial, disponible en ligne
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La crise profonde que vit le Venezuela est le rsultat de leffondrement du systme judiciaire,
un lment indispensable au maintien de ltat de droit. Alors que les Vnzuliens taient tmoins
de lchec du gouvernement actuel, incapable de fournir laccs des produits de base comme la
nourriture et les mdicaments, les tribunaux ont eu loccasion de prendre des dcisions impopulaires,
mais ncessaires pour faire respecter le principe selon lequel nul, personne ou groupe, nest au-
dessus de la loi, quel que soit sa popularit ou son pouvoir. Il aurait fallu beaucoup de courage de la
part des juges pour garantir que tous les acteurs de la vie politique respectent la Constitution.
Cependant, les juges de la Cour suprme ont ferm les yeux lorsque le gouvernement a expropri les
industries de biens de consommation, passant outre les droits constitutionnels la proprit et un
procs quitable. cette poque, on leur a demand de se montrer fermes face lopinion publique
et au pouvoir de lexcutif. Il est regrettable de constater que sous la prmisse dune ide, errone, de
justice sociale, les liberts individuelles ont atteint un point critique comme maintenant tout le pays.
La foi en la dmocratie est une chose, la foi en la sagesse des juges en est une autre,
compltement diffrente. Si la Cour suprme vnzulienne avait laiss de ct les opinions
personnelles sur les exigences de la justice dans le but dinterprter et dappliquer la loi, cette crise
aurait pu tre vite. Les juges ont la responsabilit dinterprter la Constitution tout en
reconnaissant le poids de leur dcision sur llaboration des politiques. Un systme judiciaire
indpendant et respectable signifie quil y a des juges qui non seulement tranchent en fonction de la
loi et non de lopinion publique, mais qui ont la vision de trancher en prenant en considration les
besoins changeants et les proccupations de la socit vnzulienne en constante volution. Les
juges de la Cour suprme peuvent tre les agents de changement social sils respectent les objectifs
mentionns dans le texte constitutionnel. Les droits et les liberts sont plus que de simples mots; ils
servent de guide pour la transformation ncessaire de la socit vnzulienne. Il incombe aux
tribunaux de mettre en valeur les objectifs de la Constitution, non seulement avec des mots, mais
galement dans la ralit. La crise conomique actuelle pourrait tre le tournant dcisif pour que les
juges du Venezuela dfendent finalement la libert et la dignit. Les juges peuvent promouvoir la
mise en uvre des droits constitutionnels en indiquant clairement dans leurs dcisions la faon
datteindre lquilibre entre la justice sociale et les droits individuels. Plus important encore, le
nouveau rle dynamique de la Cour suprme en matire de controverses constitutionnelles donne
aux juges loccasion unique de responsabiliser les fonctionnaires gouvernementaux qui agissent en
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dehors de la loi. Si les juges sont les garants de ltat de droit, ils doivent suivre la lettre le texte
constitutionnel afin de donner vie aux droits et aux liberts. En dernire instance, les juges sont
chargs de prendre les dcisions les plus difficiles qui peuvent avoir une influence sur lavenir de
toute la nation.
Solutions constitutionnelles
Plusieurs se demandent sil existe une solution cette crise particulirement complexe.
Leffondrement de la Rvolution bolivarienne est invitable, essentiellement cause dune conomie
qui ne cesse de se dgrader. Parler de solutions dans ce contexte parait extrmement optimiste,
cependant il existe toujours la possibilit den trouver mme durant les priodes les plus sombres.
Une analyse dtaille de la Constitution de 1999 permet denvisager plusieurs mcanismes qui
pourraient offrir des solutions cette situation difficile. Puisque le texte constitutionnel stipule que le
pouvoir constituant original appartient au peuple vnzulien, cest au peuple vnzulien de
demander au Conseil lectoral national de convoquer une Assemble constituante nationale. Ce
mcanisme permettrait aux lecteurs dlire un corps de reprsentants dans le but de rdiger une
nouvelle Constitution. Cela semble simple, mais cest loin de ltre. Linitiative de convoquer une
Assemble constituante nationale peut maner : du prsident de la Rpublique et des ministres de
son cabinet; de lAssemble nationale la majorit des deux tiers; des Conseils municipaux en
sance ouverte, la majorit des deux tiers; et finalement dau moins 15 % des lecteurs inscrits27.
Cependant, lexprience rfrendaire au Venezuela nencourage pas les lecteurs apposer leur
signature en vue de convoquer une nouvelle Assemble constituante. En aot 2003, prs de 3
millions de signatures ont t envoyes au Conseil lectoral national afin dactiver le rfrendum
contre le Prsident28. La Constitution prvoit en effet qu la moiti du mandat prsidentiel, les
citoyens peuvent demander un rfrendum pour soutenir la gestion du prsident ou non. Le Conseil a
refus les signatures pour des raisons techniques. En un temps record, 4 millions de nouvelles
signatures ont t prsentes au Conseil lectoral national29. Le Conseil les a de nouveau refuses,
27 Supra (note 8), Provision 348. 28 Alicia L. Carriquiry, Election Forensics and the 2004 Venezuelan Prsidential Recall Referendum as a Case Study, Vol. 26 (2011), No 4, Statistical Science. 29 Ibid.
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mais cette fois, le prsident a fait mener une enqute sur ceux qui avaient sign contre lui30. Le nom
des ptitionnaires a t publi en ligne sous le nom bien connu de Liste Tascn31. Les
ptitionnaires ont fait appel la Cour suprme dans lespoir que lultime garant de la Constitution
respecte ltat de droit. Mais, elle na rien fait.
Dans le cas du rfrendum consultatif, la Cour suprme a combin la politique, les lois et
lopinion personnelle des juges pour interprter la requte. Certes, la Constitution est un document
appel voluer grce lintervention des juges au-del de leur vision troite des normes. La
responsabilit de la Cour consiste fournir des orientations objectives lorsque le texte est vague ou
imprcis. cet gard, le chercheur renomm Roscoe Pound affirme que la loi doit tre mise jour
et doit notamment, reconnatre que la justice implique non seulement quit entre les individus, mais
aussi entre les classes sociales. 32 Nanmoins, la Cour suprme du Venezuela ne prend pas vraiment
en considration les aspirations sociales stipules dans le texte constitutionnel pour adapter la
Constitution aux nouveaux cas difficiles. Comme nous lavons vu dans le cas du rfrendum, les
juges ont plutt pris leur dcision en fonction des rsultats queux-mmes souhaitaient. La Cour a
nonc ce qui suit :
Linterprtation constitutionnelle doit se faire selon la tradition et lanalyse culturelle des valeurs historiques des Vnzuliens, en fonction dun soi-disant systme universel de principes absolus qui ne peuvent simposer la thorie politique de la Constitution mme.33 Dans le fond, largument de la Cour est que linterprtation de la Constitution ne peut se faire
sans prendre en considration la thorie politique sous-jacente au texte afin de dcider en fonction
des intrts sociaux. Cependant, les juges nont pas fourni de preuve claire qui explique exactement
le sens de la thorie politique sous-jacente, soi-disant intgre au texte constitutionnel. Dans
lexercice de leur pouvoir discrtionnaire, les juges sont alls au-del des lois et de la raison,
contrairement la longue tradition dmocratique du pays de rsoudre les problmes au moyen du
vote, et ils ont rejet la demande des ptitionnaires dorganiser un rfrendum national comme
stipul dans la Constitution. Le juriste Herman Oliphant affirme que les juges sont des tres
humains et les tres humains ragissent des situations humaines. Lorsque les faits qui les ont
30 Bart Jones, Hugo!: The Hugo Chavez Story from Mud Hut to Perpetual Revolution (New Hampshire: Steerfoth Press, 2008), at 449. 31 Helen Murphy, Chavez's Blacklist of Venezuelan Opposition Intimidates Voters, Bloomberg, available online at http://tinyurl.com/pongr52 32 William W. Fisher III, ed., American Legal Realism (Oxford: Oxford University Press, 1993), at 7. 33 Re: Referendum Consultivo [22/01/2003] T.S.J., Sala Constitucional, Exp. N 03-0017.
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encourags entreprendre des actions sont tudis dun point de vue actuel particulier, non prvu
dans notre classification, nous renouvelons notre foi en la stare decisis. 34 La foi que les
Vnzuliens avaient en les juges de la Cour suprme est perdue. Les lecteurs ont donc beaucoup
de rticence recourir nouveau au complexe mcanisme de convocation dune Assemble
constituante. Mme si une nouvelle rvision de la Constitution de 1999 est ncessaire, la solution
doit passer par la mise sur pied dune Cour suprme de Justice capable de faire respecter ltat de
droit.
Un vote populaire dans le cadre dun rfrendum comme celui prvu dans la Constitution de
1999 est une solution possible. Les lecteurs pourraient demander au Conseil lectoral national de
convoquer un rfrendum la moiti du mandat du prsident, pour demander la population si elle
souhaite que le prsident demeure son poste ou non. Cependant, aprs lexprience rcente, il est
peu probable que les lecteurs demandent nouveau un rfrendum. Une autre solution
constitutionnelle possible cette crise serait que le prsident dmissionne. Avec les plus vastes
rserves prouves de ptrole, le Venezuela a mal gr son conomie, au point que son taux
dinflation se situe parmi les plus levs dans les Amriques. Selon Standard & Poor, le taux
dinflation atteindra 65% la fin de 201435. Les pnuries chroniques de biens de consommation
courante comme les mdicaments et la nourriture, le taux galopant de criminalit et le contrle de
change qui touffe les petites entreprises, sont des arguments irrfutables pour un changement
radical. La cote de popularit du prsident actuel chute la mme vitesse quaugmente le taux
dinflation36. Les gens attendent des solutions et si le prsident ne change pas radicalement les
politiques conomiques, le gouvernement risque de tomber sous la pression. Un autre mcanisme
constitutionnel possible pour trouver une solution la crise rside dans des lections pour une
nouvelle Assemble nationale. Une forte participation dlecteurs fatigus de la mauvaise gestion
conomique du gouvernement pourrait changer la donne au sein de lAssemble. Les nouveaux
membres de lAssemble pourraient lire de nouveaux juges la Cour suprme, le Conseil lectoral
national, le procureur gnral et autres acteurs importants de diffrentes instances gouvernementales
qui pourraient ouvrir un nouveau chapitre de la dmocratie vnzulienne. Cela ne sera possible que
34 Herman Oliphant, A Return to Stare Decisis, (1928) 14 A.B.A J. 71, 75 at 6.1. 35 S&P Downgrades Venezuela on Worsening Economy, Wall Street Journal, disponible en ligne http://online.wsj.com/articles/s-p-downgrades-venezuela-on-worsening-economy-1410907125 36 Anatoly Kurmanaev, Maduros Rating Falls to 39% in Venezuela Poll on Economy, Bloomberg, disponible en ligne
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si les personnes lues aux diffrents postes gouvernementaux agissent avec intgrit et responsabilit
lorsquils prendront des dcisions importantes. Une attention particulaire devra tre porte au choix
des nouveaux juges de la Cour suprme. Il est indispensable que les nouveaux juges respectent les
normes dthique les plus leves, puisquils auront la tche difficile de reconqurir la confiance de
la nation durant leur travail pour dfendre ltat de droit et la Constitution. Chaque mcanisme a des
avantages et des inconvnients; personne ne peut dire que la rcupration dun pays plong dans une
profonde crise sociale, conomique et politique se fera facilement. Cependant, surmonter des
situations difficiles et revendiquer sa grandeur fait partie de la culture, de la tradition et de lhistoire
du Venezuela.
Le Venezuela traverse un des moments les plus difficiles de son histoire contemporaine. Il est
pratiquement impossible de prdire lissue de cette crise. Cependant, cest dans de tels moments que
lespoir et la confiance dans la construction dun avenir meilleur dpend de chacun dentre nous.
Comme la crit Martin Luther King, Nous sommes pris dans un rseau de mutualit dont on ne
peut schapper; dans une mme destine. Ce qui touche lun dentre nous directement, nous
touchera tous indirectement. 37 Le fait dattirer lattention du monde sur la situation du Venezuela
nous fait avancer vers le changement. Je reste donc optimiste quant lavenir de cette merveilleuse
nation.
Il faut toujours faire entendre lexpression de la vrit et la compassion.
37 Martin Luther King, Jr., The Words of Martin Luther King Jr. (London: Robson Books, 1984)
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Militarisme au XXI Sicle : le crpuscule de la dmocratie
Alfredo Lascoutx Ruiz Universit dOttawa
Le contexte vnzulien
Avant dvoquer les diffrents traits qui rvlent mon sens le caractre militariste de la
Rvolution bolivarienne , comme elle sest baptise, il me semble bon de prsenter certains
lments du contexte vnzulien, car rares sont les Canadiens qui connaissent lhistoire de ce pays.
Cela est dautant plus important que lappareil de propagande du rgime actuel sest efforc de
rpandre dans le monde lide quavant larrive de Chvez au pouvoir, le Venezuela vivait sous une
sorte de dictature, alors quen ralit, comme je me propose de le montrer, cest en ce moment quil
se trouve dans une tape de transition vers un systme politique totalitaire ou pr totalitaire. Compte
tenu que jusquen 1998 le Venezuela jouissait dune dmocratie formelle, ces quinze annes de
rgime chaviste reprsentent le dmantlement de la rpublique dmocratique librale.
Comment caractriser le processus de destruction de l ancien rgime ? La rvolution
bolivarienne constitue-t-elle, comme elle le prtend, une tape de transition vers une dmocratie
directe et participative ? Est-ce une dmocratie autoritaire ou bien sagit-il dun revirement populiste
dguis en rgime militaire ? Assistons-nous une rvolution anti dmocratique ?
Le fait est quaprs quinze ans de rgime chaviste, les spcialistes ne parviennent
toujours pas le dfinir. Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, cest que cette rvolution et son
leader, Hugo Chvez, ont tenu un virulent discours anticapitaliste, anti tats-Unis et anti
imprialiste, et quils ont utilis la puissance ptrolire pour renforcer leur position gopolitique dans
la rgion des Carabes ainsi quen Amrique centrale et en Amrique du Sud.
Commenons par un bref aperu du contexte gographique, historique et socio-conomique
vnzulien. Pour comprendre o est situ le Venezuela, rien de tel que de regarder une carte. La
premire chose que lon remarque, cest quil se trouve au nord de lAmrique du Sud, sur la mer
des Carabes, quil possde des frontires communes avec une quinzaine dtats insulaires et avec
les tats-Unis et leurs les, et de Porto Rico. Dans le bassin des Carabes, il a galement des
frontires communes avec plusieurs pays dAmrique centrale. Dans le sud, sur sa faade
amazonienne, il est limitrophe du Brsil et de la Colombie, et dans lOuest se trouve sa partie andine.
Il est donc indniable que du point de vue stratgique, le Venezuela occupe une position cl sur le
continent autant de par sa position gographique quen raison de ses immenses rserves de ptrole.
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Par ailleurs, le Venezuela est une rpublique depuis 1811. Les guerres dindpendance contre
lEspagne ont marqu un tournant dans notre histoire. Une priode exploite par le rgime chaviste,
qui la dpeint comme une pope mene par Simn Bolvar conduisant les armes vnzuliennes
jusquau Prou et en Bolivie pour librer lAmrique du Sud de lempire espagnol. Depuis son
indpendance jusquen 1903, le Venezuela a vcu une srie de soulvements arms et de guerres
civiles, une succession ininterrompue de rvoltes militaires et sociales, durant un sicle et demi avant
lavnement de la dmocratie. Le pays a ainsi t gouvern par des oligarchies militaires, tout tour
conservatrices ou librales, qui se prsentaient comme les hros et les hritiers de la guerre
dindpendance. Cette situation a pris fin avec larrive au pouvoir de Juan Vicente Gmez, que lon
peut considrer comme le dernier dictateur lancienne et celui qui parvint mettre un terme
un sicle de guerres civiles. Il instaura une dictature trs forte et est considr comme le fondateur de
larme vnzulienne moderne.
Gmez succdrent des gouvernements militaires de transition (1935-1945), celui du
gnral Lpez Contreras puis celui du gnral Medina Angarita, qui ouvrirent la voie la
dmocratie. Le pays connut ensuite un gouvernement civil de transition, qui fut de courte dure car il
fut renvers par une dictature, la dernire ouvertement militaire, celle dun autre gnral, Marcos
Prez Jimnez (1948-1958). Un rgime qui sinscrivait dans le contexte de la doctrine
anticommuniste de la scurit nationale de la Guerre froide.
De 1958 1998, le Venezuela a vcu laube et le crpuscule de lre dmocratique, marque
par des hauts et des bas. Sil est arriv btir une dmocratie russie du point de vue politique, il a
chou en quelque sorte construire la dmocratie sociale et conomique dont il avait un besoin
urgent. Le ptrole a toujours constitu un atout majeur, mais aussi un norme facteur de corruption.
Les deux premiers gouvernements de la priode dmocratique taient vritablement populaires
mme sils ont eu affronter plusieurs tentatives de coups dtat venant de la droite comme de la
gauche. Progressivement, une dmocratie formelle sest renforce, mais elle est entre ensuite dans
une priode critique marque par les troubles sociaux de 1989, connus sous le nom de Caracazo, et
par les deux putschs manqus mens par Chvez et un groupe dofficiers en 1992.
La richesse ptrolire est sans nul doute llment capital du Venezuela moderne, car durant
les cent dernires annes, pour le meilleur ou pour le pire, cest le ptrole qui a faonn sa ralit
actuelle dtat ptrolier. Sous les gouvernements dmocratiques des annes soixante et soixante-dix,
le pays a beaucoup progress grce la cration de lOPEP, dont il est lun des membres fondateurs,
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et grce la nationalisation de son industrie ptrolire, auparavant contrle en majeure partie par
des compagnies des tats-Unis et du Royaume-Uni. Plus rcemment, en 2005, cest sur linitiative
du gouvernement de Chvez qua t fond Petro Caribe, une alliance qui permet aux pays des
Carabes et dAmrique centrale de sapprovisionner en ptrole vnzulien des conditions
financires trs avantageuses. En 2007, le rgime a prtendu avoir renationalis lindustrie
ptrolire. Une renationalisation qui a consist essentiellement remplacer par des groupes
chinois, russes, voire iraniens, quelques-uns des poids lourds occidentaux du secteur tels quExxon
Mobil, qui coopraient au moyen dentreprises mixtes avec PDVSA, la compagnie nationale
vnzulienne.
La renaissance du militarisme : pouvoir et ptrole
Si lon compare le rgime actuel la priode dmocratique qui la prcd, la plus grande
diffrence souligner est la politique rvolutionnaire de recentralisation qui va lencontre du
processus de dcentralisation mis en place par les partis dmocratiques depuis 1984. Pour ce qui est
des institutions politiques, ltat vnzulien sest transform en un appareil extrmement centralis
o le pouvoir excutif concentr domine le lgislatif, le judiciaire ainsi que le conseil lectoral. Cette
politique repose, du point de vue thorique, sur la conception de lconomie dun tat socialiste
centralis et se trouve renforce par les cours du ptrole qui restent levs.
Hugo Chvez a accd au pouvoir en 1999 aprs avoir remport les lections prsidentielles
de dcembre 1998. En lan 2000, il a lanc le Plan Bolivar 2000, un plan de gestion et de mise en
uvre de programmes sociaux plac sous le commandement de larme. Cest avec ce programme
que commence se manifester un glissement lent, mais constant dans la rpartition du pouvoir, qui
est troitement lie au contrle de la richesse publique, cest--dire au contrle de la rente ptrolire.
Pour beaucoup de chercheurs vnzuliens, cest l le dbut dun glissement vers la militarisation de
la socit, car, pour la premire fois depuis des dcennies (depuis 1958 et la fin de la dictature), on
peut voir de hauts grads (gnraux, majors, capitaines, lieutenants) contrler directement des
budgets dots de moyens financiers considrables et dcider de laffectation de ces ressources des
programmes sociaux rvolutionnaires parrains par ltat sans avoir rendre de comptes ni
une administration publique ni une instance civile. Les militaires sont devenus les matres de leurs
politiques et de leurs programmes en crant un gouvernement parallle de facto. Cet tat de choses
est comme un cho la thse du sociologue argentin Norberto Ceresole, un proche conseiller
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dHugo Chvez qui a diffus ses ides sur le systme politique latino-amricain endogne o le
Caudillo (le leader) est en lien direct avec le pueblo (le peuple) en utilisant larme comme son parti
politique et militaire. Cela voque aussi incontestablement la thse du csarisme dmocratique
(Cesarismo democrtico) du sociologue vnzulien Vallenilla Lanz (1919) qui fait lapologie
idologique des dictatures de Juan Vicente Gmez et de Prez Jimnez.
Sous Chvez, cette tendance la militarisation des institutions de ltat sest poursuivie avec
la cration, en 2007, de la Rserve nationale et le lancement de la doctrine de la Nouvelle gomtrie
du pouvoir, qui est fonde sur lide du remplacement du vieil tat bourgeois par ltat
communal : la rforme de lorganisation politico-administrative du Venezuela dans une optique
militaire de zones de dfense , o domine une structure communale38 qui fusionne division civile
et division militaire. Cette nouvelle gomtrie , dont certains aspects relvent dune vision
totalitaire collectiviste de la socit, associe larme au dveloppement de la nation et dessine une
nouvelle carte du pays par la cration de zones spciales places sous le contrle de larme
et possdant leurs propres activits industrielles et agricoles dans les diffrentes rgions militaires,
sans correspondance avec lorganisation politico-territoriale actuelle comprenant le niveau rgional
et le niveau municipal, telle quelle est tablie dans la Constitution.
Comment caractriser ce mouvement de militarisation de la socit ? Sagit-il dune forme de
populisme militariste ? Sagit-il dun tat patrimonial plac sous la tutelle de la rpublique
militaire ? Il est difficile dfinir, difficile caractriser.
Il semble cependant quil existe une formule bolivarienne : un leader charismatique,
larme, le peuple, le parti et ltat ptrolier. Mme aprs la mort de Chvez, le leader continue
jouer un rle central dans le discours politique du rgime avec la promotion dun culte de la
personnalit connotations religieuses. Tandis que les militaires accroissent leur pouvoir sur les
postes cls du gouvernement, le discours militaire contamine lespace civil puisque toute
dcision administrative, toute politique porte dsormais un nom militaire : guerre , bataille ou
campagne .
Le rgime a par ailleurs cr un appareil dendoctrinement de dimension nationale au moyen
du Centre de formation lidologie bolivarienne, qui couvre tout le pays, tout particulirement les
tablissements civils denseignement suprieur et bon nombre duniversits militaires. Ce processus
38 NDT : Au Venezuela, la commune nest pas synonyme de municipalit. Cest un chelon supplmentaire cr par le rgime chaviste : une sorte de conseil de quartier dot de comptences et dun budget. Cest la base de ltat communal.
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vise galement les enfants par lintroduction, dans la formation militaire comme dans les
programmes et les manuels scolaires, dlments de lidologie bolivarienne prsentant Chvez
comme le nouveau pre de la nation. Cela est renforc par lhgmonie des mdias contrls par
ltat et de ce que lon appelle les mdias communautaires (tlvision, radio, journaux et
revues). Le langage militaire omniprsent va de pair avec un discours de haine de classe contre les
opposants politiques, qualifis de traitres, dennemis, de fascistes, dimprialistes, etc. Et
finalement, il convient de souligner que cette tendance la militarisation se manifeste galement
dans le budget de ltat : aprs une augmentation de 12 % en 2013, le budget de larme a t
multipli par deux en 2014.
Pendant le premier semestre de 2014, le parlement vnzulien, contrl par le rgime,
envisage dadopter une loi qui crera la milice rvolutionnaire dans le but de faire fusionner
monde civil et monde militaire. Cette loi pourrait se concrtiser par linstauration dun rgime dans
lequel fusionneraient vision militaire de la socit et politiques pseudo socialistes populistes. Dans
une telle fusion du monde civil dans une milice, les Vnzuliens pourraient cesser dtre des
citoyens critiques pour devenir les sujets obissants dune socit no-totalitaire.
Une conclusion provisoire
Il semblerait parfois que la rvolution bolivarienne avance de faon dsordonne,
diffrents niveaux, dans diffrents espaces et diffrentes vitesses, au moyen de programmes
sociaux de toute sorte, qui ne paraissent pas avoir de sens ni sinscrire de faon cohrente dans une
politique gouvernementale bien planifie. Mais linverse, on pourrait estimer que les actions du
gouvernement sont autant de pices dun gigantesque puzzle dingnierie sociale qui (de 1998
2014) a lentement pris forme et qui maintenant permet enfin de percevoir plus nettement la direction
dans laquelle soriente ce projet politique. Cest dans ce contexte que la dimension militaire peut
nous fournir des indices.
Si lon se penche sur lhistoire du Venezuela, il ressort clairement que tout au long du XIXe
sicle et de la premire moiti du XXe sicle, cest le modle militaire qui a domin limaginaire
politique. Il suffit dailleurs de constater le nombre dannes de rgime militaire par rapport la
dure des gouvernements civils.
Pour ce qui est du rgime lui-mme, on observe nouveau que la figure toute-puissante du
leader joue un rle unique. En tant que soldat, Chvez avait bien compris la signification de larme
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dans limaginaire populaire et sa plus grande russite aura t, mon sens, de convaincre
linstitution militaire de la thse selon laquelle au Venezuela les militaires sont une caste ayant une
destine manifeste accomplir . Progressivement, en utilisant diverses stratgies, il a montr aux
militaires que, grce son modle, il recrait une nouvelle version revue et corrige des diffrentes
oligarchies militaires qui avaient gouvern le pays durant les XIXe et XXe sicles. Le Plan Bolvar
2000 ntait quune faon de mettre leau la bouche aux hommes en uniforme pour leur faire
comprendre ce que la rvolution pourrait signifier pour eux.
Chvez, le leader, joue le rle nationaliste, conservateur, qui est conforme la conception la
plus traditionnelle du populisme. En mme temps, cette vision nen est pas moins dmocratique ,
car en thorie, elle inclut toute la nation, le peuple tout entier. Les forces armes vnzuliennes
ntant pas litistes, mais populaires sont prtes accueillir quiconque souhaite partager cette
destine rvolutionnaire. Si lon part de ce principe, la Milice nationale serait autant une expression
plus large de lidentification du peuple avec larme quun instrument dascension sociale et
conomique pour le peuple. Cest ainsi que la notion dunion civico-militaire devient une valeur
essentielle dans loffre politique bolivarienne et se transforme en action rvolutionnaire qui pourrait
effectivement transformer la socit vnzulienne dans son ensemble : elle transformerait la
structure interne de la socit en transformant des citoyens contestataires en soldats obissants.
Chvez le leader ternel et le chavisme prsentent nanmoins une autre caractristique
quon ne peut ignorer. Lobjectif bolivarien de justice sociale, en tant que proposition
idologique ou programmatique, peut tre considr comme lgitime. Mais le chavisme a-t-il
toujours t socialiste ou communiste ? Ce qui importe ici, cest la facette de la personnalit du
leader qui cre le lien avec une ide sublime de rvolution, et bien sr avec le mouvement du
socialisme utopique qui continue de promouvoir une socit communiste idale tout en vitant de
reconnaitre les tragdies causes par nombre dexpriences politiques de ce type.
supposer que le slogan du gouvernement Chvez vive, la lucha sigue (Chvez est vivant, la
lutte continue) corresponde aux ralits politiques, on a alors un double visage de Chvez : un leader
capable de communiquer en mme temps avec le nationalisme militaire et avec le communisme
universel. Cela a t un lment capital de son arsenal et explique pourquoi la formule bolivarienne
repose tant sur le Leader, et non pas sur le Parti ou mme sur ltat. Pour le leader, le parti (le
PSUV) est ou tait un mal ncessaire quil lui fallait dompter, rduquer ou guider. Ltat
reprsente lensemble des moyens permettant de faire circuler lnergie, des ides vers laction. Mais
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l encore, la bureaucratie constitue un lourd handicap et, comme le parti, elle doit tre prserve de
la corruption politique et de la paresse des civils. De sorte que ce qui reste (en thorie, non
contamine), ce sont les Forces armes bolivariennes, la glorieuse arme de libration de Bolivar.
Cest l que lordre et lautorit peuvent tre perus comme tant opposs la libert civile qui na
men nulle part.
Il est indniable que la mort de Chvez a laiss un vide dans la formule de la rvolution
bolivarienne. Les deux aspects que Chvez pouvait fondre en lui savrent deux entits distinctes
dans la ralit du processus rvolutionnaire. Larme parviendra-t-elle lemporter sur le reste des
groupes qui accompagnent la rvolution ? Ou bien le PSUV, le Parti socialiste unifi du Venezuela,
sera-t-il lavant-garde qui dterminera lagenda politique ? Nul ne saurait le dire avec certitude. Mais
ce qui peut se produire, cest la poursuite et la radicalisation de la stratgie de militarisation de la
socit vnzulienne, mene sous le commandement pseudo religieux du dfunt Chvez, le leader
ternel, qui, depuis un paradis socialiste, surveille le peuple vnzulien vivant lutopie militaire du
village-commune au sein dune dmocratie spartiate dans un tat-garnison. Mais il reste encore une
dernire question poser. Quadviendra-t-il de lautre moiti du pays qui ne se plie pas au rve
militaire collectiviste ? Y aura-t-il la moindre chance de dialogue entre le monde militaire et le
monde civil? Ou bien assistera-t-on la drive du projet militariste vers un rgime militariste
totalitaire ?
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La nouvelle voie vers le totalitarisme : le cas du rgime chaviste
Ariel Segal , Ph. D. Universit Pruvienne des Sciences appliques (Lima, Prou)
Lors de ma dernire visite au Venezuela, parmi les nombreux graffitis et affiches l'image
dHugo Chvez dans les rues, un gros plan de ses yeux m'a rappel le Big Brother du clbre
roman 1984 de George Orwell. Ces yeux semblaient dire Je vous regarde! , une preuve que
l'objectif du rgime actuel au Venezuela est de devenir totalitaire. Mon but ici est dexaminer dans
quelle mesure le rgime russit atteindre cet objectif, et pour ce faire, je vais mattarder la
dfinition de certains termes cls, et explorer la diffrence entre autoritarisme et totalitarisme.
En 2003, le politologue Fareed Zakaria a publi un livre intitul L'avenir de la libert : la
dmocratie non librale au pays et l'tranger dans lequel il explique que les dmocraties librales
sont fondes sur un triangle : dans un angle, des lections, dans l'autre, la sparation des pouvoirs
(lie l'tat de droit), et dans l'autre la libert. Il distingue libralisme constitutionnel (les
dmocraties librales) des dmocraties intolrantes en indiquant que la premire dfinition comprend
les trois angles du triangle mentionn prcdemment, mais que la dmocratie peut encore tre dfinie
- non librale comme ctait le cas Athnes, avec llection cyclique des dirigeants, sans tenir
compte de la primaut du droit (un hritage de l'Empire romain) ni de la libert pour tous les
membres de la socit (lancienne cit-tat grecque privilgiait une classe sociale). Pour Zakaria,
dans les pays o il y a des lections, mme si la libert est limite et ltat de droit nest quapparent,
le rgime ne peut tre dfini comme une dictature, mais plutt comme une dmocratie non
librale . Zakaria donne l'exemple de la Russie de Poutin, du Zimbabwe de Robert Mugabe, de
lAlgrie sous Bouteflika, de certains pays de l'ex-URSS, et finalement du Venezuela. Il souligne
quils vont dans la mauvaise voie du point de vue conomique, car ce ne sont pas des conomies de
libre march comme d'autres dmocraties non librales succs telles que Singapour et la Malaisie
(ces pays eux, ont russi devenir trs dvelopps).
Je ne suis pas du tout d'accord avec la dfinition de Zakaria, non seulement d'un point de vue
intellectuel, mais aussi, dans une perspective plus humaine et motionnelle. Bien sr, pour dfinir la
dmocratie , il faut prendre en compte la libert ainsi que la sparation des pouvoirs. Je pense que
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cest une dfinition trop objective , et donc, insensible, que de qualifier de dmocraties des
rgimes autoritaires o les gens souffrent du manque de libert et de justice, mme si lon ajoute le
qualificatif intolrant . Oui, la plupart de ces pays ont des lections et vous pouvez allumer votre
tlviseur et lire des journaux avec un peu de libert; mais plus ces rgimes restent au pouvoir, plus
ces droits sont limins jusqu' ce que l'tat prenne le contrle total de toutes les institutions et les
mdias. Oui, on peut voter en Russie, au Zimbabwe, au Venezuela et dans dautres pays, mais leurs
prsidents ou leurs hritiers resteront toujours au pouvoir (Poutine ou Medvedev avec Poutine
comme Premier ministre avec des pouvoirs spciaux , ou Mugabe ou Chvez et plus tard son
successeur bni Maduro), mais l'opposition n'a aucune chance de gagner une lection soit en
raison de l'absence de conditions de concurrence gale ou parce que le conseil lectoral, qui est une
succursale du rgime, prend soin de commettre une fraude. On ne peut pas parler de dmocratie
lorsquil y a un culte de la personnalit comme dans ces pays; par consquent, dans le meilleur des
cas, il faut les appeler des rgimes autoritaires avec des lections, mais nanmoins autoritaires, ou
avec une dgradation continue des droits des citoyens. Il faut alors les appeler par leur nom : des
dictatures ou des tats totalitaires.
Certains chercheurs ont invent un nouveau terme : no-totalitarisme . Peut-on utiliser ce
terme dans le cas du Venezuela? Peut-on lassimiler au rgime nazi, sovitique, cambodgien, nord-
coren ou cubain? En principe, on pourrait dire que le rgime totalitaire classique serait inacceptable
dans notre monde d'aujourd'hui, mais la ralit est que ce nest pas entirement vrai, car toutes
sortes de rgimes sont tolrs et bien vivants, comme dans le cas de la Chine, de la Core du Nord et
de Cuba. Mais une nouvelle forme de totalitarisme est ne aujourdhui; en jouant selon certaines
rgles, ils mettent sur pied une mascarade par laquelle ils prservent certaines institutions, comme un
conseil lectoral pour montrer qu'ils tiennent des lections priodiques, ou mme une certaine forme
de parlement, un systme judiciaire ou un ombudsman, pour crer l'illusion dune sparation des
pouvoirs. Ils peuvent fermer certaines chanes de tlvision qui critiquent le rgime, mais ils
permettent l'existence de quelques journaux qui sont lus par une trs petite proportion de la
population et ils tolrent que certaines personnes crivent des articles critiquant le rgime. Mais
lorsquon tend crer un systme politique parti unique avec un leader messianique qui cherche a
imposer une pense unique en divisant les citoyens de son pays entre patriotes (ses disciples) et
tratres la patrie (l'opposition ou toute personne en dsaccord avec les politiques de son
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gouvernement), on peut parler d'une sorte de rgime totalitaire, et non pas seulement dune dictature
classique.
Comment dfinir un rgime no-totalitaire? Tout d'abord, ces nouveaux rgimes, comme les
anciens, comptent sur un chef charismatique qui joue la fois un rle politique et messianique.
Deuximement, les nouveaux rgimes construisent des partis politiques forts, mais contrairement
aux anciens, ils tolrent les partis de l'opposition jusqu' ce qu'ils deviennent une relle menace pour
la survie du gouvernement. Cest alors que ces partis d'opposition sont accuss de complot, de
violence, de tentative de coup d'tat (cest exactement ce que font ces rgimes), et comme au
Venezuela, certains de leurs dirigeants sont envoys en prison (le cas de Leopoldo Lpez) ou ils sont
dmis de leur mandat parlementaire (comme il est arriv Mara Corina Machado). En ralit, ce
quoi on assiste nest pas ncessairement une idologie, mais plutt une mthodologie appele
fascisme.
Bien que dans la premire moiti du 20e sicle, les gens associent le fascisme au rgime de
Mussolini et dHitler, bien y voir la mthodologie de l'exercice du pouvoir de l'Union sovitique de
Staline, de Mao Zedong en Chine et, plus tard, de Pol Pot et du gouvernement nord-coren aprs la
Seconde Guerre mondiale, il est facile de trouver un parallle entre tous ces rgimes. Tous,
indpendamment de leurs idologies de droite ou de gauche , ont utilis les mmes mthodes
de contrle violentes dans le but (au nom d'une nouvelle socit) pour tenter d'obtenir l'obissance et
la soumission totale de leurs citoyens. Dans le cas du Venezuela de Chvez, ce qui me drange, cest
que les gens comme moi, qui sidentifient l'opposition, sont appels fascistes par des fascistes
qui utilisent le fascisme comme une mthode pour dominer la socit. Mais comment fonctionne le
fascisme aujourd'hui dans ce rgime no-totalitaire? Premirement, le rgime de Chvez-Maduro
maintient la mascarade lectorale en faisant savoir la communaut internationale que le secret du
vote est garanti, mais il utilise diffrents mcanismes pour transmettre l'ide beaucoup de gens - en
particulier aux travailleurs de l'tat que le systme du vote lectronique permet de savoir pour qui
on vote. Deuximement, ils permettent aux gens de voyager l'tranger, mais ils contrlent l'accs
aux devises trangres ou mme limitent la disponibilit des billets d'avion. En ce qui concerne les
mdias et la libert d'expression, ils tolrent l'existence de certaines chanes de tlvision, certaines
radios ou certains journaux, mais le rgime trouvera le moyen de les fermer ou de les affaiblir sils
deviennent trop critiques. Au Venezuela, le rgime limite l'accs aux dollars pour importer du papier,
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de sorte que les journaux sont contraints, soit de fermer ou de rduire considrablement le nombre de
pages. Le gouvernement permet aux gens de protester dans les rues, mais dans certaines limites,
notamment de temps. Ils vont encore plus loin, comme le rgime chaviste la fait rcemment, en
criminalisant les manifestations, en emprisonnant les tudiants, et mme en faisant tuer certains
d'entre eux par leurs groupes paramilitaires ou en les torturant. En ce sens, les rgimes no-
totalitaires ne sont pas si diffrents des dictatures latino-amricaines traditionnelles en Argentine,
Uruguay, Paraguay, Chili, ou mme Cuba aujourdhui.
Pour moi, la situation actuelle au Venezuela est un no-totalitarisme qui tend vers un systme
de parti unique, et qui a mis en place le culte de la personnalit et l'utilisation de la violence par les
institutions de l'tat (police, arme), mais aussi par des groupes paramilitaires fanatiques prts agir
lorsque les citoyens descendent dans la rue; la criminalisation de l'opposition, la volont de rester au
pouvoir tout prix et lutilisation du discours qui rappelle lhistoire des porcs de George Orwell de
La ferme des animaux : Tous les animaux sont gaux, mais certains animaux sont plus gaux que
d'autres ou le slogan du Big Brother de 1984 : La guerre est la paix. La libert est l'esclavage.
L'ignorance est la force.
Avec la disparition de Chvez, on ne peut savoir comment la situation voluera. Il est
possible que le pays passe par une sorte de transition, mais il est trs difficile den prdire lissue. Je
pense que celle-ci pourrait tre trs douloureuse, et ncessitera une sorte d'aide internationale. Sinon,
je pense que le pays deviendra, progressivement, un rgime de plus en plus no-totalitaire.
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Type de rgime et transition politique au Venezuela :
quel rle pour les forces armes?
Jorge Lazo-Cividanes, Ph. D. Universit dOttawa
Nous sommes runis aujourdhui pour discuter des perspectives davenir de la transition
politique au Venezuela. Jaimerais, toutefois, commencer mon intervention par traiter de la nature du
rgime politique qui a t tabli au Venezuela, aprs llection dHugo Chvez en 1998. mon avis,
la comprhension de ce que Chvez reprsente en tant que phnomne politique et du type de rgime
quil a cr est essentielle pour explorer les enjeux de lactuelle crise politique dans le pays. Dun
point de vue comparatif, Hugo Chvez illustre parfaitement ce que lon peut appeler une exprience
populiste classique en Amrique latine39, plutt semblable, dans les faits, celle de lancien
prsident de lArgentine, le Gnral Juan Domingo Pern. En consquence, lobjectif premier de
mon intervention est de dcrire et dexpliquer de quelles manires le rgime populiste dirig par
Hugo Chvez a nui la dmocratie au Venezuela, et a laiss un hritage de tensions politiques et de
contradictions conomiques qui pourraient mener le pays vers une transition difficile et
ventuellement violente.
Quels sont les facteurs lorigine des transitions? Dans la littrature de la science politique, les
effondrements institutionnels sont frquemment lis lexistence dun haut niveau de polarisation
politique et la perte de la lgitimit de ceux qui gouvernent le pays40. Tels sont les facteurs sur
lesquels je concentrerai mon analyse. Le gouvernement vnzulien se dfinit lui-mme comme une
dmocratie base sur, premirement, son habilet maintenir un haut niveau de support populaire et
gagner des lections, et, deuximement, sa capacit de rpartir les revenus des exportations
ptrolires entre les plus vulnrables et exclus socialement et conomiquement. Effectivement,
depuis 1998, Hugo Chvez a obtenu une srie de victoires lectorales conscutives qui lont
progressivement amen, lui et son mouvement politique, contrler non seulement le gouvernement,
39 Jorge Lazo Cividanes, Una vuelta al populismo clsico: el caso de Hugo Chvez, Revista Venezolana de Ciencia Poltica (21, 2002) enero-junio. 40 A. Siaroff, Comparing Political Regimes: A Thematic Introduction to Comparative Politics (North York: University of Toronto Press, 2009); Juan J. Linz, Rgimes totalitaires et autoritaires (Paris: Colin, 2006); and Eric Carlton, The State against the State. The Theory and Practice of the Coup d'Etat (Aldershot, England: Scholar Press, 1997).
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mais aussi la totalit de lappareil de ltat. Dautre part, selon les chiffres officiels, son
gouvernement a t capable daugmenter la consommation par personne du pays de plus de 50 %. Ce
faisant, les taux de chmage, de pauvret et dingalit ont chut. De ce point de vue, il est noter
quHugo Chvez a bnfici de leffondrement de lancien systme (qui a cr un vide politique
dans le pays) et la hausse spectaculaire des prix du ptrole (denviron 10 US$ le baril en 1998 plus
de 90 US$). Consquemment, le Gouvernement a dispos dassez de ressources conomiques pour
financer les programmes sociaux de Chvez (les misiones).
Toutefois, lvaluation de la nature dmocratique dune socit passe par lexamen des relations
de pouvoir et de la structure et du fonctionnement de ltat. Un tat dmocratique est un tat dans
lequel il y a une sparation des pouvoirs (et donc pas de subordination du pouvoir judiciaire au
pouvoir excutif), un gouvernement constitutionnel (tant dans son origine que dans ses actions) et
une bureaucratie et je crois quil sagit dun lment important dans le cas du Venezuela neutre,
professionnelle et comptente. Ces trois lments ne sont toutefois pas les seuls attributs dun tat
dmocratique. moins que nexistent des contre-pouvoirs, telle une presse libre, un secteur priv
autonome, des partis politiques reprsentant une alternative relle au gouvernement, et une socit
civile organise, la dmocratie continuera dtre un mirage. Selon ces critres, la littrature est
encline qualifier le rgime vnzulien d autocratie lectorale . Cest--dire un pays dont le
systme lectoral est injuste et peu fiable, et o ny a pas dtat de droit41. De plus, le pluralisme
socioconomique y est trs limit (le gouvernement, au moyen de lappareil de ltat sous son
contrle, a le pouvoir dendiguer et de punir la dissidence politique de la classe entrepreneuriale).
Finalement, grce des rformes lgales et constitutionnelles, sa majorit lectorale et quelques
erreurs politiques coteuses de ses opposants, Hugo Chvez sest dot du contrle hgmonique de
lappareil de ltat qui rappelle la fusion de ltat et du parti des rgimes totalitaires classiques42. Je
nirai pas jusqu dire quil sagit dun rgime totalitaire, mais les comparaisons alimentent la
41 Par exemple, le Venezuela se classe au bas de lindice international de ltat de droit (Index of Rule of Law) (2014) produit par lassociation World Justice Project, et 160e parmi 175 pays (2013) dans lindex de perception de la corruption de la transparence internationale (Corruption Perception Index of Transparency International). Selon la socit de sondages Venebarometro en mai 2014, plus de 50 % des citoyens vnzuliens estiment que les institutions de ltat ne sont pas indpendantes de lexcutif. 42 L. Sturzo, "L'tat totalitaire", in Bernard Bruneteau, Le totalitarisme : origines d'un concept, gense d'un dbat, 1930-1942 (Paris: ditions du Cerf, 2010), pp. 255-263.
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controverse (les expriences historiques populistes en Amrique latine se confrontaient des
dolances similaires)43.
Trois autres lments confirment la dfinition du rgime vnzulien comme une autocratie
lectorale . Le premier a trait la nature charismatique du leadership dHugo Chvez et son
ambition notoire de rester au pouvoir pour une priode illimite (un projet abandonn cause de son
dcs prmatur). Deuximement, le rgime vante le soi-disant Socialisme du 21e sicle , une
idologie quelque peu confuse oppose au capitalisme et au libralisme politique. Combine une
rhtorique nationaliste, lidologie officielle adopte par les institutions de ltat tend lgitimer une
intervention de ltat en matire dconomie. Cest ainsi que durant quatorze ans, son gouvernement
a stimul la cration de nouvelles entreprises publiques, la nationalisation stratgique de certains
secteurs et lintroduction de nombreux contrles et rglementations (des prix, des profits, du change,
des licenciements, etc.). Troisimement, les relations civiles-militaires encourages par la
Rvolution bolivarienne sont dignes de mention. En effet, depuis son arrive au pouvoir, Hugo
Chvez a encourag la participation croissante des militaires dans les questions civiles. Un grand
nombre dofficiers ont t nomms tous les niveaux de la bureaucratie de ltat, y compris les plus
hauts postes dans plusieurs ministres. Les gnraux bnficient aujourdhui dune disposition
constitutionnelle qui autorise la Cour suprme dcider sils peuvent ou non tre poursuivis en
justice. Une fois la retraite, plusieurs officiers de haut rang ont t lus gouverneurs dtat sous le
parrainage politique dHugo Chvez. Les forces armes du Venezuela ont historiquement joui dun
poids politique significatif; aprs quinze ans dendoctrinement idologique et de purges internes, les
forces armes sont aujourdhui trs politises44. Il nest donc pas surprenant que plusieurs
Vnzuliens considrent que larme a le droit et le devoir dintervenir dans un contexte de crise
politique. Lopposition tout comme le Gouvernement reconnaissent que les forces armes sont lun
des facteurs de pouvoir les plus importants, et sefforcent donc de gagner leur appui.
Consquemment, il est possible que le pays se trouve de plus en plus sous tutelle militaire, surtout
aprs le dcs dHugo Chvez.
Entre-temps, le chavismo est un phnomne populiste. En tant que tel, il a merg de
leffondrement du systme de partis politiques prcdent. En utilisant une rhtorique manichenne
43 G. Hermet, Les populismes dans le monde. Une histoire sociologique XIX-XX sicle (Paris Foyard, 2001). 44 Control Ciudadano (2013), "Cuadernos de denuncia propaganda, militancia y proselitismo poltico de mandos militares venezolanos 2012-2013", Serie Cuadernos, 2, Caracas.
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ou un dualisme moral, les leaders populistes disent reprsenter la volont des gens et mener une
croisade contre le pillage historique de la richesse nationale par les lites traditionnelles
(loligarchie). Tous ceux qui ne sont pas en accord avec le mouvement nationaliste sont considrs
des ennemis de la nation et sont progressivement exclus de la sphre publique. De ce point de
vue, les rgimes populistes sont hgmoniques, quoique non rvolutionnaires. Cest ainsi que le
phnomne populiste, dirig par Hugo Chvez au Venezuela, polarise la socit et monopolise les
institutions de ltat. Sous les rgimes populistes, les pays vivent en constante confrontation entre
les deux camps opposs, tous deux prtendant reprsenter la vritable et lgitime dmocratie. Les
tendances hgmoniques des mouvements populistes amnent souvent le mcontentement au sein de
la classe moyenne et, sa suite, la crise institutionnelle (quand la crise politique atteint son apoge,
les interventions militaires sont frquentes). Ceci est particulirement le cas lors dune rcession
conomique. Dun ct, les hauts niveaux de polarisation affaiblissent les institutions de ltat et
rodent la lgitimit du rgime. Dun autre ct, la fin du cycle conomique populiste (croissance,
goulet dtranglement, crises et ajustements)45 nuit davantage sa lgitimit. En rsum, compte
tenu des expriences historiques, nous avons toutes les raisons de croire que les dynamiques du
pouvoir, intrinsques au populisme (concentration et perptuation), sont incompatibles avec la nature
ou lessence de la dmocratie (sparation et limitation des pouvoirs).
Cela tant dit, quels sont les scnarios et les perspectives dune transition politique au
Venezuela? Jobserve que le rgime vnzulien est prsentement faible, principalement en raison :
1) de la perte du leadership charismatique de Chvez; 2) du manque de majorit lectorale assurant
le contrle futur des institutions de ltat; et 3) du dclin de la capacit fiscale qui affecte la
durabilit de politiques conomiques et de programmes sociaux htrognes. Tous ces facteurs ont
un effet corrosif sur la cohsion et la force du chavismo. Il ne faut pas oublier quil sagit dun
mouvement qui combine diffrentes tendances et factions idologiques, unifies grce au leadership
vertical et incontest dHugo Chvez. Avec un dficit fiscal grandissant, le plus haut taux dinflation
de la rgion, le manque dinvestissement, la rglementation des prix et la pnurie de produits de
premire ncessit, lconomie du pays fonctionne peine. Le risque que les tensions sociales et
politiques se convertissent en une spirale de violence est rel. La rpression, dautre part, reprsente
une option coteuse et limite pour le rgime (trs nfaste en termes de cohsion et de lgitimit).
45 Voir R. Dornbush and S. Edwards (eds.), Macroeconomics of Populism in Latin America (Chicago: University of Chicago Press, 1991), pp. 1-11.
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Par consquent, je vois la transition au Venezuela comme presque inexorable, une transition qui
mnera le pays en un point intermdiaire entre deux scnarios : le meilleur, une ouverture ngocie
et progressive des institutions de ltat soutenue par les forces armes, et le pire, une confrontation
politique radicale associe leffondrement de lunit militaire.
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propos des auteurs
Nelson Dordelly Rosales : professeur temps partiel lcole de dveloppement international et
mondialisation de lUniversit dOttawa. Il possde un doctorat en droit (LL.D.) de lUniversit
dOttawa ; sa thse portait sur la Jurisprudence constitutionnelle dans la Cour suprme du
Venezuela. Il possde galement une matrise en droit (LL.M.), de lUniversit dOttawa ainsi
quune matrise en ducation (M.Ed.) de lUniversit de la Saskatchewan. Le professeur Dordelly
Rosales a obtenu son diplme davocat (J.D.) et son baccalaurat (avec honneurs) en ducation
(B.Ed.) lUniversidad Catlica Andrs Bello, Caracas, Venezuela. Ses recherches portent sur le
rle de la loi dans la mise sur pied des politiques et des rformes en vue de la croissance et de la
prosprit dans les pays latino-amricains.
Alfredo Lascoutx Ruiz : journaliste vnzulien, activiste environnementaliste et chercheur dans le
domaine social. tudiant au doctorat (PhD) lcole dtudes politiques de lUniversit dOttawa. Il
possde une matrise (M.Sc.) en Dveloppement agraire de lInstitut ibroamrican de la rforme
agraire, Universidad de Los Andes, Venezuela, et une matrise (M.Sc.) en Sciences politiques du
Centre dtudes politiques en Amrique latine, Universidad de Los Andes, Venezuela.
Ariel Segal : possde un doctorat en histoire de lUniversit de Miami en 1997 et une matrise en
tudes juives du Gratz College de Philadelphie en 1992. Il a enseign la communication politique