Tribunal administratif du Grand-Duché de …1 Tribunal administratif N 25295 du rôle du...
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Tribunal administratif N° 25295 du rôle
du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 janvier 2009
3e chambre
Audience publique du 12 janvier 2010
Recours formé par la société anonyme ... S.A.,
contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines
en matière de contentieux électoral pour la désignation des délégués du personnel
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 25295 du rôle et déposée au greffe du tribunal
administratif le 19 janvier 2009 par Maître Claudie Henckes-Pisana, inscrite au tableau de
l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme ... S.A., établie et ayant son
siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions,
tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 18
décembre 2008 en ce qu’il a déclaré nulles les opérations électorales du 12 novembre 2008 ayant
eu lieu au sein de ladite société pour la désignation des délégués du personnel ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre Biel du 21 janvier 2009 demeurant à L-1370
Luxembourg, 126, Val Sainte Croix, portant signification de ce recours à Monsieur ..., demeurant
à B-… ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2009 par
le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2009 par
Maître Sabrina Martin au nom de Monsieur ... ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2009 par
Maître Claudie Henckes-Pisana ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2009 par
Maître Sabrina Martin au nom de Monsieur ... ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, Maître Claudie Henckes-Pisana, Maître Fatiha
Dahou en remplacement de Maître Sabrina Martin et Madame le délégué du gouvernement Betty
Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 juillet 2009.
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Vu l’avis du tribunal administratif du 15 juillet 2009 prononçant la rupture du délibéré et
ordonnant à la partie demanderesse de mettre en intervention, moyennant signification à
personne, à domicile ou à domicile élu, en leur qualité de tiers intéressé, tous les candidats aux
élections pour la désignation d’une délégation du personnel ayant eu lieu au sein de la société
anonyme ... ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilbert Rukavina du 28 juillet 2009 demeurant à
Diekirch, portant signification de ce recours à Messieurs ..., demeurant à B-…, ..., demeurant à L-
…, ..., demeurant à L-… ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Alex Mertzig du 24 août 2009 demeurant à Diekirch,
portant signification de ce recours à Messieurs ..., ..., ... ayant élu domicile auprès de leur
employeur, la société anonyme ... ;
Vu le mémoire déposé au greffe du tribunal administratif le 22 septembre 2009 par Maître
Catherine Thill-Kamitaki au nom de Messieurs ..., ..., ..., ..., ... et ... ;
Vu le mémoire déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2009 par Maître
Sabrina Martin au nom de Monsieur ... ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, Maître Bénédicte Daoût-Feuerbach en
remplacement de Maître Sabrina Martin, Maître Claudie Henckes-Pisana, Maître Catherine Thill-
Kamitaki et Monsieur le délégué du gouvernement Marc Mathékowitsch en leurs plaidoiries
respectives à l’audience publique du 28 octobre 2009 ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 12 novembre 2009 prononçant la rupture du
délibéré et invitant les parties à prendre des mémoires supplémentaires ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 8 décembre
2009 par Maître Claudie Henckes-Pisana au nom de la société ... S.A.
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 8 décembre
2009 par Maître Catherine Thill-Kamitaki au nom de Messieurs ..., ..., ..., ..., ... et ... ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre
2009 par Maître Sabrina Martin au nom de Monsieur ... ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, Me Bénédicte Daoût-
Feuerbach en remplacement de Maître Sabrina Martin, Maître Sabine Delhaye-Delaux en
remplacement de Maître Claudie Henckes-Pisana et de Maître Catherine Thill-Kamitaki, ainsi
que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à
l’audience publique du 16 décembre 2009.
Le 12 novembre 2008, des élections pour la désignation des délégués du personnel ont été
organisées au sein de la société anonyme ... S.A. ci-après « la société ... ».
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Par un courrier du 27 novembre 2008, Monsieur ..., candidat du syndicat ..., introduisit
auprès du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines, ci-après « le directeur », une
contestation relative à la régularité des opérations électorales ayant eu lieu le 12 novembre 2008,
en application de l’article 39 du règlement grand-ducal modifié du 21 septembre 1979 concernant
les opérations électorales pour la désignation des délégués du personnel.
Il fit valoir en substance 5 contestations, à savoir l’absence d’un bureau de vote complet
pendant les opérations électorales, l’absence d’une urne, l’absence d’instructions de vote, le fait
qu’une grande partie des chauffeurs-routiers aurait été privée de leur droit de vote et le fait que
l’employeur aurait empêché un vote démocratique.
Suivant décision du 18 décembre 2008, le directeur déclara la contestation relative à
l’absence d’un bureau de vote complet recevable, déclara les autres contestations non fondées et
en fin de compte déclara les opérations électorales pour la désignation des délégués du personnel
dans la société ... nulles.
La décision directoriale est libellée comme suit :
« Vu l'article L.417-3(1) du Code du travail ;
Vu l'article 39 du règlement grand-ducal modifié du 21 septembre 1979 concernant les
opérations électorales pour la désignation des délégués du personnel ;
Vu la requête introduite par ..., salarié de la société ... SA., établie et ayant son siège
social à. L-…, moyennant une lettre recommandée du 27 novembre 2008, reçue à. l'Inspection du
travail et des mines le 28 novembre 2008 ;
Attendu que les parties intéressées ont été valablement convoquées et entendues en leurs
explications et arguments en date du 10 décembre 2008 ;
que ... s'est fait représenter par ..., secrétaire syndical de l'..., en vertu d'une procuration
écrite en bonne et due forme du 27 novembre 2008 ;
Attendu que la requête a pour objet une contestation relative à l'électorat et à la
régularité des opérations électorales pour la désignation des délégués du personnel dans la
société ... SA., de sorte que le directeur de l'Inspection du travail et des mines est compétent pour
en connaître ;
Attendu que la requête a été introduite dans les délai et forme prévus par l'article 39 du
règlement grand-ducal modifié du 21 septembre 1979 concernant les opérations électorales pour
la désignation des délégués du personnel, de sorte qu'elle est recevable ;
Attendu que le réclamant reproche en premier lieu à l’employeur de ne pas avoir
constitué de bureau de vote ;
que l'urne se trouvait seul dans un bureau â côté du bureau du chef d'entreprise ... qui
observait les votants et pouvait accéder facilement à l’urne ;
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Attendu qu’il résulte des explications fournies à l’audience et des pièces, notamment le
procès-verbal des opérations électorales qu’il y avait eu constitution d’un bureau de vote avec
deux assesseurs et un président, à savoir ..., conformément à l’article 15(1) du règlement grand-
ducal modifié du 21 septembre 1979 concernant les opérations électorales pour la désignation
des délégués du personnel, qui dispose que le jour du scrutin un bureau électoral est constitué,
comprenant un président et deux assesseurs et que le chef de l'établissement ou son délégué
remplit les fonctions de président du bureau électoral ;
que cependant le bureau de vote n'était pas au complet pendant tout le déroulement du
scrutin ;
que les membres du bureau de vote étaient à leur poste de travail dans leur bureau
pendant de grands laps de temps ;
que même si la présidente et un des assesseurs avaient bien leur bureau à côté du local
avec vue sur l'urne, ils pouvaient être distraits par leurs tâches dans l'entreprise ;
que le troisième assesseur était à son poste de travail loin de l'urne ;
Attendu que, conformément à l'article 15(1) du règlement grand-ducal modifié du 21
septembre 1979 concernant les opérations électorales pour la désignation des délégués du
personnel, le jour du scrutin un bureau électoral est constitué, comprenant un président et deux
assesseurs qui en application de l'article 16 du prédit règlement doivent recenser fidèlement les
suffrages ;
qu'il en ressort qu'il appartient aux membres du bureau de vote de ruer auprès de l'urne
et de surveiller tout le déroulement des opérations électorales pour garantir leur régularité ;
qu'il est de jurisprudence que le bureau doit être au complet pour assurer cette mission ;
qu'autrement la surveillance du déroulement correct de l'élection n'est pas garantie dans
le sens du règlement grand-ducal précité et l'élection s'en trouve viciée ;
que le moyen est donc fondé.
Attendu qu'il est reproché en deuxième lieu à l'employeur qu'il n'y avait pas d'urne, mais
un simple carton ;
Attendu que ni la loi ni le règlement grand-ducal ne définissent ou réglementent l'urne ;
qu'il résulte des déclarations à l'audience que le récipient faisant fonction d'urne était en
carton, mais fermée et scotché ayant une ouverture pour introduire les bulletins de vote ;
qu'il y avait donc bien vote à l'urne ;
que le moyen n'est pas fondé.
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Attendu que le réclamant reproche à l'employeur de ne pas avoir demandé le vote par
correspondance ce qui a eu pour conséquence que de nombreux chauffeurs-routiers n'ont pas pu
voter parce qu'ils étaient absents pour des raisons professionnelles ;
Attendu que l'article 3 (1) règlement grand-ducal modifié du 21 septembre 1979
concernant les opérations électorales pour la désignation des délégués du personnel dispose
qu'entre le commencement et la fin des opérations il doit y avoir un espace de temps suffisant -
mais au moins une heure - pour que chaque électeur puisse émettre son vote ;
qu'il est de jurisprudence constante que l'employeur doit dès lors organiser les élections
de façon à ce que chaque salarié ait matériellement la possibilité de se rendre aux urnes
principalement pendant son horaire de travail et dans des cas exceptionnels, soit immédiatement
avant ou après le temps de travail usuel, les modalités de cette prise en charge étant à déterminer
entre les partenaires sociaux ;
qu'il résulte des pièces et des déclarations à l'audience que le scrutin était organisé sur
trois jours de 8.30 à 17.30 ;
que ..., le chef de l'entreprise, à l'audience affirme avoir organisé le scrutin sur trois jours
pour permettre à tout salarié de pouvoir passer à l'urne ;
que le réclamant n'apporte pas la moindre preuve que des chauffeurs-routiers n'aient pas
eu l'occasion de venir voter à cause de leur absence de l'entreprise pour raison professionnelle ;
qu'a l'audience, le réclamant présent en personne ajoute que lui il n'a pas pu aller voter
alors qu'il est en congé de maladie depuis fin août et l'est encore à la date d'aujourd'hui ;
qu'il résulte cependant de ses mêmes déclarations qu'il avait une autorisation de sortie
connue par l'employeur ;
qu'il s'est porté candidat ;
qu'il n'avait jamais informé l'employeur ni la délégation alors en place que malgré
l'autorisation de sortie il ne pouvait pas venir voter pour raison de santé et qu'il désirait voter
par correspondance ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Attendu que le réclamant reproche au chef d'entreprise, ..., d'avoir dans un tract affiché
pris position contre lui et appelé les salariés à ne pas le voter ;
qu'il résulte des explications fournies à l'audience que des tracts de propagande
électorale ont été distribués par des candidats aux salariés et faisant promotion de leur
candidature contre celle du réclamant ;
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que le chef de l'établissement n'a pas appelé au vote pour l'un ou l'autre candidat, ni
affiché des tracts et ne s'est donc pas immixé dans les élections ;
que le moyen n'est pas fondé.
Attendu que le réclamant reproche en dernier lieu à l'employeur de ne pas avoir affiché
les instructions de vote ;
que l'allégation est contredite par les autres parties à l'audience ;
que le réclamant, se trouvant en congé de maladie, n'est pas passé à l'entreprise pour le
constater, mais aurait appris ceci de la part d'autres salariés ;
que sur 36 bulletins déposés pour 53 électeurs, trois étaient nuls ;
que le fait reproché n'est pas établi ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs
le directeur de l'inspection du travail et des mines
ouï les parties intéressées ;
se déclare compétent pour connaître de la contestation introduite par ... ;
la dit recevable et fondée ;
déclare nulles les opérations électorales du 12 novembre 2008 pour la désignation des
délégués du personnel dans société ... S.A. établie et ayant son siège social à L-… ;
dit que de nouvelles élections doivent avoir lieu dans le délai de deux mois à compter de
la date de la notification de la présente décision. »
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2009, la société ... a
fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision directoriale du 18 décembre
2008.
Il est constant qu’actuellement seul un recours devant le tribunal administratif est pendant
dans la présente affaire. En effet, le recours en réformation (n° 25296C) introduit à l’encontre de
la même décision devant la Cour administrative a été mis au rôle général à l’audience publique de
la Cour administrative du 5 mars 2009.
L’obligation primaire d’une juridiction saisie consiste à vérifier sa compétence
d’attribution.
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La loi du 31 juillet 2006 portant introduction d’un Code du travail est venue mettre en
place, parmi les dispositions relatives aux délégations du personnel, l’article L. 417-3 du Code du
travail disposant en son paragraphe (1) que « les contestations relatives à l’électorat et à la
régularité des opérations électorales sont de la compétence du directeur de l’Inspection du
travail et des mines ; sa décision peut faire l’objet d’un recours devant la Cour administrative,
statuant en dernière instance et comme juge du fond ».
La loi du 21 décembre 2007 portant réforme de l’Inspection du Travail et des Mines
(Mémorial A n° 249 du 31 décembre 2007, p. 4584) est venue introduire un article L. 614-14 du
Code du travail, libellé comme suit : « toutes les décisions administratives prises sur base des
dispositions de la présente loi sont soumises au recours en réformation visé à l’article 3 de la loi
modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ».
Ledit article 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 dispose que « (1) le tribunal
administratif connaît en outre comme juge du fond des recours en réformation dont les lois
spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif. (2) Sauf disposition contraire de la
loi, appel peut être interjeté devant la Cour administrative contre les décisions visées au
paragraphe 1er ».
La loi du 21 décembre 2007 ne prévoyant pas de disposition d’entrée en vigueur
spécifique concernant plus particulièrement l’article L. 614-14 du Code du travail, son entrée en
vigueur doit être entrevue suivant le droit commun, comme étant intervenue quatre jours après sa
publication au Mémorial, soit le 31 décembre 2007.
Ladite loi du 21 décembre 2007 est partant applicable ratione temporis à la décision
directoriale actuellement déférée.
Si le bout de phrase initial de l’article L. 614-14 du Code du travail disposant que « toutes
les décisions administratives prises sur base des dispositions de la présente loi » peut induire en
erreur du fait que ledit article fait partie du Code du travail, la gestation de cet article et son
introduction dans le Code du travail à travers la loi du 21 décembre 2007 sont cependant de
nature à cerner avec précision la portée du texte légal en question en ce qu’il vise toutes les
décisions administratives prises par des organes de l’Inspection du Travail et des Mines dans le
cadre de la loi en question.
La loi du 21 décembre 2007 statuant à travers l’article L. 614-14 du Code du travail pour
toutes les décisions administratives tombant sous les attributions de l’Inspection du Travail et des
Mines telles que définies à l’article L. 611-1 du Code du travail à travers elle également introduit,
elle recouvre plus précisément les attributions du directeur de l’Inspection du Travail et des
Mines statuant dans le cadre de la législation relative aux délégations du personnel.
S’agissant d’une loi postérieure à celle du 31 juillet 2006 ayant introduit le Code du
travail, dont plus particulièrement son article L. 417-3, tout en portant par ailleurs modification
en abrogeant les articles L. 611-1 à L. 614-5 anciens pour introduire à travers le titre premier du
livre VI des nouveaux articles L. 611-1 à L. 615-2, ce sont les dispositions de cette loi postérieure
qui sont appelées à s’appliquer à la décision directoriale déférée.
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Devant l’incompatibilité patente entre les dispositions de l’article L. 417-3 du Code du
travail prévoyant un recours devant la seule Cour administrative par rapport à celles de l’article
L. 614-14 dudit code, postérieur, qui, à travers le renvoi à l’article 3 de la loi du 7 novembre 1996
précitée prévoit un double degré de juridiction, emportant que la requête de première instance
doit être introduite devant le tribunal administratif, force est au tribunal de retenir qu’eu égard au
caractère postérieur et général pour toutes les décisions administratives des organes et plus
particulièrement du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines les dispositions de l’article
L. 417-3 du Code du travail sont à considérer comme ayant été implicitement, mais
nécessairement abrogées à travers celles de l’article L. 614-14 du même code, telles qu’y
introduites à travers la loi du 21 décembre 2007 précitée1.
Il suit des développements qui précèdent que conformément aux dispositions de l’article
L. 614-14 du Code du travail telles qu’introduites à travers la loi du 21 décembre 2007, le
tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la décision actuellement
déférée.
Quant à la recevabilité du recours ratione temporis, le tribunal avait prononcé la rupture
du délibéré afin de permettre aux parties de présenter leurs observations au vu de l’article 13,
paragraphe 1, de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les
juridictions administratives et de l’article 40 du règlement grand-ducal modifié du 21 septembre
1979 concernant les opérations électorales pour la désignation des délégués du personnel.
La société ... et Messieurs …, ci-après « ... », font valoir que la question de l’influence des
dispositions d’une loi antérieure stipulant un délai de 15 jours pour agir devant une juridiction qui
n’existerait plus paraîtrait sans pertinence, surtout en présence du fait que la décision attaquée
mentionnerait deux autres délais pour agir à la fois devant la Cour administrative et devant le
Tribunal administratif.
Même à supposer que l’article 13, paragraphe 1 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant
règlement de procédure devant les juridictions administratives soit d’application, l’indication
erronée des voies de recours sur la décision litigieuse aurait entraîné que le délai imparti pour
introduire le recours n’aurait pas commencé à courir, de sorte que le recours introduit serait
recevable ratione temporis.
Monsieur … fait valoir qu’en application combinée des dispositions de l’article 13,
paragraphe 1, de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les
juridictions administratives et de l’article 40 du règlement grand-ducal modifié du 21 septembre
1979 concernant les opérations électorales pour la désignation des délégués du personnel, le délai
pour introduire un recours à l’encontre de la décision litigieuse serait en l’espèce de 15 jours, de
sorte que le recours introduit serait irrecevable ratione temporis.
L’article 13 (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant
les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 » est libellé comme suit :
1 Cf. CA 20 mars 2008, n° 24148C du rôle et CA 15 janvier 2009, n° 24599C du rôle ayant trait à la même
problématique relative à l’article L. 427-2 en matière de comités mixtes dans les entreprises et de représentation des
salariés dans les sociétés anonymes disponibles sous www.ja.etat.lu.
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« Sauf dans les cas où les lois ou les règlements fixent un délai plus long ou plus court et
sans préjudice des dispositions de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de déchéance
résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, le recours au tribunal n’est plus
recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où il a pu
en prendre connaissance ».
L’article 40 du règlement grand-ducal modifié du 21 septembre 1979 concernant les
opérations électorales pour la désignation des délégués du personnel, ci-après « le règlement
grand-ducal du 21 septembre 1979 » dispose que :
« Dans les quinze jours de leur notification, les décisions du directeur de l’Inspection du
Travail et des Mines peuvent faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat, Comité du
Contentieux, qui statue d’urgence et en tout cas dans le mois, en dernière instance et comme juge
du fond ».
Si l’article 40 in fine du règlement grand-ducal du 21 septembre 1979 n’est plus tel quel
applicable en ce que la référence au Conseil d’Etat, Comité du Contentieux s’entend, en vertu de
l’article 100 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de
l’ordre administratif, comme référence au tribunal administratif et en ce que l’article L. 614-14
du Code du Travail prévoit désormais un double degré de juridiction en matière de décisions
prises par le directeur de l’Inspection du Travail et des Mines dans le cadre de la législation
relative aux délégations du personnel tel que retenu ci-avant, il n’en reste pas moins que ledit
article reste applicable au niveau du délai prévu en matière de recours introduit à l’encontre d’une
décision prise par le directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en matière de contestations
relatives à l’électorat et à la régularité des opérations électorales pour la désignation des délégués
du personnel. En effet, ni ledit article, ni le règlement grand-ducal du 21 septembre 1979 n’ont
été abrogés.
Il s’ensuit qu’en application combinée des dispositions de l’article 13, paragraphe 1 de la
loi du 21 juin 1999 et de l’article 40 du règlement grand-ducal du 21 septembre 1979, le délai
pour introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision litigieuse est de 15 jours,
étant donné que le délai de recours de droit commun de trois mois est mis en échec par
l’application d’un délai de recours plus court prévu en la présente matière par une disposition
réglementaire spéciale.
Le recours introduit par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier
2009 à l’encontre de la décision litigieuse du 18 décembre 2008, notifiée le 19 décembre 2008 est
dès lors, en principe, à considérer comme introduit tardivement.
Il y a encore lieu d’analyser le moyen soulevant que l’indication erronée des voies de
recours aurait entraîné que le délai de recours n’aurait pas commencé à courir.
Il est constant que la décision directoriale déférée contient des indications sur les voies de
recours renseignant respectivement un délai de recours de quarante jours devant la Cour
administrative et un délai de trois mois devant le tribunal administratif, alors que l’article L. 417-
3 (1) auquel la décision directoriale se réfère ne comporte aucune indication sur le délai de
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recours et l’article 40 du règlement grand-ducal du 21 septembre 1979, applicable en l’espèce tel
que retenu ci-avant, prévoit un délai de 15 jours.
D’après l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à
suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes « les décisions administratives
refusant de faire droit, en tout ou en partie, aux requêtes des parties … doivent indiquer les voies
de recours ouvertes contre elles, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l’autorité à
laquelle il doit être adressé ainsi que la manière dans laquelle il doit être présenté ».
En l’espèce, la demanderesse se fiant à l’indication du délai de recours n’a pas introduit
son recours devant le tribunal administratif dans le délai prévu.
Conformément aux exigences d’essence supérieure d’un procès équitable, telles que
découlant de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, dans l’hypothèse vérifiée de l’espèce d’une indication erronée du délai de recours
mentionnant un laps de temps plus long que le délai applicable non respecté, la formulation
erronée du délai de recours équivaut à une absence d’indication y relative, de sorte que sous cet
aspect aucun délai de recours n’a commencé à courir.2
Il s’ensuit que le recours en réformation introduit par requête du 19 janvier 2009 n’est pas
tardif.
Suite à la signification du recours introductif d’instance à ..., ceux-ci sont intervenus dans
la procédure en déposant le 22 septembre 2009 au greffe du tribunal administratif un mémoire
dans la présente affaire.
Monsieur ... se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du mémoire en la
pure forme.
La forme du mémoire déposé le 15 octobre 2009 ne donnant pas lieu à critique, celui est
recevable en la pure forme.
Monsieur ... demande ensuite au tribunal de débouter en tout état de cause ... de
l’ensemble de leurs prétentions au motif que l’avis de ceux-ci eu égard au statut de salariés mis
en intervention ne saurait être que partial.
Force est de constater que ... sont parties à la présente instance et qu’il appartient au
tribunal d’examiner leurs prétentions telles que développées dans le cadre de leur mémoire
déposé et de les déclarer, après examen, comme fondées ou non fondées, de sorte qu’il n’y a pas
lieu de faire droit à la demande de Monsieur ... à voir écarter purement et simplement leurs
observations à cause d’une prétendue impartialité des parties en cause.
A l’appui de son recours, la société demanderesse conteste la décision directoriale déférée
en ce qu’elle a annulé les élections au motif que la surveillance du déroulement des élections
n’aurait pas été garantie au sens du règlement grand-ducal du 21 septembre 1979. En effet ledit
2 Cf. TA 21 janvier 2002, 13031 du rôle, Pas. adm. 2008, V° PANC, n° 162 et les autres références citées.
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règlement grand-ducal n’exigerait pas que les trois membres du bureau électoral soient présents
ensemble à chaque instant du scrutin, seule une présence complète du bureau serait exigée au
moment du vote et du dépouillement. Dans la mesure où le vote aurait été organisé sur trois jours,
le fait d’exiger une présence des trois membres du bureau électoral pendant ces trois jours serait
irréaliste, d’autant plus que l’urne aurait été sous surveillance permanente de deux membres du
bureau qui auraient eu un accès visuel direct sur la pièce où se trouvait l’urne.
La société ... souligne que même si le troisième membre du bureau électoral aurait
effectivement fait la navette pour amener les employés qui voulaient voter, chaque employé
aurait voté en présence du bureau complet et que ni un électeur, ni le chef d’entreprise n’auraient
eu la possibilité de truquer les élections.
Le délégué du gouvernement répond que les élections auraient été annulées à bon droit
dans la mesure où le chef d’entreprise et les deux assesseurs auraient vaqué à leur travail
ordinaire soit dans les bureaux attenants à celui où se trouvait l’urne, soit dans une autre pièce de
l’entreprise, de sorte qu’ils n’auraient pas pu surveiller convenablement le déroulement des
opérations électorales.
Monsieur ... souligne qu’il appartiendrait aux membres du bureau électoral de surveiller
l’ensemble des opérations électorales et que leur présence ne se limiterait pas au vote proprement
dit et au dépouillement, de sorte que les dispositions du règlement grand-ducal du 21 septembre
1979 n’auraient pas été respectées et que le directeur aurait annulé à bon droit lesdites élections.
Par ailleurs, il conteste formellement que chaque employé aurait voté en présence du bureau
complet.
... estiment que les élections se seraient déroulées de manière régulière et qu’on n’aurait
pas pu accéder à l’urne sans que l’un des membres du bureau électoral ne le remarque. Pour le
surplus, ils se rallient aux conclusions de la société demanderesse.
Aux termes de l’article 15 du règlement grand-ducal du 21 septembre 1979, il est
constitué, le jour du scrutin, un bureau électoral principal (…) comprenant un président et deux
assesseurs et aux termes de l’article 16 du même règlement grand-ducal les membres du bureau
électoral sont tenus de recenser fidèlement les suffrages et de garantir le secret des votes.
Il est constant que le bureau électoral a été valablement constitué comprenant en tant que
président le chef d’entreprise et deux assesseurs.
Il y a encore lieu de vérifier si les membres du bureau électoral ont recensé fidèlement les
suffrages et gardé le secret des votes. En effet, Monsieur ... conteste que le bureau électoral ne fût
au complet pendant le déroulement du scrutin.
Il ressort de la décision directoriale litigieuse que l’urne se trouvait seule dans un bureau à
côté du bureau du chef d’entreprise qui observait les votants et pouvait accéder facilement à
l’urne, que les membres du bureau de vote étaient à leur poste de travail dans leur bureau pendant
de grands laps de temps, que la présidente et un des assesseurs avaient leur bureau à côté du local
avec vue sur l’urne et que le deuxième assesseur était à son poste de travail loin de l’urne.
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La société ... ne conteste pas que les trois membres du bureau électoral n’ont pas été
présents à chaque instant du scrutin et fait valoir qu’il serait irréaliste d’exiger que les trois
membres du bureau électoral soient présents sans cesse afin de surveiller l’urne pendant les trois
jours où les élections ont été organisées au motif que l’entreprise serait tenue de continuer à
tourner. Elle ajoute que l’urne aurait été sous surveillance permanente d’au moins deux des trois
membres du bureau électoral qui auraient eu un accès visuel direct sur la pièce et même s’ils
pouvaient faire autre chose que de regarder l’urne, il aurait été impossible de s’approcher de
l’urne sans qu’ils ne le remarquent. Elle fait encore valoir que le troisième membre du bureau
aurait fait la navette pour amener les employés qui voulaient voter. Elle ajoute que chaque
employé aurait voté en présence du bureau complet.
Il ressort de la décision litigieuse déférée que le bureau de vote n’était pas complet
pendant tout le déroulement du scrutin, que les membres du bureau de vote étaient à leur poste de
travail dans leur bureau pendant de grands laps de temps, que même si la présidente et un des
assesseurs avaient bien leur bureau à côté du local avec vue sur l’urne, ils pouvaient être distraits
par leurs tâches dans l’entreprise et que le troisième assesseur était à son poste de travail loin de
l’urne.
Ces constatations n’ont pas été contestées par la société ... laquelle a tenté d’expliquer les
contraintes professionnelles l’ayant poussée à organiser les élections de cette façon.
Monsieur ... conteste pour le surplus formellement l’allégation de la société ... que chaque
employé aurait voté en présence du bureau complet. Il précise à ce sujet que l’un des deux
assesseurs, à savoir Monsieur ..., serait resté pendant toute la durée des opérations électorales
dans le garage de la société ..., tandis qu’un certain « … » mécanicien n’ayant pas la qualité
d’assesseur, aurait accompagné chaque électeur au bureau de vote. Au vu de la contestation
afférente de Monsieur ... il aurait appartenu à la société ... de soumettre au tribunal des éléments
qui lui auraient permis de vérifier l’allégation avancée, ce qu’elle n’a cependant pas fait.
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que tous les membres du bureau de vote
n’étaient pas présents constamment dans le bureau où l’urne était placée et que seulement le
président et un assesseur pouvaient observer le déroulement du scrutin à partir de leurs bureaux
respectifs qui se trouvaient proches du bureau dans lequel se trouvait l’urne.
Or, aux termes de l’article 16 du règlement grand-ducal du 21 septembre 1979 « les
membres du bureau électoral sont tenus de recenser fidèlement les suffrages et de garder le
secret des votes ».
Etant donné que ledit article vise les membres du bureau électoral, il y a lieu de retenir
que tous les membres du bureau électoral sont visés. S’il est certes exact qu’aucune disposition
du règlement grand-ducal du 21 septembre 1979 n’exige une présence constante des trois
membres du bureau électoral à chaque instant du scrutin, il n’en reste pas moins, qu’en l’espèce,
une présence de seulement deux membres du bureau électoral pendant la durée du scrutin et pour
le surplus dans une autre pièce que celle dans laquelle se trouvait l’urne ne saurait suffire aux
exigences de l’article 16 dudit règlement grand-ducal. En effet, dans ces conditions la
surveillance du déroulement correct des élections n’a pas pu être garantie en ce que les membres
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du bureau électoral n’ont pas pu recenser fidèlement les suffrages et garantir le secret des votes,
de sorte que c’est à bon droit que le directeur a retenu que les élections s’en trouvent viciées.
Le tribunal est ainsi amené à reprendre la motivation du directeur et de dire que la
décision entreprise du 18 décembre 2008 est justifiée en ce qu’elle a annulé les élections du 12
novembre 2008 pour la désignation des délégués du personnel dans la société ... S.A. établie et
ayant son siège social à L-… et ordonné de nouvelles élections dans ladite société.
La décision entreprise du directeur du 18 décembre 2008 ayant procédé à l’annulation des
élections ayant eu lieu au sein de la société ... se justifiant par l’analyse de ce seul moyen,
l’analyse des autres motifs de la décision et des moyens afférents devient surabondante.
Par ces motifs,
le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour connaître du recours en réformation introduit ;
déclare le recours en réformation recevable ;
au fond le dit non justifié et en déboute ;
condamne la partie demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Catherine Thomé, premier juge,
Claude Fellens, juge,
Françoise Eberhard, juge,
et lu à l’audience publique du 12 janvier 2010 par le premier juge en présence du greffier Judith
Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Catherine Thomé
Reproduction certifiée conforme à l’original
Luxembourg, le 12.01.2010
Le Greffier du Tribunal administratif