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Bonjour, comment tu t’appelles ? Moi, je m'appelle Maruf. J’habite au Bangladesh. Oui, c’est un nom difficile, hein ? Je parie que tu ne connais pas le Bangladesh. Je crois qu’on n’en parle pas souvent, chez toi. On en parle parfois, quand il y a des inondations – c’est quand il y a plein d’eau partout - ou des cyclones – c’est des tempêtes avec super plein de vent et de la pluie. Enfin on en parle quand il y a des tas de morts. Mais tu sais, chez nous, il y en a souvent, des cyclones et des inondations, mais ils ne font pas toujours plein de morts. Alors, on n’en parle pas, chez toi. On ne parle pas de mon pays. Pourtant, chez toi, il y a des choses qui viennent de chez moi. Au Bangladesh, on fait pousser des scampis. Euh non, pas pousser. Les scampis, c’est des grosses crevettes. Alors, elles ne poussent pas. Je crois qu’on dit qu’on fait l’élevage. Oui, c’est ça, on les élève. On en élève des tas, et elles partent chez toi. Enfin, pas seulement chez toi, mais dans toute l’Europe et en Amérique. Nous, on n’en mange pas. On n’a pas assez de sous. Je parie que tu ne savais pas que les scampis viennent souvent de chez moi. Normal, c’est pas écrit sur chaque scampi. Mais il y a autre chose qui vient de chez moi. Et c’est écrit dessus. Tu ne sais pas quoi ? Les vêtements. Tiens, regarde. Tu vois, sur tous les t-shirts, les pulls, les pantalons et tout ça, il y a des étiquettes. Et souvent, tu verras sur une étiquette qu’on a écrit « Made 1

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dans toute l’Europe et en Amérique. Nous, on n’en mange pas. On n’a pas assez de plein de vent et de la pluie. Enfin on en parle quand il y a des tas de morts. Mais tu sais, c’est un nom difficile, hein ? Je parie que tu ne connais pas le Bangladesh. Je crois ça coûte pas cher, de le fabriquer chez nous. Et, chez nous, il y a beaucoup de gens très, qu’on n’en parle pas souvent, chez toi. On en parle parfois, quand il y a des inondations sous. très pauvres. 1

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Bonjour, comment tu t’appelles ? Moi, je m'appelle Maruf. J’habite au Bangladesh.

Oui, c’est un nom difficile, hein ? Je parie que tu ne connais pas le Bangladesh. Je crois

qu’on n’en parle pas souvent, chez toi. On en parle parfois, quand il y a des inondations

– c’est quand il y a plein d’eau partout - ou des cyclones – c’est des tempêtes avec super

plein de vent et de la pluie. Enfin on en parle quand il y a des tas de morts. Mais tu sais,

chez nous, il y en a souvent, des cyclones et des inondations, mais ils ne font pas

toujours plein de morts. Alors, on n’en parle pas, chez toi. On ne parle pas de mon

pays.

Pourtant, chez toi, il y a des choses qui viennent de chez moi. Au Bangladesh, on fait

pousser des scampis. Euh non, pas pousser. Les scampis, c’est des grosses crevettes.

Alors, elles ne poussent pas. Je crois qu’on dit qu’on fait l’élevage. Oui, c’est ça, on les

élève. On en élève des tas, et elles partent chez toi. Enfin, pas seulement chez toi, mais

dans toute l’Europe et en Amérique. Nous, on n’en mange pas. On n’a pas assez de

sous.

Je parie que tu ne savais pas que les scampis viennent souvent de chez moi. Normal,

c’est pas écrit sur chaque scampi. Mais il y a autre chose qui vient de chez moi. Et c’est

écrit dessus. Tu ne sais pas quoi ? Les vêtements. Tiens, regarde. Tu vois, sur tous les t-

shirts, les pulls, les pantalons et tout ça, il y a des étiquettes. Et souvent, tu verras sur

une étiquette qu’on a écrit « Made in Bangladesh ». Tu as vu ? Ça veut dire « Fabriqué

au Bangladesh ». Moi, je trouve ça cool, que tu aies chez toi des choses qui viennent de

chez moi. Enfin, quand je dis que je trouve ça cool, finalement, est-ce que c’est

vraiment vrai, que c’est cool ? Je ne suis pas certain. C’est fabriqué chez nous parce que

ça coûte pas cher, de le fabriquer chez nous. Et, chez nous, il y a beaucoup de gens très,

très pauvres.

Moi aussi, ma famille est très pauvre. J’ai deux soeurs: Rotna, elle a 4 ans, et Salma,

c’est une grande, elle a 12 ans. On habite avec mon papa, chez mes grands-parents. Ma

maman, elle, elle est partie de la maison. Tu sais pourquoi ? Parce que mon papa et moi

on était malade. On a la lèpre. Mon papa, ça fait 7 ans qu’il est malade. Moi, ça fait

moins longtemps – dis, je n’ai que 9 ans, je te rappelle. Mon grand-père aussi, il a été

malade. Mais il est guéri, maintenant. Et ma petite sœur, Rotna, elle est malade aussi,

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mais pas depuis longtemps. Alors, ma maman, elle est partie. Peut-être qu’elle a eu

peur.

Ben oui, c’est vrai. La lèpre, c’est une maladie qui fait peur. Enfin, bon, je suis quand

même très triste que ma maman soit partie, c’est pas ça. Mais j’aime bien essayer de

comprendre pourquoi elle est partie. Et c’est vrai que ça fait peur, la lèpre. Tiens,

regarde, mon papa. Ben, lui, il ne sent plus rien dans sa main gauche. Et il a des

blessures au pied, le gauche aussi. Et, à cause de ça, il ne trouve pas de travail. Tiens,

finalement, je crois que c’est pour ça que ma maman est partie. On n’avait plus rien à

manger…

Moi, je ne vais plus à l’école. Depuis plein de mois, déjà. J’avais plus trop envie, j’avais

des problèmes à la main, on se moquait parfois de moi à cause de ça. Et puis aussi parce

que mon papa n’a pas de travail. C’est pas cool, ça, qu’on se moque de moi. Et, en plus,

parfois, j’ai dû aller à l’hôpital, pendant plusieurs semaines. Alors, moi, maintenant,

l’école, c’est fini. Enfin, pour le moment.

Chez toi aussi, il y a des enfants qui ne vont pas à l’école parce qu’ils sont malades ?

Ou parce qu’on se moque d’eux ? J’espère que non. L’école, c’est pas toujours marrant,

mais on a des copains et on apprend des tas de choses. Et on sait lire, et écrire, et

calculer et tout ça. Alors, moi, j’aimais bien aller à l’école. Au moins, j’aurais pu avoir

un travail, plus tard, et gagner des sous pour mon papa et mes sœurs. J’espère que je

pourrai y retourner un jour. D’ailleurs, je sais déjà ce que j’aimerais bien faire, quand je

serai grand, comme métier : mécanicien. Ou conduire des camions. Des gros.

Vroummm…

Oui, mais, pour ça, il faudra que je retourne à l’école. Et aussi, que ça s’arrange, pour

ma main. Tu sais, maintenant, j’ai un problème à la main : mes doigts sont tout tordus,

je n’arrive plus à les tendre. On dirait un peu une griffe, d’un animal. Ça fait pas mal,

c’est pas ça, mais je ne sais plus rien faire avec. C’est ma main gauche, comme mon

papa. Tu crois qu’on sait conduire des camions ou être mécanicien, avec une main

comme ça, qu’on ne sait plus tendre, ou fermer, ou même rien du tout, quoi ? Je pense

pas. J’ai un peu peur.

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Tu connais la lèpre, chez toi ? Il y a des malades ? De la lèpre, je veux dire . Je ne sais

pas s’il y en a chez toi. Mais chez moi, il y a en. Il y en a même plein, dans ma famille.

C’est une drôle de maladie, tu sais. On n’a pas de fièvre, on n’a pas mal, on ne tousse

pas, on n’a pas de boutons. Au début, on a juste des taches. Après, c’est plus grave,

comme pour nos mains, à mon papa et à moi, ou alors on a des grandes blessures ou

même on peut devenir aveugle. Mais, au début, c’est juste quelques taches, un peu

petites, un peu grandes. Et tu sais pas ? On ne sent rien, sur ces taches. C’est bizarre,

hein ? Mais c’est vrai. Alors, qu’est-ce que tu veux ? On a une tache quelque part.

Parfois, même, on ne la voit pas (tu regardes souvent ton dos, toi ? Comment tu fais ?).

Et on n’a pas mal. Alors, on ne s’inquiète pas. Et puis, de toute façon, même si on

s’inquiétait, qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Quand on n’a pas de sous pour aller chez le

docteur, qu’on s’inquiète ou pas, ça ne change rien. On n’y va pas, c’est tout.

Mais là, tu vois, on avait faux, mon papa, mon grand-père et même moi. On peut aller

chez le docteur quand on n’a pas de sous. Et même à l’hôpital. Oui, oui, même à

l’hôpital. Et on reçoit des médicaments et à manger et tout. Et on ne paie même pas.

C’est cool.

C’est marrant, sur l’hôpital, il y a un papillon qui est peint. Un beau, un rouge. Et il y a

quelque chose d’écrit, en plus. On m’a dit que c’était écrit « Action Damien ». Il paraît

que ça vient de chez toi, ça, Action Damien. Tu le savais ?

C’est assez compliqué à expliquer. Le kiné, il me l’a expliqué. J’espère que j’ai tout

compris. En tout cas, le kiné, il explique plein de choses, Très gentiment. Il s’appelle

Raymond, le kiné, et il est très chouette. Il m’a dit que, Action Damien, c’est un groupe

de gens, chez toi, en Belgique, qui trouvent des sous et qui font des choses pour que des

gens malades soient guéris, chez moi. Enfin, pas seulement chez moi, dans des tas

d’autres pays, aussi. Près de chez moi et aussi beaucoup plus loin.

Et tu sais ce que j’aime bien, aussi ? C’est que les docteurs, les kinés, les infirmières et

tout ça, d’Action Damien, ce ne sont pas des blancs, ce sont des gens de chez moi. Moi,

j’aurais un peu peur d’aller voir un docteur blanc. Mais quand c’est un docteur

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bangladeshi – ça veut dire un docteur de chez moi, du Bangladesh - j’ai pas peur. Enfin,

si, faut pas mentir, hein ? Mais j’ai moins peur quand même. Et toi, tu n’as pas peur,

quand tu vas chez le docteur ? Je crois bien que si. T’es sûr ?

Et donc, Raymond, il a vu que j’avais la lèpre. Je t’ai dit, pour les taches ? Je crois bien

que oui. Eh bien, tu sais comment il a fait, Raymond ? Il m’a dit que tout le monde fait

la même chose. Tous les docteurs, dans tous les pays du monde. Ils te bandent les yeux

et puis ils te touchent avec une plume, ou un bic, ou n’importe quoi, à plein d’endroits

différents. Et puis, ils te demandent de montrer où ils te touchent. Tu peux essayer sur

les bras avec tes copains et tes copines, en classe, c’est chouette... Et si tu ne montres

pas qu’ils te touchent sur une tache, c’est que tu ne l’as pas senti, qu’on te touchait.

D’accord, hein ? Et si tu ne sens pas les taches, c’est la lèpre. Et hop, voilà, c’est pas

plus difficile que ça.

Et donc, maintenant, j’ai des médicaments. Des petites pilules à prendre tous les jours,

pendant quelques mois. Et je serai guéri. Mon grand-père, lui, est déjà guéri. Mon papa

et ma sœur, ce sera bientôt fait, comme moi. Enfin, quand je dis guéri, c’est vrai. Et en

même temps c’est pas vrai. Parce que je n’aurai plus les microbes de la lèpre dans mon

corps, mais ma main restera croquée. Ca, c’était pas très gai, quand Raymond me l’a

expliqué. Tu penses…

Mais il y a quand même une bonne nouvelle : quand je serai plus grand, les docteurs

d’Action Damien, ils pourront m’opérer. Eh oui ! Mon papa, lui, il vient d’être opéré.

Du pied. Bon, d’accord, il ne pourra jamais jouer au foot, mais il pourra de nouveau

marcher presque normalement. Mais d’abord, il doit bien travailler avec Raymond.

Moi aussi, je vais continuer à faire plein d’exercices avec Raymond. Ils ont l’air facile,

comme ça, les exercices, mais ils sont difficiles quand tu as la main croquée. Et puis,

plus tard, quand je serai plus grand, je serai opéré. Tu crois qu’on peut conduire un

camion avec une main opérée ?

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