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TABLE DES MATIÈRES
Introduction .......................................................................................................... 1
1. Pygmalion ................................................................................................... 4
2. La Vénus d’Ille ........................................................................................... 4
3. L’Ève future ............................................................................................... 4
4. Aphrodite, mœurs antiques ...................................................................... 4
Conclusions............................................................................................................ 4
Appendix ............................................................................................................... 4
Bibliographie ......................................................................................................... 4
Résumé ................................................................................................................... 4
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Illustration 1 : La Vénus de Quinipili ................................................................. 1
Illustration 2 : La Vénus de Milo ........................................................................ 4
Illustration 3 : Statue d'Aphrodite par Auguste Rodin, qui doit figurer sur la
scène du théâtre de la Renaissance .................................................................... 4
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Dans les pages suivantes le thème traité sera celui de la reprise du mythe de
Pygmalion au XIXe siècle. Pygmalion ne sera pas explicitement nommé, il s’agit
plutôt d’en cueillir les caractéristiques principales qui se répètent dans chaque
texte qui sera analysé.
Les textes pris en considération seront La Vénus d’Ille de Prosper Mérimée,
L’Ève future de Villiers de L’Isle Adam et Aphrodite, mœurs antiques de Pierre
Louÿs.
Même si les trois textes appartiennent au même siècle, on pourra s’apercevoir
d’une évolution des thématiques au fur et mesure que les années passent et, à
chaque période, il y aura un différent souci, une différente priorité.
Dans le premier chapitre le mythe de Pygmalion sera analysé, à partir de sa
première apparition. On verra comment le conte de Philostéphane, ou celui de
Posidippe dans Livre sur Cnide pourraient avoir été les sources antiques qui
auraient inspiré Ovide.
On verra ensuite comment Clément d’Alexandrie se préoccupe de critiquer
l’idolâtrie réservée aux statues, dans son livre Protreptique, et pourquoi il ne
prend pas en considération le conte d’Ovide.
L’analyse continuera par l’identification du contexte et de la place, qui n’est pas
due au hasard, dans les nombreux textes d’Ovide, du mythe de Pygmalion.
Ensuite on traitera la double fonction de la statue, c’est-à-dire de représentante
d’un vœu de chasteté et, au même temps, d’une substitution.
L’animation de la statue sera un thème particulièrement développé et l’analyse de
ce passage commencera avec la description des réactions de Pygmalion à
l’événement : la merveille sera suivie de la nécessité d’avoir une preuve qui sera
satisfaite à travers, premièrement le touche, de suite le baiser, ce qui introduira le
désir, et, à la fin, l’étreinte ; le tout sera expliqué être le climax du sentiment
amoureux qui se développe suivant les règles de l’ars amandi.
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L’intervention divine sera le dernier point traité à propos de l’animation et la
chaleur sera la dernière preuve, la preuve déterminante de la conclusion du
processus.
Mon mémoire continuera avec la démonstration du succès du mythe de
Pygmalion qui finira par devenir la référence fondamentale de toutes histoires
d’amour concernant un être humain et un « objet » animé.
On verra encore comment chaque époque est influencée de manière différente du
mythe : le XVIIe siècle assiste au retour du mythique, et l’histoire de Pygmalion
en particulier représente le compromis entre sacré et profane ; le XVIIIe siècle
réalise un renouvellement du mythe à travers nouvelles thématiques, chères à
l’époque. Le XIXe siècle nécessitera une analyse un peu plus profonde parce que
les thèmes deviendront plus complexes et l’amour pour les statue évoluera en
déviance : on assistera donc à la naissance du fétichisme, de l’inceste et de la
nécrophilie, où le thème de la mort portera au développement du genre
« sombre » et de la nouvelle tragique, deux typologies de narration qui verront
leur naissance en Angleterre et qui se répandront plus tard en France aussi. De ce
contexte prendra vie le genre fantastique, qui sera accompagné par sa variation,
le merveilleux.
Le XIXe siècle sera témoin aussi du phénomène de « coalescence de mythes »,
phénomène qui prévoit la fusion du mythe de Pygmalion avec d’autres mythes de
l’histoire ancienne. Pygmalion sera associé, de cette façon, avec Prométhée, où
les deux mythes s’influenceront à tour de rôle ; il sera associé aussi avec
l’androgyne, car tous les deux sont porteurs d’une sorte de transgression, et avec
Méduse, ce qui va représenter l’union du désir créateur avec celui destructif.
En avançant dans le temps on rencontrera les Parnassiens et les Décadents qui
mettront Pygmalion face au choix entre Beauté et Réalité, et ils lui feront choisir
la Beauté et donc l’Art.
La seconde moitié du XIXe siècle privilégiera, au contraire, l’utile au beau et on
assistera ainsi à la substitution de l’art pour l’artifice et, par conséquence, à la
mutation de la figure de Pygmalion aussi. C’est en cette période que le terme
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« pygmalionisme » sera forgé et il finira pour prendre et un signifié artistique et
un signifié médical.
À la fin du XIXe siècle et au début du XX
e le corps mécanisé continuera à
entretenir un lien avec le mythe de Pygmalion et ce lien portera au
développement d’une analyse sur les relations entre nature, art et technologie.
Chaque chapitre s’ouvrira par la référence à une statue, inspiratrice du sujet
animé à l’intérieur de la narration qui sera traitée.
Le deuxième chapitre, qui traitera la nouvelle mériméenne La Vénus d’Ille,
commencera avec la présentation de la statue appellée La Vénus de Quinipili, une
sculpture bretonne aux origines mystérieuses, sur laquelle plusieurs érudits ont
exprimé leur opinion.
Le premier commentaire, assez général et vague, sera celui de Christophe-Paul
de Robien, suivi des opinions de Jean-Baptiste Ogée, l’Abbé Déric et Antoine-
Jean-Marie Thévenard.
Armand-Louis-Bon Maudet de Penhouet sera l’érudit qui réussira à présenter des
informations plus fiables en jugeant la statue comme une représentation de la
déesse égyptienne Isis, ce qui ouvrira un débat parmi les antiquaires et les érudits
de l’époque sur les véritables origines de la statue : les deux possibilités seront
celles d’une ancienne Vénus romaine ou d’une Isis égyptienne.
On assistera à la participation de Prosper Mérimée au débat, lequel refusera les
deux possibilités ; mais sera seulement Louis Jacques Marie Bizeul qui trouvera
le seul document original publié sur l’histoire de la statue et il achèvera, quand
même, par exprimer la même opinion que Mérimée.
Le chapitre continuera en identifiant la statue avec la très probable source
d’inspiration pour l’idole de la nouvelle mériméenne La Vénus d’Ille : les
informations qui seront données concerneront le voyage de l’auteur, une fois
devenu Inspecteur Général des Monuments historiques, en 1834, dans le sud de
la France, lequel se terminera en Bretagne, témoignage du fait que Mérimée aura
eu surement l’occasion de visiter la Vénus de Quinipili. Une autre information
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sera à propos des dates, et du voyage (1834) et de la parution de la nouvelle
(1837), lesquelles sont très proches et on ajoutera, en plus, que l’antiquaire
protagoniste et narrateur de l’histoire rappelle beaucoup Mérimée, fait qui portera
à penser à une reprise d’une expérience personnelle.
Ensuite, on s’apercevra de la volonté de l’auteur de raconter aussi le rapport
difficile qu’il avait avec les autres antiquaires ; les raisons qui donneront
témoignage de cette volonté sont la ville de l’histoire, c’est-à-dire Ille-sur-Têt,
lieu que Mérimée visite avec l’antiquaire Jaubert de Passa, et surtout l’article
anonyme paru sur Le Publicateur qui critique les informations que Mérimée avait
proposé sur la région du Roussillon. Ce fait méritera un peu plus d’attention, car
il s’agit de la raison fondamentale qui portera à la rédaction de La Vénus d’Ille.
Ensuite, on se préoccupera d’analyser d’autres sources de l’histoire. Même si
Mérimée cherchera à rester dans le vague dans ses lettres, Maurice Parturier
identifiera comme source possible une légende italienne de contexte romain,
publiée par Guillaume de Malmesbury dans De gestibus regum anglorum, et
encore, on ne pourra pas oublier la source principale concernant les statues qui
s’animent, c’est-à-dire le mythe de Pygmalion : on verra comment, dans ce cas,
le mythe est revisité et modifié d’une certaine façon, en considérant aussi
l’opinion que Mérimée a à propos des mythes et de leur usage.
À un certain point du chapitre l’attention se déplacera sur le genre fantastique
que la nouvelle cherchera à expérimenter à partir du fait que la Vénus est
présentée comme l’Aphrodite Androphonos, une déesse vindicative. Antonia
Pagán López montrera l’ambigüité et le mystère qui la porteront à juger l’histoire
comme appartenant au genre fantastique. Les éléments ambigus analysés seront :
la ressemblance de Mlle Puygarrig avec la statue, les deux bagues présentes dans
l’histoire et, surtout, la statue décrite comme une figure fascinante et diabolique
au même temps.
Thierry Ozwald se focalisera, de sa part, sur la reproduction du système narratif
picaresque, qui avait été aussi celui du Don Quichotte de Cervantès.
9
Frank Paul Bowman, différemment, présentera les raisons qui ont porté Mérimée
à juger La Vénus d’Ille son chef-d’œuvre , en particulier il posera l’attention sur
le développement de la figure du personnage-narrateur, l’antiquaire parisien.
En conclusion du chapitre, Murielle Lucie Clément fera le point de la situation
sur la morale implicite que Mérimée a voulu transmettre, pas seulement à travers
La Vénus d’Ille mais aussi à travers d’autre nouvelles.
Le troisième chapitre analysera L’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam et il
s’ouvrira avec une brève description de la Vénus de Milo parce que, dans ce
roman, Miss Alicia Clary sera comparée avec cette statue.
Le thème fondamental concernera le réel qui déçu l’idéal, mais on se préoccupera
premièrement de présenter le genre du roman, à mi-chemin entre science-fiction
et fantastique.
On continuera la lecture du chapitre avec une brève histoire sur l’intéresse
littéraire pour la possibilité de créer une vie artificielle, à n’importe quelle
époque.
Ensuite, Michael Anderson présentera la modification du thème qui concerne le
contraste Art-Vie, où la science et la technologie prendront la place de l’Art dans
la représentation de l’idéal ; de la même façon, sera développée aussi la
dichotomie entre genre féminin et genre masculin et, de suite, Sylvie Young
s’occupera d’analyser le rapport de l’homme avec son destin.
Le chapitre suivra avec l’analyse des personnages du roman, à partir de Lord
Ewald, le complémentaire d’Edison ; les deux partageront plus d’une idée mais
ils les exprimeront de manière différent l’un de l’autre, comme par exemple leur
conception de beauté et leur idée de misogynie.
Thomas Alva Edison sera présenté comme une figure ambiguë, à mi-chemin
entre un scientifique et un artiste, qui sera donc mis en parallèle avec Prométhée.
Alicia Clary sera décrite avec des caractéristiques qui rappelleront le personnage
de Clara dans L’homme au sable d’Hoffman. Françoise Grauby, ensuite, mettra
sur le même plan Alicia Clary et Evelyn Habal (amant d’un autre personnage de
10
l’histoire qui ne paraitra jamais parce qu’il est mort) en analysant les antithèses
desquelles elles seront porteuses.
On verra, toujours dans la présentation des personnages, comment Hadaly, la
femme-machine conçue par Edison, finira par représenter l’incarnation de l’idéal
artistique du XIXe siècle.
Le dernier personnage sera Sowana, esprit qui se situe à mi-chemin entre
l’univers du sommeil et celui de la mort ; cet esprit permettra à Hadaly de
s’animer complétement.
Après l’introduction des personnages on continuera avec la présentation des
sources d’inspiration : sans compter la référence très voilée à L’homme au sable,
la source principale sera celle au mythe de Pygmalion, où tous les personnages
prendront un rôle significatif, calquant ceux du mythe, pour développer une
histoire d’animation très proche à celle d’Ovide.
Un autre thème qui sera introduit sera l’amour narcissique qui prévoira
l’inclusion de l’art dans un projet scientifique, duquel on va énumérer les phases
qui concernent la construction de Hadaly : on partira avec la photosculpture pour
continuer avec l’incarnation et finir par l’animation.
Après cela, Ivanna Rosi expliquera la présence de deux types de relations qui
démontrent le développement du thème de Pygmalion à l’intérieur du roman ; il
s’agira d’une référence à La Vénus d’Ille de Mérimée, preuve du fait que Hadaly
veut être présentée comme une idole, et du rapport qu’Evelyn Habal a avec son
« art de la toilette » qui lui permettra de cacher le grotesque et présenter ainsi un
faux idéal.
Bertrand Vibert analysera, de sa part, le désir célibataire, par lequel tous les
personnages, d’une façon ou d’une autre, en seront caractérisés et il l’expliquera
à travers le mythe d’Ixion.
On ira vers la conclusion du chapitre en analysant les raisons pour lesquelles le
mythe de Pygmalion présenté par Villiers dans son roman sera différent de toutes
les autres histoires du XIXe siècle et, enfin, on définira le message final, explicité
par le naufrage du navire qui portera ainsi à la destruction de Hadaly.
11
Le cinquième et dernier chapitre s’occupera de trouver et analyser le mythe de
Pygmalion dans Aphrodite, mœurs antiques de Pierre Louÿs.
On verra comment le succès de ce roman portera à la réalisation de deux
représentations musicales pour théâtre de la même histoire ; la première sera
composée par Camille Erlanger et adaptée par Louis de Gramont, la seconde, la
plus importante, sera écrite par Pierre de Frondaie et le sculpteur Auguste Rodin
se préoccupera de fournir la statue, un geste qui aura des conséquences
importantes. Au de-là des critiques qui s’élèveront pour le geste de Rodin, on lira
comment Louÿs démontrera toujours une profonde reconnaissance vers le
sculpteur et il écrira un poème s’inspirant à la sculpture pour le théâtre.
La statue sera décrite brièvement en ajoutant aussi quelques détails sur l’histoire
de sa réalisation.
L’analyse du roman s’ouvrira avec des informations sur sa publication et ses
recensions positives, en particulier celle de François Coppée, et on poursuivra
avec l’identification du thème de l’Art pour l’Art et de la condition de l’artiste et
de l’œuvre d’art dans un contexte qui privilégie l’Art à la Vie.
Peter Read identifiera des éléments (par exemple la période et le lieu où les
événements se déroulent) qui justifieront les caractéristiques générales du
roman : anti-moderne, anti-nordique et anti-protestant.
Pour ce qui concernera la genèse de l’œuvre, le poème Pétrarque de Victor Hugo
sera considéré la première source d’ inspiration, grâce à son élévation de l’idéal
par rapport à la réalité, principe qui se trouvera bien marqué à l’intérieur du
roman. Cette sorte de duel entre l’Art et la Vie sera exprimé aussi à travers
l’opposition des deux personnages protagonistes, Démétrios et Chrysis, comme
représentants du duel entre homme et femme.
À partir de la présentation des personnages et de leur analyse, on s’occupera,
pour ce qui concernera Démétrios, de présenter un parallèle entre ce personnage
et le protagoniste de L’homme au pourpre , toujours naît de la plume de Louÿs.
De la part de Chrysis, la protagoniste féminine, on suivra une analyse sur son
aspect physique et sur ses attitudes, qui se révèleront très changeantes et
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instables. À la fin de l’analyse on pourra conclure que les deux protagonistes sont
antiques et modernes au même temps.
En effet, on continuera avec l’identification des thèmes antiques, mais qui
concernent des problèmes modernes, c’est-à-dire de l’époque où l’auteur vit. Il
s’agira de la supériorité du rêve par rapport à la réalité, une supériorité qui se
manifestera à travers l’art et de laquelle on a un exemple très clair dans L’homme
au pourpre, à démonstration du fait que ce thème ne se trouvera pas seulement
dans Aphrodite, mais dans toute la littérature de Pierre Louÿs.
Un autre thème fondamental sera celui de l’Art qui gagne sur la vie, en rappelant
le mythe de Pygmalion, mais d’une manière renversée, une singularité qui
caractérisera ce roman en particulier.
On verra encore une autre particularité du roman, c’est-à-dire le fait d’offrir des
allusions des sentiments qui ne réussiront jamais à se concrétiser.
Dernièrement, le chapitre s’achèvera explicitant les raisons du succès
d’Aphrodite, en termes d’originalité des thèmes et de publications effectuées.
Mon mémoire se conclura avec quelques pages où seront tirées des conclusions
sur les aspects les plus significatifs du thème pygmalionesque à l’intérieur des
œuvres traitées.
15
Philostéphane de Cyrène (IIIe siècle av. J.-C.), élève de Callimaque, dans une
œuvre qui a été malheureusement perdue, narre l’histoire du roi de Chypre,
Pygmalion, tombé amoureux de la statue d’Aphrodite. Cette narration, qui traite
le thème archaïque de l’union sacrée entre roi et divinité, est probablement la
source à la base de la réécriture poétique fournie par Ovide dans ses
Métamorphoses.1
Posidippe, dans son Livre sur Cnide, raconte une autre histoire d’amour
semblable, en faisant référence au marbre de l’Aphrodite de Cnide, sculpté par
Praxitèle, une statue d’une telle beauté qui était capable de faire tomber
amoureux d’elle les jeunes hommes, au point qu’ils développaient un désir
charnel pour le marbre.2
C’est le chrétien Clément d’Alexandrie qui donne témoignage des histoires sur
citées dans son œuvre Protreptique, avec le but de condamner l’idolâtrie, aperçue
comme une fausse adoration dont l’image sacrée est vénérée comme un fétiche,
suffisante par soi-même.3
C'est ainsi que Pygmalion de Chypre s'éprit d'une statue d'ivoire ; c'était celle d'Aphrodite et elle
était nue ; subjugué par sa beauté, le Chypriote s'unit à la statue, à ce que raconte
Philostéphanos. À Cnide, il y avait une autre Aphrodite, celle-ci de marbre, belle aussi ; un
autre, s'en étant épris, a commerce avec ce marbre ; c'est Posidippe qui le raconte (le premier de
ces auteurs dans son livre sur Chypre, le second, dans son livre sur Cnide). Tellement l'art a de
force pour tromper, lui qui, pour les hommes épris d'amour, a été le corrupteur entraînant à
l'abîme !4
La citation de Clément d’Alexandrie prend en considération des œuvres
précédentes à celle d’Ovide, tandis que le célèbre poète latin passe sous silence.
Une particularité concernant la narration des Métamorphoses par rapport à ses
« prédécesseurs » pourrait expliquer la raison de ce choix : l’identité des
personnages n’est pas explicite, en effet Pygmalion n’est pas le roi de Chypre,
1 Giulia Ferrari, « Agalmatofilia. L’amore per le statue nel mondo antico: l’Afrodite di Cnido e il caso di
Pigmalione », Psicoart, n°3, 2013. 2 Ibidem.
3 Ibidem.
4 Clément d’Alexandrie, Les Protreptique, IV, traduit par Claude Mondésert, Paris, Le Cerf, 1949, 57,3-4,
p. 121.
16
son métier de sculpteur n’est pas précisé et la statue ne représente pas la déesse
Aphrodite, elle est simplement une création ad hoc qui surgit d’un « acte solitaire
et fantasmatique ».5
Particulière est aussi la collocation de l’histoire à l’intérieur des Métamorphoses
et d’un point de vue contextuel et pour ce qui la précède. L’épisode antérieur
celui de Pygmalion raconte des Propétides, femmes qui ont terminé par être
changées en rocher à cause de leur impudence ; il fait la fonction de prologue
éclaircissant le choix de Pygmalion de rester en solitude. Pour ce qui concerne le
contexte, Ovide choisit de présenter Pygmalion à travers les paroles d’Orphée,
qui chant une série de légendes après avoir perdu sa bien-aimée Eurydice. Le
message qu’Ovide veut faire arriver est celui d’un « chant d’espoir de
résurrection ».6
À l’intérieur du mythe, comme le dit Stoichita, la statue a une double fonction,
celle de représenter et un vœu de chasteté et une substitution. Dans le premier
cas, la statue est identifiable comme le symbole créé par Pygmalion pour se
protéger des femmes, par lesquelles il a été déçu (même si, en réalité, ce symbole
est mis en doute bien trois fois : par le « jeu » de la mimesis, par la force de la
libido et par l’intervention divine). Ensuite, la statue devient une substitution
parce que Pygmalion, dégoûté des femmes, décide de la créer par lui-même
comme simulacre.7
La statue est sculptée sur l’ivoire, matériel représentant l’os ; particulier qui
donne déjà un indice pour ce qui concerne la transformation, une transformation
qui se développe de l’os à la chair et qui voit comme première responsable
l’habilité artistique du protagoniste.8
Une dernière considération sur l’aspect de la statue concerne ses dimensions
réduites, qui ne respectent pas du tout les mesures naturelles d’un être humain ; la
5 Victor I. Stoichita, L’effetto Pigmalione, edizione a cura di Aurelio Pino, Milano, il Saggiatore, 2006, p.
16. 6 Ibidem, p. 16-17.
7 Ibidem, p. 21.
8 Victor I. Stoichita, L’effetto Pigmalione, op. cit., p. 17-18.
17
transformation s’effectue donc aussi à travers un « agrandissement magique » qui
implique, de cette façon, l’intervention d’une dimension fantasmatique.9
Après avoir identifié les caractéristiques aspectuelles de la statue, le passage
successif concerne l’animation, action qui permet au simulacre de devenir une
figure « autre » par rapport aux femmes changées en rocher, une représentation
symétrique et opposée.10
L’animation est le résultat d’un processus graduel qui commence avec le choix
du matériel et il se termine avec un chef-d’œuvre qui, grâce à sa beauté et à sa
perfection, réussit à dépasser l’art-même, l’art est exaspérée au point qu’elle est
cachée sous la forme de la réalité.11
La gradualité de l’animation peut être mise en comparaison avec le « coup de
foudre » amoureux, qui, comme Aurélia Gallimard suggère, ne se développe pas
d’un coup mais il a, lui aussi, une sorte de progression ; il s’agit de décomposer
la scène pour en voir les changements imperceptibles dans l’ensemble.12
À ce propos le philosophe André-François Deslandes affirme que le
« mouvement » porteur de l’animation, comme celui de l’amour, est trop rapide
pour en voir les degrés :
Ce changement ne se fait point brusquement et par sauts : il se fait par degrés, par nuances, par
des mouvements insensibles. Il y a un éloignement infini d’un état à l’autre ; mais cet infini
s’achève dans un temps très fini.13
Il est important souligner que Pygmalion n’est pas conscient de ce qu’il est en
train de se passer, Stoichita affirme en effet que c’est l’art-même qui crée la
femme idéale à la place du protagoniste et malgré lui.14
La réaction de Pygmalion est le témoignage du fait qu’il était, de toute façon,
inconscient, du moment qu’il réagit avec étonnement et merveille.15
9 Ibidem, p. 18.
10 Ibidem, p. 21.
11 Ibidem, p. 21.
12 Aurélia Gallimard, « Aimer une statue : Pygmalion ou la fable de l’amour comblé », Histoire et théorie
des arts, des lettres et des techniques, n°4, 2004, p. 74-75. 13
André-François Deslandes, Pygmalion, p. 59. 14
Victor I. Stoichita, L’effetto Pigmalione, op. cit., p. 22.
18
La réaction secondaire, qui suit la merveille, est la recherche d’une preuve et, la
seule manière de satisfaire cette recherche est à travers le toucher.16
Le toucher a un rôle important à l’intérieur de la narration parce qu’il est porteur
de plus d’un signifié. L’acte de sculpter est rappelé par le toucher qui se répète,
Ovide souligne, de manière réitérée (saepe), de la même façon qu’un sculpteur
peut rayer la surface informe d’un marbre ; preuve que le passage de l’os a la
chair commence véritablement avec l’habilité créative du sculpteur.17
Un autre point de vue sur le toucher porte sur la représentation d’un viol, une
forme adoucie faite de caresses, mais dans un moment où la statue n’est pas
encore vivante et donc elle n’a pas encore la faculté de conscience. Gallimard
cherche à approfondir l’ambigüité du geste traitant le sculpteur comme un
amoureux :
Car tout amoureux est aussi sculpteur […] ; aimer c’est manipuler un corps pour en faire comme
une œuvre d’art. Le rapt, au départ de toute histoire d’amour, est appelé « ravissement »
(enamoration), c’est que l’amoureux est fondamentalement hypocrite (ou perdu, faible
d’esprit) : il prend la pose de l’idolâtre pour mieux dissimuler son iconoclastie. Le sculpteur est
idolâtre (et fétichiste) parce qu’il aime l’objet et contribue à faire de cet objet aimé, l’objet de
tous les objets (un chef-d’œuvre) […]18
Le toucher est suivi du baiser : Pygmalion embrasse la statue et, avec ce geste, il
fait entrer sur scène le désir. La bouche joue le rôle de protagoniste dans ce
passage et elle fournit la double fonction de contact amoureux et possibilité de
s’exprimer.19
La parole qui peut maintenant surgir de la bouche de la statue est
une autre preuve d’animation, mais le discours amoureux est quelque chose de
plus profond qu’une simple preuve ; il est l’expression de la nature, dans le sens
d’un langage primitif fait d’exclamation, cris et soupirs, un langage universel et
imitatif des mouvements du corps, compréhensible seulement à travers le
sentiment de l’amour.20
15
Ibidem, p. 23. 16
Ibidem, p. 24. 17
Ibidem. 18
Aurélia Gallimard, « Aimer une statue », loc. cit., p. 72. 19
Victor I. Stoichita, L’effetto Pigmalione, op. cit., p. 24. 20
Aurélia Gallimard, « Aimer une statue », loc. cit., p. 67-68.
19
Le baiser évolue en étreinte, expression d’un climax du sentiment du
protagoniste, développé selon les lois de l’Ars Amandi : une succession de degrés
(quinque linae amori) représentés par le regard (spectare), le toucher (tangere),
la parole (loqui), le baiser (oscula admovere) et un dernier degré, qui passe sous
silence. Dans le cas traitant, l’ordre n’est pas suivi scrupuleusement mais il faut
tenir en considération que le but n’est pas celui de séduire mais plutôt celui
d’animer une statue. 21
Une partie de la narration prouve que Pygmalion se préoccupe d’adorner sa
« belle fille » avec beaucoup de cadeaux, il lui fait la cour en quelque manière et,
selon Stoichita, un tel comportement semble ouvrir le chemin vers le dernier
degré qui ne doit pas être mentionné. 22
Il la pare aussi des beaux vêtements ; il met ses doigts
Des pierres précieuses, à son cou des longs colliers ;
à ses oreilles pendent des perles, sur sa poitrine des chaînettes.
Tout lui sied et, nue, elle ne semble pas moins belle.
Il la couche sur des tapis teints de la pourpre de Sidon ;
Il l’appelle sa compagne de lit, et il pose son cou incliné
Sur des coussins de plumes moelleuses, comme si elle pouvait y être sensible.23
Si l’animation s’effectue sans doute à travers la volonté et le sentiment de
Pygmalion, il ne faut pas oublier que c’est l’intervention divine qui permet le
complètement du processus. La Mimesis et l’Eros n’ont pas le pouvoir de
conclure l’« opération », au moins qu’ils ne soient pas épaulés par la Pietas.24
Le mythe raconte que dans le temple de Vénus, pendant le jour de sa fête, des
génisses viennent sacrifiées et Pygmalion, faisant son offrande, récit une prière à
la déesse :
« O dieux, si vous pouvez tout accorder, donnez-moi pour épouse, je vous en supplie, (il n’ose
pas dire la vierge d’ivoire) une femme semblable à la vierge d’ivoire ».25
21
Victor I. Stoichita, L’effetto Pigmalione, op. cit., p. 25. 22
Ibidem. 23
Ovide, Les Métamorphoses, livre X (tome II), trad. par Georges Lafaye, Paris, Les Belles Lettres, 1928,
v. 263-269, p. 131. 24
Victor I. Stoichita, L’effetto Pigmalione, op. cit., p. 26. 25
Ovide, Les Métamorphoses, op. cit., v. 274-276, p. 131.
20
Le sacrifice des génisses est la mèche, l’acte qui porte la divinité à formuler sa
réponse magnanime et, au même temps, le symbole de sacralisation d’une âme
qui permettra l’animation, passant de la génisse à la statue.26
Le concept ci-dessus présenté peut s’expliquer à travers les mots du même
Ovide :
Tout change, rien ne périt. Le souffle vital circule, il va de ci de là et il prend possession à son
gré des créatures les plus différentes ; des corps des bêtes il passe dans celui des hommes, du
nôtre dans celui des bêtes ; mais il ne meurt jamais ; la cire malléable, qui reçoit du sculpteur
des nouvelles empreintes, qui ne reste point telle qu’elle était et change sans cesse de forme, est
toujours bien la même cire ; aussi l’âme, je vous le dis, est toujours elle-même, quoiqu’elle
émigre dans des figures diverses.27
La prière de Pygmalion n’est pas prétentieuse, il n’ose pas demander ce qu’il
désire vraiment et il se limite à prier pour obtenir une femme semblable à celle
qu’il avait sculptée ; c’est la divinité à choisir pour un acte de mutation à la place
d’un de substitution en démontrant la nécessité de son influence.28
Dernière preuve de transformation effectuée sur la statue, de simulacre à femme
vivante, est la perception de la chaleur qui se manifeste, comme une allégorie, et
sur la poitrine de Pygmalion (« Émerveillé, Pygmalion s’enflamme pour cette
image. »29
) et comme réponse divine sur la forme d’une flamme triple (« trois
fois la flamme se ralluma et dressa sa crête dans les airs. »30
). Le contraste
blanc/rouge est le moyen qui explicite la chaleur comme manifestation de vie et
il est présent, en plusieurs occasions, dans l’histoire : sous la forme de rougeur de
la statue, quand elle est embrassée par son sculpteur, qui va se substituer au blanc
de l’ivoire (« la jeune fille a senti les baisers qu’il lui donne et elle a rougi »31
),
dans une contraposition fondée sur le contraste qui s’établie entre l’objet
principal, la blanche statue, et les draps pourpres sur lesquels elle est étendue
26
Victor I. Stoichita, L’effetto Pigmalione , op. cit., p. 26. 27
Ovide, Les Métamorphoses, livre XV (tome III), trad. par Georges Lafaye, Paris, Les Belles Lettres,
1972, v. 165-171, p.126. 28
Victor I. Stoichita, L’effetto Pigmalione , op. cit., p. 26. 29
Ovide, Les Métamorphoses, livre X, op. cit., v. 252-253, p. 130. 30
Ibidem, v. 279, p. 131. 31
Ovide, Les Métamorphoses, livre X, op. cit., v. 292-293, p. 132.
21
(« Il la couche sur des tapis teints de la pourpre de Sidon »32
) et, enfin, sur la
scène du sacrifice des génisses au « cou de neige » qui meurent égorgées (« Des
génisses, dont on avait revêtu d’or les cornes recourbées, étaient tombées sous le
couteau qui avait frappé leur cou de neige »33
).34
L’histoire de Pygmalion est devenue célèbre avec le temps et elle a fini par
nommer toutes histoires qui prévoyaient un amour entre un homme et un objet
inanimé, chaque époque présentant des nuances différentes du sentiment
« amoureux ».
En particulier, Gallimard souligne comment, à la fin du XVIIe siècle, un retour
paradoxale à la mythologie antique se vérifie (période de forte critique du
fabuleux), où le recours à la fable de Pygmalion représente souvent un limite, un
compromis entre sacré et profane qui, peu à peu, se transforme en une opposition
raison/imagination.35
Au XVIIIe siècle le mythe antique trouve un renouvellement dans la question de
l’animation de la matière et le concept de corps-machine cartésien ; l’objet aimé
et le sujet aimant deviennent ainsi les symboles d’une « sacralisation » qui ne
doit pas être interprétée au sens divin du terme mais plutôt comme la reprise
d’une structure ancienne de la chose sacrée qui est en train de disparaitre.36
En ces années des nouveaux thèmes se développent et s’ajoutent à ceux de
l’histoire mythique comme, par exemple, l’autre face de l’amour, représentée par
le désir de pulvérisation de l’objet (ex. Rêve de d’Alembert de Diderot) ; le final
heureux laisse la place à des conclusions différentes qui reflètent les sentiments
communs de chaque époque.37
L’idolâtrie reste sans doute un thème cher à plusieurs narrations de l’époque, non
plus en sens religieux mais comme une structure mentale de l’idole : selon la
vision biblique chrétienne (Clément d’Alexandrie et Arnobe reprennent le mythe
32
Ibidem, v. 267, p. 131. 33
Ibidem, v. 271-273, p. 131. 34
Victor I. Stoichita, L’effetto Pigmalione , op. cit., p. 27-28. 35
Aurélia Gallimard, « Aimer une statue », loc. cit., p. 70. 36
Ibidem, p. 69-70. 37
Aurélia Gallimard, « Aimer une statue », loc. cit., p. 72.
22
de Pygmalion pour le critiquer) l’idole est vue comme une aberration, au
contraire, au XVIIIe siècle, la seule présence de l’objet aimé est preuve de réalité
et elle est suffisante, même si elle manque de sensibilité ou sensualité ; la
présence et l’absence qui se manifestent simultanément en référence de la statue
sont sa raison de fascination et désir.38
Le rôle du sujet amoureux est double parce qu’il se trouve à être et le spectateur
étonné de son idole et le metteur en scène ; Gallimard, à ce propos, souligne
qu’aimer est « ainsi façonner sa propre idole et oublier (ou suspendre un temps sa
mémoire) qu’on l’a soi-même façonnée ».39
Geisler-Szmuewicz explique que le Pygmalion qui prend forme au XVIIIe siècle
ne se préoccupe plus de mettre en premier plan l’amour ou l’animation, ce
qu’importe est l’habilité artistique de reproduire l’illusion de vie (le meilleur
exemple est le Pygmalion de Rousseau).40
L’idée romantique se développe en contraposition avec celle ci-dessus exprimée,
du moment qu’elle ne se contentera jamais d’une illusion ; de toute façon, dans
les deux cas, le rôle de Pygmalion devient central et, surtout à partir d’une vision
romantique, l’intervention divine disparaît pour redéfinir le pouvoir de l’artiste.41
À partir du XIXe siècle l’amour pour les statues (ou les objets inanimés qui
prennent le rôle de simulacre) évolue en déviance. L’apparition du thème de la
déviance peut être individuée déjà à partir des années ’60 du XVIIIe siècle, mais
le thème était caché sous le voile du langage qui couvre l’identité des malaises en
les appelant « faiblesses humaines », définition donnée par l’Encyclopédie de
Diderot et d’Alembert.42
Un thème qui se développe dans les histoires du XIXe siècle, sûrement lié à
l’amour « pygmalionesque », est celui du fétichisme, dans le sens d’obsession
pour un objet ou une partie de cet objet.43
38
Ibidem, p. 78-79. 39
Ibidem, p. 80. 40
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, Paris, Honoré Champion, p. 57-60.
41 Ibidem, p. 65-68.
42 Aurélia Gallimard, « Aimer une statue », loc. cit., p. 81-82.
43 Ibidem, p. 82.
23
La nécrophilie est un autre thème présent, mais sous une nouvelle identité : il ne
s’agit pas de l’ « amour » pour un corps mort mais plutôt de l’obsession pour
l’objet sculpté, d’une blancheur et d’une froideur qui rappellent celles d’un
cadavre. Le marbre crée une métonymie avec la pierre tombale et la pulsion
nécrophile permet au protagoniste de l’histoire d’abattre le mur entre vie et mort.
L’insertion de la morte porte au développement du genre sombre et de la
nouvelle tragique, initialement en Angleterre, et après en France aussi.44
La morte ouvre ainsi les portes de la communication avec le monde invisible et
des sciences occultes, elle exprime une nouvelle curiosité pour le mystère, le tout
accompagné des travaux scientifiques du XIXe siècle sur le magnétisme et sur la
psychologie humaine concernant la personnalité.45
En effet, au dire de Antonia Pagán-López, la France s’ouvre à la littérature
fantastique à partir de 1830, quand les premières traductions des contes
d’Hoffman apparaissent, influençant la vision sur l’irrationnel par rapport au
rationalisme scientifique qui est en train de s’installer à l’époque.46
Dans la narration fantastique l’irrationnel se présente à l’intérieur du monde réel,
provocant inquiétude et surprise ; ce particulier est important parce qu’il
détermine la distinction entre fantastique et merveilleux, récit qui se développe,
au contraire, dans un monde invraisemblable.47
Mérimée, Gautier, Maupassant et Villiers de l’Ile Adam sont seulement quelques
noms célèbres d’auteurs qui expérimentent le fantastique et, en particulier, ils
donnent l’image d’une femme « réduite à une ombre ou fantôme, à l’image de la
morte ou à celle d’une statue qui s’anime. La femme côtoie la morte, l’inconnu et
elle est porteuse d’un mystère troublant pour les hommes qu’elle fascine »,
comme affirme Antonia Pagán López.48
44
Ibidem, p. 83. 45
Anatonia Pagán López, « Amour rétrospectif, ambiguïté et intertextualité dans le récit fantastique »,
Anales de Filología Francesa, n° 4, 2005-2006, p. 200. 46
Ibidem. 47
Ibidem. 48
Anatonia Pagán López, « Amour rétrospectif, ambiguïté et intertextualité dans le récit fantastique »,
loc. cit., p. 201.
24
Les techniques utilisées dans ce type de récit pour créer un climat de suspense et
inquiétude appartiennent au champ sémantique qui permet l’ambiguïté et le
dialogue intertextuel, à travers citations ou références à des dessins, des tableaux
et d’autres œuvres. C’est le rêve d’idéal et d’absolu qui s’expriment avec le but
de combattre l’antagonisme entre les deux forces de l’amour et de la mort ; à ce
propos Pagán López souligne que la thématique sublimée de l’amour est
« polarisée autour de l’image de la femme morte ou de la statue animée ».49
Un autre thème naît de la confusion des rôles, où le Pygmalion de l’histoire
prétend d’être, au même temps, maître, esclave, père et amant de sa créature :
l’inceste. Le cas est singulier, du moment que l’attitude incestueuse n’est pas vue
comme une déviance mais comme le point plus haut du sentiment d’amour ; le
problème semble être créé par la société qui ne réussit pas à reconnaitre la
perfection de ce type d’amour.50
Le XIXe siècle est témoin aussi d’un phénomène qui Anne Geisler-Szmulewicz
appelle « coalescence des mythes », ce qui signifie la présence du mythe de
Pygmalion en amalgame avec d’autres mythes de l’histoire ancienne, avec le but
de produire un renouvellement dans la signification de chacun d’eux, toujours
restant reconnaissables.51
À partir du 1830, l’Idéal ne vient plus décrit à travers la parfaite union de l’artiste
avec son œuvre mais on cherche plutôt à en mettre en évidence les difficultés et
les doutes auxquels il faut faire face pour réaliser une telle ambition. Détaché de
la version « pure » du XVIIIe siècle de Rousseau, Pygmalion est associé ainsi
avec Prométhée.52
Il semble qu’existent de grandes différences entre les deux mythes, surtout
prenant en considération l’issue de l’un et de l’autre ( Pygmalion reçoit une
récompense tandis que Prométhée un châtiment) ; le fait est que, une fois
« délivré » de la divinité, Pygmalion a bien raison d’être associé avec Prométhée
49
Ibidem, p. 215. 50
Aurélia Gallimard, « Aimer une statue », loc. cit., p. 84. 51
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 16-18.
52 Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIX
e siècle, op. cit., p. 71-74.
25
avec le but de renouvellement et d’authenticité, en redéfinissant la figure du
créateur. Les deux mythes s’influencent à tour de rôle, sans subir, pour cette
raison, des déformations : de même que l’ambition de Pygmalion se fait plus
incisive, de même la révolte de Prométhée devient plus « humaine », moins
métaphysique et plus artistique.53
L’association avec Prométhée donc détache Pygmalion de sa soumission aux
Dieux et en change le rapport jusqu’à le rapprocher avec l’ « ennemi » (Lucifer).
Cet « ennemi » est symbole de défi et il se manifeste dans l’élargissement de la
sphère artistique, non seulement à la sculpture, mais aussi à d’autres formes
d’art.54
Au XVIIIe siècle le créateur se limitait à être sculpteur, au XIX
e siècle il devient
peintre et poète aussi, expression de la pensée romantique qui ouvre un débat sur
l’art et sur la fraternité entre les plusieurs expressions de l’art. La fonction du
poète passe au premier plan comme caractéristique indispensable pour pouvoir se
définir « créateur » :
[…] le Poète, qui partage l’ambition de Prométhée et le désir de Pygmalion, devient un être
maudit, qui porte en lui-même sa propre malédiction, dans la mesure où il ne peut jamais
qu’imparfaitement exprimer, sous une forme palpable, son Idéal.55
Un autre cas de coalescence, présenté par Geisler-Szmulewicz, se vérifie entre
Pygmalion et l’Androgyne. Dès le mythe que Platon fait raconter à Aristophane
dans Le Banquet , où les Androgynes sont divisés et condamnés par les Dieux à
chercher dans le monde leur bien-aimée moitié, la figure androgyne s’est
présentée fascinante aux yeux des romantiques.56
Pygmalion est associé à cette créature parce qu’il est vraiment considéré, au XIXe
siècle, un mythe de transgression. Tous les deux portent sur le thème du refus de
la création existante, exprimé à travers une union irrégulière : comme
l’Androgyne, fusion de deux opposés, renverse la division entre sexes, de la
53
Ibidem, p. 71-76. 54
Ibidem, p. 103-106. 55
Ibidem, p. 105. 56
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 107-108.
26
même façon Pygmalion qui s’unit à son œuvre d’art inverse les catégories
d’animé et d’inanimé. En plus, l’amour de l’artiste pour cette « androgyne »
reflète la volonté d’union avec l’Idéal, un désir qui restera toujours irréalisable,
mettant ainsi Pygmalion face à ses limites.57
La transgression romantique trouve une autre confirmation dans la coalescence
avec Méduse ; il peut sembler qu’ils sont deux mythes opposés et inconciliables
mais, Geisler-Szmulewicz nous l’explique, cette contraposition réussit à mêler le
désir créateur de Pygmalion avec celui destructif qui sort de Méduse. Les
romantiques veulent, avec cette coalescence, exprimer la division de l’artiste du
monde et donc ouvrir une réflexion sur le rôle de l’artiste dans le monde et sur
les limites de son pouvoir d’agir.58
Dans ce cas Pygmalion doit faire face à un choix : Beaux ou Réel, du moment
que les deux valeurs ensembles ne peuvent pas exister parce que la Beauté
correspond à la pétrification dans un absolu atemporel, tandis que la Réalité fait
allusion à la vie et tout ce qu’il vient avec elle. Ce seront les Parnassiens et les
Décadents qui feront le choix décisif, rompant définitivement le lien entre
Pygmalion et le Réel.59
L’artiste parnassien, en choisissant l’art, préfère voir l’objet de son amour
retourner au marbre plutôt qu’il soit confondu avec le réel. C’est juste cette
limite-ci qui empêche au bonheur de Pygmalion de s’achever, une limite que,
dans la deuxième moitié du siècle, on cherche à dépasser en substituant l’art avec
l’artifice ; il s’agit en effet d’une période où la société privilégie l’utile au beau et
l’artifice semble ne pas décevoir les attentes.60
Ce changement porte aussi des modifications au mythe : Pygmalion devient un
artisan, un magicien ou un forgeron et il produit un artifice qui est limité dans sa
capacité de simuler le réel ; c’est pour cette raison que la puissance de l’illusion
prend un rôle prioritaire, du moment qu’aucune création (ou presque aucune)
57
Ibidem, p. 164-165. 58
Ibidem, p. 167-168. 59
Ibidem, p. 214-215. 60
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 291-292.
27
réussit à s’animer complètement. Une telle incapacité finit par rendre Pygmalion
un sujet instable, fou, dupe ou pervers selon les cas.61
La perversion, en particulier, trouve plus d’une confirmation ; en s’exprimant
sous différentes nuances, elle représente la base sur laquelle fonde ses racines le
néologisme « pygmalionisme ». Paru pour la première fois en 1891 dans Là-Bas,
le terme forgé par Huysmans se réfère à une passion pour l’artifice mais, au
même temps, il veut aussi rappeler le mythe62
:
C’est n’est pas un péché absolument neuf, car il rentre dans le district connu de la Luxure. Mais
il est négligé depuis le Paganisme, mal défini, dans tous les cas. […] ce que j’appellerai le
Pygmalionisme, […] tient, tout à la fois, de l’onanisme cérébral et de l’inceste.
Imaginez, en effet un artiste tombant amoureux de son enfant, de son œuvre, d’une Hérodiade,
d’une Judith, d’une Hélène, d’une Jeanne d’Arc, qu’il aurait ou décrit ou peinte, et l’évoquant et
finissant par la posséder en songe ! – Eh bien, cet amour est pire que l’inceste normal. […] dans
le Pygmalionisme, le père viole sa fille d’âme, la seule qui soit réellement pure et bien à lui, la
seule qu’il ait pu enfanter sans le secours d’un autre sang. Le délit est donc entier et complet.
Puis, n’y a-t-il pas aussi mépris de la nature, c’est-à-dire de l’œuvre divine, puisque le sujet du
péché n’est plus, ainsi que dans la bestialité même, en être palpable et vivant, mais bien un être
irréel, un être créé par une projection du talent qu’on souille, un être presque céleste, puisqu’on
le rend souvent immortel, et cela par le génie, par l’artifice ?63
Ensuite, la perversion sexuelle, qui dénonce l’amour de Pygmalion pour une
statue comme contre-nature, porte I. Bloch (dans son étude The Sexual Life of
our Time [1923]) à désigner le « pygmalionisme » comme l’attraction sexuelle
qu’un individu peut éprouver à l’égard d’un objet immobile ou d’un être passif.
Le terme exerce aussi un rôle médical indiquant « une relation particulière
(actif/passif) des deux partenaires ».64
Vers la fin du siècle et le début du nouveau, une tendance nouvelle se fraye un
chemin : le corps mécanisé.65
Le lien avec le mythe de Pygmalion est toujours présente, dans la thématique qui
l’art et la technologie ont en commun, c’est-à-dire la possibilité de dépasser les
limites entre nature et artifice. Rappelons-nous que le mythe de Pygmalion se
61
Ibidem. 62
Ibidem, p. 336-337. 63
Joris-Karl Huysmans, Là-Bas, 2e édition, Paris, Tresse et Stock, 1891, p. 257-258.
64 Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIX
e siècle, op. cit., p. 322-323.
65 Giovanna Zapperi, « Pygmalion révisé », Revue Descartes, n° 64, février 2009, p. 110-116.
28
fonde, avant tout, sur le désir de perfection (Zapperi s’exprime avec ces
mots : « le désir de l’artiste de créer un corps artificiel parfaitement ressemblant
au corps naturel, mais susceptible aussi de le dépasser »66
) et sur une relation
érotique entre l’artiste et l’objet de sa création, témoignage du fait que, depuis
l’Antiquité, l’automate féminin a eu un rôle important à l’intérieur des désirs de
l’« artiste ». Au tournant du siècle, ce rôle, interprété par un corps-machine, joue
la part d’une « figure paradigmatique des contradictions de la modernité » qui
établit une sorte d’instabilité entre la nature et la technologie ; une instabilité
développée par les avant-gardes qui se sont occupées d’analyser la relation entre
sujet, corps et technologie pour arriver à multiples conclusions, dans plusieurs
cas contradictoires aussi.67
Zapperi souligne que, comme conséquence de cette évolution, qui commence au
XIXe siècle mais prend forme surtout au XX
e siècle, deux types de narration
prennent pied : les histoires des corps transformés en machine grâce à la
technologie et les histoires des corps construits ex nihilo, toujours à travers la
technologie.68
La création de la femme-machine ouvre une parenthèse intéressante sur le
rapport qu’elle a et avec la nature et avec la création artistique : d’un point de vue
artistique, la femme artificielle est l’œuvre d’art, donc un artifice mais
reconnaissable en tant qu’humain ; d’autre parte elle représente aussi une figure
ambivalente parce qu’elle veut être l’expression du désir de contrôle, comme
suite à la force de la nature et, au même temps, la volonté d’humaniser la
technologie.69
Depuis la seconde moitié du siècle, on assiste à un autre phénomène : ce sont des
femmes à produire art en contribuant à transmettre, à travers le devenir-machine
du corps féminin, « des positions critiques ou émancipatoires vis-à-vis des
mythes
66
Ibidem, p. 110. 67
Giovanna Zapperi, « Pygmalion révisé », loc. cit., p. 110-111. 68
Ibidem, p.111. 69
Ibidem, p. 111-112.
33
En Bretagne, dans le département du
Morbihan, dans les jardins du château
de Quinipili on peut admirer une statue
ambiguë qui semble avoir des origines
mystérieuses.
De nombreux antiquaires se sont
intéressés à cette idole et Prosper
Mérimée rentre dans le cercle de ces
chercheurs.
Le premier à mentionner la statue, dans
son manuscrit Description historique,
topographique et naturelle de
l’Ancienne Armorique ou Petite
Bretagne qui est conservé aujourd’hui
à la bibliothèque de Rennes, est
Christophe-Paul de Robien, appelé M.
le président de Robien, un homme
politique de Bretagne, historien,
naturaliste et collectionneur d’art aussi. Il en parle, entre autres, parmi les
monuments anciens bretons qu’il commence à visiter à partir de 1727, de
manière très générale, ce qui pose des doutes sur son authenticité.71
Jean-Baptiste Ogée écrit en 1779 le Dictionnaire historique et géographique de
Bretagne et, à l’intérieur de l’article qui concerne la commune de Bieuzy, il
donne des détails plus précis sur cette statue de Quinipili en disant qu’il s’agit
d’une Vénus située dans un temple à côté de la rivière du Blavet. Le problème est
que certains détails ne correspondent pas à la réalité et, en plus, en ne donnant
pas une référence à son écrit, il est difficile d’avoir une confiance complète en
lui.72
71
Gustave de Closmadeuc, « La Vénus de Quinipily », Annales de Bretagne. Tome 22, n° 3, 1906, p. 371. 72
Ibidem, p. 371-372.
Illustration 1: La Vénus de Quinipili.
34
L’abbé Déric écrit, plus au moins dans la même période, l’Histoire ecclésiastique
de Bretagne où il affirme qu’il croit l’authenticité et de la statue et des
inscriptions qui se trouvent sur le piédestal de soutien mais la description qu’il en
fait laisse comprendre très bien qu’il ne l’a jamais vue.73
Antoine-Jean-Marie Thévenard (officier de marine et homme politique français),
intrigué par l’article d’Ogée, visite la statue en 1787 et il en tire les mêmes
conclusions que les autres précédents.74
Jusqu’ici les témoignages sont très incertains et les sources de son histoire
inconnues ; il faut attendre Armand-Louis-Bon Maudet de Penhouet pour en
avoir des références plus fiables : il visite la statue deux fois et, en effet, il est le
premier à la décrire de manière scrupuleuse. Il écrit en 1812 un opuscule, ayant
comme titre Antiquités égyptiennes dans le département du Morbihan où il
présente une assez précise histoire à propos de l’origine de la statue et il en tire
les informations d’une copie d’un manuscrit extrait d’un dossier de 1767, duquel
il avait entendu parler et que le maire de Baud lui envoie. Il faut souligner qu’une
copie n’est pas fiable aussi qu’un document original parce qu’on ne peut pas
exclure la présence de fautes ou d’omissions. L’opinion de M. Maudet de
Penhouet est que les inscriptions du piédestal sont apocryphes et que la statue,
même s’il la juge authentique, n’est pas une Vénus mais une représentation de la
déesse égyptienne Isis (sa connaissance de la mythologie égyptienne est due au
fait qu’il s’intéresse aux dessins et objets des nécropoles égyptiennes que
Napoléon Bonaparte fait emporter en France).75
Beaucoup d’autres érudits, après M. Maudet de Penhouet, cherchent d’éprouver
la véritable origine de la statue en prenant en considération les possibilités
qu’elle puisse être soit une Vénus romaine soit une idole égyptienne.76
Seulement Mérimée refuse les deux possibilités et il déclare les inscriptions sur
le piédestal surement modernes.77
73
Ibidem, p. 372-373. 74
Ibidem, p. 373. 75
Ibidem, p. 373-377. 76
Ibidem, p. 377-380.
35
Louis Jacques Marie Bizeul78
écrit un article qui porte le titre Des Voies
romaines de la Bretagne, publié dans l’« Annuaire du Morbihan » en 1841, où il
parle de la mystérieuse statue qui se trouve à Quinipili. À la différence de M.
Maudet de Penhouet il se préoccupe de chercher le texte original du dossier du
1767 et il trouve, de cette façon, le seul document publié qui puisse témoigner la
vraie histoire de la statue : il s’agit d’un manuscrit du XVIIIe siècle, extrait d’un
inventaire général des titres des seigneurs de Camors et Quinipily qu’on peut
consulter à l’intérieur d’un étude de M. Blaise, un notaire à Baud. M. Bizeul le
recopie mot à mot et, grâce aux parties qui avaient été coupées ou altérées, il
réussit à éclaircir quelques doutes qui persistaient.79
Les faits racontés, en résumé, se développent à partir de 1661 quand l’évêque de
Vannes, Charles de Rosmadec, ordonne une mission à Baud pour faire détruire
l’idole qui était devenue objet des vénérations païennes. C’est pour cette raison
que son possesseur, le compte Claude de Lannion est prié de jeter l’idole dans le
fleuve Blavet. Une fois accompli le geste destructeur, des pluies abondantes
endommagent les récoltes et le peuple, convaincu qu’il s’agit d’un signal sans
équivoque, récupère la statue du fleuve. L’évêque découvre le fait et il tente une
autre action punitive envoyant des maçons à détruire la statue mais ils terminent
par la détériorer seulement en quelques points et la rejeter dans le Blavet. Une
chute de cheval de M. le Compte de Lannion fait penser à un autre signe mais
sera le fils, Pierre de Lannion, qui, seulement après la mort de son père,
s’occupera de la récupération de l’idole : il la fait transporter à son château et il
en fait modifier la forme à coup de ciseau.80
Depuis cette recherche, M. Bizeul exprime la même opinion que Mérimée et à
propos des inscriptions (apocryphes) et à propos de la statue (ni une Vénus ni une
Isis).81
77
Ibidem, p. 381. 78
Louis Jacques Marie Bizeul, né à Blain en 1785 de Jacques Bizeul, notaire et archiviste de Rohan, et
Marie Gautier. Sa famille est attachée aux princes de Rohan depuis longtemps. 79
Gustave de Closmadeuc, « La Vénus de Quinipily », loc. cit., p. 381-382. 80
Ibidem, p. 382-384. 81
Ibidem, p. 385.
36
Au-delà des origines de l’idole de Quinipili, ce qui porte l’attention sur ces faits
est la présence du nom de Mérimée entre les érudits qui l’ont visité, ce qui va
intéresser aussi les probables sources de la nouvelle mériméenne La Vénus
d’Ille.82
L’histoire raconte de la découverte d’une statue en bronze dans la ville d’Ille,
dans la région du Roussillon, par M. de Peyrehorade qui invite un antiquaire
parisien à la visiter pour en donner son opinion. Arrivé à Ille, l’antiquaire est
invité aux noces du fils de M. de Peyrehorade, Alphonse, avec Mlle Puygarrig.
Pendant un match de jeu de paume le jeune Alphonse enfile la bague de
fiançailles au doigt de la statue pour qu’il ne le gêne pas pendant qu’il joue, mais,
à la fin du match, il ne réussit plus à l’enlever. Le jour après le mariage Alphonse
est trouvé mort dans sa chambre. Quelques mois plus tard, M. de Peyrehorade
meurt aussi et, par volonté de sa femme, la statue est fondue en cloche.83
Le 27 mai 1834, Mérimée est nommé inspecteur général des Monuments
historiques et, quelques mois plus tard, il entreprend sa première inspection dans
le Midi de la France partant de Paris le 31 juillet et retournant par la Bretagne en
1835. Dans son livre Notes d’un voyage dans le Midi de la France, publié le 24
juillet 1836, il raconte ses découvertes et ses opinions sur plusieurs sujets, en
particulier il écrit quelques lignes sur la statue qu’il visite à Quinipili en
soulignant ses origines incertaines.84
La liaison entre cette statue et la fictive décrite dans La Vénus d’Ille est
confirmée par différents chercheurs, surtout prenant en considération que les
dates de parution du conte (15 mai 1837) et du voyage de l’auteur qui termine en
territoire breton (un an avant) sont très proches ; on peut ajouter aussi le
commentaire de Pierre Trahard qui affirme que Mérimée se sert rarement de son
82
Pierre Trahard, Prosper Mérimée de 1834 à 1855, Paris, Honoré Champion, 1928, p. 100-101. 83
Prosper Mérimée, La Vénus d’Ille, Librairie Générale Française, Paris, 1994, p. 15-63. 84
Olivier Poisson, « La Vénus d’Ille, entre archéologie et littérature en 1834 », Prosper Mérimée écrivain,
archéologue, historien, Genève, librairie Droz, 1999, p. 32.
37
imagination, en préférant puiser à ses expériences personnelles ou aux vieilles
chroniques.85
Le cas de La Vénus d’Ille est parfaitement en ligne avec l’affirmation de Trahard,
il s’agit, en effet, du seul texte qu’il ait écrit où un personnage de l’histoire a des
claires caractéristiques qui rappellent l’auteur même. Olivier Poisson nous
informe sur la probable volonté de l’auteur de proposer aux lecteurs, pas
seulement un coin de vécu personnel, mais aussi une vision de comment s’est
développé pour lui le rapport avec les autres antiquaires : un rapport difficile,
porteur de méfiance et de compétition.86
Pendant son voyage dans le Midi et l’Ouest de la France, Mérimée se trouve le
12 novembre à Perpignan où il est accueilli par Jaubert de Passa, un antiquaire
qui habite dans la région du Roussillon, avec lequel il entretient un bon rapport
qui continue, aussi après la période qu’ils passent ensembles, à travers un
échange épistolaire. Les deux visitent ensemble plusieurs villes et ses monuments
historiques, entre lesquelles Boulternère, Serrabona et Ille-sur-Têt, cette dernière
scène des intrigues qui se développent dans La Vénus d’Ille.87
Quand il rentre de son voyage, nous dit Maurice Parturier, il a déjà quelques
idées sur la rédaction d’un conte concernant les aventures qu’il vient de faire,
mais c’est un événement en particulier qui lui donne l’inspiration définitive : un
article anonyme publié dans Le Publicateur (périodique scientifique de l’époque
qui se préoccupe de publier les études concernant la région du Roussillon) qui
présente le titre très explicatif de Examen critique du chapitre sur le Roussillon
que renferment les « Notes d’un voyage dans le Midi de la France », par Prosper
Mérimée inspecteur général des Monuments historiques. L’article critique
certaines informations que Mérimée propose dans son écrit, des fois avec raison,
d’autres fois démontrant seulement un sentiment de jalousie.88
85
Pierre Trahard, Prosper Mérimée de 1834 à 1855, op. cit., p. 99-101. 86
Olivier Poisson, « La Vénus d’Ille, entre archéologie et littérature en 1834 », op. cit., p. 27. 87
Prosper Mérimée, Romans et nouvelles, tome II, éd. de Maurice Parturier, Paris, Garnier, 1967, p. 79. 88
Ibidem, p. 82-83.
38
Le 9 février 1836 Jaubert de Passa écrit à Mérimée, dans une lettre, ses soupçons
à propos de l’auteur de l’article, lesquels tombent sur Pierre Puigarrí, un érudit
roussillonnais « rival » de Jaubert de Passa. Les deux antiquaires se disputent à
cause de plus d’une divergence sociale et culturelle que Olivier Poisson résume
avec ces mots : « Puigarrí est un « chartiste » qui privilégie les sources écrites, et
Jaubert de Passa un « archéologue » qui privilégie les édifices et s’intéresse à
leur conservation » mais la controverse qui touche Mérimée aussi concerne une
inscription du cloître d’Elne : Mérimée publie, dans son livre, la version donnée
par Jaubert de Passa et c’est probable que cette prise de position ait ennuyé M.
Puigarrí.89
Jaubert de Passa convainc Mérimée à ne pas répondre à la provocation mais, de
fait, treize mois plus tard (18 avril 1837) il achève la rédaction d’un nouveau
conte, La Vénus d’Ille.90
Il y a plusieurs indices qui portent à juger cette nouvelle une sorte de réponse
voilée à l’article soupçonné d’avoir été écrit par Pierre Puigarrí, à partir du lieu
où Mérimée développe l’histoire (la région du Roussillon). Autres éléments qui
convainquent de cette théorie sont : le fait que l’auteur s’insère à l’intérieur de la
narration comme antiquaire et seul narrateur des faits ; le titre original, resté
inédit, rappelle beaucoup un mémoire d’archéologue où on peut extraire des
informations claires sur la dispute ci-dessus expliquée. Le titre Relation de la
découverte faite à Ille, en 1834, d’une statue antique et d’inscriptions curieuses,
expliquées par Mr de Peyrehorade, Membre du Conseil général de Dép
t des
Pyrénées-Orientales, rédigée par Mr Mérimée fait allusion à la date dans laquelle
il visite le Roussillon, définit M. de Peyrehorade Membre du Conseil général de
département des Pyrénées-Orientales, titre qu’effectivement Jaubert de Passa a à
l’époque et, en plus, Mérimée développe ce personnage dans le texte en lui
faisant dire des phrases qui sont très proches des attitudes colloquiales de Jaubert
de Passa. Pour en donner, en fin, une dernière preuve de la correspondance entre
89
Olivier Poisson, « La Vénus d’Ille, entre archéologie et littérature en 1834 », op. cit.,p. 30-32. 90
Ibidem, p. 33.
39
le personnage fictif et l’érudit réel, à un certain point du texte, Mérimée introduit
l’abréviation « M. de P. » pour désigner M. de Peyrehorade, ce qui fait bien
penser à Jaubert de Passa.91
Toujours suivant la correspondance des noms, Olivier Poisson indique Mlle de
Puygarrig, fiancée de M. Alphonse, comme équivalent de Pierre Puigarrí, même
si le point de la narration où la référence à M. Puigarrí est plus évidente se
développe dans un dialogue entre l’antiquaire, narrateur de l’histoire, et M. de
Peyrehorade ; les deux sont en train de discuter l’origine des inscriptions qui se
trouvent sur la Vénus qui vient d’être exhumée92
:
TVRBVLENTA est pur phénicien. TUR, prononcez TOUR… TOUR et SOUR même mot,
n’est-ce pas ? SOUR est le nom phénicien de Tyr ; je n’ai pas besoin de vous en rappeler le
sens. BVL c’est Baal, Bâl, Bel, Bul, légères différences de prononciation. Quant à NERA, cela
me donne un peu de peine. Je suis tenté de croire, faute de trouver un mot phénicien, que cela
vient du grec νηρός, humide, marécageux. Ce serait donc un mot hybride. […] D’autre part, la
terminaison NERA aurait pu être ajoutée beaucoup plus tard en l’honneur de Nera Pivesuvia,
femme de Tétricus […]93
Il existe un article de M. Puigarrí qui traite l’origine phénicienne ou hébraïque
des plusieurs noms des pays de sa région (Essai sur l’étymologie de quelques
noms de lieux dans le département des Pyrénées-Orientales, 1823) mais ses
indications et ses théories ne semblent pas convaincre du tout, en plus, c’est à
cause d’une inscription que Mérimée s’est trouvé engagé dans une dispute entre
les deux antiquaires.94
Dernière indication à ce propos est le signifié de l’inscription gravée sur le bras
de la Vénus « EVTYCHES MYRO […] FECIT » : il s’agit de la signature du
sculpteur qui, en réalité, se révèle être Mérimée parce que, en effet, le premier
mot est la traduction littérale de « Prosper » et le deuxième peut bien être
rapproché à « Mérimée » ; c’est comme si l’auteur, s’identifiant comme le
91
Ibidem, p. 33-34. 92
Ibidem, p. 34. 93
Prosper Mérimée, La Vénus d’Ille, Librairie Générale Française, Paris, 1994, p. 40-41. 94
Olivier Poisson, « La Vénus d’Ille, entre archéologie et littérature en 1834 », op. cit., p. 34.
40
créateur d’une idole vindicative, veule exprimer son but de « vengeance » contre
certains types d’antiquaires.95
Les sources que l’auteur utilise ne sont pas toujours puisées de son expérience
personnelle, il y a, au contraire, le témoignage (à travers une recherche
épistolaire) d’une étude approfondit des histoires et légendes du Moyen Age de
la part de Mérimée.
En 1847 il écrit à Éloi Johanneau, collègue antiquaire et philologue, une lettre où
il affirme d’avoir puisé son inspiration à une légende du Moyen Age rapportée
par Marquard Freher et aussi de Philopseudès (Φιλόψευδης) de Lucien qui
contient l’histoire d’un sorcier capable d’animer les objets (L’ami du mensonge)
et il ajoute bien sûr des allusions au vécu.96
En 1851, au contraire, il écrit une lettre de réponse à Francisque Michel en lui
faisant savoir que son inspiration vient de Pontanus.97
Beaucoup d’érudits ont analysé les origines de l’histoire racontée dans La Vénus
d’Ille mais personne n’est réussi à trouver une trace dans les œuvres de Freher ou
de Pontanus. C’est possible que Mérimée ait intentionnellement créé cette
confusion ou peut-être qu’il ait fait vraiment une erreur accidentelle. De toute
façon, Maurice Parturier nous informe d’une autre source possible, une légende
italienne de contexte romain, qui a été publiée pour la première fois dans De
gestibus regum anglorum de Guillaume de Malmesbury, moine bénédictin
anglais expert d’histoire et de philosophie morale. Il s’agit d’une très ancienne
légende qui a été réutilisée et réadaptée dans plusieurs pays.98
Pour conclure la liste des sources d’inspiration on ne peut pas ignorer que
l’épisode d’une statue qui s’anime rappelle certainement le mythe de Pygmalion ;
Olivier Poisson pose l’attention sur une inscription en particulier de la Vénus qui
95
Ibidem, p. 35-36. 96
Prosper Mérimée, Romans et nouvelles, tome II, op. cit., p. 81. 97
Ibidem. 98
Ibidem, p. 79-81. Cf. William of Malmesbury, Gesta regum anglorum, Clarendon Press, Oxford, 1998,
livre II, vol. 1, « other miraculous stories, two of Rome », p. 381-385. Voir aussi Thomas Duffus Hardy,
ed. Willelmi Malmesbiriensis monachi Gesta regum Anglorum: atque Historia novella, vol. 1, sumptibus
Societatis, 1840, p. 354-357 que nous reproduisons également en Appendix.
41
nous donne un indice sur comment interpréter la reprise, de la part de Mérimée,
de la thématique pygmalionesque : « CAVE AMANTEN », que l’auteur traduit
lui-même en « prends grade si elle t’aime », ne fait pas allusion à l’amant, dans
ce cas M. Alphonse, mais plutôt à « celui qui perd sens et jugement devant une
statue », ce qui signifie la figure de l’antiquaire.99
Une autre information à ce propos nous est offert de Patricia Merivale qui
introduit le thème à partir de la description de la statue : le marbre, dans les
histoires comme ceux de La Vénus d’Ille, où l’artefact classique est inséré à
l’intérieur d’un contexte gotique, sert pour représenter une sorte d’opposition
lumière-ombre, mais il est utilisé aussi pour un rôle plus complexe de
représentant d’Art et de Beauté en opposition avec la Vie et la Fois. En Mérimée
la statue joue juste ce dernier rôle et elle suit le plus volontiers une vision
médiévale qu’une classique, où l’artefact est presque démoniaque et il s’anime
pour obtenir vengeance. Dans cette situation le mythe de Pygmalion subit une
sorte de renversement et l’amant n’a plus la véritable fonction d’aimer mais
plutôt celle de contempler, il s’agit d’un héros-artiste qui, dans le cas de la
nouvelle en question, dévient l’antiquaire.100
Michael Andermatt nous fait comprendre, en plus, que l’amour n’est plus une
partie fondamentale du processus d’animation et que ce sentiment est substitué
par d’autres valeurs, telles que la compétition, le pouvoir, les aisances et la
carrière, toutes valeurs incarnées par Alphonse de Peyrehorade. À démonstration
de cette aptitude d’Alphonse, on comprend en lisant le conte, qu’il épouse Mlle
Puygarrig seulement au but d’agrandir son pouvoir économique et que, dans le
jour des noces, au lieu de réfléchir sur ce qui signifie le vœu du mariage, il se
lance dans un match de « jeu de paume » au début duquel il accompli un geste
qui lui coutera la vie : enfilant la précieuse bague de fiançailles au doigt de la
statue il démontre de n’avoir pas de problèmes à sacrifier un acte d’amour pour
pouvoir jouer sans empêchements. La scène présentée développe une situation de
99
Olivier Poisson, « La Vénus d’Ille, entre archéologie et littérature en 1834 », op. cit., p. 35. 100
Patricia Merivale, « The Raven and the Bust of Pallas: Classical Artifacts and the Gothic Tale »,
Modern Language Association, vol. 89, n° 5, p. 960-961.
42
compétition entre deux joueurs tandis que le mariage et l’amour ne sont jamais
mentionnés ; c’est pour cette raison que la statue réalise sa vengeance, comme
son rôle lui impose de faire, et son geste restera toujours inexpié.101
Frank Paul Bowman nous donne une idée générale de la vision mériméenne du
mythe et il affirme que Mérimée est un grand expert de mythologie et il reconnait
la valeur de la littérature comme moyen pour transmettre, mais aussi modifier et
reformuler, les mythes car ils sont composés des éléments qui se prestent à plus
d’une interprétation, par exemple le même mythe est présent, avec des nuances
différentes, dans plus d’un pays et d’une culture. Mérimée est convaincu aussi
que l’expression du mythe est l’expression de la loyauté vers l’Antiquité, à
travers un langage métaphorique commun à plusieurs cultures qui permet la
transmission d’idées et de valeurs exemplifiées en images simples,
compréhensibles à tout le monde.102
À partir de cette idée, continue Bowman, Mérimée identifie la Vénus avec une
Aphrodite noire, c’est-à-dire Aphrodite androphonos, une déesse qui se venge
des hommes qui la trahissent en les tuant ; il s’agit donc une déesse liée à la mort.
En effet, la vision de l’amour présentée dans le conte est celle d’un amour liée à
la mort, plus intense est le sentiment et plus néfaste il est destiné à devenir.103
La Vénus est une déesse vindicative et, pour cette raison, le seul don qu’elle peut
accepter est celui d’un tribut humain, la vie d’Alphonse de Peyrehorade.104
Antonia Pagán López exprime une même vision et de la déesse et de la femme
chez Mérimée, elle est décrite comme une figure ambiguë, porteuse de mystère et
d’inquiétude mais, au même temps, elle intrigue et fascine comme, par exemple,
le visage et surtout les yeux de la Vénus105
:
101
Michael Andermatt, « Artificial life and Romantic brides », Romantic Prose Fiction, Amsterdam, John
Benjamins publishing company, 2008, p. 215-216. 102
Frank Paul Bowman, « Narrator and Myth in Mérimée’s Vénus d’Ille », The French Review, vol. 33,
n° 5, 1960, p. 475-476. 103
Ibidem, p. 477-482. 104
Ibidem, p. 481. 105
Anatonia Pagán López, « Amour rétrospectif, ambiguïté et intertextualité dans le récit fantastique »,
loc. cit., p. 201.
43
Cette expression d’ironie infernale était augmentée peut-être par le contraste de ses yeux
incrustés d’argent et très brillants avec la patine d’un vert noirâtre que le temps avait donnée à
toute la statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui rappelait la réalité, la
vie. Je me souvins de ce qui m’avait dit mon guide, qu’elle faisait baisser les yeux à ceux qui la
regardaient. Cela était presque vrai, et je ne pus me défendre d’un mouvement de colère contre
moi-même en me sentant un peu mal à mon aise devant cette figure de bronze.106
C’est juste l’ambiguïté l’élément clé pour la création d’un climat fantastique et,
en effet, Antonia Pagán López définit La Vénus d’Ille un conte « fantastique
merveilleux » parce que, même si le narrateur persiste dans son scepticisme, à la
fin, il y a une sorte d’acceptation du surnaturel. Il faut souligner aussi que le final
reste quand même ouvert parce que le coupable n’est jamais explicitement
reconnu et ce fait aide à ajouter mystère.107
À l’intérieur de la nouvelle l’ambiguïté est développée sur les personnages et de
la statue et de Mlle Puygarrig aussi ; la beauté de la Vénus est porteuse de
mystère et d’inquiétude, raison pour laquelle ceux qui la contemplent sont
fascinés et, au même temps, troublés. Cette image de la statue est transmise à
travers l’usage de l’oxymore qui souligne sa dualité, comme, par exemple, le fait
de la décrire comme une « terrible beauté ».108
De l’autre côté, Mlle Puygarrig représente une figure bonne et innocente mais
l’auteur nous dit aussi, dans plus d’une occasion, qu’elle a des traits qui
rappellent la Vénus : quand l’antiquaire parisien la voit pour la première fois et,
au banquet nuptial, quand M. de Peyrehorade dit à son fils Alphonse que la
beauté de son épouse est semblable à celle de la statue et qu’il pourrait choisir
entre les deux109
:
Mlle Puygarrig avait dix-huit ans ; sa taille souple et délicate contrastait avec les formes
osseuses de son robuste fiancé. Elle était non seulement belle, mais séduisante. J’admirais le
naturel parfait de toutes ses réponses ; et son air de bonté, qui pourtant n’était pas exempte
d’une légère teinte de malice, me rappela, malgré moi, la Vénus de mon hôte.
[…]
106
Prosper Mérimée, La Vénus d’Ille, op. cit., p. 37. 107
Anatonia Pagán López, « Amour rétrospectif, ambiguïté et intertextualité dans le récit fantastique »,
loc. cit., p. 202-208. 108
Ibidem, p. 208. 109
Ibidem, p. 208-209.
44
« Oui, poursuivit M. de Peyrehorade, il y a deux Vénus sous mon toit. L’une, je l’ai trouvée
dans la terre comme une truffe ; l’autre, descendue des cieux, vient de nous partager sa
ceinture. »
Il voulait dire sa jarretière.
« Mon fils, choisis de la Vénus romaine ou de la catalane celle que tu préfères. Le maraud prend
la catalane, et sa part est la meilleure. La romaine est noire, la catalane est blanche. La romaine
est froide, la catalane enflamme tout ce qui l’approche. »110
Autre élément porteur d’ambiguïté est la bague, ou mieux les bagues, il s’agit en
effet de deux bagues : un anneau de diamants qui appartient à la famille
d’Alphonse et qui finit sur le doigt de la statue et un autre, simple et sans
importance qu’appartenait à une des vieilles fiancées d’Alphonse et qu’il donne à
Mlle Puygarrig.111
La statue est représentée comme une figure diabolique et les épithètes qui la
décrivent font presque toujours allusion au champ de l’enfer et du diable ; ce
choix à comme conséquence une évolution de l’ambiguïté en surnaturel,
évolution qui voit son climax dans la mort d’Alphonse.112
Le Mal est donc représenté à travers la figure de Vénus, une force obscure de
laquelle les personnages ne réussissent pas à se libérer.113
Thierry Ozwald se focalise sur un autre aspect intéressant de la nouvelle
mériméenne, c’est-à-dire la reproduction du système narratif picaresque : le
rapport qui existe entre Don Quichotte et Sancho Panza est répliqué dans la
couple de l’archéologue parisien et M. de Peyrehorade, provincial avec une
fausse érudition. Selon ce schème, suivi antérieurement par Cervantès, les deux
personnages traversent toute l’histoire à la recherche d’une vérité chimérique
mais, chez Mérimée, contrairement à Cervantès, à la fin, le monstre triomphe et,
en effet, dans La Vénus d’Ille, même si la statue est fondue en cloche, elle
continue à imposer son pouvoir malin en faisant geler les vignes.114
110
Prosper Mérimée, La Vénus d’Ille, op. cit., p. 44-53. 111
Anatonia Pagán López, « Amour rétrospectif, ambiguïté et intertextualité dans le récit fantastique »,
loc. cit., p. 209. 112
Ibidem, p. 208-209. 113
Thierry Ozwald, « Mérimée ou la méprise du double : une esthétique du fragment », Romantisme, n°
69, 1990, p. 91. 114
Ibidem, p. 95.
45
Frank Paul Bowman nous fait savoir que Mérimée considère sa nouvelle La
Vénus d’Ille son chef-d’œuvre et il nous donne des raisons qui justifient cette
affirmation : peut-être pour le haut niveau de vraisemblance, ou pour
l’expression magistrale du surnaturel, ou encore pour l’agonie romantique,
expression d’un sentiment d’union entre amour et mort ou, en fin, pour la
manière dans laquelle la figure du narrateur est développée. De fait, le narrateur
est le seul personnage qui connait tous les faits ou parce qu’il est présent ou parce
que quelqu’un le lui raconte et le lecteur peut les apprendre seulement à travers
sa narration ; aussi les idées et les réactions des autres personnages sont présentés
à travers les dialogues avec ce personnage-narrateur.115
Celui qui joue le rôle du narrateur n’est pas seulement un simple témoin des
événements mais il est aussi responsable, en quelques façons, de ce qui se passe
parce qu’il connait tout et donc il a les moyens nécessaires pour arriver à la vérité
(l’inscription sur la statue « cave amantem », le regard diabolique de la statue
qu’il réussit à reconnaitre tout de suite, il est le seul à savoir du geste d’Alphonse
à propos de la bague et il entend, pendant la nuit, la Vénus monter l’escalier)
mais il ne fait rien, il reste renfermé dans son scepticisme.116
En conclusion, après avoir analysé le conte et ses personnages, Murielle Lucie
Clément fait le point sur la morale implicite que Mérimée veut transmettre à
travers ses histoires qui ont comme protagonistes des femmes et La Vénus d’Ille
ne fait pas une exception, même s’il s’agit d’une statue. « Les femmes de
Mérimée » sont présentées libres mais cette liberté les lie à un destin qui prévoit
une morte tragique, une mort qui est le symbole de l’expiation pour ce qu’elles
ont fait. À ce destin la Vénus non plus réussit à fuir : le feu qui la fond et la
transforme en cloche est, au même temps, un feu purificateur.117
115
Frank Paul Bowman, « Narrator and Myth in Mérimée’s Vénus d’Ille », op. cit., p. 475-479. 116
Ibidem, p. 480. 117
Murielle Lucie Clément, « Les Femmes de Mérimée », Bérénice, XI, 2003, p. 112-114.
46
La morale est donc qu’une femme libre s’expose à la mort, exactement le
contraire du mythe de Pygmalion qui présente un final positif, exaltation du
sentiment amoureux et de la valeur du mariage.118
118
Ibidem.
49
L’Aphrodite découverte dans l’ile de
Milo en 1820 et aujourd’hui exposée
au Mussé du Louvre, porte le nom de
Vénus de Milo. C’est une statue
grecque originale, symbole de la
beauté féminine classique et, en effet,
ses proportions ont été utilisées dans
les concours de beauté comme
exemple de perfection jusqu’à nos
jours.119
Une même beauté est décrite aussi par
Lord Celian Ewald quand il parle de sa
bien-aimée Miss Alicia Clary, laquelle
est explicitement comparée à la statue :
Miss Alicia Clary n’a que vingt ans à peu
près. Elle est svelte comme le tremble argenté. Ces mouvements sont d’une lente et délicieuse
harmonie ; son corps offre un ensemble de lignes à surprendre les plus grands statuaires. Une
chaude pâleur de tubéreuse à en revêt les plénitudes. C’est, en vérité, la splendeur de la Vénus
Victrix humanisée. […] Les mains sont plutôt païennes qu’aristocratiques : ses pieds ont cette
même élégance des marbres grecs.120
Le problème à la base de cette comparaison est que Miss Alicia Clary n’est pas
une statue : le fait d’entrer en contact avec sa personne ne peut pas se limiter à la
contemplation, il faut aussi inclure un rapport de socialisation, mais son esprit
contraste malheureusement avec sa forme ; elle est dotée d’un corps parfait et
d’une âme bourgeoise, ce qui crée une dissonance inacceptable.121
Françoise Grauby la décrit comme « une vivante antithèse » car son corps
symbolise l’idéal mais son esprit est celui d’une femme ingénue et coquette,
119
Enciclopedia dell’arte Treccani on line, notice rédactionnelle, ad vocem « Venere di Milo ». 120
Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1960, p. 53-54. 121
Annette Michelson, « On the Eve Future: The Reasonable Facsimile and the Philosophical Toy »,
October, vol. 29, 1984, p. 7-8.
Illustration 2 : La Vénus de Milo.
50
comme les règles bourgeoises le prévoient, donc c’est comme si elle possédait un
enveloppe vide qui ne peut pas être rempli.122
Un exemple clair de cette dissonance est visible dans le texte, au moment où la
femme vivante rencontre la statue :
Elle regarda la statue avec un certain étonnement ; puis stupéfaite, elle s’écria naïvement :
- Tiens, MOI !
L’instant après, elle ajouta :
- Oui, mais moi, j’ai mes bras, et j’ai l’air plus distingué […]
Une fois au dehors, comme elle était demeurée silencieuse, j’avais je ne sais quel espoir d’une
parole inouïe. En effet, je ne fus point déçu […]
Mais si l’ont fait tant de frais pour cette statue, alors, - j’aurais du SUCCES ?123
Le réel déçoit l’idéal et Lord Ewald ne réussit pas à l’accepter, au point qu’il
tombe dans une dépression qui semble être inconsolable.124
L’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam c’est, en effet, le conte du désespoir de
Lord Ewald à cause de la bassesse morale de la femme qu’il aime, Miss Alicia
Clary, ce qui entre en conflit avec sa beauté idéale. Le rencontre de Lord Ewald
avec le savant Thomas Alva Edison (qui ne veut pas faire allusion au personnage
réel) conduit à la mise en acte du projet ambitieux de créer une femme
artificielle, substitue du décevant genre féminin, capable de perfectionner les
défauts que la nature irrémédiablement produit. Les phases de la création
occupent une bonne partie de la narration, mais le travail minutieux d’Edison, à
la fin, résulte vain parce que son chef-d’œuvre finit au fond de l’océan, enclos
dans son sarcophage. Une fois terminé l’artefact qui prend le nom de Hadaly,
Lord Ewald décide de le transporter chez lui en Angleterre mais, pendant le
voyage, le navire, appelé Wonderful, subit un naufrage à cause d’un incendie qui
se développe à bord et, pour se sauver, Lord Ewald est obligé à abandonner
Hadaly à son destin.
122
Françoise Grauby, « De l’antithèse à la métaphore : les femmes de L’Ève future de Villiers de l’Ile-
Adam », Littératures, n° 38, 1998, p. 58. 123
Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 82-83. 124
Françoise Grauby, « De l’antithèse à la métaphore », loc. cit., p. 58.
51
Le roman est écrit entre 1880 et 1886 et il est publié pour la première fois en
1889 en occasion de la visite de Thomas Edison à l’exposition universelle, qui
est organisée à Paris dans l’année du centenaire de la Révolution Française.125
Le genre du roman est à mi-chemin entre la science-fiction et le fantastique et
l’époque dans laquelle il est situé est clairement contemporaine à l’auteur :
Hadaly veut être le résultat de la science moderne tandis que Lord Ewald est « le
symbole du dandysme désenchanté de la fin-du-siècle », les deux unis par Edison
qui, dans le quatrième chapitre du livre, entreprend une leçon sur les différents
artefacts construits dans l’histoire, en soulignant l’échec d’animations des autres
par rapport à la perfection de sa création.126
La possibilité de créer une vie artificielle semble être un argument qui a intéressé
l’homme dès l’époque classique quand Héphaïstos avait voulu s’entourer des
vierges artificielles en or ou encore on peut citer les cas de Pygmalion et de
Prométhée ; dans le Moyen Age les exemples se multiplient, un entre tous est le
Golem de la tradition Hébraïque ; la Renaissance voit la naissance des
homuncules et des hybrides biologiques comme Mandragore (une plante
médicinale qui, ayant la racine semblable au corps humain, est considérée être
vivante) ; le XIXe siècle est l’époque de Frankenstein, de nouvelles découvertes
technologiques et des créatures mécaniques ; on arrive jusqu’au XXe siècle où on
assiste à l’entrée en scène des robots, mutants, clones et cyborgs.127
Michael Anderson ajoute qu’au XIXe siècle il y a aussi le retour du thème qui
oppose la Vie à l’Art, mais il subit une modification importante : l’idéal n’est
plus représenté par l’Art qui est remplacée par la science et la technologie ; en
général le thème se développe habituellement présentant l’artefact comme une
femme ou un servant. Le créateur, qui est toujours un être humain de genre
masculin, est présenté comme un artiste, magicien ou scientifique et, à un certain
125
Annette Michelson, « On the Eve Future: The Reasonable Facsimile and the Philosophical Toy », loc.
cit., p. 4. 126
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 359.
127 Michael Andermatt, « Artificial life and Romantic brides », Romantic Prose Fiction, Amsterdam, John
Benjamins, 2008, p. 204.
52
point de la narration, l’épisode du créateur qui n’est plus capable de surveiller sa
création est introduit, ce qui porte à la destruction finale.128
Tara Isabella Burton spécifie que L’Ève future traite, en particulier, les thèmes du
désir, des tabous et des peurs à travers la dichotomie entre genre féminin (le
corps et donc les passions) et genre masculin (la rationalité).129
En effet, même si ce que Villiers semble vouloir transmettre, selon l’opinion de
Juliana Starr, est une critique au monde de la bourgeoisie, en réalité, il termine
pour aider le développement de cette culture parce qu’il présente dans son texte
la typique division bourgeoise qui voit l’homme lié à la création artistique, à la
vie publique et à la culture en général tandis que la femme doit être soumise à
l’obéissance et à la vie domestique. Il s’agit, de toute façon, d’une pensée
qu’appartient plus ou moins à toute la culture occidentale à partir du mythe
d’Adam et Ève qui offre une vision binaire de deux sexes : la femme, qui cueille
le pomme, démontre de suivre les pulsions et les sentiments, l’homme, au
contraire, reste, malgré sa destinée, un symbole de culture.130
Sylvie Young souligne un autre aspect du roman de Villiers, celui du rapport qui
s’établi entre l’homme et son destin, un rapport dans lequel la femme,
représentante du simulacre et de l’illusion, et la science qui représente, au
contraire, le contrôle, jouent le rôle des médiateurs.131
Pour mieux comprendre les thèmes ci-dessus présentés, une analyse des
personnages de l’histoire peut aider, car chacun est porteur d’un ou plusieurs
aspects développés dans le texte.
Lord Celian Ewald peut être vu comme la contrepartie d’Edison pour ce qui
concerne les deux paramètres avec lesquels le texte est organisé, d’une partie il y
a la désillusion de Lord Ewald et, de l’autre partie, Edison identifie soi-même
128
Ibidem. 129
Tara Isabella Burton, « Hadaly, the first android: restituting the female body in Villiers’ Tomorrow’s
Eve », Strange Horizons, 23 août 2013, p. 1. 130
Juliana Starr, « The two faces of Eve: Villiers’ response to Zola’s Le Faute de l’abbé Mouret »,
Excavatio, vol. XVI, 2002, p. 179-187. 131
Sylvie Young, « L’Ève future or le future rêve de la mort apprivoisée », Paroles Gelées, 2002, p. 107-
108.
53
comme l’espoir d’une vie nouvelle.132
Lord Ewald donc se situe dans une vision
complémentaire par rapport à celle d’Edison, ce qui est visible aussi à partir de sa
conception de la beauté idéale, qu’il décrit comme une idée impalpable, un désir
de perfection qu’Edison, au contraire, se préoccupe de concrétiser : la
complémentarité se fonde donc sur les deux pièces d’idée et d’exécution, qui
unies, donnent lieu à la réalisation finale.133
En effet Lord Ewald a des qualités
(oisiveté, amour de la beauté, désespoir) qui nécessitent à Edison pour concevoir
son œuvre, même si cette alliance complémentaire n’a pas été une intention
initiale de l’auteur, au contraire, nous informe Anne Geisler-Szmuewicz, dans
des notes manuscrites publiées dans l’édition de la Pléiade, on lit que Lord Ewald
(alors appelé Lyonell) achète l’artefact d’un savant quelconque, ce qui réduit de
manière consistante le rôle d’Edison ; seulement dans la version définitive les
deux rôles s’équilibrent, grâce à l’élévation du savant à figure de renom.134
Une autre idée que les deux partagent complètement cette fois, est celle d’une
misogynie latente qui parcours tout le texte mais que les deux personnages, ayant
des esprits différents, expriment de manière différente ; Lord Ewald utilise les
mots suivants135
:
Ma passion d’abord ardent pour les lignes, la voix, le parfum et le charme EXTÉRIEURE de
cette femme, est devenue d’un platonisme absolu. Son être moral m’a glacé les sens à jamais :
ils en sont devenus purement contemplatifs. Voir en elle une maîtresse me révolterait
aujourd’hui ! Je n’y suis donc attaché que par une sorte d’admiration douloureuse. Contempler
morte miss Alicia serait mon désir, si la morte n’entraînait pas le triste effacement des traits
humains ! En un mot la présence de sa forme, fût-elle illusoire, suffirait à mon indifférence
éblouie, puisque rien ne peut rendre cette femme digne de l’amour.136
132
Annette Michelson, « On the Eve Future: The Reasonable Facsimile and the Philosophical Toy », loc.
cit., p. 8. 133
Ivanna Rosi, « Hadaly/Idéal/Idole, une réécriture « artificielle » du mythe de Pygmalion par Villiers de
l’Isle-Adam », Revue Romane, n° 35, 2000, p. 104-105. 134
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 362.
135 Tara Isabella Burton, « Hadaly, the first android », loc. cit., p. 3.
136 Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 84.
54
Il parle de dignité et il baisse la valeur de la femme à objet de contemplation
tandis que, toujours partageant le bas niveau où on doit placer la femme, Edison
fait allusion à la science pour résoudre ce « problème »137
:
JE VAIS LUI RAVIR SA PROPRE PRÉSENCE.
Je vais vous démontrer , mathématiquement et à l’instant même, comment, avec les formidables
ressources actuelles de la Science [..] comment je puis, dis-je, me saisir de […] son apparaître,
du reflet de son Identité, enfin. – Je serais le meurtrier de sa sottise, l’assassin de son animalité
triomphante. Je vais, d’abord, réincarner toute cette extériorité, qui vous est si délicieusement
mortelle, en une Apparition dont la ressemblance et le charme HUMAINS dépasseront votre
espoir et tous vos rêves !138
L’approche qu’Edison a vers la féminité est pratiquement misogyne : Tara
Isabella Burton explique que la femme, pour lui, est simplement un objet créé
selon le désir de l’homme et que sa présence dans le monde n’est pas seulement
inadéquate (si on fait une comparaison avec la femme-machine qu’il a projeté)
mais elle est aussi la représentation vivante, la seule porteuse d’un malaise
neuropsychologique, c’est comme si le fait d’être femme devrait signifier aussi
être malade. À ce propos, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les
scientifiques cherchent à formuler une nouvelle science fondée sur la différence
entre sexes où on veut démontrer que le destin de la femme est déjà déterminé
biologiquement, en identifiant son corps comme dérangé.139
La misogynie se développe aussi, suivant la pensée d’Edison, sur la question
d’un autre personnage masculin du roman, M. Edward Anderson, un
gentilhomme qui s’est suicidé à cause des « peins d’amour » qu’il souffrait en
fréquentant sa concubine Evelyn Habal ; c’est principalement à partir de cet
événement qu’Edison met en chantier son projet de construction d’une femme
artificielle.140
Sylvie Young fait une comparaison entre les événements qui ont impliqués et M.
Anderson et Adam, ce qui porte à construire l’image d’une femme mortifère :
Anderson, de la même façon qu’Adam, a été forcé à faire un choix entre le péché 137
Tara Isabella Burton, « Hadaly, the first android », loc. cit., p. 3. 138
Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 11-112. 139
Tara Isabella Burton, « Hadaly, the first android », loc. cit., p. 3-4. 140
Françoise Grauby, « De l’antithèse à la métaphore », loc. cit., p. 58.
55
(vers lequel la femme l’aurait porté) ou l’abstention ; le final tragique qui voit
comme protagonistes tous les deux fait bien comprendre le choix qu’ils font mais
souligne surtout la coupable de la tragédie qui se révèle nécessairement être la
femme.141
Après avoir vu l’aspect misogyne du roman qui touche tous les personnages
masculins mais, en particulier, Edison, nous continuons dans l’analyse de cette
figure de laquelle on a aperçu seulement une petite nuance. Edison, en effet, est
présenté dès les premières pages comme un individu ambigu, un savant « porte-
parole de son temps » mais aussi un magicien « héritier des siècles passés où
science et magie n’étaient pas incompatibles », nous dit Anne Geisler-
Szmuewicz.142
En plus, car l’art prend une place importante à l’intérieur du
roman (particulier qui dénonce la source principale de l’œuvre mais de laquelle
on va parler plus loin), Edison est décrit aussi comme une sorte d’artiste, à partir
de la comparaison, que l’auteur propose dans le texte, entre le scientifique et
l’érudit Gustave Doré :
Edison est un homme de quarante-deux ans. Sa physionomie rappelait, il y a quelques années,
d’une manière frappante, celle d’un illustre Français, Gustave Doré. C’était presque le visage de
l’artiste traduit en un visage de savant. Aptitudes congénères, applications différentes.
Mystérieux jumeaux. À quel âge se ressemblèrent-ils tout à fait ? Jamais, peut-être. Leurs deux
photographies d’alors, fondues au stéréoscope, éveillent cette impression intellectuelle que
certaines effigies de races supérieures ne se réalisent pleinement que sous une monnaie de
figures, éparses dans l’Humanité.143
Michael Andermatt affirme que l’union d’un visage d’artiste avec l’âme d’un
scientifique est le témoignage que, à l’époque dans laquelle le roman a été écrit,
l’art commence à s’exprimer à travers la science.144
Il faut ajouter aussi le fait que son laboratoire est très proche d’être considéré
comme un musée et que son but, aussi que Villiers même, est celui de combattre
141
Sylvie Young, « L’Ève future or le future rêve de la mort apprivoisée », loc. cit., p. 109-110. 142
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 360-361.
143 Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 11-12.
144 Michael Andermatt, « Artificial life and Romantic brides », op. cit., p. 222.
56
le goût bourgeois pour pouvoir exprimer la beauté idéale, un but qui fait partie
plus facilement d’une aptitude artistique, plutôt que scientifique.145
Un dernier aspect, l’aspect fondamental concernant Edison est le rapprochement
de sa personne avec la figure mythologique de Prométhée ; en effet, nous l’avons
déjà vu dans la citation concernant la création d’Hadaly, Edison ne cherche pas à
produire de la vie, il vole plutôt l’essence des choses, ou mieux des gens, pour la
transformer complétement : aussi que Prométhée est voleur du feu, à travers
lequel il transforme l’argile en vivants, de la même façon Edison transforme un
artefact inanimé en un être animé, à travers l’électricité.146
C’est l’union de toutes ces nuances caractérielles qui font d’Edison une sorte de
Prométhée moderne, capable de maîtriser l’électricité aussi que le Titan le feu,
représentant d’une ambition titanique, celle de donner une intelligence à un être
artificiel, surpassant ainsi la puissance créatrice divine et, en plus, il est inventeur
d’un projet qui veut donner vie à une nouvelle race de femmes parfaites qui
puissent substituer les existantes, de la même façon que Prométhée, créateur
d’hommes nouveaux.147
La ligue, qu’en résulte de la fusion du classique avec la modernité et de la
philanthropie avec l’hybris titanesque, est la représentante de l’originalité et de
l’ambiguïté qui sont partie intégrante du personnage d’Edison.148
Ivanna Rosi souligne un autre aspect encore du rapprochement Edison/Prométhée
qui met en évidence les différences plus que les similitudes, avec le but de
justifier l’échec du premier par rapport au succès du seconde. La dichotomie
vie/morte qui s’instaure dans les deux différentes situations est très claire, car le
Titan, grâce au feu vivificateur, devient le possesseur du principe de vie et
Edison, au contraire, avec l’électricité, opère à l’intérieur d’un environnement
artificiel/mort, son moyen peut seulement donner une semblance de vie ;
dernièrement, la bataille qui combat Prométhée est contre des dieux réels tandis
145
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 362.
146 Françoise Grauby, « De l’antithèse à la métaphore », loc. cit., p. 63.
147 Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIX
e siècle, op. cit., p. 361.
148 Ibidem.
57
que le dieu qu’Edison affronte est un dieu lointain, insaisissable et
inaccessible.149
Les personnages féminins sont l’autre partie du roman, aussi complexe et
particulière que la partie masculine.
Nous avons déjà définit quelques traits physiques et caractériels de mademoiselle
Clary : sa beauté sculpturale, accompagnée d’une coquetterie typiquement
bourgeoise que Michael Andermatt déclare faire allusion à Clara, personnage de
l’histoire racontée par Ernst Theodore Amadeus Hoffman, L’Homme au Sable,
roman qu’évidemment Villiers connaissait et duquel il a probablement pris
inspiration ; en effet, Clara est la fiancée du protagoniste du roman (Nathanaël)
qui tombe amoureux d’Olympia, une femme qui se révèle être, à la fin, un
automate.150
Au-delà de la probable inspiration que l’auteur peut avoir tirée du roman
d’Hoffman, à l’intérieur de L’Ève future il y a une autre très claire association à
faire, entre Alicia Clary et Evelyn Habal, la concubine danseuse de M. Anderson,
de laquelle Edison a capturé, sur pellicule, la « dance macabre ». Françoise
Grauby identifie dans ces deux demoiselles l’antithèse qui, dans le cas d’Alicia
Clary, se développe dans l’opposition corps/âme et, pour ce qui concerne Evelyn
Habal, s’explicite dans l’illusion provoquée par sa habilité de danseuse
séduisante qui masque un corps horrible, composé de postiches151
:
L’image vivante disparut. Une seconde bande héliochromique se tendit, au-dessous de la
première, d’une façon instantanée, commença de glisser devant la lampe avec la rapidité de
l’éclair, et le réflecteur envoya dans le cadre l’apparition d’un petit être exsangue, vaguement
féminin, aux membres rabougris, aux joues creuses, à la bouche édentée et presque sans lèvres,
au crâne à peu près chauve, aux yeux ternes et en vrille, aux paupières flasques, à la personne
ridée, toute maigre et sombre.152
Alicia Clary et Evelyn Habal sont donc le symbole de la réalité qui déçoit, la
première quand elle exprime sa pensée, la deuxième avec ses postiches illusoires,
149
Ivanna Rosi, « Hadaly/Idéal/Idole », loc. cit., p. 103-104. 150
Michael Andermatt, « Artificial life and Romantic brides », op. cit., p. 221. 151
Françoise Grauby, « De l’antithèse à la métaphore », loc. cit., p. 58-59. 152
Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 203-204.
58
une réalité qui nécessite d’être substituée par l’idéal ; c’est pour cette raison qui
entre en jeu Hadaly.153
Hadaly, traduction arabe pour « idéal » nous dit Annette Michelson154
, est
effectivement l’incarnation de l’idéal artistique du XIXe siècle et la solution
parfaite aux défauts du genre féminin de l’époque, grâce aux qualités qui la
caractérisent le mieux : elle est douée d’une grande modestie, elle peut tomber
dans une morte apparente si elle ne reçoit pas ses « repas », ce qui donne à
l’homme le pouvoir satisfaisant d’insuffler la vie dans un corps, et, en fin, elle
peut être détruite n’importe quand. Ce qui est particulier en Hadaly est encore sa
capacité de montrer un aspect séduisant pareille à celui de ses modèles imparfaits
(les femmes), mais cette séduction ne lui permet pas de maîtriser le rapport avec
l’amant parce que le contrôle reste toujours à la portée de l’homme ; il a, en effet,
la possibilité de décider les mouvements et les choix de l’androïde à travers des
boutons cachés sous ses bijoux et il contrôle aussi un poignard inséré à l’intérieur
du corps d’Hadaly qui sert de prévention contre les gens qui pourraient
l’importuner.155
Cet artefact humain se divise entre deux conditions d’être qui lui offrent une
combinaison gagnante de charme et intelligence : l’aspect physique de la belle
Alicia Clary et l’aspect moral d’un esprit mystérieux qui prend possession de
l’androïde, Sowana.156
Françoise Grauby affirme que Sowana est l’esprit de la veuve de M. Anderson et
que sa condition est celle d’une personne endormie qui se trouve, pour cette
raison, à mi-chemin entre l’univers du sommeil et celui de la mort ; elle devient
un être spiritual qui, n’ayant plus un vrai contact avec le monde matériel, se voue
complétement à écouter son esprit, réussissant à ouvrir un dialogue avec le
monde de l’au-delà, de l’inconnu.157
153
Françoise Grauby, « De l’antithèse à la métaphore », loc. cit., p. 60-61. 154
Annette Michelson, « On the Eve Future: The Reasonable Facsimile and the Philosophical Toy », loc.
cit., p. 8. 155
Françoise Grauby, « De l’antithèse à la métaphore », loc. cit., p. 61-63. 156
Ivanna Rosi, « Hadaly/Idéal/Idole », loc. cit., p. 104-105. 157
Françoise Grauby, « De l’antithèse à la métaphore », loc. cit., p. 62.
59
C’est grâce à Sowana que Hadaly ne se limite pas à conduire une existence
artificielle mais elle s’anime concrètement, d’une façon telle qu’on termine par
assister à la formation de deux dégrées intermédiaires entre artificiel et vivant
dans l’échelle qui conduit de la vie à la mort : il s’agit de l’illusion de vie, celle
qu’Edison voulait créer à travers son artefact, et une véritable vie
fantasmatique.158
Une fois présentés les personnages, c’est le tour des sources, à lesquelles Villiers
s’est inspirées, d’être analysées.
L’Homme au Sable de E.T.A. Hoffman, nommé précédemment, est surement un
conte que Villiers a lu, mais les allusions que nous pouvons extraire du texte sont
très voilées, même s’il en cite explicitement un morceau au début d’un chapitre.
Ce que Villiers veut éviter, suppose Anne Geisler-Szmuewicz, est une
association erronée, que le lecteur risque de faire, entre Edison et Coppelius, un
charlatan vendeur de faux sentiments.159
Pour ce qui concerne le projet de créer une vie artificielle, l’allusion à
Pygmalion est évidente : Lord Ewald, aussi que Pygmalion, est déçu de la réalité
et donc il cherche à se réfugier dans l’art, la seule qui puisse remplir son manque
d’amour.160
Le rôle de Vénus, dans le mythe ovidien, est presque fondamental tandis que, au
XIXe siècle, c’est la science, à travers la médiation de l’art et de la magie aussi,
qui prend la place de la divinité ; dans cette optique les personnages sont
identifiables dans les figures de scientifique mi- magicien mi- prométhéen, dans
le cas d’Edison, idéal féminin, pour Hadaly, et nouveau Pygmalion, esthète
amant de l’art, pour ce qui concerne Lord Ewald.161
Juliana Starr aussi souligne la perte d’importance du rôle de Vénus dans l’œuvre
de Villiers, affirmant que homme et femme participent ensembles dans le
processus de formation artistique de l’idéal avec la seule différence que c’est
158
Ivanna Rosi, « Hadaly/Idéal/Idole », loc. cit., p. 109-111. 159
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 358-359.
160 Michael Andermatt, « Artificial life and Romantic brides », op. cit., p. 220.
161 Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIX
e siècle, op. cit., p. 357-358.
60
seulement l’homme qui termine par substituer Vénus dans l’acte véritable
d’animation, même s’il ne faut pas oublier que c’est Sowana qui équipe Hadaly
d’une âme. En effet, continue Starr, dans une période de scepticisme religieux,
Villiers semble être le seul auteur à offrir l’idée de la présence d’une sorte de
divinité : dotant une figure féminin de créativité et, d’une certaine façon,
d’intelligence, il rompe la dichotomie qui est présente à l’époque de femme-
nature et homme-culture, contrastant ainsi l’idée misogyne qu’il a installée dans
le personnage d’Edison. De toute façon, il faut avouer que, à la fin du roman, le
destin de la femme se révèle quad-même tragique, démontrant qu’elle reste un
moyen utile à l’homme.162
Michael Andermatt ajoute que l’inclusion de l’art dans un projet comme celui
organisé par Edison signifie mettre en lumière un aspect narcissique qui veut
célébrer la grandeur de soi-même, du moment qu’il s’agit principalement d’un
projet qui accompli avant tout l’amour narcissique qui se reflet sur la personne
qui l’éprouve, éloignant ainsi la nature.163
Sylvie Young soutien cette thèse en disant que Hadaly est le simulacre « saine »
de la femme pour la raison qu’elle est une projection narcissique de l’homme et
de son pouvoir en général, mais surtout de son pouvoir sur l’androïde qu’il peut
contrôler à travers les boutons-bijoux et le poignard.164
Une dernière considération à ce propos concerne les modalités de formation de
l’artefact : l’animation de Hadaly nécessite obligatoirement de l’amour
narcissique de Lord Ewald parce qu’elle a été projetée comme un miroir qui
donne en retour ce qu’elle reçoit.165
Eh bien ! Avec l’Alicia future […] Ce sera bien la parole attendue – et dont la beauté dépendra
de votre suggestion même – qu’elle répondra ! Sa « conscience » ne sera plus la négation de la
vôtre, mais deviendra la semblance d’âme que préférera votre mélancolie. Vous pourrez
évoquer en elle la présence radieuse de votre seul amour, sans redouter, cette fois, qu’elle
démente votre songe !166
162
Juliana Starr, « The two faces of Eve », loc. cit., p. 186-187. 163
Michael Andermatt, « Artificial life and Romantic brides », op. cit., p. 222. 164
Sylvie Young, « L’Ève future or le future rêve de la mort apprivoisée », loc. cit., p. 117-118. 165
Michael Andermatt, « Artificial life and Romantic brides », op. cit., p. 222. 166
Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 225.
61
Avant d’analyser les différentes phases de la construction de l’automate, Anne
Geisler-Szmuewicz nous informe que Villiers nomme le mythe de Pygmalion
bien trois fois : dans la description de la beauté d’Alicia Clary, dans
l’annonciation du vœu de Lord Ewald (l’acceptation du pacte de création de
Hadaly) et dans l’explication détaillée sur comment réaliser son œuvre.167
Nous avons déjà répété à plusieurs reprises que la beauté d’Alicia est
pratiquement celle de la statue de la Vénus Victrix, mais cette ressemblance que
Lord Ewald exprime pour faire comprendre à Edison de quoi il s’agit ne doit pas
être entendue comme une simple comparaison, il faut la lire littéralement ; Anne
Geisler-Szmuewicz explique que Lord Ewald éprouve le même amour que
Pygmalion éprouvait pour sa statue, avec la seule différence qu’Alicia est une
typologie de statue un peu plus « animée » mais un peu moins « vivante ».168
Le vœu s’explicite à travers la phrase : « qui m’ôtera cette âme de ce corps ? »,
preuve du fait que Lord Ewald, de la même façon que Pygmalion, renonce à
posséder la femme vivante pour aimer la statue ; c’est évidemment le geste qui
met en marche tout le roman.169
Dernièrement, dans le mythe de Pygmalion c’est la statue originale sculptée par
le protagoniste à prendre vie, au contraire, dans L’Ève future c’est un double qui
s’anime.170
Il en suit une opposition femme-vivante femme-idole où l’idole peut vivre
seulement à détriment de la femme-vivante qui subit ainsi une sorte de mort
symbolique. La photosculpture est la technique utilisée pour transporter dans le
corps « vide » de Hadaly toutes les caractéristiques les plus minutieuses d’Alicia,
d’une manière aussi précise qu’elle rappelle la mimesis de l’art.171
167
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 363.
168 Ibidem, p. 363-364.
169 Ibidem, p. 364.
170 Ibidem, p. 364-365.
171 Ivanna Rosi, « Hadaly/Idéal/Idole », loc. cit., p. 102-103.
62
À ce propos, Ivanna Rosi met l’accent sur la différence entre art et artifice en
identifiant l’artifice comme un produit moins valable, mais qui est produit quand-
même de l’art, aussi qu’Edison est une figure imitatrice de Prométhée : le
scientifique qui produit un artefact en substitution de Pygmalion qui sculpte sa
statue risquent d’apparaitre ridicules, c’est l’investissement des idéals de beauté
et d’amour de la part de Lord Ewald qui permet de donner dignité à l’artefact qui
entre finalement en compétition avec l’art.172
Hadaly doit donc représenter l’absolu de l’art et de l’amour transposé dans la
réalité grâce à l’union parfaite de tous les appareils d’Edison.173
Allons voir maintenant comment se réalise cette union parfaite, à travers les
passages qui portent à l’œuvre finale.
La photosculpture est le premier passage où il y a le vol de l’image d’Alicia ; il
commence avec la description de la beauté idéale de la jeune bourgeoise,
associée à celle des marbres grecs, pour suivre avec la forme neutre qui attend
seulement d’être modifiée par la photosculpture. Il s’agit d’un passage qu’Edison
décrit avec des mots qui appartiennent à la sculpture, ce qui démontre la volonté
de fondre la science avec les moyens de l’art.174
Le passage suivant est celui de l’incarnation où l’armure métallique est revêtue
de peau, cheveux, parfum et tous les éléments nécessaires à donner l’illusion
parfaite de l’imparfait modèle vivant.175
L’animation conclut l’opération, aidée aussi par la présence de Sowana et, en
effet, Ivanna Rosi pense que ce passage représente « le moment de la
recomposition sublime du mythe » et il le divise en deux, appelant le premier
passage « animation intermittente », où le corps animé est encore dans sa
condition d’armure vide, et le deuxième « animation permanente », moment dans
lequel l’esprit se fonde avec le corps.176
172
Ibidem, p. 104. 173
Ibidem, p. 105-106. 174
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 365-366.
175 Ivanna Rosi, « Hadaly/Idéal/Idole », loc. cit., p. 107-108.
176 Ibidem, p. 108.
63
Anne Geisler-Szmuewicz nous informe, au contraire, que le moment de
l’animation occupe peu d’espace dans le texte et les raisons pour lesquelles il n’a
pas l’importance qu’il mériterait sont plusieurs. Premièrement on cherche à ne
pas rendre le roman trop lourde, vue la précision avec laquelle l’auteur développe
toutes les autres parties de la construction de Hadaly ; en plus, on ne peut pas
ignorer le fait que ce type de processus prévoit un certain dégrée de mystère, dû
surtout à la présence d’un esprit que Lord Ewald même, à travers son désir
amoureux, attire : Villiers porte le mystère à l’intérieur du roman juste grâce au
non-dit de cette dernière phase.177
Enfin le baiser entre les deux protagonistes est le moyen qui permet le
déplacement d’âme d’un corps à un autre : « Elle semblait aspirer l’âme de son
amant comme pour s’en douer elle-même ; ses lèvres entrouvertes, à demi
pâmées, bougeaient, et frémissaient, effleurant celles de son créateur en un baiser
virginal »178
; dans cette description il est évident que l’animation, à la fin, est
davantage possible grâce à l’intervention de l’amour plutôt que de la science.179
D’autres éléments qu’Ivanna Rosi utilise pour démontrer le thème de Pygmalion
à l’intérieur du roman sont deux types de relation qui expliquent de manière
différente la même idée. La première relation concerne Hadaly qui, avant d’être
une machine, est représentée comme une idole, en effet, elle aurait pu bien
sembler à une figure grotesque assemblée par des engrenages, mais elle résulte,
au contraire, un être sublime, très éloigné aussi des expériences scientifiques
faites dans le passé ; donc elle est une machine mais elle n’est pas vide comme
une machine grâce à l’esprit qui l’habite et qui rappelle l’idée de l’idole, sans
compter le signifié du nom qui lui a été donnée. Une autre particularité qui
rattache Hadaly à une idole est son rapprochement avec la Vénus d’Ille de
Mérimée : les yeux sont le moyen qui exprime la nature mixte de la statue tandis
que, dans le cas de L’Ève future, Hadaly témoigne son mystère à travers sa voix ;
177
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 367-368.
178 Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, op. cit., p. 347.
179 Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIX
e siècle, op. cit., p. 368.
64
les yeux brillants qui identifiaient la Vénus sont transposés sur Alicia qui n’a
ainsi pas seulement le corps d’une Vénus mais aussi le regard.180
La seconde relation concerne Evelyn Habal et son « art de la toilette » : tandis
que les parties qui composent Hadaly sont idéalisées à travers la juste maîtrise de
l’écriture qui les décrivent dans leur ensemble comme un idéal, la description de
la femme vivante se développe en parties grotesques, une séries de postiches qui
Evelyn réussit à cacher grâce à son habileté dans l’ « art de la toilette ».181
Bertrand Vibert offre un point de vue en plus sur le thème de Pygmalion rapporté
à L’Ève future, celui du désir célibataire. Il explique que Pygmalion est
célibataire, mais pas pour sa volonté parce que, quand il réussit à trouver
l’amour, il n’a aucune hésitation dans son choix d’une vie conjugale à la place
d’une possible carrière de sculpteur ; Lord Ewald se trouve dans une situation
presque renversée parce qu’il désir que la dame qu’il ne réussit pas à aimer
complétement devienne une statue, donc il cherche à accomplir un désir de
mort.182
Le mythe d’Ixion raconte l’histoire d’un meurtrier qui, malgré le pardon qui lui a
accordé Zeus, tente de séduire son épouse Héra ; mais Zeus substitue la vraie
avec une nuée à laquelle il a donné les mêmes semblances et il finit par
condamner Ixion à rester attaché à une roue de feu au fond de l’Enfer, où son
désir continue à brûler. Ce mythe a été utilisé par Vibert pour expliquer que,
aussi qu’Ixion, punit pour avoir préféré un simulacre, Lord Ewald, qui préfère
l’amour artificielle, est punit avec une tristesse inconsolable pour la perte de
l’objet de son désir ; ce n’est pas un cas que cette idée soit présentée dans une
période d’industrialisation où la vision générale qu’on a est celle d’un monde
déshumanisé.183
Tous les personnages, chacun d’une manière différente, sont caractérisés par le
désir célibataire : Evelyn Habal est dominée par les « pulsions », ce qui signifie 180
Ivanna Rosi, « Hadaly/Idéal/Idole », loc. cit. p. 111-113. 181
Ibidem, p. 113-115. 182
Bertrand Vibert, « L’Ève future mise à nu par ses célibataires, même ? », Littératures, n° 41, automne
1999, p. 211. 183
Ibidem, p. 212-213.
65
qu’elle a un esprit animalesque et dépourvu d’amour, Alicia est la représentante
de son époque, de la bêtise bourgeoise et donc elle n’est pas capable d’élévation
morale ; pour ce qui concerne les personnages masculins M. Anderson se
transforme d’époux modèle à maxime expression du désir célibataire, à partir de
sa volonté d’expérimenter le plaisir sans la nécessité d’impliquer le sentiment de
l’amour, Lord Ewald, différemment, expresse la « sublimation du désir
célibataire » parce qu’il est à la recherche d’un amour qui n’inclut pas la
sexualité, le but dernier doit être celui de la contemplation. Le problème dans ce
cas est la déshumanisation de la couple amoureuse, où la relation, de réciproque,
devient unilatérale parce qu’une partie de cette couple se transforme en une
machine.184
Dernier personnage qui démontre son désir célibataire est Edison, à travers sa
misogynie, de laquelle on a déjà parlé précédemment.185
Dans le projet de construction de Hadaly, Vibert reconnait deux hypothèses que
Villiers cherche à accomplir, celle d’Ixion d’une machine parfaite qui puisse
démontrer la médiocrité de la nature et l’illusion que l’amour produit, et celle de
Pygmalion qui nécessite que Hadaly soit vivante pour pouvoir démonter l’amour
authentique. C’est Sowana qui permet la rencontre des deux hypothèses qui se
manifestent dans les formulations techniques d’Edison, d’une partie, et le désir
d’idéal de Lord Ewald, de l’autre partie ; à ce point Hadaly est une machine qui
n’est plus une machine ou, au moins, elle ne l’est pas seulement.186
La version que Villiers offre du mythe de Pygmalion se détache et des autres
versions du XIXe siècle et de la direction que le roman avait pris au début parce
que la puissance humaine termine par être mise en doute ; la science, qui a besoin
de toute façon de l’art et de l’amour pour réussir, n’est quand-même capable de
donner la vie à son œuvre sans l’intervention de la « divinité » que, dans le cas de
L’Ève future, se manifeste d’une manière particulière, c’est-à-dire passant sous
184
Ibidem, p. 213-214. 185
Ibidem, p. 214. 186
Ibidem, p. 218-224.
66
silence une partie du processus d’animation, une partie qui reste donc
inexplicable.187
Pour ce qui concerne le final de l’histoire, il y a un message précis que l’auteur
veut passer.
Selon Tara Isabella Burton le naufrage du navire Wonderful, à la fin du roman,
représente un renversement de la situation initiale où la nature était associée au
genre féminin ; dans le final, la nature prend sa revanche sur l’homme et vainque
la science.188
Michael Andermatt, de sa part, lit dans le final la volonté de Villiers, dans son
rôle d’écrivain et donc d’artiste, de ne pas laisser gagner la technologie à
détriment de l’art, comme s’il éprouvait du scepticisme vers la nouvelle
technologie qui était en train de se développer. De l’autre partie, Andermatt
continue, l’auteur cherche à suivre le thème romantique qui prévoit que le héros
encontre la mort ou la catastrophe au moment dans lequel il réussit à joindre le
monde de l’idéal.189
En conclusion, Hadaly se révèle une figure « mixte », pas un simple artifice, par
conséquence sa mort aussi assume des nuances particulières. À la fin Hadaly doit
retourner au lieu d’où elle a été envoyée et c’est la raison pour laquelle elle
« périt », mais le point important est qu’elle a été envoyée au but d’instruire
l’homme : ce n’est plus le créateur qui doit instruire sa créature mais l’exacte
contraire. À soutien de cette idée, nous fait savoir Anne Geisler-Szmuewicz,
après la triste perte qu’il subit, Lord Ewald change sa conception de la mort, mais
aussi de la beauté et de l’amour.190
Le Pygmalion du XVIIIe siècle de Jean Jacques Rousseau qui disait « Je m’adore
dans ce que j’ai fait ! » est finalement surpasser dans L’Ève future pour laisser
187
Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIXe siècle, op. cit., p. 368-369.
188 Tara Isabella Burton, « Hadaly, the first android », loc. cit., p. 3-4.
189 Michael Andermatt, « Artificial life and Romantic brides », op. cit., p. 223.
190 Anne Geisler-Szmuewicz, Le Mythe de Pygmalion au XIX
e siècle, op. cit., p. 369-370.
67
l’espace à une satire sur le temps que l’auteur vit, sur l’idée qu’il a à propos de
l’amour, des femmes et de la science.191
Anne Geisler-Szmuewicz commente le roman avec ces mots :
La plupart des traits caractéristiques du mythe relevés dans les versions d’Ovide et de Rousseau
sont tout d’abord réunis : l’andréide est un chef-d’œuvre né de l’alliance de l’art et de la science
, qui s’anime grâce à une intervention surnaturelle et qui fait naître un sentiment d’amour chez
un homme déçu par la réalité.
Les ambitions de la science ne sont plus ridiculisées […] La représentation de la science
importe cependant moins à Villiers que celle du savant.192
191
Ibidem, p. 370-372. 192
Ibidem, p. 373-374.
71
Peter Read affirme que la statue du corps
mort de Chrysis que, à la fin du roman
Aphrodite, mœurs antiques de Pierre
Louÿs, Démétrios sculpte est, en réalité,
une tentative de l’auteur de célébrer le
sculpteur Auguste Rodin.193
En présentant Alexandrie d’Egypte comme
l’allégorie de la Paris de son temps,
grouillante de fêtes, de discussions
artistiques et de bordels, Louÿs insère la
statue comme un exemple d’art moderne
dans le sens que Rodin, pour premier, a su
exprimer, à travers son habilité en
transformer un marbre froid dans la
représentation d’un corps érotique où on a
soufflé une vitalité réaliste.194
Peter Read nous informe que Pierre Louÿs
éprouve une profonde estime pour Rodin ;
les deux échangent des brèves conversations épistolaires, pendant lesquelles ils
se donnent des rendez-vous (surtout Rodin invite Louÿs à visiter sa collection
artistique) et le sculpteur reçoit aussi l’invitation aux noces de Louÿs avec Louise
de Heredia (auxquelles il ne participera pas).195
Aphrodite, mœurs antiques est le roman qui suscite majeur succès à l’époque,
avec une appréciation de la part du public que l’auteur ne réussira plus à
répliquer. En effet, cette histoire représente une sorte d’inspiration et pour le
monde de l’art et pour celui de la littérature jusqu’au début de la guerre et elle
193
Peter Read, « Pierre Louÿs, Rodin and Aphrodite: sculpture in fiction and on the stage, 1895-1914 »,
French Studies, vol. LXI, n° 1, 2007, p. 59. 194
Ibidem. 195
Ibidem, p. 60-62.
Illustration 3 : statue d'Aphrodite par Auguste
Rodin, qui doit figurer sur la scène du théâtre de la
Renaissance.
72
voit aussi la naissance des deux réinterprétations musicales pour théâtre qui
reçoivent elles-aussi beaucoup de succès.196
Le premier drame musical est composé par Camille Erlanger et adapté par Louis
de Gramont, une œuvre critiquée initialement par Louÿs mais, plus tard, il se
convainque de sa valeur, après avoir eu la possibilité de voir ses personnages
transportés sur la scène comme des véritables êtres vivants.197
La seconde adaptation théâtrale, écrite par Pierre Frondaie, prend une importance
particulière pour le fait que c’est Rodin même qui fournit la statue de Chrysis
pour la mise en scène. La participation de Rodin semble prendre les nuances d’un
scandale : le problème se pose sur la question de la respectabilité de la statue ;
Auguste Rodin était et continue à être le représentant maximum de la sculpture
française et sa collaboration dans la mise en scène d’un spectacle théâtrale
semble le baisser à un rôle d’ « accessoiriste », comme le définit le journaliste
Régis Gignoux dans un article du Figaro du 9 mars 1914.198
Les doutes sur la véritable gloire de laquelle le sculpteur devrait être investi sont
dissipés par la visite de René Viviani, ministre de l’éducation à l’époque, à
l’œuvre sur scène ; démontrant l’intéresse culturelle que la statue suscite, M.
Viviani souligne le génie de Rodin en la création de chef-d’ œuvres dans
n’importe quel contexte ou situation.199
Au-delà des questions sur la valeur de la statue et de son sculpteur, ce qui est sûr
est la pleine reconnaissance de Louÿs pour ce geste, au point qu’il compose un
poème inspiré à la statue de Rodin qui porte le titre Aphrodite et qui est publié
pour la première fois dans L’Illustration.200
Peter Read décrit la statue comme une figure sinueuse d’une jeune femme nue,
avec les bras soulevés, les genoux fléchis et un pied dernier l’autre, ce qui lui
donne une position au balance précaire mais qui souligne, au même temps, la
196
Ibidem, p. 57. 197
Ibidem, p. 63. 198
Ibidem, p. 63-64. 199
Ibidem, p. 64. 200
Ibidem.
73
dynamique et les formes qui la composent ; il s’agit d’un exemple clair de l’art
de Rodin qui cherche à porter sur le marbre la réalité de la vie de l’être en
mouvement continu.201
Cette statue est, en réalité, un agrandissement d’une version plastique haute 49,7
cm, qui date « avant 1889 » et de laquelle Henri Lebossé, praticien de Rodin,
réalise deux reproductions, une pour le théâtre, grandeur nature, et une autre pour
le sculpteur même, qui mesure un peu plus d’un mètre.202
Peter Read conclut, à ce propos, que la représentation théâtrale de Frondaie
résulte intéressante seulement à cause de l’implication de Rodin qui, de cette
façon, a su démontrer loyauté et respect vers son contemporain Pierre Louÿs,
même à risque de compromettre sa réputation de figure culturelle de la Troisième
République.203
Le roman Aphrodite, mœurs antiques est publié pour la première fois en
feuilleton dans Le Mercure de France, d’août 1895 à janvier 1896 ; seulement le
28 mars 1896 il assiste à sa première publication comme livre.204
Jean-Paul Goujon nous donne témoignage de la réponse positive de la part de la
critique que la narration a reçu et, par conséquence, la raison de son succès : le
16 avril 1896 Le Journal publie une recension écrite par François Coppée, un
académicien et homme de lettre lui-aussi qui vante une grande considération
entre le public « de bien-pensants et des gens pieux ». Il s’exprime avec
beaucoup d’éloges en discutant l’œuvre de Louÿs, fait qui laisse l’auteur étonné
en manière positive.205
Les mots d’approbation de Coppée représentent une exception, car l’intellectuel
en question est célèbre surtout pour son mépris vers la pensée symboliste et les
thèmes, comme ceux qu’Aphrodite traite, qu’on peut considérer un peu trop
libertins et scandaleux. C’est une conversation avec Albert Samain, poète
201
Ibidem, p. 64-66. 202
Ibidem, p. 66. 203
Ibidem. 204
Ibidem, p. 57. 205
Jean-Paul Goujon, Pierre Louÿs, une vie secrète (1870-1925), éditions Seghers, Paris, 1998, p. 171-
172.
74
symboliste de l’époque, qui convainque Coppée de la réale valeur de l’œuvre et
qui le conduit donc à lui donner une évaluation très positive, laquelle sera suivie
aussi par celle de José-Maria de Heredia.206
Lucile Farnoux affirme que pendant tout le XIXe siècle, mais en particulier vers
les dernières années, les écrivains et les poètes cherchent à exprimer, à travers
différentes façons, le thème qui concerne la figure de l’artiste et la condition de
l’œuvre d’art dans un contexte qui présente l’art supérieure à la vie. Dans la
majorité des cas la vie est sacrifiée pour l’art et celui qui subit les conséquences
peut être l’artiste ou, plus fréquemment, la femme aimée, avec sa mort.207
L’histoire des deux protagonistes du roman de Louÿs, Démétrios et Chrysis,
traite en effet le thème de l’art pour l’art en dévoilant un final tragique : le
sculpteur plus beau et plus célèbre d’Alexandrie, Démétrios, amant de la reine
Bérénice, sculpte, ayant comme modèle le corps de sa bien-aimée, une statue
d’Aphrodite pour le nouveau temple qui a été construit en l’honneur de la
divinité. Le sculpteur finit par tomber amoureux de la statue et il perd tous les
intéresses pour la reine. Sur le port de la ville il encontre Chrysis, une courtisane
d’une beauté inégalable, laquelle ne le digne pas d’un seul regard, fait qui
intrigue Démétrios au point d’être disposé à faire n’importe quoi pour obtenir son
attention. Chrysis lui propose de voler pour elle trois objets de la valeur
inestimable qui pourraient couter la vie au sculpteur. Démétrios n’y pense pas
deux fois et il se précipite à voler le miroir appartenant à une des amies
courtisanes de Chrysis (relique de la poétesse Sapho), le collier porté par la statue
d’Aphrodite et un peigne.
Une fois accomplis les crimes, Démétrios refuse l’amour de la courtisane et, à ce
point, la situation subit une inversion et c’est Chrysis à se montrer disposé à faire
n’importe quoi pour obtenir les attentions du sculpteur. Elle est obligée, donc, à
206
Ibidem, p. 172. 207
Lucille Farnoux, « La vie en échange de l‘immortalité de l’Art, ou le mythe de l’artiste chez Pierre
Louÿs et Constantin Théotokis », Mythes de la Décadence, presse universitaire Blaise Pascal, Clermont-
Ferrand, 2001, p. 281.
75
se montrer en public avec les dons que Démétrios a volés pour elle et, de cette
façon, à subir une condamne à mort.
À la fin, le corps sans vie de la belle courtisane fait naître l’inspiration artistique
en Démétrios qui se sert de la morte comme modèle pour la création d’une statue
sublime.
Peter Read définit le roman anti-moderne, anti-nordique et anti-protestant208
et,
en effet, on s’aperçue à partir de la préface des intentions de l’auteur, où il
s’exprime avec les mots : « Hélas ! Le monde moderne succombe sous un
envahissement de laideur. Les civilisations remontent vers le Nord, entrent dans
la brume, dans le froid, dans la boue. Quelle nuit ! ».209
Jean-Paul Goujon nous donne une confirmation sur les caractéristiques données
ci-dessus à propos du roman, en analysant le choix de l’époque où l’histoire se
développe : le Ier
siècle av. J.-C. n’est pas un siècle choisit par hasard, Louÿs le
décrit comme une période un peu obscure qui n’est pas vraiment connue comme
on pense et ce fait lui permet de développer au mieux son projet d’écriture.210
Peter Read ajoute encore, à propos du lieu, Alexandrie d’Egypte (précisément
pendant l’année 57 av. J.-C.), qu’il s’agit du centre égyptien de toute une culture
hellénique influencée, à l’époque, des traditions orientales, donc une culture
d’union et de mélange qui se prêt aisément à l’expression libre d’un esthétisme
décadent, symbolique et sensuel.211
Louÿs cherche à donner forme à un monde où le péché n’a pas la valeur qui
assume dans son époque et, de cette façon, il propose une opposition entre
l’univers de l’antiquité et celui de la morale protestante.212
Hans-Roland Johnsson nous confirme cette affirmation en disant que Pierre
Louÿs, même s’il n’est pas le premier à se laisser inspirer par les échos de
l’antiquité, diffère des autres parce qu’il ne se limite pas à décrire les
208
Peter Read, « Pierre Louÿs, Rodin and Aphrodite », loc. cit., p. 57. 209
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, Albin Michel, Paris, 1963, p. 12. 210
Jean-Paul Goujon, Pierre Louÿs, une vie secrète (1870-1925), op. cit., p. 173. 211
Peter Read, « Pierre Louÿs, Rodin and Aphrodite », loc. cit., p. 57. 212
Jean-Paul Goujon, Pierre Louÿs, une vie secrète (1870-1925), op. cit., p. 174.
76
caractéristiques d’une époque, il cherche surtout à proposer un nouveau modèle
de morale qui doit être rigoureusement non-chrétien.213
L’Alexandrie que l’auteur dépeint est clairement sa Paris, avec son mélange de
richesse et pauvreté et un grand nombre de prostituées desquelles la bourgeoisie
copie la mode, ce qui fait d’Aphrodite, comme d’autres contes de Louÿs, « un
débat sur le règlement et le contrôle des prostituées ». Johnsson nous informe que
l’opinion de l’auteur sur la question est tournée vers un ordre libéral.214
Pour ce qui concerne la genèse de l’œuvre, l’auteur même déclare d’avoir pris
inspiration d’un poème de Victor Hugo qui porte le titre « Pétrarque », inséré
dans Légende des siècles. Les vers de ce poème racontent, à travers la version
que Hugo nous présente, que Pétrarque évoque l’amour de sa vie, Laura, et il se
réjouie à tel point de la vision qu’il se trouve devant, car elle est meilleure que la
vraie, qu’il ne se laisse plus tomber dans le désespoir et dans les plaintes pour la
perte de sa bien-aimée.215
L’aspiration de Louÿs est donc adressée à l’idéal et on peut en trouver une
confirmation dans les vers d’un de ses poèmes où il expresse clairement cette
idée : « Et je posséderai mon rêve en rêvant ».216
Giorgio Mirandola montre que cette même idée se trouve aussi à l’intérieur du
roman, dans les actions de Démétrios, lesquelles démontrent précisément la
recherche d’un chef-d’œuvre, de la perfection. Le résultat est un héros qui
appartient à une époque moderne, car il a peu à faire avec les idéales de
l’antiquité grecque.217
Jean-Paul Goujon explique qu’Aphrodite est focalisée sur les deux personnages
principales parce qu’ils sont les seuls qui acquièrent importance aux fins de la
compréhension de l’histoire, tandis que les autres résultent des simples figurants
au service des protagonistes.218
213
Hans-Roland Johnsson, « Louÿs et l’idéal antique », Moderna Språk, vol. LXXXVIII, 1994, p. 183. 214
Ibidem, p. 185. 215
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, Mursia, Milan, 1974, p. 146. 216
Pierre Louÿs, Poëmes, vol. II, p. 714. 217
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 147. 218
Jean-Paul Goujon, Pierre Louÿs, une vie secrète (1870-1925), op. cit., p. 175.
77
La décision de l’auteur de mettre Démétrios et Chrysis en relief, à détriment des
autres personnages, naît de la volonté de développer une sorte de « duel » entre
homme et femme, ce qui veut représenter une lutte entre le rêve (l’idéal) et la
réalité (la vie). À partir du fait que le rêve dépasse la réalité, l’artiste qui connait
vraiment son « travail » sait bien qu’il ne doit pas prétendre de chercher l’idéal
qu’il veut exprimer à travers ses œuvres dans le monde réel.219
Il s’agit d’une idée partagée par tous les symbolistes, desquels Louÿs fait partie,
mais il se préoccupe d’ajouter quelque chose en plus : il propose, à l’intérieur de
ce cadre, une ultérieure opposition entre sensualité et art où il s’identifie avec le
sculpteur Démétrios, à travers lequel il peut exprimer ses idées et ses opinions. Si
on prêt attention aux événements de l’histoire, en effet, on peut bien comprendre
que Démétrios est intrigué par la beauté de Chrysis et par sa sensualité mais il se
rend compte que l’entière situation est en train de se tourner en une sorte
d’« esclavage » et qu’il doit réussir à la dominer pour obtenir la liberté
d’exprimer son art (Jean-Paul Goujon nous informe que le premier titre que
l’auteur avait voulu donner à son œuvre était précisément Esclavage).220
Dans son article, Lucile Farnoux analyse L’homme au pourpre, un autre roman
de Pierre Louÿs et ce qui résulte de son analyse est une figure d’artiste que
l’auteur se préoccupe de définir de manière très précise et il en garde les
caractéristiques aussi dans Aphrodite : Démétrios, de la même façon que l’artiste
de L’homme au pourpre, vit dans le luxe (en respectant la tradition antique), il est
entouré des belles filles et des serveurs, il est comparé à un dieu, une sorte de
Dionysos toujours à la recherche de son propre plaisir, il est en plus orgueilleux
et hédoniste, il est convaincu que son art est le meilleur et il éprouve du mépris
pour ses rivaux et pour le reste du genre humain.221
Giorgio Mirandola souligne un ultérieur aspect à propos du personnage de
Démétrios et il nous porte à considérer les raisons qu’ont conduits le sculpteur à
219
Ibidem. 220
Ibidem. 221
Lucile Farnoux, « La vie en échange de l‘immortalité de l’Art, ou le mythe de l’artiste chez Pierre
Louÿs et Constantin Théotokis », loc. cit., p. 284.
78
une telle fascination pour la belle courtisane ; c’est vrai que la beauté et la
sensualité de Chrysis ne sont pas restées inaperçues de Démétrios, mais il est vrai
aussi que, ces caractéristiques, il les aurait pu trouver n’importe dans quelle autre
femme de la ville. Ce sont l’indifférence et la hardiesse de la jeune femme qui se
promène sur le port à attirer son attention et à faire naître le désir dans notre
sculpteur ennuyé :222
Plus il pensait à elle, plus il savait gré d’avoir si joliment varié le débat des propositions.
Combien de femmes, et qui la valaient, s’étaient présentées maladroitement ! Celle-là, que
demandait-elle ? ni amour, ni or, ni bijoux, mais trois crimes invraisemblables ! Elle l’intéressait
vivement. Il lui avait offert tous les trésors de l’Egypte : il sentait bien, à présent, qui si elle les
eut acceptés, elle n’aurait pas reçu deux oboles et il se serait lassé d’elle avant même de l’avoir
connue. Trois crimes étaient un salaire assurément inusité ; mais elle était digne de le recevoir
puisqu’elle était femme à l’exiger.223
Le rêve qui fait Démétrios, lequel lui montre, d’une manière très vivide, la
possibilité de « posséder » Chrysis lui offre une satisfaction telle que la réalité
même ne pourrait pas faire mieux et, par conséquence, la belle courtisane, même
présentant des caractéristiques rares et inimitables, revient à être une femme
comme toutes les autres aux yeux du sculpteur.224
Seulement le dernier geste de Chrysis, la fierté avec laquelle elle accepte son
destin de mort, suscite en Démétrios les sentiments de perfection qu’il avait
éprouvé au début et, à ce point, le choix logique qu’il fait, en suivant la pensé du
sculpteur qui est sans doute celle de l’auteur, est de renfermer cette perfection
dans une œuvre d’art qui puisse rester toujours immortelle.225
L’autre partie essentielle à la compréhension du roman est Chrysis, un
personnage particulier qui subit une véritable évolution au fur et à mesure qu’on
suit dans la lecture des pages.226
Jean-Paul Goujon affirme que la meilleure description de la protagoniste ne se
trouve pas à l’intérieur de la narration, mais elle est présentée dans un texte inédit
222
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 141-142. 223
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p. 78. 224
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit, p. 142. 225
Ibidem. 226
Ibidem, p. 151.
79
que Louÿs fait parvenir au peintre Albert Besnard aux fins qu’il préparait des
illustrations qui, en réalité, ne seront jamais réalisées :227
CHRYSIS
Aussi femme que possible.
Grande, pas maigre, très « belle fille ». Rien de vague ni de fuyant dans les formes. Toutes les
parties de son corps ont une expression propre, en dehors de leur participation à la beauté de
l’ensemble.
Cheveux châtain doré, presque vénitiens ; très vivants et mouvementés, nullement en fleuve. De
première importance dans le type de Chrysis.
Seins mûrs, mais le bassin beaucoup plus développé que la poitrine, susceptible de hancher et de
se cambrer de telle sorte que tout le haut du corps n’apparaisse plus qu’en accessoire.
Le ventre nettement dessiné par un pli qui double la ligne des aines ; le pubis saillant ; le
nombril profond et ovale ; la taille grasse ; le départ des hanches carré ; la ligne vertébrale
creuse, les reins hauts.
Les bas, sans exagération de force ; mais les cuisses luxuriantes et musclées.
Cependant, des articulations d’Orientales, délicates, la rotule petite, le coude sans rondeurs, la
cheville étroite, le pied expressif.
Visage sensuel, plus malin qu’intelligent, autoritaire sans sévérité. Les paupières grasses, jamais
très ouvertes ; les yeux vert foncé, presque bleus, et brillants ; la bouche ayant tous les appétits,
épaisse et humide – mais intéressante. Les narines, de la même race que la bouche. – Lèvres,
mamelons et ongles peints. Aisselles épilées.
Vingt ans ; mais vingt ans en Afrique.228
Après avoir obtenu une idée picturale de l’aspect extérieur de la jeune fille, on
peut passer à l’analyse de son évolution caractérielle dans le texte. Giorgio
Mirandola nous dit que l’auteur, dans la composition de son roman, ne se donne
pas une ligne à suivre, il n’organise pas le travail, de manière que et les
personnages et les événements suivent des changements et des modifications
évidentes pendant tout le développement de l’histoire.229
Dans tous les pays du monde, les dieux sont descendus sur la terre et ont aimé des femmes
mortelles. Ah ! sur quels lits faut-il les attendre, dans quelles forêts faut-il les chercher, ceux qui
sont un peu plus des hommes ? Quelles prières faut-il dire pour qu’ils viennent, ceux qui
m’apprendront quelque chose ou qui me feront tout oublier ? Et si les dieux ne veulent plus
descendre, s’ils sont morts, ou s’ils sont trop vieux […], mourrait-je aussi sans avoir vu un
homme qui mette dans ma vie des événements tragiques ?230
227
Jean-Paul Goujon, Pierre Louÿs, une vie secrète (1870-1925), op. cit., p.174. 228
Inédit (vente Drouot, 18 novembre 1986, n° 12). 229
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 151. 230
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p.
80
Dans les premiers deux livres et jusqu’à la fête organisée par Bacchis (courtisane
amie de la protagoniste), Chrysis est décrite dans sa « lenteur » et sa volupté de
courtisane préoccupée seulement pour son aspect et sa toilette, ses désirs et ses
objectifs sont superficiels et la seule chose qu’elle désire vraiment est d’obtenir
le succès et, par conséquence, la jalousie des autres femmes, à travers la conquête
et la soumission de l’idole indiscutable de toutes les femmes, le sculpteur
Démétrios.231
À ce point de la narration les deux protagonistes différent beaucoup l’un de
l’autre, car Chrysis est séductrice, indifférente et superficielle, et Démétrios est,
au contraire, anxieux, inquiet et comme étouffé de l’amour.232
Suivant dans la narration, Chrysis devient un personnage plus complexe parce
que ses désirs se font plus profonds et son attitude plus ambiguë ; par exemple,
dans le sixième chapitre du troisième livre, Giorgio Mirandola remarque deux
différentes attitudes qui caractérisent les gestes de la courtisane : d’une partie elle
se montre orgueilleuse pour avoir atteint son but d’attirer sur sa personne les
attentions de Démétrios ; elle est envahie par les sentiments de pouvoir et de
possession, des sensations qui la rendent une figure ambitieuse et dynamique :233
Il avait obéi, donc il était captif. Cet homme libre, impassible, froid, subissait lui aussi
l’esclavage, et sa maîtresse, sa dominatrice, c’était elle, Chrysis, Sarah du pays de Génézareth.
Ah ! Songer à cela, le répéter, le dire tout haut, être seule ! […] Il avait fait cela. Il avait fait tout
pour elle, plus qu’aucun amant avait fait pour aucune femme, sans doute. Elle ne se lassait pas
de le redire, et de s’affirmer son triomphe. Démétrios, le Bien-Aimé, le rêve impossible et
inespéré de tant de cœurs féminins, s’était exposé pour elle à tous les périls, à toutes les hontes,
à tous les remords, volontiers.234
De l’autre partie, le rencontre avec Démétrios dévoile sa réelle nature de jeune
fille amoureuse et, de cette façon, la possession, qu’on peut bien appeler
« esclavage », se transforme dans une passion qui est « aigue, vive et
irrationnelle » pour Chrysis, mais « froide et cérébrale » pour Démétrios.235
231
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 151. 232
Ibidem, p. 151. 233
Ibidem, p. 151-152. 234
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p. 156-157. 235
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 152.
81
La demande du sculpteur (c’est-à-dire se montrer en public avec les dons volés),
en réponse au désir qui maintenant reste inachevé chez la courtisane, comporte
un autre changement dans le caractère de Chrysis qui se révèle de nouveau la
femme orgueilleuse et désireuse de pouvoir qu’elle était au début. La sensation
d’amour qu’elle sentait pour Démétrios semble s’être évanouie en fumée, comme
s’il s’était agi seulement d’un moment d’égarement :236
Le premier mouvement de Chrysis fût de hausser les épaules. Elle ne serait pas si naïve que de
tenir son serment ! […] Quant à Démétrios elle saurait bien le reprendre par une manœuvre
ultérieure. Comment croire qu’il était détaché d’elle à jamais ! La passion qu’elle lui supposait
n’était pas celles qui s’éteignent sans retour dans le cœur de l’homme. Les femmes qu’on a
beaucoup aimées forment dans la mémoire une famille d’élection et la rencontre d’une ancienne
maîtresse, même haïe, même oubliée, éveille un trouble inattendu d’où peut rejaillir l’amour
nouveau. Chrysis n’ignorait pas cela. Si ardente qu’elle fût elle-même, si pressée de conquérir
ce premier homme qu’elle eût aimé, elle n’était pas assez folle pour l’acheter du prix de sa vie,
quand elle voyait tant d’autres moyens de la séduire plus simplement.237
À la fin de la narration elle change encore d’opinion, elle subit donc une autre
mutation dans son caractère parce que, dans son choix de se montrer en public
avec les dons, nous dit toujours Giorgio Mirandola, il y a la manifestation d’un
désir nouveau qui s’insinue en elle, le désir d’éprouver une sensation unique,
dans l’occasion ne se présentera jamais deux fois dans la vie, même si elle est
bien consciente qu’il n’existe pas une issue à cette situation.238
Elle dit à ses
servantes : « Regarde bien ma Rodhis ; regarde Myrtocleia. Ce que vous verrez
aujourd’hui, les yeux humains ne l’ont jamais vu, depuis les jours où la Déesse
est descendue sur l’Ida. Et jusqu’à la fin du monde on ne le reverra plus sur la
terre ».239
Dans le dernier geste de Chrysis, ses désirs grandiloquents sont évidemment
dévoilés, mais il est important de souligner aussi qu’elle n’aura jamais la
possibilité d’en jouir pleinement, pas seulement parce qu’elle doit affronter la
236
Ibidem, p. 153. 237
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p. 200-201. 238
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 153. 239
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p. 205.
82
mort, mais surtout parce qu’ils la touchent trop en profondeur, c’est comme si
elle s’était trouvée bouleversée par toutes ces émotions.240
Les deux personnages, Giorgio Mirandola affirme, sont grecs et modernes, au
même temps ; les figures qui résultent de ce mélange d’attitudes sont des figures
complexes, prêtes à n’importe quoi, à la mort aussi, pour enfuir du quotidien, de
leur solitude et de la froideur qui entoure ses sentiments. Ils sont donc présentés
comme des personnages appartenant à l’antiquité, mais porteurs d’un caractère
déterminé par le « spleen et l’esthétisme ».241
Démétrios, dans le moment où il accepte le vœu que Chrysis lui impose, agit
comme un « dandy du XIXe siècle », dédié à la construction de son image
comme une œuvre d’art et de sa vie comme roman d’aventures :242
L’aventure qu’il poursuivait lui parut vraiment trop intéressante pour en escamoter les incidents
violents. Il craignit de regretter plus tard d’avoir effacé de l’intrigue une scène courte et
cependant nécessaire à l’harmonie de ses proportions. Souvent il ne faudrait qu’une défaillance
vertueuse pour réduire une tragédie aux banalités de l’existence normale. La mort de Cassandre,
se dit-il, n’est pas un fait indispensable au développement d’Agamennon, mais si elle n’avait pas
lieu, toute l’Orestie en serait gâtée.243
Pour ce qui concerne Chrysis, les raisons pour lesquelles elle accepte le vœu de
Démétrios sont les mêmes que le sculpteur, avec la seule différence qu’elle veut
faire d’elle-même un personnage célèbre et inoubliable et, pour la réalisation de
ce but, elle a besoin d’un « public qui applaudit ».244
Les thèmes traités par l’auteur à l’intérieur du roman sont situés dans une époque
antique mais ils concernent des « inquiétudes modernes », comme nous dit Jean-
Paul Goujon, que Louÿs, en tant qu’homme de son âge, ne peut pas ignorer.245
Peter Read identifie le développement de trois variantes à propos de l’opposition
« imagination-réalité » : la première opposition est visible dans la supériorité de
la statue d’Aphrodite sculptée par Démétrios en comparaison avec la reine
240
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., 153-154. 241
Ibidem, p. 154-155. 242
Ibidem, p. 156. 243
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p. 95. 244
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 157. 245
Jean-Paul Goujon, Pierre Louÿs, une vie secrète (1870-1925), op. cit., p. 175.
83
Bérénice qui avait posée comme modèle, de la même façon on prend conscience
de la supériorité de la statue de Chrysis par rapport au cadavre en décomposition
et, avant l’idéation de la statue, de la supériorité du rêve qui fait Démétrios, où il
s’entretient avec Chrysis, en comparaison avec une réelle relation avec la
courtisane.246
L’art est le moyen à travers lequel la supériorité se manifeste, au-dessus de
l’amour et de la vie aussi ; les trois variantes, de leur part, se développent dans
une structure narrative divisée en deux parties distinctes : une partie dédiée à
l’expression de la passion physique et une autre utilisée par exprimer l’idéal
esthétique qui peut prendre forme seulement dans le marbre. De cette façon,
pendant toute la narration, on assiste à la domination de deux sculptures qui sont
porteuses de caractéristiques en opposition.247
La statue d’Aphrodite est associée au clair de lune, elle est une figure nue, fière
et début, dans une main elle tient un miroir et, avec l’autre, elle arrange son
collier (à démonstration de la vanité narcissique de son modèle, la reine
Bérénice) ; elle est la représentation de l’art monumentale avec ses conventions
et son expression solitaire.248
La statue de Chrysis est associée à la splendeur du soleil, elle est sculptée en
position horizontale, immortalisée dans un spasme de mouvement physique ; elle
est la représentation de l’art modernes qui veut s’exprimer à travers une beauté
différente de la classique, donc une beauté sensuelle et convulsive.249
Lucile Farnoux remarque une opposition semblable qui s’exprime dans la
littérature de Louÿs : le conflit entre art et vie. Elle affirme que le conflit existe
sans doute, mais l’auteur cherche à n’en pas rendre l’artiste conscient, la seule
chose qui le concerne est le mépris pour le modèle de ses œuvres qui, au
contraire, résultent si parfaites.250
246
Peter Read, « Pierre Louÿs, Rodin and Aphrodite », loc. cit., p. 58. 247
Ibidem, p. 59. 248
Ibidem. 249
Ibidem. 250
Lucile Farnoux, « La vie en échange de l‘immortalité de l’Art, ou le mythe de l’artiste chez Pierre
Louÿs et Constantin Théotokis », loc. cit., p. 286.
84
L’exemple que Lucile Farnoux donne n’est pas celui d’Aphrodite, mais on peut
quand même le prendre en considération, car le thème ne change pas et il nous
permet d’avoir, en plus, une vision plus ample de la pensée de l’auteur. Dans
L’homme de pourpre, toujours de Pierre Louÿs, le modèle meurt à cause des
tortures (il devait exprimer la souffrance du titan Prométhée) et la foule proteste à
grand voix cette perte parce que l’esclave, qui a servi de modèle, est en réalité le
médecin Nicostrate, un homme libre et bienfaisant, fait prisonnier après la
conquête de son territoire (Olynthe) par Philippe. La proteste s’arrêt dans le
moment où l’artiste hisse sur sa tête le tableau de Prométhée et la foule reste
muette avant d’acclamer avec stupeur la beauté et la perfection de ce qu’elle est
en train de voir.251
C’est l’essence même de l’art qui permet à l’artiste de se situer au-dessus de la
loi, grâce à sa capacité de transformer quelque chose d’accessoire en une œuvre
universelle, où la douleur d’un seul homme est transformé par l’artiste en la
représentation de la « douleur de l’humanité », quelque chose d’universel ; pour
cette raison, la vie du modèle Nicostrate, qui est inestimable seulement à partir
du fait qu’elle est une vie, résulte, face à l’œuvre d’art, une chose d’aucune
valeur.252
Dans l’idée de l’art qui prend la place de l’humanité il y a quelque chose de
paradoxal parce que c’est toujours l’homme qui se sacrifie pour un autre
homme : l’exaltation de la figure humaine dans sa splendeur, c’est-à-dire dans
l’image de Prométhée, est possible seulement à détriment d’une autre figure
humaine qui est aussi noble et au service de l’humanité que l’autre, car
Nicostrate est un médecin.253
On s’aperçoit, dans ce roman comme dans Aphrodite, que l’idée clé de la
Décadence, et donc de Louÿs aussi, est la supériorité de l’art sur la vie, où
l’artiste est un être supérieur, caractérisé par le mépris vers ses semblables et une
vie conduite dans le luxe, en opposition à la figure de Prométhée, qui est quand
251
Ibidem, p. 286-287. 252
Ibidem, p. 287. 253
Ibidem.
85
même un créateur, une sorte d’artiste. S’opposent, de la même façon, deux
différentes conceptions de l’art, une utile et productrice de vie, et l’autre pure qui
se situe au-dessus de la vie.254
C’est à partir de cette idée, qui détermine presque toute l’œuvre de Louÿs, que
Giorgio Mirandola affirme que Démétrios « parcourt, à reculons, le chemin de
Pygmalion ».255
Avant de vivre l’expérience extraordinaire que Chrysis lui permet
d’expérimenter, Démétrios garde sa personne et son art jalousement, c’est
seulement après cette expérience qu’il se sent revivifié, comme si son existence
recommençait finalement de manière nouvelle.256
Le sculpteur refuse l’amour que Chrysis veut lui donner parce que la réalité n’est
pas capable d’égaler le rêve d’idéal, mais il ne faut pas oublier que la statue ne
sort pas d’un rêve mais elle naît d’un modèle réel.257
Ensuite, la mort de Chrysis lui donne l’occasion d’exprimer la nouvelle idée qui
commence à grandir en lui, c’est-à-dire la décision d’abandonner la perfection
irréelle, dépourvue de sentiments (telle que la statue d’Aphrodite dans le temple)
pour laisser l’espace à une nouvelle évaluation de la joie et de la douleur :258
S’il redoutait une seconde épreuve, si, sorti victorieux de la lutte, il se jurait avant toutes choses
de ne plus s’exposer à fléchir sa belle attitude prise en face d’autrui, du moins venait-il de
comprendre que cela seul vaut la peine d’être imaginé, qui atteint par le marbre, la couleur ou la
phrase une des profondeurs de l’émotion humaine, - et que la beauté formelle n’est qu’une
matière indécise, susceptible d’être toujours, par l’expression de la douleur ou de la joie,
transfigurée.259
Le corps mort de la jeune courtisane revit à travers l’art de Démétrios jusqu’au
point qu’elle atteint l’immortalité ; dans le moment où elle est disposée en une
pose convulse, sa beauté arrive à dépasser celle du rêve260
: « Jamais, dans
254
Ibidem. 255
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 147. 256
Ibidem, 148. 257
Ibidem. 258
Ibidem. 259
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p. 223-224. 260
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 149.
86
aucune lumière, pas même celle de son rêve, Démétrios n’avait vu cette beauté
plus qu’humaine et ce rayonnement de la peau qui s’éteint ».261
Une fois terminée l’œuvre, le lien qui réunissait la beauté avec la vie, à travers le
travail du ciseau, se rompt et Chrysis retourne à être un corps mort sur lequel la
nature agit sans aucune exception :262
Myrtocleia venait d’écarter la couverture roulée autour de la morte, et le visage était apparu si
rapidement altéré que les deux jeunes filles reculèrent. Les joues s’étaient faites carrées, les
paupières et les lèvres se gonflaient comme six bourrelets blancs. Déjà il ne restait rien de cette
beauté plus qu’humaine.263
À la fin, Giorgio Mirandola explique que la valeur morale du roman est l’habilité
de faire de la beauté humaine un moyen à travers lequel on peut cueillir la beauté
idéale, avant que cette première se réduit en poudre ; il s’agit en effet d’un
message opposé à celui qui transmet le conte de Pygmalion, qui est à la recherche
de l’idéal, mais il cherche plutôt à le concrétiser dans le contexte humain, de la
vie et de la réalité.264
Giorgio Mirandola nous informe aussi que la particularité du roman de Louÿs est
le fait qu’il se préoccupe de présenter des allusions qui, en conclusion, ne
réussissent jamais à se concrétiser ; cet aspect est visible et dans le cas de
l’amour et dans celui de la passion.265
Pour ce qui concerne l’amour, il ne s’agit jamais du véritable amour, il se révèle
être toujours volupté. Le thème est développé en particulier dans la scène du
banquet chez la courtisane Bacchis, où tous les invités expriment leur opinion à
ce propos, mais il n’y a aucune recherche de la vérité profonde du concept, au
contraire ils se limitent à ouvrir des discussions fondées sur discours paradoxaux
ou monologues pleins d’aphorismes et personne s’intéresse vraiment à l’opinion
d’autrui. L’amour est vécu à travers le péché parce que les personnages et
l’époque que l’auteur décrit ne le connaissent pas ; il y a quand même une
261
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p. 224. 262
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 150. 263
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p. 236. 264
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 150 265
Ibidem, p. 142-143.
87
divergence entre la vision féminin de l’amour et celle masculine : les courtisanes
Bacchis, Chrysis, mais aussi les autres, voient ce sentiment comme une
expression de volupté et de conquête tandis que les hommes ont une opinion
négative qui est bien expliquée à travers les mots de Naucratès, invité au banquet
lui aussi :266
Que dirais-je de l’amour ? […] C’est le nom qu’on donne à la Douleur pour consoler ceux qui
souffrent. Il n'y a que deux manières d’être malheureux : où désirer ce qu’on n’a pas, où
posséder ce qu’on désirait. L’amour commence par la première et c’est par la seconde qu’il
s’achève, dans le cas le plus lamentable, c’est-à-dire dès qu’il réussit. Que les dieux nous
sauvent d’aimer !267
Mirandola souligne que la pensée que Naucratès exprime avec des nuances
philosophiques est la même que Démétrios exprime de manière artistique.268
Hans-Roland Johnsson nous informe justement, à ce propos, que Louÿs refuse
l’amour, entendu en sens proprement chrétien, et il propose, au contraire, une
solution pour fuir à la force destructrice de l’amour : fréquenter les courtisanes
est la manière meilleure pour pouvoir jouir des certains plaisirs sans devoir
renoncer à la précieuse condition de liberté, ce qui est nécessaire à l’artiste pour
pouvoir s’exprimer complètement. C’est donc l’amour le responsable de
l’empêchement de l’expression artistique, mais, grâce à la figure de la courtisane,
l’homme et la femme, ils peuvent se rencontrer dans l’Art, le premier sous le rôle
d’artiste et la seconde sous celui de modèle, ce qui rappelle exactement le final
décrit dans Aphrodite.269
La passion est l’autre thème qui se présente sous forme d’allusion et qui ne
s’achève jamais en quelque chose de concret ; elle se révèle être, à la fin, une
simple expression du désir. En effet, les deux protagonistes n’agissent qu’avec le
but de satisfaire leurs désirs et leurs plaisirs et ils dédient toute leur vie à cette
recherche.270
266
Ibidem, p. 157-158. 267
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p. 133-134. 268
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 158. 269
Hans-Roland Johnsson, « Louÿs et l’idéal antique », loc. cit., p. 184. 270
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 142.
88
L’exaltation des sens et des plaisirs, entre lesquels est située la sensualité, est
considérée la condition nécessaire pour pouvoir évoluer intellectuellement, car la
vision que Louÿs veut donner au lecteur est celle d’une Grèce antique, délivrée
des contraintes morales que la culture hébraïque-chrétienne impose dans les
époques suivantes :271
Il semble que le génie des peuples, comme celui des individus, soit d’être, avant tout, sensuel.
Toutes les villes qui ont régné sur le monde : Babylone, Alexandrie, Athènes, Rome, Venise,
Paris, ont été, par une loi générale, d’autant plus licencieuses qu’elles étaient plus puissantes,
comme si leur dissolution était nécessaire à leur splendeur. Les cités où le législateur a prétendu
implanter une vertu artificielle étroite et improductive, se sont vues, dès le premier jour,
condamnées à la mort totale. Il en fut ainsi de Lacédémone, qui, au milieu du plus prodigieux
essor qui ait jamais élevé l’âme humaine, entre Corinthe et Alexandrie, entre Syracuse et Milet,
ne nous laisse, ni un poète, ni un peintre, ni un philosophe, ni un historien, ni un savant […] Et
c’est pour cela qu’après deux mille années, mesurant le néant de la vertu spartiate, nous
pouvons, selon l’exhortation de Renan, « maudire le sol où fut cette maîtresse d’erreurs
sombres, et l’insulter parce qu’elle n’est plus ».272
Quand Louÿs parle de Sparte, en réalité, il veut faire référence à Genève et à la
moderne morale protestante qui est en train de prendre pied à l’époque dans
laquelle l’auteur vit.273
Pour terminer, Jean-Paul Goujon nous fait savoir les raisons du grand succès
qu’Aphrodite a eu et à l’époque et dans le siècle suivant. Précédemment on a pu
vérifier que le roman a eu une très bonne publicité, offerte de Coppée et d’autres
illustres de l’époque, mais ce n’est pas la seule raison.274
Louÿs définit Aphrodite « un roman antique sur la femme et sur la lumière », où
les descriptions minutieuses des lieux (qui permettent au lecteur d’entrer
vraiment dans un monde antique) passent en second plan pour laisser de la place
aux thèmes concernant la femme et la liberté.275
Le lecteur de l’époque commence à se lasser de la précision réaliste du
Naturalisme, d’une partie, et des images floues du Symbolisme, de l’autre partie ;
le roman de Louÿs se situe jusqu’au milieu des deux courants, en offrant quelque
271
Ibidem, p. 142-143. 272
Pierre Louÿs, Aphrodite, mœurs antiques, op. cit., p. 11-12. 273
Giorgio Mirandola, Pierre Louÿs, op. cit., p. 144. 274
Jean-Paul Goujon, Pierre Louÿs, une vie secrète (1870-1925), op. cit., p. 171-172. 275
Ibidem, p. 176.
89
chose de nouveau qui intrigue et fascine. Le Mercure de France apprécie
précisément la capacité de ce roman de ne pas faire partie ni du Naturalisme,
duquel, affirme Goujon, il prend sa revanche, ni du Symbolisme, duquel il réussit
à se délivrer.276
Aphrodite fait naître la mode d’écrire à propos de l’antiquité, même s’il faut
avouer qu’aucun roman de l’époque réussit à survivre dans le temps de la même
façon que le roman de Louÿs a réussi et continue à réussir.277
Le succès d’Aphrodite est remarquable aussi en matière de publications : en
1896, date de la première publication, 31 000 exemplaires sont vendus et les
traductions sont proposées en plusieurs langues. En novembre 1896, Louÿs
propose au Mercure de France une publication plus raffinée, dans le format in-
8°, de seulement 650 exemplaires ; ce qui est important souligner de cette édition
est la recherche de perfection que l’auteur cherche à donner à son chef-d’œuvre
en apportant plus de 150 corrections par rapport à la publication précédente.278
276
Ibidem. 277
Ibidem, p. 178. 278
Ibidem, p. 179.
93
On a eu l’occasion de constater, à partir déjà du premier chapitre, comment le
mythe de Pygmalion, n’a jamais cessé d’influencer la littérature française, et pas
seulement celle française, pendant toutes les époques.
Ce qu’il est important de noter, après avoir procédé avec l’analyse de trois textes
très différents entre eux, sont les approches et les intentions qui ont portés les
trois auteurs du XIXe siècle à choisir comme source inspiratrice, ou au moins à
vouloir rappeler, l’antique mythe ovidien.
Le rappel qui se trouve dans La Vénus d’Ille part de l’inscription : « CAVE
AMANTEM », phrase qui est traduite par l’auteur même avec « prend garde si
elle t’aime ». À travers ces mots prend forme une révolution des rôles parce que
Pygmalion finit par ne plus être joué par l’aimant mais plutôt par l’antiquaire. De
cette façon, l’amour est enlevé des thèmes principaux de l’histoire, ou mieux, le
type d’amour qui prévoit une union charnelle et un investissement réciproque
d’émotions entre un homme et une femme disparait pour laisser la place, au
contraire, à un amour qui serait mieux appeler, pour ses caractéristiques,
idolâtrie, car la fonction primaire de celui qui est désigné pour prendre la place
de l’aimant est celle de contempler.
Nous sommes donc face à un héros-artiste qui se dissocie des caractéristiques
classiques du personnage du mythe.
Les caractéristiques de la statue sont, elles aussi, révisées en choisissant plus
volontiers une vision médiévale que classique : le marbre, qui reste toujours la
représentation de la Beauté idéale, prend aussi les nuances d’une figure
démoniaque qui s’anime pour obtenir la vengeance.
C’est à cause de ces changements que, comme Michael Andermatt avait
remarqué précédemment, l’amour perd le pouvoir d’animation qu’il avait dans le
mythe classique, pour laisser la place à d’autres valeurs, telles que la
compétition, le pouvoir, les aisances et la carrière.
Pour comprendre mieux le choix fait par Mérimée il suffit de prendre en
considération l’idée qu’il a de la mythologie et de l’utilisation des mythes. Il est
94
convaincu, premièrement, que les éléments typiques des mythes se prêtent à plus
d’une interprétation et c’est la littérature qui s’occupe de les transmettre en les
modifiant et en les reformulant, au but d’exprimer le mieux possible la culture de
plusieurs peuples et pays. En second lieu, il veut démontrer que la reprise d’un
mythe signifie faire étalage de loyauté vers l’Antiquité, une loyauté qui est
possible exprimer parce que le mythe se prête à un langage métaphorique, fait
d’images simples et communes à plusieurs cultures.
De cette façon, le type d’influence que Pygmalion a à l’intérieur de la narration
mériméenne est compréhensible et, en même temps, il nous est possible de saisir
le message moderne que l’auteur a voulu nous transmettre.
Dans L’Ève future la reprise du mythe est plus développée et les personnages
présentent des caractéristiques très reconnaissables qui nous permettent de bien
identifier leur rôles : Hadaly est clairement la Galatée de Pygmalion tandis que
Miss Alicia Clary, toujours voulant être la représentation de Galatée, elle
l’interprète dans son état statuaire. En ce sens il y a un renversement du concept
d’animé et d’inanimé, ce qui sert à donner le message de l’existence d’une
technologie conçue avec le but de remplir les lacunes que la nature
malheureusement présent ; donc l’artefact inanimé prend l’aspect d’un être
parfait qui est capable d’imiter la vie d’une manière aussi vraisemblable qu’il
réussit à l’améliorer, et la femme vivante, au contraire, semble rester prise au
piège par son imperfection, un simple enveloppe dépourvu de sa « flamme ».
Pygmalion, dans la mesure où il achève la concrétisation de son idéal féminin, est
prêt à se contenter d’une substitution, c’est-à-dire d’une femme semblable à sa
statue qui, à ses yeux, résulte plus parfaite que les femmes existantes dans le
réel ; Lord Ewald, de sa part, a déjà trouvé son idéale et son problème est plutôt
celui de pouvoir le substituer. À la fin, Lord Ewald obtient effectivement une
substitution, tandis que Pygmalion, grâce à la prière qu’il adresse à la déesse
Vénus, réussit à disposer d’une véritable transformation de sa propre statue
parfaite dans un être finalement animé.
95
Au-delà du résultat final, le but auquel et Lord Ewald et Pygmalion aspirent est
celui de la perfection, mais ils ne peuvent pas agir en solitude, ils ont besoin d’un
aide, d’un allié et, dans le roman de Villiers, ce rôle, qui est joué par la divinité
dans le mythe, est pris par le scientifique Thomas Alva Edison.
Il est évident que le modus operandi des deux auteurs, Villiers et Ovide, est
clairement différent parce que, en effet, le but communicatif est totalement
différent. Dans l’Antiquité, il était important de démontrer la puissance et la
bienveillance des dieux vers les hommes qui étaient ainsi pieux et respectueux,
mais, avec le temps et surtout au XIXe siècle, le Dieux se révèle ne plus être aussi
présent qu’autrefois et son absence devient une raison de défi, la raison qui a
porté Edison à chercher à dépasser l’action de la nature.
Il y a des autres éléments qui rapprochent L’Ève future au mythe de Pygmalion et
ils sont présentés à travers deux types de relation qui veulent, les deux, expliquer
la même idée de perfection dans l’idéale et d’imperfection dans le rèel :
premièrement l’artefact Hadaly, même dans ses phases initiales, est décrit
comme une idole, exemple de beauté et de perfection, elle n’est pas vide parce
qu’elle tient à son intérieur un esprit qui lui donne une sorte d’âme et il faut
compter, en plus, que la signification du nom « Hadaly » est précisément
« idole ». Il est particulier, à ce propos, l’association qui peut être établie entre
Hadaly et l’idole présentée dans La Vénus d’Ille de Mérimée, ce qui nous permet
d’avoir un autre témoignage de la volonté d’identifier la protagoniste de L’Ève
future comme une véritable idole, même si le regard mystérieux, qui était la
caractéristique prédominante dans la statue mériméenne, se retrouve dans le
personnage de Miss Alicia Clary, à témoignage, cette fois, de la stérilité statuaire
de la femme réelle.
L’autre relation qui veut présenter ce même aspect du mythe de Pygmalion
cherche à exprimer les effets contraires à ceux qui caractérisent l’harmonie
mécanique de Hadaly, donc l’opposé de la perfection, car le personnage en cause
est une femme en chair et os ; le rapport mis en place est celui entre Evelyne
96
Habal, femme vivante, et son « art de la toilette » qui l’aide à cacher toutes les
imperfections grotesques qui « composent » sa figure.
Pour ce qui concerne Aphrodite, le thème pygmalionesque est développé d’une
manière plus complexe et subtile.
Il s’agit d’un roman qui appartient aux dernières années du XIXe siècle, une
époque qui voit la naissance des Parnassiens et des Décadents, desquels l’auteur
fait partie, mais il diffère des autres écrits de la même période parce qu’il se
préoccupe de proposer un retour à une époque et à des coutumes anciens, une
antiquité à travers laquelle pouvoir passer un message moderne.
Dans ce cas, le discours qui reprend le mythe de Pygmalion se focalise le plus sur
l’Art, une art qui gagne sur la Vie, et sur un développement où le parcours que
Pygmalion fait dans le mythe est répliqué par le protagoniste Démétrios, mais à
reculons. Pygmalion s’aperçoit que la perfection marmoréenne ne lui suffit pas, il
sent le besoin de pouvoir transmettre de l’amour et, en effet, c’est juste l’amour
qui rend possible l’animation de la statue (en association avec la puissance de la
divinité) ; au contraire, Démétrios recherche la perfection marmoréenne, car
l’amour ne fait pas partie de ses besoins et, même s’il semble qu’il ait trouvé
cette perfection en Chrysis, le problème fondamental est que ce qu’on peut
trouver dans le réel n’est pas destiné à survivre.
C’est le développement du thème de l’art pour l’art, où les sentiments n’occupent
plus une place importante dans la narration, ils sont, au contraire, à peine
nommés et ils sont introduits de manière voilée, sous forme d’une allusion qui ne
réussira jamais à voir un achèvement.
La nécessité de Démétrios est celle de rendre immortelle la beauté idéale qui se
trouve dans un corps vivant, tandis que la nécessité de Pygmalion est celle de
transformer l’immortelle beauté marmoréenne dans un corps vivant.
Il est donc évident que les deux personnages et du mythe et du roman affrontent
le même parcours mais ils partent l’un d’un point opposé par rapport à l’autre.
97
Si Démétrios peut bien jouer le rôle de Pygmalion, Chrysis, de sa part, avec sa
beauté et sa perfection, finit plus volontiers par rappeler une divinité qu’une
Galatée ; elle peut bien être considérée la démonstration vivante de la nature
parfaite des dieux, d’une côté, et à travers son sacrifice, de l’autre côté, elle est la
porteuse du message moderne d’un art qui dépasse la vie et qui gagne sur tout le
reste.
En conclusion, il faut faire le point sur certains aspects que les trois œuvres ont
en commun.
On peut partir du fait que chaque idole possède un double : La Vénus d’Ille décrit
une statue de bronze retrouvée à Ille qui est identique à la future épouse
d’Alphonse de Peyrehorade, Mlle Puygarrig, dans le cas de L’Ève future le
processus se répète deux fois, c’est-à-dire dans la Vénus de Milo qui voit son
double en Alicia Clary qui, à son tour, voit son double en Hadaly et,
dernièrement, Aphrodite qui présente cet aspect dans deux statues différentes et
opposées, celle de l’Aphrodite du temple qui est sculptée sur le modèle de la
reine Bérénice et la statue de Chrysis qui immortalise éternellement la perfection
de la courtisane vivante. Dans Pygmalion, au contraire, l’absence d’un modèle de
référence est soulignée, il n’existe aucun double car la statue est substituée par la
femme vivante, ni redoublée ni imitée.
Encore, à l’intérieur des trois narrations, l’absence d’amour attire l’attention ; un
des éléments le plus important dans le mythe d’Ovide semble n’avoir aucune
importance pour les auteurs du XIXe siècle.
Dans La Vénus d’Ille, cette absence porte à la vengeance, dans L’Ève future
accompagne le défi et dans Aphrodite souligne la supériorité de l’art.
L’absence du sentiment amoureux se manifeste principalement à travers les
protagonistes masculins, les trois unis par leur caractéristique de présomption.
Comme nous avons souligné plusieurs fois précédemment, l’amour est quelque
chose de fondamental dans le mythe de Pygmalion et le fait que, dans les trois
98
romans, ce sentiment ne soit pas pris en considération est cause du changement
que la figure de Pygmalion subit au XIXe siècle.
Tous les trois de la même façon, l’antiquaire, Lord Ewald et Démétrios cherchent
une substitution à la réalité pour pouvoir contempler une beauté éternelle, une
figure qui n’ait pas le problème de subir l’action du temps.
Il est donc vrai que les trois protagonistes masculins ont le même but, caractérisé
par la même absence, mais il y a quand même une différence subtile : les deux
premiers romans cherchent à donner, à la fin, une sorte de morale, à expliquer
qu’un comportement mauvais, d’indifférence (dans le cas de La Vénus d’Ille, de
la part de Alphonse de Peyrehorade) ou d’ambition titanesque (c’est-à-dire le
projet du scientifique Edison) ont toujours des conséquences, une punition
« divine » qui fait prendre conscience à l’être humain de la place qu’il doit
occuper.
Dans le cas d’Aphrodite, il y a un développement opposé parce que l’être humain
finit par devenir divinité, Démétrios avec son habilité de sculpteur inégalable et
Chrysis avec la perfection de ses formes, immortalisées éternellement sur le
marbre ; le contexte, en effet, est celui de l’Egypte et donc d’une culture qui est
accoutumé à considérer les souverains, le pharaon en particulier, comme s’ils
étaient des divinités. Dans Aphrodite la morale est substituée par le message
d’une culture qui privilégie l’art pour l’art.
Dernièrement il faut souligner la raison principale qui rapproche les trois romans
entre eux et au mythe de Pygmalion : l’animation !
Il s’agit de trois manières différentes de proposer le même thème, celui de
l’animation : Mérimée offre une véritable animation, d’un objet inanimé à un
corps animé, Villiers cherche à imiter le processus d’animation à travers la
technologie et Louÿs, nous l’avons déjà remarqué, préfère parcourir le chemin à
reculons, en donnant une démonstration du succès qui provoque la tentative
d’arrêter l’était d’animation, c’est-à-dire d’arrêter la vie qui coule, et la réussite
donc d’éterniser à jamais la caducité de la perfection humaine.
101
Dans le deuxième chapitre qui concerne l’analyse de la nouvelle La Vénus d’Ille
de Prosper Mérimée, Maurice Parturier démontre la présence d’une source en
particulier qui a inspiré l’histoire développée dans la nouvelle mériméenne.
Il s’agit d’une légende que le moine Guillaume de Malmesbury insère à
l’intérieur de son livre De gestibus regum anglorum, texte qui traite de la
conquête et de la formation du royaume d’Angleterre. La légende porte le titre de
De annulo statuae commendato et elle se trouve dans la section « other
miraculous stories, two of Rome ».
Les éléments caractéristiques de cette histoire et ceux qui caractérisent l’histoire
racontée par Mérimée sont très semblables, presque identiques, donc il est permis
de faire une association entre les deux et d’affirmer que Mérimée était à
connaissance du texte de Guillaume de Malmesbury.
Ci-de suite on trouve la légende originale, extrapolée d’une copie, quand même
antique, du 1840.
109
TEXTES ÉTUDIÉS
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115
La tesi verte principalmente sul tema del mito di Pigmalione, ripreso e riadattato
su tre testi della letteratura francese: La Vénus d’Ille di Prosper Mérimée, L’Ève
future di Auguste de Villiers de l’Isle-Adam e Aphrodite, mœurs antiques di
Pierre Louÿs.
Nel primo capitolo viene presentata un’analisi abbastanza dettagliata del mito
ovidiano, a partire dalle probabili origini che hanno ispirato l’autore fino ad
arrivare alle varie sfaccettature dell’episodio focale dell’animazione della statua.
Oltre al trattamento del mito, il primo capitolo offre, inoltre, una panoramica
delle tematiche principali che hanno interessato Pigmalione nelle varie epoche,
nella letteratura francese, ma non solo; partendo dal XVII secolo, si passa per il
XVIII, per arrivare al XIX secolo, epoca che interessa tutti e tre i romanzi presi
in considerazione nella tesi.
Il XIX secolo, in particolare, sviluppa più approfonditamente il tema
dell’animazione e dell’amore per gli oggetti inanimati, il quale sentimento spesso
sfocia in deviazione, quindi feticismo, necrofilia e incesto; tali sviluppi portano
con sé la nascita di nuovi generi tragici, come il fantastico e il meraviglioso. Il
XIX secolo assiste inoltre, soprattutto per quanto riguarda la letteratura francese,
alla cosiddetta “coalescenza dei miti”, ossia la fusione del mito di Pigmalione
con altri miti del passato, con la funzione di esprimere tematiche e concetti
nuovi, in una maniera innovativa: Pigmalione finisce così per essere associato a
Prometeo, alla figura dell’Androgino e a Medusa.
Il capitolo si chiude con la presentazione delle ultime tendenze a proposito del
tema “pigmalionesco”, quindi i Parnassiani e i Decadenti che fanno scegliere a
Pigmalione l’Arte, in opposizione con la Vita; sul finire del secolo invece l’utile
che si sostituisce al bello fa in modo che l’artefatto si sostituisca all’arte e si
giunge, in fine, al XX secolo in cui prendono piede i corpi meccanici (robot,
androidi etc.) che continuano a intrattenere un legame con il mito di Pigmalione
e, allo stesso tempo, aprono una discussione sul rapporto tra arte, natura e
tecnologia.
116
Ogni capitolo successivo al primo si apre con la presentazione di una statua
rappresentativa o ispiratrice del testo che viene trattato, un punto di riferimento
significativo per quanto riguarda la referenza al mito antico.
Il secondo capitolo si apre con la presentazione della statua di Quinipily, un idolo
di dubbia provenienza situato in un comune della Bretagna francese che ha
attirato l’attenzione di più di un critico d’arte e antiquario, tra cui, senza alcun
dubbio, lo scrittore ed esperto d’arte, nonché Ispettore Generale dei Monumenti
storici, Prosper Mérimée.
La cosiddetta Venere di Quinipily è responsabile della stesura della novella La
Vénus d’Ille non solo per il mistero che aleggia attorno alle sue origini, ma anche
perché offre un incalzante escamotage all’autore che vuole dipingere, attraverso
tale racconto, l’intreccio di relazioni e, molto spesso, di litigi e discordie che
coinvolgeva i vari antiquari della sua epoca.
Il mito di Pigmalione si manifesta ovviamente nell’episodio della statua che
prende vita, anche se, in questo caso, l’atmosfera che viene a crearsi non è più
quella del soddisfacimento di un desiderio amoroso, ma si tratta piuttosto di
un’atmosfera tipica del romanzo di fine ottocento inglese, di mistero e di tenebre
che avvolgono l’enigmatica statua bronzea scoperta da Monsieur de Peyrehorade,
ritenuta responsabile dell’efferato crimine dell’uccisione del figlio, Alfonso de
Peyrehorade, nella notte delle sue nozze.
A differenza di Pigmalione, Alphonse de Peyrehorade non dimostra l’amore e la
dedizione che un uomo in procinto di sposarsi dovrebbe dimostrare nei confronti
della futura moglie ed è per questo che subisce la tragica “punizione”.
L’anello di fidanzamento sembra essere il principale responsabile
dell’animazione della statua e tale particolare apre la possibilità di inclusione di
altri racconti, in particolare una leggenda di ambientazione romana che viene
presentata nell’appendice, che potrebbero aver contribuito all’ispirazione di
Mérimée per il suo racconto.
Altri aspetti, come lo sviluppo di una narrazione picaresca alla Don Chisciotte, la
costruzione del personaggio-narratore del racconto e la morale implicita che
117
l’autore esprime, non solo in La Vénus d’Ille ma anche in altre sue opere con
personaggi femminili in primo piano, sono trattati in conclusione di capitolo.
Nel terzo capitolo viene presentata L’Ève future di Villiers, partendo da una
breve descrizione della celebre Venere di Milo, il marmo citato dall’autore nel
suo testo per poter far visualizzare al lettore la bellezza di Miss Alicia Clary, una
delle donne protagoniste della vicenda.
I temi principali che si inseriscono all’interno del romanzo sono il complesso
rapporto tra Arte e Vita, in cui la scienza e la tecnologia finiscono per prendere il
posto dell’Arte, la relazione di opposizione tra sesso maschile e sesso femminile
e il legame che si instaura tra l’essere umano e il suo destino. Tali tematiche sono
presentate attraverso gli atteggiamenti e le convinzioni dei personaggi del
romanzo che vengono analizzati, all’interno della tesi, uno ad uno.
Partendo dai personaggi maschili, sono offerte al lettore le linee caratteriali
fondamentali di Lord Celian Ewald, destinato al ruolo di Pigmalione, Thomas
Alva Edison, fedele alleato, nonché ideatore e animatore dell’artefatto femminile,
Miss Alicia Clary, donna in carne ed ossa, frivola e deludente nonostante la sua
bellezza sconvolgente, Evelyn Habal, altra donna reale che finisce per deludere le
aspettative e, in fine, Hadaly e Sowana, rispettivamente l’artefatto femminile
perfetto nell’aspetto e nell’atteggiamento e lo spirito misterioso che permette
all’artefatto di vivere di vita propria.
Le fasi di costruzione e animazione di Hadaly occupano la maggior parte del
testo e sono spiegate nel dettaglio, presentando delle soluzioni verosimilmente
scientifiche, quasi a dimostrare che lo scire e l’abilità umane sono in grado di
superare l’operato della natura; si tratta di una sorta di sfida nei confronti di un
dio lontano ed assente che, proprio a causa della sua assenza, è praticamente
impossibile combattere: alla fine del romanzo si può chiaramente comprendere,
infatti, nell’episodio del naufragio della nave in cui si era imbarcato Lord Ewald
con la sua Hadaly, che, nello scontro tra l’uomo e la natura, la natura avrà sempre
la meglio.
118
Di fondamentale importanza è poi lo sviluppo e il trattamento del mito di
Pigmalione all’interno del romanzo; al di là della trama che presenta le
caratteristiche tipiche di Pigmalione in Lord Ewald e quelle della sua Galatea
nella perfetta invenzione progettata da Edison, esistono due tipi di relazioni che
esplicitano il riferimento al mito, attraverso la tematica dell’idolatria e della
perfezione: il riferimento a La Vénus d’Ille nella descrizione di Hadaly, un
legame che porta ad assumere una visione dell’artefatto come un vero e proprio
idolo, e la relazione tra Evelyn Habal e la sua “arte della toeletta” che le permette
di nascondere la sua reale immagine grottesca e mostrare invece una perfezione
che, in realtà, non esiste.
Un occhio di riguardo è rivolto anche al tema del desiderio celibatario, a partire,
in questo caso, dal mito di Issione. Bertrand Vibert ne analizza le caratteristiche
principali e ne dimostra la presenza in tutti i personaggi maschili della vicenda
narrata da Villiers.
Alla fine del capitolo vengono definite le caratteristiche che distinguono tale
romanzo da quello del capitolo precedente e dagli altri testi appartenenti allo
stesso periodo storico e viene esplicitato, inoltre, il messaggio finale del
romanzo, ossia il significato del naufragio dell’imbarcazione che porta, non a
caso, il nome di Wonderful.
L’ultimo capitolo si occupa di Aphrodite, mœurs antiques di Pierre Louÿs, un
romanzo che si distacca completamente dai precedenti e che occupa un posto
privilegiato in termini di successo, sia di pubblico che della critica letteraria.
Il riferimento marmoreo questa volta è diretto: si tratta della statua descritta nel
romanzo, la sconvolgente creazione dello scultore, nonché protagonista,
Demetrio, il quale prende come modello il corpo senza vita di Criseide. Tale
scultura, nella realtà, prende forma grazie al magistrale scalpello dello scultore
più ammirato di Francia di tutti i tempi, Auguste Rodin, il quale, in buoni
rapporti con Pierre Louÿs, si propone di scolpire la statua per una delle due
rappresentazioni teatrali che vengono messe in scena all’epoca, visto il grande
successo che aveva riscosso il romanzo.
119
Dopo una prima presentazione del riferimento marmoreo, si prosegue con
l’analisi dell’opera e delle sue tematiche principali che riguardano soprattutto
l’Arte, quindi l’ideale dell’Arte per l’Arte e la condizione dell’artista e della sua
opera in un contesto che privilegia l’Arte alla Vita.
Una parentesi importante viene aperta sulla genesi dell’opera, che sembra
ispirarsi ad un sonetto in particolare di Victor Hugo, Pétrarque in cui viene
espressa a gran voce la preferenza e l’innalzamento dell’ideale a confronto con la
realtà, scelta che effettivamente l’autore fa in tutti i suoi testi, non solo in
Aphrodite.
L’analisi dei due protagonisti, lo scultore Demetrio e la bellissima cortigiana
Criseide, si sviluppa come un “duello” tra uomo e donna. Il personaggio di
Demetrio viene analizzato attraverso il paragone con un altro artista, protagonista
di un’altra vicenda scritta da Louÿs, L’homme au pourpre, mentre Criseide è
presentata a patire dal suo aspetto fisico, elemento che più di tutti la caratterizza e
la contraddistingue, e in seguito dalle sfaccettature del suo carattere.
È importante notare che, nonostante la vicenda sia ambientata in un’Alessandria
d’Egitto del I secolo a.C., sia i personaggi che i temi affrontati hanno un carattere
molto moderno, ossia in linea con le tendenze e le discussioni letterario-
filosofiche dell’epoca dell’autore.
Singolare è poi il modo in cui il mito di Pigmalione viene ripreso e rovesciato: la
vicenda dei due protagonisti infatti vede uno sviluppo esattamente opposto a
quello che Pigmalione aveva vissuto nel mito. Mentre il personaggio ovidiano
aspira alla vita e quindi all’animazione della statua per la quale finisce per
provare dei sentimenti reali, in Aphrodite l’aspirazione di Demetrio è quella di
poter immortalare eternamente l’effimera perfezione che è riuscito a trovare in
natura; si può ben comprendere quindi che lo scopo dei due protagonisti maschili
è esattamente agli antipodi perché, da una parte, Pigmalione prega per un
miracolo di vita mentre, dall’altra, Demetrio anela alla pietrificazione, cioè al
trionfo dell’Arte sulla Vita.