T 3 : SOCIALE ET IN à é HÈME STRATIFICATION ÉGALITÉS€¦ · différents groupes sociaux,...
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THÈME 3 : STRATIFICATION SOCIALE ET INÉGALITÉS
Vous avez vu en classe de première que les sociétés, toutes les sociétés, sont constituées de groupes sociaux (aucune société n'est donc parfaitement « homogène ») et que ce sont les liens, aussi bien entre membres d'un même groupe qu'entre membres de groupes différents, qui constituent la vie sociale. Ces groupes ne sont pas juxtaposés les uns à côté des autres, ils sont hiérarchisés et entretiennent donc des relations marquées par la domination de certains et par le fait qu'il existe des inégalités et des différences entre les membres des différents groupes.
Dans les sociétés modernes, ces groupes ne sont pas étanches (il y a toujours une certaine circulation d'individus entre les groupes). De même, au cours du temps, les groupes et leur hiérarchie (et donc les inégalités) se transforment. C'est un des aspects manifestes du changement social (ou de la dynamique sociale).
Nous allons donc partir de ce constat et nous demander comment et en quoi la stratification sociale se transforme au cours du temps (chapitre 1). Puis nous nous demanderons dans quelle mesure les individus peuvent circuler entre les groupes sociaux : c'est la question de la mobilité sociale (chapitre 2). En effet, vous savez bien que les privilèges ont été abolis en France à la Révolution et qu'on n'hérite plus automatiquement de la position sociale de son père. Mais y atil pour autant une réelle mobilité sociale ?
La persistance des inégalités et la difficulté de la mobilité sociale posent une question fondamentale à nos démocraties : comment assurer l'égalité des citoyens, l'égalité réelle et non l'égalité formelle des droits (qui est inscrite dans la Constitution) ? Mais avant de répondre à cette question, il faudra réfléchir au contenu même de la notion d'égalité : la société recherchetelle l'égalité ou la justice, n'y atil pas des inégalités justes ? Mais alors, qu'estce que nos sociétés appellent le « juste », quels sont les critères de ce qui est ressenti comme « juste » dans notre société ? Vous le voyez, on est ici dans le domaine des valeurs. Nous aborderons toutes ces questions dans le troisième et dernier chapitre, quand nous nous référerons à ce que l'on appelle « l'idéal égalitaire » dans les sociétés démocratiques.
CHAPITRE 1 : LA STRATIFICATION SOCIALE ET SA DYNAMIQUENous avons vu dans notre dernier chapitre que les mutations de l'économie, provoquées par le progrès
technique et la mondialisation, n'étaient pas profitables à tous : il y a ceux, qualifiés, qui profitent de la modification du marché du travail ; et il y a les autres, non qualifiés, qui sont au chômage ou acceptent des emplois précaires. Il y a les insiders, qui profitent des contrats de travail stables du « marché interne » du travail (CDI, temps plein, salaire croissant) ; et il y a les outsiders, qui subissent la précarité des contrats de travail flexibles du « marché externe » du travail » (CDD, intérims, temps partiels).
Ainsi, la société évolue, notamment avec les mutations de l'économie ; elle n'est pas statique. Et les salariés qui ne l'ont pas compris, et qui par exemple ne satisferaient pas à l'exigence de formation continue, risquent fort de dégringoler l'échelle sociale, de quitter les marchés internes du travail pour les marchés externes.
Mais toutes les évolutions de la société vontelles dans le sens de cette dualisation du marché du travail ? La stratification sociale évoluetelle vers plus d'égalité entre individus, ou vers plus d'inégalités ? C'est la question que nous nous poserons dans ce premier chapitre.
Pour y répondre, nous devrons tout d'abord nous attarder sur ce qu'est une inégalité. Puis nous détaillerons les inégalités que connaît la société française. Nous nous attarderons sur les outils qui
permettent d'analyser la structure sociale, à savoir les classes sociales et les PCS. Enfin, nous étudierons la dynamique de la stratification sociale, en nous demandant si la société évolue vers une « moyennisation » ou vers une « polarisation ».
1. Une inégalité est une différence particulière.............................................................................................11.1. Nous vivons dans une société où les individus sont égaux en droit.....................................................2
1.1.1. Tous les individus appartiennent à des groupes sociaux..............................................................................21.1.2. Les groupes sociaux obéissaient à des hiérarchies de droit, les castes et les ordres.................................2
1.2. Mais il subsiste des différences qui peuvent devenir inégalités............................................................2
2. Des inégalités qui font système et qui créent une structure sociale......................................................32.1. Les inégalités économiques se mesurent grâce à divers outils : médiane, déciles, courbe de Lorenz, coefficient de Gini.........................................................................................................................................32.2. Les inégalités économiques ne se limitent pas aux inégalités de salaire.............................................4
2.2.1. Des inégalités de salaire aux inégalités de revenus......................................................................................42.2.2. Des inégalités de revenus aux inégalités économiques................................................................................52.2.3. Derrière la notion d'inégalités se trouve l'idée de richesse et de « pauvreté ».............................................5
2.3. Les inégalités économiques « font système » et se cumulent avec d'autres inégalités.......................62.3.1. Les conséquences des inégalités sont multiples... .......................................................................................62.3.2. ... Et les causes d'inégalités sont multiples... ................................................................................................72.3.3. ... Si bien que l'on parle d'inégalités « cumulatives »....................................................................................8
3. Des outils pour analyser la stratification sociale : classes sociales et PCS.........................................93.1. Les classes sociales, un outil théorique parfois remis en cause..........................................................9
3.1.1. Les classes sociales dans la pensée de Karl MARX.....................................................................................93.1.2. Les classes sociales pour Pierre BOURDIEU...............................................................................................93.1.3. Les classes sociales dans la lignée weberienne.........................................................................................103.1.4. La remise en cause des classes sociales : la vision « cosmographique » de la société...........................10
3.2. Les PCS, un outil empirique................................................................................................................10
4. Les inégalités se transforment : vers une moyennisation ou vers une polarisation ?.......................124.1. La dynamique de la moyennisation, ou la baisse séculaire des inégalités.........................................12
4.1.1. Les inégalités se sont globalement réduites au XXè siècle... ....................................................................124.1.2. ... Ce qui a conduit à l'émergence d'une vaste classe moyenne................................................................12
4.2. Cependant on peut craindre aujourd'hui une remontée des inégalités..............................................134.2.1. Une « repolarisation » de la société ?..........................................................................................................134.2.2. Des frontières de plus en plus floues entre les groupes sociaux................................................................134.2.3. La thèse de Louis CHAUVEL sur « le retour des classes sociales »..........................................................14
1. Une inégalité est une différence particulière« Liberté, égalité, fraternité », « Tous différents, tous égaux » : autant de slogans qui nous rappellent
que nos idéaux sont éloignés de notre réalité. Nous verrons tout d'abord que notre société est caractérisée par une égalité juridique entre individus, ce qui n'est pas le cas dans toute société. Mais il y subsiste des différences, qui deviennent inégalités et créent une structure sociale.
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1.1. Nous vivons dans une société où les individus sont égaux en droit1.1.1. Tous les individus appartiennent à des groupes sociaux
Ce cours est écrit pour un groupe, celui des élèves de terminale du lycée des Pontonniers. Vous, lecteurs, faites donc partie de ce groupe particulier. Mais ce n'est a priori pas le seul auquel vous appartenez : en un sens très large, vous faites partie du groupe des Français, en un sens plus restreint, vous faites partie du groupe qu'est votre famille.
Vous faites en premier lieu partie de groupes sociaux auxquels vous avez pleinement conscience d'appartenir, que l'on nomme groupes sociaux réels, ou encore réseaux sociaux. On désigne sous ces appellation les groupes qui existent dans la réalité, c'estàdire qui sont constitués d'individus qui se connaissent les uns les autres et qui sont en interaction. Par exemple, le groupe des lycéens du lycée international est un groupe réel : vous vous connaissez plus ou moins, et si vous souhaitez faire passer un message à quelqu'un de précis, vous connaissez toujours quelqu'un qui connaît quelqu'un qui connaît la personne que vous cherchez.
Vous faites en second lieu partie de groupes sociaux sans forcément vous en rendre compte : vous faites parte de ce que l'on nomme des catégories sociales, ou encore des groupes sociaux nominaux, c'estàdire de catégories créées par le sociologue pour les étudier. Ce sont des groupes dont la particularité est toujours de répondre à un critère particulier : il s'agit par exemple du groupe des jeunes Français de 15 à 20 ans ; ou encore du groupe des individus à lunettes ; ou encore du groupe des personnes dialectophones. Les individus qui sont comptabilisés dans ce groupe ne sont pas forcément en interaction, c'est pourquoi ce groupe est dit nominal et non réel.
Peutêtre enfin faitesvous partie d'un dernier type de groupe social, bien plus particulier, qu'est la classe sociale : il s'agit d'un ensemble d’individus partageant des caractéristiques économiques et culturelles communes telles que les classes sont hiérarchisées. Par exemple, les « bourgeois » constituent une classe sociale car ils ont des caractéristiques communes (beaucoup de ressources financières et culturelles) et car ils se situent « audessus » des « classes populaires ». La classe sociale se situe entre le concept de groupe social réel et celui de groupe social nominal : bien sûr, tous les bourgeois ne se connaissent pas, mais ils ont tous la conscience d'appartenir à la classe des bourgeois (nous reverrons cette particularité plus loin dans ce chapitre).
1.1.2. Les groupes sociaux obéissaient à des hiérarchies de droit, les castes et les ordresCes groupes sociaux ont toujours existé : depuis l'Antiquité, les historiens décrivent l'existence de
différentes catégories d'individus. Mais ce qui différencie notre situation en Occident depuis deux siècles est la suppression des groupes juridiquement supérieurs aux autres. Dans la Grèce antique, il y avait par exemple différentes catégories d'individus qui n'avaient pas les mêmes droits : au sommet de la hiérarchie, on trouvait les citoyens, qui possédaient le plus de droits ; puis les femmes ; puis les « métèques » (les nonGrecs) ; et enfin les esclaves. Deux autres types de ces hiérarchies ont perduré plus longtemps : celle des castes – qui ne sera pas développée ici – et celle des ordres.
Les trois ordres ou « états » (clergé, noblesse, tiersétat), abolis par la Révolution dès 1789, représentaient une classification « idéale » des rapports sociopolitiques, traditionnelle en Europe depuis le régime féodal (XII – XIIIème siècle). Cette répartition juridique en trois groupes organisait une division des tâches et la reproduction indéfinie des statuts de base de croyances sacralisant le pouvoir et les hiérarchies établies. Les occidentaux ont largement utilisé leur fonds religieux pour distinguer l’« enhaut »
aristocratique, composé de ceux qui prient ou combattent, de l’« enbas » roturier où se classent tous les hommes libres travaillant de leurs mains, à l’exclusion des serfs formant une catégorie à part.
Dans le système d'ordres tout comme dans le système de castes, c'est la loi qui encadre la place de l'individu dans la hiérarchie sociale. Ainsi, il est impossible à un membre du Tiersétat de devenir noble, sauf décision du Roi, c'estàdire du pouvoir politique. Par contre, il est possible qu'un noble soit déchu, notamment s'il travaille de ses mains (il perd alors son titre nobiliaire).
Aujourd'hui cependant, ces différences juridiques n'existent plus : les hommes sont libres et égaux en droit. La stratification sociale, qui décrit la manière dont la société différencie et hiérarchise les fonctions des différents groupes sociaux, existe pourtant toujours : il existe des rapports inégaux entre les individus et les groupes. La difficulté est alors de la justifier, de la rendre légitime aux yeux des individus, surtout dans une société ouverte caractérisée par une égalité des individus en droit.
La dynamique sociale nous a donc fait passer d'une société à la structure juridiquement établie à une société dont la structure est juridiquement égalitaire. Cependant, le droit n'a pas toujours des conséquences dans la réalité, car il subsiste toujours des inégalités.
1.2. Mais il subsiste des différences qui peuvent devenir inégalités
Aujourd'hui, en France, il n'existe plus de hiérarchie de droit, ce qui n'empêche pas les individus d'être différents. Or, parfois, une différence se transforme en inégalité.
Dans les sociétés modernes, à la fois égalitaires et individualistes, la situation est très différente de celle présentée précédemment. L’affirmation de l’égalité de droit entre tous les individus a entraîné la disparition des groupes sociaux fermés sur euxmêmes. En droit, rien ne s’oppose plus à la mobilité sociale des individus, c’est à dire au changement de position sociale au cours de la vie d’un individu ou entre générations.
La DDHC de 1789 a supprimé les inégalités de droit. Mais cela n'empêche pas certaines personnes d'être blondes et d'autres d'être rousses ; cela n'empêche pas certaines personnes d'avoir un salaire élevé et d'autres d'avoir un salaire faible ; cela n'empêche pas certaines personnes d'être des femmes et d'autres d'être des hommes.
Or, bien que ces différences soient le plus souvent anodines, sans conséquences, elles ne le sont pas toujours : les différences se transforment parfois en inégalités. Prenons une différence contre laquelle il est très difficile de lutter : le « genre » (c'estàdire le sexe). En quoi cette différence peutelle se muer en inégalité ? C'est ce que nous montre le tableau cidessus : les femmes ont
Document 1 : hommes/femmes, différences ou inégalités ?
Hommes FemmesTaux d’activité en 2003 (en %) 75,1 63,4Taux de chômage (en %) 8,7 10,9Personnes en sousemploi en 2003 (en milliers)* 278 908
Salaires mensuels nets moyens pour les postes à temps complet en 2005 (en euros)
1982 1599
Temps de loisirs en 1999(en heures par jour) 4h20 3h32
Espérance de vie à la naissance en 2005 (en années) 76,8 83,8
* personnes travaillant involontairement moins que la durée normale du travail
Insee, TEF 20042005
Document 2 : inégalités et différencesToute différence devient inégalité à partir du
moment où elle est traduite en termes d'avantages par rapport à une échelle d'appréciations. Deux idiomes cessent d'être simplement différents quand l'un est celui d'une minorité devant passer par le second pour faire connaître ses idées, défendre ses intérêts, participer à la vie politique et économique de la nation. Deux chevaux de course cessent de n'être que différents par la couleur, l'allure, etc., et deviennent inégaux si l'un se classe régulièrement mieux que l'autre.
Roger GIRAUD, Les Inégalités sociales, PUF, 1984.
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un taux d'activité moindre, un taux de chômage plus élevé, elles subissent plus de temps partiels imposés, elles ont des salaires inférieurs, et ont moins de temps de loisir quotidien (ce qui revient à dire qu'elles s'occupent plus de la maison). Une seule consolation : elles vivent en moyenne plus longtemps que les hommes.
Nous pouvons donc retenir que certaines différences deviennent des inégalités, c'estàdire des différences qui se traduisent en termes d'avantage et de désavantage et qui fondent donc une hiérarchie. Une inégalité se transforme en différence dès lors qu'elle est ressentie comme tel par des individus – c'est une notion subjective – et qu'elle engendre un avantage ou un désavantage. Comme le précise le Programme officiel de SES, « les inégalités traduisent des différences d'accès aux ressources rares et socialement prisées ».
Or, toutes les sociétés sont inégales, elles sont toutes structurées, ou encore stratifiées. Mais pas dans les mêmes proportions : c'est pourquoi il convient de se poser la question de la nature et de l'ampleur de ces inégalités.
2. Des inégalités qui font système et qui créent une structure socialeNous étudierons en premier lieu les quelques outils mathématiques qui permettent de mesurer les
inégalités, Puis nous nous pencherons sur les principales inégalités que nous rencontrons, les inégalités économiques ; avant de présenter les autres types d'inégalités.
2.1. Les inégalités économiques se mesurent grâce à divers outils : médiane, déciles, courbe de Lorenz, coefficient de Gini
L'outil statistique le plus communément utilisé, la moyenne, ne nous est que de peu d'utilité pour mesurer les inégalités, car il ne nous renseigne pas sur la position des différents individus autour de cette moyenne. Ainsi, si 10 personnes possèdent en moyenne 1000€, cela peut signifier que l'une d'elle possède 9991€ et les neuf autres 1€, ce qui correspond à une situation de grande inégalité ; ou bien cela peut signifier que chaque personne possède 1000€.
Les outils utilisés sont donc tous basés sur sur la médiane, c'estàdire la valeur centrale d'une population qui la sépare en deux parties égales. Pour la calculer, il faut commencer par classer les n valeurs de la population par ordre croissant. S'il y a un nombre impair de valeurs, la médiane est la valeur n° n1/2 . S'il y a un nombre pair de valeurs, la médiane est égale à la moyenne entre les valeurs n° n /2 et n /21 .
Soit cinq personnes qui détiennent respectivement : 100€, 120€, 150€, 160€ et 200€. La médiane de cette population est égale à la (5+1)/2 soit la troisième valeur de la population, soit 150€. Cela signifie que la moitié de la population détient 150€ ou moins, la moitié de la population détient 150€ ou plus. En 2005 d'après l'Insee, le Revenu Disponible Brut (RDB) médian en France était de 16.348€
par unité de consommation et par an : la moitié des « unités de consommation » ont un revenu annuel inférieur ou égal à 16.348 euros (soit 1.362€ par mois). Ce revenu médian nous permet de calculer le seuil de pauvreté, qui se situe à 60% (ou 50%) du revenu médian. On parle bien ici d'inégalités, car la médiane permet de connaître la répartition des richesses au sein de la population.
La même méthode de calcul est utilisée pour ce que l'on nomme les déciles. Au lieu d'être divisée en deux parties égales, la population est divisée en dix parties égales. Lorsqu'on calcule la médiane, on trouve une seule valeur pour une population divisée en deux : lorsqu'on calcule les déciles, on trouve neuf valeurs (les déciles D1 à D9) qui divisent la population en dix. Le premier décile (D1) correspond au revenu endessous duquel se situent 10% de la population. Le décile D9 correspond au revenu endessous duquel se situent 90% de la population. On peut le dire de façon inverse : 90% de la population ont un revenu supérieur au décile D1 ; 10% ont un revenu supérieur au décile D9. Attention : la population est divisée en dix, mais il n'y a que neuf déciles, de D1 à D9 (tout comme il n'y a qu'une médiane quand la population est divisée en deux).
Pour aller plus loin, on peut calculer le rapport interdéciles, qui n'est autre que le rapport entre D9 et D1, qui sont les bornes à l'intérieur desquelles se trouvent 80% de la population. Il est égal à ...... dans l'exemple cicontre. Cela signifie que les 10% de la population les plus aisés ont un revenu au moins ...... fois supérieur aux 10% les moins aisés. Mais ce ratio n'est pas parfait, car il ne prend pas en compte ce qui est à l'extérieur de l'écart D1D9, c'estàdire principalement qu'il ne prend pas en compte le degré de pauvreté des 10% les plus pauvres (sontils tous proches de D1 ou tous proches de zéro ?), ni bien évidemment le degré de richesse des 10% les plus riches, qui peuvent être infiniment riches sans que D9
n'en rende compte (car D9 ne donne le revenu que du plus pauvre des plus riches !). Pour éviter ce problème, il est possible de calculer un autre ratio, le quotient du revenu moyen du 10è dixième de la population (donc de ceux qui sont audessus de D9) et du 1er dixième de la population (donc de ceux qui sont endessous de D1). Pour la même période, ce ratio est environ égal à 5,8 : les 10% les plus riches sont en moyenne près de 6 fois plus riches que les 10% les plus pauvres.
Les mêmes calculs pourraient être effectués en calculant les centiles : au lieu de diviser la population en dix, on la divise en cent parties égales. Il y a donc 99 centiles, de C1 à C99. On peut de la même façon calculer le rapport intercentiles, C99/C1 [les centiles ne sont pas explicitement au programme].
Une représentation graphique permet de représenter plus précisément les inégalités économiques au sein d'une population, il s'agit de la courbe de Lorenz. Pour la construire, il faut en premier lieu connaître le revenu dont dispose chaque dixième de la population.
Document 3 : Revenu sisponible par unité de consommation de l'ensemble des ménages en 1999 (en euros)
Décile Valeur du décile
D1 7.194
D2 9.003
D3 10.466
D4 11.790
D5 13.151
D6 14.760
D7 16.660
D8 19.325
D9 23.789
Champ : ménages dont le revenu fiscal est positif ou nul et le revenu disponible positif. Les
revenus du patrimoine sont exclus.Source : Insee, enquête « Revenus
fiscaux »
Document 4 : éléments pour construire la courbe de Lorenz
DixièmeRevenu par dixième (en
%)
Revenu cumulé (en
%)
1 3,8 3,8
2 5,5 9,3
3 6,6
4 7,5
5 8,4
6 9,4
7 10,6
8 12,0
9 14,2
10 22,0 100
Lecture : le 6è dixième des ménages dispose de 9,4% du revenu total ; les 20% les plus pauvres disposent de 9,3% du revenu.Souce : op.cit.
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Attention : ne pas confondre un dixième (le premier dixième est composé des 10% les plus pauvres) et un décile (la borne supérieure du premier dixième) ; il y a dix dixième, mais uniquement neuf déciles (car l'éventuel dixième décile, la borne supérieure des plus riches, c'estàdire le revenu le plus élevé de France, n'est pas connu et n'aurait pas de signification précise). On calcule ensuite le revenu cumulé, en pourcentage du revenu total, comme dans le tableau du document 4. On représente ensuite en abscisse les ménages par dixième successif et en ordonnée le revenu cumulé en pourcentage. Dans le cas d'une égalité parfaite entre tous les individus, la courbe est confondue avec la diagonale : les 10% les plus pauvres possèdent 10% du revenu, etc. Et plus on s'éloigne de cette diagonale (vers le bas), plus les inégalités sont importantes. La courbe de Lorenz des données précédentes est représentées cidessus.
Grâce à cette représentation graphique, nous pouvons utiliser un autre outil, le coefficient de Gini [qui n'est pas explicitement au programme]. Commencez par hachurer sur le graphique la surface comprise entre la courbe de Lorenz et la diagonale. Plus la surface hachurée est importante, plus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Si l'on divise cette surface par la surface du triangle rectangle inférieur droit créé par la diagonale, on obtient un chiffre compris entre zéro et un. Lorsque ce chiffre est proche de zéro, cela signifie que les inégalités sont . . . . . . . . . . . . . . Si au contraire ce chiffre est proche de 1, cela signifie que les inégalités sont . . . . . . . . . . . . . . . . . Ce coefficient, qui nous fournit un indice global des inégalités dans un pays
donné, est nommé coefficient de Gini.
2.2. Les inégalités économiques ne se limitent pas aux inégalités de salaireLes inégalités les plus visibles sont les inégalités économiques. Mais cellesci ne se limitent pas aux
inégalités de salaires : il faut également prendre en compte les autres revenus, et le patrimoine. Enfin, il faut se demander à partir de quand on considère qu'un individu est « pauvre ».
2.2.1. Des inégalités de salaire aux inégalités de revenusIl y a en France, comme dans toutes les sociétés, des inégalités de salaires. Elles sont importantes,
mais ce sont aussi les plus faibles et les plus stables. Elles peuvent s'expliquer de deux façon différentes, qui sont propres à nos normes et à nos valeurs.
Elles dépendent en premier lieu de la « valeur » que la société attribue aux différents postes de la hiérarchie du travail. Par exemple, il est considéré comme « normal », c'estàdire qu'il est conforme à nos
valeurs que le directeur financier d'une entreprise gagne plus que les ouvriers. Deux justifications sont souvent apportées, la responsabilité et la qualification : on estime que le poste est plus important pour la bonne marche de l'entreprise et impose de plus grandes responsabilités, et qu'il nécessite plus d'études pour y accéder.
Les inégalités de salaire dépendent en second lieu du rapport de force entre les salariés et leurs employeurs : certaines professions, par exemple parce qu'elles sont, à un moment donné, très demandées, obtiennent des salaires plus élevés (comme, par exemple, les informaticiens).
Ainsi, en 2000, le salaire mensuel moyen des ouvriers et des employés à temps plein (1200€ environ) est 2,5 fois plus petit que le salaire mensuel moyen des cadres (plus de 3000€). Les ouvriers et les employés représentent au total environ 58% de la population active et les cadres 12.5% environ (données de Louis CHAUVEL, « Le retour des classes sociales ? », in DEES 127, mars 2002). Au cours du XXème siècle, les inégalités de salaires ont peu varié du côté « haut » de la hiérarchie : l'écart entre les hauts salaires et le salaire moyen est resté à peu près le même. Par contre, les inégalités entre les bas salaires et le salaire moyen se sont beaucoup réduites, surtout depuis 1968 grâce à l'instauration et à la revalorisation du SMIC (le rapport interdécile des salaires est ainsi passé de 4 à 3,1 entre 1968 et 2000, ibid.).
Mais ces inégalités ne suffisent pas à qualifier les inégalités économiques : le revenu des individus ne provient pas uniquement de leur salaire. On rappelle que le salaire est un revenu du travail perçu par un salarié, c'estàdire un travailleur lié par un contrat de travail à un employeur. Le revenu est constitué de l'ensemble des sommes perçues à un titre ou à un autre : revenus du travail (salaire et autres revenus du travail comme les honoraires), revenus du capital (loyers perçus, dividendes par exemples), revenus de transfert sociaux (prestations sociales, par exemple). Ainsi, pour l'Insee, le « Revenu disponible brut » ou RDB est égal aux revenus primaires (revenus du travail et revenus du capital, qui correspondent à la contribution à l'activité économique) auxquels on ajoute les revenus de transferts et auxquels on soustrait les impôts et cotisations sociales.
Revenus primaires = Revenus du travail Revenus du capitalRDB = Revenus primaires Revenus de transfert − Impôts Cotisations sociales
Les inégalités de revenus sont plus fortes que les inégalités de salaires et tendent à augmenter avec la crise économique. L'écart entre les revenus est toujours plus fort que l'écart entre les salaires, parce que les revenus sont moins « protégés » que les salaires : ainsi, le RMI (Revenu minimum d'insertion) est deux fois moins élevé que le SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance). Les inégalités de revenus, après s'être bien réduites au XXème siècle, ont augmenté sensiblement depuis le début des années 1980 (cf. graphique cicontre). La
Document 6 :
Document 5 : courbe de Lorenz en France en 1999
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 100
20
40
60
80
100
120
Dixièmes de la population
Reve
nu c
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%
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première explication de ce retour des inégalités est le chômage : en perdant leur emploi, les individus perdent aussi leur revenu, ce qui « tire vers le bas » la hiérarchie des revenus. Mais une deuxième explication tient au fait que les revenus du travail ont augmenté moins vite que les revenus du capital depuis vingtcinq ans. Or ces derniers sont surtout perçus par les personnes les plus riches, ce qui a accru l'écart entre elles et le reste de la population.
2.2.2. Des inégalités de revenus aux inégalités économiquesLes inégalités de revenus ne forment pas l'ensemble des inégalités économiques qui touchent les
individus : il faut y ajouter les inégalités de patrimoine. Le patrimoine est constitué par l'ensemble des biens possédés par un individu ou, le plus souvent, par un ménage : il est composé d'immeubles (terres, maisons, appartement, bâtiments de production), de valeurs mobilières (actions et obligations par exemple), de liquidités déposées sur des comptes bancaires, d'objets d'art, de bijoux, etc.
Les revenus sont donc des flux, alors que le patrimoine est un stock. Le stock augmente lorsque le flux entrant (les revenus) est plus important que le flux sortant (les dépenses). On peut donc acquérir du patrimoine grâce à son revenu, ou bien en héritant. Il peut ainsi être transmis à ses héritiers (mais il faut payer des impôts sur la succession). Il est logique de penser que si on a des revenus faibles, on aura souvent un patrimoine faible (même si ce n'est pas toujours le cas : un agriculteur propriétaire de son exploitation peut avoir des revenus faibles alors qu'il détient un patrimoine). Les inégalités de patrimoine sont en effet les inégalités économiques les plus fortes. On observe que 20% de la population ne disposent d'aucun patrimoine. Dans ces conditions, il devient difficile de mesurer un écart, il vaut mieux parler de gouffre !
Le patrimoine étant le résultat de l'épargne des individus, et la capacité d'épargne augmentant plus vite que le revenu, les inégalités de patrimoines sont nécessairement plus importantes que les inégalités de revenus. Une personne qui gagne 1000€ par mois en consommera peutêtre 950 et aura donc 50€ d'épargne ; tandis qu'une personne gagnant 2000€ par mois, parce que ses besoins sont mieux satisfaits, consommera une moins grande part de son revenu et pourra épargner proportionnellement plus, mettons 400€. L'écart entre les deux montants d'épargne est de 1 à 8 quand l'écart entre les revenus n'est que de 1 à 2. Cela explique en partie pourquoi les inégalités de patrimoine sont nécessairement plus fortes que les inégalités de revenus (cf. graphique cicontre).
On peut ainsi estimer que, en ce qui concerne les patrimoines, le rapport inter décile (D9/D1) est au moins de 1 à 70, c'estàdire que le patrimoine détenu par le ménage qui possède le moins de patrimoine parmi les 10% de ménages qui en possèdent le plus est 70 fois plus élevé que celui du ménages qui possède le plus d'épargne parmi les 10% qui en possèdent le moins. Ces inégalités se sont accrues ces vingt dernières années à cause de la hausse du prix des actifs patrimoniaux (c'estàdire les titres ou les biens possédés par les ménages, comme les actions, les obligations, ou les logements).
En conclusion, les inégalités économiques telles qu'on peut les mesurer restent importantes, ne se réduisent plus, voire s'accroissent. Cependant, comparativement aux autres pays développés, la situation française n'est pas particulière : du point de vue des écarts de salaire, par exemple, la France se situe dans une position moyenne par rapport aux autres grands pays développés. Et les inégalités se sont beaucoup plus accrues en GrandeBretagne et aux ÉtatsUnis qu'en France depuis le début des années 80.
Liste des Activités disponibles sur Brises : n°301 (Salaire, revenu et patrimoine), n°275 (Le rapport interdécile), n°272 (La courbe de Lorenz), n°279 (Le revenu des ménages par décile), n°245 (Comparaison inégalités de Revenu disponible et inégalités de Revenu déclaré), n°262 (Inégalités de patrimoine en 2000), n°254 (Évolution de la pauvreté en France depuis 1970), n°296 (Pauvreté dans l'Union européenne en 1996).Document 8 : inégalités de revenus et inégalités de patrimoine
Les inégalités de patrimoine sont donc plus élevées que les inégalités de niveaux de vie, le ratio D9/médiane étant de 3 à 4 pour les patrimoines (au sein d’une génération donnée) contre 1,8 pour les niveaux de vie. À ceci deux explications.
Tout d’abord, les inégalités de revenus conduisent à des inégalités plus importantes en termes d’épargne. L'épargne est en effet un luxe, au sens de la théorie microéconomique du consommateur : le taux d'épargne augmente avec le revenu. Il passe de 5% environ pour les employés et ouvriers à 20% environ pour les cadres. [...] Les écarts de richesses sont encore amplifiés par les performances différenciées des placements : les placements financiers des plus riches, orientés vers les actions, rapportent plus sur le long terme que les placements des petits épargnants, tournés vers les livrets et autres liquidités.
Par ailleurs, à âge et à revenu égal, la dispersion des richesses reste élevée compte tenu de l'histoire personnelle de chacun. De multiples facteurs interviennent : le patrimoine transmis (héritages, donations, aides de la famille) ; le statut professionnel (les travailleurs indépendants possèdent plus de patrimoine que les salariés).
JeanMichel HOURRIEZ, « Les inégalités de revenus et de patrimoine », Les Cahiers Français, n° 314, mai juin 2003
2.2.3. Derrière la notion d'inégalités se trouve l'idée de richesse et de « pauvreté »La pauvreté semble être une notion évidente. Pourtant, il est bien difficile de définir à partir de quel
moment un individu ou un ménage est pauvre, car cette notion est subjective.On peut considérer la pauvreté comme un aspect des inégalités économiques. Elle est aussi et surtout à
l'articulation des inégalités sociales et économiques car en général, les « pauvres » cumulent beaucoup d'inégalités. De plus, la pauvreté est aussi à la source de l'exclusion, même si on peut être pauvre sans être exclu et, éventuellement, être exclu sans être pauvre. Nous nous limiterons ici à la définition de la pauvreté économique.
Il y a plusieurs définitions de la pauvreté : en général, on distingue pauvreté absolue et pauvreté relative. La pauvreté absolue concerne les gens qui ne disposent pas de la quantité minimale de biens et services qui permettent une vie normale. L'ONU va par exemple définir la pauvreté absolue comme la situation dans laquelle un individu n'a pas les moyens de se procurer le panier de biens jugés indispensable à sa survie (estimé à environ 10€ par jour en 2002 en France). La pauvreté relative définit la pauvreté par comparaison avec le niveau de vie moyen du pays considéré. Elle est en général définie par une proportion du revenu médian. En France, un ménage est considéré comme pauvre par l'Insee quand il dispose de moins de 50% du revenu médian français par unité de consommation ; au niveau européen, cette pauvreté relative est fixée à 60% du revenu médian.
Document 7 : une courbe de Lorenz plus accentuée pour l'épargne que pour le revenu
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2.3. Les inégalités économiques « font système » et se cumulent avec d'autres inégalités
Les inégalités économiques sont fondamentales pour comprendre la structure d'une société. Cependant, elles ne sont pas les seules à avoir de l'importance : à ces inégalités s'en ajoutent d'autres. Rappelons que l'on nomme inégalités des différences d'accès aux ressources rares et prisées : il n'y a pas que les ressources financières qui jouent un rôle. La liste des inégalités est longue, et il est impossible d'en faire un recensement exhaustif. Nous traiterons ici des inégalités liées à la scolarité, à la santé, à la représentation politique, au prestige social.
Nous aurons l'occasion d'observer que, dans la plupart des cas, les inégalités sont cumulatives. On dit qu'elles « font système », dans le sens où une inégalité en entraînant une autre, il est très difficile d'en sortir.
2.3.1. Les conséquences des inégalités sont multiples... Subir une inégalité revient à avoir un handicap social : on n'a pas accès
aux mêmes ressources. Nous allons ici détailler quelques unes de ces ressources : il s'agit des inégalités « face » à de nombreuses choses (à la santé, à l'école, au marché du travail par exemples).Les inégalités face au marché du travail
En ce qui concerne les inégalités économiques, nous avons parlé principalement des inégalités de revenu et de patrimoine. Mais il faut également citer les inégalités quant à la précarité. En fonction de la PCS à laquelle on appartient, on n'a pas la même probabilité d'obtenir un emploi stable.
Ainsi, on observe sur le graphique cicontre (document 9) que non seulement les ouvriers sont plus de six fois plus touchés par les emplois précaires que les cadres, mais leur proportion croît beaucoup plus vite que pour les cadres.
Ce type d'inégalité fait bien partie de celles dont on dit qu'elles « font système », car elles sont à la fois une conséquence des inégalités économiques (avec un revenu faible, on est obligé d'accepter un emploi précaire) et une cause (les emplois précaires entraînent souvent des revenus plus faibles).Les inégalités face à la santé
En France, le système de Sécurité sociale permet a priori à chacun d'accéder de façon égale aux soins. De plus, la Couverture Maladie Universelle (CMU)
mise en place en 1999 permet à ceux qui ne cotisent pas à la sécurité sociale d'avoir une couverture maladie (plus ou moins gratuite selon les cas).
Pourtant, on observe dans le tableau cicontre que l'espérance de vie varie selon les individus. Par exemple, un cadre vit en moyenne jusqu'à 79,5 ans, alors qu'un ouvrier meurt en moyenne à 75 ans : presque cinq années de vie en plus !Les inégalités face à la représentation politique
Le document 11 nous indique l'indice de représentation à l'Assemblée nationale : ces chiffres nous permettent de savoir si une catégorie particulière est plus présente à l'Assemblée que dans la population totale. On se rend ainsi compte qu'il y a . . . . fois moins d'ouvriers représentés qu'il n'y en a dans la population totale ; il y a . . . . fois moins d'employés à l'Assemblée nationale que dans la population française ; par contre, il y a . . . . fois plus de cadres du secteur public à l'Assemblée que dans la population française.
Ainsi, il est donc évident que l'on n'a pas la même probabilité d'accéder à une fonction de représentant de la
nation selon la CSP dont on provient : on n'a pas le même accès aux ressources socialement prisées, on est donc bien en situation d'inégalité.Les inégalités scolaires
Les inégalités scolaires sont également de celles qui font système. Bien que la France ait mis en place depuis une très longue période l'enseignement obligatoire et gratuit, tous les individus n'ont pas le même accès au système scolaire. Plus encore, on peut dire que les inégalités de réussite scolaire sont largement liées aux inégalités économiques : les inégalités sont cumulatives, elles se renforcent les unes les autres, elles « font système ».
2.3.2. ... Et les causes d'inégalités sont multiples... La conclusion que l'on peut tirer du paragraphe précédent est la
suivante : tous les Français n'ont pas accès aux mêmes ressources rares et socialement prisées (l'école, le contrat de travail stable, la richesse, la politique). Mais il reste une question fondamentale : qui sont ces gens touchés par ces inégalités ? En d'autres termes, qu'estce qui cause ces inégalités ?Les inégalités liées à la profession
Lorsqu'on cherche à mesurer les inégalités, on utilise souvent l'outil créé spécifiquement par l'Insee pour faire des comparaisons entre
Document 9 : part des emplois précaires (Intérim, CDD, stages...) selon la PCS
Document 10 : les inégalités devant la mort
Hommes, sur la période 1982 – 1996
Probabilité de décéder entre 35 et
65 ans (en %)
Espérance de vie à 35 ans (en années)
Agriculteurs exploitants 15,5 43,0
Artisans, commerçants, chefs d'entreprise
18,5 41,5
Cadres et professions intellectuelles supérieures
13,0 44,5
Professions intermédiaires 17,0 42,0
Employés 23,0 40,0
Ouvriers 26,0 38,0
Ensemble 22,0 40,0
Source : Insee, Données sociales, 1999, page 229.
Document 11 : indices de représentation à l'Assemblée nationale
Députés en mars 1997
(%)
Population active en
mars 1997 (%)
Indice de représen
tation
Agriculteur exploitant
3,1 2,9 107
Chef d'entreprise
8,8 0,5 1760
Cadre du secteur public
15,9 1,1 1445
Employé 1,6 29,3 5
Ouvrier 0,7 27,1 2,5
D'après Alain BIHR et Roland PFEFFERKORN, Déchiffrer les inégalités, Syros, 1999, in Bordas 2003.
Document 12 : pauvreté et échec scolaire
Inégalités entre enfants devant la formation initiale : plus du tiers des enfants appartenant aux 20 % des familles les plus pauvres redoublent dans le primaire, soit un taux d’échec trois fois plus élevé que celui des enfants des 20% de familles les plus riches. Plus tard, au collège, deux tiers des adolescents des familles parmi les 20% les plus pauvres sont en échec scolaire contre une toute petite minorité des adolescents des 20% de familles les plus riches. Au fil de la scolarité et dès le plus jeune âge, des inégalités considérables se creusent ainsi entre les enfants les plus pauvres et les autres. Point clef, une grande partie des difficultés des enfants des familles pauvres trouvent leur origine dans les mauvaises conditions de logement et la ségrégation urbaine dont ils souffrent. Aujourd'hui encore, un adolescent sur cinq vit dans un logement surpeuplé (au moins 2 enfants par chambre) et le surpeuplement – à origine sociale égale – augmente d’environ 50 % le risque d’échec à l'école.
Éric MAURIN, « La métamorphose du salariat », Sciences Humaines,, Mars 2003.
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certaines catégories de la population : les Professions et Catégories Socioprofessionnelles. Les résultats sont alors conformes à ce que l'on cherchait en construisant la nomenclature : les PCS n'ont pas les mêmes « chances sociales ». Certaines sont plus riches, certaines ont plus d'accès à la politique, certaines ont une espérance de vie supérieure, etc.L'immense variété des inégalités
Mais s'arrêter là resterait simplificateur, et cela reviendrait à ignorer les nombreuses inégalités qui traversent notre société : eston égal à vingt ans, à quarante ans et à soixante ans ? Louis CHAUVEL, dans Le Destin des générations, défend la thèse contraire : les générations les plus jeunes seraient sacrifiées au profit des générations les plus âgées.
Eston égal lorsqu'on vit en HLM (Habitat à Loyer Modéré) ou en centreville ? Les études sur l'école montrent que ce n'est pas le cas, et que les inégalités scolaires sont fortement liées au lieu de résidence.
Ces exemples pourraient être développés à l'envi. Car toutes les inégalités ne sont pas visibles : le fait de citer l'existence d'une inégalité revient en réalité à la montrer du doigt, à la créer. Et elle ne peut être ainsi décrite que si une étude sociologique porte précisément sur la question. Nous développerons deux exemples particuliers de ces inégalités mises en avant ces derniers temps : pour les décrire, on parle de « discrimination », ce qui implique que ce sont des inégalités critiquées, qui sont donc socialement rejetées.Les inégalités liées à la discrimination : origine et genre
La première de ces inégalités dites « discriminatoires » car elles sont contraires aux valeurs défendues par la société est la discrimination en fonction de l'origine nationale.
Le document 13 nous montre que ceteris paribus (toutes choses égales par ailleurs), une personne immigrée (et si toutes les choses sont égales par ailleurs, cela signifie qu'on s'intéresse à des Français immigrés, et non à des étrangers) est victime d'inégalités sur le marché du travail.Document 13 : origine et marché du travail
A priori, le développement de l'emploi précaire est associé à une plus faible qualification et à des secteurs d'activité qui ont plus souvent recours à l'intérim et aux emplois aidés. La surexposition des immigrés et de leurs descendants pourraient dès lors s'expliquer par leurs caractéristiques personnelles et par les niches d'emploi auxquelles ils accèdent prioritairement. Une régression logistique, contrôlant notamment le niveau d'éducation atteint, du secteur d'activité et de la catégorie socioprofessionnelle, invalide cette hypothèse et souligne l'importance de facteurs inobservés captés pour l'essentiel par l'origine [cela signifie que contrairement à ce que l'on pourrait penser, à niveau d'éducation identique, les immigrés sont plus touchés par la précarité, qui ne s'explique donc pas par le type d'emplois qu'ils recherchent]. Les immigrés ont ainsi deux fois plus de risque d'occuper un emploi non stable que les natifs, les immigrées ont elles un risque 1,8 fois plus élevé. La même situation prévaut pour les « secondes générations » et bien que la mixité des parents diminue la surexposition à la précarité de l'emploi, surtout pour les hommes, le phénomène reste significatif.
L'analyse « toutes choses égales par ailleurs » menées par origines détaillées fait apparaître des répartitions comparables à celles identifiées dans l'accès à l'emploi. Les immigrés originaires d'Afrique subsaharienne, du Maghreb, de Turquie et d'Asie du SudEst, hommes comme femmes (à l'exception notable des femmes immigrées de Turquie), connaissent un fort risque d'emploi instable. Les descendants d'immigrés d'Afrique subsaharienne et d'Algérie ont également une probabilité plus forte d'être en emploi non stable que les natifs. Les femmes des « secondes générations » connaissent des risques d'emploi non stable plus significatifs que les hommes.
Dominique MEURS, Ariane PAILHE, Patrick SIMON, « Mobilité intergénérationnelle et persistance des inégalités », novembre 2005, 35 (INED, document de travail n°35)
En ce qui concerne le « genre », les inégalités sont également très importantes, au niveau économique, au niveau social, et au niveau des fonctions exercées.
Les écarts de salaire restent globalement de l'ordre de 25% entre hommes et femmes et, toutes choses égales par ailleurs (c'estàdire pour des salariés à temps plein ayant la même qualification et effectuant le même travail), l'écart est encore d'environ 20% (d'après Dominique MEURS et S. PONTIEUX, « Emploi et
salaires : les inégalités entre femmes et hommes en mars 1998 », Synthèse DARES 32), si l'on prend en compte uniquement les salariés des entreprises (donc sans les fonctionnaires). Les femmes sont surreprésentées dans les salariés payés au SMIC (17,2% des salariées sont payées au SMIC contre 9,1% des hommes salariés seulement, d'après A. GARCIA, « Le nombre de salariés payés au SMIC a augmenté de 50% en quatre ans », in Le Monde, 25 août 1999), dans le travail à temps partiel (30.4% des salariées travaillent à temps partiel, contre 5.0% des hommes salariés en mars 2001, d'après l'enquête « emploi » de l'Insee) et bien sûr dans le chômage (en mars 2002, le taux de chômage des femmes était de 10.1% contre 7.9% pour celui des hommes).
D'après l'Insee (Insee Première n°675, octobre 1999), les emplois du temps journaliers moyens sont également différents entre hommes et femmes. Pour les personnes de 15 ans et plus, en moyenne, le temps domestique journalier moyen était de 4h23 pour les femmes et de 2h24 pour les hommes en 1999. Si l'on exclut le jardinage, les soins aux animaux et le bricolage, ce temps est de 1h27 pour les hommes et de 4h03 pour les femmes, un écart de 1 à 2.8. Si l'on regarde l'emploi du temps des étudiants et lycéens de plus de 15 ans, les résultats laissent perplexe : les filles passent en moyenne 1h29 par jour aux tâches ménagères et aux soins aux personnes alors que les garçons n'y passent que 41 minutes. C'est encore deux fois plus pour les filles que pour les garçons, un écart assez proche de celui qui existe pour les adultes engagés dans la vie active : le changement social est donc très lent en la matière.
Enfin, les femmes sont sousreprésentées dans les postes à responsabilité en entreprise, alors que les filles réussissent mieux leurs études que les garçons et que leur niveau de diplôme est supérieur (du moins pour les filles nées après 1960). Ainsi, au bout de 10 ans d'expérience professionnelle sans interruption de plus de 6 mois, les titulaires d'un diplôme de 2è ou 3è cycle universitaire ont 76 chances sur 100 d'occuper un poste de cadre s'ils sont des hommes et 57 chances sur 100 s'ils sont des femmes (D'après Le Monde, « Discrimination : questions réponses », 9 mars 1999).
2.3.3. ... Si bien que l'on parle d'inégalités « cumulatives »
Si les immigrés ont une probabilité faible de devenir cadres, si les ouvriers ont une probabilité faible d'avoir un revenu qui leur permette de vivre en centreville, si le lieu d'habitation a des conséquences sur les inégalités scolaires, alors il est fort probable que les enfants d'immigrés ne puissent pas s'élever socialement.
De façon générale, on peut dire que les inégalités se cumulent et « font système », c'estàdire qu'étant donné qu'une inégalité en entraîne une autre, les individus sont
Document 14 : Les « ghettos » génèrent des inégalités cumulatives
La fracture principale apparaît entre les détenteurs d’emploi et les autres. Le chômage frappe majoritairement certains groupes d’individus ayant une « mauvaise » formation et un « mauvais » appariement [adaptation] spatial. La discrimination sur le marché du logement et les différences culturelles impliquent une baisse de la mobilité spatiale de certaines catégories de population (typiquement, des immigrés et des Français peu qualifiés) et leur imposent souvent des lieux de résidence éloignés des nouveaux centres d’emploi. A son tour, ce spatial mismatch [inadaptation spatiale] réduit leur chance de retrouver un travail et entraîne, par conséquent, les populations concernées à ne pas changer de résidence. Graduellement, les individus acceptent les normes du ghetto en formation : taux de chômage élevé, découragement face à l’inactivité, basse qualité du logement, faible niveau de scolarité, voire constitution d’un sentiment communautaire de rejet. Ces normes sociales induisent des comportements individuels qui, à leur tour, favorisent la discrimination sur le marché du travail, accentuant ainsi l’isolement et la ghettoïsation de ces populations. Le cercle vicieux est bouclé : mauvais appariement spatial et mauvais accès aux écoles et aux logements ; formations de réseaux socioculturels peu porteurs pour l’obtention d’emplois ; et participation croissante à l’économie souterraine. On retrouve de nouveau un phénomène de causalité cumulative où les forces en action se renforcent mutuellement dès qu’un certain seuil est franchi.
Ségrégation urbaine, logement et marché du travail, CESAER, INRA, 2003
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enfermés dans un cercle vicieux d'inégalités. Les femmes sont peu représentées, à la fois en politique et dans les postes à responsabilité en entreprise, c'estàdire aux niveaux de prise de décision ; il est donc peu probable que la situation évolue en leur faveur. Elles ont alors tendance à anticiper cette réalité et à planifier leur carrière de cette façon : elles s'investiront moins dans leur travail, et plus dans leur famille. En conséquence, leur temps domestique sera plus élevé. En retour, il est peu probable que leur entreprise leur propose un poste à responsabilité, car elles ne seront pas assez disponibles.
Ainsi, les acteurs sociaux anticipent les discriminations qui pèsent sur eux et modifient leur comportement en conséquence. Cela produit une cumulativité des inégalités, qui peut également s'illustrer par le cas des « ghettos » développé dans le document 14.
3. Des outils pour analyser la stratification sociale : classes sociales et PCSComme le début de ce cours le précisait, tous les individus appartiennent à différents groupes sociaux.
Mais on en distingue deux types, selon que le groupe représente une certaine réalité pour les individus qui le composent (le groupe social réel ou réseau social) ou selon que le groupe ne prend sens que car il est construit par un chercheur (la catégorie sociale ou groupe social nominal).
Pour analyser la stratification sociale, on peut se baser sur ces deux types de groupes sociaux. Si par exemple les lycéens des Pontonniers se sentent faire partie d'un groupe social réel, et qu'ils estiment pour une raison ou pour une autre être en situation d'inégalité par rapport à un autre groupe de lycéens (disons par exemple que les professeurs des Pontonniers soient moins bons que dans les autres lycées d'Alsace), cela crée une structure sociale au sein des lycéens alsaciens. Mais un sociologue qui s'intéresse à la question remarquera peutêtre que le taux de réussite au baccalauréat aux Pontonniers, plus élevé que la moyenne, est lié à l'origine sociale des élèves : la structure sociale serait alors liée à des catégories créées par le sociologue.
On le voit, deux démarches distinctes permettent de mettre en évidence la structure sociale. Lorsqu'un on étudie la « discrimination » que subit un groupe social réel ou une « classe sociale » (dont les membres ont une « conscience de classe »), on se fonde sur une vision subjective de la structure sociale. Lorsqu'on étudie les inégalités vécues par une PCS
particulière, c'est le sociologue qui montre objectivement la structure sociale, à l'aide d'outils (de grilles de classification).
Nous étudierons en premier lieu l'outil théorique que sont les classes sociales, puis nous nous pencherons sur l'outil empirique que forment les PCS.
3.1. Les classes sociales, un outil théorique parfois remis en cause3.1.1. Les classes sociales dans la pensée de Karl MARX
Karl MARX développe ce que l'on nomme la vision « réaliste » ou « holiste » des classes sociales. Pour lui, les individus appartiennent à une classe ou à une autre en fonction d'un seul critère, celui de la propriété des moyens de production. Mais une classe n'existe que si trois conditions sont remplies : (1) une position spécifique dans les rapports de production ; (2) l'existence de conflits entre classes ; (3) et enfin la « conscience de classe ». Cela implique que les classes ont pour Karl MARX les propriétés d'un groupe social réel ; c'est pourquoi on parle de vision réaliste des classes sociales.
À titre d'exemple, on peut noter que Karl MARX affirmait que les paysans, repliés sur leur ferme familiale, entretenaient peu de relations entre eux et n’avaient pas l’impression d’avoir des intérêts communs. Ils forment une classe « en soi » (ils occupent une place déterminée dans les rapports de production), mais pas une classe « pour soi » (ils n’ont pas conscience du rôle qu’ils pourraient jouer). Pour se faire comprendre, Karl MARX utilise la métaphore du « sac de pommes de terre » : « ainsi, la grande masse de la nation française [les paysans] est constituée par une simple addition de grandeurs de même nom, à peu près de la même façon qu'un sac rempli de pommes de terres forme un sac de pommes de terres. Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans des conditions économiques qui les séparent les unes des autres et opposent leur genre de vie, leurs intérêts et leur culture, à ceux des autres classes de la société, elles constituent une classe. Mais elles ne constituent pas une classe dans la mesure où il n'existe entre les paysans [...] qu'un lien local et où la similitude de leurs intérêts ne crée entre eux aucune communauté, aucune liaison nationale ni aucune organisation politique » (Karl MARX, Le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte, 1852).
3.1.2. Les classes sociales pour Pierre BOURDIEU
Document 16 : la construction d'un « espace social » pour analyser la société française
Les êtres apparents, directement visibles, qu'il s'agisse d'individus ou de groupes, existent et subsistent dans et par la différence, c'estàdire en tant qu'ils occupent des positions relatives dans un espace de relations qui, quoique invisible et toujours difficile à manifester empiriquement, est la réalité la plus réelle et le principe réel des comportements des individus et des groupes.
L'espace social est construit de telle manière que les agents ou les groupes y sont distribués en fonction de leur position dans les distributions statistiques selon les deux principes de différenciation qui, dans les sociétés les plus avancées, comme les Étatsunis, le Japon ou la France, sont sans nul doute les plus
Document 15 : les classes sociales pour Karl MARXDu côté marxiste, les classes sociales sont des collectifs
structurés par une position spécifique dans le système économique, définis notamment au travers de la propriété des moyens de production, marqués par un conflit central (l'exploitation) ; mais, audelà de ces « conditions de classe », il existe une « conscience de classe », une conscience sociale de leur être collectif, de leur intérêt, de leur dynamique, qui permet de passer de la classe « en soi » à la classe « pour soi ». Cette tradition est parfois qualifiée de holiste (« tout » en grec) parce qu'ici, la totalité est plus que la somme des individus, la classe existant indépendamment et audessus de ses membres, en leur dictant leur rôle, pardelà la créativité des individus. Prévaut donc l'idée qu'il existe des rapports sociaux, c'estàdire des conflits structurant le jeu des oppositions dans le monde social, l'inégalité n'étant pas le fait d'une société amorphe, mais de lutte sociales explicites ou implicites permanentes. « Même au moment où il n'y a pas de lutte de classes déclarée, il y a lutte de classes latente, par le fait que, dans une hiérarchie, il faut que les rangs les plus élevés maintiennent leur position, et que, d'autre part, ceux qui occupent les rangs les plus bas, se trouvant dans une situation où ils sont sousestimés, voudraient bien s'élever dans l'échelle sociale » (Maurice HALBWACHS, Les Classes sociales, CDU, 1937). Dès lors, la société « tient » du fait de champs de force contraires que les groupes en conflit engendrent, mais peut à force se déchirer. Cette tradition est qualifiée aussi de réaliste, parce que les classes sont supposées former des entités véritables et tangibles, et non pas des constructions intellectuelles.
Louis CHAUVEL, « Les transformations de la structure sociale », Nouveau manuel de SES, La Découverte, 2003.
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efficients, le capital économique et le capital culturel. Il s'ensuit que les agents ont d'autant plus en commun qu'ils sont plus proches dans ces deux dimensions et d'autant moins qu'ils sont plus éloignés. [...]
Plus précisément, comme l'exprime le diagramme de La Distinction dans lequel j'ai essayé de représenter l'espace social, les agents sont distribués dans la première dimension selon le volume global du capital qu'ils possèdent sous ses différentes espèces et dans la deuxième dimension selon la structure de leur capital, c'estàdire selon le poids relatif des différentes espèces de capital, économique et culturel, dans le volume total de leur capital.
Ainsi, dans la première dimension, sans aucun doute la plus importante, les détenteurs d'un fort volume de capital global comme les patrons, les membres des professions libérales et les professeurs d'université s'opposent globalement aux plus démunis de capital économique et de capital culturel, comme les ouvriers sans qualification ; mais d'un autre point de vue, c'estàdire du point de vue du poids relatif du capital économique et du capital culturel dans leur patrimoine, les professeurs (plus riches, relativement, en capital culturel qu'en capital économique) s'opposent très fortement aux patrons (plus riches, relativement, en capital économique qu'en capital culturel).
Cette deuxième opposition est, tout comme la première, au principe de différences dans les dispositions et, par là, dans les prises de position : c'est le cas de l'opposition entre les intellectuels et les patrons, ou, à un niveau inférieur de la hiérarchie sociale, entre les instituteurs et les petits commerçants qui, dans la France et le Japon de l'aprèsguerre, se traduit, en politique, dans une opposition entre la gauche et la droite.
[Les individus ont alors] des pratiques distinctes et distinctives – ce que mange l'ouvrier et surtout sa manière de manger, le sport qu'il pratique et sa manière de la pratiquer, les opinions politiques qui sont les siennes et sa manière de les exprimer diffèrent systématiquement des consommations ou des activités correspondantes du patron d'industrie. [Ils répondent également à des] schèmes classificatoires, des principes de classement, des principes de vision et de division, des goûts, différents. Ils sont des différences entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, entre ce qui est bien et ce qui est mal, entre ce qui est distingué et ce qui est vulgaire, etc., mais ce ne sont pas les mêmes. Ainsi, par exemple, le même comportement ou le même bien peut apparaître distingué à l'un, prétentieux ou m'astu vu à l'autre, vulgaire à un troisième.
Pierre BOURDIEU, « Espace social et champ du pouvoir », Raisons pratiques, Le Seuil, 1994.
3.1.3. Les classes sociales dans la lignée weberienneTous les sociologues ne se placent pas comme Pierre BOURDIEU dans la lignée marxiste concernant la
vision des classes sociales. En Effet, pour Max WEBER et la tradition sociologique qu'il a engendrée, les classes sociales sont des constructions du sociologue et n'ont pas d'effet de réalité : on parle alors d'une vision « nominaliste » des classes sociales (qui sont des groupes nominaux créés par le sociologue).Document 17 : la vision weberienne des classes sociales
D'un autre côté, au contraire, la tradition weberienne suppose que les différentes classes sociales sont des groupes d'individus similaires, partageant une dynamique probable semblable (Max WEBER parle de Lebenschancen ou « chances de vie »), sans qu'ils en soient nécessairement conscients et sans nécessairement agir en commun. Ces groupes résultent moins, d'ailleurs, d'une répartition conflictuelle des moyens de production que de la division du travail où chaque groupe obéit à une fonction spécifique, dont on peut supposer qu'elle est mutuellement profitable. Ici, la classe sociale n'est pas autre chose, a priori, que la somme des individus (individualisme contre holisme) que le chercheur décide d'assembler selon ses critères propres ; ainsi, les classes sont des noms plus que des choses (nominalisme contre réalisme), même si, rappelle Weber, a posteriori, peuvent se constituer historiquement des conflits ouverts.
Louis CHAUVEL, « Les transformations de la structure sociale », Nouveau manuel de SES, La Découverte, 2003.
3.1.4. La remise en cause des classes sociales : la vision « cosmographique » de la société
Que l'on considère qu'elles sont réelles ou qu'elles ne le sont pas, les classes sociales reposent toujours sur la hiérarchisation pyramidale de la société. Or, quelques auteurs ont montré en quoi la société n'était plus construite selon cette structure. Ainsi, Henri MENDRAS a développé la vision « cosmographique » de la société.
Document 18 : une vision cosmographique de la sociétéSi l'on renonce à la vision marxiste et à la vision pyramidale, on peut proposer une « vision cosmographique ».
Regardons notre société comme un ciel où les étoiles s'organisent en constellations diverses, plus ou moins amples, plus ou moins cristallisées [...].
De nombreuses études ont souligné l'importance des groupes et des individus qui ne se situent plus au même niveau sur l'échelle du revenu et sur celle des diplômes : riches commerçants sans diplôme universitaire, ou professeurs d'université ayant un salaire moyen par exemple. De tels groupes et individus se singularisent par des comportements atypiques de conformisme ou d'anticonformisme qui peuvent les conduire à des positions politiques extrêmes. Il faut donc dissocier ces deux échelles et les utiliser comme des axes orthogonaux qui délimitent un champ. [...] Ces deux axes délimitent bien un champ sur lequel les CSP se distribuent selon un ordre qui n'est pas une hiérarchie unidimensionnelle.
Les groupes ouvriers et employés sont très proches les uns des autres [...] : ces catégories peuvent être regroupées en un ensemble qu'on appellera constellation populaire. Cette constellation réunit environ la moitié de la population. [...] Les cadres, les enseignants et les ingénieurs sont plus dispersés que les groupes populaires, mais assez proches les uns des autres quant aux diplômes : ils forment une constellation centrale. [...] À la périphérie de ces deux constellations se répartissent différentes galaxies mineures, isolées (professions libérales, grands entrepreneurs et négociants, indépendants, agriculteurs).
[...]La constellation centrale se caractérise par une mobilité sociale intense, très différente de ce qu'elle était autrefois entre
les classes. Étant beaucoup plus nombreux, les individus en mobilité ne sont plus des exceptions, mais au contraire apparaissent comme « normaux », dans la vie sociale. [...] La « bouffe » autour du barbecue est le rite caractéristique de cette constellation centrale, rite en tout point opposé au repas bourgeois. Ni hiérarchie affirmée ni répartition ritualisée des rôles. Tout est inversé : le grillé remplace le rôti, le dehors le dedans, l'égalité la hiérarchie. [...]
Un vrai désordre s'est établi en moins d'une décennie, le corps social n'est plus parcouru par un courant hiérarchique, mais fragmenté en un grand nombre de groupes différenciés. Ce schéma d'une constellation centrale structurée et animée par des groupes qui successivement l'entraînent dans le changement paraît mieux rendre compte des transformations de notre société que le schéma pyramidal qui veut que tout changement ou toute innovation vienne du haut. Il suppose, à l'évidence, une société mobile, sans cesse changeante, tout en conservant ses structures fondamentales, où les différents groupes sociaux ont acquis une certaine forme d'autonomie qui leur permet de prendre des initiatives, de lancer des modes. Toute la dynamique de la société est aujourd'hui dans ces mouvements internes.
Henri MENDRAS, La Seconde Révolution française, 1994.
3.2. Les PCS, un outil empiriqueParallèlement à l'utilisation par les théoriciens du concept de classes sociales a été développé par
l'Insee l'outil que sont les CSP puis les PCS.Depuis qu'il existe, l'État cherche à connaître sa population. Non pas par profond intérêt pour le peuple,
mais dans un objectif pratique : connaître sa population signifie (1) savoir de combien d'hommes on dispose pour le combat ; (2) savoir quels impôts on peut « lever ». Depuis le recensement de 1851, l’État cherche à connaître la profession exercée par les Français. L’objectif premier est évidemment financier, puisque cela permet d’adapter la politique fiscale à la population : les impôts sont alors diversifiés en fonction de la profession de l'individu. Petit à petit, les classements effectués dans le recensement se sont précisés : on prend en compte (1) la hiérarchie dans le système de production (chefs d’établissement / ouvriers) et (2) le secteur d’activité (bâtiment, textile par exemples).
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Après la Seconde guerre mondiale, la France cherche à planifier son économie, c’estàdire à encadrer les entreprises pour qu’elles répondent à des exigences définies au niveau national : on décide de favoriser tel ou tel secteur. Pour mettre en œuvre une telle politique, il est important pour l’État de connaître sa population : une classification encore plus précise de la population devient nécessaire. il s’agissait alors de fournir à la Comptabilité nationale des indications sur les comportements des ménages en matière de consommation, de démographie, de politique, de sociabilité, etc. C’est pourquoi en 1954, l’insee (l'Institut nationale de la statistique et des études économiques) établit une nomenclature dite des « catégories socioprofessionnelles » ou « CSP ».
Cette nomenclature est remaniée en 1982 pour mieux prendre en compte les professions des individus, c’estàdire leur métier, l’activité qu’ils exercent (dans une boulangerie, on peut vendre le pain, fabriquer le pain, faire le ménage, ce que l’on ne classe plus dans la même catégorie). On parle alors de « Profession et catégories socioprofessionnelles », ou « PCS ».
Au départ donc, les PCS sont un outil au service de l'État : on est loin des débats sociologiques autour de la notion de classe et autour de l'individualisme méthodologique ou du holisme. Cette nomenclature ne vise a priori pas du tout à soutenir l'idée qu'il existe dans la société des classes antagonistes qui vont lutter l'une contre l'autre. C'est pourquoi les nomenclatures des CSP puis des PCS ne se fondent, au départ, pas du tout sur une hiérarchie.
Il s'agit donc d'une lecture socioprofessionnelle du social, et non d'une lecture hiérarchique : l'idée est de décrire l'organisation interne de la société française, de montrer quelles en sont les parties et quels rapports elles entretiennent entre elles, sans chercher à montrer une supériorité ou une infériorité.
Cependant, toute entreprise de classement de la population est une action sociale : les CSP puis les PCS sont une « construction sociale », dont l'objectivité n'est pas plus grande que celle des classes sociales. En effet, les acteurs qui l'ont mise en œuvre avaient, tout comme les sociologues qui ont créé les classes sociales, des objectifs et des représentations (c'estàdire des visions du monde qui ont pu influencer leur travail).
Comme le précise l’INSEE, « la définition des CSP a pour objet de classer l’ensemble de la population en un nombre restreint de catégories présentant chacune un certaine homogénéité sociale ». Pour cela, « le classement doit être conçu de manière à faire apparaître le mieux possible les différences de situation, de comportement et d’aptitudes… ». C’est dire que l’activité professionnelle, si elle constitue un point de départ, n’est pas suffisante. On peut exercer l’activité de chauffeur de taxi à son compte ou être employé par une compagnie. Un ingénieur en matériel électrique peut être ou non titulaire du diplôme d’ingénieur, il peut exercer son « métier » comme salarié d’une grande entreprise ou comme prestataire indépendant de services. Un exploitant agricole peut travailler sur ses terres ou en louer (fermage), il peut employer ou non des salariés ; un directeur du personnel peut faire partie du staff d’un entreprise privée ou exercer ses fonctions dans un service de l’administration publique, etc.
De fait, la nomenclature de l’INSEE est multidimensionnelle en ce sens qu’elle est le résultat de la combinaison de plusieurs critères discriminants : profession individuelle (métier), statut (position juridique de l’actif), qualification, place dans la hiérarchie, importance de l’entreprise, éventuellement secteur d’activité et opposition fonction publique/entreprise privée. Si donc la profession est le critère dominant, c’est dans son acception complexe, c’est à dire dans ses différents aspects.
Document 19 : les trois premiers niveaux de la nomenclature des PCSNiveau 1 Liste des catégories
socioprofessionnellesNiveau 2 Liste des catégories
socioprofessionnelles de publication couranteNiveau 3 Liste des catégories socioprofessionnelles détaillées
1 Agriculteurs exploitants 10 Agriculteurs exploitants 11 Agriculteurs sur petite exploitation
12 Agriculteurs sur moyenne exploitation
13 Agriculteurs sur grande exploitation
2 Artisans, commerçants et chefs d'entreprise
21 Artisans 21 Artisans
22 Commerçants et assimilés 22 Commerçants et assimilés
23 Chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus 23 Chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus
3 Cadres et professions intellectuelles supérieures
31 Professions libérales et assimilés 31 Professions libérales
32 Cadres de la fonction publique, professions intellectuelles et artistiques
33 Cadres de la fonction publique
34 Professeurs, professions scientifiques
35 Professions de l'information, des arts et des spectacles
36 Cadres d'entreprise 37 Cadres administratifs et commerciaux d'entreprise
38 Ingénieurs et cadres techniques d'entreprise
4 Professions Intermédiaires 41 Professions intermédiaires de l'enseignement, de la santé, de la fonction publique et assimilés
42 Professeurs des écoles, instituteurs et assimilés
43 Professions intermédiaires de la santé et du travail social
44 Clergé, religieux
45 Professions intermédiaires administratives de la fonction publique
46 Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises
46 Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises
47 Techniciens 47 Techniciens
48 Contremaîtres, agents de maîtrise 48 Contremaîtres, agents de maîtrise
5 Employés 51 Employés de la fonction publique 52 Employés civils et agents de service de la fonction publique
53 Policiers et militaires
54 Employés administratifs d'entreprise 54 Employés administratifs d'entreprise
55 Employés de commerce 55 Employés de commerce
56 Personnels des services directs aux particuliers 56 Personnels des services directs aux particuliers
6 Ouvriers 61 Ouvriers qualifiés 62 Ouvriers qualifiés de type industriel
63 Ouvriers qualifiés de type artisanal
64 Chauffeurs
65 Ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage et du transport
66 Ouvriers non qualifiés 67 Ouvriers non qualifiés de type industriel
68 Ouvriers non qualifiés de type artisanal
69 Ouvriers agricoles 69 Ouvriers agricoles
7 Retraités 71 Anciens agriculteurs exploitants 71 Anciens agriculteurs exploitants
72 Anciens artisans, commerçants, chefs d'entreprise
72 Anciens artisans, commerçants, chefs d'entreprise
73 Anciens cadres et professions intermédiaires 74 Anciens cadres
75 Anciennes professions intermédiaires
76 Anciens employés et ouvriers 77 Anciens employés
78 Anciens ouvriers
8 Autres personnes sans activité professionnelle
81 Chômeurs n'ayant jamais travaillé 81 Chômeurs n'ayant jamais travaillé
82 Inactifs divers (autres que retraités) 83 Militaires du contingent
84 Elèves, étudiants
85 Personnes diverses sans activité professionnelle de moins de 60 ans (sauf retraités)
86 Personnes diverses sans activité professionnelle de 60 ans et plus (sauf retraités)
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Il convient de noter que, bien que les PCS cherchent à se distinguer des analyses en termes de classes sociales, cette nomenclature est tout de même « partiellement hiérarchisée ». Ainsi, les 8 CSP (première colonne) sont fortement hiérarchisées : les cadres sont ainsi nettement supérieurs aux ouvriers ; les « professions intermédiaires » se définissent uniquement par leur position intermédiaire entre les employés et les cadres. Cependant, plusieurs critères discriminants renvoient à des oppositions à deux termes que l’on ne peut pas ordonner sur une échelle graduée : salariés/non salariés, secteur public/secteur privé, cadres techniques/cadres administratifs, etc.
La nomenclature des PCS comporte quatre niveaux. Le niveau 4, le plus détaillé, comporte la liste des « professions » des individus. On y trouve par exemple les professions suivantes : « éleveurs d'herbivores sur moyenne exploitation », « viticulteurs, arboriculteurs fruitiers, sur grande exploitation », « artisans de l'habillement, du textile ou du cuir », « artisans du travail mécanique du bois ». Ce niveau comprend 497 « postes » (il y a 497 professions prises en compte par l'Insee).
Le niveau 1, le plus « agrégé », comprend les huit « Catégories socioprofessionnelles » ou CSP : agriculteurs exploitants (ce sont les agriculteurs qui possèdent leur propre exploitation, à ne pas confondre avec les ouvriers agricoles) ; artisans, commerçants et chefs d'entreprise ; cadres et professions intellectuelles supérieures (les cadres sont la catégorie supérieure des salariés d'une entreprise) ; les professions intermédiaires (entre les employés et les cadres) ; les employés (ce sont les salariés employés à un travail plutôt intellectuel mais sans rôle d’encadrement ou de direction) ; les ouvriers (ce sont les personnes qui exécutent un travail manuel ou mécanique impliquant un salaire) ; les retraités ; les autres inactifs. Attention : les chômeurs sont des actifs, ils ne sont donc pas classés dans la catégorie 8 ; ils sont au contraire dans la PCS à laquelle ils appartenaient avant d'être au chômage.
4. Les inégalités se transforment : vers une moyennisation ou vers une polarisation ?Inégalités et stratification sociale sont liées, nous l'avons déjà vu. Si les inégalités s'affaiblissent ou se
transforment, il est logique de penser que c'est en lien avec des transformations de la stratification sociale. Ainsi tout un courant de pensée relie l'atténuation des inégalités visible au cours du XXè siècle à la constitution d'une vaste classe moyenne. Et les arguments ne manquent pas pour soutenir cette thèse.
Cependant, nous montrerons qu'on peut observer l'apparition de nouvelles inégalités, brouillant les frontières traditionnelles entre les groupes sociaux, mais les recomposant plus qu'elles ne les supprimeraient.
4.1. La dynamique de la moyennisation, ou la baisse séculaire des inégalités
4.1.1. Les inégalités se sont globalement réduites au XXè siècle... Le rapprochement des modes de vie a été permis par la réduction des inégalités économiques et
sociales traditionnelles. Si l'on prend l'ensemble du XXè siècle, on ne peut pas nier la réduction des inégalités économiques : les bas revenus ont progressé nettement plus vite que les hauts revenus, la consommation s'est beaucoup accrue (spécialement après la seconde guerre mondiale) pour toutes les catégories sociales, rendant possible l'accès quasi généralisé aux biens de consommation durables (automobile, réfrigérateur, télévision, lavelinge, etc). Parallèlement, la sécurité devant les aléas de la vie a beaucoup progressé pour tous grâce au développement de l'État providence : la Sécurité sociale a permis à tous les Français de se soigner convenablement et de bénéficier de retraites permettant de vivre dignement, ce qui était très loin d'être le cas auparavant. La très grande sécurité de l'emploi durant les Trente glorieuses a également permis à beaucoup de ménages de faire des projets et d'emprunter pour acquérir leur logement (l'accession à la propriété s'est développée dans toutes les couches sociales). Enfin, la scolarisation de tous les enfants s'est allongée. Résultat : on peut soutenir l'idée que les modes de vie se ressemblent de plus en plus, quel que soit le groupe social auquel on appartient. Ainsi, l'habillement est beaucoup moins typé socialement qu'il ne l'a été (tout le monde porte des jeans), les départs en vacances concernent un nombre grandissant de Français, on retrouve sur les bancs du lycée des enfants de tous les groupes sociaux, etc.
4.1.2. ... Ce qui a conduit à l'émergence d'une vaste classe moyenneLa constitution d'une vaste classe moyenne, regroupant les professions intermédiaires, certains cadres,
les ouvriers qualifiés, une bonne partie des employés, serait la conséquence de cette réduction des inégalités, mais aussi de l'uniformisation des modes de vie. C'est ce que Henri MENDRAS explique dans le document cité plus haut.
Dans le monde du travail, les différences se sont aussi beaucoup atténuées : les agriculteurs sont de moins en moins nombreux et leurs tâches de gestion les font de plus en plus ressembler à des chefs d'entreprise de l'artisanat ou de l'industrie, les ouvriers travaillent de moins en moins souvent directement la
Document 21 :la moyennisation par la consommation
Document 20 : les PCS sontelles des classes sociales ?Les CSP (ou les PCS) ne doivent pas être confondues avec
une analyse en termes de classes sociales. En effet, la nomenclature s'appuie sur des données empiriques et, s'il s'agit de dresser des catégories sociales homogènes, l'homogénéité en question est mesurée par le revenu, le diplôme, la situation hiérarchique, la nature d'activité, etc. Au contraire, une classe sociale est un regroupement d'acteurs sociaux unis par une même communauté de destin, donc d'intérêts. Et cette communauté de destin produit généralement un regard particulier sur la société, regard qui influe sur le comportement, la culture, les formes d'organisation, etc. Il est donc possible, à travers ces indicateurs extérieurs langage, vêtements, habitudes culturelles, vote politique, etc. de tenter de repérer l'existence de classes sociales. Mais la partition en classes sociales distinctes repose toujours sur une façon d'analyser la société, ce qui n’est en rien le cas des PCS..
D’après Alternatives Economiques, CDRom, Edition 2004
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matière, ils ont le plus souvent des fonctions de contrôle sur des opérations de production de plus en plus souvent automatisées. Certains cadres doivent se passer de secrétaire et tapent euxmêmes leurs rapports ou leur courrier, de même qu'ils gèrent seuls leur agenda. L'autonomie dans le travail est plus grande à tous les échelons de la hiérarchie. Donc, là aussi, les différences (et donc les inégalités) s'atténuent.
On note de plus une diminution des affrontements de classes : les individus cherchent de plus en plus à accroître leur consommation et donnent la priorité à l'amélioration de leur situation personnelle et de celle de leurs enfants sur la défense de leur groupe social. Le résultat est que les conflits sociaux collectifs diminuent en nombre au profit d'une compétition entre individus (même si vous n'avez pas du tout cette impression, il y a beaucoup moins de grèves à la fin du XXè siècle que dans les années 1970, par exemple, nous le reverrons dans un prochain chapitre).
Enfin, on observe un rapprochement des modes de consommation : l'enrichissement durant les Trente Glorieuses a permis au plus grand nombre d'accéder à un même type de consommation (logement, voiture, électroménager, télévision, téléphone). Par ailleurs, la relative démocratisation scolaire et le développement des médias ont permis la constitution d'éléments de culture communs. Ainsi, certains événements sportifs ou certains films ont une audience qui transcende les groupes sociaux traditionnels.
Cette idée de moyennisation de la société est donc fondée sur des réalités difficilement contestables. Cependant, aujourd'hui, nombreux sont les sociologues qui remettent en cause cette analyse : la diminution de certaines inégalités, réelle, ne signifie pas la disparition des inégalités. D'abord, certaines inégalités traditionnelles augmentent à nouveau. Ensuite, on voit apparaître de nouvelles inégalités qui dessinent un nouveau paysage de la stratification sociale en France.
4.2. Cependant on peut craindre aujourd'hui une remontée des inégalités4.2.1. Une « repolarisation » de la société ?
Depuis une vingtaine d'années environ, il est de plus en plus difficile de parler de moyennisation de la société. D'abord parce que les inégalités traditionnelles ne se réduisent plus, ensuite parce que se développent de nouvelles inégalités. Tant et si bien que beaucoup de sociologues parlent aujourd'hui plutôt d'une « polarisation » de la société, c'estàdire d'une fragmentation de la population en deux groupes distincts, très éloignés, chacun à une extrémité de l'échelle sociale.
La tendance à la réduction des inégalités traditionnelles semble stoppée. On a vu plus haut que, si les inégalités économiques se sont globalement réduites sur le long terme (depuis la seconde guerre mondiale ou depuis le début du XXè siècle), les inégalités de revenus et de patrimoine augmentent sous l'effet conjugué de la hausse du chômage et de la montée du prix des actifs patrimoniaux (de l'immobilier principalement). Par ailleurs, les inégalités de consommation n'ont pas complètement disparu non plus : certains biens restent socialement sélectifs (lavevaisselle, ordinateurs, etc.) et les vacances ne sont pas du tout les mêmes selon les groupes sociaux. Enfin, la scolarisation s'est bien allongée pour tous, mais les études restent très différentes selon le groupe social d'origine. Ainsi, il y a proportionnellement plus d'enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures dans les classes préparatoires aux grandes écoles aujourd'hui qu'il n'y en avait il y a trente ans (où ils étaient déjà très surreprésentés).
Les inégalités de patrimoine se sont fortement accrues depuis 1980. D'abord parce que le prix des actifs patrimoniaux (les biens ou les titres possédés par un ménage) ont augmenté beaucoup plus vite que les revenus du travail depuis 1984 : par exemple, le prix du mètre carré dans l'immobilier a progressé 4 à 5 fois plus vite que le salaire moyen depuis 1980. Ensuite parce que les revenus tirés du patrimoine on progressé
beaucoup plus vite que les revenus du travail (pensez à la modification du partage de la valeur ajoutée au bénéfice des détenteurs de capitaux, sous formes de dividendes par exemple).
La remontée des inégalités se conjugue avec un phénomène de cumul des inégalités. Les inégalités font système, c'estàdire qu'elles s'entraînent mutuellement les unes les autres. On peut en donner quelques exemples : un travailleur au chômage aura du mal à trouver un logement car il ne pourra pas disposer de suffisamment de feuilles de paie pour prouver sa capacité à payer le loyer (sa « solvabilité »). Mais s'il n'a pas d'adresse à donner à un éventuel employeur, il est certain de ne pas trouver d'emploi Dans la réalité, notre homme n'aura ni logement, ni emploi. Sans prendre ces extrêmes, on sait bien que si un ménage dispose de revenus faibles, il partira moins en vacances, se soignera moins bien, etc.
4.2.2. Des frontières de plus en plus floues entre les groupes sociauxUne autre conséquence de la transformation des inégalités à la fin du XXè siècle est l'apparition de
nouvelles inégalités qui ne séparent plus les groupes sociaux traditionnels les uns des autres, mais créent au contraire des hiérarchies à l'intérieur de ces groupes, entre les individus qui les composent. Le résultat est que la stratification sociale est brouillée : les groupes ne sont plus aussi homogènes qu'autrefois. Des inégalités de salaires liées à l'histoire personnelle de chaque individu
Pour un même niveau de diplôme, par exemple, les inégalités de salaires se sont beaucoup accrues. En fonction de quoi ? De plus en plus en fonction des aléas de la vie de chacun : si l'individu a été embauché au bon moment par une entreprise qui se développait, il a pu bénéficier d'opportunités de carrière que d'autres titulaires du même diplôme n'auront pas eues s'ils habitent dans une région en déclin économique, par exemple. On observe la même fragmentation au niveau du groupe des ouvriers. Quoi de commun entre un ouvrier qualifié travaillant dans une grande entreprise comme EDF, par exemple, ayant pu acquérir son logement dans des conditions très avantageuses et disposant d'une énergie peu coûteuse (les salariés d'EDF paient l'électricité très peu cher), et un ouvrier qualifié du textile vosgien, secteur en complète déconfiture, qui a été licencié successivement de plusieurs entreprises et se retrouve sans emploi avec une qualification qui n'a plus de valeur sur le marché français du fait de la mondialisation ? Pas grandchose, assurément. On peut donc dire que la trajectoire individuelle compte de plus en plus pour expliquer les inégalités, en particulier économiques, observées. De nouvelles inégalités apparaissent, liées aux transformations du salariat
La précarisation du contrat de travail d'un certain nombre de salariés engendre une inégalité qui a d'importantes conséquences pour la vie quotidienne entre ceux qui ont un emploi stable, sûr (pas seulement les fonctionnaires) et les autres qui craignent pour leur emploi, quand ils en ont un. Ainsi, il est beaucoup plus difficile d'acheter un logement, et même d'en louer un, quand on a un emploi précaire (un CDD, par exemple) que quand on a un emploi stable. D'autre part, on constate une personnalisation croissante de la relation d'emploi : c'est la compétence personnelle de l'individu qui lui permet d'exercer cet emploi, pas, ou de moins en moins, sa simple force de travail qui pouvait auparavant être interchangeable avec celle de son voisin. Des inégalités « transversales »
Des inégalités « transversales » (qui traversent les groupes sociaux) sont apparues en tant que telles. On a déjà parlé des inégalités entre hommes et femmes, on peut parler aussi des inégalités en fonction de l'âge : toutes les générations n'ont pas et n'auront pas accès aux mêmes avantages. Ainsi, les jeunes ontils aujourd'hui des difficultés majeures pour accéder à un emploi stable, comme s'il y avait une sorte de « droit d'entrée » à payer (petits boulots, travail quasi non rémunéré lors des stages, etc.).
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4.2.3. La thèse de Louis CHAUVEL sur « le retour des classes sociales »Le texte cidessous est extrait de Louis CHAUVEL, « Les transformations de la structure sociale »,
Nouveau manuel de SES, La Découverte, 2003 :L'idée que les classes sociales disparaissent a connu une expansion considérable en France au cours
des vingt dernières années. Cette fin proviendrait :• dans la sphère politique, de la diffusion du pouvoir (politique et syndical) au sein de l'ensemble des
catégories de la population et de la déstructuration des comportements politiques selon les strates sociales ;• dans la sphère économique, d'une part de l'augmentation du secteur tertiaire, dont les emplois ne
correspondaient pour la plupart à aucun système de classe parfaitement clair, et d'autre part de la diffusion de la propriété dans toutes les couches sociales ;• de l'élévation du niveau de vie et de consommation qui conduit à la disparition de strates de
consommation nettement repérables, rendant peu vraisemblable l'intensification de la lisibilité des différentes strates.À ces arguments classiques sont venus s'en ajouter d'autres : la croissance scolaire et l'entrée des
classes populaires au lycée puis à l'université, le flou croissant des échelles de salaire, la diffusion de la propriété de valeurs immobilières, la généralisation d'une culture « moyenne », la complexification induite par l'entrée massive des femmes dans le monde du travail ; l'exclusion des pauvres et la précarisation des outsiders pourraient prendre le pas sur les inégalités traditionnelles (les ouvriers stables étant dès lors au nombre des insiders) ; la multiplication de différenciations et de conflits fondés sur des enjeux symboliques, la revendication de la reconnaissance des différences religieuses, de genre, d'ordre culturel, régionalistes, ethniques ou d'orientation sexuelle ; enfin, plus généralement, dans les théories postmodernes, l'existence de « styles de vie » mouvants, choisis par les
individus au gré du temps, pourrait tout autant disqualifier les approches en termes de classes. Le schéma général de ce type d'argumentation est le plus souvent une ligne causale qui va d'une baisse des inégalités économiques jusqu'à celle de la conscience de classe.
Dans une perspective de long terme, sur le demisiècle passé, c'est une évidence, mais il convient d'en saisir les limites pour échapper aux risques du dogmatisme. Une lecture attentive des vingt dernières années montre en effet que l'on a peutêtre un peu vite anticipé la permanence de ces évolutions. Si l'on passe en revue l'ensemble des indicateurs disponibles, on constatera que :
• La « disparition » des classes populaires (employés plus ouvriers) est très contestable, puisque cet ensemble représente 60% de la population active, tout autant que dans les années 1960.• Même si les inégalités statiques (le rapport entre le salaire ou le revenu des classes supérieures et
des classes populaires) ont diminué, les « inégalités dynamiques » (le temps de rattrapage des mieux situés par les autres) se sont considérablement accrues du fait du ralentissement économique, qui interrompt mécaniquement l'effet d'ascenseur social que la croissance suscitait ; dès lors, des frontières que l'on croyait périmées se reconstituent.• Alors que la société salariale avait assis sur le salaire tout un ensemble de droits sociaux (retraite,
santé, etc.), le recours accru à l'épargne et à la dépense volontaire pourrait amplifier l'effet des inégalités de patrimoines [...].• Par ailleurs, alors que les sociologues postmodernes affirment que nous sommes entrés dans une
ère d'abondance qui permet le libre choix des référents de consommation et de culture, on constate au contraire le maintien de très rigides frontières sociales dans l'accès aux biens les plus élaborés [...].• si la mobilité sociale structurelle s'est accrue avec la croissance des cadres et professions
intermédiaires, les nouvelles générations qui connaissent une moindre expansion bénéficient de moindres progrès en la matière. [...] Les générations nées dans les années 1970, qui ont connu jusqu'à 30% de taux de chômage sur les deux premières années après les études, connaissent de plus forts risques de mobilité descendante.• Concernant la mobilité « nette », s'il existe bien un surcroît de fluidité, le phénomène dominant reste
bien celui de la reproduction sociale où les enfants de cadres ont relativement à ceux d'ouvriers des probabilités 70 fois plus importantes d'accéder à la catégorie cadre plutôt qu'à celle d'ouvrier...
On peut dire en conclusion que les inégalités se transforment plus qu'elles ne disparaissent, accompagnant les transformations économiques liées à la croissance. Ces transformations contribuent à ce que les inégalités soient davantage vécues sur le mode individuel que collectif. La frontière des groupes sociaux est de ce fait beaucoup moins claire. Cela ne signifie pas que la hiérarchie entre les groupes n'existe plus. Et la réduction des inégalités devient également moins simple dans la mesure où cellesci ne sont pas clairement attachées à tel ou tel groupe. La question centrale devient, plus que jamais, celle de l'égalité des chances : comment assurer à chaque individu dans une société qui se veut égalitaire et démocratique les mêmes chances d'accès aux ressources valorisées par la société ? La réponse à cette question n'est évidemment pas simple : nous réfléchirons à cette question de l'égalité dans une société démocratique dans le dernier chapitre de cette partie. Un aspect central de la question est de savoir dans quelle mesure la position sociale des parents détermine la position sociale des enfants : s'il y a une forte « hérédité » sociale, les inégalités se reproduisent sans que le mérite des individus soit réellement pris en compte. C'est la question de la mobilité sociale qui est ainsi posée et que nous aborderons dans le chapitre suivant.
Document 22a : le « temps de rattrapage » du pouvoir d’achat du salaire des cadres par les ouvriers.
La croissance économique permettait à chacun d’espérer en quelques années un niveau de vie caractérisant les catégories situées audessus de lui, dans un jeu de rattrapage perpétuel. Il est ainsi possible de mesurer en années le temps de rattrapage du salaire moyen des cadres par celui des ouvriers. [...] Plus le temps de rattrapage est court, plus sont relatives les frontières économiques. Si ce temps est de l’ordre de 30 ans, un jeune ouvrier peut espérer en fin de carrière un revenu proche de celui des cadres, et un ouvrier plus âgé peut attendre pour ses enfants un sort bien préférable au sien ; si au contraire ce temps de rattrapage avoisine le siècle, les écarts qu’il observe aujourd’hui sont appelés à persister aussi loin que ce que l’horizon théorique de sa vie et de celle de ses enfants lui permet d’entrevoir.
Document 22b : l’évolution du temps de rattrapage
Documents extraits de Louis CHAUVEL, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l’OFCE, 2001.