Un commentaire sur « Le musée, agent de communication »

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James Porter Un commentawe sur Le musée, agmt & communication I1 y a beaucoup d'idées intéressantes dans B Le musée, agent de communication )). En tant que codirecteur du stage internatio- nal auquel s'adressait sir Roy Strong, je peux témoigner que l'effet qu'il a produit sur les professeurs de muséologie venus de dix-huit pays fut (( extrêmement stimulant l. Sa description du rôle de directeur de musée reflète la manière très efficace et brillante dont il a lui-même rempli cette fonction. L'importance qu'il attache à la publicité et aux musées en tant que bâtiments à usages multiples et le fait d'inciter les musées à tenir une place centrale, tout cela est extrêmement précieux. Pourtant, défendant au départ la conception respectable selon laquelle les musées devaient se faire les gardiens et les promo- teurs de tous les points de vue sans privilégier l'un par rapport à l'autre, il a rapidement révisé son ordre de priorité pour parler de la nécessité de prendre des décisions courageuses qui ne soient pas démagogiques. Cela l'amena à parler des (( alpinistes 1) qui accèdent au musée aussi bien au niveau scolaire qu'universitaire ou postuniversitaire. Cette référence est révélatrice dans la mesure plus de 90% des adultes britanniques n'atteindront ni le niveau pré-universitaire ni post-universitaire. Il défend la conception qui veut que le musée soit le lieu par excellence de la perfection et pense qu'il n'y a aucune raison de vouloir s'ex- cuser du fait que la grande majorité des visiteurs ont un très haut niveau d'éducation. Je veux souligner que, si le point de vue adopté par sir Roy peut être défendable quand il émane du directeur (( du plus beau et du plus riche musée en matière d'arts décoratifs )), il ne l'est plus quand il s'agit de la grande majorité des musées du Royaume-Uni et des autres pays du monde. Le problème n'est pas .de prendre une décision qui ne soit n? démagogique ni élitiste ; le vrai défi est de prendre une décision courageuse qui soit (( populaire sans pour autant amputer la qualité du mes- sage que le musée a pour vocation de transmettre. La conception selon laquelle le musée est d'abord et avant tout un lieu oh l'on se contente de sélectionner et de collection- ner les plus belles choses puis de les garder, selon l'expression de Veblan, (( comme des témoins de la connaissance dans un lieu frais et sec )>, est totalement en contradiction avec l'esprit qui a conduit à l'organisation du musée comme institution au XIX~ siècle et qui a poussé les pouvoirs publics et les mécènes à le maintenir aujourd'hui. I1 est évident que le musée possède des objets de valeur qu'il doit partager. C'est précisément ce partage qui est la vocation propre du musée et qui justifie la nomination du personnel, l'entretien du bâtiment et la poursuite de la triple activité du musée : collectionner, préserver, communiquer. Le musée a besoin du spécialiste, d'une personne qui rassem- ble, identifie et conserve, mais le signe le plus important de la réussite et de la pertinence d'un musée est sa capacité de faire apprécier sa collection et de prendre part à ce vaste et populaire mouvement d'éducation qui s'est fait jour au XIX~ siècle dans le monde occidental et qui est maintenant universel. Une collec- tion ne fait pas plus un musée qu'une bibliothèque ne fait une université. C'est très exceptionnellement qu'une université est justifiée par sa seule fonction d'institution vouée à l'enseigne- ment et à l'apprentissage. Aussi doués que soient les professeurs et aussi excellent que soit le matériel de laboratoire, la finalité de l'université est de mettre ces ressources au service de l'éducation. C'est pourquoi, aussi compétents que soient les conservateurs et aussi complètes et sélectionnées que soient les rangées d'objets d'art dans les rayons, la vocation du musée est de présenter sa collection et d'aider le public à participer et apprécier les aspects particuliers de la culture qu'ils représentent. Le musée n'est pas seulement un endroit pour héberger une collection d'objets pré- cieux susceptibles d'être contemplés par une poignée de badauds érudits, sa fonction cardinale est de communiquer. I1 ne s'agit pas d'une option mais d'une préoccupation centrale dont décou- lent toutes les autres considérations. Tout en s'attachant au passé, le musée contemporain devrait aussi éclairer le présent, nous rendre capables de le comprendre. A ce sujet, la comparaison avec l'université se révèle assez inté- ressante. Ayant fait une partie de ma carriire dans l'enseigne- ment supérieur, je suis sensible au fait qu'une des plus merveil- leuses particularités du musée est que, par essence, ses portes sont ouvertes à tous, sans distinction d'âge ou de qualifications antérieures et indépendamment de toute connaissance particu- lière. Les systèmes éducatifs tendent à revêtir les formes d'une course d'obstacles, les barrières devenant de plus en plus hautes à mesure que les individus s'efforcent de poursuivre leur instruc- tion dans le système officiel. L'accès à la connaissance est limité, soit par le manque de ressources financières, soit par l'impossibi- lité d'atteindre des normes arbitraires. Le plaisir qu'offre le musée, semblable à celui qu'offrent les parcs et les bibliothèques, c'est qu'il est ouvert, accessible et qu'il appartient à tous. Tous les musées ont leur public d'habitués qui jouissent, par leur fréquentation, des bienfaits précieux et inépuisables. Toute- fois, il n'est pas étonnant que partout dans le monde les musées connaissent leur plus grande période d'activité pendant le week-end, quand les gens peuvent saisir l'occasion de bénéficier de leur propre centre culturel. Ce sont les personnes dont la connaissance et la compréhension du monde reposent sur des bases précaires et qui ont une expérience culturelle limitée qui, pour le personnel du musée, présentent le plus d'intérêt. I1 n'est pas normal que la grande majorité des visiteurs soit constituée de personnes qui ont déjà accédé à un certain niveau d'éduca- tion, plutôt que des personnes qui appartiennent à la grande majorité de la population : celles qui ont rarement eu la possibi- lité de développer leur propre compréhension du monde. Le musée peut représenter un contrepoids non négligeable au déséquilibre éducatif dominant, qui tend de plus en plus à récompenser ceux qui ont déjà pu bénéficier de la plus grande part des ressources et qui donne si peu à la majorité qui ne profite d'aucun des bienfaits des prestations éducatives officielles après qu'elle eut quitté l'école. Ainsi le véritable rôle du musée est donc d'être, pour tous, un centre de rayonnement du patrimoine culturel et de la vie con- temporaine. C'est une vérité qu'on tend trop souvent à oublier. [Tradgit de l'anglais] 1. (( Les musées et 1'6ducation u, séminaire organisé par le British Council au Commonwealth Institute, juin 1982. Dirigé par James Porter, directeur du Commonwealth Institute et Max Hebditch. directeur du Museum of London.

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James Porter

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I1 y a beaucoup d'idées intéressantes dans B Le musée, agent de communication )). En tant que codirecteur du stage internatio- nal auquel s'adressait sir Roy Strong, je peux témoigner que l'effet qu'il a produit sur les professeurs de muséologie venus de dix-huit pays fut (( extrêmement stimulant l. Sa description du rôle de directeur de musée reflète la manière très efficace et brillante dont il a lui-même rempli cette fonction. L'importance qu'il attache à la publicité et aux musées en tant que bâtiments à usages multiples et le fait d'inciter les musées à tenir une place centrale, tout cela est extrêmement précieux.

Pourtant, défendant au départ la conception respectable selon laquelle les musées devaient se faire les gardiens et les promo- teurs de tous les points de vue sans privilégier l'un par rapport à l'autre, il a rapidement révisé son ordre de priorité pour parler de la nécessité de prendre des décisions courageuses qui ne soient pas démagogiques. Cela l'amena à parler des (( alpinistes 1) qui accèdent au musée aussi bien au niveau scolaire qu'universitaire ou postuniversitaire. Cette référence est révélatrice dans la mesure où plus de 90% des adultes britanniques n'atteindront ni le niveau pré-universitaire ni post-universitaire. Il défend la conception qui veut que le musée soit le lieu par excellence de la perfection et pense qu'il n'y a aucune raison de vouloir s'ex- cuser du fait que la grande majorité des visiteurs ont un très haut niveau d'éducation.

Je veux souligner que, si le point de vue adopté par sir Roy peut être défendable quand il émane du directeur (( du plus beau et du plus riche musée en matière d'arts décoratifs )), il ne l'est plus quand il s'agit de la grande majorité des musées du Royaume-Uni et des autres pays du monde. Le problème n'est pas .de prendre une décision qui ne soit n? démagogique ni élitiste ; le vrai défi est de prendre une décision courageuse qui soit (( populaire sans pour autant amputer la qualité du mes- sage que le musée a pour vocation de transmettre.

La conception selon laquelle le musée est d'abord et avant tout un lieu oh l'on se contente de sélectionner et de collection- ner les plus belles choses puis de les garder, selon l'expression de Veblan, (( comme des témoins de la connaissance dans un lieu frais et sec )>, est totalement en contradiction avec l'esprit qui a conduit à l'organisation du musée comme institution au X I X ~ siècle et qui a poussé les pouvoirs publics et les mécènes à le maintenir aujourd'hui. I1 est évident que le musée possède des objets de valeur qu'il doit partager. C'est précisément ce partage qui est la vocation propre du musée et qui justifie la nomination du personnel, l'entretien du bâtiment et la poursuite de la triple activité du musée : collectionner, préserver, communiquer.

Le musée a besoin du spécialiste, d'une personne qui rassem- ble, identifie et conserve, mais le signe le plus important de la réussite et de la pertinence d'un musée est sa capacité de faire apprécier sa collection et de prendre part à ce vaste et populaire mouvement d'éducation qui s'est fait jour au X I X ~ siècle dans le monde occidental et qui est maintenant universel. Une collec- tion ne fait pas plus un musée qu'une bibliothèque ne fait une université. C'est très exceptionnellement qu'une université est justifiée par sa seule fonction d'institution vouée à l'enseigne- ment et à l'apprentissage. Aussi doués que soient les professeurs

et aussi excellent que soit le matériel de laboratoire, la finalité de l'université est de mettre ces ressources au service de l'éducation.

C'est pourquoi, aussi compétents que soient les conservateurs et aussi complètes et sélectionnées que soient les rangées d'objets d'art dans les rayons, la vocation du musée est de présenter sa collection et d'aider le public à participer et apprécier les aspects particuliers de la culture qu'ils représentent. Le musée n'est pas seulement un endroit pour héberger une collection d'objets pré- cieux susceptibles d'être contemplés par une poignée de badauds érudits, sa fonction cardinale est de communiquer. I1 ne s'agit pas d'une option mais d'une préoccupation centrale dont décou- lent toutes les autres considérations.

Tout en s'attachant au passé, le musée contemporain devrait aussi éclairer le présent, nous rendre capables de le comprendre. A ce sujet, la comparaison avec l'université se révèle assez inté- ressante. Ayant fait une partie de ma carriire dans l'enseigne- ment supérieur, je suis sensible au fait qu'une des plus merveil- leuses particularités du musée est que, par essence, ses portes sont ouvertes à tous, sans distinction d'âge ou de qualifications antérieures et indépendamment de toute connaissance particu- lière. Les systèmes éducatifs tendent à revêtir les formes d'une course d'obstacles, les barrières devenant de plus en plus hautes à mesure que les individus s'efforcent de poursuivre leur instruc- tion dans le système officiel. L'accès à la connaissance est limité, soit par le manque de ressources financières, soit par l'impossibi- lité d'atteindre des normes arbitraires. Le plaisir qu'offre le musée, semblable à celui qu'offrent les parcs et les bibliothèques, c'est qu'il est ouvert, accessible et qu'il appartient à tous.

Tous les musées ont leur public d'habitués qui jouissent, par leur fréquentation, des bienfaits précieux et inépuisables. Toute- fois, il n'est pas étonnant que partout dans le monde les musées connaissent leur plus grande période d'activité pendant le week-end, quand les gens peuvent saisir l'occasion de bénéficier de leur propre centre culturel. Ce sont les personnes dont la connaissance et la compréhension du monde reposent sur des bases précaires et qui ont une expérience culturelle limitée qui, pour le personnel du musée, présentent le plus d'intérêt. I1 n'est pas normal que la grande majorité des visiteurs soit constituée de personnes qui ont déjà accédé à un certain niveau d'éduca- tion, plutôt que des personnes qui appartiennent à la grande majorité de la population : celles qui ont rarement eu la possibi- lité de développer leur propre compréhension du monde.

Le musée peut représenter un contrepoids non négligeable au déséquilibre éducatif dominant, qui tend de plus en plus à récompenser ceux qui ont déjà pu bénéficier de la plus grande part des ressources et qui donne si peu à la majorité qui ne profite d'aucun des bienfaits des prestations éducatives officielles après qu'elle eut quitté l'école.

Ainsi le véritable rôle du musée est donc d'être, pour tous, un centre de rayonnement du patrimoine culturel et de la vie con- temporaine. C'est une vérité qu'on tend trop souvent à oublier.

[Tradgit de l'anglais] 1. (( Les musées et 1'6ducation u, séminaire organisé par le British Council

au Commonwealth Institute, juin 1982. Dirigé par James Porter, directeur du Commonwealth Institute et Max Hebditch. directeur du Museum of London.