Trajectoires d’adoption et d’appropriation du web 2.0 dans...
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Trajectoires d’adoption et d’appropriation du web 2.0 dans les systèmes
d’information organisationnels
Résumé : Cet article s’intéresse à la diffusion des outils du travail collaboratif issus du web 2.0 au sein
des organisations. Ce travail propose une analyse des modalités de leur adoption, en observant la
forme sous laquelle ils pénètrent l’entreprise (naturelle ou reconfigurée), et tente d’en tirer les
conséquences sur le processus d’appropriation. Deux enquêtes ont été menées sur des terrains
complémentaires et ont permis d’élaborer une grille de lecture des trajectoires d’adoption et
d’appropriation. Le premier porte sur l’analyse de l’adoption et l’appropriation d’un wiki en usage
pendant deux ans au sein d’un département R&D et met en œuvre une méthodologie mixte (données
de trafic, qualitatives et quantitatives). Le second s’intéresse aux pratiques de coordination
décentralisée qui peuvent mettre en jeu un plus grand nombre d’outils et se base sur une post-enquête
réalisée à la suite de l’enquête COI TIC de 2006. Ces deux terrains ont conduit à proposer trois
scenarii possibles : celui de la « diffusion classique », celui du « bricolage » et celui de « l’entreprise
2.0 ». Dans une démarche interprétativiste, ces scenarii ont à la fois été nourris par et confrontés aux
terrains mais ne se veulent qu’une lecture possible à partir de figures polaires. Ce travail se propose
d’élargir le champ des recherches en management des systèmes d’information et les outils d’analyse
existants pour mieux prendre en compte l’apparition d’une nouvelle génération d’outils en entreprise.
Mots clés: Diffusion, Adoption, Appropriation, Structurationnisme, Web 2.0
Web 2.0 adoption and appropriation trajectories within organizational information
systems
Abstract: This paper focuses on the diffusion of collaborative tools steming from web 2.0 within
organizations. It analyzes the modalities of their adoption, observing the form in which they enter the
company (natural or reconfigured), and attempts to draw conclusions on the appropriation process.
Two ground studies have been conducted on complementary fields and enabled to develop a
framework for a possible reading of the web 2.0 tools adoption and appropriation’s trajectories within
enterprises. The first field focuses on the adoption and appropriation analysis of a two year old wiki
used within an R&D department. It is based on a mixed methodology (log, qualitative and quantitative
data). The second field takes an interest in the decentralized coordination practices that is to say
similar practices as the one that takes place around web 2.0 tools while widened to other types of
technologies and is based on a post survey realized after the COI TIC 2006. These two fields led to
propose three possible scenarios of web 2.0’s adoption and appropriation within enterprise: “the
classical diffusion”, “the tinkering” and “the enterprise 2.0”. Based on an interpretativist approach,
these scenarios are at the same time feed by and confronted with the fields but are simply proposed as
a possible reading based on archetypes. This work proposes to widen the field research of
management information system and the tools it offers to take a better account of the emergence of
new generations of tools within enterprise.
Keywords: Adoption, Appropriation, Information System Management, Structurationism, Web 2.0
2
1. Web 2.0 et management des systèmes d’information
Quel lien existe-t-il entre une introduction en bourse à 100 milliards de dollars, la première
campagne électorale de Barack Obama, la réalisation d’une quasi-utopie des lumières et les
récents mouvements sociaux ? La réponse se trouve derrière le terme web 2.01.
Facebook a été introduit en bourse en 2012 à plus de 100 milliards de dollars, alors même que
ses résultats nets et ses débouchés étaient encore incertains2. Avec 1,4 milliard d’utilisateurs
Facebook est le troisième « espace » le plus peuplé de la planète.
C’est en partie grâce aux réseaux sociaux que l’élection de Barack Obama n’a pas été basée
sur le traditionnel facteur financier mais s’est jouée sur le recrutement de nouveaux électeurs
qui jusque-là n’étaient pas intéressés pas la politique (Wattal et al., 2010).
Sur un autre plan, Wikipedia incarne la réalisation d’une quasi-utopie d’encyclopédie
universelle. Jugée de qualité équivalente à l’encyclopédie Britannica (Gilles, 2005),
Wikipédia existe depuis plus de 10 ans sous sa forme collaborative et ouverte et n’a jamais eu
besoin de se commercialiser (le site ne fonctionnant que par les dons). Elle a prouvé les
possibilités de constructions collectives offertes par l’Internet, que l’effort fourni soit grand
ou petit3 (Elliott, 2007).
Dans la même veine, les médias sociaux du web 2.0 ont fourni un support logistique à
plusieurs mouvements sociaux récents. Qu’ils s’agissent des émeutes de Londres, ou des
mouvements ayant reçu un soutien international, tels que les révoltes démocratiques des pays
arabes et le mouvement de protestation Occupy Wall Street, tous ces mouvements ont été
facilités par les réseaux sociaux (Castells, 2012).
D’un côté, le web 2.0 peut servir à renverser les pouvoirs (printemps arabe) ou aider le
pouvoir à s’établir ou se renforcer (campagnes électorales post Obama). De l’autre, il permet
de faire émerger collectivement des idéaux humanistes et contribuer à leur réalisation
(Wikipédia), mais il peut également également faire émerger le pire de la pop culture de
l’Internet (par exemple l’ascension de Justin Bieber en tant que chanteur à succès grâce à
YouTube).
En l’espace de moins de 10 ans, des pans entiers de notre quotidien ont changé avec ces
nouvelles technologies et services. Le haut débit date du début des années 2000 et la fibre de
la moitié des années 2000. Facebook a été créé en 2004, YouTube en 2005, Twitter en 2006.
L’iPhone, qui a révolutionné la téléphonie mobile et accéléré le marché des smartphones, est
apparu en 2007, son écosystème d’affaires l’AppStore en 2008. Quant à l’iPad, il a vu le jour
avec les tablettes en 2010. Tous ces outils se sont diffusés largement dans la société et sont
déjà en partie ancrés dans le quotidien des gens. Ils ont tiré parti de l’Internet pour les sites et
applications et permis à des terminaux mobiles d’y accéder.
1 Pour une présentation détaillée de cette notion aux contours flous le lecteur pourra se référer à O’Reilly (2007)
ou Rebillard (2007). Pour simplifier on peut dire qu’elle traduit le passage d’un web statique à un web
dynamique dont les utilisateurs ne sont plus de simples lecteurs mais des acteurs à part entière de la dynamique
de création de contenus. 2 La presse a proposé des explications de l’échec de l’introduction en bourse de Facebook qui a depuis fait ses
preuves. Le Monde : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/05/24/entree-en-bourse-de-facebook-les-
raisons-d-un-fiasco_1706425_651865.html. 3 La stigmérgie décrit une forme d’auto-organisation, c’est le processus par lequel les fourmis et les termites
réussissent à se coordonner par le biais de messages simples pour réaliser des constructions très complexes.
Wikipédia est un des plus brillants exemples de stigmérgie humaine prenant place sur le réseau qui facilite la
coordination décentralisée.
3
Le web 2.0 a suscité de nouvelles pratiques4: rechercher un livre rare ou épuisé (Amazon,
Itunes), chiner dans les vides greniers (eBay, Leboncoin), pratiquer la photographie en
amateur, puis développer ses photos et les partager avec les membres de son groupe de
passionnés (FlickR, Instagram), se prêter des films enregistrés ou visionner ses films de
vacances (YouTube, Viméo), se préparer des compilations (mixtape) en enregistrant la radio
sur des cassettes audio analogiques (Last.fm, Spotify), rester en contact avec ses amis ou
connaissances (Facebook, LinkedIn).
La liste est longue des pratiques quotidiennes qui ont été transformées. Améliorées ou
facilitées pour certaines, ringardisées voire remisées pour d’autres, ces pratiques et les
technologies auxquelles elles sont associées font partie d’un quotidien qui s’est
progressivement modifié par l’appropriation5 de ces nouvelles technologies par les
consommateurs. En cela nous parlons d’usages6. Ces pratiques n’ont pas été transformées ou
balayées du jour au lendemain, mais en suivant un long processus d’intégration de l’Internet
et de ses améliorations continues dans la vie des gens. Il en est résulté de nouvelles manières
de faire chez les utilisateurs et de nouveaux modèles d’affaires qui ont plus ou moins
bouleversé les marchés qu’ils ont contribué à transformer (Beuscart et Mellet, 2009 ; Wirtz et
al. 2010). En cela nous parlons d’appropriation.
Notre objet de recherche est donc multiple et recouvre des changements importants au niveau
de la société et dans les pratiques quotidiennes des utilisateurs, c’est-à-dire dans leurs usages
récurrents et situés7. Dans les usages que nous venons d’évoquer, le caractère ludique ou
personnel reste encore dominant mais certains concernent déjà la vie professionnelle et
productive (McAfee, 2006). Cependant, les transformations produites dans la société par les
outils du web 2.0 sont beaucoup plus spectaculaires et rapides que ceux constatés jusqu’à
présent dans les entreprises, qui les accueillent avec plus ou moins de défiance. La recherche
s’est encore très peu penchée sur cet aspect moins flagrant et plus lent des transformations
induites par le web 2.0 en entreprise et c’est une des motivations de notre recherche.
L’importance même des bouleversements engendrés dans la société par les outils de ce
nouveau web incite assez logiquement à questionner leurs qualités intrinsèques, leurs modes
de fonctionnement et la philosophie générale qui les sous-tend, pour tenter de comprendre ce
qui peut freiner leur diffusion et « amortir » leurs effets au sein des organisations du travail.
C’est le but de notre travail qui s’inscrit ainsi dans le vaste champ des recherches portant sur
les relations entre TIC et organisations et s’intéresse plus spécialement au phénomène de
l’adoption et de l’appropriation de ces technologies sous l’impulsion des salariés. Bien que ce
phénomène ne soit pas nouveau et ait déjà été constaté pour d’autres technologies, il prend
une dimension particulière avec les outils du web 2.0 qui, provenant de la sphère privée, vont
avoir des effets contrastés sur les organisations et le management selon qu’ils seront adoptés
sous une forme naturelle (tels qu’on les voit fonctionner sur le web) ou reconfigurée pour
l’entreprise (par des sociétés éditrices). Jusque-là, les recherches ont essentiellement porté sur
les effets du web 2.0 dans le grand public et très peu sur les impacts que ces outils peuvent
avoir sur l’organisation et le management (McAfee, 2009 ; Tran et al., 2013).
Que les salariés jouent un rôle dans la diffusion des outils du web 2.0 en entreprise se conçoit
assez bien dans un contexte où l’on observe un certain effacement des frontières entre sphère
4 Dans les exemples de pratiques qui suivent nous faisons l’exercice de mettre entre parenthèses des noms de
sociétés ou de services du web qui ont contribué à largerment modifier les pratiques auxquelles ils sont accolés. 5 Nous définirons plus en détail ce que recouvre l’appropriation. Nous entendons ici l’appropriation comme le
processus par lequel un individu rend graduellement une technologie propre à son usage. 6 L’usage est ici défini comme une utilisation récurrente de la technologie.
7 Nous entendons par usages récurrents et situés des usages relatifs à une activité spécifique et qui sont imbriqués
dans des pratiques sociales de la vie quotidienne.
4
privée et sphère professionnelle. Dans ce mouvement d’effacement de plus en plus marqué,
les TIC jouent un rôle prépondérant (Boboc et Metzger, 2009). Le mélange qui s’opère entre
les temps, les lieux et les rôles du travail et ceux de la vie privée est d’autant plus fort que le
mouvement est circulaire (Godart, 2007). En effet, si les technologies de la mobilité ont
permis au travail d’intégrer le salon ou la cuisine après le dîner et de s’immiscer dans les
périodes de vacances ou en déplacement, la réciproque est vraie et les équipements personnels
servent aussi aux salariés à importer et garder le contrôle de leur vie personnelle sur leur lieu
habituel de travail, durant les « heures de bureau » (Duxburry et al., 2006).
Ce phénomène trouve une résonance particulière avec notre objet de recherche. Face au
développement fulgurant du marché des technologies grand public et aux exigences
croissantes des salariés qui voudraient pouvoir les utiliser au travail, de plus en plus
d’entreprises s’interrogent sur la meilleure manière de gérer l’entrée de ces outils dans leurs
murs et dans leurs pratiques. Le slogan Bring Your Own Device -BYOD- (Denervaud et al.,
2012 ; Vallejo et al., 2014) comme l’idée de consumerization of IT8 (Harris et al., 2012 ; Tiers
et al., 2013) évoquent bien les questions auxquelles sont confrontées les Directions des
Systèmes d’Information (DSI). Elles se demandent si elles doivent laisser faire les employés
qui utilisent des TIC grand public dans la réalisation de leur travail, combattre ces utilisations
« sauvages » ou s’équiper de technologies semblables mais professionnelles.
Une différence importante doit toutefois être relevée entre le phénomène du BYOD et notre
interrogation. Elle tient à ce que le web 2.0 n’est pas constitué par des équipements physiques
puisque, pour en utiliser les outils, il suffit de disposer d’un terminal (ordinateur, smartphone
ou tablette) et d’une connexion à Internet. Il est de ce fait encore plus « pervasif9 » que les
technologies physiques. Le web 2.0 en entreprise est en effet un phénomène logiciel basé sur
le web qui, comme dans la sphère privée, repose sur la dynamique participative des salariés
(Cnil, 2014).
Autrement dit, l’objet de cet article est l’analyse des différentes modalités de l’adoption et de
l’appropriation des outils issus du web 2.0 au sein des entreprises, en prenant en compte la
préexistence d’usages situés et récurrents hors de l’entreprise pour une partie des employés
susceptibles de jouer un rôle moteur dans la diffusion des technologies d’une sphère à l’autre.
Notre cadre théorique s’inscrit dans une pluridisciplinarité nécessaire car les seuls outils du
management des systèmes d’information (MSI) ne permettent pas de saisir l’ensemble des
problématiques soulevées par notre recherche. En effet, les outils et théories du management
des SI n’ont à ce jour pas encore développé de grille d’analyse permettant de saisir ensemble
les deux éléments contradictoires du processus de diffusion du web 2.0 en entreprise. D’une
part, la diffusion résulte d’une forme de pression sociale liée aux usages qui se développent à
l’extérieur des entreprises (salariés et clients développent des attentes spécifiques) et pousse
les entreprises à s’équiper (Le Douarin, 2007). D’autre part, cette diffusion est freinée par le
caractère égalitaire ancré dans le design des outils et les interactions qu’ils soutiennent
(Bouman et al., 2007), qui entrent en contradiction avec le fonctionnement hiérarchique
classique des entreprises.
8 L’expression est intraduisible mais vise la situation où le SI accueille des technologies non spécifiquement
destinées aux entreprises mais conçues pour servir hors d’elles. Elle provient de « la tendance qu’ont les
entreprises technologiques à introduire leurs nouvelles technologies sur le marché des consommateurs avant
celui des entreprises » (Tiers et al., 2013, p.10). 9 Ce néologisme emprunté à l’anglais décrit un mouvement de pénétration, d’insinuation, de propagation,
d’envahissement… Appliqué à l’informatique, il décrit une diffusion à toutes les parties du SI.
5
2. Diffusion, adoption, appropriation : mise au point sémantique et ancrage théorique
Bien qu’utilisé couramment, le mot diffusion n’en reste pas moins difficile à définir. Au sens
commun, le mot évoque la dissémination d’une chose dans l’espace mais les processus à
l’œuvre sous ce terme semblent devoir varier selon que la chose est matérielle (journaux,
ouvrages…) ou immatérielle (connaissances, ondes radio, télé…). Il semble en particulier
difficile de dire si ces processus sont bornés, avec un début et une fin, dans le temps comme
dans l’espace. La diffusion des outils techniques doit-elle être vue comme une étape ou un
processus continu ? Survient-elle spontanément ou subit-elle des influences et le cas échéant
de quel ordre ? Ces questions restant sans réponse, nous avons pris le parti de retenir le sens
commun du mot et de parler de la diffusion comme de la propagation des innovations
technologiques (Rogers, 2003) au sein de la société toute entière, à l’intérieur des
organisations et au niveau des individus. On l’entendra donc comme le processus qui fait
qu’une technologie est de plus en plus utilisée.
Le mot adoption est employé quant à lui pour désigner la décision d’utiliser une TIC et son
achat subséquent. Il s’agit avant tout d’une démarche d’équipement qui est le résultat d’un
choix généralement opéré avant toute mise en œuvre. Si l’on se réfère à la logique
d’optimisation économique habituelle, le choix opéré doit répondre au mieux aux besoins de
l’organisation qui s’équipe et l’achat doit respecter la règle du meilleur rapport qualité/prix.
Mais les phénomènes d’adoption ne sont pas aussi simples que cette affirmation ne le laisse
entendre et c’est pourquoi de nombreuses études académiques leur ont été consacrées. Elles
montrent qu’il y a plusieurs façons d’aborder la problématique de l’adoption des technologies
(Isaac et al., 2006). Certains auteurs l’ont fait en s’intéressant surtout aux technologies
(Swanson, 1994), d’autres ont plutôt ciblé les différents types d’acquéreurs (Venkatesh et al.
2003). D’autres encore ont préféré considérer la façon dont s’opère l’adoption (Teo et al.,
2003). Si tous les chercheurs n’abordent pas la technologie de la même façon, la plupart
d’entre eux jugent en revanche indispensable de caractériser cette dernière, et de faire une
distinction entre le processus d’adoption d’une nouvelle technologie par une organisation et le
processus de son adoption par l’individu. En effet, si les deux peuvent être liés, les facteurs
explicatifs de la première adoption ne sont pas forcément identiques à ceux de la seconde.
Enfin l’appropriation est une notion qui renvoie très directement aux usages, c’est-à-dire à
l’utilisation des technologies par les utilisateurs finaux (de Vaujany, 2005). En milieu
organisationnel, l’appropriation est définie comme le processus par lequel les salariés
intègrent les technologies dans leurs façons de travailler (DeSanctis et Poole, 1994). Cette
intégration peut prendre plusieurs formes. Le fait que l’organisation (ou l’individu) ait adopté
la technologie ne signifie pas que celle-ci sera utilisée mais, quand elle l’est, ce sont différents
types d’utilisations qu’elle est susceptible de recevoir. Certaines personnes vont en avoir un
usage limité, d’autres vont s’y opposer et d’autres encore vont inventer des façons inattendues
de s’en servir. En pratique, il est rare que les usages constatés soient totalement conformes à
ceux qui ont été prévus ou envisagés par les concepteurs des technologies. Certains auteurs
soutiennent même que, pour parler d’appropriation, il faut que les utilisateurs modèlent ou
détournent la technologie en vue de l’adapter à leur propre conception des usages (Robertson
et al., 1996). Ainsi, l’appropriation dépendrait du contexte dans lequel la technologie trouve à
s’appliquer et son niveau s’apprécierait en fonction du taux de modifications que lui apportent
les utilisateurs. En définitive, l’appropriation doit s’entendre comme l’adaptation d’une
technologie en vue d’une mise en usage particulière.
Pour éviter une vision déterministe de la technologie et privilégier sa dimension sociale, nous
avons choisi d’aborder l’appropriation à travers le prisme croisé de la sociologie des usages et
de la vision structurationniste d’Anthony Giddens et des différents chercheurs qui se sont
6
inspirés de son œuvre, comme Wanda Orlikowski, Gerardine DeSanctis et Marshall Poole et
François-Xavier de Vaujany. Ces travaux se sont intéressés aux structures sociales des TIC et
ont révélé leur dualité avec, d’un côté, leurs caractéristiques structurelles (c’est-à-dire les
possibilités qu’elles offrent pour rassembler, manipuler et gérer l’information) et, de l’autre,
leur « esprit ».
La plupart du temps, les concepteurs et les utilisateurs de technologies appartiennent à des
groupes différents, clairement séparés. Certains travaux structurationnistes montrent
comment, à partir de la confrontation des points de vue opposant les membres de ces deux
groupes, l’usage peut conduire à une nouvelle conception des outils (DeSanctis et Poole,
1994 ; Orlikowski, 2000). Tout l’enjeu de l’appropriation est situé dans cette confrontation
entre les concepteurs des outils qui veulent en normaliser les usages et les utilisateurs qui vont
parfois contourner ou détourner les prévisions de l’outil afin de l’adapter à tel ou tel usage
local (de Vaujany, 2005). Le web 2.0 vient renouveler ces problématiques car il trouve son
origine sur l’Internet et peut être utilisé sous une forme « originale » ou reconfigurée par des
concepteurs qui développent des TIC spécifiques aux entreprises.
La perspective interactionniste part de l’idée qu’il se produit une interaction entre les
technologies et leurs utilisateurs et que cette interaction peut induire une transformation de
l’organisation. Le courant d’études gestionnaires qui prend appui sur les travaux
structurationnistes correspond bien à cette approche interactionniste (Giddens, 1984; Barley,
1986 ; Orlikowski, 1992a, 2000 ; DeSanctis et Poole, 1994). Les travaux de ce champ
disciplinaire analysent conjointement les structures des organisations et les interactions qui se
produisent entre individus et technologies. Si des débats existent entre les chercheurs, tous
s’accordent sur l’idée que les usages s’expliquent à deux niveaux : celui de l’individu et celui
de la structure. Au premier niveau, il s’agit de déterminer quel sens l’individu donne à la
technologie ; au second, de mettre au jour la dialectique entre usages des outils et structures,
les premiers pouvant amener les secondes à évoluer ou, au contraire, à se renforcer.
Ce qui nous a surtout intéressés dans les approches structurationnistes, c’est qu’elles
analysent les usages dans leur contexte. Elles présentent également l’avantage de pouvoir être
associées à d’autres points de vue théoriques, au moins ceux qui rejettent tout déterminisme
technologique. Grâce à cette ouverture, des chercheurs en système d’information tels que
François-Xavier de Vaujany (2005) ont pu y ajouter de nouvelles analyses pour tenter
d’expliquer le phénomène d’appropriation d’une TIC. D’autres chercheurs ont également
tenté de le faire en analysant les effets réciproques et itératifs des usages sur les outils, des
utilisateurs sur les concepteurs et inversement (Walsham, 1996). Certains ont marié
l’approche structurationniste d’Orlikowski et la théorie de l’acteur-réseau (Pascal, 2006 ;
Hussenot, 2008). D’autres encore, à l’instar de François-Xavier de Vaujany (2005) et
d’Amaury Grimand (2006) ont préféré rapprocher l’analyse structurationniste des théories de
la mise en acte de la conception qui dérivent des analyses d’Armand Hatchuel (1994, 1996).
3. Enjeux de la recherche et méthodologie
3.1. Enjeux de la recherche
Parmi les nombreux travaux consacrés au web 2.0 depuis 2006 aucun n’a encore proposé
d’analyser les implications de l’introduction des outils de ce web en entreprise sur la gestion
du système d’information (Tran, 2014). En outre, notre recherche apporte un élément encore
peu traité dans les travaux consacrés à l’adoption et à l’appropriation dans le domaine du MSI
dans la mesure où elle s’intéresse à un ensemble de technologies du web introduites en
entreprise, non plus seulement par la direction, mais aussi par les salariés (Raeth et al., 2011 ;
Stocker et al., 2012).
7
Plusieurs questions découlent de notre problématique initiale. Quelles sont les modalités
possibles de l’adoption du web 2.0 (par l’entreprise, par les salariés) et leurs effets sur
l’appropriation et comment prendre en compte le rôle moteur qui peut être celui des salariés
dans le processus d’adoption et d’appropriation du web 2.0 en entreprise dans la cadre de la
gestion des systèmes d’information ?
Le fait est que les entreprises sont déjà présentes sur les réseaux, car elles ont été obligées de
suivre le mouvement et de ne pas rater le train des médias sociaux pour s’assurer une visibilité
accrue et un positionnement face à la concurrence.
De leur côté, les salariés ont développé de nouvelles habitudes numériques dans leur vie
privée et manifestent de ce fait des attentes élevées en ce qui concerne leur équipement et
leurs moyens de coordination électronique au sein de l’entreprise. Il semblait donc
envisageable que les outils du web 2.0 s’introduisent encore davantage dans la vie des
organisations et qu’ils atteignent cette fois leurs fonctions internes par le biais de phénomènes
tels que le BYOD et la consumérisation des TIC.
L’enjeu théorique de cette recherche est principalement de développer une grille de lecture
qui permette de saisir les problématiques de l’introduction du web 2.0 en entreprise dans une
perspective de MSI, en prenant en compte les spécificités de ces outils évoquées plus haut.
Quant à l’enjeu managérial, il est double. D’une part, il s’agit de prendre en compte
l’existence d’usages développés hors de l’entreprise et hors du SI qui peuvent être structurants
dans les processus d’adoption et d’appropriation de nouvelles TIC dans l’entreprise. D’autre
part, il s’agit d’intégrer dans l’analyse et la mise en œuvre des outils, le rôle moteur que
peuvent jouer les salariés dans l’adoption et l’appropriation de nouvelles TIC dans
l’entreprise. Cette dernière peut en effet tirer parti de leurs compétences au-delà de la vision
conception/usage et des processus de co-conception.
3.2. Méthodologie
En pratique, notre recherche a posé quelques difficultés particulières liées à la différence de
nature des deux terrains d’enquête que nous avons choisi d’explorer. Nous avons opté pour
une approche duale permettant à la fois de multiplier les sources d’informations et de croiser
les données recueillies dans des contextes différents. Cette approche devait en outre permettre
d’éviter les écueils fréquemment rencontrés dans les études portant sur les technologies
émergentes.
Pour tenter de comprendre la dynamique de l’adoption et de l’appropriation des outils du web
2.0 en entreprise, nous avons commencé par examiner le fonctionnement d’un wiki de
chercheurs dans une grande entreprise évoluant dans le domaine des télécommunications.
Puis, nous nous sommes intéressés à la diffusion potentielle de ce type d’outils dans des
entreprises de tailles et d’activités variées, en nous centrant davantage sur les pratiques des
salariés que sur les outils. Nous avons plus spécialement tenté d’évaluer les pratiques de
coordination décentralisée que des salariés aux profils variés et occupant des postes différents
pouvaient avoir grâce à ces outils.
Pour recueillir et exploiter les données de ces deux terrains10
, nous avons eu recours à
l’analyse aussi bien qualitative que quantitative. Cependant, ayant inscrit notre démarche de
recherche dans une approche interprétativiste, nous avons été avant tout à l’écoute des
acteurs, de leurs descriptions des outils et des pratiques ainsi que des interprétations qu’ils ont
faites de la diffusion de ces technologies dans leur milieu professionnel. Nous avons ainsi
10
Les méthodologies mises en œuvre sont détaillées en annexes. Les résultats de ces enquêtes ont donné lieu à
des publications auquel nous renvoyons le lecteur pour le détail des résultats (ref auteur, 2009 ; ref auteur 2012).
8
développé une dialectique entre le terrain et la théorie qui nous a conduits à opter pour un
mode d’analyse abductif mettant l’interprétation des données ainsi recueillies en perspective
avec les cadres théoriques existants. Cela nous a permis de proposer une grille de lecture se
présentant sous la forme de trois scenarii stylisés de trajectoires d’adoption et d’appropriation
des outils en cause au sein des organisations.
4. La diffusion des outils du web 2.0 dans les organisations
Comme pour de nombreuses vagues technologiques, les organisations ont souvent un temps
de « retard » dans l’adoption de nouveaux outils. Que ce soit par crainte ou par scepticisme,
les entreprises sont restées, un temps, éloignées de cette déferlante du « web 2.0 ». Au départ,
peu d’entre elles ont perçu l’intérêt que l’usage de ces technologies issues de la sphère privée
pouvait avoir dans la sphère professionnelle. Puis, des voix de plus en plus nombreuses se
sont élevées pour soutenir que ces technologies pouvaient y recevoir des usages multiples et
fructueux. Ainsi a émergé le concept d’entreprise 2.0 (McAfee, 2009 ; Tran et al., 2013 ;
Tran, 2014).
Nous nous sommes principalement intéressés aux implications de leur diffusion, adoption et
appropriation dans les fonctions internes de l’entreprise, en particulier au regard des besoins
de communication, de coordination et de collaboration au sein de l’organisation.
À ce niveau, la diffusion de ces outils résulte soit, comme dans le cas classique, de décisions
prises par les responsables de l’entreprise, soit de leur importation par certains des salariés.
Ce dernier cas nous intéresse particulièrement car les outils du web 2.0 ont pour particularité
1) d’être d’abord largement diffusés dans la sphère privée et 2) de reposer intrinsèquement sur
l’initiative des utilisateurs.
Traditionnellement, dans le domaine du MSI, les décisions d’équipement en matière d’outils
informatiques, d’infrastructures, de sécurité, etc. relèvent de la DSI. Ce schéma de processus
de décision/implémentation a souvent été critiqué et nuancé dans la littérature qui s’est
penchée depuis quarante ans sur les systèmes d’information (Desq et al., 2007 ; Rodhain et
al., 2010). En l’occurrence, ces décisions ont longtemps été le fait de responsables qui
n’avaient pas de véritable contact avec la réalité professionnelle du terrain et ne pouvaient
donc pas pleinement intégrer les problématiques métier dans le choix des outils les plus
adéquats. La littérature a donc insisté auprès des praticiens sur l’importance de privilégier des
processus de co-développement des systèmes d’information entre concepteurs et utilisateurs.
Une partie des recherches portant sur l’émergence du web 2.0 en entreprise s’intéresse au
mode de diffusion classique. Cependant, une autre approche est possible car l’on peut
également s’intéresser au phénomène de transfert d’usages et de compétences développés
dans la sphère privée vers la sphère professionnelle (Boboc et Metzger, 2009). Ce n’est pas un
phénomène nouveau et il a déjà été largement étudié (Alter, 1985 ; Jaeger et al., 1986). Mais
il s’est amplifié avec le développement plus rapide du marché grand public des technologies
de l’information, reposant sur la dynamique de puissants effets réseau autour de produits et
services innovants. Il est devenu plus que jamais nécessaire de problématiser l’introduction de
technologies grand public dans les organisations.
La pression sociale exercée sur les entreprises est d’autant plus forte que les nouveaux outils
du web 2.0 reposent sur l’implication des utilisateurs. Dans le grand public, cette implication
consiste pour ces derniers à créer du contenu (on parle de user generated content- UGC). Il y
a donc non seulement une diffusion plus forte des produits informatiques innovants dans le
marché grand public mais également une implication native des utilisateurs dans la
construction des services (blogs, wikis, réseaux sociaux…) auxquels ces produits donnent
lieu. Cela pose la question de la possibilité pour les salariés de générer librement du contenu
9
(selon la formule de Kim et al., 2011 et, en écho à l’UGC, on pourrait parler d’employee
generated content) en vue de produire des services collectifs internes à l’entreprise, dans un
cadre contraint.
L’introduction du web 2.0 dans les entreprises répond ainsi à une forte pression externe mais
aussi à une difficulté interne qui semble bien plus grande que pour les outils antérieurs. C’est
dans ce cadre que nous tenterons d’appréhender les différentes possibilités de la diffusion, de
l’adoption et de l’appropriation des outils du web 2.0 en entreprise, en proposant une lecture à
partir des deux figures polaires que nous venons de définir : la figure classique de l’adoption
des TIC en entreprise (top-bottom) et la figure inverse (bottom-up) du transfert des outils et
pratiques de la sphère privée vers le monde professionnel (Le Douarin, 2007 ; Boboc et
Metzger, 2009). Dans la première, la décision d’équipement est prise par l’entreprise, les
salariés sont impliqués dans le processus d’implémentation et formés pour que le plus grand
nombre d’entre eux s’en servent. Dans la seconde, ce sont les salariés eux-mêmes qui
poussent l’entreprise à adopter de nouvelles TIC. Moins courante, cette dernière figure se
fonde sur les apprentissages et l’appropriation de ces technologies que les salariés ont acquis
dans leur vie privée et reflète la tendance actuelle de la consumérisation des TIC11
. Dans ce
cas, leur implication va bien au-delà de ce que requièrent les processus classiques
d’implémentation et elle constitue la dynamique même de l’adoption des nouveaux outils
dans l’entreprise. Il va de soi qu’entre ces deux figures extrêmes, on peut rencontrer toute une
palette de configurations intermédiaires.
5. Résultats
Pour contourner les risques inhérents à l’étude de technologies émergentes et éviter de tomber
dans une forme de déterminisme technologique, il nous a paru nécessaire de ne pas en rester à
l’étude des usages et des expérimentations de ces outils tels qu’on les rencontre dans des
grandes firmes très spécifiques, mais d’envisager des situations et des métiers différents en
partant moins de l’outil que de la pratique.
Cet article tente donc de croiser deux terrains d’enquête que sont, d’une part, l’étude d’un
wiki de chercheurs au sein d’un département R&D et, d’autre part, l’évaluation des pratiques
de coordination décentralisée de salariés évoluant dans un grand nombre d’entreprises
différentes et à des postes différents, à travers la post-enquête COI TIC 2006.
5.1. Spécificités des outils du web 2.0
Les technologies du web 2.0 matérialisent l’idée que des contenus collectifs peuvent surgir
des interactions des internautes, en l’occurence des salariés. Les entreprises peuvent exploiter
cette opportunité mais cela pose des questions importantes : dans quelle mesure ces
technologies sont-elles compatibles avec la nature plus ou moins verticale de l’organisation ?
Le cadre hiérarchique de celle-ci peut-il s’accommoder de la mise en œuvre de ces outils en
transformant leurs usages ?
Pour répondre à ces questions, il faut caractériser les technologies web 2.0 par rapport au
fonctionnement des organisations : communiquer des informations, coordonner
horizontalement des processus de travail entre unités, coordonner verticalement la prise de
décision, produire et partager des connaissances. Or ces technologies sont loin d’être
homogènes (ainsi le wiki et les flux RSS n’ont ni les mêmes usages ni les mêmes effets). Par
conséquent, il convient avant toute chose de définir ces technologies en explicitant leurs
propriétés organisationnelles et leurs propriétés communes (communication, coordination,
collaboration), et en précisant ce qui les différencie des technologies précédentes. Il faut
11 Cf ci-dessus note 8.
10
ensuite envisager la manière dont les salariés peuvent adopter ces technologies dans
l’organisation et développer des usages spécifiques au cadre particulier de leur activité
productive. Notre quête part de l’idée qu’il n’y a pas de déterminisme technologique mais
qu’au contraire, seul le changement organisationnel concourant au changement technologique
permet de retirer les bénéfices potentiels associés à ces nouvelles technologies.
5.1.1. La caractérisation des technologies web 2.0 par rapport aux autres outils
S’intéresser aux technologies du web social conduit à revenir sur les outils collaboratifs tels
que le groupware ou l’intranet qui prétendaient déjà mettre en œuvre des processus
coopératifs au sein des organisations et sur les travaux qui ont été consacrés à leur diffusion
(Orlikowski, 1992b ; de Vaujany, 2001). Ces travaux peuvent éclairer notre recherche sur la
diffusion des nouveaux outils du web 2.0 et permettent de caractériser l’apport de ces derniers
par rapport aux outils plus anciens.
Les outils de groupware ont pour objet de faciliter et d’améliorer la coordination entre
employés au sein d’une organisation du travail directement contrôlée par la hiérarchie.
L’intranet propose quant à lui à la fois des outils de communication et des outils de gestion
de l’information et des connaissances, mais toujours dans le cadre d’une organisation
directement contrôlée par la hiérarchie. Les travaux en management des SI ont montré que le
cadre hiérarchique a limité les usages, même quand ces technologies visaient la flexibilisation
des interactions et de la coordination au sein de l’entreprise. Ainsi, les plus belles réussites
des groupware ne sont pas le développement libre d’interactions entre les salariés mais les
processus de travail automatisés que sont les workflow.
En partant des travaux existants sur les outils collaboratifs de la première génération, deux
différences majeures apparaissent entre ces derniers et les technologies du web 2.0.
D’abord, les technologies du web social ont vu le jour dans la sphère privée, sur Internet, dans
le grand public. En tant que telles, elles ont été pensées pour fonctionner dans un contexte qui
n’est pas celui de l’entreprise, mais au contraire dans le contexte très libre de la Toile. Ce cas
de figure a déjà existé par le passé mais à un autre niveau, celui de l’équipement
(l’introduction dans l’entreprise des ordinateurs personnels d’abord développés pour le grand
public) ou du logiciel (l’installation des logiciels de messagerie instantanée sur le poste de
travail), alors qu’il s’agit ici d’outils directement accessibles à quiconque dispose d’un accès à
Internet.
Ensuite, ces technologies émergent et se diffusent à un moment charnière dans l’histoire des
technologies car le marché grand public est devenu le marché le plus véloce, sur lequel le taux
d’innovation et la vitesse du renouvellement des équipements ont dépassé ceux du marché
professionnel. De ce fait, les utilisateurs ont des attentes de plus en plus importantes
concernant les outils mis à leur disposition en entreprise. Ces exigences accrues paraissent
excéder le simple effet générationnel qui est associé à l’arrivée sur le marché du travail de la
génération Y (Cnil, 2014).
Enfin, la dynamique des outils du web 2.0 présente une différence notable avec les
générations précédentes d’outils en ce qu’elle repose entièrement sur la participation des
utilisateurs, ici des salariés. En effet, les outils des générations précédentes étaient structurés,
paramétrés et déployés dans une organisation et, même faible, leur utilisation était guidée par
le design de l’outil alors que, pour les outils du web 2.0, la structure émerge avec les usages et
dépend donc de la dynamique de participation des utilisateurs. Les outils du web 2.0 en
entreprise fonctionnent grâce à ce que nous avons appelé plus haut l’employee generated
content. La réussite de leur adoption dépend davantage de l’implication des salariés que ne le
11
faisaient les générations précédentes d’outils collaboratifs et, en cas d’échec, le risque est plus
grand qu’ils ne soient que des coquilles vides.
5.1.2. L’adoption des technologies du web 2.0 par les salariés
La diffusion du web 2.0 en entreprise se singularise d’abord par le fait que ce web recouvre à
la fois des technologies et des principes de fonctionnement. Il s’agit d’un ensemble
hétérogène de technologies et de « philosophies ». Il s’agit donc d’étudier des technologies
qui, bien que présentant des caractéristiques structurelles communes, proposent des
fonctionnalités différentes qui peuvent être mises en œuvre dans des buts variés avec des
implications plus ou moins grandes pour l’organisation et le management.
Ensuite, ces technologies qui, même si elles ont par la suite été adaptées et reformatées pour
l’entreprise, trouvent leurs origines sur Internet. Ces technologies n’ont donc pas été
développées dans l’idée de satisfaire des besoins professionnels et de servir en entreprise, et
cette circonstance a marqué aussi bien leur « esprit » que leur design. Dès lors, ces
technologies se sont initialement développées dans la sphère privée où elles ont trouvé leur
mode de fonctionnement et leur format au travers d’usages éloignés des préoccupations du
monde de l’entreprise et des pratiques professionnelles.
Cependant, avec l’effacement des frontières entre sphère privée et professionnelle et
l’accroissement des équipements des individus, de leur connectivité et de leurs attentes
technologiques sur le lieu de travail, un mouvement est en train de se produire qui tend à
montrer qu’une technologie à usage privé peut servir en milieu organisé et que inversement
une technologie dédiée à un usage professionnel peut être utilisée à des fins privées. Ce
mouvement se traduit par des importations croisées des technologies en cause entre les deux
sphères, privée et professionnelle, les outils privés migrant dans les pratiques professionnelles
et inversement.
Ce mouvement d’une sphère à l’autre a connu plusieurs changements au cours de l’histoire
conjointe des technologies et des organisations du travail. Tantôt l’entreprise a formé ses
salariés qui ont ensuite importé leurs pratiques à la maison12
, tantôt ce sont les salariés qui ont
introduit ou développé les usages des technologies dans les entreprises13
. Puis est arrivé un
moment où le mouvement est devenu circulaire, le Blackberry (le plus répandu parmi les
smartphones d’entreprise) a envahi les repas de famille et les week-ends à la campagne et
Facebook a commencé à inquiéter les entreprises en raison de l’utilisation croissante qu’en
font leurs salariés en « flânant » sur les profils des uns et des autres.
Les quelques travaux récents qui ont commencé à étudier les processus d’adoption et
d’appropriation du web 2.0 en entreprise dans une perspective structurationniste illustrent
notre propos de manière intéressante. En effet, dans ces travaux nous retrouvons l’importance
des deux caractéristiques des technologies du web 2.0 en entreprise que sont la préexistence
d’usages privés de ces outils au moment où ils pénètrent dans l’entreprise et l’implication des
salariés plus importante qu’ils réclament par rapport aux outils antérieurs.
Stocker et al., (2012) ont étudié plusieurs wikis d’entreprise et ont mis en évidence le rôle des
salariés et de leur dynamique contributive dans le succès ou l’échec de trois wikis différents.
Cette importance du rôle des utilisateurs est d’autant plus marquée que les wikis étudiés
avaient été adoptés par le management ou par les utilisateurs.
12
Par exemple avec le télécopieur (Berthes, 1995). 13
Le micro-ordinateur par exemple : on se souvient de l’Apple II qui était destiné au marché grand public et qui
a été introduit en entreprise avec l’apparition des logiciels de tableurs.
12
Une autre recherche traitant des wikis d’entreprise a démontré l’importance de l’existence
d’usages développés dans la sphère privée sur l’appropriation qui est faite de l’outil en
entreprise (Raeth et al., 2011). Les auteurs montrent comment les usages considérés comme
« efficaces » et en cohérence avec l’outil se sont développés dans l’entreprise en prenant pour
référence les fonctionnements de l’emblématique encyclopédie en ligne Wikipédia. Usages
privés et implications des utilisateurs apparaissent donc dans ces recherches pionnières
comme des facteurs déterminants des processus d’adoption et d’appropriation des outils du
web 2.0 en entreprise.
En nous fondant sur l’analyse de nos terrains et sur une grille de lecture développée à partir
des travaux structurationnistes de DeSanctis et Poole – l’esprit de la technologie –,
d’Orlikowski – notamment de sa notion d’enactment –, ainsi que des trajectoires
appropriatives de De Vaujany, nous proposons un modèle stylisé pour chacune des
trajectoires d’appropriation envisageables pour ces outils. Cette grille de lecture a été
élaborée au fur et à mesure que notre recherche avançait. Nous présentons ces modèles
comme un résultat de notre analyse, une manière de désigner le réel à partir d’une typologie
qui peut être utilisée pour décrire une trajectoire appropriative à la manière du modèle
archétypique proposé par De Vaujany en 2003.
5.2. Trajectoires de diffusion des outils du web 2.0 en entreprise : 3 scenarii d’adoption
et d’appropriation
L’analyse de nos terrains empiriques et nos allers-retours entre théorie et terrains nous ont
conduits à proposer une grille lecture de l’adoption et de l’appropriation des outils du web 2.0
en entreprise sous la forme de trois scenarii stylisés : la diffusion classique, le bricolage et
l’entreprise 2.0. Ces trois scenarii n’ont pas de vocation explicative ou normative mais plutôt
descriptive. À travers eux, nous tentons seulement de schématiser les grandes possibilités de
l’introduction des outils du web 2.0 en entreprise sans pour autant les y limiter. Il s’agit plutôt
de trois positions entre lesquelles peuvent exister de nombreuses situations intermédiaires.
5.2.1. La diffusion classique
Le scénario de la diffusion classique est un scénario dans lequel la direction de l’entreprise
prend une décision d’équipement pour acheter et implémenter une technologie mais ne
modifie pas ou peu, par ailleurs, son organisation. Il s’agit d’un cas classique dans l’adoption
d’une TIC par une entreprise. Dans la littérature sur le sujet et en particulier dans les travaux
de thèse, la plupart des cas étudiés relèvent de cette situation dans laquelle la direction impose
sa vision stratégique sur l’évolution du SI. Il s’agit généralement d’une décision d’équipement
portant sur une TIC développée pour l’entreprise.
Dans le cas des outils du web 2.0, la nature des outils adoptés est altérée car ils sont
« ajustés » pour répondre aux normes de fonctionnement inchangées de l’entreprise. En cela,
l’esprit de la technologie n’est pas respecté ou il ne l’est que partiellement et ses
caractéristiques structurelles sont modifiées. Comme pour n’importe quelle autre TIC, les
entreprises tendront à s’équiper en achetant une solution à un vendeur informatique ou à un
prestataire de services, c’est-à-dire une suite logicielle « 2.0 ». La technologie ainsi adoptée
intégrera l’intentionnalité des développeurs et les caractéristiques structurelles qu’ils pensent
être nécessaires pour le bon fonctionnement en entreprise. Le design des outils ainsi
reconfigurés est plus contraignant que celui des outils tels qu’ils fonctionnent sur l’Internet
(DeSanctis et Poole, 1994). Nous pouvons rappeler ici le débat Suchman-Winograd qui a été
l’occasion de critiquer, en CSCW, la trop grande contrainte exercée par le design des outils
sur les interactions qu’ils vont pouvoir médiatiser. Ne laissant pas les usages émerger, les
13
outils reconfigurés risquent en effet de ne pas être appropriés de manière fructueuse mais
d’être utilisés a minima.
Même si le management tente d’impliquer les salariés dans son choix des technologies 2.0,
l’entreprise qui recourt à ces solutions va donc faire face au problème classique de leur
acceptation par ces derniers. L’implication des salariés est nécessaire à la réussite de
l’adoption des outils en cause et s’avère plus déterminante que pour l’adoption de tout autre
type de technologies. Ce sont eux, en effet, qui vont mettre la technologie en usage (l’enacter)
soit en maintenant les règles en place (il s’agit de l’inertie) – ce qui est le cas le plus probable
– soit en améliorant l’efficacité des pratiques sans toutefois les modifier réellement (il s’agit
de l’application) dans une vision à la Orlikowski (2000). La trajectoire appropriative neutre
est celle qui décrit le mieux ce scénario possible (de Vaujany, 2003).
Dans ce scenario, l’organisation et son management ne subissent que peu de changements ou
d’ajustements : ce sont les nouveaux outils qui sont adaptés, même s’ils doivent par cette
adaptation perdre une partie de leurs caractéristiques et être mis en œuvre dans un esprit
différent. Les salariés n’étant pas à l’origine de l’initiative, il risque de manquer un noyau dur
d’utilisateurs qui se sentiraient particulièrement investis. Les effets d’entraînement sont peu
envisageables et, s’ils n’ont pas déjà développé dans le privé des usages des outils
implémentés, les salariés risquent de ne pas faire l’effort d’apprendre à les utiliser en estimant
qu’ils vont se traduire par une surcharge de travail. Même dans le cas où ils ont développé de
tels usages, ceux-ci risquent de ne pas être complètement en adéquation avec l’outil tel qu’il a
été reconfiguré pour l’entreprise, mais ils devraient au moins permettre de créer une
dynamique favorable à l’adoption.
Il existe dans ce modèle une autre hypothèse : celle où le nouvel outil n’a pas été choisi par la
direction de l’entreprise mais demandé par les salariés qui ont exprimé leurs souhaits auprès
d’elle. Cependant, même si cette dernière rend l’outil souhaité disponible a minima sur le SI,
il ne s’agira pas d’un outil institutionnalisé et il sera, là encore, « ajusté » pour s’adapter à
l’organisation.
Comme exemples de ce scénario, on peut citer les propositions commerciales qui sont faites
aux entreprises désireuses de s’équiper par des sociétés telles que SocialText ou BlueKiwi qui
ne se contentent pas de vendre une solution configurée pour l’entreprise en s’inspirant des
outils du web 2.0 mais proposent aussi – comme d’autres pour le déploiement d’un ERP – une
assistance et une compétence humaines qui vont se faire le relais des « bonnes pratiques »
telles qu’elles sont « conçues » par la société éditrice. En effet, les grands comptes des
éditeurs de suite « 2.0 » se voient souvent proposer l’intervention d’un animateur de
communauté qui va prendre en charge le lancement de l’outil. Ainsi, non seulement la
philosophie projetée sur l’outil par la société éditrice se trouve incorporée à son design, mais
elle va également être relayée par un animateur qui aura pour rôle d’entraîner la dynamique
d’adoption, en formant les utilisateurs mais aussi en « évangélisant » les techno-sceptiques.
14
Figure 1 : Scénario de la diffusion classique
5.2.2. Le bricolage
Le second scénario est celui du bricolage et vise le cas où ce sont les salariés qui sont à
l’initiative. La dynamique d’adoption des outils est portée par les salariés qui importent dans
l’entreprise des outils et des pratiques qu’ils considèrent comme efficaces et qu’ils utilisent
dans la sphère privée. Cette adoption est par nature localisée et ne correspond pas à une
modification du système d’information. Elle se cantonne, au moins au début, à de petits
groupes de salariés qui ont l’habitude de travailler ensemble et qui partagent leurs pratiques
afin d’améliorer leur collaboration voire aux pratiques individuelles. Dans ce cas, les outils
concernés sont utilisés à titre professionnel de la même façon qu’ils le sont dans la vie privée,
MANAGEMENT / DIRECTION
SYSTÈME
D’INFORMATION
SALARIÉS / UTILISATEURS
USAGES
PRIVÉS
Implémentation d’outils web 2.0
adaptés aux entreprises
SOCIÉTÉ
ÉDITRICE /
PRESTATAIRE
INFORMATIQUE
15
mais ils le sont hors du contrôle du management. Ce sont des bricolages, des adaptations
d’outils que les salariés utilisent hors de l’entreprises ou encore des détournements ou des
réinventions d’outils dont ils disposent sur le SI (Ciborra, 1999, 2000 ; Hovorka et
Germonprez, 2011). Ils n’expriment pas le souhait d’utiliser ces outils au sein du SI ni de
généraliser leurs pratiques de détournement d’outils proposés par ce dernier. Ils se contentent
d’utiliser ceux qu’ils ont à leur disposition sur Internet ou sur le SI pour se faciliter le travail
ou réaliser leur personal knowledge management, la gestion de leur environnement numérique
et de leurs flux d’information (qui trouve ses limites dans la pratique intensive de l’e-mail)
dans une forme d’organisation du SI à l’échelle individuelle.
On assiste en quelque sorte à une introduction « sauvage » au sein de l’entreprise et des
pratiques professionnelles des salariés, d’outils utilisés dans la sphère privée ou à des
détournements d’outils utilisés par l’entreprise. Les salariés-utilisateurs agissent ici à la fois
comme des « braconniers » et des innovateurs puisqu’ils transforment les usages de
technologie appropriées dans la sphère privée et détournent les usages prescrits des
technologies offertes par le SI de l’entreprise (de Certeau, 1980).
Dans ce cas de figure, l’esprit des outils du web 2.0 et leurs caractéristiques structurelles ne
sont pas modifiés car ils ne se confrontent pas à l’expérience de la reconfiguration mais à
celle de l’émergence (DeSanctis et Poole, 1994). Ni l’entreprise, ni les salariés qui utilisent
ces outils ne poussent à institutionnaliser et généraliser ces usages. Le passage à l’échelle
organisationnelle n’est donc pas envisageable. On a affaire à une hybridation professionnelle
d’outils privés ou un détournement d’usage d’outils professionnels. Les salariés bricolent aux
marges du SI pour se faciliter le travail, en utilisant d’autres outils que ceux supportés par
l’entreprise (de Vaujany, 2011). Il existe ainsi des formes de SI individuels aux marges du SI
institutionnel qui n’existent que de manière localisée et permettent aux salariés d’améliorer
leur performance (ils enactent la technologie sous la forme de l’application, Orlikowski,
2000). La trajectoire appropriative qui décrit le mieux ce scénario est la trajectoire
improvisationnelle, car la technologie est bien « reconstruite socialement de façon
récurrente » (de Vaujany, 2003) dans l’ensemble des réaménagements et des bricolages
opérés par les salariés innovateurs (dans l’acception altérienne du terme).
On trouve des exemples très différents d’usages qui illustrent ce scénario d’appropriation. Un
des exemples classiques est le recours à Doodle en entreprise. Le salarié préfère utiliser la
technologie libre du Doodle (organisation de réunions et gestion de l’agenda avec une
connexion possible à son outil professionnel ou personnel) plutôt que sa boîte mail
professionnelle pour organiser une réunion avec plusieurs personnes. Un autre exemple est la
mobilisation de ses réseaux sociaux par le salarié innovateur qui va utiliser de manière
professionnelle le réseau qu’il s’est constitué avec un outil personnel tel que LinkedIn ou
Viadéo. La plasticité de l’e-mail en fait un des outils du SI le plus facilement bricolé et le
mélange des outils personnels et professionnels en la matière donne lieu à des aménagements
et adaptations des outils (transfert ou copie du professionnel vers le personnel pour avoir un
accès webmail ou une lecture directe sur un smartphone personnel). Les outils de transfert de
fichiers volumineux utilisés pour les relations avec les clients ou fournisseurs constituent un
autre exemple possible de bricolage. Enfin, les exemples d’utilisation des outils du web 2.0
sur Internet tels qu’ils sont offerts pour des besoins professionnels constituent le cœur de ce
scénario. Il peut s’agir d’une collaboration à distance sur un wiki dont le serveur est localisé
hors du réseau de l’entreprise, d’outils de co-conception tels que ceux offerts par Google
(Google Docs, Sites, Blogger) etc. Ces outils ne nécessitent en effet qu’un accès internet et un
navigateur et laissent donc la possibilité à tout salarié dont le SI n’est pas verrouillé de
bricoler son propre SI individuel aux marges du SI de l’entreprise pour travailler le plus
efficacement possible.
16
Figure 2 : Scénario du bricolage
5.2.3. L’entreprise 2.0
Enfin, le troisième scénario est celui de l’entreprise 2.0. Il s’agit de l’idéal proche de ce que
théorise McAfee (2006, 2009). Ici, l’initiative de l’adoption peut provenir des salariés ou de la
direction mais, s’il s’agit des salariés, la dynamique d’adoption sera soutenue par les
utilisateurs innovateurs qui l’auront impulsée. Dans ce cas, la technologie est adaptée sans
être dénaturée et le management s’adapte aux transformations induites par son
fonctionnement (DeSanctis et Poole, 1994 ; Markus et Silver, 2008). Il y a une boucle de
rétroaction entre adaptation de la technologie et du management. Le système d’information
peut se nourrir du travail des salariés innovateurs qui développent des usages efficaces hors de
lui, en adaptant le fonctionnement de la technologie et le fonctionnement de l’organisation et
en le traduisant en un usage institutionnalisé au sein du SI. Les caractéristiques structurelles et
l’esprit sont négociés entre les usages émergents et les usages institutionnalisés.
L’appropriation apparaît comme un processus circulaire entre les usages émergents des
MANAGEMENT / DIRECTION
SYSTÈME
D’INFORMATION
SALARIÉS / INNOVATEURS
USAGES
PRIVÉS
Outils du web 2.0 hors SI et
bricolage d’outils du SI
Doodle, webmail
personnel, outils
web 2.0, dropbox,
transfert de
fichier…
17
salariés et leur traduction en pratiques organisationnelles. Les salariés énactent la technologie
selon la figure du changement (Orlikoski, 2000).
La trajectoire appropriative qui correspond le mieux à ce scénario est la trajectoire catalytique
car l’émergence traduit une posture managériale qui correspond déjà à un changement (de
Vaujany, 2003). Le scénario de l’entreprise 2.0 traduit plus une posture managériale qu’un
phénomène technologique. Les salariés-innovateurs sont laissés libres d’innover par la
direction, qui se charge en retour d’adapter leurs usages efficaces à un nouveau mode
d’organisation. Les rôles et les caractéristiques sont négociés. Dans un premier temps, les
usages se développent librement, sans contrainte autre que la sécurité, pour laisser émerger les
plus créatifs et les mieux adaptés au contexte. Cependant, si l’appropriation n’est pas trop
encadrée dans la phase initiale, il arrive un moment où la nouvelle technologie va faire l’objet
d’une institutionnalisation par le management, pour que le passage à l’échelle
organisationnelle puisse avoir lieu et que l’outil soit perçu comme viable et crédible. La
direction va a minima expliciter ce à quoi doit servir la technologie, son utilité et ses
recommandation ou bien elle peut en faire la promotion.
On peut retenir de tout cela que les acteurs de l’entreprise sont pris en tenaille entre les
postures qu’ils peuvent adopter à l’égard des outils du web collaboratif et les effets qui y sont
associés. Quand ils veulent pousser à l’adoption de ces outils, les managers se trouvent en
contradiction avec la nature de ces derniers qui reposent fondamentalement sur l’implication
des salariés-utilisateurs. À l’inverse, s’ils sont réticents à introduire les outils du web 2.0, ils
constituent un frein au processus d’adoption par la base ou à l’innovation ascendante (bottom
up) car ils n’arrivent pas à évaluer les bénéfices qu’ils vont pouvoir en retirer. De leur côté,
les salariés qui ont déjà une expérience de ces outils dans leur vie privée peuvent être le
moteur de leur adoption en entreprise, mais pour cela l’utilisation qu’ils en font doit être
reconnue et valorisée par le management.
L’introduction des outils du web 2.0 en entreprise comprend le risque de modifier les
conditions du fonctionnement de l’organisation et crée par nature des situations de blocage
qui tiennent à ce contexte particulier.
Les exemples du scénario de l’entreprise 2.0 sont ceux proposés par McAfee et les quelques
case study basés sur des grands succès, qui sont souvent le fait de société qui produisent elles-
mêmes des outils (IBM, Microsoft, Cisco, Oracle, etc.) ou sont très familières des
technologies (VistaPrint, Serena Software). Dans la plupart de ces exemples, l’initiative est
souvent le fait de l’entreprise mais les salariés sont très compétents et déjà utilisateurs de ces
outils.
18
Figure 3 : Scénario de l’entreprise 2.0
Ces scénarii d’adoption et les trajectoires d’appropriation qui en découlent ne se veulent pas
exclusifs d’autres trajectoires possibles. Au contraire, des trajectoires hybrides vont exister.
Ces scenarii proposent plutôt une lecture possible des figures polaires de l’adoption et des
trajectoires d’appropriation des outils du web 2.0 en entreprise en tentant de prendre en
compte le rôle essentiel des salariés dans la dynamique d’adoption, l’existence d’usages
privés, les différences de contextes privés et professionnels et leurs effets sur la production
et/ou la reproduction des structures sociales et des technologies.
USAGES
PRIVÉS
Espace de travail
partagé, wiki de
projet, blog de
partage des
pratiques pro…
SALARIÉS / UTILISATEURS
MANAGEMENT / DIRECTION
SYSTÈME
D’INFORMATION
Outils du web 2.0 hors SI et
bricolage d’outils du SI
Institutionnalisation
Généralisation
19
6. Discussion
La question que nous nous sommes posée dans cet article a porté sur la diffusion des outils du
web 2.0 en entreprise, sur les modalités de leur adoption et sur l’implication de ces dernières
sur les processus d’appropriation. Nous avons tenté de montrer dans quelle mesure, tant le
milieu d’origine de la technologie qui va se diffuser, que les acteurs qui impulsent la
dynamique d’adoption ont un effet structurant sur la trajectoire d’appropriation de la
technologie.
L’analyse que nous avons développée autour de ces nouveaux d’outils s’inscrit en MSI, mais
il nous a fallu emprunter des voies d’accès multiples pour tenir compte du fait qu’ils diffèrent
de ceux qui sont généralement étudiés dans ce champ d’analyse et d’ailleurs, plus
généralement, de toutes les générations d’outils précédentes.
La première de leurs singularités est qu’ils ne recouvrent pas une technologie particulière
mais un ensemble hétérogène de technologies partageant des caractéristiques communes. En
outre, ils ont émergé dans la sphère privée en réponse aux besoins de coordination des
internautes et n’ont donc pas été conçus pour satisfaire les besoins des entreprises. Enfin, la
dernière différence notable entre le web 2.0 et les outils traditionnellement étudiés en MSI
tient au fait que le succès des premiers dépend entièrement des dynamiques participatives des
utilisateurs ou salariés.
La diffusion de ces nouveaux outils s’opère soit par la voie classique des décisions
managériales, soit par la voie moins courante des phénomènes d’infiltration, c’est-à-dire de
pratiques qui consistent, pour les salariés, à transférer sur leur lieu de travail ou dans leurs
modes de travail, des outils dont ils ont acquis la maîtrise dans leur vie privée ou de pratiques
qu’ils y ont développées.
Les différentes modalités selon lesquelles les outils du web 2.0 peuvent être adoptés dans les
entreprises ont des conséquences sur leur appropriation car leur nature n’est pas la même
selon qu’ils font l’objet d’une décision d’équipement classique par le management ou qu’ils y
pénètrent sous l’impulsion des salariés. En effet, dans le premier cas, ils sont généralement
reconfigurés par les vendeurs ou les prestataires de services pour les rendre plus conformes
aux besoins des entreprises alors que, dans le second, les salariés utilisent tout simplement les
outils très ouverts qui sont disponibles sur Internet. Cette particularité nous a conduits à faire
un usage spécifique des approches théoriques traditionnelles disponibles pour analyser les
trajectoires appropriatives de ces outils dans les entreprises.
La grille de lecture de l’adoption et de l’appropriation des outils du web 2.0 en entreprise que
nous avons retenue nous a conduits à distinguer trois scenarii possibles de diffusion avec
différentes modalité d’adoption (initiée par les salariés, par la direction, généralisée, localisée)
et différents effets sur l’appropriation (absence, localisée, généralisée). Cette grille de lecture
essaye de tenir compte à la fois du rôle des salariés, de la direction et des sociétés éditrices ou
prestataires informatiques dans le processus d’adoption et des caractéristiques structurelles de
la technologie, variables selon qu’on l’utilise dans sa forme naturelle ou reconfigurée. Les
trois scenarii se sont construits au fil de l’eau, à partir des données empiriques de nos deux
terrains d’enquête.
Le premier terrain, qui a porté sur un outil spécifique (le Wiki Scientifique), a révélé un
scénario assez proche de celui de l’entreprise 2.0 : l’adoption de cet outil a été initiée par les
salariés et s’est opérée librement après que ces derniers aient convaincu la direction de son
utilité, aucun cadrage organisationnel n’a accompagné l’initiative locale de son lancement et
aucun discours institutionnel n’a encadré sa diffusion. Le Wiki Scientifique ne s’est donc pas
diffusé par la voie classique du management et ce sont les salariés qui ont œuvré à son
20
développement en se « passant le mot ». Différents types d’usages se sont ainsi développés,
allant de la simple diffusion de l’information à l’établissement de contacts, en passant par la
coordination et le partage. Cette étude du Wiki Scientifique illustre parfaitement le caractère
interactif des outils du web 2.0, en soulignant toutefois que, bien qu’il serve effectivement de
plateforme de collaboration, il ne la crée pas, pas plus qu’il ne l’induit.
Nous avons fait le choix de mettre notre grille de lecture et les résultats de la première
enquête de terrain à l’épreuve d’une seconde enquête de terrain. Celle-ci n’a pas été ciblée sur
une technologie spécifique mais sur les pratiques de coordination électronique des salariés en
entreprise. C’est en définissant les caractéristiques des outils du web 2.0 que nous avons
élaboré un concept nouveau, celui d’outil de coordination décentralisée. Ce concept est plus
large que celui d’outils du web 2.0, qu’il englobe et dépasse en regroupant également tous les
autres types de technologies qui répondent aux mêmes caractéristiques. Ce concept devait
nous permettre de prendre en compte tous les outils, en nous basant sur leur mise en pratique
par les salariés.
Les résultats de cette enquête révèlent un scénario très éloigné de l’entreprise 2.0 et de
l’hypothèse que nous avions envisagée. Le transfert de la sphère privée vers la sphère
professionnelle n’opère pas, c’est plutôt l’inverse que nous avons constaté. Différents facteurs
bloquant la diffusion des outils du web 2.0 en entreprise ont été identifiés. Leur adoption par
voie de décision managériale s’accompagne de mesures d’adaptation au milieu spécifique de
l’entreprise qui peuvent être dissuasives. Quant aux salariés qui ont l’habitude d’utiliser ces
outils dans leur sphère privée et en connaissent bien les potentialités, ils hésitent à prendre des
initiatives dans leur usage au sein de l’entreprise en raison de leur subordination à une
hiérarchie parfois peu ouverte à ces questions.
Bien que les résultats de cette seconde enquête n’aient pas été ceux que nous avions imaginés,
ils doivent être lus pour ce qu’ils sont : les résultats d’une enquête réalisée dans un contexte
économique et social dégradé. Pour l’heure, cette enquête atteste de l’existence d’une réelle
dynamique entre sphère privée et sphère professionnelle, dont il faut d’ores et déjà tenir
compte dans l’étude des systèmes d’information, et qui pourrait bien, à l’avenir, être amenée à
s’inverser.
Comme toute recherche en gestion, notre travail a tendu vers deux objectifs, l’un théorique,
l’autre managérial.
Au plan théorique, nous n’avons pu emprunter l’approche économique faute d’éléments
disponibles suffisants et de recul sur les outils et pratiques examinées. Le CSCW nous a en
revanche fourni de nombreuses pistes explicatives des interactions qui surviennent entre les
technologies et ceux qui s’en servent et nous a aidé plus particulièrement à comprendre les
implications du design des outils dans la prescription ou la liberté laissée à ces interactions.
La sociologie des usages et plus spécialement les études consacrées aux problématiques de
l’appropriation des outils du web 2.0 dans la sphère privée nous ont, quant à elles, fourni de
nombreuses prises, notamment pour envisager des détournements d’usages et transposer les
écarts entre usages prescrits/usages effectifs au couple usages privés/usages professionnels.
Enfin, le cadre des recherches structurationnistes nous a semblé particulièrement pertinent
pour étudier ces outils qui, malgré leurs spécificités, reposent un certain nombre de
problématiques classiques. Dans ce cadre, nous avons fait appel plus particulièrement appel
aux recherches en management des SI, pour prendre en compte la tendance récente de
l’importation par les salariés des technologies du web 2.0 issues du marché grand public au
sein des entreprises. Nous avons tenté d’adapter les outils théoriques de ce champ scientifique
pour analyser les modes de pénétration des technologies en cause dans les pratiques
21
professionnelles des salariés, comprendre comment ces outils y sont appropriés et quelle
position ils occupent au regard des SI.
C’est à partir de ces différents champs disciplinaires et des allers-retours répétés entre leur
foisonnante production théorique et nos données de terrains que nous avons élaboré la grille
de lecture susvisée et proposé trois processus-types possibles de diffusion, d’adoption et
d’appropriation de ces outils en entreprise.
Quant à l’enjeu managérial, il est double, comme nous l’avons déjà évoqué plus haut (page 7).
D’une part, il s’agit de reconnaître l’existence des dynamiques que nous avons présentées et
de permettre leur prise en compte dans les décisions d’équipement, d’implémentation et de
déploiement de nouveaux outils dans le SI. Les usages développés hors de l’entreprise et hors
du SI peuvent être structurants dans les processus d’adoption et d’appropriation de nouvelles
TIC dans l’entreprise. D’autre part, il s’agit d’intégrer dans l’analyse et la mise en œuvre des
outils, le rôle moteur que peuvent jouer les salariés dans l’adoption et l’appropriation de
nouvelles TIC dans l’entreprise.
Enfin, au plan méthodologique, notre travail présente une certaine originalité en utilisant
conjointement analyse quantitative (données de trafic, questionnaire, base de données) et
qualitative (entretiens) et en appliquant ces méthodes sur deux terrains d’enquête différents
(étude de cas en entreprise et post-enquête).
Ce travail présente néanmoins des limites. Certaines tiennent à notre approche du phénomène
d’adoption et d’appropriation. Nous avons voulu porter un regard différent sur l’appropriation
d’une TIC en entreprise en prenant en compte une multitude de perspectives (des salariés, du
management, des professionnels concepteurs de logiciels d’entreprise) en essayant
d’apprécier la façon dont elles s’inscrivent dans culture de l’Internet et leurs influences
respectives sur la nature des outils et des modalités de leur adoption et appropriation. Ce
faisant, nous avons été conduits à articuler plusieurs outils théoriques : le CSCW pour prendre
en compte l’importance du design des outils sur la nature des interactions qu’ils vont
supporter (forme naturelle vs forme reconfigurée), la sociologie des usages pour l’analyse du
développement des usages et de l’appropriation et le structurationnisme en MSI auquel nous
avons fait les emprunts les plus notables (caractéristiques structurelles et esprit de la
technologie, enactment, technologie en pratique, figures archétypiques et trajectoires
appropriatives). Or la mobilisation de différents outils théoriques induit des limites à la fois
sur le plan conceptuel et au niveau méthodologique.
Une autre limite tient à l’étendue très vaste de notre objet de recherche. Bien que nous ayons
tenté de nous doter d’une définition aussi précise que possible du web 2.0, cet objet reste très
lâche et recouvre un ensemble hétérogène de TIC.
La limite essentielle est sans doute méthodologique et concerne la validité et la cohérence
théorique de nos terrains d’investigation. Notre recherche s’est essayée au mélange des genres
en se basant, d’une part, sur une étude de cas et, d’autre part, sur une post-enquête auprès de
différents salariés évoluant dans des entreprises différentes. D’un côté nous avons donc
privilégié une analyse approfondie d’un seul et unique outil en situation au sein d’une
entreprise. Ce positionnement méthodologique est préconisé notamment dans le cas de
phénomènes encore peu accessibles à la communauté scientifique. À l’issue de ce premier
travail, nous avons souhaité élargir notre compréhension des phénomènes étudiés en
élargissant le champ de nos enquêtes de terrain et en questionnant les pratiques de
coordination électronique de salariés aux profils différents, déployées dans des contextes
différents. La cohérence des approches ainsi mises en œuvre et de leur ancrage théorique n’est
sans doute pas complète et reste ouverte aux critiques.
22
Toutefois, ces limites ouvrent la voie à des prolongements et des recherches futures. Une des
perspectives de recherche à considérer est de tester la grille de lecture sur d’autres terrains, en
variant les types d’entreprises et les types de technologies mise en œuvre. Confronter notre
grille de lecture à d’autres terrains d’étude permettrait de mettre à l’épreuve et d’enrichir nos
résultats, tout en visant une amélioration et une plus grande robustesse de leur valeur
explicative.
7. Conclusion
Deux tendances notables éclairent les évolutions possibles de l’adoption et l’appropriation des
outils du web 2.0 en entreprise et ouvrent des voies de recherche par rapport aux scenarii que
nous avons présentés.
Une première tendance du marché des outils de travail collaboratifs consiste en un
basculement des offres d’une sphère à l’autre, spécifiquement du privé vers le professionnel.
En effet, un nombre croissant de start up offrant des services innovants et ayant rencontré du
succès auprès des utilisateurs grand public, ont élargi leur business model en développant des
offres pour les entreprises. Dans un premier temps, ces outils ont été développés pour les
utilisateurs, ils sont user centric, et leurs interfaces et fonctionnalités leur ont permis d’être
adoptés et appropriés avec aisance par des utilisateurs hors des entreprises mais dans un but
productif. Dans un second temps, après avoir connu le succès auprès du grand public, ces
start up ont décidé de commercialiser des offres spécifiques aux entreprises. Contrairement au
marché grand public, qui se voit généralement offrir le service gratuitement – généralement
sur un mode freemium (service de base gratuit avec des options premium payantes) – les
offres pour entreprises sont la plupart du temps basées sur des licences d’utilisation pour un
certain nombre de salariés. La stratégie de ces start up est donc, de s’appuyer sur des usages
qui prééxistent et de vendre aux entreprises des outils qui ont déjà fait leur preuve auprès des
utilisateurs et qui ont une base installée d’utilisateurs satisfaits.
On trouve de nombreux exemples récents de sociétés qui, après avoir remporté un franc
succès sur le marché grand public, ont développé des offres payantes pour entreprises
intégrant les problématiques de sécurisation des données et d’intégration au SI. Elles
proposent des versions compatibles avec les applications et ERP les plus répandus en
entreprise. Par exemple, Box.net propose une version d’entreprise qui s’intègre sans heurts
aux SI existants. D’autres exemples récents sont révélateurs : Google apps, Dropbox,
Evernote pour n’en citer que quelques-uns ont tous adopté la même logique : réussir sur le
marché grand public, puis investir le marché professionnel pour y trouver un relais de
croissance.
Une seconde tendance se dessine avec les récents rachats de start up développant des outils
du web 2.0 pour les entreprises par les acteurs historiques du secteur. En effet, au vu des
dernières opérations réalisées par les fournisseurs de logiciels d’entreprise, la tendance du
marché semble être à la concentration. Les sociétés éditrices de logiciels pour entreprises les
plus anciennes – c’est-à-dire les fournisseurs historiques – tentent ainsi de se faire une place
sur les nouveaux marchés des outils de travail collaboratifs qui se sont développés avec le
web 2.0.
Cette deuxième tendance s’illustre par le rachat de Yammer (micro-blogging d’entreprise) par
Microsoft, le rachat de SuccessFactors (SIRH en mode SaaS) par SAP ou celui de
Coremetrics (optimisation du marketing et des activités en ligne) par IBM. Elle traduit une
forme de prise en compte des évolutions de marché par les acteurs historiques qui souhaitent
conquérir ces nouveaux domaines en achetant les acteurs innovants qui y évoluent et ceux qui
23
tentent d’y entrer. Ces tendances confirment l’intérêt d’élargir les recherches à de nouveaux
terrains et d’affiner la grille de lecture proposée.
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27
Annexes
Annexe A : Démarche d’analyse du wiki de la R&D de Telecom 2000
L’étude du « wiki de la recherche » nous a permis de nous intéresser aux processus
d’appropriation par les salariés d’une technologie représentative du web 2.0 porteuse de
nombreuses implications managériales et d’étudier conjointement les réactions et les
évolutions du management. Elle nous a donc aussi donné l’occasion d’illustrer les liens entre
adoption d’une nouvelle technologie et changement organisationnel.
Le cadre général de l’enquête est celui d’une analyse des formes de l’appropriation qui prend
en compte la dynamique de mise en place de la « technologie-en pratique » (Orlikowski,
2000). Dans cette perspective, les usages s’enracinent bien sur des hypothèses imaginées par
les concepteurs de l’outil, mais ils prennent véritablement corps, de façon beaucoup plus
située. Nous nous sommes également efforcés de reconstituer la structure du wiki, ce qui ne
constitue nullement une évidence. En effet, si un wiki relève la plupart du temps d’une
organisation hiérarchique de l’information d’un point de vue sémantique et logique, il est
techniquement très difficile de mettre en évidence une architecture en forme d’arbre à partir
de l’extraction des données. En effet, n’importe quelle page d’un wiki peut être associée à
plusieurs pages par des liens hypertexte, et il n’est pas facile de trouver une procédure
automatisée qui distingue sans ambiguïté une page « maître » des autres qui lui sont associées
pour d’autres raisons.
Pour pouvoir analyser le contenu, nous avons « découpé » le wiki en autant de sections qu’il y
avait d’items sur la page d’accueil décrite ci-dessus. Ainsi, chaque page du Wiki Scientifique
a été associée à l’une de ces sections, sur la base du calcul de la distance la plus courte (en
clics) entre la page et les items correspondants sur la page d’accueil. Cette attribution est
conventionnelle, mais elle a fait la preuve de sa robustesse dans le cadre de l’interprétation.
Nous avons également qualifié les contributeurs du Wiki Scientifique en fonction de leur
niveau de participation dans ces sections : pour chaque contributeur, nous avons dénombré le
nombre de contributions faites dans les différentes sections et nous avons défini la section «
favorite » du contributeur, comme la section dans laquelle il avait réalisé le plus grand
nombre de contributions.
Nous nous sommes appuyés sur une première analyse de ces données de trafic pour définir le
protocole de l’enquête qualitative. Un premier volet de l’enquête a porté auprès de 15 «
rédacteurs » choisis dans la base de données. L’échantillon a été composé de façon à prendre
en compte la diversité des caractéristiques de ces rédacteurs. Il comporte ainsi en nombre
raisonnable autant de contributeurs forts que de contributeurs faibles (les normes appliquées
pour identifier ces catégories étant celles issues de l’analyse du trafic), ce qui évite un biais
que l’on trouve parfois dans les enquêtes de ce type, qui consiste à surreprésenter les
utilisateurs les plus actifs. Le second volet d’enquête qualitative visant les « lecteurs » a été
mené auprès d’un échantillon de 15 personnes, inscrites dans la base de données, mais n’ayant
réalisé aucune contribution. Lecteurs et rédacteurs ont été contactés et rencontrés pour des
entretiens en face à face ou au téléphone, les guides d’entretien ayant été élaborés de manière
à permettre une analyse compréhensive des pratiques d’écriture électronique et de
consultation spécifiques au wiki.
Enfin, nous avons mené une troisième démarche d’interrogation, cette fois-ci par le biais
d’une enquête quantitative en ligne visant l’ensemble des salariés de la division R&D. Le lien
vers l’enquête a été adressé par un courriel envoyé à tous les utilisateurs de la messagerie
interne (dans cette division, la quasi-totalité des salariés, chercheurs, décideurs et employés,
dispose d’un courrier électronique, à l’exception des personnels de service et d’entretien).
28
389 réponses ont été obtenues, ce qui constitue un taux de retour acceptable pour une
organisation employant environ 4000 personnes. Le questionnaire fermé de cette enquête en
ligne a permis de collecter un certain nombre d’informations, non seulement à propos des
lecteurs et des rédacteurs sur le wiki, mais aussi de tous les non utilisateurs de l’outil.
Annexe B : Méthodologie de la postenquête COI TIC 2006
Pour éviter le biais du déterminisme technologique nous avons privilégié l’analyse de l’usage
des outils dans des contextes a priori diversifiés. Cette approche nous a conduits à articuler
étude quantitative et qualitative. L’étude quantitative a servi à diversifier le contexte
d’observation et à cibler la population de salariés étudiés. L’étude qualitative a permis
d’analyser l’usage ou le non-usage d’outils auprès d’un nombre limité de salariés. Bien que
difficilement généralisables, les résultats du travail qualitatif se basent sur un travail
quantitatif en amont et recouvrent une diversité de contextes plus large que les monographies
tirées de l’observation d’expériences pionnières.
L’enquête COI TIC (Changement Organisationnel et Informatisation – Technologies de
l’Information et de la Communication) est une enquête obligatoire de la statistique publique
qui avait été menée une première fois en 1997 et qui offre une analyse à double entrée en
interrogeant à la fois les salariés et les directions des entreprises en matière d’équipements
informatiques et de processus de gestion. La post-enquête, réalisée dans le cadre d’un appel à
projet pour le compte de la DARES, a permis d’étudier l’outillage de la coordination de
salariés aux profils variés, dans des entreprises de natures différentes, mais tous utilisateurs de
technologies collaboratives. En se concentrant sur les pratiques de coordination nous avons
réussi, d’une part, à étudier les fonctionnement du web 2.0 sans qu’il soit lié à des outils et,
d’autre part, à ouvrir l’analyse à des profils d’entreprises et de salariés très différents de ceux
qui constituent le cœur des utilisateurs les plus avancés (des utilisateurs aux profils techniques
dans de grandes entreprises multinationales de haute technologie telles qu’IBM, Microsoft,
Oracle…)
Pour cibler la population, nous avons retenu quatre critères : l’utilisation d’un matériel
informatique pour des besoins professionnels, l’usage d’une boîte électronique
professionnelle, l’usage d’internet ou d’un intranet et le travail en collaboration via un serveur
commun ou un disque dur partagé. Cela représentait 4 863 individus sur les 14 369 compris
dans la base.
Pour que les salariés sélectionnés soient capables de mettre en relation la diffusion des outils
avec d’éventuels changements de contexte, nous avons ajouté deux autres conditions : une
ancienneté de trois ans et un emploi pérenne. Cela a ramené l’échantillon de départ à 1 758
salariés dont 504 vivant en Île-de-France. Parmi ces derniers, nous avons opéré un tirage
représentatif de 150 individus, dont 30, ont fait l’objet d’un entretien semi-directif qui a été
suivi pour 15 d’entre eux (ceux indiquant une connaissance ou une pratique plus importante
d’outils OCD) d’un entretien plus approfondi.