Symboles, rites et mythes - Christian Salenson

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1 ISTR/ DERRE Session Mars 2014 Symboles, rites et mythes Christian Salenson ISTR/ Marseille Cette session a pour but de mieux appréhender ce qu’est le symbole et la logique propre de la symbolique afin de permettre à des enfants et à des jeunes d’entrer dans cette dimension de la réalité qui permet une autre compréhension du monde que la seule logique scientifique, rationnelle, technicienne et qui ouvre le champ de la compréhension de la religion et du langage religieux ainsi que des arts et du langage des arts. Mais pour commencer cette session nous devons dire de quoi nous parlons lorsque nous parlons de symbole et de symbolique. Cet exposé aura donc une finalité introductive. Le terme de symbole est dévalué dans le langage courant. Ainsi pour dire de quelque chose que ce n’est pas tout à fait la réalité, on dira facilement : ce n’est qu’un symbole. Ainsi le symbole dans cette expression coutumière et révélatrice n’est qu’une figure, une image qui ne rend pas compte et ne permet pas d’appréhender la réalité. Or, au sens où nous allons en parler, nous allons dire au contraire que par le symbole nous pouvons entrer dans des niveaux de la réalité qui sans lui sont inabordables. Nous ne percevons pas le symbole comme une déperdition du sens des choses mais au contraire il se présente comme une saturation de sens, une saturation de présence, un accès au réel qui sans le symbole demeurerait inaccessible. Nous allons donc dans un premier temps définir ce qu’est le symbole. Cet exposé a pour titre : symbole, rites et mythes. Un lien étroit unit ces trois termes. Le symbole est comme l’unité de base par lequel et au moyen duquel vont se constituer des rites et des mythes. Les rites sont des actions sacrées. Ils utilisent des symboles et toutes sortes de symboles dans leur architecture. Nous reviendrons dans un deuxième temps sur les rites qui ont tellement été décriés et soupçonnés à la période moderne alors que paradoxalement nous en cessons de ritualiser notre vie personnelle ou collective. Les mythes à la différence des rites ne sont pas des actions sacrées mais des discours sacrés. Ils racontent des grandes épopées comme dans le mythe de Gilgamesh par exemple, ou bien ils sont constitués de récits plus courts mais hautement significatifs. Toutes les cultures et toutes les religions ont développés des mythes, y compris les sociétés sécularisées. Le terme de mythe est donc le moyen de désigner en anthropologie religieuse les textes sacrés. La modernité

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ISTR/ DERRE

Session Mars 2014

Symboles, rites et mythes

Christian Salenson

ISTR/ Marseille

Cette session a pour but de mieux appréhender ce qu’est le symbole et la

logique propre de la symbolique afin de permettre à des enfants et à des jeunes

d’entrer dans cette dimension de la réalité qui permet une autre compréhension du

monde que la seule logique scientifique, rationnelle, technicienne et qui ouvre le

champ de la compréhension de la religion et du langage religieux ainsi que des

arts et du langage des arts. Mais pour commencer cette session nous devons dire

de quoi nous parlons lorsque nous parlons de symbole et de symbolique. Cet

exposé aura donc une finalité introductive.

Le terme de symbole est dévalué dans le langage courant. Ainsi pour dire

de quelque chose que ce n’est pas tout à fait la réalité, on dira facilement : ce n’est

qu’un symbole. Ainsi le symbole dans cette expression coutumière et révélatrice

n’est qu’une figure, une image qui ne rend pas compte et ne permet pas

d’appréhender la réalité. Or, au sens où nous allons en parler, nous allons dire au

contraire que par le symbole nous pouvons entrer dans des niveaux de la réalité

qui sans lui sont inabordables. Nous ne percevons pas le symbole comme une

déperdition du sens des choses mais au contraire il se présente comme une

saturation de sens, une saturation de présence, un accès au réel qui sans le

symbole demeurerait inaccessible. Nous allons donc dans un premier temps

définir ce qu’est le symbole.

Cet exposé a pour titre : symbole, rites et mythes. Un lien étroit unit ces

trois termes. Le symbole est comme l’unité de base par lequel et au moyen duquel

vont se constituer des rites et des mythes. Les rites sont des actions sacrées. Ils

utilisent des symboles et toutes sortes de symboles dans leur architecture. Nous

reviendrons dans un deuxième temps sur les rites qui ont tellement été décriés et

soupçonnés à la période moderne alors que paradoxalement nous en cessons de

ritualiser notre vie personnelle ou collective.

Les mythes à la différence des rites ne sont pas des actions sacrées mais

des discours sacrés. Ils racontent des grandes épopées comme dans le mythe de

Gilgamesh par exemple, ou bien ils sont constitués de récits plus courts mais

hautement significatifs. Toutes les cultures et toutes les religions ont développés

des mythes, y compris les sociétés sécularisées. Le terme de mythe est donc le

moyen de désigner en anthropologie religieuse les textes sacrés. La modernité

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s’interrogera longuement sur la vérité des mythes et cela ne se fera pas sans

difficultés particulièrement à propos les textes bibliques. Dans une troisième

partie nous essayerons de faire quelques remarques sur la question.

Au terme de cette introduction, permettez moi juste d’ajouter que le

langage religieux est de bout en bout un langage symbolique et que pour initier au

fait religieux, il convient d’en avoir compris le fonctionnement. Il en va de même

pour les arts qui utilisent le même langage et dont l‘oubli ou l’ignorance de ce

mode propre de langage confine à une histoire des arts scientifique et inerte, dans

laquelle on accumule des connaissances périphériques sans jamais entrer dans

l’oeuvre.

Le symbole

De la catégorie du signe

Le symbole relève du domaine du signe car le propre d’un symbole est de

faire signe. On pourrait appliquer au symbole ce qu’Augustin disait des

sacrements : le symbole est un « signe visible ». Ce qui appelle une première

remarque. Tout d’abord on est dans un mode de langage. Le symbole parle. Il

signifie. Il désigne. Il est parlant. Il appartient donc au langage. Il appartient au

langage comme le mot et le concept. Il y a une langue des symboles. Il y a un

langage du symbole. Le feu est un symbole. Il délivre un message. Nous nous

réunissons autour d‘un feu de cheminée. Le feu parle à tous ceux qui sont là. Je

dessine un cœur tout le monde peut lire ce symbole. Si en plus je le transperce

avec une flèche tout le monde comprend combien celui qui a dessiné ce symbole

est atteint ! Pour le dire autrement le symbole ne répond pas à cette question que

notre époque aime trop et dans laquelle elle prétend tout enfermer : A quoi ça

sert ? Mais il répond à la question : qu’est-ce que cela dit ? Qu’est-ce que cela me

dit ?

Polysémique

Cette question se pose immédiatement : qu’est-ce qu’il dit ? Que dit le

symbole du feu ? Et là nous entrons dans l’originalité de ce langage. En effet un

même symbole peut dire des choses diverses. Le symbole du feu peut exprimer de

la convivialité pour ceux qui sont réunis autour de la cheminée. Mais pour ceux

qui sont rassemblés dans un crématorium, il va exprimer plutôt de la destruction.

Et en effet un même symbole a la capacité à dire des choses différentes. Le feu

parce qu’il réchauffe peut renvoyer à la convivialité, à la chaleur d’être ensemble.

Mais parce qu’il détruit, il peut aussi renvoyer vers l’élimination, la purification.

On pourrait encore évoquer bien d’autres symboliques du feu. Il consume

lentement en dégageant de la chaleur et peut évoquer l’amour. Il évoquera aussi le

foyer, le même mot renvoyant d’ailleurs à l’âtre et à la maison voire le couple etc.

Il est donc polysémique.

Le signe et le symbole

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Un même symbole peut signifier des choses très différentes, comme nous

venons de le suggérer à travers le symbole du feu. Nous pouvons maintenant faire

une distinction classique entre le symbole et le signe. Dans le signe, je vois le

signe et je connais sa signification. Je vois un panneau de sens interdit et j’en

connais la signification. Je l’ai apprise. Elle est arbitraire et univoque. Il en va

différemment pour le symbole. Je vois un symbole, je n’en connais pas la

signification car la signification est multiple, diverse, extrêmement variée. Je vois

le signifiant : du feu. Je ne connais pas le signifié : une multiplicité de sens. Telle

est l’originalité fondamentale du symbole. Ce qui pose plusieurs questions et en

particulier : comment fait-on pour lire, pour interpréter un symbole ? Que peut-on

en dire ?

Le langage de la religion et des arts

Remarquons déjà que le langage du symbole est le langage privilégié de la

religion et des arts. En effet pour exprimer des choses mystérieuses, les religions

font appel à de nombreux symboles : du pain et vin par exemple. Mais malheur a

celui qui croit que ce pain est un simple pain et ce vin un simple vin. Ce sont du

pain et du vin symboliques et donc gorgés de significations. Les arts comme les

religions feront appel à ce langage du symbole. La couleur que le peintre va

utiliser ne sera pas une simple couleur. Les formes, les lignes, les couleurs, tout va

concourir à délivrer du sens… car il renvoie toujours le sujet ailleurs…

Signe visible d’une réalité invisible

Je peux maintenant dire non seulement que le symbole est un signe

visible : de l’eau, du feu, du vin, de la couleur. Mais je peux dire que c’est « un

signe visible d’une réalité invisible ». Et cela même pour un symbole banalisé

comme celui de cœur. Si je dessine un cœur, je dessine un signe visible. Tout le

monde peut le voir. Mais la réalité elle est invisible : l’amour que j’ai pour une

personne, car l’amour personne ne l’a jamais vu. On n’en voit jamais que des

signes. Des signes qui sont suffisamment forts, assez parlants pour croire que

réellement l’amour est là. Le symbole est le signe visible d’une réalité invisible.

Un symbole n’est jamais une preuve. Il n’est toujours qu’un signe qui demande à

être reçu, à être interprété, d’une certaine manière à être cru. Il n’est pas

uniquement un signe visible. Il est « le signe visible d’une réalité invisible ».

L’invisible dans le visible

Quel est le rapport qu’il y a entre le signe visible et la réalité invisible. La

réalité invisible est rendue d’une certaine manière présente dans le signe visible.

Ainsi l’amour que j’ai pour quelqu’un est rendu visible dans le baiser que je lui

donne. Le baiser « représente » l’amour ; il rend présent l’amour. Il l’épiphanise.

Il manifeste ce qui est caché. Quand Picasso peint Guernica, toute l’horreur du

bombardement est rendue présente dans le tableau, alors même que le signifiant

n’est qu’un tableau, si je puis dire. La grotte de Lourdes n’est pas qu’une

excavation mais au moyen de la capacité signifiante de la grotte, elle donne accès

à un Au-delà pour le pèlerin. Donc d’une certaine manière l’invisible est rendu

présent dans le visible par le symbole qui le représente. En même temps, toute la

réalité n’est pas contenue, enfermée dans le symbole. Le baiser représente

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l’amour que j’ai pour mon ami. Il ne dit pas tout. Il n’épuise pas la réalité invisible

de l‘amour que je lui porte. La sexualité exprime et rend présent l’amour de deux

personnes mais l’amour ne se limite pas à la sexualité, sans quoi on serait à

proprement parler dans de l’idolâtrie. Ce sera particulièrement vrai dans la

religion. Le symbole qui rend réellement présent l’invisible, le pain consacré par

exemple dans la religion catholique, n’enferme pas le divin dans le pain ni dans le

tabernacle. Si le divin se manifeste réellement dans le symbole, il le transcende.

La matérialité détermine la signification

Chaque symbole délimite un champ propre de signification. Le symbole de

l’eau n’est pas celui du feu, un Requiem n’est pas un Te Deum et une visitation

n’est pas une crucifixion. Cette délimitation se fait par les formes même du

signifiant. Le symbole de la croix commence dans sa matérialité elle-même. Ainsi

la croix est constituée de deux axes : un vertical et un horizontal et d’un point de

jonction des deux. Là commence sa signification. Celui qui veut apprendre à lire

les symboles doit toujours revenir à leur matérialité. Celui qui, par une trop grande

familiarité, n’y verra plus qu’un emblème religieux verra le sens symbolique

s’atténuer jusqu’à l’insignifiance.

Cette matérialité détermine un champ de signification : un cyprès dans un

cimetière est un index pointé vers le ciel, disait Bachelard nous invitant à lever la

tête en ce lieu symbolique où le regard se porte plus spontanément vers le trou qui

est creusé en terre.

Symbolique des espaces

Il y a une symbolique des espaces et des temps. Certains espaces sont des

espaces sacrés, dans les religions par exemple. Ainsi les temples, synagogues,

Mosquée, Eglise à des degrés divers sont des espaces sacrés et donc symboliques.

Ce ne sont pas n’importe quels lieux : par leurs dimensions, leurs formes, les

couleurs, les jeux de lumière comme par le mobilier et les objets qui sont utilisés,

ils déterminent des jeux de signification différents. Mais que comprend l’élève à

qui on apprend les noms de lieux : le clocher, le portail, le cloître mais à qui l’on

n’ouvre pas l’espace de sens ?

Certains espaces ne sont pas sacrés/saints mais il y a une signification

symbolique des espaces dont il vaut mieux avoir une certaine conscience. L’école

n’est pas un espace sacré même si certains laïques veulent la sanctuariser !

L’école est un espace symbolique. Observez votre établissement scolaire, vous

verrez si la symbolique des espaces fonctionne. Où est le bureau du directeur ? Où

est la chapelle ? Où est la salle des professeurs ou les espaces du personnel

d’entretien ? Les symboles mentent moins que les mots et souvent dénoncent le

mensonge des discours.

Le symbole dans l’éducation

L’éducation de l’enfant se fait en l’initiant aux symboliques des espaces et

des temps. Une ritualisation du coucher est nécessaire pour exorciser ce moment

délicat et un peu angoissant pour le jeune enfant… et pour les adultes !

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Une difficile frustration

Le problème difficile à concevoir, à accepter et à vivre pour les hommes et

femmes de la modernité réside dans le fait que l’on ne peut pas définir une fois

pour tout le sens d’un symbole. Tout d’abord parce qu’il peut y en avoir plusieurs,

voire contradictoires parfois, que cela va dépendre aussi du contexte dans lequel

on se trouve et de la capacité de ceux qui sont là à se laisser toucher par le

symbole. Car on n’explique pas un symbole, on commence par l’éprouver, le

ressentir, parfois même à son insu. Il faudra parfois longtemps entre ce qui a été

éprouvé plus ou moins consciemment à un moment donné et le moment où on

parviendra à dire une parole qui partiellement au moins tente d’en rendre compte.

On accède au monde des symboles moins par l’enseignement que par l’initiation.

Conclusion

En terminant cette première partie, je voudrais dire le caractère nécessaire

de ce langage symbolique. Il nous permet d’exprimer ce que nous ne pourrions

pas dire sans lui. Ainsi l’amour porté à quelqu’un ne peut s’exprimer uniquement

dans les mots. Il a besoin que l’on fasse appel au langage symbolique du corps, le

baiser, la caresse, la sexualité. L’homme a besoin de la musique pour exprimer ses

sentiments, la tristesse, la joie. L’homme religieux a besoin de symbole pour

exprimer son ouverture sur l’au-delà. Les arts …

Les rites

Les rites sont des actions symboliques dans lesquelles, les hommes

s’expriment, construisent leur représentation du monde, de leurs relations

mutuelles, donnent du sens à leur existence. Pour cela les rites utilisent les

symboles divers et variés.

Les rites de la vie quotidienne

Tout le monde ritualise. Il suffit de penser à quelques séquences de la vie

quotidienne telles que le repas familial. S’il s’agissait uniquement de se nourrir, il

suffirait d’absorber quelques pilules énergisantes. Nous y gagnerions beaucoup de

temps car la ritualité absorbe beaucoup de notre énergie. Il faudra se mettre à table,

selon des places souvent ritualisées elles aussi. Le seul fait de vouloir manger dit

notre désir de vivre. Il faudra partager de la nourriture. Les participants en

consommant un mets commun disent leur unité et le partageant de manière

équitable exprime la reconnaissance qu’ils ont les uns pour les autres. La table

familiale va dire aussi la manière dont sont vécus les rôles au sein de la famille, y

compris la construction sociale des genres qui est de fait vécue quelques soient par

ailleurs les discours tenus !

Les rites aux grands moments de la vie

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Les rites permettent de vivre les grands moments de la vie. Certains sont

des rites de passage, comme ceux de l’adolescence à l’âge adulte ou encore le

mariage. On joue dans des rites des réalités qui ne peuvent pas se dire dans des

mots. Les rites établissent chacun dans son rôle et sa place et servent à marquer

les changements de place. Les examens fonctionnent souvent comme des rites de

passage dans notre société. Les rites garantissent à chacun une certaine légitimité

et permettent d’assumer les changements de place et de fonction.

Les rites religieux laïcs

Le République met en œuvre des rites : fête nationale, défilé du 14 juillet.

Prochainement, on a annoncé l’entrée au Panthéon de quatre nouvelles

personnalités. Le caractère religieux républicain est clairement énoncé puisqu’il

s’agit du Panthéon. On va donc avoir droit à une apothéose, nom que l’on donnait

aux empereurs lorsqu’ils étaient divinisés après leur mort. Parmi elles, deux

femmes. Le symbole est clair et il est voulu.

Les rites des religions

Les grands rites religieux jouent des aspects essentiels de la vie et du sens

qu’on lui donne. Ainsi le baptême par exemple qui symbolise que toute vie est un

passage de l’Egypte à la terre promise ; la circoncision qui marque dans la chair

une appartenance à Dieu. Le mariage qui a travers des symboles expriment en fait

l’ensemble de la vie du couple à venir : l’alliance passée au doigt. Vous voyez la

symbolique sexuelle. Puisque le mariage est consommé, conclu dans la relation

sexuelle, et que l’on ne peut pas copuler publiquement, on le joue à travers la

bague au doigt. Le symbole donne à voir ce qui ne se laisse pas voir !

Les rites comme mise en scène de l’existence

Les rites se construisent en faisant appel à une grande diversité de

symboles. Ainsi un pèlerinage qui est un rite majeur dans toutes les religions fait

appel à la symbolique des espaces et du temps mais aussi de l’eau, de la lumière,

du feu. Le rite ne fait pas nécessairement appel à la foi confessée dans une

religion donnée. Il agit par lui-même. Ceux qui font le chemin de saint Jacques

sont transformés par le chemin, même s’ils ne l’investissent pas subjectivement

comme un pèlerinage. On ne maitrise pas les effets du rite.

Dans un pèlerinage, on joue symboliquement la vie, avec ses joies et ses

épreuves surmontées. La procession est une forme de pèlerinage raccourci. On

parcourt un espace qui évidemment est symbolique de la vie. On trace au sol un

espace sacré en zigzaguant ce qui évoque le labyrinthe présent dans toutes les

grandes mythologies. On parcourt ce chemin symbolique avec une lumière à la

main. On entre dans l’intelligence d’un rite en entrant dans l’intelligence des

symboles qui le constituent.

La modernité

La modernité a beaucoup critiqué le rite, ne voyant souvent en lui que les

formes pathologiques : ritualisme, obsessionalité du rite etc. Il aurait fallu même

supprimer les rites. La Réforme protestante n’en a gardé que le baptême et la Cène

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et encore ce fut grâce au combat de Luther. Elle a bien failli n’avoir que des

Ecritures. La modernité fait plus confiance aux discours qu’aux gestes et

pourtant… cela ne nous a pas empêché ces dernières années de développer

certains rites comme l’apéro… presque jusqu’à l’obsessionalité parfois !

Les rites et la constitution des personnes

Les rites participent à la constitution de la personne. Ainsi il y a des rites

pour les différents âges de la vie : des rites ne naissance, de puberté, de mariage,

de procréation, autour de la maladie, des rites autour de la mort, etc. Notre société

voit disparaître des rites mais d’autres prennent de l’importance. Je pense aux

anniversaires pour les enfants. Cette ritualisation de la date de naissance ponctue

la croissance de l’enfant et l’aide à se situer dans le temps et dans son propre

temps. Il en ira différemment pour l’adulte à qui sans le lui exprimer directement

on vérifie s’il lui reste encore un peu de souffle… Probablement que nous sommes

en déficit de rite pour le passage de l’enfance à l’âge adulte.

Les rites et l’Ecole

Les rites participent à la constitution des groupes. Le bizutage par exemple.

Le salut aux couleurs dans l’armée devant le symbole de la nation qu’est le

drapeau, qu’il faudra défendre au prix de sa vie sur le champ de bataille.

L’école a ses rites : les rites de passage. L’entrée à l’école est déjà un rite,

l’entrée en 6eme, l’agrégation, le doctorat… sans parler des innombrables rites de

la vie quotidienne par lesquels on organise le temps et l’espace. Certains rites ont

disparu : ainsi la distribution des prix. Dans la distribution des prix, on valorisait

une certaine réussite et on n’a probablement pas envie de continuer de cette façon.

Tous ces rites méritent une grande attention car le sujet et l’institution se

construisent à travers ces signaux. Nous sommes en déficit de rites, y compris à

l’école et que nous manquons d’imagination pour inventer des formes diverses à

propos d’un départ de l’école en fin de scolarité par exemple, ou bien pour

marquer les réussites de chacun. etc.

Les mythes

Par le terme de « mythes » on désigne les récits écrits ou parfois oraux qui

sont constitutif d’un groupe, d’une nation, d’une religion. Certains récits ont eu

une importance extraordinaire telle l’épopée de Gilgamesh. Elle aura une

extension dans le temps et dans l’espace invraisemblable. Si des hommes ont

répété ces récits, en les enrichissant, en les amendant, en les réécrivant, ce n’était

pas uniquement parce qu’il s’agissait là d’une belle histoire mais parce qu’ils se

retrouvaient dans ces récits.

Les mythes pour ceux qui les vivent délivrent plus ou moins

consciemment une représentation du monde, une représentation de l’homme et de

la femme, de leurs relations, une représentation de la vie. Tout cela ne se fait pas

au travers de discours idéologiques mais à travers ces mises en scène.

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La question n’est pas de savoir si les grecs croyaient à leurs mythes. D’une

certaine façon la réponse est évidente. Oui ils y croyaient. Mais est-ce qu’ils

croyaient que Prométhée avait descendu le feu du ciel dans une branche de fenouil.

Probablement pas ! Ils croyaient surtout au message que véhiculaient leurs mythes

sans quoi ils s’en seraient désintéressés, ce qu’ils ont fait d’ailleurs quand cela n’a

plus correspondu à leur vision du monde. Peu importe s’ils croyaient à la lettre

des récits, ils croyaient aux représentations qu’ils véhiculaient.

Et les jeunes générations d’aujourd’hui ? Est-ce qu’ils y croient à la guerre

des étoiles ? A la superficialité du récit, probablement pas ! Ces récits sont de

vrais mythes, c’est-à-dire des récits symboliques qui au-delà de la superficialité du

récit racontent la vie, développent une théologie, donnent une représentation du

monde, de la réussite et de l’échec, de vrais récits de salut !

Là encore, comme pour le symbole, et précisément parce qu’on est dans un

langage symbolique, celui qui s’arrête au premier degré s’interdit définitivement

de comprendre. Il ne comprendra pas le texte biblique, celui qui comptera les

côtes de l’homme pour vérifier s’il lui manque réellement celle avec qui Eve a été

faite ! Ni d’ailleurs s’il essaie d’expliquer par quel phénomène Jésus pouvait bien

marcher sur les eaux !

La vérité d’un mythe ne se trouve pas dans le rapport que le récit

entretiendrait avec un événement qui se serait passé mais la vérité se trouve dans

la capacité d’un mythe de révéler un sens du monde, de la vie, de la relation, du

divin etc. La question n’est pas de savoir si Marie a rendu visite à Elisabeth, mais

ce que cela révèle du sens divin de la rencontre. La question n’est pas de savoir si

Gilgamesch a existé mais ce que sa quête de l’immortalité révèle de l’être humain

et de sa manière d’être-au-monde. La question n’est pas de savoir si Prométhée a

inventé le sacrifice mais ce que le sacrifice signifie de la relation au divin et aux

autres.

Conclusion

Durant cette session nous ne pourrons pas tout aborder mais peu importe !

Il suffit de se laisser conduire dans une diversité d’approches. Le symbole se

laisse approcher et délivre les saveurs, la pluralité de sens dont il est porteur quand

on l’habite … en le savourant car le symbole contrairement au concept ne parle

pas d’abord à la raison. Il parle au corps. Il parle aux sens et c’est ainsi qu’il fait

sens. C’est pourquoi nous avons quelques peines à nous laisser entrainer sur ses

traces et conduire en des lieux où nous ne maitrisons pas tout.

Le symbole est à la base du langage religieux. Sa nature est symbolique et

celui qui le lit comme un énoncé scientifique se barre définitivement l’accès. Il ne

comprendra pas un récit de création mais plus grave alors il ne se comprendra pas

lui-même car ce récit lui parle de lui en lui parlant du monde…

Le symbole est à la base du langage artistique. Il crée une profonde

similitude entre les arts et le religieux. Mais là aussi la condition s’impose. Le

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sujet doit accepter de lâcher ses connaissances, ses techniques, ses discours

rationnels pour éprouver une œuvre, se laisser saisir par elle…

Et puis nous continuerons à initier des plus jeunes au monde des arts ou au

fait religieux mais en leur entre baillant le rideau et en les invitant à entrer… Pour

cela nul n’est besoin que nous ayons tout compris. Il ne le faut pas car on initie en

se laissant initier soi-même.