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TRADING HAUTE FREQUENCE ET MANIPULATION DE...
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DANIEL Stphane
Anne universitaire 2011-2012
Magistre de Juriste dAffaires D.J.C.E
Universit Panthon-Assas
TRADING HAUTE FREQUENCE ET
MANIPULATION DE COURS
Sous la direction de Monsieur Franois Barrire
Matre de confrences lUniversit Panthon-Assas
Avocat, Sullivan and Cromwell L.L.P
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Luniversit Panthon-Assas, Droit - Economie - Sciences sociales, nentend donner aucune
approbation ni improbation aux opinions mises dans ce mmoire. Ces opinions doivent tre
considres comme propres leur auteur.
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SOMMAIRE :
Trading haute frquence et manipulation de cours
Introductionp.5
Propos liminaire :
Portrait-robot du trader haute frquence..p.10
I Nature du trading haute frquence...p.10
A/. La technique : un trading algorithmique..p.11
1) Le recours aux algorithmes de trading...p.11
2) Le recours aux stratgies de trading...p.12
B/. La vitesse : un trading haute frquencep.13
1) Vitesse dans laccs au march..p.13
2) Vitesse dans lactivit sur le march..p.15
II Effets du trading haute frquence...p.16
A/. Effets positifs du trading haute frquencep.16
1) Apport de liquidit au marchp.16
2) Amlioration du processus de formation des prix..p.17
B/. Effets ngatifs du trading haute frquence...p.18
1) Le risque macroconomique : atteinte la scurit des marchs..p.18
2) Les risques microconomiques : atteinte lgalit des investisseurs et
lintgrit du march..p.20
Premire Partie :
La rpression problmatique des manipulations de cours haute
frquence..p.22
I Lapplication thorique de la manipulation de cours au trading haute frquence..p.23
A/. Le fondement de la rpression : la manipulation de cours...p.23
1) Un dlit pnal inutilisable p.23
2) Un manquement administratif palliatif p.26
B/. Lobjet de la rpression : la manipulation de cours haute frquence ..p.29
1) La rpression certainep.30
2) La rpression incertaine.p.32
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II Lapplication pratique de la manipulation de cours au trading haute frquence..p.34
A/. Une rpression timore en droit franais..p.34
1) Apprhension de laffaire Kraayp.34
2) Apprciation de laffaire Kraay.p.36
B/. Une rpression ambitieuse en droit comparp.37
1) Apprhension des affaires Trillium et Swift Tradep.38
2) Confrontation laffaire Kraay..p.39
Seconde Partie :
La rgulation indispensable des manipulations de cours haute
frquence..p.41
I Les difficults de la rpression en droit positifp.41
A/. Qualification de la manipulation..p.41
1) Le problme didentification..p.41
2) Le problme probatoire..p.43
B/. Imputation de la manipulation..p.44
1) Le problme dimputation en situation interne..p.44
2) Le problme dimputation en situation extraterritorialep.46
II Les solutions indispensables de la rgulation en droit prospectif.p.46
A/. Les apports dune rgulation informelle source de proposition...p.47
1) Les travaux de lIOSCO sur mandat du G20.p.47
2) Les travaux de lESMA repris par lAMF.p.50
B/. Les apports dune rgulation substantielle en gestation...p.52
1) Droit franais : ladoption dune taxe sur les transactions financires..p.53
2) Droit de lUnion Europenne : la rvision des directives MIF et MADp.55
CONCLUSIONp.62
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TRADING HAUTE FREQUENCE ET MANIPULATION DE COURS
INTRODUCTION
Lagiotage qui sexerce Paris sur les effets dont le profit ventuel gare
limagination ne peut quengendrer la plus abominable des industries. Et quelle
compensation offre-t-elle quand son rsultat unique, son dernier produit est un jeu effrn, o
des millions nont dautre mouvement que de passer dun portefeuille lautre, sans rien
crer, si ce nest un groupe de chimres que la folie du jour promne avec pompe et que celle
de demain fera vanouir. 1 crivait le Comte de Mirabeau en 1787.
Une telle dnonciation, vieille de presque deux sicles, frappe par sa modernit. Ainsi
serait-il possible aujourdhui de reprendre les mmes mots pour dcrier les mmes excs. A
lheure o la finance est tenue pour responsables des crises extrmement violentes qui
frappent le monde occidental depuis 2007, les discours mettant en cause les manieurs
dargents pour reprendre un mot dOscar de Valle fleurissent. Dans un tel contexte, le
spculateur a mauvaise presse, au point dtre compar une sangsue plaque sur les forces
vives de la Nation2. Mais cest oprer un raccourci intellectuel que de penser une chose
pareille. La spculation nest pas uniforme, elle est plurale. Joseph Proudhon fut dailleurs
lun des premiers le mettre en exergue en 1856 dans son Manuel du spculateur la
bourse3. Lauteur fait lloge de la spculation, conception intellectuelle qui dcouvre et
recherche les gisements de richesse et qui invente les moyens les plus conomique de se la
procurer, rfractaire toute appropriation et privilge, indomptable au pouvoir, infiniment
libre. Nanmoins, il identifie labus de spculation, qui dvore la richesse publique et
entretient la misre chronique du genre humain. Dans le mme sens, Horace Say, au XIXme
sicle, prcise encore la distinction entre la bonne et la mauvaise spculation4. Selon lauteur,
la spculation commerciale est une opration rgulire, utile et favorable la socit. Cest un
placement de capitaux intelligent dans loptique den tirer un profit lgitime parce que fond
sur lvolution de lconomie. A linverse, lagiotage est nuisible la socit, toujours
contraire la morale, se dployant particulirement dans les temps de crise. Cest donc un
pari dform par une triche o lagioteur ralise un profit par les pertes quil fait supporter
aux autres. Il ny a aucune cration de richesse mais un simple dplacement de richesse.
1 Honor-Gabriel Riqueti de Mirabeau dit Comte de Mirabeau, Dnonciation de l'agiotage au Roi et
l'assemble des notables, 1787, p. 27 2 Bertrand Jacquillat, les 100 mots de la finance, Que sais-je, cinquime dition, PUF, p. 5
3 Joseph Proudhon, Manuel du spculateur la bourse, p. 10 et 15
4 Horace Say, larticle Agiotage du Dictionnaire de lconomie politique, Charles Coquelin et Gilbert Urbain
Guillaumin
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La spculation est limage du visage de Janus et peut revtir autant de forme que
lhabilet, limagination et le cur des hommes le permettent. Voila donc pourquoi la
sparation du bon grain de livraie est trs difficile. Un exemple trs classique en est donn
par ltude du Faiseur de Balzac, o le personnage principal, Mercadet, ralise une
manipulation de march par recours au procd de la bouilloire et sexplique de la faon
suivante : L'excessive habilit n'est pas l'indlicatesse, l'indlicatesse n'est pas la lgret,
la lgret n'est pas l'improbit, mais tout cela s'embote comme des tubes de lorgnette. Bref,
les nuances sont imperceptibles, et, pourvu qu'on s'arrt juste au Code, si le succs arrive...
5. Cet extrait illustre parfaitement la difficult du lgislateur en amont et du juge en aval
distinguer la bonne et la mauvaise spculation. Dautant plus que les considrations
religieuses, morales et conomiques ainsi que leur volution dans le temps dterminent
lapprhension du phnomne spculatif par le droit. Sans entrer sur le terrain religieux, qui
peut dailleurs se confondre avec la morale, lon peut dire que la spculation illicite est
immorale en ce quelle bouleverse la vision commutative de la distribution des richesses dans
la socit. De plus, elle est dans le mme temps contraire lconomie de march en ce
quelle trouble la libre rencontre de loffre et la demande. Ces deux lments se retrouveront
en filigrane de la rpression de la spculation illicite en droit positif. Le rapport entre le droit
et la spculation est donc principalement un rapport de lgitimation par contraste avec
lidentification des pratiques illicites.
Et comme la bourse est le temple de la spculation 6, le roi, lempereur ou le
lgislateur, en somme le pouvoir rgalien, sest efforc de mettre en place une rglementation
adapte afin den bannir les comportements indsirables. Cela nallait cependant pas de soi,
puisquautrefois les places et les foires, ensuite la bourse, aujourdhui les marchs ou les
plateformes, sont par excellence des lieux de rencontre privs de loffre et de la demande. Le
fondement de lintervention tatique peut tre trouv, dans toute priode, quelle soit dirigiste
ou librale, dans le fait que lEtat est charg de la cration de la monnaie, de lautorisation des
acteurs des marchs et de la police des activits boursires7.
Aussi, la premire intervention dans le sens de la rpression de la spculation illicite
fut lincrimination de dlit dagiotage8. Historiquement, ltude de cette incrimination reflte
parfaitement leffort du droit pour apprhender de plus en plus prcisment la spculation
illicite. Initialement, le code pnal de 1810 rprima le dlit dagiotage, lgamment dfini par
Mirabeau comme : lemploi de manuvres les moins dlicates pour produire des variations
inattendues dans le prix des effets publics et tourner son profit les dpouilles de ceux quon
a tromp . Il sagissait de rprimer via les articles 419 422 les manuvres provoquant des
5 H. de Balzac, Le Faiseur, Imprimerie Nationale, coll. Rpertoire Comdie-Franaise, 1993 ; cite dans H. de
Vauplane, La spculation boursire dans le droit et la littrature franaise du XIXe sicle , PA, 23 novembre
2006, n234, p.5 6 Op. cit. Proudhon, La manuel du spculateur la bourse, p. 26
7 Jean Massot, Les fondements des pouvoirs rgaliens de lEtat sur les marchs, Petites affiches, 17 septembre
2001 n 185, P. 6 8 H. de Vauplanne et O. Simart, la notion de manipulation de cours et ses fondements en France et aux USA,
Revue droit bancaire et bourse n56, juillet-aot 1996, p.158
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variations artificielles de cours sur les denres, marchandises, papiers ou effets publics.
Premire extension : une loi du 3 dcembre 1926 ajouta le terme effets privs
lincrimination afin de viser les oprations boursires qui taient en pleine explosion et tendit
la rpression aux tentatives. La rpression devint ds lors plus complte pour embrasser les
instruments financiers publics aussi bien que privs. Ctait cependant sans compter
lordonnance sur les prix du 1er dcembre 1986 qui supprima par inadvertance larticle 419-2.
Il fallut attendre la loi du 22 janvier 1988 qui fit renatre le dlit sous la forme dun dlit
spcifique de droit pnal boursier introduit au sein de lordonnance du 28 septembre 1967 en
son article 10-3. La rpression prit donc un tour beaucoup plus moderne et spcifique que le
vieux dlit dagiotage avec la nouvelle incrimination de manipulation de cours. Cette
disposition fut ultrieurement insre au sein du Code montaire et financier. Seconde
extension : le lgislateur offrit la Commission des oprations de bourse la possibilit de
sanctionner administrativement la manipulation de cours sur le fondement de son rglement.
Le lgislateur permit alors une nouvelle instance de connatre ce type de comportement sous
la forme juridique du manquement administratif de manipulation de cours. La commission de
lpoque adopta donc le rglement 90-04 pour mettre en uvre cette possibilit. Par la suite,
celle-ci fut confirme par la directive abus de march du 28 janvier 2003 visant tablir une
uniformisation de la lutte contre les abus de march au sein de lUnion europenne. Dernire
modification dimportance, la loi de scurit financire du 1er aot 2003, transforma la COB
en la nouvelle Autorit des marchs financiers (AMF) qui publia subsquemment un nouveau
Rglement gnral de lAMF (RG AMF). Pour conclure, il existe aujourdhui une dualit de
rpression pnale et administrative de la manipulation de cours considre comme lune des
facettes de la spculation illicite. Il sagit de deux approches coexistentes dun seul et mme
phnomne, avec des conditions, des rgimes et des raisons dtres diffrentes, que lon
dveloppera plus tard.
Le dlit dagiotage sest donc transform avec le temps en manipulation de cours.
Cette modification terminologique nest pas anodine. Elle est au contraire pleine de sens
puisquelle est tout fait reprsentative de lvolution de la sphre financire et de
limportance prise par le cours de bourse en tant quinstrument de rgulation des rapports
marchands dans une conomie de march. Le cours de bourse est une notion complexe. Il est
possible de le dfinir assez classiquement comme le prix auquel se vendent ou sachtent les
marchandises donnant lieu des transactions suivies9. Financirement parlant, le cours de
bourse est le prix atteint par une valeur mobilire au cours dune sance de la bourse et publi
postrieurement la cote10
ou encore la valeur exacte et relle dun titre11
. Le processus
dlaboration du cours est compliqu : mission des ordres par les donneurs dordre,
transmission des ordres en direction du march, enregistrement des ordres au niveau du
march, confrontation des ordres sur le march, constat priodique des prix pratiqus,
application du mode de calcul du cours, constatation du cours et enfin diffusion du cours par
les autorits de march. Ainsi, le cours synthtise la rencontre de loffre et la demande et
9 Gerard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 218
10 Georges Ripert en Ren Roblot, Trait de droit commercial, Tome 2, n1873
11 Hubert de Vauplane et Jean-Pierre Bornet, Droit de la bourse, LITEC, n265
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ralise la fusion de toutes les informations disponibles sur une valeur un instant donn. Il
faut bien comprendre la valeur fondamentale du cours pour les intervenants sur le march :
la fois rvlateur du march et dterminant des prix, synthse des valuations et lment
dvaluation12
. A ce titre, le pouvoir rgalien, entendu au sens large, a considr quil tait
ncessaire doffrir au cours de bourse une protection juridique. La transmutation du dlit
dagiotage en dlit puis manquement de manipulation de cours est donc calque sur la
ncessit croissante dtablir un cours de rfrence pour chaque valeur.
Ds lors, la manipulation de cours est un comportement foncirement grave dans une
conomie financiarise. A titre de synthse, clair par la dfinition du cours de course, il est
possible dexpliquer que les manipulations de march faussent le processus de formation du
prix, soit en altrant les informations disponibles, soit en distordant loffre et la demande. Le
cours stablit ainsi un niveau diffrent de celui que reflterait lquilibre concurrentiel. Ce
nest plus la loi du march qui sexprime, mais la volont du ou des manipulateurs. 13
. Pour
dresser un portrait typologique de la manipulation de cours, il est possible de distinguer, assez
classiquement, trois types de manipulation de cours14
: linformation based manipulation qui
regroupe lutilisation dinformations dinitis, la manipulation de linformation et la diffusion
de rumeur ; le trade based manipulation qui vise manipuler les volumes de transactions afin
de modifier la valorisation des investisseurs ; laction based manipulation qui cherche
trafiquer ou fausser le carnet dordre. Ces trois niveaux de manipulation ont vocation tomber
dans le champ de la rpression boursire sur le fondement du dlit et du manquement sus
voqus.
Toutefois, il est permis de tenter de complter cette synthse avec un nouveau type trs
moderne de manipulation de cours qui est le rsultat immdiat des volutions rcentes des
marchs financiers. Effectivement, depuis une petite dizaine dannes, les marchs financiers
deviennent de plus en plus automatiss. Les dveloppements de la puissance des ordinateurs,
des technologies de linformation et de la communication ainsi que la programmation
informatique ont offert de nouveaux outils pour la prise de dcision dinvestissement et
lexcution des transactions. Dsormais, les traders humains sont remplacs par des
ordinateurs quips dalgorithmes hautement sophistiqus capables deffectuer des
ngociations des vitesses phnomnales. La fragmentation des lieux dexcution, la
rduction des cots de ngociation et la diminution constante des pas de cotation ont constitu
un terrain fertile pour lessor du trading haute frquence (THF). Aujourdhui, prs de 60% des
transactions aux Etats-Unis et 40% des transactions en Europe sont le fait de ce nouveau
mcanisme de trading et la croissance du secteur est extrmement soutenue15
. Ds lors que ce
ne sont plus des hommes mais des robots qui ngocient des instruments financiers sur les
marchs, une nouvelle catgorie trs rcente de manipulation de cours est ne. Pour en
voquer les enjeux, lon ne peut reprendre les mots de Sophie Baranger, secrtaire gnrale
adjointe la direction des enqutes et des contrles de lAMF, lors du dernier colloque de la
commission des sanctions, qui voquait la sanction : dune manipulation de cours dun type
12
Didier Valette, Le cours de bourse, rflexions autour dune ralit juridique, in tudes sur le cours de bourse,
sous la direction de M. le Doyen Jean Stoufflet, Economica, 1997 13
M. Tomasi, Vers un renouveau de la lutte contre les manipulations de cours : lapport de la directive sur les
abus de marchs, Mlanges AEDBF-France IV, Banque d. 2004, p.439 14
Allen and Gale, Stock price manipulation, Review of Financial Studies, 1992, cit par Bertrand Jacquillat
dans le compte rendu du 4me colloque de la commission des sanctions de lAMF du 5 octobre 2011 p. 13 15
http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/01/21/l-essor-vertigineux-du-trading-algorithmique_1468594_3234.html?xtmc=trading_haute_frequence&xtcr=27
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nouveau et expliquait : Aussi nous sommes-nous pos la question de savoir, quand on est
ainsi propuls de la crie du Palais Brongniart, o nous nous trouvons aujourdhui, dans
lunivers impitoyable du robot trader voqu hier par Le Monde, comment prvenir et
sanctionner de tels agissements ? Avec quels moyens ? Sur le fondement de quelles preuves ?
Ces questions font la une de la presse spcialise. Elles nourrissent la rflexion de la
Commission europenne du March intrieur. Autant dire quelles sont dune brlante
actualit ! 16
. Pour les besoins de ltude, on qualifiera ce nouveau comportement de
manipulation de cours haute frquence , parce quelle ne peut tre que le fait dun trader
haute frquence. Elle se distingue alors dune simple manipulation algorithmique de
cours en ce quelle sopre via la passation dordre des vitesses infinitsimales qui chappe
aux capacits humaines de perception.
Aussi convient-il de se poser la question de savoir quest-ce que la manipulation de
cours haute frquence et si ltat du droit positif permet ou non de lutter contre ce type
nouveau de comportement illicite. Partant, il faut aussi sinterroger sur les lacunes de la
rglementation actuelle et sur les ncessits dadapter le droit cette volution technologique.
Lexamen du droit positif permet de rpondre que la rpression est particulirement
problmatique (Partie I) et donc que la rgulation est absolument ncessaire (Partie II).
Nanmoins, pour comprendre parfaitement cette tude, il est indispensable dexpliquer trs
prcisment ce quest le trading haute frquence (Propos liminaire).
16
Sophie Baranger dans le compte rendu du 4me colloque de la commission des sanctions de lAMF du 5
octobre 2011 p. 5
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Propos liminaire :
Portrait-robot du trader haute frquence
La manipulation de cours haute frquence est une manipulation de cours
classique mise en uvre par un trader haute frquence. Pour comprendre les enjeux, les
problmatiques sous-jacentes, les dbats et les consquences de la rpression et de la
rgulation de cette manipulation, il faut avoir une connaissance approfondie de linnovation
technologique quest le THF. A la manire des enqutes criminelles, il sagit donc ici dtablir
pralablement un portrait-robot du manipulateur, au travers de lanalyse de la nature (I) et des
effets (II) du THF. A cette fin, les travaux institutionnels de lIOSCO17
, de la SEC18
, de
lESMA19
et de lAMF20
sur le THF seront dune aide prcieuse.
I Nature du trading haute frquence
La nature du trading haute frquence est une alliance entre un trading tout fait
traditionnel et les innovations technologiques les plus rcentes. A ce sujet, la dfinition du
THF de lESMA traduite de langlais est particulirement complte21
: activit de trading
utilisant une technologie algorithmique sophistique pour interprter les donnes de march
et, en rponse, mettre en uvre des stratgies de trading rsultant gnralement en lmission
dordres trs haute frquence et leur transmission en des temps de latence extrmement
rduits. Ces stratgies consistent le plus souvent en une tenue de march non contractuelle ou
en arbitrage sur des horizons trs court terme. Elles impliquent une ngociation
essentiellement pour compte propre et un dnouement des positions la fin de chaque
sance. Ainsi est-il possible de retenir les deux grands critres caractristiques qui
diffrencient le THF du trading traditionnel : le recours la technique (A) et le recours la
vitesse (B).
17
Pour lInternational Organization of Securities Commission (IOSCO) : OICV-IOSCO (technical committee),
Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity and efficiency, CR 02/11,
july 2011 18
Pour la Securities and Exchange Commission (SEC) : Securities and Exchange Commission, 17 CFR PART
242, [Release No. 34-61358; File No. S7-02-10], RIN 3235-AK47, Concept Release on Equity Market Structure 19
Pour lEuropean Securities and Markets Agency (ESMA) : ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems
and controls in a highly automated trading environment for trading platforms, investments firms and competent
authorities, 20 july 2011/ESMA/2011/224 20
Pour LAutorit des marchs financiers (AMF) : Arnaud Oseredczuck, Le trading haute frquence vu de
lAMF, 11e journe des RCCI et des RCSI, 16 mars 2011 ; Laurent Grillet-Aubert, Ngociation dactions : une
revue de littrature lusage des rgulateurs de march, Les cahiers scientifiques de lAMF n 9, Juin 2010 ;
AMF, Marchs rglements, systmes multilatraux de ngociation (SMN), darkpools, high frequency trading :
prsentation des enjeux, 11me Journe des RCCI et RCSI, 15 mars 2011 21
Loc. Cit. ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems and controls in a highly automated trading
environment for trading platforms, investments firms and competent authorities p. 10
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A/. La technique : un trading algorithmique
La singularit premire du THF est le recours la mise en uvre de stratgies de
trading (2) par voie de programmes informatiques algorithmiques (1).
1) Le recours aux algorithmes de trading
Le trading haute frquence est une branche du trading algorithmique. A la diffrence
du trading traditionnel, mettant en prsence les traders humains, la crie, le tlphone et la
corbeille, le THF repose sur le travail dingnieurs de trs haut niveau ralisant des
algorithmes extrmement efficaces qui seront mis en uvre par des ordinateurs la puissance
de calcul phnomnale. Un algorithme peut se dfinir comme un ensemble de rgles
opratoires dont l'application permet de rsoudre un problme nonc au moyen d'un nombre
fini d'oprations qui peut tre traduit, grce un langage de programmation, en un programme
excutable par un ordinateur22
. Plus prcisment, le recours aux algorithmes en finance de
march se dploie tout au long de la chane dinvestissement, au travers de lanalyse des
donnes de march, de la mise en uvre de stratgies appropries de trading, de la
minimisation des cots, de lexcution des transactions etc. Le trading algorithmique est ainsi
une forme de trading fonde sur lanalyse quantitative, sur les dcouvertes les plus rcentes en
matires de statistique et dconomtrie et emploie la technologie la plus avance en terme de
programmation informatique et de communication lectronique23
. Au final, lalgorithme est
un programme lectronique dont lobjet est de gnrer, dorienter et dexcuter des ordres sur
un march.
Bien quil existe de nombreux types dalgorithmes, il reste possible de les systmatiser
en deux grands groupes : les algorithmes de trading et les algorithmes dexcution24
. Les
algorithmes de trading, situs en amont, visent essentiellement lidentification des
opportunits dinvestissements lachat ou la vente et se traduisent par une prise de position
au sein du carnet dordres. A linverse, les algorithmes dexcution, aussi appels
implementation shortfall, situs en aval, sadaptent dynamiquement lvolution des marchs
et dterminent les modalits dexcution des transactions de la manire la plus efficace
possible en tenant compte par exemple de la liquidit disponible, de la profondeur de march
ou encore des temps de latence entre diffrents messages25
.
Limportance des algorithmes pour les entreprises de THF constitue dsormais le nerf
de la guerre dans un monde financier ultra concurrentiel. Aussi, les entreprises de THF
veillent de manires trs strictes sur la confidentialit de leurs programmes. Les tribunaux
connaissent donc depuis quelques annes des affaires de vol de logiciel opposant grandes
22
Dfinition du dictionnaire Larousse 23
Loc. Cit. OICV-IOSCO, Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity
and efficiency p. 22 24
Loc. cit. Oseredczuck, le trading haute frquence vu de lAMF p. 2 25
Maxime Galland, La rgulation du trading haute frquence, Bulletin Joly Bourse, 01 mars 2012 n 3, P. 129
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banques et traders sur le dpart. Pour un premier exemple, laffaire Sergue Aleynikov, ancien
trader chez Goldman Sachs, qui a copi des lignes de codes informatiques afin de les confier
son nouvel employeur, Teza technologie26
. En 2010, lancien trader avait t condamn une
peine de 97 mois de prison en premire instance, avant que la Cour dappel ne revienne sur
cette dcision au motif que la copie ne ressortait pas du vol en ce quelle ne privait pas le
propritaire de lutilisation des donnes27
. Pour un second exemple, laffaire Samarth
Agrawal, ancien trader la Socit Gnrale, condamn en 2011 trois ans de prison pour vol
de logiciel de THF. Il sagit avec cette espce de la premire vritable condamnation, trs
svre, pour un vol de secret industriel relatif au THF28
. In fine, cette dcision illustre donc
parfaitement la place cruciale du THF pour les acteurs de la sphre financire.
2) Le recours aux stratgies de trading
Les algorithmes sus voqus ont vocation mettre en uvre des stratgies de trading
traditionnelles. Toutefois, lampleur de ces dernires sera tout fait nouvelle du fait des
possibilits offertes par le THF. Thoriquement, on distingue essentiellement deux types de
stratgies : les stratgies non directionnelles et les stratgies directionnelles29
.
Tout dabord, les stratgies non directionnelles ressortent dun comportement passif
qui ne cherche aucunement imprimer un mouvement ou une tendance un cours. Il est
possible de distinguer le market-making non contractuel et les stratgies darbitrage
instantan30
.
Le market-making non contractuel ou tenue de march, consiste placer des ordres
lachat et la vente sur un mme titre afin de capturer lcart entre prix lachat et la vente.
Le but est donc de sintercaler entre des intrts acheteurs et vendeurs afin de se rmunrer
sur le spread entre les deux oprations. De cette manire, lacteur fournit le march en
liquidit pour un prix spcifique et agit ds lors comme un market-maker informel, soustrait
aux obligations spcifiques qui devraient normalement lui incomber. Cette stratgie implique
lmission massive dordres et leur annulation subsquente pour limiter le risque de certaines
prises de positions et permettre la prise en compte constante de nouvelles informations.
Larbitrage instantan consiste tirer profit de diffrence de prix, parfois infime, entre
des valeurs identiques ou corrls, sur une ou plusieurs plateformes de ngociation. Par
exemple, le trader haute frquence identifiera sur une plateforme une valeur sous value,
quelle acquerra immdiatement, aux fins de revente sur une autre plateforme o la
valorisation sera plus importante. En effet, seules les possibilits offertes par le THF
permettent dexploiter des carts aussi infimes de prix dans un temps extrmement rduit. Le
but est alors de dtecter et de profiter dune anomalie ou dune inefficience du march. En
26
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/04/12/aux-etats-unis-le-vol-de-code-informatique-n-est-pas-
un-vol_1684171_651865.html?xtmc=trading_haute_frequence&xtcr=1 27
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/03/21/goldman-sachs-un-ancien-programmeur-condamne-
pour-vol-de-code_1496461_651865.html?xtmc=trading_haute_frequence&xtcr=26 28
Un ex-trader de la Socit Gnrale arrt New York, Les Echos n 20661 du 21 Avril 2010 p.15 29
Loc. cit. Oseredczuck, le trading haute frquence vu de lAMF p. 2 30
Loc. cit. Galland, La rgulation du trading haute frquence
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consquence, les prix sont lisss entre diffrents lieux de ngociation. Toutefois, cette activit,
linverse de market-making, est structurellement consommatrice de liquidit et ncessite
donc des couvertures adquates.
Ensuite, les stratgies directionnelles, contrairement aux stratgies sus dveloppes,
tentent danimer une tendance de march afin den tirer profit. A ce titre, elles soulvent des
enjeux importants pour le rgulateur qui seront examins au cours de la premire partie (cf.
infra). A ce stade, il est possible de citer quelques stratgies typiques. On retrouve les
stratgies de retour la moyenne , aussi appeles mean-reverting, pariant sur le fait quun
cours loign de sa moyenne finira par y retourner. De la mme manire, les stratgies de
trend-following ou momentum tente de dceler la poursuite ou lamplification dune tendance
de march sur la base dun signal quelconque afin den tirer profit. La plupart du temps, la
stratgie directionnelle nest pas couverte et sopre sur des horizons trs court terme,
recherchant raliser un profit sur une position intra day31
.
Il convient nanmoins de prciser que les algorithmes et les stratgies mis en uvre ne
seraient rien sans le bnfice de temps de latence extraordinairement rduits.
B/. La vitesse : un trading haute frquence
La singularit seconde du THF est la vitesse avec laquelle le trader accde au march
(1) et agit sur le march (2).
1) Vitesse dans laccs au march
Le trading algorithmique existe sous plusieurs formes, notamment sous la forme du
THF, avec dans ce cas une particularit qui tient une vitesse dexcution des ordres
infinitsimale. La recherche de la vitesse sopre toutes les tapes de la transaction : rapidit
de transmission des informations dun march vers le serveur de lentreprise de THF, rapidit
dans la prise de dcision de lentreprise de THF sur la base des informations reues, rapidit
dans la transmission de la prise de position depuis lentreprise de THF vers le march et
rapidit dexcution de lordre ainsi transmis. De fait, la vitesse sentend donc dans le sens o
un acteur doit tre capable de prendre et de dnouer des positions dans des temps de latence
trs courts mais plus encore dans le sens o un acteur doit tre plus rapide que ses concurrents
dans la mise en uvre de son activit32
. Pour exemple, une tude mene par lAMF sur une
valeur du CAC 40 au cours dune sance particulirement active. Il en rsulte que le nombre
de messages transmis au march tait de 800 000, que le nombre dordres passs tait de
540 000, que la frquence des ordres pouvait atteindre 600 messages par seconde et que la
31
Op. Cit. Grillet-Aubert, Ngociation dactions : une revue de littrature lusage des rgulateurs de march p.
45 32
Loc. Cit. Securities and Exchange Commission, Concept Release on Equity Market Structure p. 58
-
14
plus courte dure de vie dun ordre annul tait de 25 microsecondes33
. En ce sens, un
fondateur dentreprise de THF franaise affirme traiter en moyenne 10 000 15 000 ordres
par jours, avec une possibilit daller-retour (dcision, passage dordre et annulation) dans
lespace dune milliseconde34
. Dans la recherche dune rapidit maximale, on retrouve les
facteurs traditionnels que sont les ordinateurs et algorithmes, mais plus encore, on retrouve
des mcanismes appartenant la structure de march.
Tout dabord, il sagit de la colocation, qui est un procd par lequel un acteur du THF
va tenter de se rapprocher au plus prs possible des serveurs de lentreprise de march, afin de
raccourcir la longueur des cbles transmettant linformation et de gagner quelques secondes,
microsecondes ou millisecondes sur les concurrents. Il ne sagit l, ni plus ni moins, que de la
reprise de la pratique qui consistait pour les courtiers payer plus cher lemplacement situ
proximit de la corbeille35
. Ainsi est-il de notorit publique que les mtres carrs les plus
onreux des grandes capitales se trouvent proximit immdiate dune entreprise de march.
Les entreprises de THF nhsitent plus investir des sommes faramineuses pour gagner une
fraction de secondes sur le reste du march. L o certains constatent une perversion du
systme, dautres estiment que la colocation nest que laboutissement dune avance
technologique.
Ensuite, il sagit du direct electronic access (DEA) selon la terminologie de
lIOSCO36
, aussi appel direct market access (DMA) selon la terminologie de lESMA37
.
Pour reprendre cette dernire acception, le DMA peut prendre plusieurs formes. Il sagit de
lautomated order routing (AOR), une convention par laquelle une entreprise
dinvestissement, membre, participante ou utilisatrice dun march, autorise certains de ses
clients utiliser son serveur interne et son identifiant pour accder au march et y transmettre
des ordres. Dans un autre sens, le sponsored access (SA) est une convention en tout point
similaire, la diffrence que les ordres ne transitent pas sur le serveur interne de lentreprise
dinvestissement mais sont transmis directement par le client au march. Autrement dit,
lAOR et le SA mettent en prsence un membre de march, permettant un non membre de
march, daccder directement ou indirectement au march via lidentifiant du membre de
march. Ainsi, ce procd permet daccder un march par le truchement dun
intermdiaire, en bnficiant de temps de latence rduits et dun anonymat total. Un tel
mcanisme est donc, linstar de la colocation, un outil pour gagner en vitesse et prendre
avantage sur les concurrents38
. Ce mcanisme ne va pas sans poser un nombre considrable de
difficults sur lesquelles on reviendra plus tard dans ltude (cf. infra).
33
Loc. cit. Oseredczuck, le trading haute frquence vu de lAMF p. 5 34
http://www.agefi.fr/articles/la-crise-favorise-l-emergence-du-trading-automatique-1064879.html 35
http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/finance-marches/actu/0201883138036-le-trading-a-haute-
frequence-une-activite-decriee-dans-le-collimateur-des-autorites-285367.php 36
Loc. Cit. OICV-IOSCO, Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity
and efficiency p. 17 37
Loc. Cit. Securities and Exchange Commission, Concept Release on Equity Market Structure p. 58 38
Op. Cit. Grillet-Aubert, Ngociation dactions : une revue de littrature lusage des rgulateurs de march p.
51 et suivants
-
15
Enfin, il sagit des flash orders, aussi connus sous le nom dordres flash. En ralit,
lordre flash est une convention titre onreux entre une entreprise de march et un membre
de march, selon laquelle la premire va permettre au second de bnficier, pendant quelques
millisecondes, de la connaissance dun ordre avant mme que celui-ci ne soit transmis au
public39
. Cette pratique ressemble fort lancienne pratique de certains traders qui, recevant
un ordre dun client, le criaient haute voix aux autres traders de son tage, permettant ainsi
ses voisins dintervenir avant tout autre au moment de la transmission de lordre au march.
Cest une pratique assez proche dun dlit diniti, puisque seuls quelques intervenants, ayant
acquitt une rmunration et tant quips de linfrastructure permettant de tirer profit dune
telle information, sont mme dintervenir avant tout autre sur lordre ainsi transmis. Encore
une fois, le but dun tel mcanisme est de gagner quelques secondes sur le reste du march, au
mpris des autres acteurs du march. Nanmoins, il convient de la relativiser, en ce sens
quelle est principalement usite outre-Atlantique, par les plateformes Nasdaq, BATS, CBOE
et Direct Edge, et que les deux premires, sous pression, ont dores et dj annonc
abandonner cette pratique. Par ailleurs, la Security and Exchange Commission (SEC) a vot,
lunanimit, une proposition consistant interdire le flash trading aux Etats-Unis, motif pris
quil compromettait gravement lintgrit des marchs financiers et lgalit daccs au
march40
.
2) Vitesse dans lactivit sur le march
Le THF est fond sur une vitesse daccs au march, mais pas seulement, puisque la
vitesse anime de la mme manire lactivit dploye sur le march. Les positions dun trader
haute frquence peuvent tre systmatises comme journalires, massives et clairs41
.
Premirement, les positions dun trader haute frquence sont des positions intra day
ou journalires. En effet, la mise en uvre des stratgies sus voques doit tre, en fin de
sance, la plus neutre possible, pour viter de porter une position non couverte aprs la
clture. Ds lors, le THF met presque exclusivement en uvre des stratgies trs court
terme, afin dliminer tout risque entre deux sances. Deuximement, les prises de positions
sont massives. Les stratgies de THF reposent sur la capture dcart de prix infimes. Par
consquent, la condition sinequanone de la profitabilit dune stratgie rside dans la
ralisation dallers-retours incessants sur le march. De fait, une entreprise de THF met
plusieurs milliers dordres la seconde sur plusieurs milliers de valeurs situes sur une
pluralit de plateforme. Troisimement, les prises de position sont clairs en ce sens que
lmission dun ordre est le plus souvent immdiatement annule. Le ratio dannulation peut
ainsi atteindre plus de 99% pour une seule et mme entreprise. Lannulation constitue parfois
le reflet dun changement des conditions de march, mais reste le plus souvent inhrente aux
39
http://www.agefi.fr/articles/l-offre-de-service-de-flash-trading-se-reduit-comme-peau-de-chagrin-outre-
atlantique-1103218.html 40
http://www.agefi.fr/articles/l-autorite-boursiere-americaine-porte-le-coup-de-grace-au-flash-trading--
1107762.html 41
Loc. cit. Galland, La rgulation du trading haute frquence
-
16
stratgies mises en uvre, comme la dtection danomalies ou de tendances de march.
Chaque ordre est alors un test, un sondage, permettant de mettre jour une transaction qui
sera ralise aux meilleures conditions42
. Ces lments amnent certains penser que le THF
atteint aujourdhui les limites physiques de la diffusion lectronique de linformation43
.
Le THF se caractrise donc par lexistence de stratgies algorithmiques mises en
uvre par des ordinateurs et programmes informatiques extrmement vloces. Avant
daborder la manipulation de cours mise en uvre par THF, il faut analyser plus avant les
consquences pratiques de ces nouveaux mcanismes sur les marchs financiers.
II Effets du trading haute frquence
Au-del des caractristiques techniques du THF, pour prendre pleinement la mesure de
lessor de cette nouvelle technologie, il faut en analyser les effets, tant positifs (A) que
ngatifs (B), sur les marchs financiers.
A/. Effets positif du trading haute frquence
Lapprciation des effets positifs du THF est parfois dlicate effectuer en raison du
manque de recul sur une technologie aussi rcente, de la multiplicit des volutions parallles
sur les marchs financiers et de lapprciation parfois divergente des auteurs. Toutefois, il
semble aujourdhui possible daffirmer, aprs synthse des tudes disponibles, que le THF
emporte un effet bnfique pour lapport de liquidit au march (1) et pour le processus de
formation des prix (2).
1) Lapport de liquidit au march
Les tudes sur la question de savoir si le THF a un effet positif ou ngatif sur la
liquidit sont peu nombreuses et difficiles concilier. Nanmoins, il semble se dgager un
consensus pour expliquer que dune manire globale, le THF augmente la liquidit sur les
marchs. En effet, selon les travaux de lESMA, tant sur le plan de la recherche acadmique
que des rponses des professionnels de march la consultation, le THF amliore la mesure
instantane de la liquidit en rduisant lcart entre loffre et la demande et agit favorablement
sur la profondeur du march44
. Dans le mme sens, lAMF note que les activits de market
making et darbitrage ci-dessus dveloppes renforcent la liquidit45
. Dautres travaux en
42
Loc. Cit. OICV-IOSCO, Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity
and efficiency p. 22 43
Op. Cit. Grillet-Aubert, Ngociation dactions : une revue de littrature lusage des rgulateurs de march p.
58 44
Loc. Cit. ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems and controls in a highly automated trading
environment for trading platforms, investments firms and competent authorities p. 53 45
Loc. Cit. Oseredczuck, le trading haute frquence vu de lAMF p. 7
-
17
France ou encore aux Etats-Unis46
, font tat d'une capacit accrue des marchs fournir de la
liquidit, d'une diminution du cot de la liquidit effectivement consomme et des bnfices
du trading algorithmique pour la liquidit et la formation des prix sur les marchs.
Cependant, ces tudes sont nuances par dautres, qui relvent effectivement une
augmentation de la liquidit, mais avancent galement un changement de nature. Ainsi, la
liquidit serait atomise sur le march dans le temps et dans lespace, les transactions tant
fractionnes par priode voire fragmentes entre plusieurs plateformes47
. En ce sens, une
tude de CA Chevreux explique que : des poches de liquidit accrue se sont constitues,
mais cette liquidit est un leurre et est devenue fugace, instable et illusoire car la mme
quantit d'actions ne fait qu'apparatre plusieurs fois dans la mme journe et que la
liquidit a peut-tre augment, mais il semble qu'elle a au minimum chang de nature .
Il devient donc assez difficile darbitrer sur lapport du THF la finance de march
entre apport en liquidit ou mutation en liquidit fantme. In fine, il est permis de tirer une
conclusion globale en reprenant le consensus voqu par lESMA : le THF, apporteur de
liquidit, est facteur de progrs jusqu preuve du contraire.
2) Lamlioration du processus de formation des prix
Pour la question de savoir quels sont les effets du THF sur le processus de formation
des prix, les tudes cette fois-ci convergent pour affirmer quil constitue un facteur positif.
Effectivement, ainsi que le notent lAMF48
ou encore lESMA49
, le THF participe
lefficacit du march en quilibrant les prix entre les places et entre les valeurs lies
amliorant ainsi le processus de dcouverte du prix. On sait que les participants du march ont
une capacit limite, lie au cot de suivi des marchs, pour valuer la totalit des
informations pertinentes sur une valeur. Ds lors, le processus de THF est trs utile en ce sens
quil augmente la liquidit, renforce la capacit du march supporter les chocs de liquidit,
rduit la slection adverse et augmente le contenu informationnel des ngociations. Plus
prcisment, les algorithmes identifient instantanment la dviation dune valeur par rapport
son cours normal au travers du traitement automatis des informations et agissent pour en tirer
profit contribuant un rquilibrage de loffre et la demande et donc une formation du prix
efficiente. Plus encore, ainsi que le notent les professionnels ayant rpondu la consultation
de lESMA, le THF contribuerait limiter la volatilit des prix. Un tel phnomne est le plus
souvent du un dsquilibre important entre loffre et la demande dune mme valeur
emportant dstabilisation du carnet dordre. Or, dans ce type de situation, le fait de fournir de
la liquidit sur le march permet de rduire les carts et donc contribue restaurer un
46
Op. Cit. Grillet-Aubert, Ngociation dactions : une revue de littrature lusage des rgulateurs de march p.
58 47
Ibid. p. 61 48
Loc. cit. Oseredczuck, le trading haute frquence vu de lAMF p. 7 49
Loc. Cit. ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems and controls in a highly automated trading
environment for trading platforms, investments firms and competent authorities p. 68
-
18
fonctionnement efficace et ordonn du march. Par voie de consquence, les cours sont lisss
et les prix refltent une apprciation plus relle.
Toutefois, une nuance peut tre apporte au regard des travaux de lIOSCO sur ce
thme50
. Sans prouver une telle assertion, linstitution avance que la nature trs court-termiste
de nombreuses stratgies de trading, avec la rapidit phnomnale et la quantit ahurissante
des volumes ngocis pourraient contribuer loigner le cours dun instrument de sa valeur
fondamentale et contrarier le processus de dcouverte du prix.
Au final, il semble alors que le THF renforce lefficience du march dans ses fonctions
de pourvoyeurs de liquidit et dans sa contribution llaboration du prix. Toutefois, un tel
mcanisme ne va pas sans emporter certains risques.
B/. Effets ngatifs du trading haute frquence
Le dveloppement du THF nemporte pas que des effets bnfiques pour le march.
Bien au contraire, les pluparts des tudes susmentionnes font aussi tat de la naissance de
nouveaux risques. Ainsi la cartographie des risques 2011 de lAMF vise le THF et les enjeux
relatifs sa rgulation51
. De manire synthtique, le THF emporte un risque
macroconomique et microconomique en remettant en cause la devise reine des marchs
financiers : scurit (1), galit, intgrit (2).
1) Le risque macroconomique : atteinte la scurit des marchs
financiers
Les grands principes directeurs des marchs financiers visent notamment la
prservation de la scurit des marchs, essentiellement au travers de dispositions encadrant et
limitant le risque systmique, qui peut se dfinir comme un risque de dsquilibre de grande
ampleur qui rsulte de lapparition de dysfonctionnements dans les systmes bancaires ou
financiers, lorsque linteraction des comportements individuels, au lieu de dboucher sur des
ajustements correcteurs, porte atteinte aux quilibres conomiques gnraux52
. Ainsi que le
note lAMF, lessor exceptionnel du THF ces dernires annes emporte lexistence dun
risque systmique qui peut tre illustr par un certain nombre dexemples dont le plus
important reste celui du flash crash en date du 6 mai 201053
. Plus prcisment, lutilisation
dalgorithmes pour sonder les inefficiences du march et les tendances qui lui sont sous-
jacentes, effectuer des prises de positions lachat ou la vente ainsi que des annulations
50
Loc. Cit. OICV-IOSCO, Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity
and efficiency p. 28 51
Communiqu AMF, Cartographie 2011 des risques et tendances sur les marchs financiers et pour, lpargne
30 mai 2011, Bulletin Joly Bourse, 01 juillet 2011 n 7, P. 223. 52
T. Bonneau et D. Drummond, Droit des marchs financiers, Troisime dition, Economica, p. 23 22 53
Marc-Antoine Lacroix et Emmanuelle Mayet-Delord, Le flash crash du 6 mai 2010 : linnovation contre la
stabilit ? Rapport moral sur largent dans le monde 2010
-
19
subsquentes, le tout dans une vitesse phnomnale et sans aucune intervention humaine,
soulve la question dune dfaillance du processus. De la mme manire, il est aussi possible
denvisager des interactions conflictuelles entre algorithmes qui pourraient avoir les mmes
rsultats. Il en rsulterait une amorce de tendance, qui pourrait tre reprise mimtiquement par
dautres algorithmes et entrainerait in fine un bouleversement des cours significatif sans
raison aucune. Un tel risque a t mis en exergue par les travaux de lESMA et les rponses
des professionnels54
. Ainsi, linstitution fait tat du risque de ralentissement des transactions
et derreurs dans la passation des ordres, ou plus encore, expose la menace rsultant dune
perturbation algorithmique qui viendrait rduire la liquidit disponible et consquemment
augmenter fortement la volatilit des valeurs.
Pour un exemple tout fait majeur, il est possible de citer le krach clair du 6 mai
2010 aux Etats-Unis. Ce jour, entre 14h35 et 14h47, heure de New York, lindice Dow Jones
sest effondr denviron 9% sans raison apparente, avant de recouvrer son cours habituel. En
8 minutes, plus de 1000 milliard de dollars ont t perdus. Certaines valeurs phares ont t
rduites ltat de penny stock. La grande majorit des 8000 valeurs ont t, pendant ces
quelques minutes, ngocies sur la base dune dcote de 5 15% en moyenne, et pour 300
dentre elles, sur une dcote de 60%. En consquence, les deux autorits de rgulation des
marchs financiers comptentes, la Securities and Exchange Commission (SEC) et la
Commodity Futures Trading Commission (CFTC), ont ouvert une enqute. Celle-ci a dur
prs de cinq mois et un rapport final a t rendu.
Selon ce rapport55
, les causes du flash crash sont trs difficiles identifier du fait de la
masse gigantesque de donnes quil sagissait dtudier. Nanmoins, il demeure possible de
tirer quelques conclusions sur cet vnement. Llment dclencheur semblerait-tre un
gestionnaire dactif, Waddell and Reed Financial qui, par la passation dune srie dordres
mise en uvre via un algorithme, a vendu une srie de contrats terme sur lindice Standard
and Poors 500 pour couvrir ses positions sur les marchs actions. A ce moment, une
interfrence algorithmique aurait eu lieu et une raction en chane de comportements
mimtiques se serait produite. Dans le mme temps, une mise en ventes sur le march action
se serait couple avec la disparition de certains teneurs de march. Il en serait rsult la chute
des cours que lon connait. Un effet papillon lectronique et irrationnel serait donc la source
de ce krach clair dune nouvelle nature. Les conclusions du rapport sur leffet exact du THF
restent prudentes mais prcisent clairement que, dans des conditions de marchs difficiles,
linteraction entre algorithmes peut avoir pour effet dteindre la liquidit disponible et
provoquer de profonds dsordres sur les marchs, rsidant notamment dans une volatilit
exacerbe. En consquence, les autorits de rgulations ont fourni un certain nombre de
recommandations sur la ncessit dtablir un corps de normes adapt aux dfis dun monde
financier automatis. Plus encore, une dcision du 6 juin 2010 de la SEC a mis en place un
54
Loc. Cit. ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems and controls in a highly automated trading
environment for trading platforms, investments firms and competent authorities p. 70 55
SEC, Finding regarding the market events of may 6, 2010, Report of the staffs of the CFTC and SEC to the
joint advisory committee on emerging regulatory issues, September 30, 2011
-
20
coupe circuit obligatoire ds lors que le cours dune valeur varie de plus de 10 % en moins de
cinq minutes.
In fine, cet exemple doit contribuer dbattre du risque systmique quemporte le
recours globalis au THF. Le risque macroconomique nest toutefois pas le seul existant, le
THF emporte galement des risques microconomiques.
2) Risques microconomiques : atteinte lgalit des investisseurs et
lintgrit du march
Outre le principe directeur de scurit, on retrouve nombre dautres principes visant la
protection des investisseurs et des investissements. Sur le plan microconomique, il sagit
essentiellement des principes dgalit des investisseurs et dintgrit des marchs56
. Alors
que le premier cherche mettre en place une galit daccs linformation et au juste prix
dquilibre ou tout le moins une protection quant ce prix, le second veille plus
particulirement au fait que les intervenants nabusent pas le march, en utilisant des
informations privilgis ou en vhiculant de fausses informations, aux fins de manipuler le
cours.
Force est de constater, ainsi que le relve lESMA57
, que lessor du THF emporte un
risque quant la protection de linvestisseur sur le plan individuel. En ce sens, lIOSCO
consacre une partie de ses travaux au problme de lgalit et de lintgrit entre
investisseurs58
. Deux ides forces peuvent tre extraites de ces rapports : un risque relatif la
concurrence sur le march et un risque relatif la rpression des abus de march.
Tout dabord, il existe un risque sur le plan de la concurrence entre les intervenants sur
le march. Les entreprises utilisant le THF investissent massivement dans les infrastructures
tels les ordinateurs et les systmes de communications. De la mme manire, elles emploient
une part significative de leur ressource dans la recherche et dveloppement dalgorithmes ce
qui ncessite un capital humain trs qualifi et donc trs coteux. Plus encore, la course la
vitesse que se livre les oprateurs renforce dautant le problme, via les mcanismes de
colocation, de direct market access/sponsored access ou encore dordres flash sur certaines
plateformes. La question se pose alors de savoir sil existe une rupture dgalit dans la
concurrence sur le march et, dans laffirmative, de dterminer si elle rsulte dune pratique
illicite ou dun simple avantage technologique. Pour rpondre au premier point, il est possible
de constater le dveloppement de barrires lentre technologiques trs importantes,
provoquant llaboration dun march deux vitesses. Aussi peut-on dsormais parler dun
march haute frquence et dun march basse frquence, preuve sil en est de la rupture
56
Op. cit. Bonneau et Drummond, Droit des march financier, p. 25, 25 et suivants 57
Loc. Cit. ESMA, Consultation paper, Guidelines on systems and controls in a highly automated trading
environment for trading platforms, investments firms and competent authorities p. 70 58
Loc. Cit. OICV-IOSCO, Regulatory issues raised by the impact of technological changes on market integrity
and efficiency p. 29
-
21
dgalit dans laccs au march et de lexistence dune distorsion de concurrence entre
acteurs. Pour rpondre au second point, il ne semble pas possible de faire tomber le THF sous
le coup du droit de la concurrence, et on ne peut alors quen conclure que cet avantage
concurrentiel est le rsultat dun avantage technologique. Par voie de consquence, le risque
est que certains intervenants traditionnels des marchs financiers, dcourags par la captation
des opportunits de profits par quelques entreprises et un accroissement des pertes
enregistres, se retirent du march selon le processus bien connu de slection adverse ou
migrent vers des plateformes moins transparentes telles les dark pools59
. Le THF fait donc
natre un risque de rupture dgalit entre intervenants sur le march.
Ensuite, le THF suscite de trs forte raction sur la question du risque pour lintgrit
des marchs du fait de nouvelles possibilits dabus de march. Les stratgies de trading
algorithmique ultra rapides laissent entrevoir un renouveau des pratiques abusives, quil
sagisse dopration diniti, de diffusion de fausses informations ou de manipulation de
cours. Dans chacun des cas, la rpression traditionnelle des abus de march navait pas
envisag avoir affaire une telle innovation technologique et financire. Il en rsulte que les
cas litigieux sont la marge du licite et de lillicite. A ce titre, il est permis de citer quelques
illustrations. Premirement, peut-on penser que la pratique des ordres flash ressort du champ
de la prohibition des oprations diniti 60
? Dans ce genre de situation, un ordre est transmis
prioritairement par lentreprise de march quelques membres de march, pendant une
fraction de seconde, sans que le reste du public nen soit inform. Les membres de march
pourraient semble-t-il tre qualifis dinitis effectuant des transactions sur le fondement
dune information privilgie61
. Deuximement, peut-on estimer quun trader haute
frquence transmettant des ordres pour compte de tiers puisse, du fait de sa rapidit, en tirer
profit pour effectuer une opration inverse en compte propre ? Sagit-il alors dune pratique
de front running interdite62
? Troisimement, peut-on qualifier lmission dordres la
milliseconde avec annulation immdiate subsquente comme une diffusion de fausses
informations sur le carnet dordre 63
? Les quelques exemples sus voqus permettent de
constater linsuffisance de rgulation propre aux possibilits nouvelles offertes par le THF et
lexistence dun risque accru et nouveau pour lintgrit des marchs.
In fine, il est possible daffirmer, ainsi que le fait Jean-Pierre Jouyet : Le gendarme
est-il en mesure de courir aussi vite que le voleur ? A lheure o les transactions sur les
marchs dactions sont rparties sur de multiples plateformes de ngociation, o les ordres
59
Les dark pools sont des plateformes de ngociation soumises des rgles de transparences pr et post-ngociation allgs, permettant notamment de vendre ou acheter sans que le prix ou la quantit des transactions
napparaissent et donc sans dvoiler aux autres intervenants la stratgie de trading. 60
Une opration d'initi est un dlit ou un manquement boursier que commet une personne qui effectue une
transaction sur le fondement dinformations inconnues du public alors mme quelles devaient ltre. 61
http://www.lemonde.fr/economie/infographie/2010/06/18/le-flash-order-un-delit-d-initie-
legal_1371452_3234.html 62
Le front running consiste pour un intermdiaire financier tirer profit pour son propre compte et en
contradiction avec ses responsabilits fiduciaires de linformation quil possde sur les ordres de ses clients 63
La diffusion de fausses informations est un dlit ou un manquement consistant en la diffusion dinformations
errones que le diffuseur savait ou aurait du savoir comme tant contraire la ralit
-
22
sont excuts ou annuls, nous lavons vu, en quelques micro secondes, o les transactions
sur les marchs drivs se multiplient, la tche pour les services de lAutorit des marchs
financiers qui traquent les abus de marchs est de plus en plus ardue.64
Plus encore, le THF
fait natre un vritable risque de renouveau de la manipulation de cours et limportance
cruciale de la question mrite de lui consacrer deux parties entires quil convient ds
prsent daborder.
64
Jean-Pierre Jouyet dans le compte rendu du 4me colloque de la commission des sanctions de lAMF du 5
octobre 2011 p. 30
-
23
Premire Partie :
La rpression problmatique des manipulations de cours haute
frquence
La rpression de la manipulation de cours est irrigue par la morale et par lidologie
de lconomie de march et vise punir les comportements qui emporteraient une variation
artificielle du cours de bourse la hausse ou la baisse. Cette infraction pnale et ce
manquement administratif ont t faonns au cours des sicles pour apprhender les
comportements de spculateurs malhonntes dans une sphre financire visage humain .
Or, on la vu, tel nest plus le cas. Lautomatisation des marchs financiers est en marche et la
course la technologie est lance. Ds lors, de nouvelles pratiques de march qui ntaient
absolument pas prvues par les textes originels mergent. Ainsi faut-il se poser la question de
savoir si le droit positif permet dapprhender les nouvelles possibilits de manipulation de
cours offertes par le THF. A lexamen approfondi de celui-ci, il ressort quen thorie les
textes permettent bien de rprimer ces nouveaux comportements (I), mais quen pratique la
mise en uvre est beaucoup plus complexe (II).
I Lapplication thorique de la manipulation de cours au trading haute frquence
Pour rpondre la question susvoque, il est ncessaire de confronter, conformment
au raisonnement juridique traditionnel du syllogisme judiciaire, le droit au fait. Le fondement
de la rpression de la manipulation de cours (I) sera donc mis en balance avec les nouvelles
pratiques manipulatrices mise en uvre par un trader haute frquence (II).
A/. Le fondement de la rpression : la manipulation de cours
Le fondement de la rpression de la manipulation de cours est double, la fois pnal et
administratif. Nanmoins, les deux fondements nembrassent pas les mmes comportements
et plus encore, nont pas la mme importance en pratique. Lanalyse de la mise en uvre de la
rpression a mis en exergue le fait que le manquement administratif est un palliatif (1)
un dlit pnal inutilisable (2).
1) Un dlit pnal inutilisable
La rpression pnale du manquement de manipulation de cours comporte une forte
coloration morale65
. En effet, la ratio legis de lincrimination est la sanction dune pratique
contraire la transparence et lintgrit des marchs de nature troubler la confiance des
investisseurs. Le manipulateur sarroge un profit illgitime, en dterminant unilatralement la
hausse ou la baisse dune cours, au mpris des autres intervenants. Le but poursuivi est donc
la protection des acteurs du march par la punition de celui dentre eux qui aurait agit de
65
Loc. cit. Vauplane et Simart, la notion de manipulation de cours et ses fondements en France et aux USA
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24
manire dloyale et injuste. Cest ainsi que larticle L 465-2 alina 1 du CMF dfinit
llment matriel de lincrimination : Est puni des peines prvues au premier alina de
l'article L. 465-1 le fait, pour toute personne, d'exercer ou de tenter d'exercer, directement ou
par personne interpose, une manuvre ayant pour objet d'entraver le fonctionnement
rgulier d'un march rglement en induisant autrui en erreur. En outre, la dimension
pnale de la rpression et sa dimension morale emporte la ncessit de caractriser un lment
intentionnel.
En premier lieu, llment matriel de linfraction est constitu de trois lments
cumulatifs66
.
Il faut tout dabord caractriser une manuvre ou une tentative de manuvre. La
manuvre ncessite une action organise dune certaine ampleur. Ce terme nigmatique peut
tre expliqu via les travaux prparatoires de la loi susmentionne du 22 janvier 1988. A ce
titre, sont principalement vises les manuvres : [...] qui consistent crer par des ventes
dcouvert des mouvements de baisse importants du cours des actions d'une socit, non
motivs par la situation de la socit, suivi de rachats d'une quantit plus importante de titres
un cours trop bas, le profit tant ralis lorsque les cours remontent un niveau normal ;
[...] qui consistent procder la mme opration par la diffusion de nouvelles ou de
rumeurs, ou par des offres de vente situes systmatiquement trs prs du niveau des
transactions en baisse afin d'acclrer la baisse ; [...] qui consistent encore raliser le
mme type d'opration de faon bnficier des positions antrieurement prises sur le
march des options ; [...] qui consistent faire monter par achat ou procd quivalent -
comme dans les deux exemples prcdents - la hausse les cours d'un titre avant l'mission
de titres de capital de faon majorer le prix offert par rapport au prix qu'exigerait un
march normal 67
.
Ensuite, cette manuvre doit avoir pour objet dentraver le fonctionnement rgulier
dun march rglemente. Il faut infrer de cette proposition que leffet na aucune
importance. Lagissement doit viser empcher llaboration du cours par le jeu de loffre et
la demande et linfraction se trouve consomme par la seule analyse de lobjectif poursuivi.
Linfraction est donc de nature formelle.
Enfin, cette manuvre doit tre de nature induire autrui en erreur. Une nouvelle fois,
il nest pas ncessaire que lagissement induise autrui en erreur. Il suffit au juge de considrer
quun investisseur aurait pu tre flou par le manipulateur pour caractriser le manquement.
Pour un exemple trs classique, il est permis de renvoyer la sanction de la technique de la
bouilloire, par laquelle le manipulateur slectionne un certain nombre de titres dont le march
est troit et sensible et le manipule rapidement la hausse en passant de trs nombreux ordres
dachats sans couverture, de manire persuader les spculateurs de limminence dune
opration sur ce titre pour les conduire entretenir la hausse68
. Il nen demeure pas moins,
pour reprendre les propos dun auteur, qu il faut un singulier effort dimagination pour
tenter de dceler la nature des manuvres distinctes de linformation publique, qui soient
66
Eric Dezeuze, Bref survol des contours du dlit de manipulation des cours, AJ pnal 2011, p. 61 67
Rapport Auberger n 1073, p.113, Doc. AN 1987-1988 , 1er
section 68
T. corr. Paris 14 mars 1990
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25
capables dinduire autrui en erreur dans ses dcisions dinterventions sur le march. 69
Voici donc que llment matriel pose une premire difficult pour son application au THF.
En second lieu, aprs avoir mis en exergue llment matriel, il est ncessaire de
caractriser un lment intentionnel70
. Cet lment a persist malgr la suppression du mot
sciemment par la loi du 2 aot 1996. Il est de lessence mme de la nature pnale de la
rpression71
et sinfre galement de la dfinition de llment matriel72
. A la lecture du
CMF, on comprend la ncessit de caractriser non pas la seule intention dlictueuse, mais
plus encore, lintention de fausser le fonctionnement du march. Au dol gnral est substitu
le dol spcial. Le juge pnal doit sonder la conscience du manipulateur. Le lgislateur
souhaite confrer une latitude au juge, pour lui permettre de faire le tri entre les manipulations
lgitimes et illgitimes, entre celle visant entraver le march et induire autrui en erreur et les
autres. Quoi quil en soit, selon la tendance bien connue en droit pnal des affaires, lintention
peut trs bien tre infre des manuvres et du contexte. Nanmoins, le sous-jacent moral de
linfraction et la ncessit de caractriser llment intentionnel pose le plus souvent un
second type de difficult, qui sera dautant plus important dans le cas du THF.
In fine et trs rapidement, les personnes physiques poursuivies sur ce fondement
encourent jusqu deux annes d'emprisonnement et 1 500 000 d'amende ou dix fois le
montant du profit ralis et les personnes morales risquent une amende de 7 500 000 ou
cinquante fois le montant des profits raliss. La sanction est particulirement dissuasive.
Toutefois, la qualification de dlit pnal de manipulation de cours porte en elle ses
propres limites. Le cumul dune manuvre difficile apprhender avec la ncessit de sonder
lesprit du manipulateur met le juge dans une posture difficile. Aussi est-il trs difficile
didentifier le comportement dlictueux mais plus encore den apprhender lintention. Pour
consquence, une rpression quasi inexistante : seules deux sanctions dans lhistoire du dlit
boursier de manipulation de cours73
. Certains auteurs ont mme plaid pour labandon pur et
simple du dlit pnal, qualifi d inutilisable , pour lui prfrer son versant administratif,
beaucoup plus simple mettre en uvre74
. Lapplication du dlit pnal en gnral, et au THF
en particulier, semble trs compliqu. Il faut alors lui prfrer le manquement administratif.
69
Ch. Freyria, les aspects rpressifs de la rglementation boursire actuelle, revue de droit bancaire n 8 juillet-
aot 1988 p.133 70
Loc. cit. Dezeuze, Bref survol des contours du dlit de manipulation des cours 71
121-2 alina 1er
du code pnal 72
L 465-2 du CMF 73
T. corr. Paris 14 mars 1990 et Cass. Crim., 28 janvier 2009 74
H. de Vauplane et O. Simart, Dlits boursiers : propositions de rforme, Revue droit bancaire et bourse n61,
mai juin 1997, p.85
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2) Un manquement administratif palliatif
A linverse du dlit pnal, le manquement administratif de manipulation de cours est
dinspiration conomique75
. A limage de linfraction amricaine de manipulation de cours, il
sagit cette fois de protger lefficience du march, de permettre la synthse des informations
sur une valeur, la rencontre de loffre et de la demande et la formation dun cours reprsentatif
dun instant donn. La morale na aucun rle jouer dans le cas prsent. Dans cette
configuration, le manipulateur trouble loptimum atteint en ce sens quil dforme ou cre
artificiellement linformation et organise un march spculatif court terme inefficient. Le
processus complexe de formation des prix est bris, le march dans son ensemble est ls.
Cette infraction est prvue larticle 631-1 RG AMF. Il convient de prciser
immdiatement que cette disposition ne fait aucune rfrence un quelconque lment moral
et que la nature administrative de la rpression ne commande pas que celui-ci soit caractris.
Ds lors, lAMF a pu en dduire dans sa jurisprudence quaucune intention ntait ncessaire
pour qualifier un comportement de manipulation de cours76
. Ainsi, le juge est beaucoup plus
libre pour identifier un manipulateur et apprcier la manipulation. A ce jour, lAMF a pu
sanctionner seize reprises sur le fondement de la manipulation de cours, dans des hypothses
somme toute assez dlicates et en prononant des sanctions parfois trs dissuasives77
. Il est
dores et dj possible den dduire que ce manquement sera beaucoup plus ais manier
pour une ventuelle rpression du THF.
Malgr labsence dlment moral, il demeure ncessaire de caractriser un lment
matriel. Le lgislateur avec larticle 631-1 RG AMF reprend les dispositions de la directive
europenne et opte pour une liste plutt que pour une dfinition gnrale. Pour simplifier cet
article compliqu, on peut le dcomposer en trois parties pour trois cas de manipulation de
cours78
.
Premirement, larticle 631-1 1 a) sanctionne les tromperies sur loffre et la
demande : Le fait deffectuer des oprations ou dmettre des ordres : Qui donnent ou sont
susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur loffre, la demande ou le
cours dinstruments financiers . On retrouve ici la conception conomique de linfraction : le
cours doit tre le produit de la rencontre de loffre et de la demande et personne ne doit
interfrer avec ce processus. Par exemple : les achats ou ventes dun mme titre pour le
compte dun seul et mme ayant droit (wash trade) ; les oprations croises dachat et de
vente dune mme valeur mobilire sur le compte propre dun ngociant (nostro-nostro
inhouse crosses) ; les altrations de liquidit et de prix provoques, de manire intentionnelle,
par un excs dordres dachat ou de vente (painting the tape, ramping, capping, pegging,
75
Loc. cit. Vauplane et Simart, la notion de manipulation de cours et ses fondements en France et aux USA 76
Dcision AMF 26 janvier 2006 et 10 dcembre 2007 77
Loc. cit. Dezeuze, Bref survol des contours du dlit de manipulation des cours 78
T. Bonneau et D. Drummond, Droit des marchs financiers, Troisime dition, Economica, 510 et suivants
p. 727
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technique de la bouilloire) Trs clairement, les pratiques du THF qui interfre avec la
rencontre de loffre et la demande peuvent tout fait tomber sous le coup de cet article.
Deuximement, larticle 631-1 1 b) prohibe les actions concertes sur les prix : 1
Le fait deffectuer des oprations ou dmettre des ordres : [] b) Qui fixent, par laction
dune ou de plusieurs personnes agissant de manire concerte, le cours dun ou plusieurs
instruments financiers un niveau anormal ou artificiel []. Par exemple : le soutien abusif
de cours ralis par une mre et sa filiale afin de faire obstacle la diminution du cours en
dessous dun certain seuil ; lopration ralise loccasion dune opration de march telle
une offre au public et qui est destine fixer un cours un niveau artificiel ; lopration
dachat sur un titre, sur un march peu liquide, ayant pour effet un dcalage successif du cours
et permettant, via des transactions entre deux parties, de faire raliser artificiellement des plus
ou moins values lune ou lautre partie ; le fait de ngocier un instrument financier de
manire manipuler le cours du produit qui en est driv Lapplication de cet article au
THF semble hypothtique dans la mesure o un trader haute frquence agit pour compte
propre et le plus souvent de manire isole.
Afin de caractriser ces deux premiers types de manipulation de cours, le RG AMF
propose une srie dindices au sein de larticle 631-2 RG AMF :
Sans que ces lments puissent tre considrs comme formant une liste exhaustive ni
comme constituant en eux mmes une manipulation de cours, lAMF prend en compte, pour
apprcier les pratiques mentionnes au 1 de larticle 631-1 :
1 Limportance de la part du volume quotidien des transactions reprsente par les ordres
mis ou les oprations effectues sur linstrument financier concern, en particulier lorsque
ces interventions entranent une variation sensible du cours de cet instrument ou de
linstrument sous-jacent ;
2 Limportance de la variation du cours de cet instrument ou de linstrument sous-jacent ou
driv correspondant admis la ngociation sur un march rglement, rsultant des ordres
mis ou des oprations effectues par des personnes dtenant une position vendeuse ou
acheteuse significative sur un instrument financier ;
3 La ralisation doprations nentranant aucun changement de propritaire bnficiaire
dun instrument financier admis la ngociation sur un march rglement ;
4 Les renversements de positions sur une courte priode rsultant des ordres mis ou des
oprations effectues sur le march rglement de linstrument financier concern, associs
ventuellement des variations sensibles du cours dun instrument financier admis la
ngociation sur un march rglement ;
5 La concentration des ordres mis ou des oprations effectues sur un bref laps de temps
durant la sance de ngociation entranant une variation de cours qui est ensuite inverse ;
6 Leffet des ordres qui sont mis sur les meilleurs prix affichs loffre et la demande de
linstrument financier, ou plus gnralement de la reprsentation du carnet dordres auquel
ont accs les participants au march et qui sont annuls avant leur excution ;
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7 Les variations de cours rsultant des ordres mis ou des oprations effectues au moment
prcis ou un moment proche de celui o sont calculs les cours de rfrence, les cours de
compensation et les valuations.
A la lecture de cette liste, il ressort que le THF peut trs facilement tre apprhend
par le manquement de manipulation de cours. Les indices rvlateurs dune manipulation
lists correspondent adquatement avec les activits classiques et licites des traders haute
frquence ! Que lon pense au volume des ordres mis et des transactions (1), la dtention
dune position acheteuse ou vendeuse significative (2), au renversement de position sur une
priode trs courte (4), la concentration des ordres sur un bref laps de temps (5), la
position prise aux meilleures limites pour viter une excution et son annulation subsquente
(6). Tous ces comportements sont lgions dans les activits quotidiennes du THF. Ainsi
peut-on comprendre pourquoi lessor de cette innovation financire soulve tant de craintes
auprs des acteurs et des rgulateurs des marchs sur la question de la rpression des
manipulations de cours. Le THF est donc, par application des textes actuels, une pratique dont
on subodore lillicit. En effet, si lon conjugue une mission dordres massive avec un taux
dannulation consquent, lensemble sur une priode extrmement courte, il est possible den
conclure que le THF est prima facie suspect de manipulations de cours.
Troisimement, larticle 631-1 2 interdit : 2 Le fait deffectuer des oprations ou
dmettre des ordres qui recourent des procds donnant une image fictive de ltat du
march ou toute autre forme de tromperie ou dartifice. Cette troisime manipulation
pourrait presque tre redondante si elle ntait pas accompagne par deux illustrations
pratiques.
Larticle 631-1 2: a) vise prcisment lobtention et la mise profit dune position
dominante : Le fait, pour une personne ou pour plusieurs personnes agissant de manire
concerte, de sassurer une position dominante sur le march dun instrument financier, avec
pour effet la fixation directe ou indirecte des prix dachat ou des prix de vente ou la cration
dautres conditions de transaction inquitable . Dans une approche semblable au droit de la
concurrence, il faut dans ce cas dmontrer lexistence dune position dominante et une
utilisation de cette position qui crerait des conditions de transactions inquitables pour les
tiers. Il est difficile de comprendre lintrt dune telle prcision qui semble paraphraser
larticle 631-1 1 envisag sous langle de lindice figurant larticle 631-2 2. Quoi quil en
soit, cette disposition est aisment transposable aux pratiques des traders haute frquence.
Effectivement, le THF est par essence un mcanisme de trading qui vise lobtention de
position significative lachat ou la vente de titre. Encore une fois, le THF peut sans
difficult tomber sous le coup de la rpression.
Larticle 631-1 2 b) vise spcifiquement le cas des interventions proches du fixing :
Le fait dmettre au moment de louverture ou de la clture ou, le cas chant lors du
fixage, des ordres dachat ou de vente dinstruments financiers du march ayant pour objet
dentraver ltablissement du prix sur ce march Lapport de cet exemple est bien maigre
puisque une pratique manipulatrice est susceptible dtre sanctionner tout moment de la
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sance de bourse. Tout au plus, laccent est mis sur les manipulations en fin de sance puisque
cest ce moment que le cours est trs sensible.
Une fois encore, de la mme manire que pour larticle 631-1 1, le RG AMF donne
une liste dindices pour identifier les comportements litigieux viss larticle 631-1 2 b) au
sein de larticle 631-3 RG AMF. A ce titre, lAMF examine :
1 Si les ordres mis ou les oprations effectues par des personnes sont prcds ou suivis
de la diffusion dinformations fausses ou trompeuses par ces mmes personnes ou des
personnes qui leur sont lies ;
2 Si les ordres sont mis, ou les oprations effectues, par des personnes avant ou aprs que
celles-ci, ou des personnes qui leur sont lies, produisent ou diffusent des travaux de
recherche ou des recommandations dinvestissement qui sont faux ou biaiss ou
manifestement influencs par un intrt significatif.
Lapport de cet article pour le THF est inexistant et ne mrite pas quon sy arrte plus
longuement.
Lorsque llment matriel est constat par le juge en dehors des quelques exemptions
possibles, celui-ci peut prononcer une sanction administrative pcuniaire pouvant s'lever
jusqu' 100 millions d'euros, ou, ici encore, dix fois le montant du profit ralis. La sanction
administrative peut donc tre considrable. Cette dernire peut mme, sous certaines limites
qui ne seront pas dveloppes ici, tre cumule avec le dlit pnal de manipulation de cours.
Nanmoins, linfraction administrative est beaucoup trop complexe. Lenchevtrement
des cas de manipulation de cours, des exemples, des indices et des renvois rend son utilisation
prilleuse et parfois mme hasardeuse. Quoi quil en soit, elle demeure assez souvent utilise
par lAMF. A la simple lecture des dispositions reproduites, on peut dores et dj estimer que
le THF est a priori suspect de manipulation de cours. Encore faut-il caractriser un lment
matriel concret dfaut de caractriser une intention de manipulation. Afin de sassurer de la
perfection du syllogisme, il est maintenant ncessaire de confronter le contenu de la
rpression avec les stratgies de THF qui seraient de nature troubler voire manipuler le
cours de bourse.
B/. Lobjet de la rpression : la manipulation de cours haute frquence
A la suite de cette tude, il est permis de penser que la rpression boursire de la
manipulation de cours est suffisamment large, complte et dissuasive pour embrasser tous les
cas possibles de manipulation imaginables. Toutefois, lessor de nouvelles technologies en
gnral et du THF en particulier offre un renouveau des possibilits de manipulation. En effet,
pour reprendre les mots dun auteur : Aux conventions de langage et de comportement des
marchs la crie, se substituent sur les marchs lectroniques, les algorithmes, dont le
rglage doit prendre en compte la diversit des objectifs, des types doprateurs, des
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30
modalits de ngociation. 79
Le THF joue donc un rle majeur dans la formation des cours
de bourse au quotidien, partant, il peut le manipuler avec dautant plus de facilit. Il suffit de
penser au nombre phnomnal dordres mis et annuls, la vitesse infinitsimale laquelle
soprent les positions et les transactions, pour comprendre quel point le THF peut agir
favorablement ou dfavorablement sur la formation dun cours de march et les nouvelles
possibilits offertes par la manipulation de cours haute frquence . Ainsi est-il ncessaire
danalyser successivement les stratgies dont la rpression parait certaine (1) avant celle dont
la rpression parait plus problmatique (2).
1) La rpression certaine
Les travaux des auteurs et institutions ont mis en exergue les diffrentes stratgies qui,
mises en uvre par voie de THF, sont de nature influer matriellement sur la fixation du
cours et peuvent alors en thorie tre rprime. Il sagit des stratgies de spoofing, de
momentum ignition et dorder anticipation.
Tout dabord, le spoofing, littralement canular ou parodie, est une stratgie qui
consiste mettre un ou plusieurs ordres de sens contraire ses intrts rels pour inciter
dautres intervenants faire de mme, et dannuler ces ordres lorsquils risquent dtre
excuts. Dans un tel cas, la confrontation de loffre et la demande est bouleverse, puisque
loffre ou la demande est artificielle, ce qui entrane une hausse ou une baisse du cours.
Lobjectif dune telle stratgie est dalimenter une volution du cours favorable ses intrts
afin deffectuer une transaction contraire lorsque les conditions sont les meilleures. Cette
technique peut tre corrobore ou exister sous la forme du layering, en franais technique de
superposition des ordres, qui consiste multiplier et squencer laffichage des ordres aux
limites du carnet pour renforcer limage trompeuse qui en dcoule80