Socius-La Socialite Du Texte Litteraire de La

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 socius : Ressources sur le littéraire et le social La “socialité” du texte littéraire : de la sociocritique à l'analyse du discours. L'exemple de L'Acacia de Claude Simon Ruth Amossy On peut se demander, en cette première décennie du xxie siècle, ce qu’il est advenu de la sociocritique née au début des années 1970 autour de la revue Littérature et des travaux de Claude Duchet. En France, le vocable n’a presque plus cours et on a pu constater ce qu’il faut bien appeler une désaffection progressive. Pourtant, le projet sociocritique proposait d’explorer un aspect essentiel de la littérature dont il semble difficile de faire l’économie : la socialité ou dimension sociale des textes littéraires. Il entendait appréhender celle-ci, non pas aux alentours de l’écrit, dans ce qu’il est souvent convenu d’appeler le contexte, mais dans la matérialité même du discours. Selon Duchet, c’est parce qu’il est langage, et travail sur le langage, que le texte littéraire dit le social 1 . Il ne le fait pas seulement à partir de sa thématique, mais aussi à travers ses façons de dire, de moduler le discours social, d’orienter le regard du lecteur sur le réel. Tel reste jusqu’à ce jour le principal intérêt de la sociocritique. Recherchant la dimension sociale au cœur même de l’écriture, elle engage à découvrir ce que les textes nous révèlent de la société passée et présente, même lorsqu’ils se refusent à en traiter explicitement. Un poème de Laforgue, un récit de Gracq ou de Pi nget, ne disent pas moins le social qu’un roman de Balzac, de Zola ou de Maupassant. Comment expliquer qu’un questionnement aussi fondamental n’ait pas trouvé plus d’échos ? Sans doute cette question comporte-t-elle diverses réponses. La première tient à l’obédience marxiste du premier courant sociocritique. A sa manière, qui différait de celle d’un Lukacs ou d’un Goldmann, Duchet entendait dévoiler l’idéologie qui se dissimule dans le texte, en dénoncer les effets aliénants ou en souligner le pouvoi r de démystification. Or les considérations sur l’idéologie semblent depuis longtemps passées de mode, et les enjeux socio-politiques des analyses marxisantes relégués au grenier. Le deuxième facteur tient à l’impasse méthodologique dans laquelle s’est assez rapidement enfermée la sociocritique en raison de son assise structuraliste. La sociocritique a en effet émergé au moment où les études littéraires, à l’instar d’autres sciences humaines, prenaient exemple sur la linguistique structurale et privilégiaient le systémique. Tenir compte du social non aux alentours de l’œuvre,  1 / 17 Phoca PDF

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On peut se demander, en cette première décennie du xxie siècle, ce qu’il est advenu de la sociocritique née au début des années 1970 autour de la revue Littérature et des travaux de Claude Duchet. En France, le vocable n’a presque plus cours et on a pu constater ce qu’il faut bien appeler une désaffection progressive. Pourtant, le projet sociocritique proposait d’explorer un aspect essentiel de la littérature dont il semble difficile de faire l’économie : la socialité ou dimension sociale des textes littéraires.

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    La socialit du texte littraire : de la sociocritique

    l'analyse du discours. L'exemple de L'Acacia de Claude

    Simon

    Ruth Amossy

    On peut se demander, en cette premire dcennie du xxie sicle, ce quil est advenu

    de la sociocritique ne au dbut des annes 1970 autour de la revue Littrature et des

    travaux de Claude Duchet. En France, le vocable na presque plus cours et on a pu

    constater ce quil faut bien appeler une dsaffection progressive. Pourtant, le projet

    sociocritique proposait dexplorer un aspect essentiel de la littrature dont il semble

    difficile de faire lconomie : la socialit ou dimension sociale des textes littraires. Il

    entendait apprhender celle-ci, non pas aux alentours de lcrit, dans ce quil est

    souvent convenu dappeler le contexte, mais dans la matrialit mme du discours.

    Selon Duchet, cest parce quil est langage, et travail sur le langage, que le texte

    littraire dit le social

    1

    . Il ne le fait pas seulement partir de sa thmatique, mais aussi

    travers ses faons de dire, de moduler le discours social, dorienter le regard du

    lecteur sur le rel. Tel reste jusqu ce jour le principal intrt de la sociocritique.

    Recherchant la dimension sociale au cur mme de lcriture, elle engage dcouvrir

    ce que les textes nous rvlent de la socit passe et prsente, mme lorsquils se

    refusent en traiter explicitement. Un pome de Laforgue, un rcit de Gracq ou de

    Pinget, ne disent pas moins le social quun roman de Balzac, de Zola ou de

    Maupassant.

    Comment expliquer quun questionnement aussi fondamental nait pas trouv plus

    dchos ? Sans doute cette question comporte-t-elle diverses rponses. La premire

    tient lobdience marxiste du premier courant sociocritique. A sa manire, qui

    diffrait de celle dun Lukacs ou dun Goldmann, Duchet entendait dvoiler lidologie

    qui se dissimule dans le texte, en dnoncer les effets alinants ou en souligner le

    pouvoir de dmystification. Or les considrations sur lidologie semblent depuis

    longtemps passes de mode, et les enjeux socio-politiques des analyses marxisantes

    relgus au grenier. Le deuxime facteur tient limpasse mthodologique dans

    laquelle sest assez rapidement enferme la sociocritique en raison de son assise

    structuraliste. La sociocritique a en effet merg au moment o les tudes littraires,

    linstar dautres sciences humaines, prenaient exemple sur la linguistique structurale

    et privilgiaient le systmique. Tenir compte du social non aux alentours de luvre,

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    mais lintrieur mme de la logique textuelle, tel tait le dfi quil sagissait de

    relever dans les cadres danalyse hrites du formalisme russe et du structuralisme. A

    cette tche incommode sest ventuellement ajoute celle, non moins dlicate,

    darticuler une tude intra-textuelle avec une sociologie de la littrature drive de

    Bourdieu, attentive aux positions et aux positionnements dans le champ littraire.

    On voit donc ce qui fait la fois la force, et la faiblesse, de la sociocritique. Elle porte

    un projet fondamental et puissant, celui de montrer que le social nest pas une ralit

    externe que le discours sefforce de mimer, mais un lment intrinsque du discours

    qui sinvestit dans le lexique, le maniement du discours social, la mise en forme

    esthtique. Cette approche abolit ipso facto la traditionnelle division du texte et du

    contexte et analyse les modalits selon lesquelles le langage construit le rel plutt

    quil ne le reflte. Sa faiblesse rside nanmoins dans le fait quelle reste en partie

    tributaire dune approche qui recherche la socialit dans les structures profondes du

    texte et dans le travail de lcriture pris en-dehors de sa dimension

    communicationnelle. Ce faisant, la sociocritique a eu tendance autonomiser et

    hypostasier le Texte littraire, dans un geste qui le distingue de tous les discours

    environnants et le pose dans une problmatique unicit.

    Lalliance du projet sociocritique avec les sciences du langage sest renoue au

    tournant du sicle partir dun dplacement majeur, qui a permis de pallier les

    insuffisances de lapproche marxiste et structuraliste des dbuts. Dans lensemble, la

    socialit du texte littraire est dsormais apprhende dans sa dimension

    communicationnelle et interdiscursive. Dans cette perspective, le texte littraire relve

    dun fonctionnement discursif gnralis lintrieur duquel seul il peut acqurir une

    spcificit. Il nest pas essentiellement diffrent des autres discours, si bien quon peut

    parler de discours littraire en lieu et place du Texte hypostasi (Cest le titre du

    livre de Maingueneau publi en 2004). Ce fonctionnement global comprend un

    dispositif dnonciation au sein duquel le locuteur (ou le scripteur) manie le langage

    lintention dun allocutaire (ou dun lecteur implicite). Cest donc dans une vise

    communicative, elle-mme tributaire dune situation de discours, quil reprend et

    retravaille le discours ambiant ce quAngenot appelle le discours social

    3

    .

    On comprend ds lors que la socialit soit inhrente au langage, quil soit ou non

    littraire. Tout dabord, elle sinscrit dans lnonciation, o il importe de voir qui parle

    qui, dans quel rapport de places, et sur la base de quelles images de soi et de lautre.

    Ce dispositif dnonciation sinscrit dans une situation de discours globale qui

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    comprend des donnes souvent catgorises comme contextuelles, mais qui font en

    ralit partie intgrante de lchange verbal. Ce dernier est par ailleurs model par les

    rgles du genre de discours dans lequel il sinscrit, genre qui est lui aussi dtermin

    par les dcoupages institutionnels dune socit donne. Dans ces cadres de

    communication, le discours manifeste sa socialit par le choix dun lexique, par ses

    codes et ses clichs, par ses argumentaires, par limaginaire social dont il se rclame

    et par les discours ambiants quil tisse dans sa propre trame. Il restitue les lments

    verbaux dores et dj imprgns de significations et de valeurs sociales sous des

    formes nouvelles, parfois indites, qui construisent une vision du rel tantt

    conventionnelle et tantt innovante, voire franchement rvolutionnaire. Cest dans ce

    sens que la dimension sociale du texte littraire, comme dailleurs de tout discours,

    apparat comme constitutive.

    Sans doute des proccupations dordre linguistique attentives la situation de

    discours figurent-elles dj dans les ouvrages de Pierre Zima

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    intitul Analyse du

    discours et sociocritique .

    Avant de passer une analyse concrte susceptible dexemplifier les principes

    mentionns plus haut, il importe de prciser que lanalyse du discours littraire,

    comme la sociocritique, entend sarticuler sur une perspective sociologique inspire de

    Bourdieu. Dans cette optique, lcrivain est peru comme un agent qui doit se faire

    une place dans lensemble des courants et coles existants pour obtenir une

    reconnaissance des instances autorises, de ses pairs, ou encore du grand public.

    Comme les travaux des sociologues de la littrature lont bien montr, les choix

    esthtiques, mais aussi idologiques, et les novations marquantes, obissent la

    logique du champ ou tout au moins sinscrivent dans les possibles dune poque. Ainsi,

    linteraction inscrite dans le discours entre le locuteur et son allocutaire est double

    par celle qui relie linstance auctoriale (un nom sur une couverture et une image

    dauteur qui circule dans linterdiscours) son public, et celle-ci son tour renvoie la

    communication qui stablit entre un crivain professionnel et ses publics dans le

    champ de son poque.

    Interrogeons dans cette perspective la dimension sociale, longtemps nglige, dune

    uvre avant-gardiste, en loccurrence LAcacia de Claude Simon

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    . Dans le bref

    espace qui mest dvolu, je me contenterai desquisser la faon dont sa socialit peut

    tre tudie plusieurs niveaux :

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    (1) Le traitement complexe des voix et des points de vue narratifs, la rupture de la

    linarit, bref, une certaine opacit de lcriture de Claude Simon, ont contribu

    gommer sa dimension discursive en donnant limpression dun texte intransitif. Il

    importe de marquer la prsence et limportance dun dispositif nonciatif au sein

    duquel lchange acquiert sa dimension sociale.

    (2) Dans le cadre de cet change socialis peut se dployer un rcit qui explore la

    relation problmatique de lindividu la socit sur une dure dun sicle partir de

    trois niveaux temporels, les annes 1980, les annes 1930 et les annes 1880-1919. Il

    adopte pour ce faire les modalits du questionnement plutt que de lanalyse

    explicative

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    .

    (3) Si le rapport au social qui se dit dans le dispositif nonciatif inscrit dans le texte est

    longtemps pass inaperu, cest que le roman de Claude Simon a fait lobjet dune

    rception qui sexplique dans une logique non plus purement interne, mais

    institutionnelle. Limage de lauteur en Nouveau romancier, le positionnement de

    lcrivain dans le champ, ont provoqu des lectures dsocialises que lvolution

    du champ littraire et la position de luvre en son sein ont peu peu modifies. Il

    sagit l dun phnomne relevant lui aussi dune analyse sociologique.

    I. Le dispositif nonciatif et la situation de discours

    Dans un article de Potique, Franc Schuerewegen notait propos de Claude Simon :

    ici, on ne raconte pas quelquun

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    . Cette interaction apparat jusque dans les pages

    o se droule une phrase mandreuse qui bouscule les habitudes de lecture. Sans

    doute la complexit de la syntaxe et la frquence des parenthses droutent-elles par

    leurs excroissances inattendues, leurs bifurcations vers des pisodes situs une

    autre poque, leurs rapprochements entre lments disparates. Il nen reste pas

    moins que lespace fictionnel dans lequel le texte fait circuler son lecteur slabore

    travers un recours constant des pans de savoir, des images, des valeurs communes.

    Le maniement singulier de ceux-ci fait partager une vision du social et un rapport au

    monde. On le voit dans ce fragment dun passage compos dune phrase qui se

    dploie sur plusieurs pages, et o le protagoniste, au cours dun trajet en train au

    moment de la mobilisation de 1939, se remmore un voyage effectu deux trois ans

    auparavant en URSS :

    et mme pas trois ans depuis ce jour o cette fois sans noeud papillon ni veste de

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    tweed mais vtu (ou plutt dguis l'aide) dun vieux blouson blouson quil mettait

    lorsquil allait la pche : le mme en fait, quil portait maintenant, tendu comme un

    cadavre, mais les yeux grands ouverts, glissant horizontalement dans la nuit, sur cette

    banquette rembourre dun compartiment rserv aux officiers o il navait pas le

    droit de se trouver, la banquette alors de bois, le compartiment de troisime classe

    mais o il navait pas plus la vrit (ou moralement ou convenablement) le droit de

    se trouver, exhibant pour y monter ce quencore une fois on aurait pu appeler un faux

    en criture, cest--dire la conjonction frauduleuse de son nom (le mme qui figurait

    sur les petits rectangles de papier en bas desquels il navait jamais eu qu apposer sa

    signature pour quun obligeant caissier lui compte une liasse de billets de banque) et

    la carte dun parti politique dont le but dclar tait de supprimer les banques en

    mme temps que leurs clients, la carte (couverte de timbres de cotisation tmoignant

    de sa conviction en des ides (notamment celle de supprimer les banques) quil ntait

    pas lui-mme trs sr dapprouver) obtenue (il avait pay les timbres dun coup, tous

    la fois toutefois pas au moyen dun chque et juste le jour avant) pour ainsi dire

    par tricherie, habile persuasion, ltalage, le bruyant affichage de son adhsion ces

    projets de fermeture des banques alors en honneur (sinon obligatoires) chez un

    tudiant en cubisme, trichant donc avec lui-mme (cest--dire trichant moiti, cest-

    -dire dans la proportion o ce programme philosophique de suppression des banques

    ne le sduisait qu moiti)

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    Pour tre lisible en clair, le passage demande lactivation dun scnario familier, celui

    du jeune intellectuel dorigine bourgeoise qui adhre au parti communiste et dsire

    participer la construction dun ordre nouveau que ses propres pratiques dmentent.

    Les marques axiologiques sont claires ; le locuteur adopte une distance ironique par

    rapport la faveur dont a pu jouir dans les milieux intellectuels occidentaux lune des

    grandes options idologiques de ce sicle. Cette distance critique par rapport aux

    systmes qui rgissent le monde savre gnralise dans le rcit. Le monde meilleur

    est en fait celui des dparts avorts o stagnent des groupes de gens habills

    comme des paysans, rassembls autour de bagages confus et attendant on ne sait

    trop quoi puisque pratiquement personne (sauf pourvu du papier ncessaire) navait le

    droit de prendre le train

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    . Que lexprience sovitique soit prsente comme un

    fiasco nempche pas une critique froce lgard du capitalisme qui se nourrit des

    guerres. Lethos du narrateur est ici celle dun tre libr de toute allgeance

    idologique ou politique et fidle certaines valeurs de base de lhumain. Cest aussi

    limage de son lecteur que, dans un jeu de reflets, il inscrit en creux. Si on ajoute que

    le dsir et la capacit se mesurer avec un texte difficile, voire opaque, renforce

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    limage dun destinataire dot dun solide bagage culturel et littraire, on admettra

    que le discours de LAcacia met en place un change entre lettrs, entre intellectuels

    non-conformistes pourvus dun capital symbolique qui leur permet de privilgier la

    difficult novatrice dans le domaine artistique et de garder la plus grande

    indpendance desprit dans le domaine politique.

    Ajoutons que lcriture polyphonique du rcit ne dstabilise pas vraiment ce modle

    dans la mesure o elle prsente une structure dembotement des voix et un

    flottement temporel qui ne portent pas atteinte la position du narrateur. Cest

    toujours son discours qui nappe la parole des autres et la rcupre. Si le lecteur peut

    parfois avoir limpression dtre en contact direct avec les protagonistes, il reste en

    ralit face au narrateur (ce qui a t traduit par la notion de rcit mmoriel), comme

    on peut le voir dans cet exemple :

    et un moment [] quelquun fit brutalement coulisser la porte du compartiment,

    chercha en ttonnant le commutateur, renona, en mme temps quune voix sche,

    dure, disait Qui tes-vous quest-ce que vous faites l les premires sont rserves

    aux officiers sortez dici !, lautre garon disant sans se lever Sans blague ?, la voix

    sche rptant Qui tes-vous montrez-moi vos papiers o allez-vous ?, lautre garon

    rpondant toujours sans se lever On va tous au mme endroit : au casse-pipe, la voix

    sche disant Sortez tout de suite dici ou, le garon disant Ou quoi ?

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    Lemploi des participes prsents donne cet change entre le simple soldat et

    lofficier une immdiatet

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    , et lofficier dont les attributs sont la brutalit, la

    scheresse, la duret, lautorit, la morgue qui lui dictent de prserver en toute

    circonstance ses privilges, est rapport par le narrateur. Celui-ci relate laltercation

    en labsence de tout commentaire explicite. Il semble la livrer lapprciation du

    lecteur. Il propose nanmoins celui-ci un scnario o la rpartition des rles donne la

    part sympathique au personnage du frondeur populaire, qui finit dailleurs par avoir

    gain de cause, tandis que lofficier dfenseur des privilges de castes est dcrit en

    termes ngatifs (dur, colrique, violent). Une fois de plus, linteraction du narrateur et

    du narrataire seffectue sur la base de valeurs et de scnarios partags.

    On voit donc comment la dimension sociale du discours sinscrit dans le dispositif

    nonciatif, au sein duquel le partage de la parole est rendu possible par le recours

    un langage socialement prgnant (un interdiscours) et une doxa largie aux

    dimensions dun imaginaire social. Or, ce dispositif dnonciation est lui-mme

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    tributaire dune situation de discours globale. Il sinscrit en effet dans un roman dat

    de 1989, une fin de sicle qui confre au narrateur et au lecteur une position en

    surplomb permettant dexplorer un pass houleux avec ses deux grandes guerres.

    Cest dans cette situation de discours que le choix du dispositif dnonciation avec ses

    jeux polyphoniques et ses constructions dimages prend tout son sens.

    Il faut noter quun effet discret de mise en abyme permet au texte romanesque de

    manifester sa propre situation de discours en linsrant dans la narration. Elle occupe

    le dernier palier temporel, celui de la fin des annes 1980, dans le cadre duquel se

    droule le rcit familial qui est aussi celui des deux guerres mondiales. Inscrites dans

    le texte romanesque, les circonstances extrieures de linteraction entre le scripteur et

    son lecteur en expliquent de biais la vise. Elles sont prsentes sur deux plans

    opposs et complmentaires. Le premier se concrtise dans lespace dun bord de mer

    btonn empli de fast-foods et de juke-boxes, livr au bruit et une agitation strile.

    Cet univers qui reprsente la victoire du mercantilisme est un monde en perte

    didentit, clinquant, factice, fait dobjets manufacturs imports

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    . Le second plan est

    celui de lespace concrtis par la maison de famille o le protagoniste interroge ses

    parentes sur lhistoire parentale. Cet espace marginal est en fait capital : cest celui o

    un groupe minoritaire limage du narrateur et de ses lecteurs sengage dans un

    processus de remmoration et se livre la hantise du pass, se penchant indfiniment

    sur une socit priodiquement bouleverse par la violence. Cest donc dans, et

    lencontre, dun monde qui perd ses repres que stablit une communication qui se

    veut exploration du sicle, interrogation sur le pass.

    II. La relation de lindividu au social : une exploration du sicle

    Dans ce cadre, le rcit qui couvre la priode de 1880 1919 propose au lecteur

    lexprience dune reprsentation quasi balzacienne, que lesthtique du roman

    retravaille de lintrieur en transformant ipso facto la mise en scne du social et sa

    porte. Tout dabord, le rcit dune poque rvolue laquelle le narrateur na pas pris

    part apparat comme une rinvention, une reconstruction hypothtique : il seffectue

    grand renfort de peut-tre et de sans doute

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    . Cest dans cette optique que

    toute lhistoire familiale, et avec elle la socit de la Troisime Rpublique, se trouvent

    narres travers de nombreuses rptitions, qui se situent dans la logique dune

    tentative de reconstitution sans cesse recommence dans dinfinies approximations. Il

    y a les diffrentes versions souvent contradictoires relates par les tmoins, le point

    de vue que la mme personne peut prendre sur un pan de vcu des moments

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    diffrents, le retour quopre le narrateur sur un pisode prgnant dans sa tentative

    de le fixer. Le narrateur, dpouill de son omniscience, nest pas habilit cautionner

    la vrit : il spcule sur lvnement dans une dmarche ttonnante.

    Dans le cadre de cette reconstitution imaginaire, le discours romanesque ne parvient

    saisir que des reprsentations figes, sans les enrichir dune comprhension en

    profondeur. Elles se soutiennent dune logique purement sociale, comme le montrent

    bien lhistoire de la promotion sociale du pre, le rcit de la vie des deux surs qui se

    sacrifient pour lui, ou encore celui de la mre. Voici comment est narre la visite de la

    belle-mre et de la fille au prtendant :

    elles dbarqurent toutes deux [] sur le quai dune petite gare o les attendait,

    revtu dun costume civil sans lgance, au pantalon rentr dans des bottes laces de

    garde-chasse, lhomme la barbe carre et la moustache en crocs quelle pensait

    jusque-l insparables dun uniforme (cest--dire garanties par laspect rassurant

    dune tenue dcorative, pouvant, tout prendre, faire lornement dun salon, quelle

    que ft la tte qui les surmontait), linattendu personnage se saisissant lui-mme de

    leurs valises, les portant jusqu une voiture de louage [] la voiture, la caisse,

    sarrtant enfin, lhomme au costume de garde-chasse que tutoyait le cocher les

    aidant descendre, se chargeant nouveau des valises, traversant le trottoir (ctait

    lui qui avait insist, malgr lapprhension quil pouvait avoir dune telle rencontre,

    tenu inflexiblement ce voyage, cette visite), se dirigeant vers un seuil o se

    tenaient deux femmes largement au-del de la quarantaine, aux visages carrs, non

    pas durs exactement mais uss, hommasses, aux mains carres, vtues de robes

    quelles navaient visiblement pas lhabitude de porter [] et quun instant, au vu de

    leur maintien, de cette raideur, de ces visages, la vieille dame prit pour les

    domestiques, jusqu ce quelle comprt quil sagissait des deux surs, serrant alors

    comme en rve les mains calleuses, balbutiant, son visage plus que jamais empreint

    de cette expression de panique, de consternation hagarde, hbte : des femmes, des

    gens, qui devaient probablement lui apparatre non seulement au-dessous de ce

    quelle avait toujours considr (avait t habitue considrer) comme le niveau

    sparant deux classes sociales, mais encore deux espces diffrentes dhumanit

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    On retrouve l le scnario classique de la msalliance entre deux mondes qui

    signorent mutuellement. Cest ici la logique du social qui permet de fantasmer le

    pass en le coulant dans un rcit. Or, cette vocation de la socit du tournant de

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    sicle savre dans lensemble tonnamment creuse et lacunaire. La pesanteur sociale

    si bien voque nexplique pas tout, elle laisse des plages de mystre, des points

    dopacit. Derrire les apparentes motivations de classe, on ne sait pas ce qui se joue,

    quel visage authentique recouvre le masque, quels sentiments agitent le cur de

    lofficier la barbe carre ou de lindolente jeune fille. Cest dire que larticulation de

    lindividuel et du social qui est la base des reprsentations ralistes est omise. Ce

    vide, ce manque permet de faire dfiler un spectacle dont les acteurs dpourvus de

    psychologie individuelle sont des silhouettes reconnaissables leurs traits rcurrents.

    Le pre est dsign par sa barbe noire carre, sa moustache en crocs et ses yeux de

    faence. Les deux tantes se distinguent par leur caractre de mules obstines (tout

    concorde laccomplissement de leur destin de mules

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    . Lvolution du pre, dcrite

    coups de photographies, est emblmatique de ce processus. Le rcit nanalyse pas

    son dveloppement intrieur, il balise son parcours de photos envoyes aux deux

    surs partir desquelles elles suivent de lextrieur les changements qui soprent en

    lui et qui se traduisent par un changement de son apparence physique. Le rcit se

    donne ainsi comme la mise en discours et la dynamisation dimages photographiques

    o chacun rapparat semblable lui-mme, la fois entirement lisible et

    trangement opaque.

    On voit donc comment le discours romanesque, en retravaillant le modle balzacien

    dans lequel semble se couler le rcit parental, permet den restituer la fascination tout

    en bloquant laccs au sens. Larmature sociale ne livre quune logique creuse,

    grene en strotypes pittoresques dpouills de profondeur psychologique. Les

    surfaces restent lisses, les motivations individuelles opaques. Labsence dexplication

    rationnelle semble relaye par des images du destin issues de la dimension mythique

    du rcit

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    . Mais ces images ne peuvent offrir aucune rponse la perplexit dans

    laquelle lHistoire plonge le sujet. Ainsi, chez Simon, lesthtique de la reprsentation

    faussement emprunte Balzac drobe ce quelle donne voir et opacifie ce quelle

    prtend claircir. Lhistoire parentale et celle de la Grande guerre ne se laissent

    pntrer ni par le narrateur ni par ses contemporains : elles appartiennent un monde

    rvolu sur lequel le discours appose un questionnement aussi obstin quinabouti.

    Le rcit qui sattache la priode de 1939-1940 en faisant galement retour sur les

    annes davant-guerre sattache, quant lui, des vnements et une socit que

    les partenaires de lchange peuvent avoir vcu (et dont on sait, biographiquement,

    quils correspondent un vcu de lauteur). Le rapport de lindividu au social y est

    explor sur un mode qui contraste avec celui du rcit parental. La reconstitution du

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    dbut de sicle butte sur la question du conformisme : les personnages y adhrent

    totalement leur rle. La mise en scne des annes trente, au contraire, remet en

    question tous les rles sociaux et les dmystifie. Bien plus, le premier plan y est

    octroy non pas la logique sociale, mais au niveau sensoriel qui dsorganise lordre

    social au profit de la perception immdiate. Cest la suite de la disruption brutale, de

    la violence qui lui est inflige par lexprience de la guerre et du camp de prisonniers,

    que le protagoniste doit retrouver une identit et une place sociales perdues. Si

    lhistoire de lofficier de 1914 est celle de ladaptation excessive et sans restes dun

    individu au milieu jusquauquel il sest hiss, lhistoire du soldat de 1939 est celle dun

    individu en perte didentit qui tente dans des situations-limite de se rinsrer dans le

    tissu social.

    Le modle initial du rcit qui embrasse les annes 1939-1940 est celui du rcit de

    guerre, dans la formule mise au point ds La route des Flandres.

    Ce que refuse [] Claude Simon, cest la superposition de lordre chronologique et

    logique : il ne sagit pas dexpliquer les faits en les liant, mais de les interroger,

    dexplorer les possibles, de travailler les incertitudes quils laissent apparatre, de

    simmiscer dans les brches qui les sparent ; en rompant leur agencement

    strictement factuel, qui, pour Simon, ne rend pas compte du rel, il devient possible de

    faire apparatre une autre logique, celle de la mmoire, de lcriture, de la sensation

    29

    Le lecteur partage ainsi les expriences du protagoniste au moment o celui-ci

    participe un vnement sur lequel il a une vue myope et fragmentaire, mais aussi

    lorsque tout le vernis social craque au profit de llmentaire et du sensoriel.

    Frquemment tudie dans sa matrialit discursive

    30

    , cette dimension de lcriture

    de Claude Simon ne ncessite pas ici de longs dveloppements.

    Il ne faut pas oublier, cependant, que lvocation de la guerre vue par le protagoniste

    et formule par le narrateur ne se contente pas dlments clats, de touches

    impressionnistes : elle les runit aussi dans un ensemble qui leur donne forme et sens.

    Ainsi les attaques ariennes allemandes ressenties par les cavaliers comme lirruption

    dune violence paroxystique participent dune campagne dont le rcit souligne le

    caractre drisoire et en quelque sorte jou davance du ct franais, o avait t

    donn (lordre de les envoyer en rase campagne et monts sur des chevaux la

    rencontre de chars dassaut ou davions)

    33

    .

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    Par ailleurs, la guerre arrache le protagoniste au monde familier dans lequel il volue,

    et le projette dans un espace o il doit trouver de nouveaux repres. Il se trouve ainsi

    sans ressource lorsquil est amen ctoyer des gens des milieux les plus divers,

    comme dans le wagon de nuit o il se trouve en compagnie dhommes frustes au

    langage simple qui semblent former un monde part , en marge de la

    gmissante et craintive espce humaine , et semblables des cratures mi-

    chemin entre lhomme (ou plutt le fort des Halles, le maquignon) et ces btes

    carapace lintrieur violac compos dun lmentaire systme digestif et dun

    lmentaire relais de neurones

    34

    . Dans la suite, il doit sadapter un autre milieu,

    celui du camp de travail qui a aussi son ordre et sa hirarchie. Dans chacun de ces

    pisodes, dissmins dans le texte, le protagoniste subit lexprience dun

    dpaysement complet et y endosse des identits diverses rserviste, brigadier,

    prisonnier quil se doit dassumer pour subsister.

    La guerre de 1939-1940 reprsente donc une rupture qui nabolit pas la socialit, mais

    qui en bouleverse les modalits ordinaires. Cest cette constante radaptation de

    lindividu des contextes nouveaux o il perd tous ses points de repre habituels qui

    caractrise lpoque de la Deuxime guerre mondiale. Plus que lclatement du monde

    davant-guerre, cest la reconstitution dun ordre parallle, dun univers dot dune

    autre rgle, qui est figure dans le roman. Lexprience du fils contraste ici avec celle

    du pre, qui semble adhrer jusquau bout son rle social et reste dans la logique de

    son propre milieu. La rupture opre par la guerre de 1940 coupe le protagoniste de

    son pass, qui fait lobjet dune remmoration plus critique que nostalgique.

    Contrairement aux personnages de lhistoire parentale qui assument jusqu la fin leur

    rle social, le fils dcouvre dans le bouleversement de la mobilisation la facticit de

    son existence antrieure. Il se voit revtant lun aprs lautre les dguisements du fils

    de famille riche. Lorsquil parvient svader, branl par une exprience

    traumatisante dans laquelle il a perdu ses repres identitaires, il est dans lincapacit

    de retrouver une place dans un monde quil juge scandaleux et insupportable

    36

    . La

    venue lcriture marque la transformation du protagoniste en narrateur en mme

    temps que la fin du rcit.

    III. Les positionnements dans le champ et la lecture du social

    Comment se fait-il que cette socialit qui constitue le fondement du rcit nait pas t

    perue ? Tout dabord, sans doute, parce que la tradition du roman du xixe sicle

    prodigue dautres modles, lchelle desquels les rcits nouveaux sont jugs. Le

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    social doit faire lobjet dune reprsentation mimtique et dune explication. Il doit tre

    clair et dvoil dans ses rouages. Dans le rcit de Claude Simon, le narrateur fait

    partager au narrataire un trajet incertain et ttonnant qui explore le rapport de

    lindividu au social sur le mode du questionnement. Quil se refuse totaliser ou

    synthtiser ne signifie nullement quil demeure dans la dconstruction ou quil ne dise

    rien sur le social. Le narrataire dot dun bagage culturel fort et de vues larges qui

    sinscrit dans le texte de LAcacia sera celui qui ne favorisera pas les explications

    systmatiques et exhaustives, mais consentira mditer sur lexprience vcue et

    droutante du social.

    Cette explication est nanmoins lacunaire, car elle ne prend en compte que

    linteraction inscrite dans le discours romanesque, alors que lchange avec le

    rcepteur est tributaire de positions institutionnelles qui lui sont en partie extrieures.

    Ce sont alors les instances de lauteur et de son lectorat suppos qui entrent en jeu.

    Intervient avant toutes choses le nom de lauteur mentionn sur la couverture, Claude

    Simon, et limage qui en circule en 1989, bien connue de tous ceux qui abordent le

    roman nouveau. Dans LAcacia, ils cherchent avant tout Claude Simon, cest--dire ses

    autres textes, accomplissant un parcours intertextuel interne o ils sont sensibles aux

    retours, aux variations, aux chos. Cette coute musicale de luvre clt dautant plus

    volontiers le texte sur lui-mme que lauteur est connu pour son adhsion aux

    principes du Nouveau roman et ses dclarations sur le refus de la reprsentation

    raliste et sur lautonomie de luvre dart. On sait que lcrivain fait partie dun

    groupe davant-garde dont la conscration a t le fruit dune connivence trs troite

    entre les romanciers et la critique savante. La thorisation des crateurs a t reflte

    et reproduite par les commentateurs, qui ont ainsi privilgi la production scripturale,

    lcriture qui se mire indfiniment en elle-mme, le refus du rfrent et de lhistoire,

    Luvre davant-garde devait parvenir la distinction par le travail sur la forme pure :

    Simon demandait davoir ses rcits le mme rapport qu une toile de Klee ou de

    Mir, si bien que des rcits comme La Route des Flandres ou LAcacia, centrs sur une

    exprience de guerre, taient censs se transformer en matriau formel pur semblable

    aux cubes et aux cnes de Czanne que Simon cite souvent en exemple. Lcrivain

    dans son mtadiscours contribuait ainsi carter une hrsie qui avait dj t

    dnonce lors dun colloque de Cerisy de 1971, o Franoise van Rossum-Guyon avait

    mis sur le tapis une lettre adresse lauteur par un colonel de cavalerie disant avoir

    vcu personnellement les pisodes relats dans La route des Flandres.

    Cependant,lauteur relativise ses positions ds les annes 1980, faisant paratre des

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    crits au caractre autobiographique avou qui inflchissent le commentaire. Lheure

    nest plus la productivit textuelle pure, les thories du Nouveau (nouveau) roman

    ont fait leur temps, et luvre de Claude Simon jouit dune conscration indpendante

    de son appartenance un quelconque mouvement davant-garde. Dans les annes

    1990, la critique, libre du primat des jeux auto-rflexifs de lcriture, a relanc la

    question du rapport au rel dans les romans de Simon, proposant une rflexion sur le

    rfrent

    41

    . Dans ce nouveau rapport au texte lgitim par le champ littraire, la

    relation que le narrateur noue son lecteur en lentranant dans son exprience, mais

    aussi dans son questionnement dun sicle plein de bruit et de fureur, acquiert une

    nouvelle visibilit.

    En guise de conclusion

    Lessentiel, rappelons-le, tait ici de montrer larticulation entre diffrents types et

    niveaux de socialit. Dun ct, le discours romanesque inscrit le social dans les

    images verbales quil produit du narrateur et du lecteur, et dans la doxa qui autorise

    leur interaction. Celle-ci est insre dans une situation de discours que le rcit rflchit

    et exhibe, celle de lexploration patiente dun sicle de bouleversements et de la vise

    de questionnement quelle implique. Lexploration seffectue par les modalits

    discursives et esthtiques dun double rcit. Celui du pass lointain qui dbouche sur

    la guerre de 14-18 est reconstruit dans une dmarche faite dhypothses et de

    ttonnements, et fonde sur un modle balzacien dconstruit de lintrieur. En

    dernire instance, la logique sociale double dune dimension mythique fait cran la

    comprhension de lpoque vcue par les parents plus quelle ne lautorise. Celui des

    annes 1940 transmet, au travers dune criture fonde sur limmdiatet de la

    sensation, une vision critique de la guerre clairement formule, en mme temps

    quune vocation puissante de lexprience individuelle dans un monde boulevers par

    la violence guerrire. Cette imbrication des temps autorise une qute complexe du

    pass dans des jeux de parallles et de contrastes entre lordre des deux guerres.

    Dans son nonc comme dans ses modes dnonciation, le discours romanesque, avec

    son dispositif nonciatif, son partage de la doxa et sa mise en scne de la situation de

    discours, inscrit le social et dit un sicle quil interroge avec autant de perplexit que

    dinsistance. Cest cette dimension inhrente au texte qui a t occulte par le

    positionnement dune uvre davant-garde dans le champ littraire et par limage

    institutionnelle de lcrivain en Nouveau romancier. Les possibilits de lecture et leurs

    transformations en fonction de lvolution du champ font elles aussi partie du rapport

    quentretient le discours littraire au social. Elles montrent comment la situation

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    dchange inscrite dans le discours romanesque, et linteraction virtuelle qui sy

    effectue entre le narrateur et le lecteur, est relaye de lextrieur par celle de

    lcrivain et du public, et comment les modalits de celle-ci sont dictes par la position

    changeante du roman dans le champ littraire.

    ADARR, Universit de Tel-Aviv

    Notes :

    1. Duchet (Claude) (dir.), Sociocritique,Paris, Nathan, 1979.

    2. Angenot (Marc), 1889. Un tat du discours social, Longueuil, Le Prambule,

    1989.

    3. Charaudeau (Patrick) et Maingueneau (Dominique) (dir.), Dictionnaire

    danalyse du discours, Paris, Seuil, 2002.

    4. Zima (Pierre V.), Manuel de sociocritique, Paris, LHarmattan, 1985.

    5. Mitterand (Henri), Le discours du roman, Paris, P.U.F., 1980.

    6. Angenot (Marc), op. cit.

    7. On consultera, entre autres :Dtrie (Catherine), Siblot (Paul), Vrine (Bertrand)

    (dir.), Termes et concepts pour l'analyse du discours. Une approche

    praxmatique, Paris, Champion, 2001 ; Dtrie (Catherine), Masson (Michel),

    Vrine (Bertrand) (dir.), Pratiques textuelles, Montpellier, Presses Universitaires

    de Montpellier III, 1998.

    8. Adam (Jean-Michel), La linguistique textuelle. Des genres de discours aux

    textes, Paris, Nathan, 1999. Adam (Jean-Michel) et Heidemann (Ute) (dir.),

    Sciences du texte et analyse de discours. Enjeux d'une interdisciplinarit,

    Paris/Genve, Slatkine, 2005.

    9. Amossy (Ruth) et Maingueneau (Dominique) (dir.), Lanalyse du discours dans

    les tudes littraires, Toulouse, Presses du Mirail, 2002.

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    10. Littrature, n 140, 2005, Analyse du discours et sociocrititque .

    11. Simon (Claude), LAcacia, Paris, Minuit, 1982.

    12. Voir Duffy qui montre comment les procds de dfamiliarisation permettent

    une critique des idologies du sicle dnue de prise de position. Duffy (Jean),

    The Subversion of Historical Representation in Claude Simon , French

    Studies,vol. XLI, n 4, 1987,p. 428.

    13. Schuerewegen (Franc), Orphe au tlphone. Appel et interpellation chez

    Claude Simon , Potique, n 76, 1988, p. 452.

    14. Ibid., p. 454.

    15. Kerbrat-Orecchioni (Catherine), Lnonciation, Paris, Colin, 1999.

    16. Amossy, (Ruth) (dir.), Images de soi dans le discours. La construction de

    lethos, Lausanne, Delachaux et Niestl, 1999.

    17. Amossy, (Ruth). Largumentation dans le discours, Paris, Colin, 2006 (2000).

    18. Simon (Claude), op. cit., p. 191-192.

    19. Simon (Claude), op. cit., p. 194.

    20. Ibid., p. 167.

    21. Viart (Dominique), Une mmoire inquite. La Route des Flandres de Claude

    Simon, Paris, P.U.F., 1997, p. 118-123.

    22. Simon (Claude), op. cit., p. 164.

    23. Claude (Simon), op. cit., p. 206-207.

    24. The narrative proceeds [] by way of reasoned, tentative hypothesis .

    Duncan (Alastair B.), Adventures in words, Manchester and New-York,

    Manchester University Press, 1994, p. 141-142.

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    25. Simon (Claude), op. cit., p. 132.

    26. Simon (Claude), op. cit., p. 73.

    27. voquant la fascination de Simon pour la photographie, Lucien Dllenbach

    parlait de laptitude du document photographique mettre en marche

    limagination et propulser lcriture .Dllenbach (Lucien), Claude Simon,

    Paris, Seuil, 1988, p. 55.

    28. Lintertexte mythique, qui ncessiterait une analyse part entire, intgre les

    personnages dans un ordre situ en-dehors de la logique sociale, si bien que le

    besoin dclaircissement, frustr, achoppe sur limage obscure du destin.

    29. Pigay-Gros (Nathalie), Claude Simon. Les Gorgiques, Paris, P.U.F., 1996,

    p. 102.

    30. A titre dexemple : lcriture multiplie les de sorte que, si bien que, donc,

    mais bien souvent ils apparaissent comme des points de suture qui relient,

    sans vritablement les expliquer, les vnements : Ces liens logiques

    semblent mme fonctionner vide et finissent par mettre en vidence

    limpuissance du langage produire un ordre et une rationalit propres

    expliquer lHistoire, qui nobit elle-mme aucune rationalit Ibid., p. 102.

    Sur la structure nonciative en gigogne, voir Viart (Dominique), op. cit., p. 77 ;

    sur la macrosyntaxe de Simon, voir Neveu, (Franck), Macrosyntaxe. Le

    problme des niveaux de lanalyse syntaxique dans La route de Flandres ,

    Linformation grammaticale, n 76, 1998, p. 38-41.

    31. Simon (Claude), op. cit., p. 37.

    32. Thouillot (Michel), Guerre et criture chez Claude Simon , Potique,n 109,

    1997, p. 69.

    33. Simon (Claude), op. cit., p. 40.

    34. Ibid., p. 197.

    35. Ibid., p. 367.

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    36. Ibid., p. 380.

    37. Sarkonak (Ralph William) (dir.), La revue des Lettres modernes, n 1142-1148

    (dossier Claude Simon 1 : la recherche du rfrent ), 1994.

    38. Thouillot (Michel), art. cit.

    39. Duncan (Alastair B.), op. cit. ; Mougin (Pascal), Lecture de LAcacia de Claude

    Simon. Limaginaire biographique, Paris, Minard, 1996 ; Viart (Dominique), op.

    cit.

    40. Sarkonak (Ralph William) (dir.), op. cit., p. 5.

    41. Viart (Dominique), op. cit., p. 254.

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