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SELECTIONS D’ENTREE EN FORMATION
D’ASSISTANT DE SERVICE SOCIAL
D’EDUCATEUR DE JEUNES ENFANTS
D’EDUCATEUR SPECIALISE
D’EDUCATEUR TECHNIQUE SPECIALISE
DU JEUDI 21 JANVIER 2016
EPREUVE ECRITE QUESTIONNAIRE
Durée : 3h30 Notation : /20 Coef. 1
Vous devez traiter l’ensemble de ces questions.
Question n°1 : La Réunion n’a pas été touchée par la redéfinition des Régions. En effet, la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) promulguée le 7 août 2015 a réduit le nombre de régions de 27 à 18. Une Région Océan Indien regroupant les 2 régions d’outre-mer Mayotte/Réunion serait-elle envisageable à terme ? Qu’en pensez-vous ?
Question n°2 :
En 2015, le gouvernement a fixé pour objectif d’amener 60 % d’une classe d’âge dans l’enseignement supérieur (niveau licence au moins). Qu’en pensez-vous ?
Question n°3 :
Mille euros d’amende avec sursis pour Rob Lawrie, qui avait aidé une fillette de la « jungle » de Calais.
Les poursuites dont il faisait l’objet avaient été rebaptisées « délit de solidarité ». Finalement, le Britannique Rob Lawrie a été condamné, jeudi 14 janvier, à 1 000 euros d’amende avec sursis pour « mise en danger de la vie d’autrui ». L’homme comparaissait devant le tribunal de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) pour avoir tenté de faire passer clandestinement une fillette afghane de la « jungle » de Calais en Angleterre.
…/…
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…/…
Ancien militaire de 49 ans, chef d’entreprise, Rob Lawrie avait été arrêté le 25 octobre 2015 par la police aux frontières française avec à bord de son véhicule Bahar Ahmadi, 4 ans.
Rob Lawrie était poursuivi pour « aide au séjour irrégulier », passible de cinq ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Conformément aux réquisitions du parquet, c’est finalement pour « mise en danger de la vie d’autrui » que l’homme a été condamné. « Parce que la fin ne justifie pas les moyens. Ce n’est pas parce qu’on veut aider une enfant qu’on peut l’aider en mettant sa vie en danger », a affirmé le procureur, rappelant que la fillette n’était « protégée par rien, pas de ceinture, etc. ».
« La France est un pays humain ! », s’est exclamé Robert Lawrie après le jugement, enlaçant ses proches, alors que de nombreux partisans venus lui apporter leur soutien ont acclamé avec des cris de joie et des applaudissements le tribunal. « C’est étonnant, mais c’est une très bonne nouvelle », s’est pour sa part félicité Christian Salomé, président de l’Auberge des migrants, appelé en tant que témoin. « Mais c’est normal qu’il y ait une condamnation, c’est symbolique pour éviter que ça ne serve d’exemple. » De son côté, l’avocate de Rob Lawrie, Me Abassade a annoncé que son client ne ferait pas appel de la décision.
« Ce que j’ai fait était stupide » A l’ouverture du procès, jeudi, Rob Lawrie a présenté ses excuses, évoquant une attitude « irrationnelle ». « Ce que j’ai fait était stupide, j’étais émotionnellement épuisé. Je suis désolé », a-t-il déclaré, apparaissant très ému et s’excusant à plusieurs reprises auprès du président du tribunal. « Je n’ai pas bien réfléchi. J’ai essayé de faire en sorte qu’elle puisse rejoindre sa famille qui habitait à seulement huit miles [13 kilomètres] d’où j’habite. »
A la demande du père de Bahar Ahmadi, un Afghan rencontré dans la « jungle » de Calais, où Rob Lawrie venait en aide aux migrants, il avait accepté de déposer la fillette dans la communauté afghane de Leeds. C’est alors qu’il avait été interpellé au volant de sa camionnette par la police française. Dans une salle d’audience pleine, où de nombreux journalistes et curieux ont dû rester debout, il a dit ne pas avoir eu de contacts avec les gens qui habitaient en Grande-Bretagne et n’avait que leur adresse pour leur amener la fillette.
« Elle était en sécurité » Interrogé sur les risques qu’il faisait courir à la fillette en la transportant dans sa camionnette, Rob Lawrie s’est une nouvelle fois excusé, en relativisant le danger d’un tel transport. « Si j’avais eu une voiture, je ne l’aurais pas mise dans le coffre. Mais avec ma camionnette, elle avait de la place, et c’était plutôt confortable pour elle. C’était chaud pour elle et elle était en sécurité », a-t-il dit, expliquant qu’il ne devait pas être rémunéré pour ce transport. « C’était une décision irrationnelle, ce n’est pas moi, ça… Ce n’était pas moi, en fait. C’est une décision très bête », a-t-il expliqué.
Le Monde.fr avec AFP 14.01.2016
Que vous inspirent les actes de Monsieur Rob Lawrie ? Que pensez-vous de la décision de justice ?
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EPREUVE ECRITENOTE DE SYNTHESE
Durée : 2 heures
CONSIGNE
A partir du texte ci-joint, vous réalisez une synthèse sur le sujet suivant :l’avenir des démocraties.Votre synthèse très condensée doit se situer dans une fourchette de 350 à400 mots.Tous les mots comptent, qu’ils soient des mots « pleins » (noms, verbes,adjectifs…) ou des mots outils (articles, auxiliaires du verbe, prépositions,conjonctions de coordination ou de subordination, négations…). Les motscomposés comme « parce que » ne valent qu’un.Vous devez préciser à la fin de votre synthèse le nombre de mots quevous avez utilisés.
(noté sur 20, coef. 1)
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DYNAMITER OU DYNAMISER LA DEMOCRATIE ?
La plupart des démocraties des pays développés vivent une crise de confiance. Le
renouveau passe-t-il par une redynamisation ou par un dynamitage du système ?
Aujourd’hui, tout le monde ou presque se réclame de la démocratie. Pourtant, personne n’est
d’accord sur ce qu’elle devrait être. Démocratie libérale ou radicale ? Démocratie participative
ou représentative ? Démocratie locale ou centralisée ? Il existe aujourd’hui quantité d’analyses
sur l’état de la démocratie et sur les moyens de la renouveler. Ces questionnements traduisent
la vitalité du débat démocratique et de la théorie politique contemporaine. Mais ils montrent
également que la démocratie semble n’avoir jamais autant douté d’elle-même. Incontestable
comme modèle politique, elle est incertaine sur la direction à prendre.
Le triomphe de la démocratie à la fin du XXe siècle s’est accompagné d’une perte de confiance
dans sa capacité à résoudre les crises du nouveau siècle, qu’elles soient économiques,
sociales ou internationales. Incapacité, d’abord, de la démocratie à exporter son propre modèle,
comme le montre l’échec de la stratégie du democracy building en Afghanistan et en Irak.
Incapacité, ensuite, à réduire les inégalités économiques et sociales, ainsi que le montrent les
travaux récents sur la pauvreté. Incapacité, enfin, à restaurer la confiance entre gouvernants et
gouvernés, comme en témoigne l’abstention et le vote sanction lors des élections. Cette
dernière incapacité est peut-être la plus grave car elle englobe toutes les autres. Si crise de la
démocratie il y a, c’est d’abord une crise de confiance des citoyens dans le système
démocratique, qui s’exprime par le rejet des élites politiques, médiatiques et intellectuelles. Les
chercheurs s’attachent ainsi à proposer des diagnostics de crise qui, s’ils sont extrêmement
variés, tournent pour la plupart autour de ce problème de confiance entre le peuple et ses
représentants.
Les diagnostics de crise
L’historien Pierre Rosanvallon met l’accent sur le sentiment de « défiance » qu’éprouvent les
citoyens à l’égard du pouvoir politique. Sur la démocratie représentative se greffe désormais
une « contre-démocratie », qui exerce un pouvoir d’empêchement, mais peut aussi représenter
un moyen de revitaliser une vie politique moribonde. La contre-démocratie, ce n’est pas être
contre la démocratie, c’est d’abord considérer qu’on peut faire de la politique autrement (dans la
rue, dans les ONG, sur Internet, etc.). P. Rosanvallon explique que, contrairement aux
apparences, les citoyens sont intéressés par la politique et prêts à s’y engager. Mais il souligne
également qu’un réel malaise s’est installé dans l’esprit des citoyens qui considèrent la
démocratie comme une aristocratie déguisée. Alain Badiou et Slavoj Zizek, dans une
perspective beaucoup plus radicale, vont jusqu’à dire que la démocratie est une illusion et qu’à
tout prendre, un régime ouvertement autoritaire vaut mieux qu’une démocratie « molle » et
hypocrite. Préfaçant les discours de Robespierre, Zizek loue la « violence divine » de la terreur
révolutionnaire, qu’il oppose au capitalisme mondialisé et au « matérialisme démocratique ».
Pour comprendre l’écho dont bénéficient ces thèses, il est nécessaire de tenir compte du
contexte dans lequel elles s’inscrivent. Depuis l’implosion du régime soviétique au tournant des
années 1990, la démocratie est d’autant plus prise pour cible par les uns qu’elle est montrée en
exemple par les autres. A l’origine des nouvelles critiques de la démocratie, il y a l’idée selon
laquelle l’histoire humaine se serait achevée par la victoire, en forme d’apothéose, des
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démocraties libérales sur les totalitarismes. Cette croyance a été de courte durée. En réalité, la
disparition des ennemis historiques de la démocratie (bolchévisme et nazisme) n’a pas réglé
tous ses problèmes internes. D’autres sont apparus par ailleurs, comme le constate Marcel
Gauchet dans La Démocratie contre elle-même. Les démocraties actuelles ne sont plus
menacées de l’extérieur par un tyran en chair et en os qui voudrait les éliminer. Elles sont
désormais rongées de l’intérieur par un mal redoutable car difficile à circonscrire. Crise de la
représentation ? Désertion civique ? Inégalités économiques et sociales ? Discriminations ?
Tous ces phénomènes sont des symptômes plus ou moins visibles de la crise des régimes
démocratiques contemporains. Il reste que les observateurs ne parviennent pas à s’entendre
sur les causes profondes du mal.
Toutefois, les penseurs attachés à la tradition libérale et ceux qui prônent une démocratie
« radicale » semblent s’accorder sur un point : la remise en cause des libertés fondamentales
au nom de la sécurité représente un réel danger. Cette tension entre liberté et sécurité est à
l’œuvre dans l’ensemble des régimes démocratiques « néolibéraux », avec des effets tout à fait
concrets sur la vie sociale. Plusieurs enquêtes récentes ont en effet relevé la montée en
puissance du discours sécuritaire, observable à tous les niveaux de la société, sur des
problèmes graves ou en apparence anecdotiques : que l’on pense à l’explosion des gardes à
vue et des détentions provisoires, aux campagnes pour l’hygiène alimentaire (« Cinq fruits et
légumes par jour ») et pour la sécurité routière. Ainsi a-t-on sérieusement envisagé de mettre
en place un couvre-feu pour empêcher les jeunes de se tuer sur la route le week-end. L’idée a
été pour l’instant abandonnée, mais la régulation du risque et le principe de précaution
constituent assurément des « priorités gouvernementales ». Comme le suggère le sociologue
Ulrich Beck, les démocraties contemporaines peuvent être décrites comme des « sociétés du
risque », où les citoyens cherchent à dominer leur sentiment d’insécurité. Dans ce contexte, le
rôle de l’État est ambivalent. L’État est responsable de la sécurité des citoyens, et c’est la
raison pour laquelle il est tenu de prendre en charge et de coordonner les « politiques du
risque ». Mais si l’État ne parvient pas à gérer correctement la crise (comme ce fut le cas avec
la crise de la vache folle et plus récemment lors de la controverse autour des téléphones
portables), il ne fait alors qu’attiser le sentiment d’inquiétude des citoyens au lieu de le dissiper.
Un néolibéralisme des règles
L’accumulation des règles et la juridicisation de l’ordre politique peuvent avoir pour effet de
réduire la liberté de chacun au nom de la sécurité de tous. Jusqu’où, dès lors, pousser
l’impératif de sécurité sans toucher aux principes libéraux qui caractérisent la vie
démocratique ? En posant cette question, un certain nombre de théoriciens du droit, comme
Philippe Raynaud et Denis Salas, incitent à la vigilance, tout en suggérant que le problème est
en réalité plus profond et complexe.
En effet, ce qu’on observe aujourd’hui dans les sociétés démocratiques, c’est une mutation des
principes libéraux eux-mêmes. Le libéralisme se transforme en « néolibéralisme », ce qui
affecte du même coup les démocraties. Le néolibéralisme des règles diffère sensiblement du
libéralisme politique qui s’est déployé en Europe dès la fin du XVIIIe siècle à travers la forme
politique nationale. Le premier est en effet fondé sur la toute-puissance de l’économie et du
droit tandis que le second plaide en faveur d’une primauté du politique sur les sphères
économiques et juridiques. Le danger majeur pointé par des auteurs comme Pierre Manent et
M. Gauchet, dans la continuité de Tocqueville, c’est la dépolitisation des démocraties, qui
s’exprime notamment par la désertion civique. Dans un régime libéral poussé à l’extrême, les
citoyens renoncent à prendre en main leur destin politique pour se replier sur la sphère privée,
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en déléguant à l’État la planification de l’avenir. Mais dans la perspective néolibérale, l’État
renonce lui aussi à une partie de ses attributions au profit du marché ou d’organisations infra et
supranationales. Dès lors, qui est responsable ? Au XXIe siècle, l’enjeu essentiel selon M.
Gauchet, c’est de former un régime politique démocratique capable de tenir compte du désir
d’émancipation des individus et d’assurer dans le même temps le bon gouvernement de la
collectivité. Cela n’est possible à ses yeux que si l’État et les citoyens se donnent les moyens
d’agir à nouveau sur le cours des événements. Ainsi, la crise des subprimes en 2008 a mis en
lumière le besoin de régulation politique de l’activité financière, par exemple par la mise en
place d’un protectionnisme. Elle a aussi mis en avant le rôle décisif des États dans l’élaboration
de politiques économiques, sociales et environnementales concertées à l’échelle régionale,
voire mondiale.
Pour P. Manent, les difficultés de la démocratie, du moins en Europe, viennent davantage du
discrédit de la nation. Ce dernier interprète le rejet de la nation comme un refus de la politique :
les citoyens préfèrent être administrés par des règles de gouvernance (juridiques, morales et
économiques) que par un gouvernement représentatif qu’ils considèrent comme illégitime et
arbitraire en dépit de l’élection. Pour P. Manent, un régime politique ne peut de toute façon
s’épanouir que s’il est associé à une forme politique idoine. Les Anciens ont réalisé la
démocratie directe dans le cadre de la cité. Les Modernes ont réalisé la démocratie
représentative à l’intérieur des nations. Les Européens peuvent-ils se gouverner
démocratiquement sans forme politique, par le truchement des procédures de Bruxelles ? Rien
n’est moins sûr selon P. Manent, rejoint sur ce point par Paul Thibaud et Jean-Pierre Le Goff.
Prenant l’exemple du problème européen, ces auteurs expliquent que la contrainte extérieure,
« l’adaptation » à la mondialisation ou encore l’impératif de « modernisation » sont des alibis
commodes avancés par les gouvernements pour ne plus assumer leurs responsabilités
politiques.
Pour sortir de cette impuissance organisée, doit-on compter sur un retour de la nation et du
politique opéré au moyen des mécanismes traditionnels (parlement et exécutif) ou bien sur un
sursaut « citoyen » issu de la société civile ? Peut-on concilier démocratie représentative et
démocratie participative ? Les réponses apportées par la théorie politique pour relancer la
démocratie ne nous donnent pas de sésame. Elles mettent plutôt en lumière les clivages
politiques actuels.
Controverses sur la participation démocratique
Dans la pensée de gauche, un débat oppose ainsi les théoriciens de la démocratie radicale, qui
veulent « dynamiter » la démocratie libérale, à des auteurs plus modérés, qui veulent la
dynamiser ou la revivifier, par exemple en redéfinissant les modalités de la participation du
peuple.
Les premiers pensent que la démocratie doit cesser d’être libérale pour être réellement
démocratique : c’est le point commun d’auteurs aussi différents que Naomi Klein, Toni Negri,
Jacques Rancière ou Alain Badiou, qui sont plus ou moins proches des nouveaux mouvements
sociaux. Pour ces penseurs, les contestations sociales ne sont pas des pathologies mais bien
des régénérations « par le bas » de la vie démocratique, rendues possibles grâce à l’égalité
fondatrice des citoyens. Ceux qui disent le contraire expriment, selon J. Rancière, une « haine
de la démocratie » en se réfugiant dans une conception restrictive, institutionnelle, de la vie
politique. Tout l’enjeu est donc de préserver l’intensité de la vie démocratique qui prend forme
dans les luttes sociales et non dans les parlements. Inspirés par J. Rancière, Michel Foucault et
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Pierre Bourdieu, les théoriciens de la gauche radicale imaginent ainsi des « stratégies » pour
résister à la domination des pouvoirs en place : boycott, désobéissance civile, émeutes … Chez
A. Badiou, dont l’admiration pour Mao ne s’est jamais démentie, le propos prend même une
connotation révolutionnaire. Les « sans » (sans-papiers, sans emploi, sans logement) doivent
s’allier entre eux, aux côtés des intellectuels, pour faire advenir « l’événement », autrement dit
le moment révolutionnaire, qui constitue le jugement suprême. Selon A. Badiou, l’élection n’a
aucune valeur « démocratique » substantielle ; elle n’est qu’un leurre mis en avant par les
classes dominantes pour s’arroger le pouvoir et discréditer les contestations issues des
mouvements sociaux. À côté de ces courants qui se situent dans l’héritage du marxisme,
d’autres analyses prennent au sérieux la mise à l’écart du peuple tout en proposant des
solutions moins radicales. Pour Yves Sintomer et Loïc Blondiaux, la démocratie libérale souffre
effectivement de ne pas savoir donner la parole aux citoyens. La démocratie participative
corrige en partie les défauts de la démocratie représentative, car elle permet de renouer le lien
entre gouvernants et gouvernés. Les « jurys citoyens » et les dispositifs de démocratie locale
sont ainsi conçus comme des compléments à la démocratie représentative et non comme un
substitut.
Il y a lieu cependant de s’interroger sur la pertinence du concept de participation comme ressort
principal de la vie démocratique. Dans l’un de ses romans, Milan Kundera relate cette histoire
qui a lieu à la fin du printemps de Prague en 1968, quand les Soviétiques envahissent la
Tchécoslovaquie. M. Kundera décrit une vieille dame dans la rue, au milieu des chars russes
qui entrent dans la ville. La vieille dame se dirige vers son verger pour s’assurer que ses poires
sont mûres, sans même jeter un œil sur les chars russes. La vieille dame aurait-elle dû résister
plutôt que de cueillir ses poires ? M. Kundera ne répond pas à la question. Mais quoi qu’il en
soit, une communauté politique qui oblige ses membres à lutter contre l’oppression ou même à
cueillir les poires n’est pas une démocratie. La démocratie est le seul régime où les vieilles
dames peuvent choisir librement de cueillir leurs poires ou de s’engager dans les luttes
politiques. Liberté est laissée au citoyen de participer ou pas.
L’avenir des démocraties
Comment concilier la liberté des citoyens avec les nécessités du gouvernement, qui doit
décider, trancher, trouver des compromis ? Telle est la croix de la théorie politique
contemporaine. Ce défi n’est pas nouveau. Il est consubstantiel à la démocratie. La démocratie
est par excellence le régime du mouvement, du progrès, tandis que la monarchie est celui des
positions établies à la naissance. Le ressort profond de la démocratie moderne, c’est cette
insatisfaction chronique qui la pousse à avancer, toujours plus vite, toujours plus loin. C’est
l’une de ses principales forces, mais aussi l’une de ses faiblesses. L’incertitude et le goût
d’inachevé sont le prix à payer pour le mouvement et la liberté démocratique. D’où le sentiment
que la crise, en démocratie, est un mal récurrent, voire permanent. « Rien n’échoue comme le
succès », disait Gilbert Chesterton. Cet aphorisme s’applique bien à nos vieilles démocraties,
qui ont triomphé mais souffrent de n’avoir jamais atteint leur but.
Jean François HOLEINDRE,Sciences Humaines