Un petit poème Une image que je peux...
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HATAT Thérèse
Un petit poème
Une image que je peux lire
Des mots pour écrire…
Renforcer les compétences du lire-écrire en CE1 dans un groupe d'aide à dominante
pédagogique par l'apprentissage de vocabulaire thématique en situation poétique
CAPA SH option E
Session 2013
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SOMMAIRE
Introduction
I- Partie 1 Le contexte de travail
a) Des éléments théoriques et des instructions officielles
b) Domaine pédagogique abordé dans ce mémoire
c) Le lieu d'exercice
II- Partie 2 Les élèves
a) Observations générales
b) Evaluations et observations individuelles
III- Partie 3 La séquence pédagogique
a) Les premiers objectifs, naissance de la problématique et des hypothèses
b) Retour sur un travail précédent
c) Orientations pour le nouveau projet
d) Contenu et objectifs des différentes étapes du projet :
IV- Partie 4 Analyse des séances
a) L'analyse élève par élève
b) Synthèse en regard des hypothèses de départ
Conclusion
Bibliographie et sitographie
Annexes
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Introduction
Cela fait maintenant deux ans que je travaille au sein d'un RASED (réseau d'aides spécialisées
aux élèves en difficultés) en tant que maître E, enseignant spécialisé chargé des aides à
dominante pédagogique. Auparavant, j'ai travaillé pendant cinq ans comme adjointe dans des
classes élémentaires de cycle 2 et 3. Exercer au sein d'un RASED a toujours été un souhait.
Parmi les aspects que je voulais approfondir en œuvrant comme maître E figure celui de la
réflexion autour du travail cognitif qui permet les apprentissages scolaires. Cette réflexion a
déjà toute sa place lorsqu'on enseigne dans une classe. Mais en intégrant le RASED et en
faisant fonction de maître E, je souhaitais m'investir plus particulièrement et spécifiquement
auprès des élèves qui ont des difficultés à mettre en œuvre de façon efficace leurs propres
capacités cognitives. Depuis l'an dernier, j'apprends comment la réalité du métier maître E
s'organise sur le terrain et, outre ce travail d'aide au niveau cognitif, je découvre aussi les
nombreuses orientations pédagogiques, didactiques, relationnelles et professionnelles que ce
métier insuffle.
La réflexion de ce mémoire portera plus précisément sur un travail que j'ai effectué avec un
groupe de quatre élèves en grandes difficultés de lecture. Suite au cheminement que je vais
présenter dans la troisième partie de ce mémoire, je suis arrivée à l'élaboration de cette
problématique :
En quoi l'enrichissement de vocabulaire thématique dans un travail autour de la poésie
peut-il aider des élèves en grandes difficultés de lecture et d'écriture à progresser dans
ces domaines de la langue écrite, dans le cadre d'une prise en charge E ?
Comme hypothèses de réponses, je développerai les points suivants :
La lecture de textes poétiques courts permet une mise en exergue des mots et aide à la
mémorisation. D'autant plus si le choix des textes poétiques permet de travailler sur des
champs lexicaux particuliers.
L'utilisation au cours des séances en groupe E, d'un outil organisant le matériel lexical,
permet de consolider l'apprentissage de ces mots rencontrés. Notamment par le
réinvestissement en situation de production d'écrits des mots recopiés sur cet outil lors des
lectures.
La lecture de ses propres textes poétiques, notamment lors de la séance de transfert en
classe, et les retrouvailles avec ces mots travaillés au long des séances motivent la
recherche de sens dans l'acte de lire et la confiance en soi.
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Mon écrit s'organisera autour des parties suivantes : mon contexte de travail, une présentation
des élèves concernés, les réflexions auxquelles les évaluations et les observations de ces
élèves ont conduit, la mise en place de la problématique et des hypothèses de réponse qui a
suivi, la construction des séances de travail liées à ce cheminement, une analyse de ces
séances puis un retour sur les hypothèses de travail.
I- Partie 1 Le contexte de travail
a) Des éléments théoriques et des instructions officielles
Ainsi qu'elle est décrite dans la Circulaire du ministère l'Éducation Nationale du 17 juillet
2009 :
"L’aide spécialisée à dominante pédagogique est adaptée aux situations dans lesquelles les
élèves manifestent des difficultés avérées à comprendre et à apprendre, mais peuvent tirer
profit de cette aide. Elle vise à la prise de conscience et à la maîtrise des attitudes et des
méthodes de travail qui conduisent à la réussite, à la progression dans les savoirs et les
compétences, en référence aux programmes de l’école primaire."
Je reviens maintenant sur les trois termes principaux qui définissent ma nouvelle fonction :
"aide" : il s'agit du substantif du verbe aider. Or la définition du verbe aider dans le Petit
Larousse édition 1999, comporte deux entrées (de même que dans la version actuelle
numérique : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais) :
v.t. Fournir un secours ou une assistance à quelqu'un.
v.t. ind. (à) Rendre plus aisé, contribuer à, faciliter.
L'aide dont il est question pour le maître E me semble correspondre à la deuxième
définition du mot aider dans la mesure où l'aide apportée aux élèves en difficulté est une
aide aux apprentissages scolaires. Il s'agit effectivement d'aider l'élève dans une
intentionnalité précise : dans le cadre d'un projet relié à sa scolarité. Dans le but, ainsi que
l'indique la circulaire précitée "de remédier à des difficultés résistant aux aides apportées
par le maître." Et de "prévenir leur apparition ou leur persistance chez des élèves dont la
fragilité a été repérée."
"spécialisée" : Le même petit Larousse de 1999 donne la définition suivante : qui
concerne une spécialité (activité à laquelle on se consacre plus particulièrement ;
ensemble des connaissances approfondies acquises dans une branche déterminée).
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Cette notion de spécialité du maître E est porteuse de questions. Et pour tenter d'y
répondre, je vais me baser sur ces extraits d'un document du ministère (site internet :
http://www.education.gouv.fr/cid24444/les-reseaux-d-aides-specialisees-aux-eleves-en-
difficulte-rased.html)
"Les RASED renforcent les équipes pédagogiques des écoles. Ils les aident à analyser les
situations des élèves en grande difficulté et à construire des réponses adaptées.
Lorsqu'un élève éprouve des difficultés dans ses apprentissages, l'enseignant spécialisé
aide le maître à :
- identifier les obstacles à la réussite,
- établir des objectifs avec l’élève en difficulté,
- proposer des situations, activités, supports, échéances et modalités d’évaluation.
Les aides spécialisées à dominante pédagogique concernent les élèves qui ont des
difficultés pour comprendre et apprendre alors qu’ils en ont les capacités.
Elles ont pour objectifs :
- la maîtrise des méthodes et techniques de travail,
- la stabilisation des acquis et leur appropriation,
- la prise de conscience de ce qui conduit à la réussite."
La spécialité du maître E est donc la prise en charge, à plusieurs niveaux, des difficultés
avérées des élèves de l'école primaire, en concertation avec le maître de la classe, dans la
classe de l'élève ou en petit groupe hors de la classe, ainsi que l'indique le même
document, voire parfois en situation duelle notamment lors d'évaluations. L'aide est
spécialisée en ceci qu'elle s'adresse spécifiquement aux élèves en grandes difficultés
inscrits dans des classes non spécialisées.
"à dominante pédagogique" :
L'adjectif "pédagogique" renvoie aux théories et sciences de l'éducation des enfants et
adolescents et aux méthodes d'enseignement. L'expression "à dominante pédagogique" en
regard de l'expression "à dominante rééducative" concernant le maître G est explicitée
dans la circulaire de 2009 : "Ces deux formes d'aides, quoique distinctes, ne sont pas
cloisonnées." "Le maître chargé de l'aide à dominante pédagogique doit prendre en
considération le découragement induit par des difficultés persistantes, voire des moments
de désaffection ou de rejet de l'école." Ceci nous indique que le maître E, bien que centré
sur l'aspect pédagogique et les apprentissages scolaires doit considérer l'élève dans toutes
ses dimensions. Ce que lui permet sa double inscription : à la fois au sein des équipes
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pédagogiques des écoles où il intervient, et au sein du RASED dont il dépend. Et voici,
sans doute, ce qui définit aussi la spécificité de son travail. Ce travail en réseau avec le
psychologue scolaire et le maître G. Le maître E se situant d'emblée dans une analyse
multifactorielle des situations particulières des élèves.
Je terminerai ce détour de précision lexicale sur le mot "enseigner", sa racine signifie
"signaler", comme on dit parfois, "enseigner" dans le sens de signaler son chemin à quelqu'un
égaré sur la route. Or je trouve que cette image trouve sa place ici : il s'agit souvent
d'enseigner à des élèves en difficulté, un peu perdus dans leurs apprentissages, leur propre
chemin cognitif et méthodologique, voire comportemental, ou de leur signaler les différents
chemins possibles pour qu'ils puissent trouver le leur. Et pour nous, enseignant maître E, il
s'agit de trouver notre chemin pédagogique, didactique et relationnel pour les aider.
b) Domaine pédagogique abordé dans ce mémoire.
En plus de ces circulaires au niveau national, nous avons aussi en début de rentrée une note de
service de l'Inspection Académique ou de notre Inspection de l'Education Nationale de
circonscription concernant les RASED. Pour cette année scolaire 2012-2013, nous avons reçu
de la DSDEN (direction des services départementaux de l'Éducation Nationale) de l'Hérault
une note de service intitulée "fonctionnement du RASED". Elle nous indiquait des
propositions de travail. Et parmi ces propositions, en antenne RASED et en fonction des
difficultés rencontrées par les écoles concernées par notre travail, nous avons choisi de nous
concentrer sur le domaine de la langue orale et écrite en cycle 2, pour les premières périodes
de l'année scolaire.
c) Le lieu d'exercice
Cette année, je travaille au sein de l'antenne du RASED de Lodève. Elle comporte une
psychologue scolaire, un maître G, un maître E, et moi-même donc, faisant fonction de maître
E. C'est un réseau assez grand géographiquement, il comporte toutes les écoles de Lodève
ainsi que les écoles d'une douzaine de villages. Dans un premier temps, compte tenu des
demandes d'aide, des réflexions menées en synthèse du RASED, de l'organisation que nous
avons mise en place, je suis intervenue dans cinq écoles : deux écoles de Lodève et trois
écoles de villages. La classe concernée par le travail que je présente ici est une classe de CE1
d'une école de RRS (Réseau Réussite Scolaire). Quatre élèves de cette classe forment le
groupe avec lequel j'ai travaillé hors de la classe deux fois quarante-cinq minutes par semaine.
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II- Partie 2 Les élèves
a) Observations générales
J'ai mené une évaluation diagnostique auprès des élèves concernés par la séquence présentée
ici. Elle comprenait différentes épreuves de lecture ainsi qu'une dictée.
Il s'agissait d'une évaluation ciblée qui visait à évaluer leur niveau de lecture en référence à
une norme (évaluation extraite de la batterie d'épreuves du Batelem-R) d'une part, ainsi qu'une
évaluation moins normée mais qui était utilisée depuis déjà plusieurs années dans le cadre du
RASED à Lodève. (Voir les annexes 1 à 3 pour le contenu des épreuves)
Elles portaient donc des indications sur les connaissances des élèves quant au code
graphophonétique (lecture de sons et de syllabes), sur leur capacité à fusionner des syllabes
simples et complexes (logatomes), et sur leurs aptitudes à lire un texte et à le comprendre.
De plus, une épreuve de dictée permettait aussi d'évaluer leurs habiletés à la transcription
(sons, syllabes et phrases).
Pour tous ces élèves, les demandes d'aides évoquaient des difficultés en classe dans le suivi
des activités de lecture et d'écriture : lenteur en premier lieu, erreurs de lecture faisant obstacle
à la compréhension, manque d'autonomie dans la lecture des consignes, difficultés de
transcription lors des passages à l'écrit sur le plan phonétique et orthographique. (Voir
l'annexe 4)
Lors de la passation individuelle en lecture, j'ai été interpellée par leur attitude.
La lecture semblait pour eux à la fois un gros effort et l'objet d'une réelle attention. Ils
semblaient très soucieux de répondre à la consigne de "dire" quelque chose, de produire des
mots et d'aller jusqu'au bout de leur lecture.
Mais leur implication paraissait entièrement centrée sur les techniques de décodage. Il est à
préciser que ces quatre élèves suivent des séances d'orthophonie. Ils sont conscients de leurs
difficultés de déchiffrage, et font des efforts particuliers de prononciation dans leur
application. Notamment en raison de leur suivi orthophonique, ils ont une pratique régulière
de situations de travail axées sur ces techniques de conscientisation des relations graphies-
phonies. J'avais rarement observé une telle persévérance malgré une lenteur importante et de
nombreuses erreurs malgré tout qui ne pouvaient que freiner la compréhension. Lorsqu'ils
étaient devant des sons complexes non reconnus on non connus, deux des élèves disaient
malgré tout un mot, parfois loin du mot cible (phonétiquement et/ou sémantiquement). Ils
utilisaient alors essentiellement la reconnaissance des premières lettres. Néanmoins, en
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deuxième lecture, presque tous ces élèves montraient des aptitudes efficaces en décodage et
les relations graphophonétiques retrouvaient une stabilité.
Ce groupe d'élèves paraissait "perdu" devant ces écrits et trois d'entre eux ont exprimé leurs
difficultés :
"Je sais pas lire."
"Je vais chez l'orthophoniste, je suis dyslexique, c'est pour ça que je sais pas lire."
"Il faut que je recommence (à lire) pour y arriver mieux."
b) Évaluations et observations individuelles
De façon plus précise, je présente maintenant les difficultés particulières de ces élèves :
Aurélien est un élève très lent dans les processus de décodage, et dans l'utilisation des
relations graphies-phonies. Contrairement aux autres élèves, il peut par contre utiliser de
façon efficace la voie d'adressage1 pour quelques mots déjà travaillés et mémorisés. Le
passage à l'écrit est très difficile en raison d'un geste graphique lent et malhabile. La
demande d'aide précise qu'en classe, la quantité de travail à l'écrit fait l'objet d'une
différenciation importante. Malgré l'usage de la voie d'adressage en lecture, les mots de
l'évaluation sont tous écrit de façon phonétique, avec quelques erreurs de transcription, ses
compétences orthographiques de mémorisation visuelle lors de la lecture ne sont donc pas
transférées lors du passage à l'écrit. Aurélien, d'un abord timide est très volontaire et
intéressé, mais parfois passif en classe.
Naïm a des compétences en décodage sur lesquelles il peut s'appuyer pour lire la plupart
des mots. Il connaît assez bien les relations graphies-phonies. Lorsqu'il utilise la voie
d'adressage, il y a par contre de nombreuses erreurs car il n'utilise que les premières lettres
des mots. Il ne semble pas rechercher le sens du texte, il est un peu dans une précipitation
lorsqu'il lit. Il pose beaucoup de questions sur les tâches à accomplir, notamment en début
d'évaluation. Ce manque de confiance en lui est également noté dans la demande d'aide,
avec la présence d'agitation parfois.
1 La voie d'adressage ou voie directe ainsi qu'elle est définie les programmes de cycle 2 de 2002 (Bulletin
officiel de l'éducation nationale hors-série n°1 du 14 février 2002, paragraphe 2.3) :
"Identification des mots par la voie directe (lecture courante) :
Ce type d'identification est possible si le lecteur dispose déjà, dans sa mémoire, d'une image orthographique
du mot. Dans ce cas, le mot est quasi instantanément reconnu, à la fois visuellement, auditivement et
sémantiquement. On sait aujourd'hui que le lecteur ne s'appuie pas sur la silhouette du mot pour l'identifier,
mais sur la perception très rapide des lettres qui le composent."
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Kahina est en difficultés importantes quant aux connaissances graphies-phonies. Les sons
complexes notamment sont à revoir. De plus, c'est une élève au comportement très inhibée
qui n'ose pas se lancer dans la tâche. Mais lorsqu'elle prend confiance et commence, elle
est très persévérante. Elle est inscrite en CE1 mais suit régulièrement le niveau CP dans sa
classe de CP/CE1. Cependant, en cette deuxième période de l'année, elle peut décoder et
encoder des mots simples de façon autonome. Ce qui justifie la participation à ce groupe
de travail.
Safouane effectue une deuxième année de CE1. Sa lecture présente des erreurs de
décodage et Safouane essaie souvent de lire un mot avec seulement ses premières lettres,
entraînant ainsi des erreurs de lecture et de compréhension. Il est très motivé, sérieux et
désireux de progresser. Par ailleurs, dans les points positifs, la demande d'aide précise que
Safouane participe beaucoup en classe et qu'il est très pertinent dans ses remarques à
l'oral.
III- Partie 3 La séquence pédagogique
a) Les premiers objectifs, naissance de la problématique et des hypothèses
Suite à ces observations, voici ce qui m'a semblé essentiel à prendre en compte dans la
construction du projet de groupe :
- Aller vers une dynamique de la compréhension : lire avec le projet de compréhension, de
réception d'une idée, d'une image. Passer d'une lecture qui semble être une contrainte à
une lecture plus fluide, plus motivante et qui peut devenir source de plaisir.
- Développer et rendre plus explicite l'utilisation la voie d'adressage de façon à diversifier
les procédures de lecture (la voie d'assemblage semblant pour l'instant prioritaire, et celle
d'adressage étant utilisée de façon peu fructueuse).
- Enrichir le corpus lexical pour rendre cette voie d'adressage plus efficiente.
- Utiliser le lien lecture/ écriture pour l'apprentissage et la mémorisation de ce corpus
lexical.
Les fréquentes erreurs de lecture des mots (et surtout l'éloignement sémantique des mots lus à
la place des mots-cibles voire la lecture de mots dépourvus de sens) m'ont effectivement
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donné l'idée de faire un travail spécifique sur les mots, leurs sens, leur perception dans l'acte
de lire. Je souhaitais :
- apporter à ces élèves déjà décodeurs des points d'appui pour que leur lecture puisse
prendre sens, en enrichissant leur corpus lexical
- mettre leurs efforts de lecture et leur persévérance au service d'une expérience littéraire,
au sens artistique du terme. Ainsi que le dit Jocelyne Bidard : "une expérience qui peut
contribuer à la formation du jugement, du goût et de la sensibilité, qui enrichit la
perception du réel, qui suscite des émotions esthétiques, et qui contribue à la
connaissance des idées et à la construction de soi." Jocelyne BIDARD, conseillère
pédagogique, IEN Asnières. (Site internet : http://www.ien-asnieres.ac-
versailles.fr/IMG/pdf/animation_Arts_musique_et_litterature_mercredi_11_janvier.pdf)
Effectivement, il me semblait essentiel de faire "vivre" leurs lectures.
J'ai alors choisi la problématique évoquée plus haut :
En quoi l'enrichissement de vocabulaire dans un travail autour de la poésie peut-il aider
des élèves en grandes difficultés de lecture et d'écriture à progresser dans ce domaine de la
langue écrite, dans le cas d'une prise en charge E ?
La richesse particulière de la poésie dans son usage des mots me semblait effectivement
adaptée à cette transformation de leur écoute et de leur usage de la langue écrite.
Et pour répondre à cette problématique, voici les premières hypothèses sur lesquelles je
décidais de me baser :
La lecture de textes poétiques courts permet une mise en exergue des mots et aide à la
mémorisation. D'autant plus si le choix des textes poétiques permet de travailler sur des
champs lexicaux particuliers.
L'utilisation au cours des séances en groupe E, d'un outil organisant le matériel lexical,
permet de consolider l'apprentissage de ces mots rencontrés. Notamment par le
réinvestissement en situation de production d'écrits des mots recopiés sur cet outil lors des
lectures.
La lecture de ses propres textes poétiques, notamment lors de la séance de transfert en
classe, et les retrouvailles avec ces mots travaillés au long des séances motivent la
recherche de sens dans l'acte de lire et la confiance en soi.
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Une fois ces premiers éléments posés, je me suis mise en recherche d'un matériau sur lequel
les activités pourraient s'appuyer. Il est effectivement important que la mise en œuvre du
travail auprès de ces élèves prenne en compte leurs difficultés particulières. De façon à ce que
la prise en charge de leur évolution au sein du groupe E réponde à leurs besoins de la manière
la plus spécifique possible, et donc la plus spécialisée possible, en regard de ce qui a été
précisé plus haut : l'attention aux maîtrises des méthodes et techniques de travail, à la
stabilisation des acquis et de leur appropriation et la prise de conscience de ce qui conduit à la
réussite. Ces éléments pris dans le contexte de ce qui allait être travaillé dans ce domaine de la
langue écrite en cycle 2.
b) Retour sur un travail précédent
C'est alors que j'ai repensé au travail que j'avais commencé avec des CP à la fin de l'année
scolaire précédente lorsque je faisais déjà fonction de maîtresse E dans deux autres écoles.
Ces CP avaient fait des progrès importants en lecture, les voies d'adressage et d'assemblage
étaient utilisées conjointement, même si leur usage manquait de stabilité et d'efficience, de
pratique aussi, bien sûr. Mais les premières lectures de textes étaient difficiles du fait des
efforts que ce décodage demandait et de la lenteur avec lequel il se faisait. De plus, ils
paraissaient peu impliqués ou n'arrivaient pas à s'impliquer dans les activités quotidiennes de
lecture en classe. Les enseignants des classes de référence m'avaient adressé ces élèves afin de
développer, parallèlement au travail de classe, des compétences plus efficaces dans la lecture
et la compréhension de textes.
J'ai alors cherché quels types de supports je pouvais utiliser. Ils devaient correspondre à
plusieurs critères :
- Le contexte du groupe de prise en charge E : j'optais pour des textes dont la
compréhension et la globalité pouvaient être perçues en une séance. J'ai écarté des
histoires aux trames narratives longues qui auraient nécessité un suivi de compréhension
sur plusieurs semaines. D'autant que leur méthode de lecture les emmenait déjà dans ce
type de travail quotidien.
- Permettre aux élèves de se sentir partie prenante de l'acte de lire à haute voix. Parce que le
sens des textes à lire serait lié à des choses connues des élèves, proches de leur quotidien.
- Et donc orienter la lecture vers un désir de compréhension, de réception de sens et non
seulement un décodage correct. Une compréhension rendue possible par un plaisir
accessible malgré leurs capacités de lecture encore fragiles.
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L'écrit poétique pouvait répondre à ces critères. Notamment pour la résonnance affective qu'il
peut apporter. Un écrit poétique peut être dans cette frontière entre le vécu intérieur de son
propre rapport au monde et l'objectivité partagée issue de l'utilisation des mots da la langue.
Et je fais référence ici à cet extrait d'un texte de Claire Escuillié, Michel Favriaud et Nathalie
Panissal texte référence résultant d’une recherche menée à l’IUFM de Toulouse par l’équipe
ALEP (apprentissage de la lecture et poésie) Une étoile qui était en difficulté de lecture ou :
pour une écologie de la poésie au service de l’apprentissage de la lecture : "Notre hypothèse
seconde est donc ainsi que le poème - qui par définition construit une relation vitale entre
un sujet en construction et une langue non pas simplement normée mais aussi réappropriée, et
qui porte en outre cette relation au langage à un niveau sinon méta- du moins épi- - pourrait
être une « aire de transaction » (Winnicott, 1969) et de transition entre la sphère « insécure »
du moi (Cassidy, Shaver, 1999; Bowlby, 2002) et le monde de l’abstrait et de l’altérité, et
donc un support privilégié à la construction du sujet lecteur, dans le cas des enfants de cycle 2
en difficulté."
De plus, comme ces auteurs le signalent aussi : "Dès l’école maternelle, et peut-être avant,
l’enfant est en contact avec une forme de poésie, par les comptines et formulettes
notamment."
J'ai ensuite cherché des formes poétiques courtes. J'en suis venu aux poésies style haïkus qui
peuvent être l'expression verbale de petits instants quotidiens vécus par chacun.
Lors des premières séances consacrées à cette découverte des haïkus (voir la présentation faite
aux élèves dans la partie suivante), j'ai été surprise par la facilité avec laquelle les élèves
rentraient dans cet univers poétique :
- Leur motivation à lire ces petits poèmes étaient nette. J'avais imprimé les haïkus sur des
feuilles cartonnées et je donnais à chacun un poème différent sur une petite carte. Dès la
première séance, plusieurs d'entre eux ont demandé à emmener chez eux le petit carton.
- Après une première lecture souvent difficile, lorsque l'image visuelle, auditive… leur
apparaissait, ils semblaient prendre plaisir à cette découverte. Ces images pouvaient donc
entrer en résonnance avec des moments de vie personnels.
- La notion d'instants courts, de "photos" avec des mots correspondaient aussi à leur temps
d'attention parfois courts.
- La particularité de l'écrit poétique, dont la syntaxe et le choix des mots sont inhabituels ne
les gênait nullement dans l'appréhension du sens.
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c) Orientations pour le nouveau projet
Ce travail avec ces CP de fin d'année avait donc des liens avec le projet que je commençais à
envisager :
Tous ces élèves de début CE1, comme ceux de CP disposaient déjà de bases leur permettant
de décoder de petits textes.
Ils avaient cependant des difficultés à donner du sens à leur lecture et à s'impliquer dans cette
recherche de sens.
La motivation et l'implication que j'ai observées chez ces élèves de CP dans l'approche de ce
type d'écrit poétique m'a d'autant plus incitée à travailler autour de ce matériau et à l'adapter à
ces nouveaux élèves et à ce niveau de classe qui présente d'autres exigences. J'ai cependant
pensé à rajouter un travail de production d'écrit afin de soutenir, comme je l'ai écrit
précédemment, le travail sur la voie d'adressage et la mémorisation des mots.
Je vais maintenant détailler les différentes étapes du projet que j'allais mettre en place.
d) Contenu et objectifs des différentes étapes du projet :
1. Etape 1: Première familiarisation avec les haïkus. (sur deux séances)
Dès la première séance, la consigne-but2 (Philippe Meirieu, 1998, p.183) du projet global est
donnée par la maîtresse E :
Écrire des haïkus et aller les lire aux autres élèves de la classe.
Ainsi que les progrès recherchés par ce projet :
Connaître des mots liés aux saisons et à la nature, apprendre leur écriture pour mieux les
lire et les écrire par la suite.
Ensuite, l'intention de cette première étape de découverte est donc de familiariser les élèves
avec cette forme poétique.
Tout d'abord, cinq haïkus sont lus par la maîtresse, et les impressions des élèves sont
recueillies. Ensuite, chaque élève reçoit un de ces haïkus à lire et il lui est demandé d'écrire en
une phrase -ou même en un seul mot selon les possibilités de chacun- ce à quoi le haïku lui
fait penser. L'intention didactique est ici de commencer à utiliser le vocabulaire présent dans
les poèmes ou à le mettre en lien avec du vocabulaire connu. En fin de deuxième séance, afin
2 Consigne-but (Philippe Meirieu, 1988, 2ème éd., p.183) : "définition d'un projet à réaliser dans une situation
didactique en termes de "produit fini" et renvoyant essentiellement au registre des motivations des
apprenants."
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de compléter les remarques des élèves, des informations sont données aussi quant aux thèmes
habituellement présents dans ces courts poèmes. Quelques questions sont posées également.
Les réponses à ces questions et les informations données permettent de construire un premier
cadre thématique et une première catégorisation pour le vocabulaire qui sera utilisé par la
suite : ces haïkus parlent des saisons, de la nature, de ce qu'on peut voir, entendre, toucher,
sentir, éventuellement goûter selon ces saisons.
Ces thèmes des saisons, de la nature et de la perception sont donnés tôt dans le déroulement
de la séquence de façon à soutenir la mémorisation du vocabulaire. Comme le dit Micheline
Cellier (M. cellier, Le vocabulaire et son enseignement, 2011, p.3) : "[…] du point de vue de
la mémoire, une information est d’autant plus facile à retenir qu’elle est reliée à d’autres,
surtout lorsqu’il s’agit d’un savoir existant : il est éminemment productif de mettre en
relation un mot avec ses synonymes […] ou le champ lexical. […] D’une manière générale, la
procédure la plus payante pour retenir un mot est de passer par la catégorisation. […] La
mise en relation avec le connu implique un travail cognitif car ajouter un mot à un ensemble
déjà là entraîne la réorganisation des connaissances antérieures."
Lors de ces deux premières séances, il s'agit donc de la découverte-plaisir d'un style de
poèmes courts mais aussi de l'entrée dans l'objectif principal de ce projet : l'apprentissage de
vocabulaire en vue d'un progrès des compétences en lecture/écriture.
2. Etape 2 : Découverte de l'album Le géant des saisons. (lecture offerte pas la maîtresse,
sur une séance)
Les haïkus de l'étape 1 sont en fait ceux de cet album mais les élèves ne le savent pas au
moment de la lecture. J'ai fait ce choix de façon à permettre aux élèves de retrouver par
surprise une part de connu, de "déjà vu" lors de l'écoute ultérieure de l'album. Ceci pour deux
raisons :
- Une raison liée à la naissance et à la construction même de nombreux haïkus : la mise en
exergue d'une rencontre perceptive et d'une attention plus soutenue au sein du quotidien.
Les retrouvailles des haïkus jouent alors aussi ce rôle porteur de davantage d'attention en
faisant rentrer en jeu le souvenir des séances précédentes (lecture entendue puis lecture
personnelle et commentaire ou mots mis en relation avec cet écrit sur cette lecture) de
façon à impliquer davantage l'élève dans la réception de l'album en lui rendant l'histoire
plus proche.
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- Une autre raison plus cognitive : favoriser le retour de l'image mentale de certains mots
déjà lus et/ou commentés lors des séances précédentes pendant l'écoute de l'album.
3. Étape 3 : Écriture collective de haïkus (sur deux ou trois séances)
Avant d'aborder l'écriture individuelle, j'ai choisi de passer par une étape d'écriture collective.
Grâce aux échange verbaux, celle-ci permet de mettre à jour les méthodes et procédures qui
pourraient être employées ensuite par chaque élève. En effet, la co-écriture en petit groupe ne
peut se faire qu'à l'aide d'interactions entre les élèves. De plus, elle permet de construire un
premier corpus lexical commun.
Pour ce faire, chaque élève reçoit "un carnet pour les haïkus" (voir annexe 5). Celui-ci permet
d'accueillir une réserve lexicale organisée par thèmes ainsi que des pages qui seront
consacrées à la copie des haïkus produits.
De plus, lors de la première séance d'écriture collective, des conseils formels sur l'élaboration
de haïkus sont donnés. Ils proviennent d'un ouvrage contenant lui-même des haïkus écrits par
des enfants lors d'activités de classe. (J. H. Malineau et J. Coat, 2012)
Le "carnet pour les haïkus", vide au départ, commencera donc à être rempli, par les premiers
mots rencontrés précédemment lors des étapes 1 et 2 et par les nouveaux mots rencontrés lors
de la lecture de ces nouveaux petits poèmes. Ce travail se fait dans le cadre d'interactions
orales sur la catégorisation de mots, les recherches de synonymes, les associations d'idées
dans le cadre des champs thématiques du carnet.
4. Étape 4 écriture individuelle de haïkus. (sur trois séances)
Cette étape suppose une différenciation de l'étayage suivant les possibilités de chacun, et ce
qui aura été observé durant les étapes précédentes lors des interactions et des différentes
lectures, mettant à jour l'évolution de chaque élève dans son rapport à la fois à ce type d'écrit
mais aussi à l'écrit de façon plus générale (lecture et transcription lors de la phase collective).
L'objectif de cette étape est de permettre à l'élève d'utiliser des ressources qu'il a contribué à
construire. Et de manipuler des mots maintenant connus, et organisés par thème dans l'outil
qu'il peut utiliser. Ainsi que le dit Micheline Cellier, (Éduscol, ressources pour l'école
primaire, Le vocabulaire et son enseignement Des outils pour structurer l’apprentissage du
vocabulaire p.3 et 4) pour favoriser la mémorisation et le réemploi de vocabulaire, un outil de
dé-contextualisation peut être fructueux. Grâce aux thèmes notés dans le carnet, les élèves ne
perdent pas de vue le contexte de départ porteur de sens mais les mots, extraits de leurs
phrases de départ sont prêts à être réutilisés dans un écrit personnel. Cet outil peut amener les
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élèves à plus d'autonomie dans le passage à l'écrit, leur permettre une aide à l'orthographe, et
des rencontres répétées avec ce vocabulaire afin de le mémoriser pour leurs lectures
ultérieures, ce qui reste l'objectif initial de ce travail. De plus, l'objectif à plus long terme est
aussi un réinvestissement de l'utilisation de ce carnet dans la classe de référence, lors des
séances de production d'écrits. Les thèmes abordés ne seront pas forcément en lien, mais il
pourra être utilisé comme "banque " de mots. Et cet aspect-là est aussi indiqué aux élèves.
5. Étape 5 : Préparation et lecture en classe de référence des poèmes écrits (sur deux
séances)
Il s'agit ici d'une seule séance consacrée à un travail de lecture orale sur les poèmes écrits par
les élèves. Puis de la séance dans la classe de référence. Chaque élève lira le ou les poèmes
écrits. Une variante est proposée : il est possible de lire un des haïkus de l'album pour le cas
où un élève serait trop intimidé pour lire un de ses poèmes.
6. Évaluation finale (une séance)
Enfin, une séance d'évaluation permet d'observer quels ont été les apports de ce travail dans la
lecture d'un texte nouveau en lien avec les thèmes travaillés tout au long du projet. Les textes
choisis sont de deux types :
- Des haïkus déjà lus puis des haïkus nouveaux.
- Des textes informatifs sur les saisons. Ceux-ci reprennent de nombreux mots lus et écrits
lors de cette séquence. En particulier bien sûr des mots du carnet pour les haïkus. A nouveau,
la nature de ces textes est explicitée aux élèves de façon à ce qu'ils puissent mettre en place
des procédures de remémoration et aborder la lecture avec confiance, en comprenant le lien de
cette évaluation avec le travail qui a précédé.
Ces lectures sont complétées par un petit questionnaire permettant à l'élève de dire ce qui lui a
semblé utile lors de ce travail et de quelle manière il pourra réinvestir ce qu'il a appris lors des
activités de classe ultérieures. L'évaluation en lecture se fera de façon individuel et les
réponses aux questionnaires se feront en groupe. (Voir annexe 6)
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IV- Partie 4 Analyse des séances
Je vais organiser l'analyse des séances en deux parties :
- Une présentation du travail, du cheminement de chaque élève et une réflexion sur ce
travail.
- Une synthèse plus générale en regard des hypothèses de départ.
a) L'analyse élève par élève
1. Travail d'Aurélien
Aurélien se montre intéressé dès le début par le projet.
Il lit le premier haïku proposé en étant à l'écoute du sens de ce qu'il lit.
Rosée du matin
Déposée sur les feuilles
Avant le soleil
Arnaud Hug
Il ne comprend pas le mot "rosée" et demande tout de suite de quoi il s'agit. Cette recherche
de sens simultanée à la lecture n'était pas apparue lors de l'évaluation initiale. Il avait lu de
manière inexacte plusieurs mots et ne semblait pas chercher la compréhension de ces mots
lus.
Pour ce qui est des aspects plus techniques, il demande de l'aide pour la lecture du mot
"matin" (le son "in" n'a pas été identifié).
Ce qui continue à indiquer qu'il est dans un souci de clarté : il ne s'arrête pas à une lecture
erronée et incomplète d'un mot. Puis il lit lentement mais avec exactitude le reste du haïku.
Alors que je le félicite pour la lecture des mots "feuille" et "soleil" en précisant qu'il avait bien
lu le son [j], il me dit qu'il connait déjà les mots "feuille" et "soleil" et qu'il les reconnait. Cette
réussite permet une mise en confiance d'Aurélien face à la lecture lors de cette première
séance. Je n'ai pas pensé à demander à Aurélien où il avait déjà rencontré ces mots et ce qui
l'avait aidé à les reconnaître. C'est sans doute dommage car cet aspect métacognitif aurait pu
apporter au groupe d'élèves deux éléments importants en début de projet :
- Repréciser qu'une grande partie de notre travail allait être basé sur la rencontre de
vocabulaire lié aux saisons puis son apprentissage en vue de la réutilisation en lecture et
écriture. Stratégie qu'Aurélien venait justement d'employer.
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Les objectifs du projet étaient déjà connus des élèves mais la lecture facile d'Aurélien de
mots à priori difficiles dans leur déchiffrage, grâce à leur connaissance préalable montrait
de façon exemplaire l'utilité du travail que nous allions faire ensemble.
- D'autre part, dans la mesure où cette reconnaissance sémantique et orthographique de ces
mots provenaient peut-être d'un travail de la classe de référence, cela aurait permis de
créer une passerelle et de faire appel à des références communes aux élèves. Ce qui est
souvent mobilisateur.
L'écriture d'une phrase d'un commentaire pour ce premier poème lu nécessite un étayage pour
Aurélien car il croit dans un premier temps que je lui demande de recopier le poème. Puis il
écrit ce commentaire :
"J'aime le printemps" qui met en lien le haïku à la thématique plus générale.
Aurélien avait une réelle connaissance de la notion de saison. Il a pu participer à l'oral à de
nombreuses reprises en apportant au groupe des références quant aux changements de la
nature notamment. Ce qui pourrait expliquer son implication immédiate vers la
compréhension des écrits proposés : ce thème lui était connu et il avait déjà des repères et un
contexte sémantique sur lesquels s'appuyer.
L'utilisation du carnet ("Mon carnet pour les haïkus") s'est avérée plus difficile. Aurélien a
effectivement des difficultés de deux ordres qui ont freiné cette utilisation : le geste
graphique de l'écriture lui est malaisé (son écriture est très lente, écrire sur les lignes et pas
très gros lui demande beaucoup d'efforts), et il a des problèmes de repérage visuospatial. (Des
tests spécifiques évaluant une éventuelle dyspraxie visuospatiale allaient être faits un peu plus
tard dans l'année.) J'étais au courant de ces difficultés et je pensais que l'organisation du
carnet par pages bien distinctes les amoindrirait. De plus, dans un premier temps, il n'y avait
pas de phrases à écrire mais seulement des mots. Cependant, Aurélien a eu besoin d'aide pour
l'utilisation de cet outil :
- Pour la copie à la page adéquate des mots trouvés lors des échanges oraux.
- Pour la recherche des mots déjà écrits et à utiliser lors de la phase d'écriture des haïkus.
Je rappelle que le carnet de vocabulaire était organisé par saisons, par mots connus (mots de
dictées précédentes) puis venaient les pages de haïkus produits par les élèves.
De ce fait, après réflexion, pour cet élève, au lieu d'un carnet regroupant les mots de toutes les
saisons, il aurait été préférable de scinder cet outil en feuillets séparés que je lui aurais donnés
en fonction de la saison abordée. Du moins dans un premier temps, avant de regrouper ces
feuillets dans un carnet qu'il aurait gardé, comme les autres élèves, à la fin de la séquence. Le
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carnet n'étant qu'un outil d'aide à la production d'écrits et à la mémorisation. Or pour Aurélien,
son usage a représenté une difficulté.
Une autre option pour cet élève aurait été qu'il n'ait plus rien à recopier tout en gardant le
carnet initial. Ce qui supprimait au moins la difficulté de copie. C'est donc l'option que j'ai
peu à peu choisie puisque j'ai recopié moi-même de nombreux mots et la fin de certains
haïkus écrits soit collectivement, soit par lui-même. Mais en fin de séquence, il souhaitait
cependant écrire lui-même, sans aide. En classe de référence aussi, Aurélien, malgré ses
difficultés avérées, souhaite le plus possible faire comme les autres élèves. Avec le maître de
la classe et lors des équipes éducatives, il avait été décidé de répondre positivement à ce
souhait d'Aurélien à chaque fois qu'il se manifestait.
Concernant encore le carnet, il se trouve que les connaissances culturelles d'Aurélien
évoquées plus haut lui permettaient d'avoir des idées d'écriture sans appui sur le vocabulaire
thématique présent dans le carnet. Les capacités de mémorisation d'Aurélien et la richesse de
ses compétences à l'oral font peut-être justement partie des compensations qu'il a mises en
place suite à ses difficultés spécifiques.
Pour la phase de production d'écrits, la difficulté à dépasser est devenue celle de la
transcription et de la justesse orthographique (puisque moins de mots du carnet ont été
utilisés). Je l'ai alors aidé pour ces tâches de transcription graphophonétique en lui donnant les
mots dont il avait besoin, sans passer par une phase de recherche qui n'était pas l'objectif
prioritaire de la séance.
La lecture à la classe de référence de ses haïkus s'est faite avec un plaisir apparent, comme
pour les autres élèves.
J'étais sous un arbre
Et les feuilles sont tombées
Alors j'ai couru
Aurélien
Des arbres sans feuilles
Des branches qui bougent
Et le ciel d'hiver est bleu
Aurélien
Les haïkus d'Aurélien respectaient toutes les consignes d'écriture : le choix d'une saison par
poème, la notion "d'instant" à écrire, un moment vécu, la référence à la nature et, bien sûr, la
structure en trois vers de ce court poème.
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L'évaluation finale en lecture a montré que des nouveaux mots de la thématique ont été
mémorisés. Lors de la lecture du texte informatif, Aurélien a lu avec aisance les différents
mots rencontrés lors de la séquence. Il a donc pu réinvestir les apprentissages faits dans le
cadre des haïkus à d'autres textes.
Aurélien, comme je l'ai indiqué plus haut avait déjà cette capacité ; de ce fait, l'apport
principal que je me proposais d'offrir lors de ces séquences lui était déjà familier et au vu de
son attitude de plus en plus participative, je pense que ce qui a été le plus fructueux pour
Aurélien est de l'ordre de la mise en confiance, de la stabilisation et de la valorisation de ses
capacités et de ses stratégies d'apprentissage qui lui permettent de compenser par rapport à
d'autres difficultés plus spécifiques. Ceci faisant d'ailleurs partie des objectifs indiqués dans le
projet individuel d'aide spécialisée d'Aurélien (prendre davantage confiance en ses capacités
et participer plus aux échanges verbaux). (Voir annexe 7)
2. Travail de Naïm
Naïm est un élève enthousiaste et cet enthousiasme était présent lors des différentes étapes du
travail. Avec Naïm, j'ai compris que l'appui sur des supports matériels est important pour la
motivation et l'implication. Dès la première séance, il souhaitait apporter les poèmes lus chez
lui. Puis lors de la présentation du "carnet pour les haïkus", il a eu la même demande. J'ai
préféré garder les carnets des élèves dans la salle RASED (pour éviter des oublis) mais il a pu
apporter les poèmes chez lui comme il le souhaitait. Puis en fin de projet, il a également
ramené chez lui les poèmes qu'il allait lire à sa classe. Suivant son élan, pour cette dernière
étape, les quatre élèves ont d'ailleurs pris leurs haïkus chez eux. Naïm a pu lire assez
facilement les premiers haïkus et de façon autonome. Il a effectivement une connaissance
efficiente du code graphophonétique, ce qui l'aide pour le déchiffrage. Par contre, lors de la
phase de production d'écrits, un élément que je n'avais pas anticipé est apparu. Je pensais
qu'en CE1, les élèves avaient une première représentation des saisons sur laquelle ils
pourraient s'appuyer : du temps associé à chacune, des manifestations de la nature, et des
événements qui pouvaient y être liés. Mais j'ai réalisé lors des premières séances de ce projet
haïku que pour trois des élèves sur quatre, les représentations étaient encore floues. Tel élève
pouvait placer la rentrée des classes en hiver par exemple, tel autre pouvait dire que les arbres
perdaient leurs feuilles au printemps… Et c'était le cas de Naïm qui avait peu de repères quant
aux différentes saisons.
Je n'avais pas anticipé cette étape du travail. Mais comme je souhaitais ancrer l'apprentissage
orthographique et sémantique dans un contexte plus large, j'ai choisi de prendre du temps
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pour faire revenir des souvenirs vécus par les élèves (de neige, de plage, de feuilles qui
tombent…) ancrés dans la mémoire épisodique et de les mettre en lien avec des connaissances
plus générales que nous avons construites ou reconstruites ensemble afin d'enrichir et de
compléter la mémoire sémantique. En début de projet, ce travail de structuration et
d'organisation du vocabulaire lié aux saisons et parallèlement, de remémoration d'événements
vécus a sans doute manqué pour la réception des poèmes, pour que cette réception prenne
place et s'organise dans un contexte lexical et culturel précis. Mais c'est vraiment lors de la
phase d'écriture que je m'en suis rendue compte, lors des interactions au sein du groupe.
Malgré cette étape supplémentaire de travail, la phase de production d'écrits est restée plus
délicate pour Naïm.
Nous sommes alors restés proches d'un des haïkus qu'il avait lu pour sa production
individuelle :
Une neige bleue
Doucement nous recouvre
Rentrons maintenant
Arnaud Hug
En fait, Naïm n'osait pas se lancer dans l'écriture. Il me semble qu'il était gêné par l'écriture
poétique. Il était gêné par le peu de contenu narratif que l'écriture d'un haïku demandait. Et
aussi par la mise à l'écart de l'imagination. Étant donné ses difficultés, j'ai travaillé avec lui la
production sous forme de dictée à l'adulte, de façon à ce qu'il puisse rester centré sur l'aspect
créatif dans un premier temps, sans autres difficultés de transcription. En dictée à l'adulte, ses
démarrages d'écriture étaient en lien avec l'activité puis il rajoutait des éléments narratifs et
imaginaires. Je l'arrêtais alors, lui proposant de revenir sur la première image, la première idée
afin de l'organiser sous la forme d'un haïku. Mais au vu de mes remarques, il souhaitait alors
changer d'idée, croyant -me semble-t-il- s'être trompé, croyant que son idée n'était pas
intéressante. Nous avons mis du temps, lors de cet étayage oral, à choisir un instant vécu à
écrire.
Puis il a écrit :
En ouvrant la fenêtre
La neige rentre
Je la prends avec les gants
Naïm
Mais lors de la lecture de son propre haïku, il semblait étonné, voire inquiet. Comme pour la
phase de production d'écrits l'écriture poétique semblait encore le gêner : il ponctuait ses
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lectures d'un regard un peu interrogatif cherchant la validation de l'enseignant. Ceci est peut-
être aussi à mettre en lien avec l'insécurité que semble ressentir Naïm, son manque de
confiance en lui qui était noté dans la fiche de demande d'aide au RASED. Car je n'avais pas
observé la même attitude lors de la lecture des haïkus d'Arnaud Hug présentés en début de
projet. C'est la lecture de son propre haïku qui a fait apparaître cette attitude plus hésitante.
Cependant, Naïm a particulièrement apprécié la lecture des poèmes dans la classe de
référence. D'autant, peut-être, qu'il a présenté sa lecture avec ses autres camarades du groupe.
Lors des questions en fin de projet, il a dit que ce travail l'avait aidé car il avait lu ce qu'il
avait lui-même écrit.
L'évaluation de fin de séquence a montré une recherche de sens beaucoup plus efficace et
palpable qu'en début de période. Naïm reste un peu dans la précipitation lorsqu'il lit à voix
haute, mais pas au détriment du sens. Il y a des "inventions" de mots au milieu d'une phrase
car Naïm passe parfois par une étape de lecture intérieure avant de dire un groupe de mots. A
ce moment-là, il peut substituer un mot à un autre lorsqu'il relit à voix haute, cherchant à en
dégager avant tout le sens global en fonction de ce qu'il a compris en lecture intérieure. Une
partie importante des objectifs du projet d'aide spécialisé a donc été atteint :
Mémoriser un corpus de mots à l'écrit pour faciliter la voie d'adressage et éviter les erreurs de
lecture, afin de garder la cohérence du texte. (Voir annexe 8) Naïm parvient maintenant
nettement à garder le sens du texte.
3. Travail de Kahina
Pour Kahina, toutes les étapes du projet ont eu besoin d'un étayage important.
De plus, Kahina est une élève qui participe très peu à l'oral. Lors de la première séance
cependant, et malgré ses grandes difficultés de lecture, elle a pu rester mobilisée pour le
déchiffrage des premiers haïkus et a même demandé à lire à haute voix. En ce début de
séquence, elle n'est pas autonome dans la lecture, elle a besoin que certaines relations
graphies-phonies lui soient rappelées, notamment celles concernant les sons complexes. Étant
donné ses efforts de décodage, j'ai préféré par la suite lui donner des haïkus déjà rencontrés à
relire, de façon à développer une proximité avec ces courts poèmes. Un des objectifs des
séances était en effet la prise de confiance face à un type d'écrits, grâce à ces rencontres
successives. Il était important que la lecture des haïkus puisse se faire de façon de plus en plus
aisée, afin que Kahina puisse accéder à une dimension plus culturelle et communicationnelle
de l'acte de lire, tournée vers la compréhension et la résonnance intérieure, cognitive et
22
émotionnelle. De plus, ces rencontres successives avec les poèmes permettaient la mise en
place de la mémorisation des mots écrits.
Lors de la première phase d'écriture, elle n'a pas pu écrire une phrase, ni un mot auquel le
haïku lui faisait penser. Je lui ai alors proposé de recopier un des mots, ou un des vers du
poème.
Ah ! Le soleil chaud
Bouquet de coquelicots
Gouttes de sueur
Arnaud Hug
Elle a choisi "le soleil chaud".
Lors de la phase d'écriture collective du premier haïku, ayant observé les difficultés de Kahina
lors de la première production d'écrits d'un commentaire, j'ai proposé comme lanceur
d'écriture les mots qu'elle avait choisis :
"Avec ce soleil chaud"
J'avais pensé que ce début qu'elle disait aimer l'aiderait à proposer des idées.
Néanmoins, elle a très peu participé à cette phase d'écriture, même collective.
C'est le reste du groupe qui a pu continuer le haïku :
Avec ce soleil chaud
Des graines, de la terre et de l'eau
Des fleurs rouges en été
Aurélien - Kahina - Safouane
Puis c'est la seule élève qui n'a pas écrit un poème personnel. J'ai pourtant passé beaucoup de
temps avec elle, en essayant de m'appuyer sur le carnet, les photos, l'album de Arnaud Hug.
J'ai essayé le tutorat aussi mais il n'y a pas pu y avoir d'écriture personnelle et individuelle.
Concernant l'évaluation de fin de projet :
Kahina a très bien relu les poèmes rencontrés lors des séances, et elle a lu avec plus
d'autonomie ceux qu'elle n'avait jamais lus. J'émets donc l'hypothèse que, malgré les
difficultés apparentes, elle s'est familiarisée avec les haïkus. En effet, la lecture du texte
documentaire sur les saisons qui ne comportait pas plus de difficultés de déchiffrage, s'est
faite avec plus de difficultés. Les mots déjà lus lors des poèmes n'ont pas été reconnus. Il n'y a
pas eu le transfert que j'espérais, utilisant la voie d'adressage.
Par contre Kahima a été très positive et enthousiaste lors du bilan oral.
Elle a dit que ce travail l'avait aidée à écrire en classe parce qu'elle avait lu beaucoup de
choses. Les lectures de ce projet effectuées pendant six semaines, étaient toutes en lien les
23
unes avec les autres. En lien aussi avec l'album présenté. Kahima qui pouvait parfois paraître
indifférente à ce qui se passait dans le groupe a d'ailleurs été particulièrement attentive
pendant la lecture de l'album. Je pense que ce lien thématique a été porteur pour elle en lui
donnant confiance et motivation dans la lecture, en créant du lien. Ensuite pourquoi Kahima
n'a-t-elle pas pu passer à la production personnelle ? Et pourquoi Kahima n'a-t-elle pas pu ou
pas su réinvestir dans un autre contexte de lecture les mots des saisons ?
Étant donné ses difficultés d'expression orale, sa timidité, je ne sais pas ce que Kahima avait
comme repères quant aux saisons. Par ailleurs, elle qui est discrète a été très enthousiaste
devant les photos d'arbres que j'avais apportées. Il s'agissait de photos d'un beau livre sur les
arbres. Elle semblait étonnée de plusieurs vues. Peut-être cette élève sort-elle peu de chez elle.
Les autres élèves avaient certes une méconnaissance du cycle des saisons et des variations de
la nature mais ils ont pu faire part de sorties, de moments vécus. Kahima se sentait peut-être
dépourvue d'événements vécus à partager à l'oral et donc à écrire, à exprimer dans une
production écrite. D'ailleurs, tels étaient ses propos : "Je n'ai rien à dire. Je ne sais pas quoi
écrire. Non, je ne pense à rien."
Aurait-il mieux valu s'éloigner des consignes d'écriture des haïkus pour lui faire écrire une
description des photos qu'elle avait appréciées ? Ou partir des haïkus qu'elle lisait de plus en
plus facilement, et lui faire écrire des variantes ? Prendre un haïku de l'hiver, par exemple, et
effectuer les transformations nécessaires pour qu'il devienne un haïku de l'été ou du
printemps, tout en gardant la même structure. Ce qui me semble sûr est qu'avec Kahima, une
telle différenciation au niveau des consignes aurait sans doute été profitable. En plus de la
différenciation dans la quantité d'aide que je lui ai apportée ou dans la forme (présence accrue
des outils, tutorat de ses pairs).
Parmi les objectifs du projet d'aide individualisé, aucun n'a été complètement atteint mais on
constate un progrès : lorsque Kahina peut s'appuyer sur une familiarité liée à des textes de
formes et de thèmes connus, elle utilise de façon plus efficace ses compétences de lectrice.
Sans doute cette familiarité lui apporte-t-elle une confiance supplémentaire, un contenant
rassurant.
4. Travail de Safouane
Safouane a beaucoup participé à l'oral tout au long de cette séquence de travail. C'est l'un des
élèves qui a le plus utilisé les outils proposés. Le carnet, en premier lieu, pour la production
d'écrits. Mais aussi les autres outils présentés lors des séances : des photos de nature et des
haïkus écrits par d'autres enfants issu du livre Mon livre de haïkus Safouane faisait un
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deuxième CE1, et souhaitait progresser, montrait beaucoup de motivation. Parmi ses points
forts, on pouvait noter beaucoup d'organisation dans sa démarche, d'où aussi l'utilisation des
outils proposés. Safouane a été le premier élève à écrire un haïku :
Les arbres plein de neige
Flocons qui dansent
Je vois le soleil transparent
Safouane
Il a écrit l'expression "soleil transparent" en référence à un haïku lu lors de la deuxième
séance :
Soleil ou Lune
Le ciel d’hiver se trompe
La nuit choisira
Arnaud Hug
La lecture de ce poème avait mis des mots sur le soleil d'hiver qui ressemble parfois à la lune.
Nous avions pu alors aborder ensemble la marge de liberté d'expression que l'écriture
poétique permet. Ainsi que le cite le document-ressource Éduscol, la poésie à l'école du
ministère de l'éducation nationale: "La poésie, c’est la «capacité de faire parler la langue
comme personne pour tout le monde » (Alain Borer)."
Et pour Safouane, l'expression qui convenait pour décrire ce phénomène qu'on observe parfois
lorsque le soleil d'hiver devient blanc était "soleil transparent".
Je reprends à nouveau un extrait du même document d'Éduscol :
"L'observation plus ou moins minutieuse de cette liberté et de ce que cette liberté permet de
dire rassemble alors deux ambitions essentielles de l'enseignement du français : enrichir les
moyens langagiers des élèves et subordonner ces moyens à leur compréhension ou à leur dire
propres."
Le premier haïku lu avait joué son rôle de révélateur du quotidien et de voie vers la création
poétique. Il avait mis des mots sur un instant vécu et avait permis, par la verbalisation au sein
du groupe, par le partage des souvenirs, de créer d'autres mots plus personnels pour exprimer
la façon dont ce quotidien peut être différemment reçu et exprimé. On touchait donc là à
quelque chose de spécifiquement poétique : l'utilisation personnelle des mots de la langue et
la création de nouvelles associations de mots pour l'expression d'un ressenti.
Par la suite, Safouane a écrit un haïku un peu plus narratif :
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Avec ma famille
Je suis allé dans la forêt
J'ai vu des champignons, des châtaignes
Safouane
On voit ici l'appui apporté par le carnet car les mots "forêt", "champignons", "châtaignes"
étaient à la page "des mots pour l'automne".
Cet haïku a été écrit lors de la dernière séance d'écriture. Nous travaillions alors depuis deux
ou trois séances sur un travail presque exclusif de production d'écrits. Je me suis rendue
compte en observant les écrits des élèves que tout en respectant les consignes (un instant
réellement ressenti, vécu lors d'une saison particulière et évoquant la nature), ils s'éloignaient
un peu d'un écrit aux résonnances plus poétiques, alors qu'au début, la liberté poétique prise
par les élèves me semblait plus palpable. Cependant, nous lisions moins de haïkus sur les
dernières séances. L'imprégnation poétique était donc moindre.
De plus, lors des deuxième et troisième séances, pour mieux faire comprendre le sens de ces
écrits poétiques, j'avais apporté l'album, Haïku, le géant des saisons. Ceci avait porté
également la prise de liberté d'écriture. En effet, c'est un album qui précise le sens de l'écriture
d'un haïku : noter en quelques mots, en une image, un ressenti, un tout petit moment vécu
dont l'évocation imagée nous place près de la nature et lors d'une saison particulière. Et
l'histoire de cet album, la présence d'une enfant, héroïne de l'histoire, ses illustrations ont été
propices à l'écoute intérieure qui peut favoriser une liberté poétique.
Lors de l'évaluation de fin de projet, les progrès de Safouane les plus importants concernaient
la production d'écrits. Auparavant, il arrivait à Safouane d'écrire des mots phonétiquement
loin des mots qu'il souhaitait écrire. Ce travail de production avec l'aide du carnet, lui a permis
de mieux contrôler son écriture dans la mesure où dans le carnet, pour trouver le mot à écrire,
il devait auparavant le lire. Ceci l'a encouragé à relire aussi ses productions et à davantage
faire le lien écriture-lecture. Même en lecture, il avait pris plus d'aisance. Il l'a d'ailleurs senti
puisqu'en fin de projet, il a dit avoir fait beaucoup de progrès. Mais il signifiait aussi qu'il
avait encore besoin de travailler beaucoup de sons. Safouane avait bien compris que le travail
fait ensemble ne concernait pas un travail spécifique sur les sons. Ce qui lui a visiblement
manqué par ailleurs, peut-être pour se sentir plus autonome, lui qui est dans ce souci de
progrès et de construction de ses apprentissages. La voie d'adressage que je me proposais de
travailler plus spécifiquement est effectivement plus dépendante des lectures déjà faites.
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Étant donné les progrès de Safouane, notamment quant aux objectifs spécifiques du projet
d'aide, mais aussi ses progrès observés en classe, la prise en charge E s'est arrêtée à la suite de
ces séances.
b) Synthèse en regard des hypothèses de départ
La première hypothèse était :
La lecture de textes poétiques courts permet une mise en exergue des mots et aide à la
mémorisation. D'autant plus si le choix des textes poétiques permet de travailler sur des
champs lexicaux particuliers.
J'ai observé chez les élèves un réel intérêt pour les premières lectures des haïkus d'Arnaud
Hug. Le premier haïku lu a même été - pour trois des élèves sur quatre - celui qui est resté le
préféré jusqu'à la fin de la séquence. De façon nette, certaines expressions et certains mots du
vocabulaire présent les ont marqués. Ainsi que j'ai pu l'observer lors des évaluations finales,
leur lecture dans d'autres textes s'en est effectivement trouvée facilitée. Il semble évident que
ces courts poèmes permettaient d'éviter une surcharge cognitive, que ce soit au niveau du sens
comme du déchiffrage. De plus, les éléments syntaxiques étaient assez simples, il y avait peu
de phrases complexes qui demandent en plus de la compréhension des mots une construction
cognitive temporelle et/ou logique. Il m'est difficile de dire si d'autres types de textes très
courts auraient eu le même effet facilitateur pour des lectures ultérieures. Je peux imaginer
que des phrases de publicité, par exemple, ou de courtes devinettes auraient de même permis
une focalisation sur du vocabulaire spécifique d'autres thèmes. Pour certains élèves, ceci
aurait même peut-être été plus porteur. Comme je l'ai dit plus haut, la thématique des saisons
n'était pas si familière de plusieurs de ces élèves de CE1. De plus, une des élèves avaient
même peu d'images visuelles de la nature. Je pensais pouvoir m'appuyer sur du lexique oral
pour cheminer vers une mémorisation du lexique écrit du thème des saisons. Mais le lexique
oral n'était pas encore accessible et précis. Par contre, ce qui a été intéressant est que, de fait,
un lien a été fait d'emblée entre la dimension littéraire poétique et la dimension d'un vécu
quotidien. La rencontre avec ces poèmes a permis une rencontre avec l'écrit concomitante de
la mise en place de vocabulaire oral.
Cependant, lors des phases de production d'écrit, j'ai remarqué que sans appui du carnet,
malgré la copie des mots qui avait été faite et leur classification par saison qui avait nécessité
une attention particulière, leur réutilisation à l'écrit ne pouvait se faire sans erreurs
d'orthographe lexicale. Donc la reconnaissance des mots en lecture était présente, mais la
27
récupération en mémoire de l'orthographe de ces mots pour leur écriture n'était pas encore
possible ; comme je le dirai plus tard, un travail de mémorisation active aurait été nécessaire.
Concernant maintenant la deuxième hypothèse :
L'utilisation au cours des séances en groupe E, d'un outil organisant le matériel lexical,
permet de consolider l'apprentissage de ces mots rencontrés. Notamment par le
réinvestissement en situation de production d'écrits des mots recopiés sur cet outil lors des
lectures.
Comme je viens de le dire, malgré l'utilisation d'un outil regroupant et organisant le
vocabulaire travaillé, la mémorisation orthographique des mots rencontrés et lus, même à de
multiples reprises, n'a pas été efficiente en activité de production d'écrits.
Par contre, en dehors du cas particulier d'Aurélien qui présente des difficultés spécifiques de
repérage visuospatial, l'utilisation du carnet comme aide orthographique a été fructueuse et
rassurante pour les élèves. Peu à peu, au lieu de me demander, ils allaient eux-mêmes
chercher les mots à écrire et ont vite compris qu'ils pouvaient également noter ceux que je leur
donnais lorsqu'ils n'y étaient pas encore.
Il se trouve que j'ai eu l'occasion de faire une séance autour des haïkus dans la classe de
référence des élèves. (Il ne s'agissait pas de la séance de transfert en classe. Je parlerai de
celle-ci dans le paragraphe suivant.) Une fois la présentation effectuée de ce type de poésie
particulier, j'ai choisi une saison et nous avons commencé, en groupe classe, l'écriture d'un
haïku. A ce moment-là, les élèves du groupe E qui étaient présents dans la classe ont tout de
suite proposé de lire les mots du carnet qui correspondaient à la saison choisie.
J'ai compris grâce à cette attitude que l'utilisation du carnet n'était pas tout à fait celle que
j'avais envisagée :
Pour moi, cet outil permettrait une organisation lexicale au service de la mémorisation. Mais
je n'ai pas assez travaillé la mémorisation des mots pour que ce but soit atteint. J'avais prévu
au départ d'inclure dans les séances du projet haïku une partie plus technique d'apprentissage
puis de dictée de ces mots mais je n'en ai pas eu le temps. De plus, pour provoquer un effort
de remémoration, j'aurais pu également faire une séance avec pour consigne d'essayer de
retrouver l'orthographe d'un mot avant d'aller chercher dans le carnet. J'avais dans l'intention
cette optique de mémorisation mais je n'ai pas mis en œuvre les stratégies qui auraient
développé cet apprentissage. Et les connaissances des élèves de CE1 en difficulté sont encore
trop fragiles pour qu'il puisse le faire de façon autonome.
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Alors pour les élèves, cet outil a vraiment joué le rôle d'une aide à l'écriture (au niveau de
l'orthographe), et parfois à la venue des idées d'écriture.
Je dirais donc que l'utilisation de cet outil a favorisé l'utilisation de vocabulaire nouveau, qu'il
a mis les élèves dans une dynamique d'autonomie. Et qu'il a sans doute aidé à améliorer les
compétences de la voie d'adressage pour les mots qui y étaient contenus. Pour une
mémorisation de ces mots efficace en production d'écrits, il aurait fallu consacrer plus de
temps spécifique aux procédures qui y auraient conduit, et à l'explicitation de ces procédures.
Et bien que le carnet de vocabulaire, "le carnet pour les haïkus" soit un outil de dé-
contextualisation, il aurait sans doute été intéressant d'y faire figurer les haïkus d'Arnaug Hug.
J'avais choisi d'y faire figurer seulement les haïkus écrit par les élèves. Les premières pages
étant donc seulement des pages de "dictionnaire thématique" en quelque sorte. Après
réflexion, j'aurais pu inclure les haïkus dont été extraits les mots en face de chaque page
correspondant aux mots d'une saison. Le lien contextuel aurait de ce fait était présent dans le
carnet, et pas seulement dans le cheminement des séances. Or la mise en relation aide toujours
la mémorisation à long terme. Et voir le mot écrit à la fois dans le poème lu et de façon plus
décontextualisé dans la page de "dictionnaire" aurait pu soutenir un travail de mémorisation
orthographique accessible en production.
Revenons maintenant sur la dernière hypothèse :
La lecture de ses propres textes poétiques, notamment lors de la séance de transfert en
classe, et les retrouvailles avec ces mots travaillés au long des séances motivent la
recherche de sens dans l'acte de lire et la confiance en soi.
De façon nette, cette hypothèse me paraît validée. De deux façons :
L'évaluation finale de tous les élèves montre un intérêt porté au sens des textes lus, que ce
soit des haïkus nouveaux ou des textes informatifs autour du thème travaillé (le thème des
saisons et de la nature). Les quatre élèves sont arrivés à mettre leurs techniques de lecture
au service de la compréhension. Compréhension que j'ai vérifiée à l'aide de quelques
questions à l'issue des lectures. Bien sûr, il faut aussi prendre en compte les progrès
généraux des élèves durant ces sept semaines, leur évolution au sein de la classe, et tout le
travail de lecture, de consolidation des relations graphies-phonies qui y a été fait. Comme
je l'ai précisé plus haut, pour Kahima, la lecture des haïkus de l'évaluation finale s'est faite
plus aisément que celle des textes informatifs et comme elle l'a dit, écrire elle-même l'aide
à lire. On peut donc estimer que retrouver un même type de texte que celui qui a été écrit
(collectivement dans le cas de cette élève) est un facteur de mise en confiance dans la
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mise en œuvre des capacités de lecture. Se retrouver "en terrain connu" en quelque sorte
permet un allégement du travail cognitif. Les questions quant au type de texte et ce qu'on
peut en attendre sont écartées : Kahima, avant de lire un nouveau haïku savait qu'il
s'agirait, comme pour les autres petits poèmes, de l'évocation d'un instant vécu dans la
nature. Même si elle n'a pas pu en écrire un individuellement, elle connaissait les
consignes d'écriture.
La séance du retour en classe a été un réel bonheur partagé. C'est un moment que les
élèves ont pris en considération : je leur avais donné en début de semaine une feuille
regroupant les haïkus qu'ils liraient. Le jour même, en fin de semaine, j'avais quand même
préparé une autre feuille au cas où l'un ou plusieurs d'entre eux auraient oublié leurs
poèmes chez eux. Mais aucun ne les avait oubliés. Et ainsi qu'ils me l'ont dit et que je leur
avais proposé, ils avaient révisé leur lecture chez eux. Toutes les lectures se sont faites
ensuite de façon fluide puis ils ont partagé avec les autres élèves le cheminement de ce
travail qu'ils venaient de présenter.
De mon côté d'enseignante spécialisée, j'ai senti que ce moment avait pris une grande
importance à leurs yeux. Et qu'il avait validé leurs compétences de lecteurs. Ils ont dit
eux-mêmes lors du questionnaire de fin de séance : "lire ce qu'on écrit, c'est plus facile et
ça aide pour lire d'autres choses, parce qu'on a bien lu". Dès la séance suivante, Naïm a
d'ailleurs demandé s'il pourrait lire en classe une autre fois.
Conclusion
Pour conclure mon mémoire, je vais reprendre ma problématique de départ :
En quoi l'enrichissement de vocabulaire thématique dans un travail autour de la poésie
peut-il aider des élèves en grandes difficultés de lecture et d'écriture à progresser dans
ces domaines de la langue écrite, dans le cadre d'une prise en charge E ?
Au vu de la confrontation entre mes hypothèses de départ et l'évolution des élèves au long de
la séquence de travail, je pense que ces séances autour du vocabulaire ont aidé les élèves pris
en charge dans le cadre de ce projet à prendre confiance en leurs aptitudes de lecteur et de
scripteur par l'apport de repères à la fois lexicaux et culturels, grâce à cet accent placé sur la
connaissance des mot liés à un thème particulier. Par contre, j'ai réalisé lors des séances axées
sur la production d'écrit que certains élèves faisaient se succéder les mots travaillés sans prise
en compte suffisante de la construction syntaxique. Or il est important aussi de leur apporter
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des outils et des activités leur permettant de travailler sur les relations syntaxiques dans les
phrases et l'organisation textuelle. Ce pourra être l'objet d'une autre étape.
D'autre part, je souhaite aussi approfondir l'appui sur les outils, à l'image de l'utilisation du
carnet pour les haïkus. Lors de ce projet, j'ai compris combien la présence d'un outil peut
soutenir la mise en place de procédures et de méthodes de travail. L'appui sur un outil
construit ensemble permet à l'élève d'acquérir une autonomie faisant suite à l'étayage apporté
lors des séances en groupe E et lui permet de faire le lien entre le travail du groupe et son
travail dans la classe de référence. Pour ce faire, il sera important dans mes prochains projets
de continuer à collaborer avec le maître ou la maîtresse de référence afin qu'au-delà de la
séance de retour en classe, les élèves puissent s'approprier les outils proposés sur du long
terme dans leur classe, autant qu'ils en ont besoin.
Enfin, je finis en précisant que ce temps d'écriture du mémoire m'a permis de prendre
davantage conscience des liens et des maillages qui sous-tendent les préparations des séances
pour les élèves, puis leur réalisation. Cette prise de conscience me permet de structurer
certaines idées intuitives, voire de les modifier et de les rendre plus accessibles pour la suite
de mon travail de maître E.
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BIBLIOGRAPHIE et SITOGRAPHIE
Références officielles citées dans le mémoire
Ministère de l'éducation nationale :
- Circulaire n° 2009-088 du 17 juillet 2009 (B.O. n° 31 du 27 août 2009)
- Programmes d'enseignement de l'école primaire de 2002 (B.O. de l'éducation nationale
hors-série n°1 du 14 février 2002)
- Document-ressource du ministère de l'éducation nationale La poésie à l'école Éduscol
(mars 2004, à jour 2010)
-
Site du ministère de l'éducation nationale :
Les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté
(http://www.education.gouv.fr/cid24444/les-reseaux-d-aides-specialisees-aux-eleves-en-
difficulte-rased.html)
Site de l'académie de Montpellier :
Fonctionnement du RASED (http://webetab.ac-montpellier.fr/IEN34
10/IMG/pdf/FONCTIONNEMENT_DU_RASED.pdf)
Références d'ouvrages ou de documents provenant de sites d'Internet cités dans le
mémoire
Document issu d'une animation pédagogique de Jocelyne BIDARD, conseillère pédagogique,
IEN Asnières : "Arts, musique et littérature" (Site internet : http://www.ien-asnieres.ac-
versailles.fr/IMG/pdf/animation_Arts_musique_et_litterature_mercredi_11_janvier.pdf)
Actes du colloque d'Aix de 2005 de l'AIRDF (Association Internationale pour la Recherche
en Didactique du Français d’Aix)
Texte de M. Favriaud, C. Escuillié et N. Panissal : « Une étoile qui était en difficulté de
lecture - ou : pour une écologie de la poésie au service de l’apprentissage de la lecture »
(http://www.fse.ulaval.ca/litactcolaix/auteurs/esc-fav-pan.pdf)
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Le vocabulaire et son enseignement Des outils pour structurer l’apprentissage du vocabulaire
Micheline Cellier, Éduscol, ressources pour l'école primaire, 2011
(http://media.eduscol.education.fr/file/Dossier_vocabulaire/57/6/Micheline_Cellier_111202_
C_201576.pdf)
Apprendre... oui, mais comment, Philippe MEIRIEU, Paris, ESF éditeur, 1ère édition 1987,
21ème édition 2009 (194 pages).
Jeu et réalité, D.W.WINNICOTT, Gallimard, 1975 (pour la traduction française), 212 p.
Mon livre de haïkus, J. H. Malineau et J. Coat, Ed. Albin Michel Jeunesse 2012
Haïku, le géant des saisons, Arnaud Hug, Alice Éditions, 2008
ANNEXES
Évaluations de départ :
Annexe 1 : lecture du Batelem-R
Annexe 2 : lecture de logatomes
Annexe 3 : dictée du Batelem-R (feuilles des élèves)
Demande d'aide au RASED :
Annexe 4 : Un exemple de demande d'aide au RASED
Outil pour les élèves :
Annexe 5 : Mon carnet pour les haïkus
Évaluation de fin de projet :
Annexe 6 : Évaluation de fin de projet (lecture)
Exemples de projets d'aide spécialisée :
Annexe 7 : Projet d'aide spécialisée d'Aurélien
Annexe 8 : Projet d'aide spécialisée de Naïm
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