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Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
Stéphane Couture
Christina Haralanova Sylvie Jochems
Serge Proulx
Note de recherche 2010-03
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Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
Stéphane Couture
Christina Haralanova
Sylvie Jochems
Serge Proulx
Note de recherche 2010 - 03
Stéphane Couture est doctorant en communication à l'Université du Québec à Montréal, membre du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO). Au cours des dernières années, il s’est engagé dans différents projets liés à la promotion et l'usage collectif des logiciels libres. Christina Haralanova a terminé sa maîtrise en communication à l'Université du Québec à Montréal et est membre du LabCMO. Ses travaux portent sur l'appropriation des technologies de l'information et de la communication, plus particulièrement des logiciels libres, par les femmes et les groupes féministes. Sylvie Jochems est professeure permanente à l'École de travail social de l'UQAM et membre du LabCMO. Elle enseigne l'analyse des mouvements sociaux et la méthodologie de l'action collective en travail social. Elle s'intéresse plus particulièrement aux discours des groupes de femmes du Québec sur leurs usages d'Internet. Elle contribue à la publication des premiers articles sur ces questions en travail social, ainsi qu’à l’ouverture des débats sur les enjeux propres aux mouvements communautaires et aux groupes de femmes du Québec. Serge Proulx, sociologue, est professeur titulaire à l’École des médias, Faculté de communication de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et codirecteur du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO). Il a rédigé une quinzaine d’ouvrages et une centaine d’articles scientifiques et de chapitres d’ouvrages concernant les médias, les usages des technologies et la communication.
Résumé
Cette note de recherche présente les résultats d'un questionnaire en ligne réalisé auprès de 90
acteurs et actrices québécois-es du logiciel libre. Le questionnaire, d'ordre qualitatif et exploratoire,
comprenait des questions ouvertes qui avaient pour but de sonder les répondant-es au sujet des
activités au sein desquelles ils et elles sont impliqué-es; du secteur social privilégié qu'ils et elles
privilégient pour l'adoption des logiciels libres et finalement; de leurs perspectives sur un document
d'intérêt public qui offrirait un « portrait » du logiciel libre au Québec. La note de recherche
présente en détail notre démarche d'enquête et propose une analyse des réponses selon quatre axes.
Le premier fait ressortir l'engagement pluriel dans le monde du logiciel libre et propose de
considérer cet engagement comme un engagement associatif, contribuant à la vie démocratique du
Québec. Le deuxième axe met en évidence le rôle économique et pédagogique attribué aux secteurs
publics québécois de l'éducation et de l'administration publique, dans l'adoption et la promotion des
logiciels libres. Un troisième axe s'inspirant des approches féministes expose l'engagement des
femmes dans des activités telles que la consultation, le soutien technique, la rédaction, et la
participation à diverses rencontres et conférences, activités qui semblent souvent exclues des
enquêtes portant sur les logiciels libres. Finalement, le dernier axe aborde les réponses au
questionnaire concernant le contenu d'un éventuel document d'intérêt public. Nous présentons
quelques éléments significatifs de ces réponses ainsi qu'une proposition de ce qui pourrait être un
plan préliminaire pour un tel document. Nous abordons en conclusion différentes pistes et
questionnements pour des recherches futures.
Table des matières
INTRODUCTION ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE ____________________________ 1
1. PROBLÉMATIQUE : UN PORTRAIT DU LOGICIEL LIBRE AU QUÉBEC ______________ 5
1.1 Qu'est-ce qu'un logiciel libre? _________________________________________________________________ 5
1.2 Premier tour d'horizon des engagements envers le logiciel libre au Québec ____________________________ 7
1.3 Un mouvement du logiciel libre? _______________________________________________________________ 9
2. DÉMARCHE D'ENQUÊTE : UNE RECHERCHE EXPLORATOIRE __________________ 12
2.1 Quelques repères théoriques et méthodologiques _________________________________________________ 12 2.1.1 Les logiciels libres comme espaces de pratiques citoyennes _______________________________________ 12 2.1.2 La définition de la technologie à l’épreuve de la critique féministe _________________________________ 14 2.1.3 Une posture engagée _____________________________________________________________________ 15 2.1.4 Questionnaire en ligne : une démarche inspirée d'enquêtes précédentes ______________________________ 16
2.2 Techniques d'enquête : questionnaire en ligne et recrutement « boule de neige » ______________________ 17
3. QUATRE AXES D'ANALYSE ___________________________________________ 23
3.1 Un engagement pluriel dans une multitude de projets _____________________________________________ 23 3.1.1 Un engagement citoyen? Mouvement et communauté des logiciels libres ____________________________ 27
3.2 L’importance des institutions publiques pour l'adoption et la promotion du logiciel libre _______________ 29 3.2.1 « Rejoindre un grand nombre de personnes » __________________________________________________ 30 3.2.2 Éduquer aux logiciels libres ________________________________________________________________ 31 3.2.3 Où diriger les efforts? ____________________________________________________________________ 31 3.2.4 Quelles politiques publiques? ______________________________________________________________ 33
3.3 Femmes et logiciels libres ____________________________________________________________________ 36
3.4 Faire connaître les logiciels libres au grand public _______________________________________________ 42
CONCLUSIONS ET PISTES FUTURES DE RECHERCHE __________________________ 44
RÉFÉRENCES CITÉES DANS LE TEXTE _____________________________________ 48
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 1
Introduction et objectifs de la recherche
Les logiciels libres, également appelés logiciels « open source », suscitent un intérêt de plus
en plus grand de la part de différents acteurs et actrices. Ayant émergé au milieu des années
1980 dans les milieux « hackers » et certains centres de recherche en informatique aux
États-Unis, les logiciels libres sont aujourd'hui adoptés et promus par des grandes
entreprises comme IBM et Google, mais également par certaines administrations publiques
comme celles du Brésil, du Vénézuéla, ou encore certains secteurs de l'administration
française. À la base de ce mouvement important d'adoption des logiciels libres, nous
retrouvons une multitude d'acteurs et actrices agissant individuellement ou collectivement
en s'impliquant dans différents projets, par exemple : la programmation de logiciels,
l'administration des serveurs informatiques, la formation et l'enseignement, le lobbying ou
la création de petites ou moyennes entreprises au fonctionnement souvent innovateur et
original. Les formes de coopération et de production inventées dans le monde du logiciel
libre ont également suscité un intérêt marqué de la part de plusieurs chercheur-es en
sciences sociales. Quelques-un-es y ont vu des formes d'innovation « ascendante » - des
usagers vers les concepteurs – en remarquant que les initiatives à l'œuvre dans le monde des
logiciels libres inspiraient également d'autres pratiques innovantes sur Internet, dont celles
étiquetées aujourd'hui par le terme de « web 2.0 » (Cardon, 2005). D'autres encore ont
remarqué qu'une fraction importante des acteurs et actrices du logiciel libre – mais pas tous
et toutes – considéraient leur pratique comme une forme d'engagement politique (Auray,
2000; Granjon, 2006; Coleman, 2003). Finalement, sans nécessairement attribuer une
radicalité politique à l'engagement des acteurs et actrices du logiciel libre, certain-es
chercheur-es proposent de considérer que les pratiques de développement de logiciel libre
favorisent le développement d'habitudes citoyennes telles que l'entraide, la solidarité et la
coopération (Benkler et Nissembaum, 2006; Longford, 2007).
C'est en explorant des approches similaires que notre laboratoire (LabCMO) a, au cours des
cinq dernières années, réalisé quelques recherches qui avaient en commun d'analyser
différents aspects du monde du logiciel libre. Un premier projet avait permis de réaliser une
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 2
analyse sociohistorique du mouvement de l'informatique libre qui s'attardait
particulièrement à décrire les valeurs et les pratiques des acteurs et actrices de ce
mouvement. Un autre projet avait quant à lui consisté à analyser ce que nous avions appelé
la « diffusion paradigmatique » de ces valeurs et de ces pratiques dans d'autres domaines
que celui du logiciel libre, en particulier dans le milieu communautaire québécois.
Finalement, une dernière étape de notre programme de recherche nous avait conduits à
analyser de façon plus attentive de petits collectifs situés à l'intersection du monde du
logiciel libre et de celui de l'action communautaire québécoise. Les cas de Koumbit et d'Île
sans fil avaient alors particulièrement retenu notre attention, cas que nous avions mis en
relation avec des groupes plus anciens et plus reconnus dans le milieu communautaire
(Goldenberg, 2008; Powell, 2008; Proulx, Couture et Rueff, 2008)1
Malgré les différentes analyses que nous avions jusqu'alors réalisées, il nous semblait
manquer à nos travaux une vision plus large, non limitée à des études de cas spécifiques et
pour laquelle une nouvelle enquête pourrait recenser les différentes activités liées au
logiciel libre dans l'ensemble du Québec. Un tel « portrait » des engagements envers le
logiciel libre au Québec avait déjà été présenté quelques fois lors de conférences (Millette,
2005; Cyr et Bouffard, 2007) et notamment par des membres associés à notre groupe
(Dagrain, 2007). À notre connaissance toutefois, il n'existait pas de travaux universitaires,
en particulier en communication, qui s'étaient donné un tel objectif. Nous avons cru que la
réalisation d'un tel « portrait » pourrait constituer un apport scientifique intéressant à nos
propres travaux, mais qu'il pourrait également constituer un document d'appui pour les
acteurs et actrices, leurs actions et leurs revendications. C'est dans cette perspective que
nous avons décidé de réaliser cette enquête qui poursuit trois objectifs :
.
1. Recenser et décrire des initiatives liées à l'éducation, la promotion et la migration
au logiciel libre, dans différentes régions et différents secteurs d'activités du
Québec.
2. Identifier les éléments clés des énoncés des acteurs et actrices, en particulier en ce
qui concerne les enjeux socio-économiques et politiques du logiciel libre, dans le 1 Voir (Proulx, 2006) pour une description de ces différents projets.
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 3
contexte québécois.
3. Réaliser un document de synthèse qui pourra contribuer à rassembler des
initiatives qui semblent aujourd'hui relativement fragmentées et isolées les unes des
autres.
Pour cette enquête, nous avons développé un questionnaire en ligne que nous avons diffusé
sur différentes listes de discussion préalablement identifiées par notre équipe. La diffusion
de notre appel, en mars et avril 2008, a permis de rassembler un échantillon de 90
personnes – dont 14 femmes – provenant de la plupart des régions administratives du
Québec. Le questionnaire comportait une dizaine de questions dont quatre étaient ouvertes.
Ces questions ouvertes permettaient aux acteurs et actrices : de décrire les activités dans
lesquelles ils et elles étaient impliqués; de donner leur opinion sur la meilleure manière de
promouvoir le logiciel libre au Québec; et finalement, de nous donner quelques idées pour
la réalisation d'un éventuel document d'intérêt public sur le logiciel libre. Le questionnaire a
permis de faire ressortir la multitude de projets et de formes d'engagement dans lesquels les
acteurs et actrices étaient investi-es, souvent à titre de bénévoles. De plus, nous avons pu
remarquer le rôle important que les acteurs et actrices québécois-es attribuent aux
établissements d'enseignement publics pour favoriser l'adoption de logiciels libres. Autre
fait notable, si l'on compare notre étude aux résultats mis de l'avant dans d'autres études,
nous remarquons une présence des femmes relativement importante dans notre échantillon.
Cette note de recherche présente en détail notre démarche d'enquête et propose une analyse
des réponses à notre questionnaire en ligne. Dans la première section, nous tentons de
définir plus précisément notre problématique en situant les expressions « logiciels libres »
et « logiciels open source » dans leur contexte historique ainsi qu’en élaborant une première
esquisse de description des acteurs et actrices du logiciel libre au Québec. La seconde
section expose notre démarche de recherche, qui se veut avant tout exploratoire plutôt que
formellement représentative. Nous abordons d'abord quelques repères théoriques et
méthodologiques sur lesquels s'appuie notre démarche afin de mieux circonscrire nos choix
méthodologiques. La troisième section présente les résultats de notre analyse à partir de
quatre axes qui correspondent aux thèmes priorisés par les personnes répondantes. Pour
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terminer, nous faisons ressortir les principales conclusions de notre enquête et proposons
quelques pistes pour de futures recherches.
Comme nous l'indiquons à quelques reprises dans ce document, il est important d'insister
sur le caractère exploratoire et sur les limites de cette recherche. En particulier, par souci
méthodologique, nous avons décidé de limiter notre enquête à l'analyse des réponses à
notre questionnaire, diffusé au printemps 2008. Ce choix méthodologique entraîne donc
nécessairement un décalage entre l'analyse présentée dans ce texte et le contexte actuel du
logiciel libre au Québec, marqué par quelques événements importants et postérieurs à notre
questionnaire. Parmi ces événements, notons le gain de cause de l'entreprise Savoir-Faire
Linux dans son procès contre la Régie des Rentes du Québec. Le 3 juin 2010, la Cour
Supérieure du Québec a en effet jugé que la RRQ avait agi illégalement en 2008 en
octroyant un contrat informatique sans appel d'offres à Microsoft pour le renouvellement de
ses systèmes informatiques. En plus d'établir une jurisprudence favorable au logiciel libre
(ou du moins, à la pluralité des choix informatiques), ce procès a donné une place non-
négligeable aux logiciels libres dans les médias de masse, dont La Presse ou Radio-
Canada. Quelques jours après le jugement, le 10 juin 2010, la députée Marie Malavoy a
d'ailleurs déposé un projet au Bureau de l'Assemblée nationale du Québec visant
l'introduction des logiciels libres et l'utilisation de formats ouverts au sein de cet
établissement d'enseignement (Asselin, 2010). Notons finalement la poursuite du groupe
Facil contre le gouvernement du Québec qui a été rejetée sous prétexte que l'organisme
(sans but lucratif) n'avait pas d'intérêts commerciaux dans la démarche. Le gouvernement a
d'ailleurs refilé une facture de 107 000 $ à Facil pour le remboursement de ses propres
honoraires d'avocat, démarche qui a été perçue par bon nombre de militants du logiciel libre
comme de l'intimidation (Deglise, 2010).
Même si nous n’abordons pas ces événements récents dans le présent texte, nous croyons
toutefois que les bases méthodologiques et les ébauches d'analyses présentées ici restent
d'actualité. Par ailleurs, si nous avons eu dès le départ l'idée de destiner ce travail à un
public militant, celui-ci doit néanmoins être reçu comme une note de recherche scientifique,
se situant dans une tradition sociologique. Nous espérons que les réflexions développées
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 5
dans ce texte pourront éventuellement servir à appuyer des activités militantes en faveur
des logiciels libres.
1. Problématique : un portrait du logiciel libre au Québec
1.1 Qu'est-ce qu'un logiciel libre?
Un logiciel libre est un logiciel dont le code source peut être librement lisible, modifiable et
réutilisable par tous et toutes. Le code source informatique est quant à lui un ensemble de
documents textuels qui contiennent les instructions spécifiant formellement le
fonctionnement d'un logiciel ou d'un système informatique. Pour être lisible par
l'ordinateur, le code source doit être traduit dans un code machine « binaire » appelé le
« logiciel exécutable » (tableau 1.1). Une fois l'opération de compilation terminée, le code
source n'est plus nécessaire au fonctionnement des logiciels. Dans bien des cas, seul le
logiciel exécutable est distribué aux usagers et le code source demeure la propriété de
l'entreprise qui restreint souvent son accès à ses seuls employés. Au contraire de ces
logiciels dits « propriétaires » où l'accès au code source est restreint, les logiciels dits
« libres » ont pour principe de laisser libre l'accès au code source.
L'idée d'un logiciel qui serait libre a émergé dans le milieu des années 1980, en particulier
par la création aux États-Unis de la fondation pour le logiciel libre (Free Software
Foundation) et du projet d'un système informatique complètement libre, intitulé « GNU ».
C'est Richard Stallman qui proposa le premier le terme de « logiciel libre » en le définissant
par quatre libertés : 1) la liberté d'exécuter le logiciel, pour tous les usages; 2) la liberté
d'étudier le fonctionnement du programme, et de l'adapter à ses besoins; 3) la liberté de
redistribuer des copies; 4) la liberté d'améliorer le programme et de publier ses
améliorations2
.
2 <http://www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html> (consulté le 22 avril 2007)
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
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Tableau 1.1 : Exemple de code source (extrait du code source de Wikipédia)3/**
* Create an Article object of the appropriate class for the given page. * @param Title $title * @return Article */ function articleFromTitle( $title ) { $article = null; wfRunHooks('ArticleFromTitle', array( &$title, &$article ) ); if ( $article ) { return $article; } if( NS_MEDIA == $title->getNamespace() ) { // FIXME: where should this go? $title = Title::makeTitle( NS_IMAGE, $title->getDBkey() ); } switch( $title->getNamespace() ) { case NS_IMAGE return new ImagePage( $title ); case NS_CATEGORY: return new CategoryPage( $title ); default: return new Article( $title ); } }
L'expression « logiciel open source », quelques fois traduite par « logiciel à code source
ouvert », est également souvent utilisée pour référer à ces mêmes logiciels libres. Cette
expression - « open source » - a été forgée vers la fin des années 1990 aux États-Unis, pour
favoriser l'adoption du logiciel libre au sein des entreprises commerciales. L'objectif de
cette nouvelle terminologie était de remédier à l'ambiguïté, dans la langue anglaise, du
terme « free » de « free software », trop souvent associé à une gratuité qui n'était alors pas
de mise dans le milieu des entreprises. Le terme « open source » permettait également de
mettre à l'écart la rhétorique politique entourant la « liberté » du logiciel, pour plutôt
insister sur la dimension plus technique d'« ouverture » du logiciel. La distinction entre
« logiciel libre » et « logiciel open source » relève toutefois la plupart du temps du discours
et ne s'inscrit pas dans les artefacts légaux ou techniques : les mêmes logiciels sont souvent
qualifiés indistinctement par les termes « open source » et « libres » et les licences
considérées comme « open source » sont généralement compatibles à la définition du
logiciel libre de la Free Software Foundation. Dans bien des cas donc, « logiciels libres » et
« logiciels open source » sont utilisées indistinctement. L'acronyme FLOSS signifiant 3 <http://svn.wikimedia.org/viewvc/mediawiki/branches/REL1_9/phase3/includes/Wiki.php?view=markup> (consulté le 19 avril 2009). Le logiciel Wikimédia est le système à la base du logiciel Wikipédia.
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
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Free/Libre Open Source Software a d'ailleurs été forgé par des chercheurs pour désigner
indistinctement les « logiciels libres » et « open source ». Dans le cadre de ce texte, nous
utiliserons le terme « logiciel libre » puisque cette expression est sans ambiguïté en
français.
1.2 Premier tour d'horizon des engagements envers le logiciel libre au Québec
Nous présentons dans cette section un bref aperçu des initiatives liées au logiciel libre au
Québec. Cette section s'appuie sur nos observations au cours des dernières années.
Au Québec, on retrouve les premières initiatives liées aux logiciels libres vers le milieu des
années 1990. Linux-Québec est généralement considérée comme l'une des associations
pionnières dans ce domaine. Son site mentionne que le groupe a été fondé en septembre
1997, sur les traces de l'association des utilisateurs de systèmes ouverts de Montréal
(Uniforum Montréal). La mission affichée de Linux-Québec est « d'aider les utilisateurs,
présents et futurs, de Linux au Québec, à découvrir les avantages de Linux, à l'exploiter
efficacement, de même qu'à réaliser les avantages du logiciel à code source ouvert4 ». Au
début des années 2000, plusieurs GULs - Groupes d'Utilisateurs de Linux - ont émergé un
peu partout au Québec, par exemple le groupe d'utilisateurs de Linux de l'Université de
Sherbrooke (GULUS). À la même époque, quelques petites entreprises liées au logiciel
libre comme Savoir-Faire Linux5 à Montréal, Infoglobe6 et T2CL7 à Québec ou Revolution
Linux8 à Sherbrooke ont été créées. Cette dernière entreprise, en collaboration avec la
faculté de génie de l'Université de Sherbrooke, et le groupe d'utilisateurs de l'Université de
Sherbrooke (GULUS9
4 À propos de Linux Québec : <
), a d'ailleurs développé EduLinux, une distribution principalement
destinée au milieu éducatif québécois.
http://www.linux-quebec.org/wiki/apropos> (consulté le 27 mars 2007) 5 <http://www.savoirfairelinux.com> 6 <http://www.infoglobe.ca> 7 <http://www.tc2l.ca> 8 <http://www.revolutionlinux.com> 9 <http://www.gulus.org>
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 8
Le premier congrès québécois sur le logiciel libre, qui s'est tenu en octobre 2003, a sans
doute été le premier événement au Québec qui visait explicitement à réunir l'ensemble des
acteurs et actrices du logiciel libre. Cet événement était organisé par la nouvelle
Association québécoise pour la promotion de Linux et du logiciel libre (AQP3L), devenue
plus tard Facil (« Facil, pour l'appropriation collective de l'informatique libre »).
L'événement réunissait, sur toute une journée, plusieurs groupes impliqués dans le logiciel
libre et parmi lesquels quelques groupes communautaires comme Communautique et Île
sans fil, auxquels notre équipe s'est attardée dans de précédentes études (Proulx, Couture et
Rueff, 2008; Powell, 2008; Lecomte et Rueff, 2008).
La question du logiciel libre trouve depuis un certain temps un écho dans le milieu de
l'éducation et au sein de l'administration publique. Dans le milieu de l'éducation, certaines
commissions scolaires ont adopté le logiciel libre il y a quelques années. Notons plus
particulièrement la mise en place du projet MILLE (Modèle d'infrastructure en logiciel libre
en éducation), un projet créé pour offrir une alternative en logiciel libre aux
environnements de travail informatique des professeurs et élèves (Blanc, 2005; Wybo,
2005). En 2003, le projet MILLE avait d'ailleurs fait l'objet d'une controverse lorsqu'un
rapport publié par Michael Wybo, chercheur au HEC, avait révélé les coûts inférieurs que
représentait le déploiement de MILLE en comparaison d'une infrastructure similaire en
logiciel propriétaire (Dumais, 2005).
Concernant l'administration publique, c'est au sein du ministère des Services
gouvernementaux du Québec (MSG), et en particulier au Conseil du trésor, que l'on a noté
un intérêt significatif pour les logiciels libres. En 2003, le Conseil du Trésor commanda un
rapport à Daniel Pascot, professeur en science de la gestion à l'Université Laval (Pascot,
2003), rapport très favorable aux logiciels libres. Quelques mois plus tard, en 2004,
plusieurs acteurs et actrices impliqués dans des groupes de promotion des logiciels libres,
notamment Facil, répondirent à une consultation publique concernant le projet de
gouvernement en ligne, consultation dirigée par le député Henri-François Gautrin. Si le
gouvernement, et en particulier le rapport Gautrin, n'a certainement pas embrassé
totalement l'idée des logiciels libres pour l'administration publique, une écoute a néanmoins
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
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été perçue par les acteurs et actrices québécois du logiciel libre, et quelques ressources ont
été mises en place à la même période pour réaliser différents projets liés aux logiciels
libres. C'est dans cet esprit que le MSG commanditait l'organisation en 2005 et 2006 de la
Conférence sur le logiciel libre dans les administrations publiques (CLLAP), événement qui
s'est ensuite répété en 2008 et 2009, sous la responsabilité du Centre de recherche
informatique de Montréal (CRIM) puis de l'Association Professionnelle des Entreprises en
Logiciels libres (APELL). Signe d'un intérêt de la part des fonctionnaires, nous pouvons
également retrouver sur le portail du gouvernement du Québec une section dédiée
spécifiquement aux logiciels libres10
1.3 Un mouvement du logiciel libre?
de même qu'une liste de discussion qui réunit bon
nombre d'acteurs et actrices québécois.
Existe-t-il un mouvement du logiciel libre? C'est une question dont l'objet demeure fort
problématique. Le concept de mouvement social est loin de faire l'unanimité dans le champ
de la sociologie des mouvements sociaux (Cefai, 2007, p. 15) et pour lequel les membres
du LabCMO doivent poursuivre leurs débats. Néanmoins, avançons cette définition, bien
qu'imparfaite: « un mouvement social est une action collective qui est orientée par un souci
du bien public à promouvoir ou d'un mal public à écarter, et qui se donne des adversaires à
combattre, en vue de rendre possibles des processus de participation, de redistribution ou de
reconnaissance » (Cefaï, 2007, p. 15).
Pour aborder la question d'un possible mouvement pour le logiciel libre, nous souhaitons
nous démarquer d'une sociologie structuraliste qui imposerait une définition trop étroite
afin de mieux apprécier les multiples significations que donneraient les personnes engagées
envers les logiciels libres. D'ailleurs, il convient d'analyser plus attentivement la
controverse nominale « logiciel libre/open source » que nous avons présentée plus tôt.
Comme nous l'avons écrit, cette controverse n'a généralement pas d'expression sur le plan
légal ou technique. Elle est toutefois significative sur le plan discursif, car elle dénote une
certaine hétérogénéité dans l'engagement des acteurs et actrices du logiciel libre,
10 <http://www.msg.gouv.qc.ca/gel/logiciels_libres.html> (consulté le 21 avril 2009)
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hétérogénéité qui s'articule sur au moins deux types de justification distincts : un premier
que nous pourrions qualifier de justification morale, éthique et politique et un second type,
que nous pourrions qualifier de justification selon les mérites techniques.
Le type justification morale, éthique et politique peut être le mieux illustré par la position
de Richard Stallman, le créateur du terme « logiciel libre », pour qui le système social du
logiciel propriétaire est anti-social, non-éthique et simplement mal : « The idea that the
proprietary software social system -- the system that says you are not allowed to share or
change software -- is antisocial, that it is unethical, that it is simply wrong, may come as a
surprise to some readers » (Stallman, 2004). C'est parce que l'interdiction du partage des
logiciels est mal sur le plan moral que les logiciels libres doivent exister. Lors d'une
entrevue réalisée avec des journalistes français, Stallman va d'ailleurs aussi loin que
d'affirmer que les logiciels libres ne doivent pas être d'abord jugés en fonction de leur
efficacité, mais plutôt de leur dimension communautaire :
« Que le logiciel libre aboutisse aussi à du logiciel efficient et puissant a été une surprise pour moi, et je m’en réjouis. Mais c’est un bonus. J’aurais choisi le logiciel libre, même s’il avait été moins efficace et moins puissant - parce que je ne brade pas ma liberté pour de simples questions de convenances » (Stallman, 2000).
Dans l'autre type d'engagement, dit de justification selon les mérites techniques, nous
retrouvons des acteurs et actrices qui mettent de l'avant l'expression « open source » pour
rejeter complètement la rhétorique de la liberté. Ainsi, Eric Raymond, l'un des plus fervents
partisans de l'expression « open source », a déjà affirmé que le meilleur moyen de
promouvoir les logiciels « open source » était de ne pas parler de liberté11
11 Allocution au Forum International sur le logiciel libre, Porto Alegre (Brésil), 2005.
. D'autres acteurs
et actrices, comme Tim O'Reilly, un auteur et éditeur très connu dans le milieu de
l'informatique libre, avancent que le choix d’utiliser des logiciels « open source » ne doit
pas être le fait d'obligations légales, mais simplement d'une reconnaissance de leurs mérites
techniques : « There's some great proprietary software out there as well as some great open
source software. I've always thought that open source should be sold on its merits, just like
any other software and my advocacy has been to trumpet those merits » (O'Reilly, 2002).
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 11
Entre ces deux pôles, la plupart des acteurs et actrices expriment évidemment des positions
mitoyennes12
L'objectif de notre travail n'est évidemment pas de prendre une position tranchée vis-à-vis
ces deux types que nous aurions pu qualifier de pôles du spectre d'engagement envers les
logiciels libres. D'emblée, disons toutefois que l'orientation sociologique préconisée dans
notre recherche (voir section 2.1) nous mène plutôt à être sensibles, voire favorables, aux
différentes postures qui émergent dans le contexte québécois et des milieux du logiciel
libre: une hétérogénéité de formes et de sens d'engagement des acteurs et actrices pour les
logiciels libres. Pour certains acteurs et actrices, la question du logiciel libre est avant tout
un enjeu moral et politique tandis que pour d'autres, elle est l'occasion de faire face à des
défis techniques ou d’entrevoir de possibles gains commerciaux. Ces différentes formes
d'engagement font émerger une pluralité de stratégies de promotion des logiciels libres.
Ainsi, alors que les militant-es de la Free Software Foundation sont souvent actifs dans des
batailles législatives et politiques favorisant les logiciels libres, les partisan-es de l'« Open
Source » préfèrent dédier leurs efforts à convaincre le marché, et en particulier les grandes
entreprises, de la supériorité technique de ces logiciels. Cette hétérogénéité des formes
d'engagement, et en particulier celle marquée par la controverse Free Software/Open
Source, fera d'ailleurs dire à Richard Stallman qu'il n'existe pas un, mais bien deux
mouvements à l'intérieur d'une seule communauté : « The Free Software movement and the
Open Source movement are like two political camps within the free software community »
(Stallman, 2002).
.
Or, si certains acteurs et actrices parlent de « mouvement » et donnent incontestablement
une dimension militante à leur engagement, il ne s'agit pas de la totalité, ni même peut-être
de la majorité des acteurs et actrices engagé-es dans des activités liées aux logiciels libres.
12 C'est le cas de Bruce Perens, pourtant l'un des fondateurs de l'Open Source Initiative, qui déplorait la manière dont la diffusion du terme « Open Source » avait eu pour conséquence d'évacuer les « libertés du logiciel ». Perens en appelait ainsi à revenir à l'expression « Free Software » pour insister sur le fait que les logiciels (libres) comme Linux ne pouvaient pas exister sans liberté. <http://lists.debian.org/debian-devel/1999/02/msg01641.html> (consulté le 22 avril 2009)
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 12
Nous devons résister à la tentation d'une généralisation trop hâtive. Davantage de
discussions doivent être réalisées à ce sujet, y compris au sein de notre équipe.
2. Démarche d'enquête : une recherche exploratoire
2.1 Quelques repères théoriques et méthodologiques
L'objectif de notre enquête – réaliser un portrait du libre au Québec – est avant tout d'ordre
empirique plutôt que théorique. Notre enquête ne s'appuie pas a priori sur un ensemble de
concepts qui auraient délimité notre démarche ou que nous aurions cherché à valider. Notre
enquête est plutôt d'ordre exploratoire et inductif. Nous avons décidé d'aborder d'emblée le
terrain en élaborant un questionnaire en ligne s'appuyant sur nos observations passées et
nos intuitions personnelles13
2.1.1 Les logiciels libres comme espaces de pratiques citoyennes
. Il est toutefois évident que notre réflexion est alimentée par
différentes contributions théoriques. Nous présentons dans cette section quelques horizons
théoriques et méthodologiques vers lesquels s'articule notre démarche.
Notre démarche s'inspire notamment du champ sciences, technologies et société (Science
and Technologies Studies – STS). Les travaux réalisés dans ce champ, qu'ils soient d'ordre
philosophique ou sociologique, ont depuis longtemps démontré que l'innovation
technologique relève d'une dynamique indissociable des facteurs d'ordre social,
économique, culturel et politique. Parmi ces travaux, quelques auteur-es se sont plus
spécifiquement intéressés à la manière dont le design même des technologies peut
incorporer des valeurs morales et politiques. Dans un essai devenu aujourd'hui classique
dans ce domaine, Langdon Winner (2002) présente le cas des viaducs de New York conçus
par un architecte que l'auteur considère raciste. Ces viaducs auraient été construits
suffisamment bas pour empêcher les autobus publics, qui transportaient majoritairement
des citoyens noirs, d'accéder à des endroits de la ville où la population blanche était
prédominante. Bruno Latour, d'une manière similaire à Winner, analyse pour sa part la
manière dont le « gendarme couché » - la petite butte ralentissant le mouvement des 13 Nous présentons en détail à la section 2.2 nos différents choix méthodologiques.
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 13
voitures - incorpore matériellement la prescription morale de ne pas commettre d'excès de
vitesse (Latour, 1999). Ces liens constatés entre prescription morale et politique et
dispositifs techniques incitent les auteurs à considérer l'importance d'un investissement
démocratique dans le champ des techniques. Winner soutient ainsi la nécessité de juger les
choix techniques non seulement sur des critères comme l'efficacité, mais également en
fonction de l'idée que nous nous faisons d'une société juste. Reprenant à son compte Le
Prince de Machiavel, Latour propose pour sa part la nécessité, pour la démocratie, d'un
investissement politique dans l'innovation technique : « Si la science et la technologie ne
sont que de la politique poursuivie par d’autres moyens, la seule façon de rechercher la
démocratie est de pénétrer la science et la technologie, c’est-à-dire de pénétrer là où la
société et la science sont définies simultanément par les mêmes stratagèmes. » (Latour,
2006).
S'inspirant notamment des études STS décrites plus tôt de même que de certains courants
de la philosophie politique, Yochai Benkler et Helen Nissembaum proposent de considérer
les logiciels libres, en tant que systèmes sociotechniques, comme des véhicules pour le
développement de vertus morales et notamment civiques. Comme la plupart des auteur-es
du champ STS, Benkler et Nissembaum rejettent l'idée que la technologie soit neutre, mais
soutiennent au contraire qu’elle a la possibilité de limiter ou de faciliter les actions des
individus et des groupes. Tout comme les normes culturelles, les institutions et les
dispositifs légaux, les dispositifs techniques sont des véhicules pour les valeurs morales et
politiques. Les auteur-es soutiennent ainsi que les logiciels libres, en tant que dispositifs
sociotechniques, constituent des lieux où peuvent se développer des attitudes vertueuses
telles que la générosité, l'altruisme, l'autonomie, la créativité et la coopération, ainsi que
d'autres vertus civiques ou citoyennes. Parce que ces formes sociotechniques stimulent
d'importantes vertus morales et politiques, les gouvernements et les législateurs devraient
s'y intéresser et les soutenir : « We recommend vigorous support for this exceptional socio-
technical phenomenon [...] as a platform for virtuous practices and the development of
virtue in participants » (Benkler et Niseenbaum, 2006, p. 419).
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 14
2.1.2 La définition de la technologie à l’épreuve de la critique féministe
L’articulation entre les rapports sociaux de sexe et de genre et les techniques a fait l'objet
de plusieurs analyses de la part d'auteures féministes. Ces études se sont notamment
attardées à rendre compte de l'existence de rapports sociaux de sexe par le faible nombre de
femmes dans les professions techniques comme l'informatique ou l'ingénierie. Judy
Wajcman (2004) introduit une approche qu'elle appelle technoféminisme. En étudiant les
rapports de sexe, elle cherche à cerner le changement technologique comme un processus
hétérogène et contingent où la technologie et la société se constituent mutuellement. La
technologie, dans ce contexte, peut être appréhendée comme une culture qui exprime et
consolide des relations entre les hommes et les femmes, voire même l'identité genrée :
« Men's affinity with technology is integral to the constitution of subject identity for both
sexes » (p. 111). Même si cette auteure spécifie qu'il n'y a pas qu'une seule forme de
masculinité (p. 112), elle note toutefois que dans les sociétés occidentales, la forme
hégémonique de masculinité est notamment associée aux prouesses techniques ou à la
maîtrise de la machine, un rapport aux techniques qui n'est pas toujours aisément
conciliable avec l'identité féminine dominante. Par exemple, la culture masculine qui
implique de longues heures de travail hors de la cellule familiale est souvent incompatible
avec les obligations familiales qui incombent surtout aux femmes (conciliation travail-
famille, soins à un parent âgé, etc.). Pour s'intégrer dans un tel milieu, les femmes doivent
donc parfois nier leur condition, leur identité ou leurs difficultés, au risque d'être
marginalisées.
Cependant, pour Wajcman, le concept même de technologie est sujet aux changements
historiques : à différentes époques, le concept de technologie désignait différentes choses.
Ce n'est que dans le cadre de la formation de la profession d'ingénieur, depuis la fin du 19e
siècle que la définition moderne de la technologie en est venue à être associée aux
« machines masculines » industrielles plutôt qu'à l'artisanat féminin. Ainsi, ce qui est défini
comme technologie change avec le temps et, ce qui est plus important, les femmes, et en
particulier les féministes libérales, ont joué un rôle important dans les changements récents
de la définition de la technologie, en militant concrètement pour que des politiques soient
mises en place afin d'intégrer davantage de femmes dans les domaines techniques et
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 15
scientifiques : « Technological advances do open up new possibilities because some women
are better placed to occupy the new spaces, and are less likely to regard machinery as a
male domain » (p. 109). Wajcman reconnaît ainsi aux femmes la possibilité de s'investir
dans la reconstruction sociale des technologies et des sciences.
2.1.3 Une posture engagée
Notre démarche se veut solidaire de l'engagement des acteurs et actrices québécois-es qui
militent par et pour le logiciel libre. Notre équipe de recherche a adopté une posture qui
cherche à comprendre le logiciel libre « depuis l'intérieur », en se tenant au plus près de la
perspective des acteurs et actrices. Dans nos études précédentes, nous avions exploré des
approches telles que l'intervention sociologique, développée par Touraine (1993) et dont
l'objectif est de favoriser à la fois le développement et l'étude d'un mouvement social, en
stimulant par exemple la réflexivité des militants quant à leurs propres pratiques. À d'autres
moments de notre programmation de recherche, nous nous sommes inspirés des approches
participatives en établissant des liens étroits avec le milieu québécois du logiciel libre,
agissant parfois même pleinement à titre d'acteurs et actrices dans le milieu concerné.
Ainsi, plusieurs membres de notre groupe de recherche, dont certain-es des auteur-es du
présent rapport, ont participé activement à quelques-uns des groupes recensés dans ce
rapport, notamment à Koumbit, Facil et au CDÉACF. De même, puisque le LabCMO est
ancré en milieu institutionnel, notre équipe a participé et organisé différents événements
publics liés aux logiciels libres au Québec. Dans une analyse réflexive de nos propres
pratiques (Goldenberg et Couture, 2008), nous avions qualifié notre démarche comme une
dynamique de co-construction du savoir avec les milieux concernés.
Dans la lignée de certaines de nos précédentes études, cette enquête est une recherche
engagée qui a un parti pris favorable et assumé envers le monde du logiciel libre. Bien que
cette enquête soit réalisée avec un regard plus distant que nos précédentes recherches, notre
ambition est tout de même de faire ressortir les principaux enjeux mis de l'avant par les
acteurs et actrices. Nous ne développons pas dans cette recherche une sociologie critique
qui se placerait en surplomb des acteurs et actrices pour les critiquer. Nous souhaitons
plutôt, pour reprendre les termes de Boltanski (2009; 1990), réaliser une sociologie de la
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 16
critique qui reconnaît la capacité des acteurs et actrices à expliquer leurs motivations et à
formuler une critique sociale. Le travail sociologique, dans cette perspective, consiste à
susciter la réflexivité des acteurs et actrices en leur faisant formuler eux-mêmes et elles-
mêmes le sens qu'ils et elles donnent à leur action (Nachi, 2006).
2.1.4 Questionnaire en ligne : une démarche inspirée d'enquêtes précédentes
Quelques enquêtes réalisées précédemment sur le logiciel libre ont particulièrement inspiré
notre propre démarche méthodologique, notamment les projets Free/Libre/Open Source
Software (FLOSS) (Ghosh et coll., 2002) et Free/Libre/Open Source Software (FLOSS-
POLS). Le projet FLOSS a été réalisé en 2002 sous la direction de Rishab Aiyer Ghosh, à
l'aide d'un financement de l'Union européenne. Son objectif était de produire quelques
indicateurs concernant les activités « non monétaires » dans la société de l'information, en
s'attardant plus spécifiquement aux cas des logiciels libres et open source (l'auteur est
d'ailleurs à l'origine du terme FLOSS). Dans le cadre de ce projet, les chercheurs avaient
conduit différents questionnaires en ligne qui abordaient l'usage et le développement des
logiciels libres. Une attention particulière avait été donnée aux entreprises commerciales et
aux institutions publiques. Le projet FLOSS avait été suivi d'un second projet de recherche
nommé FLOSS-POLS. Poursuivant les objectifs de la première étude, cette deuxième étape
visait quant à elle à développer des propositions politiques pour favoriser l'adoption de
logiciels libres dans les institutions publiques. L'étude FLOSS-POLS avait également
abordé la question des rapports sociaux de sexe et de genre dans le monde des logiciels
libres (Nafus et coll., 2006). La première étude, FLOSS, avait en effet révélé une très faible
proportion de femmes – environ 1 % - parmi les développeur-es de logiciels libres. Pour
comprendre les raisons de ces disparités, une enquête ethnographique avait été conduite sur
le rôle des femmes dans le monde du logiciel libre14
14 Notons également que cette enquête avait conduit à un ensemble de « policy recommendations » destiné tant aux gouvernements qu'aux dirigeants des projets de logiciel libre.
. En nous inspirant de cette enquête,
nous avons décidé de nous attarder à l'étude de l'activité et de l'engagement des femmes
dans notre portrait québécois du logiciel libre.
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 17
Une autre recherche qui a inspiré notre démarche est celle qui a été conduite par Lena
Zúñiga sur le logiciel libre en Amérique latine (Zúñiga, 2006). Réalisée par le bureau
latino-américain de Bellanet, et financée par le Centre de recherche pour le développement
international (CRDI), elle avait pour objectif de dresser un portrait du logiciel libre dans la
région de l'Amérique Latine et des Caraïbes, en insistant particulièrement sur les
potentialités du logiciel libre pour le développement. Un questionnaire en ligne avait été
développé et avait retenu l'attention d'environ 700 personnes qui se sont identifiées soit
comme développeur-e, soit comme usager-ère. Tout comme le projet FLOSS-POLS, une
attention particulière avait été accordée à la place des femmes dans le monde du logiciel
libre en s'attardant toutefois davantage aux collectifs de femmes et, dans quelques cas, aux
collectifs féministes émergents dans le monde du logiciel libre.
Ces deux recherches nous ont inspirés à la fois sur le plan de l'objectif – cartographie ou
portrait des activités liées au logiciel libre dans une région donnée – et sur le plan
méthodologique – réalisation d'un questionnaire en ligne.
2.2 Techniques d'enquête : questionnaire en ligne et recrutement « boule de neige »
Notre enquête consistait à réaliser un court questionnaire en ligne. Ce questionnaire d'ordre
surtout qualitatif comprenait différentes questions ouvertes et une question fermée (voir
tableau 2.1). L'objectif du questionnaire était d'obtenir des informations concernant les
activités au sein desquelles étaient impliqués les répondants et répondantes. Nous
souhaitions également connaître leur opinion concernant les secteurs d'activités et projets
spécifiques où devraient être concentrés les efforts pour l'adoption et le développement des
logiciels libres au Québec. Le questionnaire visait finalement à sonder les participants et
participantes quant à la structure d'un éventuel document public (par exemple un livre) sur
le logiciel libre au Québec. Nous avons demandé aux répondants et répondantes d'indiquer
leurs noms et leur adresse de courriel pour pouvoir les contacter ultérieurement dans le
cadre de la recherche ou simplement pour leur envoyer notre rapport final. Ces réponses
étaient toutefois optionnelles et sont conservées confidentiellement de façon à respecter
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 18
l'anonymat des répondant-es. Le questionnaire a été mis en ligne le 14 mars 2008 avec une
période annoncée d'ouverture de trois semaines, soit jusqu'au 7 avril 2008. La majorité des
réponses (87/90) ont été reçues entre le 14 mars et le 14 avril 2008. Nous avons cependant
laissé notre questionnaire accessible jusqu'au 28 avril 2008 alors que nous avions reçu 90
réponses complétées. Notons finalement que les questions étaient rédigées en français
seulement, bien que les répondant-es étaient invité-es à répondre dans la langue de leur
choix. Au total, trois (3) réponses ont été reçues en anglais (1 femme et 2 hommes).
Pour constituer notre échantillon, nous avons procédé par une démarche inspirée de la
technique dite « boule de neige ». Cette méthode de sciences sociales consiste à former un
échantillon initial dont les membres sont appelés à recruter de nouveaux répondants et
nouvelles répondantes. Pour notre enquête, nous avons envoyé une invitation sur 18 listes
électroniques de discussion déjà connues par notre équipe, tout en encourageant les
récepteurs et réceptrices à rediffuser le message. L'objectif était de diffuser le plus
largement possible notre questionnaire de façon à rejoindre des individus ou des
organismes que nous ne connaissions pas originalement. Les listes ciblées étaient
principalement : a) des listes spécifiques des acteurs et actrices du libre (tels que les
groupes d'utilisateurs du libre – GULs, des listes des développeur-es, des utilisateurs et
utilisatrices, des formateurs et formatrices); b) des listes des entreprises spécialisées dans le
développement du libre et; c) des listes plus générales des groupes communautaires.
La plupart des répondants et répondantes ont indiqué, à la question 1.4, de quelles manières
ils ou elles avaient reçu l'invitation à participer à l'enquête. Treize personnes ont indiqué
avoir reçu l'invitation par un ou une amie ou collègue. Le reste des réponses réfèrent à
divers canaux de communication. Ainsi, 18 listes de discussion ont été nommées, quatre
sites web sur lesquels l'invitation a été publiée et un canal de clavardage collectif de type
IRC (Internet Relay Chat). Les listes les plus populaires sont : [email protected] (neuf
personnes), [email protected] (neuf), [email protected] (neuf) et
[email protected] (six). Les sites web ayant publié l'invitation et étant mentionnés
dans les réponses sont : www.facil.qc.ca (deux personnes), www.quebecos.org (cinq
personnes), www.mtl2600.org (une personne), www.infobourg.com (Carrefour Éducation)
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 19
(trois personnes). Finalement, une personne a reçu l'invitation par le canal IRC de Linux-
quebec (irc.freenode.net#Linux-quebec). Sur les différentes listes mentionnées, quatre nous
étaient initialement inconnues. Ce sont : EBSI (École de bibliothéconomie et des sciences
de l'information de l'Université de Montréal), Edu-ressources Archives, REFAD (Réseau
d'enseignement francophone à distance du Canada) et Infobourg.com (Carrefour
Éducation). Notre invitation a donc effectivement atteint quelques acteurs et actrices se
situant à l'extérieur de notre réseau initial bien que l'effet boule de neige s'est finalement
révélé assez limité puisque la plupart des listes mentionnées étaient celles que nous avions
préalablement identifiées.
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 20
Tableau 2.1 : Grille de questions avec justifications Catégorie Objectif Justification spécifique Questions du
questionnaire en ligne 1. Informations personnelles et démographiques
Informations démographiques permettant de retracer les répondants et leurs canaux de communication.
Pouvoir contacter les répondants ultérieurement. (question optionnelle)
1.1 Quel est votre nom?
Réaliser une analyse différenciée selon le sexe
1.2 Quel est votre sexe?
Réaliser une analyse différenciée selon la région administrative
1.3 Dans quelle région administrative du Québec habitez-vous?
Retracer les réseaux par lesquels notre invitation a été diffusée et évaluer l'effet boule de neige.
1.4 Comment avez-vous reçu l'invitation à répondre à ce courriel?
2. Vos activités liées au logiciel libre
Recenser et décrire des initiatives liées à l'éducation, la promotion et la migration au logiciel libre, dans différentes régions et différents secteurs d'activités du Québec (objectif 1).
Recenser les activités. 2.1 Indiquez les activités, initiatives, projets ou organismes, au sein duquel, desquels vous avez été impliqué-e depuis janvier 2006.
Décrire le type d'engagement. Peut-être important pour l'analyse différenciée selon le sexe.
2.2 Décrivez votre engagement au sein de chacune des activités mentionnées dans la question précédente.
3. Où mettre les efforts?
Identifier les éléments clés du discours des acteurs, en particulier en ce qui concerne les enjeux socio-économiques et politiques du logiciel libre, dans le contexte québécois (objectif 2).
Question fermée (un seul choix de réponse : « Obliger » les répondants à donner une priorité dans leurs choix.
3.1 Selon vous, vers quel secteur d'activité les efforts devraient-ils être mis en priorité pour favoriser le développement et l'adoption du logiciel libre au Québec? (question à choix de réponse)
Réflexion normative, la meilleure manière de promouvoir le logiciel libre. Aider à orienter/justifier une prochaine recherche.
3.2 Nommez un à trois projets ou organisations le-s plus susceptible-s d'avoir un impact public lié au logiciel libre. Indiquez pourquoi.
4. Vos commentaires généraux/structure du document
Réaliser un document de synthèse qui pourra contribuer à rassembler des initiatives qui paraissent aujourd'hui relativement fragmentées et isolées les unes des autres. (objectif 3).
S'appuyer sur les catégories des acteurs pour élaborer la structure d'un document possible sur le libre au Québec.
4.1 Dans le cadre de cette recherche, nous souhaitons réaliser un document d'intérêt public qui présenterait un « portrait » du logiciel libre au Québec. Selon vous, quels aspects devraient être abordés dans ce document?
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 21
Que « représente » notre échantillon? Il est important d'insister sur le fait que cette enquête
ne prétend pas s'appuyer sur un échantillon formellement représentatif - comme le ferait par
exemple une enquête quantitative par sondage –, mais plutôt sur un échantillon
exploratoire, construit sur une base inductive dans l'esprit de la sociologie qualitative.
Comme le souligne Tenhouten (1992), il est difficile de proposer une généralisation des
résultats à partir d'un échantillonnage par « boule de neige ». Thenhouten mentionne que
ces résultats sont généralisables « comme des données ethnographiques détaillées »
(Tenhouten, 1992) qui doivent par conséquent être appréhendées comme des données de
terrain et analysées comme telles. Dès lors, il ne s'agit pas de justifier a priori le choix de
notre échantillon, mais plutôt de prendre notre échantillon comme objet même de l'analyse
en tentant de faire ressortir la situation sociologique qu'il représente.
De manière très prudente (sinon évidente), nous pouvons affirmer que notre enquête
représente l'opinion des 90 personnes qui ont répondu à notre questionnaire et que ces
personnes réalisent des activités liées au logiciel libre. En d'autres termes, notre enquête
représente la parole de certaines personnes consciemment engagées dans des activités liées
au logiciel libre. De plus, nous pouvons affirmer que notre échantillon provient des
différentes régions administratives du Québec, même si la majorité des répondants et
répondantes se situent à Montréal et à Québec (voir tableau 3.2).
Tableau 2.2 : Région de provenance des répondant-es (Question 1.3 : Dans quelle région administrative du Québec habitez-vous?)
Région Nb %Montréal 36 40%Capitale-Nationale (ville de Québec) 25 28%Montérégie 6 7%Estrie 5 6%Chaudière-Appalaches 5 6%Bas-Saint-Laurent 3 3%Laval 3 3%Lanaudière 2 2%Laurentides 2 2%Mauricie 1 1%Abitibi-Témiscamingue 1 1%Gaspésie Îles-de-la-Madeleine 1 1%
Total : 90 100%
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 22
Il est par contre impossible d'affirmer que notre échantillon représente l'ensemble des
acteurs et actrices lié-es au logiciel libre au Québec. En ce sens, force est de constater la
faible participation des entreprises commerciales dans notre questionnaire. C'est le cas de
Révolution-Linux, une entreprise reconnue pour son travail, mais qui n'est pas du tout
mentionnée dans les réponses à notre enquête. D’autre part, comme nous le décrirons à la
section 3.5, notre invitation a suscité la participation d'un nombre important de femmes, en
comparaison d'autres études similaires sur le logiciel libre.
Étant donné ces derniers constats, et en considérant que l'invitation a été d'abord diffusée
auprès d'acteurs et actrices déjà connu-es de notre équipe, nous pouvons poser l'hypothèse
d'un biais de notre échantillon envers des acteurs et actrices particulièrement engagé-es
dans des groupes communautaires ou associatifs, où la présence de femmes est parfois plus
importante. Comme nous le verrons, l'une des conclusions de notre enquête concerne
l'engagement pluriel des acteurs et actrices dans un foisonnement de groupes et
d'associations plus ou moins formels. Notre analyse consistera à faire ressortir les modalités
de ces engagements.
Étant donné le caractère ouvert de nos questions, notre analyse s'est surtout faite en nous
inspirant des méthodologies qualitatives, particulièrement de l'analyse de contenu. Il
s'agissait donc d'analyser systématiquement les réponses aux questionnaires, en tentant de
faire ressortir a posteriori différentes catégories d'analyse. Ces catégories ont pu être
construites à partir d’une analyse des réponses à une question spécifique, comme c'est le
cas pour l'analyse que nous présentons à la section 3.1. À d'autres moments, nous avons
tenté de faire ressortir des catégories, ou axes d'analyse, à partir de l'ensemble des réponses
aux différentes questions. Pour l'analyse du corpus, nous avons procédé « manuellement »
ou en utilisant un tableur lisible dans des logiciels de type OpenOffice, ou Excel. La
principale raison de ce choix est qu'il n'existe encore aujourd'hui que très peu de logiciels
libres, fonctionnant sur plusieurs plateformes (MacOSX et GNU/Linux, notamment), aptes
à procéder à une telle analyse. Pour faciliter le travail collectif, nous avons décidé d'opter
pour un tableur, qui est un protocole simple et déjà partagé par les membres de l'équipe.
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 23
Dans le cadre de l'analyse, nous avons également trouvé pertinent de recourir à des
indicateurs quantitatifs pour explorer notre corpus, par exemple en présentant le nombre de
participant-es qui mentionnent telle ou telle expression, ou encore, en ce qui a trait aux
informations sociologiques. L'utilisation de ces indicateurs quantitatifs ne vise qu'à explorer
différemment notre corpus, et ne concerne que celui-ci. Ils ne prétendent pas - nous avons
déjà insisté sur ce point - représenter statistiquement l'ensemble des acteurs et actrices du
logiciel libre au Québec.
3. Quatre axes d'analyse
À la suite d'une première lecture de nos résultats, nous avons établi quatre axes pour
analyser les réponses au questionnaire en ligne. Ces axes d'analyse ont été établis de façon
« intermédiaire ». Ils ont émergé après une première étape rapide d'analyse des réponses au
questionnaire. À partir de ces différents axes établis en analyse préliminaire, nous avons
ensuite procédé à une analyse approfondie de nos données.
3.1 Un engagement pluriel dans une multitude de projets15
Cet axe d'analyse constitue le point de départ de notre enquête. Il consiste à recenser et
présenter différentes initiatives liées au logiciel libre au Québec ou dit en d'autres termes, à
présenter Un Portrait de l'engagement pour les logiciels libres au Québec. Pour réaliser ce
travail, nous nous sommes concentrés sur l'analyse de la question 2.1 (« Indiquez les
activités, initiatives, projets ou organismes, au sein duquel, desquels vous avez été
impliqué-) depuis janvier 2006 »). D'emblée, nous pouvons conclure que les acteurs et
actrices s'impliquent dans une multitude de projets qui incluent par exemple le
développement de logiciels libres, mais également l'organisation de rencontres collectives
liées au logiciel libre de même que des séances de formation. Nous avons créé a posteriori
– c'est-à-dire après avoir reçu les réponses – quatre catégories dans lesquelles nous avons
par la suite classé les différents projets décrits dans la question 2.2:
15 Nous utilisons ici le terme d' «engagement pluriel » en référence à la sociologie de l'action plurielle et des régimes d'engagement développée par Thévenot (2006). Cette référence théorique pourrait être développée dans les travaux suivant cette note de recherche.
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 24
1. Groupes sociaux et activités permanentes. Cette catégorie inclut tous les groupes locaux
qui organisent régulièrement des rencontres sociales ou des activités. Ces groupes peuvent
être constitués légalement ou non, et peuvent avoir ou non un objectif lucratif. Ils doivent
cependant exister sur une base « permanente » (c.-à-d. la participation à l'organisation d'une
conférence comme un groupe permanent). Cette catégorie exclut les projets de
développement de logiciels libres, compris dans le point suivant.
2. Projets de développement de logiciels. Nous incluons dans cette catégorie les projets de
développement de logiciels libres dans lesquels sont impliqués les répondants et
répondantes.
3. Activités d'éducation et de promotion des logiciels libres. Nous incluons dans cette
catégorie les activités ponctuelles qui impliquent l'éducation ou la promotion de logiciels
libres. Notons que cette catégorie pourrait être divisée en sous catégories : conférences,
publications, formation, sensibilisation, sites web. Nous nous sommes contentés ici d'une
analyse sommaire, mais les projets recensés dans cette partie auraient pu à eux seuls faire
l'objet d'une analyse approfondie.
4. Usages : migrations, administration de serveurs, « simple » utilisation. Nous avons
regroupé ici tous les projets qui relèvent de l'usage des technologies et de la migration
informatique. Certains de ces projets pourraient faire l'objet d'une analyse ethnographique
approfondie.
Les tableaux 4.1 à 4.4 présentent les différents projets mentionnés par les répondant-es,
dans les catégories que nous avons proposées.
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 25
Tableau 3.1 : Groupes sociaux et activités permanentes •FACIL •PHP Québec •Koumbit •LinuQ •Linux meetup •Ateliers du libre et ateliers populaires du libre •Linux-Québec •Collim (Comité pour le logiciel libre à Maisonneuve) •Fondation pour une bibliothèque globale Programme : Observatoire des SIGB (Systèmes Intégrés de Gestion de Bibliothèques) libres •Gulum (Groupe d'utilisateurs Linux de l'Université de Montréal)
•Civic Access •cliquezpourmoi.qc.ca •Coco - English capacity development for anglo non profits in Quebec •Communautique •CS Kamouraska-Rivière du Loup •Elgg •Free Software Foundation •Gentoo-Québec.org •GULQuébec •GULSE •GULUR: Groupe d'utilisateurs de logiciels libres à Rosemont (GULLAR) •GULUS: Groupe d'utilisateurs Linux de l'Université de Sherbrooke •Ile Sans Fil •Individu – Statistique Canada •Bande passante
•Promotion de l'utilisation de la géomatique dans le développement de mouvements de démocratie participative •Promotion de l'utilisation des logiciels libres dans le domaine géospatial •QuébecOS •Société GRICS •InukTIC •lignedutemps.qc.ca et •Limoilux •LinuQ - groupe de volontaires Linux à Québec •CAPE •Centre social autogéré •Savoir Faire Linux •Université du Québec à Rimouski (plateforme Claroline) •UQBM •www.culturelibre.ca •Xo-Quebec
•SQIL •tribunephilosophique.org... •Ubuntu •Ubuntu-qc •Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue •Zone libre en éducation •CASI: Laboratoire de conception et analyse de systèmes informatiques (CASI) de l'École Polytechnique de Montréal, dirigé par Michel Dagenais. •Liste des logiciels libres du gouvernement du Québec •Oui-Yes Informatique •AQUOPS •Apathy is Boring - youth engagement through media + tech + art •LabCMO
Tableau 3.2 : Projets de développement de logiciels
•Ubuntu •Projet MILLE •AliXe •Claroline •Debian •OLPC •Projet Fortic •Python •Scribus •SFL •TikiWiki •abLCA •Alionet pour OpenSuSE •AlternC.org •Bitweaver •Blender 3D •Blutooth Plugin pour le Nokia 770 •CGBT •Colibris •ConversionMagick •ConversionSVG
•ddmap (inactif) •Drupal (Ubercart, CiviCRM) •Eclipse/Pydev •Entertainer. •Feed of Feeds (version remaniée) •FrogLinux •Gambit •Gentoo.org •Geogebra •Gestion de la traduction de l'aide en français pour Audacity et Scribus •Gstreamer Glib Farsight •http://www.asterisk.org •infoshopkeeper •LCM •Linux Trace Toolkit •Modelibra •ModelSphere de Silverrun •OCS+GLPI Système d'inventaire : •OpenOffice
•OpenStreetMap.org •OSCAR •Panda3D •Puppet •Pymacs •Recode •Roundcube.net •Silverrun •Snow •Spip (logiciel de gestion de contenu) •Subversion/Tortoise •Translation Project •Wdiff •WifiDog •Zeee adaptation de la distribution Zenwalk sur l'eeePC d'Asus Référence: http://tuxeee.org •Développement d'applications libre pour le monde de l'éducation
•Développement d'un système de répartition assistée par ordinateur libre pour le réseau ambulancier (Agence de la santé et des services sociaux de l'Estrie) •Développement de fonctionnalités cartographiques avancées pour le système d'information géographique Web Cartoweb (Camptocamp France) •divers projets Linux. •PatrioteBSD •Pootle
Tableau 3.3 : Activités d'éducation et de promotion des logiciels libres
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 26
(Conférences, publications, formation, sensibilisation, sites web) •2008-2009 : dossier et conférence-midi sur les SIGB libre et autres outils utiles pour les professionnels de l'information et pour les scientifiques. •Festival d''installation du Gulus en automne 2006 •Facil •Libre Graphics Meeting (Lyon, France, mars 2006; Montreal, 2007; Wroclaw, 2008). •Ateliers sur Scribus (colloque de l’AQUOPS; LGM) •7e RMLL à Amiens, France •Trophées du libre à Soissons, France en 2007 et 2008 •Promotion de l'utilisation des logiciels libres dans le domaine géospatial (Département de géomatique appliquée de l'Université de Sherbrooke) •Formatrice en informatique et en alphabétisation auprès du CAPE •Recherche de logiciels pour le français et les mathématiques. •PHP Québec Conférence •Étude réalisée en 2007 : Analyse comparative entre Koha et CDS/ISIS Étude qui sera présentée en août 2008 : Étude comparative des principaux SIGB libres (Koha, Evergreen, WebLis, PMB, Cds-Isis) •Écriture d'articles à propos des logiciels libres dans des revues pour bibliothécaires •Conférences sur le sujet (culturelibre.ca) •Festival d'installation (Linux-Meetup) •Rococo •Cours sur le logiciel libre •UPAM •Formations aux logiciels libres
•Organisation d'un Install Fest (en contact avec le COMIC) •Rédaction un document pour suggérer à la FAÉCUM de diffuser leurs documents dans des formats ouverts et d'encourager les associations étudiantes à faire de même. •Promotion des logiciels libres dans mon entourage •Conférences et ateliers sur le libre, logiciels et culture •CLLAP 2008 •Rédaction d'articles pour Linux+ DVD et la revue de l'APSDS •Production de plusieurs tutoriels animés ou non sur l'utilisation de certains logiciels libres •CLLAP 2008 - •Table ronde sur le logiciel libre lors de MCETECH 2008 •sensibiliser les membres du personnel de mon école •Présentation lors de AQUOPS, RMLL, LGM •Journées carrières faculté de Génie •Rencontres Africaines du Logiciels Libre •Rencontres Mondiales du Logiciel Libre (France) •Linux Journal •Formation sur UBUNTU. •Enseignement de l'informatique avec la suite OpenOffice, Thunderbird et Firefox. •Formation en production multimédia en logiciels libres (Gimp, Blender, Ardour, Drupal, Pure Data, HTML, CSS) •Ateliers Spéciaux. •Présence et interventions lors de Linux-Meetups depuis août 2007
•Install-Fest à l'Université Laval •guidelinspire.com •Projet Techno-Écolo •Donne de la formation aux enseignants sur comment utiliser notre site web. (profs de cégep, du secondaire, et même du primaire, à partir de la 4e année) •www.recensementecole.ca une enquête en ligne. •Présentation de logiciels lors des activités « portes ouvertes » [GULLAR] •Formateur sur plusieurs logiciels libres en éducation (Geogebra, Geonext, Squeak, Scratch, SPIP, Wiki, Cyberfolio, blogues, etc.) •Je parle de GNU/Linux (kubuntu) dans mon milieu de travail •LabCMO Colloque sur le logiciel libre •Webmaestro (conférence) •Semaine québécoise de l'informatique libre (SQIL) •Formation et présentation sur des logiciels libres •Conférences du groupe LINUQ •Ateliers d'installation LINUX •Promotion pour la communauté de logiciel libre •Utilisateur de logiciel libre à la maison (Linux) et participation a des forums de discussions sur le sujet. •Promotion du logiciel libre dans mon entourage. •Campagne de promotion d'OpenOffice.org •Tenue d'un kiosque sur les logiciels libres (2 jours)
Tableau 3.4 : Usages: migrations, administration de serveurs, « simple » utilisation)
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 27
•Installation de Linux au café étudiant du cégep Limoilou (Limoilux) •Installation de plus de 20 serveurs Linux (SLES) •Utilisation de Nagios et de Cacti •Utilisation de OC4J sous Linux •Migration vers un environnement TYPO3 / PHP 5 / MYSQL •Installation de Zenwork pour la MAJ des serveurs •Installation de AWStat pour les stats de l'Intranet •Mises en place et mises à jour de CMS, blog, wiki, galeries de photos, etc. •Utilisation de TYPO3 - phpBB
•Wordpress - Mediawiki - OpenOffice pour la documentation •Implantation de OpenOffice au Gouvernement •Je me sers de Linux chaque jour dans mes interventions •Implantation des logiciels libres dans les entreprises où je travaille •Utilisation de logiciels libres dans mon milieu de travail •Utilisation quotidienne de Open Office, Thunderbird, PhotoFiltre, FireFox, Sunbird et Lightning, Google Agenda, Celestia, GanttProject •J'ai chez moi 2 ordinateurs avec Kubuntu, et au travail, j'essaie de remplacer les logiciels propriétaires en libre (PDFCreator, DIA, OO.org, ...)
•Migration d'amis sur Linux •J'utilise [...] les logiciels libres au sein de l'entreprise qui m'emploie •Certaines commissions scolaires utilisent le logiciel libre et je dois donc être au courant de ces logiciels pour pouvoir faire ce que je montrais auparavant dans Excel •Implantation de serveurs Web, base de données, etc. (solutions LAMP) •Implantation de serveurs de streaming audio •Utilisation de logiciel libre dans le milieu éducatif. •Mise en place d'un système de diffusion de cours universitaires en direct en utilisant des logiciels libres.
3.1.1 Un engagement citoyen? Mouvement et communauté des logiciels libres
Cette prolifération de groupes sociaux, projets et activités signifie-t-elle qu'il existe au
Québec un « mouvement » du logiciel libre, tourné vers des enjeux politiques? Sinon, quel
portrait des militants et militantes du logiciel libre pouvons-nous dresser dans le cadre notre
enquête? Pour répondre à ces questions, mentionnons tout d'abord que seuls trois
répondant-es (une femme et deux hommes, sur 90 personnes) réfèrent à la catégorie
« mouvement » [id.90; id.91; id.160] tout en notant, dans deux cas, que ce mouvement n'est
pas incompatible avec l'économie de marché. Un de ces répondants écrit :
Il me semble important d'éviter la dichotomie profit financier-logiciel libre par laquelle le mouvement de logiciels libres est placé en opposition avec l'économie de marché. Il me semble que les logiciels libres et l'économie de marché ne sont pas incompatibles, mais doivent fonctionner en synergie. Le mouvement des logiciels libres me paraît important dans le sens où il propose une nuance au modèle actuel qui capitalise sur la rétention d’information. [id.90, q.4.1]
Cela dit, puisqu'assez peu de répondant-es réfèrent explicitement à la dimension politique,
nous devons rester prudents, à ce stade exploratoire de notre recherche, avant d'attribuer un
caractère militant à leurs actions. Un des répondants insiste d'ailleurs pour affirmer que
« [l]e libre [n'est] pas juste une affaire de militants, mais un outil solide pour l'entreprise »
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 28
[id. 91, q4.1]. Notre travail d'interprétation nécessite de nouvelles discussions au sein de
l'équipe de recherche pour choisir un cadre théorique puisé à même la sociologie des
mouvements sociaux.
En revanche, il serait difficile de nier l'apparente dimension sociale, voire citoyenne, de
leurs activités. Nous avons vu en effet que les répondants et répondantes étaient engagé-es,
souvent de façon bénévole, dans une multitude de projets, parmi lesquels de nombreuses
activités d'éducation ou de formation. Aussi, plusieurs des répondants et répondantes
n'hésitent pas à parler de communauté et de solidarité. Ainsi, 16 des 90 répondant-es
utilisent le terme de « communauté » et plusieurs réfèrent également à des termes comme
« aide », « soutien » et « sens de la communauté » :
[L]es GULs et autres groupes similaires, qui jour après jour fournissent du support à la communauté et aux néophytes. [id. 31, q.4.1]
Il faudrait mettre l'accent sur l'aide qu'une bonne communauté peut apporter. [id. 81, q.4.1]
[L]e niveau (très grand) de soutien par la communauté. [id.131, q.4.1]
Le logiciel libre est probablement le premier « Social Network » dû à son modèle de gestion et au sens de communauté qu'il apporte. [id.156, q. 4.1]
Ces extraits rejoignent les propos de Benkler et Nissembaum (2006) que nous avons
présentés plus tôt, à l'effet que les logiciels libres ne doivent pas être simplement
appréhendés sous leurs aspects fonctionnels et économiques, mais également comme des
plateformes permettant aux citoyens d'expérimenter des formes originales d'association et
d'engagement social. Pour terminer la description de ces réponses en ce qui concerne les
associations d'entraide, notons le rôle des activités informelles d'éducation populaire pour
soutenir les usagers et usagères du logiciel libre :
Ateliers populaires du libre, FreeGeek et autre GUL permettent aux non-usagers et aux usagers de trouver un réseau d'entraide local et relativement informel concernant le logiciel libre et le bidouillage et le recyclage informatique. [id.51, q.3.2]
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 29
3.2 L’importance des institutions publiques pour l'adoption et la promotion du logiciel libre
Un élément qui ressort de notre enquête concerne le rôle important attribué aux institutions
publiques pour l'adoption et la promotion du logiciel libre. C'est en particulier le secteur de
l'administration publique (ou des services gouvernementaux) de même que celui de
l'éducation qui retiennent l'attention. À la question 3.1 (« Selon vous, vers quel secteur
d'activité les efforts devraient-ils être mis en priorité pour favoriser le développement et
l'adoption du logiciel libre au Québec? » - question fermée), 34 personnes ont indiqué que
l'administration publique constitue le principal secteur vers lequel devraient être dirigés les
efforts pour la promotion du logiciel libre. 36 autres répondant-es ont identifié l'éducation
(primaire et secondaire – 28 – et éducation supérieure – 8) comme le secteur le plus
approprié vers lequel mettre les efforts. Cette place importante des institutions publiques
pour la promotion et l'adoption des logiciels libres contraste avec la stratégie mise de
l'avant par les partisan-es étasunien-es de l'« open source », qui misent sur les grandes
entreprises du Fortune 500 (Raymond, 1999) pour parvenir à leurs fins.
Tableau 3.5 : Secteurs d'activités privilégiés (Question 3.1 : Selon vous, vers quel secteur d'activités les efforts devraient-ils être mis en priorité pour favoriser le développement et l'adoption du logiciel libre au Québec?)
Administration publique (fédérale, provinciale, municipale) 34 37,78 %
Éducation primaire et secondaire 28 31,11 %
Éducation supérieure 8 8,89 %
Entreprises privées 6 6,67 %
Politiques publiques (politiques de droits d'auteurs, CRTC) 4 4,44 %
Organismes communautaires 2 2,22 %
Communauté du logiciel libre (développement de logiciels, groupes d'utilisateurs) 1 1,11 %
Autre 7 7,78 %
Total : 90 100,00 %
Comme nous l'avons constaté ailleurs (Couture, 2007), les revendications et les stratégies
des acteurs et actrices des logiciels libres semblent prendre des formes différentes en
fonction du contexte social et politique où elles sont mises en œuvre. Ainsi, contrairement
au contexte étasunien où le marché est généralement perçu comme l'un des principaux
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 30
moteurs économiques, le Québec s'est traditionnellement appuyé sur l'État comme levier
économique. De plus, les réponses à notre questionnaire reflètent probablement les efforts
du secteur public, déjà mis de l'avant dans le passé pour promouvoir le logiciel libre, et que
nous avons présentés en introduction : le projet MILLE en éducation ou les différentes
expressions d'intérêt du ministère des Services gouvernementaux.
3.2.1 « Rejoindre un grand nombre de personnes »
D'une manière générale, les répondant-es semblent accorder un rôle important aux
institutions publiques étant donné la masse d'utilisateurs pouvant être rejointe par celles-ci.
Ils et elles insistent sur le large bassin d'usagers, autant au sein de l'administration publique
que de l'éducation, qui pourraient adopter le logiciel libre.
Concernant les administrations publiques, ils et elles écrivent par exemple :
Cela rejoindrait un plus grand nombre de personnes qui seraient par la suite plus ouvertes à utiliser du libre à la maison. [id.64, q.3.2]
C'est prometteur pour le développement du logiciel libre (grand pouvoir d'achat, utilisateurs assez forts). [id.129, q.3.2]
Nous retrouvons également un discours similaire en ce qui concerne le secteur de
l'éducation :
Le milieu de l’éducation au premier chef, car il touche un énorme bassin de population, plus d’un million d’élèves et près de 80 [mille] enseignants. [id.29. q.3.2]
Par contre, pour avoir un impact public... passer par l'éducation. 25 % des gens ont un emploi lié au monde de l'éducation et en plus, les jeunes forment la relève. [id.129, q.3.1)
Les écoles, les bibliothèques et les universités, car c'est accessible à beaucoup de personnes. [id.124, q.3.1]
Plusieurs personnes notent également l'effet d'entraînement que pourrait avoir l'adoption du
logiciel libre par l'administration publique ou l'éducation :
Effets d'entraînement des gouvernements nationaux et locaux sur les entreprises parapubliques, organismes communautaires et les entreprises privées. [id.98, q.3.1]
Un exemple réussi vers une solution libre à ce genre de projet donnerait une sérieuse visibilité et crédibilité à l'adoption du LL [logiciel libre]. [id.108, q.3.1]
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 31
3.2.2 Éduquer aux logiciels libres
Lorsque les répondant-es réfèrent au secteur de l'éducation, c'est cependant la dimension
pédagogique plutôt qu'économique qui est la plupart du temps mise de l'avant. Ainsi, si le
secteur de l'éducation doit adopter des logiciels libres, il semble que ce soit avant tout pour
que les gens connaissent le logiciel libre et les valeurs qui lui sont associées :
Pour encourager les valeurs de partage, et non de piratage, nous devons encourager l'utilisation de logiciels libres. [id.16, q.3.1]
Éducation : En commençant par montrer aux jeunes qu'ils ont la possibilité d'apprendre et de développer dans le domaine informatique, sans dépendre des lignes de pensée néfastes d’une société monopoliste et capitaliste à l'excès. De leur permettre de voir et de choisir ce qui leur convient le mieux. [id.106, q.3.1]
C'est par l'acquisition de connaissances et d'apprentissages reliés aux logiciels libres que les apprenants réaliseront qu'il existe des solutions libres. [id 46, q.3.1]
La dernière citation est exemplaire en regard de nos intérêts théoriques, car elle met de
l'avant la diversité des choix possibles dans le domaine technologique. En effet, pour ce
répondant, mettre en place une formation aux logiciels libres n'est pas liée à la nécessité
d'adopter sine qua non les logiciels libres, mais plutôt à la nécessité de « réaliser qu'il existe
des solutions libres ». Il s'agit en quelque sorte de former les étudiant-es à l'existence d'une
pluralité de possibilités technologiques. L'éducation paraît donc un secteur d'activités
crucial pour les répondants et les répondantes, autant pour sa capacité à créer une demande
en logiciels libres que pour son rôle pédagogique d'éducation aux logiciels libres.
3.2.3 Où diriger les efforts?
Les répondants et répondantes donnent également plusieurs réponses concernant les
différentes manières de favoriser l'adoption du logiciel libre au sein des institutions
publiques. Dans le tableau 4.5, nous avons fait ressortir ces réponses en les divisant en
différentes catégories - toujours construites a posteriori – ce qui donne une idée de la
manière dont la migration vers des logiciels libres devrait être accomplie, des secteurs qui
pourraient être ciblés, ainsi que des groupes plus susceptibles de faire pression auprès du
gouvernement. Un aspect remarquable de ces réponses est l'importance attribuée aux
dispositifs technologiques pour favoriser l'adoption du logiciel libre, comparativement à
d'autres initiatives « sociales » comme la formation, le lobbying auprès des députés ou la
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 32
mise en place de politiques publiques. Nous pourrions ici poser l'hypothèse d'un certain
déterminisme technique encore très prégnant parmi les acteurs et actrices du logiciel libre,
alors que ceux-ci et celles-ci attribuent aux technologies une capacité inhérente de
changement social. À notre avis, une importance trop restrictive accordée aux technologies
pourrait avoir l'effet pervers de délégitimer des actions et des initiatives qui auraient des
impacts significatifs sur le plan économique ou politique. Concernant les groupes de
pression, notons en particulier l'entreprise Savoir-Faire Linux qui a été mentionnée trois
fois. Ceci peut vraisemblablement s'expliquer par la requête en jugement déclaratoire faite
par cette entreprise contre la Régie des Rentes du Québec, pour contester l'attribution sans
appel d'offres d'un marché à Microsoft (Savoir-Faire Linux, 2008).
Pour favoriser cette adoption du logiciel libre dans le monde de l'éducation, en particulier
au niveau primaire et secondaire, quelques réponses font référence au projet MILLE qui,
nous l'avons déjà indiqué précédemment, a reçu dans le passé une couverture médiatique
importante. D'autres répondants et répondantes font référence aux organismes GRICS ou
AQUOPS, impliqués dans le monde de l'éducation. Un répondant mentionne que le projet
Cyber-savoir à la Commission scolaire de Montréal (CSDM) pourrait constituer un vecteur
vers l'adoption de logiciels libres. Un autre répondant réfère aux groupes comme Maillons
et Facil pour faire pression auprès du gouvernement. Finalement, au niveau de l'éducation
supérieure, quelqu’un mentionne le partenariat université-industrie, qui « pourrait être un
tremplin par lequel le libre pénètre l'industrie à partir de l'académique » [id.13,q.3.2].
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 33
Tableau 3.6 : Où diriger les efforts? Comment le faire? •GNU •Il faudrait bien sûr offrir des formations pour accompagner les gens durant le transfert. •Le remplacement des infrastructures informatiques par des solutions entièrement libre, car dans ce domaine, les solutions ont fait leurs preuves depuis longtemps. De plus, ceci n’aurait pratiquement pas d'impact pour les utilisateurs, qui sont selon moi les plus réticents aux changements. •L'emploi volontaire de logiciels open source dans les différentes administrations •OpenOffice (4) •Firefox (2) •Linux (3) •La Commission des Lésions professionnelles (CLP) a un système informatique qui tourne sous Linux. •Ubuntu •Typo3 (Lamp) vs IIS Mysql vs Oracle •Migration technologique plateforme centrale vers une solution libre. •Utilisation WEB d'applications •Le passage à des CMS libres, ou même des EMS éventuellement. Alfresco, par exemple, est en train de faire une percée tranquillement... •Asterisk •PDFCreator
Groupes de pression •Savoir-faire Linux (3) •CLLAP •Zone libre en éducation •SQIL •FACIL •Koumbit •GRICS •GULL •LabCMO Quel secteur en particulier? •Éducation •Réseau de la santé •Bibliothèques publiques écoles primaires et secondaires administrations municipales/provinciales. •Le Web au gouvernement du Québec •Revenu Québec •Institutions scolaires •CRSH et organismes de financement •Projets d'éducation internationale •Institutions d'enseignement •Commissions scolaires
3.2.4 Quelles politiques publiques?
L'un des aspects surprenants de notre enquête est la quasi-absence de mentions explicites à
des politiques publiques, et ce, malgré le rôle important attribué aux institutions publiques
que nous avons décrit plus tôt. Ainsi, à la question 3.1 (question fermée), seulement quatre
des 90 répondant-es ont indiqué privilégier des efforts dans la mise en place de politiques
publiques favorables aux logiciels libres. En constatant ces réponses, nous avions d'abord
pensé qu'une faible importance était attribuée aux politiques publiques. Toutefois, en
analysant les questions ouvertes, il semble bel et bien que la question des politiques
publiques soit effectivement une véritable préoccupation, mais que les acteurs et actrices y
réfèrent par d'autres termes que l'expression « politiques publiques »16
Notons tout d'abord que plusieurs des répondants et répondantes s'expriment en termes d'un
.
16 De plus, comme cette question était fermée, avec la possibilité d'une seule réponse, il est possible que plusieurs personnes aient choisi une réponse plus générale, par exemple « éducation » ou « administration », qui peut englober les politiques publiques.
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 34
« devoir » pour l'État (l'administration publique ou le secteur de l'éducation) d'adopter des
logiciels libres (les soulignements sont de nous) :
Les administrations publiques ont le devoir
Les administrations publiques
de ne pas couper le marché des logiciels aux entreprises québécoises. Or, présentement, ce sont des contrats aux sommes imposantes qui sont donnés à Microsoft sans appels d'offres. [id.16, q.3.2]
devraien
All public sector institutions, schools, universities
t toutes utiliser des logiciels libres. [id.64, q.3.2]
should us
Comme d'autres instances gouvernementales à travers le monde, notre gouvernement ainsi que nos différentes administrations publiques
e open source to ensure the continued enhancement of the bien commun (access to and for all). [id.37, q.3.2]
devraien
Certaines réponses concernent plus spécifiquement les appels d'offres et les subventions
publiques (voire même privées) qui devraient favoriser l'usage du logiciel libre :
t utiliser des logiciels libres et investir davantage dans la formation des utilisateurs que dans l'achat de logiciels propriétaires. [id.36, q.3.2]
Helping Centraide (which funds a lot of non-profits) modify their technology support grant to include consulting as an option instead of only buying off-the-shelf proprietary software as it currently does. [id.7, q.3.2]
Lors du lancement d'un appel d'offres public par un organisme gouvernemental ou paragouvernemental pour un projet relié aux technologies de l'information, il devrait être indiqué que les offres proposant une solution ouverte et libre seront privilégiées. [id.10, q.3.2]
D'autres réponses vont également dans le sens d'une politique d'utilisation du logiciel libre
au sein des administrations publiques :
Le gouvernement pourrait utiliser des logiciels/formats libres pour leur donner crédibilité et visibilité auprès de la population. [id.34, q.3.2]
L'emploi volontaire de logiciels open source dans les différentes administrations. [id.26, q.3.2]
OpenDocument Format. Ce format de document bureautique, s'il était établi comme norme dans les écoles et administrations, pourrait forcer l'adoption rapide de programmes tels que AbiWord et OpenOffice.org, projets libres. [id.5, q.3.2]
Un répondant mentionne quant à lui la possibilité d'obliger les vendeurs à distinguer le
matériel et le logiciel, allant par exemple à l'encontre de la pratique actuelle qui consiste à
préinstaller le logiciel Windows sur les ordinateurs mis en vente sur les portables :
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 35
Différencier le matériel du logiciel en obligeant les vendeurs à indiquer précisément le prix du matériel et celui du logiciel et permettre de prendre l'un ou l'autre sans obligation d'acheter les deux (ventes liées). [id.9, q.3.2]
Finalement, notons deux dernières réponses qui soutiennent que les institutions publiques
doivent jouer un rôle plus important dans l'organisation d'activités ou de programmes
favorisant le développement de logiciels libres, ou de contenus libres :
L'organisation de grands concours mettant en valeur et faisant la reconnaissance du travail effectué en logiciel libre. [id.6, q.3.2]
Le Wikipédia francophone, qui pourrait être financé par les pouvoirs publics (comme en Allemagne) ou dont le contenu pourrait, du moins, être enrichi collectivement par la faute de certains protocoles mis en place au niveau des universités. [id.7, q.3.2]
Malgré ces deux dernières réponses, il semble que dans leur majorité, les répondants et
répondantes n'attribuent pas un rôle positif important au gouvernement concernant les
activités de développement de logiciel libre. Aucun-e ne mentionne la possibilité d'un
développement de logiciels libres qui pourrait être financé, au moins en partie, par les
institutions publiques17
Finalement, il est remarquable de ne retrouver pour l'ensemble des réponses ouvertes que
très peu de références aux instances ou aux politiques fédérales. Parmi celles-ci, notons
qu'un répondant indique avoir étudié lors de sa maîtrise en sciences politiques le lien entre
la question du logiciel libre et « le processus de réforme du droit d'auteur au Canada ainsi
que son incidence sur le monde de l'enseignement. » [id. 101, q2.2]. Une autre répondante
[id.187] soutient quant à elle la nécessité pour les organismes subventionnaires de
recherche, dont le CRSH (Conseil de recherche en sciences humaines – organisme fédéral),
d'utiliser des logiciels libres étant donné qu'ils reçoivent du financement public. Finalement,
un autre répondant indique être à l'emploi de Statistique Canada, mais n'aborde toutefois
pas le rôle éventuel de ce ministère, ou du gouvernement fédéral sur la question du logiciel
libre. Mise à part la question du droit d'auteur mentionnée une seule fois, on ne retrouve
dans les réponses aucune référence à des domaines de juridiction proprement fédérale. Le
. Le rôle du gouvernement semble se limiter à l'adoption de
technologies existantes.
17 Par exemple, un peu à la manière dont le gouvernement avait élaboré dans les années 1990 un programme qui accordait d'importantes subventions à la création d'entreprises en multimédia.
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 36
projet de loi C-61 de réforme du droit d'auteur, ou encore certaines réformes du CRTC
concernant la neutralité de l'Internet, qui pourraient avoir un impact important sur la
question du logiciel libre, ne sont pas abordés explicitement par les répondants et
répondantes.
Nous pouvons en définitive conclure que la plupart des répondants et répondantes pensent
que les institutions doivent jouer un rôle important dans l'adoption du logiciel libre.
Toutefois, la manière exacte dont pourraient se concrétiser ces interventions est beaucoup
moins claire. De plus, il semble que les répondants et les répondantes envisagent davantage
des solutions au niveau des politiques québécoises qu’au niveau fédéral.
3.3 Femmes et logiciels libres
Nous avons choisi de consacrer une attention particulière aux activités portées par les
femmes dans le cadre de notre enquête. Ce choix d'analyse est motivé par le constat d'une
faible participation des femmes dans le monde du logiciel libre mis de l'avant dans
certaines recherches sociales. Par exemple, le sondage en ligne réalisé en 2002 dans le
cadre de l’enquête européenne FLOSS avait révélé une proportion de 1,1 % de femmes
parmi un échantillon de 2 784 « développeur-es de logiciels libres » (Ghosh et coll., 2002).
De plus, certains auteur-es ont noté que cette disproportion dans la participation des
hommes et des femmes étaient plus marquée encore dans le monde du logiciel libre que
dans celui de l'informatique propriétaire (Lin, 2006; Nafus et coll., 2006; Levesque et
Wilson, 2004). Cette très faible présence des femmes apparaît d'autant plus étonnante si
l’on considère les principes du logiciel libre qui affirment le droit pour tous - et toutes - de
faire usage des logiciels et de participer à leur développement.
Les résultats de notre enquête se démarquent toutefois de cette faible présence des femmes,
mise de l'avant dans les enquêtes précédentes. Ainsi, 14 femmes ont répondu à notre
questionnaire sur un échantillon de 90 personnes, ce qui donne une proportion d'environ
15 %18
18 Un autre aspect intéressant à noter est que les trois personnes ayant répondu à notre questionnaire et provenant des régions les plus éloignées (Mauricie, Gaspésie, Abitibi-Témiscamingue) sont toutes des
. Bien que ce taux soit encore assez faible, il contraste avec le 1,1 % révélé dans
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 37
l'étude de Ghosh et coll. (2002) cité plus tôt. Parmi d'autres causes (dont le caractère
exploratoire de notre étude), cet écart pourrait peut-être s'expliquer par le fait que la
précédente étude avait limité la catégorie « développeur-es de logiciel libre » aux seules
personnes qui avaient effectivement contribué au code source d'un logiciel libre19
Les réponses à notre questionnaire permettent de faire ressortir les domaines d'activités qui
captent davantage l'intérêt des femmes. Le tableau 3.7 donne une représentation
quantitative de la participation différenciée des hommes et des femmes dans les différentes
catégories construites analytiquement et décrites dans le premier axe de notre analyse
(l'engagement dans une multitude de petits projets). Comme un-e même répondant-e peut
être engagé-e dans plusieurs types d’activités dans le monde du logiciel libre, il-elle peut se
. À
l'inverse, notre enquête rejoignait plus largement l'ensemble des acteurs et actrices
impliqués dans des initiatives et projets liés au logiciel libre, sans restriction par rapport à
l'activité spécifique dans laquelle ils et elles sont engagé-es. Ainsi, la plupart des
répondantes ont indiqué avoir reçu l'invitation à participer à notre enquête par des listes de
diffusion non orientées de manière spécifique vers les aspects techniques du logiciel libre :
cinq ont reçu le questionnaire directement par l'entremise d'un-e ami-e ou d'un-e collègue,
trois par la liste des Ateliers populaires du libre (APL), deux par la liste du Centre de
documentation sur l'éducation des adultes et la condition féminine (CDÉACF). Quatre
autres répondantes ont déclaré l’avoir reçu par l’une des listes suivantes : le Carrefour
Éducation, la liste de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l'information, le
LabCMO et finalement, LinuQ.
femmes. Sans pouvoir conclure quoi que ce soit étant donné la taille de l'échantillon, ces résultats exploratoires nous amènent toutefois à considérer la pertinence d'une éventuelle recherche qui aborderait l'usage des logiciels libres en région éloignée, en portant une attention particulière aux formes d'usages déployées par les femmes. 19 L'échantillonnage réalisé par Ghosh et coll. a procédé en deux étapes. La première étape a consisté, à la manière de notre propre enquête, à diffuser une invitation sur différents forums de discussions électroniques, mais en ciblant cette fois plus spécifiquement et explicitement les « développeur-es ». Ce premier échantillon, qui réunissait 2 784 personnes, a ensuite été réduit à environ 500 personnes, en ne retenant que les répondant-es dont le nom figurait effectivement comme auteur-e dans le code source d'un logiciel. L'enquête de Ghosh et coll. définissait donc la catégorie « développeur-es de logiciels libres » comme contributeur-e, ou auteur-e, d'une partie du code source.
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 38
retrouver dans plus d'une catégorie d’engagement20. Pour cette raison, le total des chiffres
de la première colonne (nombre de répondant-es) est nettement supérieur au nombre
effectif de répondant-es à notre questionnaire et la somme des colonnes en pourcentage est
supérieure à 100 %. Il importe donc ici de ne pas s’attacher aux chiffres et pourcentages
précis présentés dans ce tableau, compte tenu de l’impossibilité d’induire des conclusions
statistiquement significatives à partir de nos résultats21, mais plutôt d’en faire ressortir les
grandes lignes. Ainsi, le tableau 3,7 est éclairant, car il rend compte d’une faible
implication des femmes dans le développement de logiciels comparativement à d'autres
activités, comme la participation à des groupes sociaux et l'éducation, qui contribuent
néanmoins à l’« écosystème » du logiciel libre22
Tableau 3.7 : Participation selon le sexe et le type d'engagement
.
Type d'engagement (repris de la section 1)
Nombre de répondant-es
% sexe/catégorie
%
catégorie/sexe
h f h f h f
Développement de logiciels 35 1 97,2 % 2,7 % 46,0 % 7,14 %
Groupes sociaux 45 8 84,0 % 16 % 59,2 % 57,1 %
Éducation 32 8 80,0 % 20 % 42,1 % 57,1 %
Usage, migration 14 8 63,6 % 36,4 % 18,4 % 57,1 %
L'analyse qualitative des réponses permet de faire ressortir les domaines d'activités qui
captent davantage l'intérêt des femmes.
20 Sur le plan de l'analyse, les catégories de types d’engagement utilisées ici mériteraient d'être reformulées ou, du moins, de faire l'objet d'une plus grande réflexion collective. C'est notamment le cas des catégories « Développement de logiciels » et « Usage, migration », qui recoupent des activités parfois difficiles à distinguer. Or, cette catégorisation est importante, car elle rejoint, nous l'expliquerons plus tard, des enjeux de reconnaissance des acteurs et actrices engagé-es dans le logiciel libre. 21 Notamment, comme nous l'avons expliqué plus tôt, le recrutement de nos répondant-es s'est fait par la technique boule de neige, et il est très probable que l'orientation de notre appel ait davantage rejoint le milieu communautaire/associatif où l'on retrouve davantage de femmes. Les données ne représentent donc que les personnes qui ont répondu à notre enquête. 22 Ce tableau fait également ressortir une plus grande implication, chez les hommes, au sein de groupes sociaux plutôt que dans le développement de logiciels. Cette situation s'explique peut-être par le fait que nos répondants proviennent davantage des associations et des groupes communautaires. Néanmoins, il serait intéressant d'explorer plus profondément la place des groupes sociaux dans l’« écosystème » du logiciel libre.
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 39
Les activités de promotion et d'éducation constituent un moyen important d'implication des
femmes : des conférences formelles et informelles, des cours et ateliers de formation. Dans
les activités de formation et d'éducation, toute proportion gardée, il y a un taux de
participation plus marqué parmi les femmes que parmi les hommes. Dans ce type
d'événements, l’on trouve les présentations mensuelles de Facil, les Rencontres mondiales
du logiciel libre, et le Colloque sur le logiciel libre du LabCMO (septembre 2007). Les
femmes indiquent participer (tant comme participantes que comme organisatrices et
formatrices) à des formations de base et professionnelles : la suite OpenOffice,
Thunderbird, Mozilla, The Gimp, formations des enseignant(e)s par la Commission
scolaire, etc. Nous avons inclus dans cette catégorie la préparation des tutoriels et
l'élaboration de documentation technique.
La participation à des groupes sociaux semble retenir l'intérêt des femmes autant que celui
des hommes. Au moins une quinzaine de groupes ont été mentionnés par les femmes, dont
LinuQ, Koumbit, Facil, StudioXX, ainsi que des organismes plus institutionnels comme
ceux des universités et des laboratoires universitaires : Université Laval, l’Association
québécoise des utilisateurs de l’ordinateur au primaire-secondaire (AQUOPS), LabCMO,
UQAT.
L'usage personnel et professionnel semble être l’un des modes d'appropriation du libre les
plus fréquemment mis de l'avant. Plus de la moitié des femmes ont mentionné
explicitement utiliser des logiciels libres dans leur vie quotidienne ou professionnelle. Par
contre, en analysant l'ensemble des réponses, nous pouvons assez prudemment assumer que
l'ensemble des femmes ayant répondu à notre questionnaire sont des utilisatrices
conscientes de logiciels libres, que ce soit des systèmes de gestion de contenu, blogues,
wikis, logiciels de comptabilité, etc. Plusieurs répondantes ont également mentionné
réaliser des activités de configuration et d'administration de serveurs ou de réseaux ainsi
que des activités de recherche sur des logiciels spécialisés.
Les activités de développement de logiciels retiennent moins l'attention des femmes. Ainsi,
seules quelques activités de conception de logiciels libres ont été mentionnées par des
femmes, dont le projet AliXe. Cependant, plusieurs répondantes ont indiqué réaliser des
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 40
activités qui, sans être liées directement à la programmation informatique, pourraient être
associées au développement de logiciels : conseillère technique, localisation, traduction et
élaboration des tutoriels, etc.
Comme nous l'avons présenté à la section 2.2, plusieurs auteures féministes notent que la
définition même de ce qui constitue l'innovation technologique est sujette à des
changements historiques. Judy Wajcman (2006, p. 43) explique par exemple que
l'apparente absence des femmes dans l'innovation technologique est en partie due à la trop
grande attention portée aux activités de conception (par exemple, la programmation
informatique) au détriment d'autres activités pourtant cruciales au succès d'une innovation,
comme la gestion du projet, la publicité, la documentation technique, etc. Suivant cette
analyse, il n'est pas étonnant de constater que l'équivalence faite dans les études
précédentes entre « contribution au code source » et « développement de logiciel libre » ait
conduit plusieurs chercheur-es à se représenter cette dernière activité comme masculine.
Dans le cadre de notre enquête, nous avons constaté une implication assez importante des
femmes dans des activités périphériques à la programmation informatique. Cependant,
même en considérant ces activités périphériques, la participation des femmes et des
hommes est toutefois loin d'être égale dans le monde du logiciel libre. Pour cette raison, il
semble important de mettre en valeur les différentes formes d'engagement dans le monde
du logiciel libre dans lesquelles s'investissent les femmes, et en particulier de reconsidérer
la définition du « développement de logiciels » de manière plus inclusive. Pour reprendre
les mots des journalistes Perline et Noisette dans le livre La bataille du logiciel libre
(2006) :
Une communauté de développeurs du libre est d'abord, à l'évidence, composée de programmeurs. Mais ils ne forment pas la communauté s'il n'y avait tous les autres, indispensables à la réussite du logiciel : les bêta-testeurs, les rédacteurs de modes d'emploi, les traducteurs, etc. C'est pourquoi la notion de « 'développeur »' est préférable à celle de « 'programmeur »' lorsqu'on parle de la communauté du libre en général. (2006, p.59).
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 41
Tableau 3.8 : L'implication des femmes dans différents projets
Groupes sociaux et activités permanentes
•FACIL •Koumbit •StudioXX •LinuQ •Linux meetup •Léviunx •Ateliers populaires du libre
•Fondation pour une bibliothèque globale Programme : Observatoire des SIGB (Systèmes intégrés de Gestion de Bibliothèques) libres •LabCMO, UQAM •UPAM •Université Laval
•Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue •L’Association québécoise des utilisateurs de l’ordinateur au primaire-secondaire (AQUOPS) •Tux café
Projets de développement des logiciels
•AliXe (projet de live CD)
Activités d'éducation et de promotion des logiciels libres
•Participation aux présentations mensuelles de FACIL •2008-2009 : dossier et conférence-midi sur les SIGB libres et autres outils utiles pour les professionnels de l'information et pour les scientifiques •Formation en informatique et en alphabétisation auprès du CAPE •Rencontres mondiales du Logiciel libre (atelier GIMP en pédagogie été 2007, Amiens, France) •Présentation lors de AQUOPS, RMLL, LGM •Participation au Groupe interdisciplinaire des logiciels libres •Cours sur le logiciel libre •Formation dans ma Commission scolaire (auprès d'enseignants, aussi sensibilisation auprès des cadres)
• Formatrice pour les utilisateurs de Claroline (à UQAT) •Formation sur Ubuntu •Enseignement de l'informatique avec la suite OpenOffice, Thunderbird et Firefox •Formations aux logiciels libres •Participation à une rencontre de Linux-Québec •Rococo •Festival d'installation (Linux-Meetup) •Participation au Colloque sur le logiciel libre du LabCMO •Conseillère technopédagogique en privé et en institution scolaire, primaire et adulte (formation générale des adultes)
•Formations : Traitement de l'image avec The Gimp; Le 3D avec Blender; Production audionumérique avec Ardour; Confection de sites Web dynamiques avec Drupal; Formation sur Pure Data; Organisation des ateliers sur le sujet Ludogorie Numérique (jeux vidéo 3D) •Je trouve des professeurs de qualité •J'organise les ateliers •Préparation des tutoriels (pour utiliser GIMP et Scribus) •Libre Graphics Meeting (atelier art numérique libre, mai 2007, Montréal)
Usages : migrations, administrations de serveurs, usages « simples »
•Utilisation des logiciels libres dans ma vie d'étudiante et quotidienne •Utilisation personnelle de logiciels libres •Usage du Kubuntu sur le serveur •Usage des logiciels libres dans les cours technologiques de l'Université Laval •Mises en place et mises à jour de CMS, blogue, wiki, galeries de photos, etc. •Logiciel de comptabilité
•Configuration des serveurs – SME Server •Téléphonie IP •Egroupeware •Service de soutien en réseautique et serveurs auprès d'une clientèle d'organismes communautaires •Applications LTSP dans les écoles primaires et secondaires •Je fais partie du soutien technique et j'élabore l'évolution technique du laboratoire boot OSX-UBUNTU STUDIO et du matériel périphérique
•Installation des logiciels libres dans certains laboratoires informatiques à l'Université Laval •Recherche de logiciels pour le français et les mathématiques •Recherche d'un autre système d'exploitation tel qu’Ubuntu •Utilisation de la plateforme Claroline •Usage des wikis dans les programmes d'école secondaire
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 42
3.4 Faire connaître les logiciels libres au grand public
La dernière question de notre enquête visait à obtenir l'opinion des répondants et
répondantes concernant un éventuel document public (« 4.1 Dans le cadre de cette
recherche, nous souhaitons réaliser un document d'intérêt public qui présenterait un
“portrait” du logiciel libre au Québec. Selon vous, quels aspects devraient être abordés
dans ce document? »). Nous pouvons constater une grande richesse dans les réponses
individuelles ainsi qu'une cohérence certaine entre celles-ci. Un document d'intérêt public
devrait à notre avis analyser plus en profondeur ces réponses que nous pourrons partager
sur demande et de manière à répondre aux exigences éthiques liées à l'anonymat des
répondant-es. Plusieurs de ces réponses relatent les nombreux malentendus voire l'absence
d'information concernant les logiciels libres. Plusieurs ont également manifesté le désir de
recevoir une information bien structurée, complète et actuelle concernant les logiciels libres
en général, mais également des informations plus locales et concrètes, liées à la situation
québécoise, et qui pourraient les aider au quotidien. Plusieurs notent par ailleurs l'absence
de données statistiques concernant les logiciels libres au Québec, de même que la nécessité
de documenter davantage les cas d'usage des logiciels libres dans les différents domaines.
Le tableau 4.7 propose une structure pour le document final, à partir des différentes
réponses obtenues. L’annexe II présente différentes citations pour chacun des éléments du
tableau.
Notons finalement que certaines réponses permettent de faire ressortir un public cible plus
spécifique, qui ne serait pas le grand public. Il s'agirait en particulier de viser les « gens
travaillant dans le milieu de l'informatique » [id. 123], ou bien encore les « étudiants, les
employés, les cadres » [id.121].
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 43
Tableau 3.9 : Structure d'un document d'intérêt public
Partie 1. Introduction aux logiciels libres
1.1. Démystification du libre Définitions, principes et libertés du libre Historique du mouvement Aspect communautaire du libre
1.2. Avantages et limites du libre
Avantages, bénéfices, impacts positifs du libre Limites du libre
1.3. Impact économique du libre 1.4. Politiques publiques (standards ouverts, licences)
Licences libres Standards ouverts Accès libre aux informations, données et recherches scientifiques
Partie 2. Contexte du logiciel libre au Québec
2.1. Vue générale du libre au Québec 2.2. Situation par secteur économique (au Québec)
Éducation Entreprises privées Administration publique Communautés du libre Des portraits d'individus
Partie 3. Exemples concrets d'usage et de développement de logiciels libres au Québec
3.1. Situation au Québec comparée aux autres pays 3.2. Études des cas tirées d'organismes, des usages, des projets, des initiatives 3.3. Exemples des logiciels existants et de systèmes d'opération
Partie 4. Informations pratiques
4.1. Statistiques d'usage du libre au Québec et ailleurs 4.2. Offres de formation, du soutien, de l'installation et de maintien
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 44
Conclusions et pistes futures de recherche
Nous souhaitions dans le cadre de cette enquête réaliser un portrait du logiciel libre au
Québec, c'est-à-dire une analyse abordant de façon large les activités, projets, acteurs et
actrices du logiciel libre dans le contexte québécois. Nous n'avions cependant pas la
prétention de proposer un portrait exhaustif de la situation québécoise, ce qui aurait
demandé des ressources considérables si cela avait même été possible. Notre objectif était
donc plus humblement de réaliser un premier jet, exploratoire, qui puisse être enrichi par la
suite, par nous ou par d'autres. Dans ce sens, ce portrait demeure partiel et probablement
partial. C'est pour cette raison que nous avons intitulé notre recherche « UN » - et non pas
« LE » - portrait du libre au Québec. Nous avons également, à la fin de cette étape de
recherche, décidé de préciser le titre de notre projet pour référer plus spécifiquement à
l’« engagement » de certains des acteurs, car il nous semblait que ce qui ressortait de notre
étude était surtout un portrait des différentes manières dont certains acteurs s'engagent dans
le monde du logiciel libre, au Québec. La catégorie de l’« engagement » a toutefois émergé
en fin d'analyse, et nous préférons laisser à de futures recherches le soin de bien définir ce
concept sur le plan théorique.
Sur le plan méthodologique, nous avions envisagé plusieurs options tels que des entretiens
individuels ou collectifs, mais nous avons finalement décidé de nous consacrer à la
réalisation d'un questionnaire en ligne incluant plusieurs réponses ouvertes. Nous avons
tout d'abord été agréablement surpris de constater l'intérêt des acteurs et actrices à répondre
à notre questionnaire, de même que la richesse de leurs réponses. Toutefois, en analysant le
questionnaire, nous avons tôt fait de reconnaître que cette enquête ne pourrait être
représentative de la population concernée, c'est-à-dire de l'ensemble des acteurs et actrices
du logiciel libre au Québec. Nous pouvons notamment assumer un biais en faveur des
groupes communautaires et associatifs, puisque notre équipe de recherche a développé au
fil des années une relation de proximité avec ces groupes et que c'est par ces groupes que
s'est diffusé le questionnaire en ligne. Le fait par exemple que certaines entreprises du
logiciel libre ne soient pas mentionnées dans les réponses à nos questions est également
symptomatique des limites de notre enquête. Un recoupement de plusieurs enquêtes,
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 45
incluant celle-ci, serait nécessaire pour réaliser un portrait exhaustif. Quoi qu'il en soit,
notre enquête représente tout de même les positions de 90 personnes réparties dans les
différentes régions administratives du Québec. Sur cette base, nous pouvons proposer
différentes pistes et différents questionnements pour des recherches futures :
1) Le logiciel libre comme vecteur d'engagement social (et citoyen). Notre enquête met
clairement de l'avant l'existence d'une multitude de projets et d'activités au sein desquels les
répondant-es sont impliqués. En particulier, on dénote une participation active à un grand
nombre de projets de développement de logiciels libres qui pourraient gagner à être
valorisés. D’ailleurs, plusieurs conférences, formations, et documents pourraient être
rassemblés sur un même site web et/ou faire l'objet d'une analyse approfondie. Finalement,
une multitude de groupes sociaux et associations qui rassemblent ces acteurs et actrices du
logiciel libre ont été recensés. Cela montre bien que le phénomène du logiciel libre ne peut
pas être seulement jugé pour la qualité technique de ses artefacts ou la rentabilité financière
de son mode de production. Il peut également être compris comme un vecteur de
participation sociale, au sein d'une panoplie d'associations. L'analyse de Benkler et
Nissenbaum est ici éclairante. Rappelons que dans leur essai intitulé « Commons-based
Peer Production and Virtue », ces auteur-es insistent sur l'attrait moral et politique des
modes de création collaborative du savoir, comme les logiciels libres. Ces plateformes
collaboratives seraient propices au développement de valeurs telles que la démocratie, la
justice sociale et l'autonomie. Compte tenu de la multitude de projets associatifs existants
autour des logiciels libres, nous pensons que l'univers du logiciel libre doit être compris
comme un phénomène social non réductible à sa seule dimension économique, et
notamment en tant qu'il constitue un espace de pratiques associatives ou citoyennes. La
catégorie sociologique de l’« engagement », et en particulier de l'engagement citoyen,
devrait être ici davantage explicitée dans une prochaine recherche.
2) Un rôle important attribué aux institutions publiques, mais pas de consensus sur la
manière de procéder. La grande majorité des répondant-es attribuent un rôle de premier
plan aux institutions publiques dans un processus de transformation sociale favorable au
logiciel libre. Ainsi, un grand nombre de répondant-es insistent sur le rôle de
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 46
l'administration publique et de l'éducation pour susciter une demande massive en logiciels
libres. De plus, plusieurs personnes insistent sur le rôle pédagogique du secteur de
l'éducation qui ne doit pas seulement être un usager de masse des logiciels libres, mais qui
doit davantage contribuer à faire connaître l'existence des logiciels libres par la formation
aux citoyens et citoyennes.
Malgré cette importance accordée aux institutions publiques dans les discours des acteurs et
actrices, il ne semble toutefois pas y avoir de consensus quant aux politiques précises à
mettre en place. Ainsi, seulement quatre répondant-es ont indiqué que la priorité devrait
être de mettre en place des « politiques publiques ». Plusieurs répondant-es insistent
toutefois sur le « devoir » des administrations publiques d'utiliser des logiciels libres,
devoir qui impliquerait nécessairement la mise en place de réglementations précises.
Quelques répondants et répondantes proposent également des pistes précises, par exemple
d'obliger l'utilisation de formats libres pour les documents publics, ou encore, de privilégier
l'utilisation de logiciels libres dans les appels d'offres publics ou les programmes de
subventions. Toutefois, il ne semble pas y avoir un rôle positif important attribué au
gouvernement pour contribuer à la création d'une « offre » en logiciel libre, par exemple, en
finançant le développement de logiciels libres ou la création d'entreprises ou d'associations
dans ce domaine. Notons finalement la quasi-absence de références aux politiques ou aux
institutions fédérales dans le questionnaire.
3) La place des femmes dans le monde des logiciels libres. Sur les 90 personnes qui ont
répondu à notre questionnaire, 14 sont des femmes. Ce taux de participation - environ 15 %
- bien que faible, contraste avec de précédentes études qui avaient révélé une participation
de 1,1 % de femmes parmi les « développeur-es de logiciels ». Cette présence des femmes
dans notre enquête s'explique possiblement par le fait que notre échantillon n'était pas
restreint à la catégorie « développeur-es de logiciels » (voire même, au fait d'avoir participé
à l'écriture du code source), mais était conçu de façon plus large, par le simple fait d'être
engagé€ dans une activité en lien avec le logiciel libre. De cette hypothèse, nous pouvons
tirer la conclusion que les femmes peuvent avoir été laissées pour compte dans les
précédentes études en raison de la trop grande importance accordée au codage informatique
Un portrait de l’engagement pour les logiciels libres au Québec
CIRST – Note de recherche | page 47
comme activité définissant le « développement de logiciels ». Même si elles sont encore
largement minoritaires, les femmes ne sont pas pour autant absentes du monde du logiciel
libre. Elles s'impliquent au contraire dans des activités telles que la consultation, le soutien
technique, la rédaction de la documentation, et la participation à diverses rencontres et
conférences. Nous insistons par conséquent, dans de futures études, sur l'importance de
comprendre la participation des femmes dans le monde du logiciel libre et de rendre plus
problématique la définition de ce que constitue le « développement de logiciels libres ».
4) Une visibilité plus grande au logiciel libre. La majorité des répondants et répondantes
ont manifesté un intérêt marqué pour un « document d'intérêt public » concernant le
logiciel libre au Québec en donnant bon nombre d'éléments que pourrait inclure un tel
document. Ces réponses nous mènent à considérer la pertinence de réaliser un ouvrage qui
vulgarise les différents aspects du logiciel libre. Comme nous l'avons indiqué plus tôt, les
réponses à cette question pourront être partagées sur demande et de manière à répondre aux
exigences éthiques liées à l'anonymat des répondant-es. D'un point de vue sociologique,
nous pensons qu'il pourrait également être pertinent d'étudier de façon plus attentive les
efforts concrets de migration et d'adoption du logiciel libre au Québec, par exemple en
réalisant et en publiant différentes études de cas portant sur des initiatives allant dans ce
sens.
Stéphane Couture, C. Haralanova, C. Jochems et Serge Proulx
CIRST - Note de recherche | page 48
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Annexe II : Invitation à répondre au questionnaire en ligne
Objet : Enquête sur les activités liées au logiciel libre au Québec [Veuillez diffuser largement dans les différentes listes concernées au Québec] Vous êtes engagé-e activement dans le domaine du logiciel libre au Québec? Alors, cette invitation vous est destinée! Le Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO) réalise présentement une enquête dont l'étape actuelle vise à recenser le plus grand nombre possible d'initiatives, activités, projets et organismes liés au logiciel libre au Québec. Nous sollicitons donc 10 à 15 minutes de votre temps pour répondre à un questionnaire en ligne qui vise à connaître votre implication dans le cadre d'activités telles que :
–la participation à un projet de développement de logiciel libre, à un groupe d'utilisateurs, à un organisme ou à une entreprise dont la mission est orientée vers le logiciel libre; –l'organisation de conférences, d'ateliers ou de formations en logiciel libre; –la coordination de projets impliquant une migration de systèmes informatiques vers des logiciels libres, au sein des institutions publiques, privées ou sans but lucratif; –les interventions médiatiques, politiques ou universitaires liées au logiciel libre; –tout autre engagement actif sur le thème du logiciel libre.
Vous pouvez répondre à ce questionnaire en ligne d'ici le 4 avril 2008 en suivant ce lien : http://www.er.uqam.ca/nobel/labcmo/portraitdulibre/index.php?sid=98887&lang=fr Veuillez noter que nous vous demanderons – optionnellement - de nous indiquer votre nom et votre courriel afin que nous puissions vous informer des suites de notre recherche. Soyez assuré-e que ces informations personnelles ne seront pas diffusées publiquement. Please feel free to fill this questionaire in English. Pour toute information supplémentaire concernant cette recherche, n'hésitez pas à nous contacter. Nous vous remercions à l'avance pour votre collaboration! Stéphane Couture, [email protected] Christina Haralanova, [email protected] Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO) http://cmo.uqam.ca
2010-02 Gingras, Yves et Sébastien Mosbah-Natanson « La question de la traduction en sciences sociales :
Les revues françaises entre visibilité internationale et ancrage national »
2010-01 Gingras, Yves « Naming without necessity: On the genealogy and uses of the label “historical epistemology »
2009-04 Doray, Pierre, Yoenne Langlois, Annie Robitaille, Pierre Chenard et Marie Aboumrad « Étudier au cégep : les parcours scolaires dans l’enseignement technique »
2009-03 Latzko-Toth, Guillaume « L’étude de cas : en sociologie des sciences et des techniques »
2009-02 Therrien, Pierre et Petr Hanel « Innovation and Establishments' Productivity in Canada: Results from the 2005 Survey of Innovation »
2009-01 Tesfaye, Facil « Sur la question de la population du Rwanda et de sa classification. De l’occupation allemande au lendemain du génocide »
2008-05 Gingras, Yves « La fièvre de l'évaluation de la recherche. Du mauvais usage de faux indicateurs »
2008-04 Beaudry, Catherine et Ruby Farcy « Dynamiques d’innovation et politiques de financement en biotechnologie »
2008-03 Hanel, Petr « Productivity and Innovation: An Overview of the Issues »
2008-02 Hanel, Petr « Skills Required for Innovation : A Review of the Literature »
2008-01 Monchatre, Sylvie « L’approche par compétence, technologie de rationalisation pédagogique. Le cas de la formation professionnelle au Québec »
2007-07 Gentzoglanis, Anastassios « Technological and Regulatory Changes in the Financial Industry in the MENA Region: Competitiveness and Growth »
2007-06 Larivière, Vincent, Alesia Zuccala et Éric Archambault « The Declining Scientific Impact of Theses : Implications for Electronic Thesis and Dissertation Repositories and Graduate Studies »
2007-05 Doray, Pierre, Lucia Mason et Paul Bélanger « L’art de vaincre l’adversité : le retour aux études des adultes dans l’enseignement technique »
2007-04 Chenard, Pierre, Éric Francoeur et Pierre Doray « Les transitions scolaires dans l’enseignement postsecondaire : formes et impacts sur les carrières étudiantes »
2007-03 Proulx, Serge, Julien Rueff et Nicolas Lecomte « Une appropriation communautaire des technologies numériques de l’information »
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CIRST Université du Québec à Montréal C.P. 8888, Succ. Centre-ville Montréal (Québec) H3C 3P8
Le CIRST est, au Canada, le principal regroupement interdisciplinaire de chercheurs dont les travaux sont consa-crés à l’étude des dimensions historiques, sociales, politiques, philosophiques et économiques de l’activité scientifique et technologique. Nos travaux visent l'avancement des connaissances et la mise à contribution de celles-ci dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques ainsi que dans la résolution des problèmes de société qui présentent des dimensions scientifiques et technologiques.
Regroupement stratégique du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture depuis 1997, le CIRST rassemble une quarantaine de chercheurs provenant d’une dizaine d’institutions et d'autant de disciplines, telles que l’histoire, la sociologie, la science politique, la philosophie, les sciences économiques, le management et les communications. Le CIRST fournit un milieu de formation par la recherche à de nombreux étudiants de cycles supérieurs dans les domaines de recherche de ses membres. Créé en 1986, il est reconnu par l'Université du Québec à Montréal, l'Université de Montréal et l'Université de Sherbrooke.