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20 les inrockuptibles 15.01.2014 C oup de tête. Balayette. Manchette. Trois jours après le réveillon, l’acteur à queue de cheval déclare qu’il pense à se lancer en politique. Par la grande porte : gouverneur de l’Arizona, rien de moins. Avant tout pour lutter contre l’immigration illégale, “ce fléau plus menaçant que le terrorisme”, comme il l’a déclaré dans le cadre de la promotion de la troisième saison de son reality-show Seagal: Lawman. Comme Chuck Norris, Seagal est un acteur has been aux valeurs ultra. Sa carrière au cinéma est loin derrière lui. Il jouit d’une aura culte à prendre au troisième degré. En 2009, on le retrouve dans un reality-show tourné en Louisiane où il joue ce qu’il est dans la vie : flic réserviste, bouddhiste, chanteur de blues. Dans ce très instructif “Vis ma vie de flic”, Seagal coffre les méchants et dispense des leçons de bouddhisme et d’autodéfense aux collègues en surpoids. L’émission s’arrête au cours de la saison 2 : en procès pour une affaire de harcèlement sexuel, Seagal devient tricard dans le showbiz et entame une traversée du désert. Il réapparaît ce mois-ci en Arizona avec la reprise de son show. Seagal est toujours flic, en qualité d’adjoint du shérif de Phoenix, Joe Arpaio. Faire son autopromo, lancer un tract politique, soutenir son buddy Joe : il y a un peu de tout ça dans la récente saillie politique de Steven Seagal. Les deux hommes se connaissent depuis novembre 2010. Le shérif avait alors lancé un appel aux citoyens de l’Arizona pour s’organiser en milices afin de traquer l’immigration illégale, patrouiller à la frontière, aider les forces de l’ordre lors de rafles dans les quartiers latinos. Un franc succès. Des seconds couteaux du showbiz répondent à l’appel, notamment Lou Ferrigno (alias l’incroyable Hulk de la série télé des eighties) et Steven Seagal. C’est sa première apparition publique avec “sheriff Joe”. La vraie star de l’Arizona, c’est ce vieux flic (81 ans) à la gueule de papy gâteau. Partisan de la tolérance zéro, anti-immigrés, autoproclamé “flic le plus dur d’Amérique”, il est avant tout très médiatique. Il a failli devenir gouverneur de l’Arizona en 2002 mais a, depuis, accumulé trop de casseroles pour pouvoir espérer le poste. Joe Arpaio passe pour un héros parmi la plus grosse moitié du comté, encartée républicaine. Et pour une ordure parmi les journalistes, les prisonniers de droit commun, ses ennemis politiques et les démocrates en général. méchant comme Seagal Derrière l’acteur Steven Seagal annonçant qu’il veut devenir gouverneur de l’Arizona se cache le shérif de Phoenix, Joe Arpaio, 81 ans. Un vétéran de la politique corrompu et brutal, adepte de l’autodéfense et autoproclamé “flic le plus dur d’Amérique”. histoire 2 Will Seberger/Zuma/Rea Steven Seagal, 61 ans, se lance dans la politique. En arrière-plan son maître à penser, Joe Arpaio

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Le parcours politique de Seagal en Arizona, dans l'ombre d'un shérif peau de vache.

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20 les inrockuptibles 15.01.2014

Coup de tête. Balayette. Manchette. Trois jours après le réveillon, l’acteur à queue de cheval déclare qu’il pense à se lancer en politique. Par la grande porte : gouverneur de l’Arizona, rien de moins. Avant tout pour lutter contre l’immigration illégale, “ce fléau

plus menaçant que le terrorisme”, comme il l’a déclaré dans le cadre de la promotion de la troisième saison de son reality-show Seagal: Lawman. Comme Chuck Norris, Seagal est un acteur has been aux valeurs ultra. Sa carrière au cinéma est loin derrière lui. Il jouit d’une aura culte à prendre au troisième degré. En 2009, on le retrouve dans un reality-show tourné en Louisiane où il joue ce qu’il est dans la vie : flic réserviste, bouddhiste, chanteur de blues. Dans ce très instructif “Vis ma vie de flic”, Seagal coffre les méchants et dispense des leçons de bouddhisme et d’autodéfense aux collègues en surpoids. L’émission s’arrête au cours de la saison 2 : en procès pour une affaire de harcèlement sexuel, Seagal devient tricard dans le showbiz et entame une traversée du désert. Il réapparaît ce mois-ci en Arizona avec la reprise de son show. Seagal est toujours flic, en qualité d’adjoint du shérif de Phoenix, Joe Arpaio.

Faire son autopromo, lancer un tract politique, soutenir son buddy Joe : il y a un peu de tout ça dans la récente saillie politique de Steven Seagal. Les deux hommes se connaissent depuis novembre 2010. Le shérif avait alors lancé un appel aux citoyens de l’Arizona pour s’organiser en milices afin de traquer l’immigration illégale, patrouiller à la frontière, aider les forces de l’ordre lors de rafles dans les quartiers latinos. Un franc succès. Des seconds couteaux du showbiz répondent à l’appel, notamment Lou Ferrigno (alias l’incroyable Hulk de la série télé des eighties) et Steven Seagal. C’est sa première apparition publique avec “sheriff Joe”. La vraie star de l’Arizona, c’est ce vieux flic (81 ans) à la gueule de papy gâteau. Partisan de la tolérance zéro, anti-immigrés, autoproclamé “flic le plus dur d’Amérique”, il est avant tout très médiatique. Il a failli devenir gouverneur de l’Arizona en 2002 mais a, depuis, accumulé trop de casseroles pour pouvoir espérer le poste. Joe Arpaio passe pour un héros parmi la plus grosse moitié du comté, encartée républicaine. Et pour une ordure parmi les journalistes, les prisonniers de droit commun, ses ennemis politiques et les démocrates en général.

méchant comme SeagalDerrière l’acteur Steven Seagal annonçant qu’il veut devenir gouverneur de l’Arizona se cache le shérif de Phoenix, Joe Arpaio, 81 ans. Un vétéran de la politique corrompu et brutal, adepte de l’autodéfense et autoproclamé “flic le plus dur d’Amérique”.

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Steven Seagal, 61 ans, se lance dans la politique.

En arrière-plan son maître à penser, Joe Arpaio

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le shérif Arpaio a été condamné pour abus de pouvoir et entrave à la justice

Le vieux Joe porte l’écusson de shérif depuis vingt-deux ans. Un morceau de tissu plus puissant que la ceinture noire d’aïkido de Steven Seagal. Il dirige les forces de l’ordre et le système carcéral du comté de Maricopa. Le système Arpaio est basé sur des mesures farfelues et cruelles, afin de l’exposer médiatiquement et de satisfaire son électorat (les shérifs sont des élus du peuple en Arizona). Arpaio teste sa méthode en 1993, quand il loge des prisonniers dans des tentes entourées de barbelés. C’est aujourd’hui un village de deux mille détenus appelé Tent City, unique aux Etats-Unis.

Toilettes sèches, pas de douche, son “camp de concentration”, comme il aime à le dire, épinglé par toutes les associations, est toujours debout. L’été, les températures dépassent les 60 °C sous les bâches. En juillet 2003, devant un journaliste d’AP, Arpaio a dit aux deux mille prisonniers de Tent City qui se plaignaient : “Il fait 50 °C en Irak. Les soldats vivent dans des tentes et portent une armure. Ils n’ont pas commis de crimes, alors vos gueules.” Il leur fait aussi porter des caleçons roses, une mesure qui lui a valu une couverture médiatique nationale, et leur donne à manger une bouillie spéciale, la “bolognaise verte”, qui lui permet d’abaisser le coût quotidien de nourriture à 60 cents par détenu, soit trois fois moins que pour un chien policier de l’Arizona.

L’argent généré par ses prisons – un business comme un autre aux Etats-Unis – devrait être réinjecté dans le circuit carcéral, l’éducation et la santé. Mais, comme l’a révélé une enquête de l’Arizona Republic, il est détourné pour équiper les patrouilles, surveiller les ennemis politiques, organiser des rafles anti-immigrés et des voyages à Disneyland pour lui et plusieurs de ses adjoints. Aux Etats-Unis, les lois sur l’immigration sont définies et appliquées par le gouvernement fédéral. Ce n’est pas du ressort des Etats, encore moins des shérifs. Mais Arpaio trouve des failles pour terroriser les illégaux, notamment par les contrôles au faciès ou l’obligation de présenter un permis de conduire pour louer un appartement. Plusieurs de ses mesures sont actuellement examinées par les tribunaux pour leur éventuelle anticonstitutionnalité.

Le département du shérif Arpaio a été condamné à un total de 17 millions de dollars de dommages et intérêts l’an dernier pour abus de pouvoir, malversations, corruption et entrave à la justice. Et c’est au contribuable de payer la note. Mais ça n’empêchera probablement pas Arpaio de se faire réélire. Sa base électorale indéfectible et son exposition médiatique l’en assurent. En fait, il n’a même pas besoin de Steven Seagal pour ça. “J’ai fait mon trou, a-t-il un jour lancé à CNN. Et vous, les gars des médias, vous m’avez bien aidé. Maintenant, je suis célèbre, et je ne crains personne.” Maxime Robin

Steven Seagal voit sa carrière d’action hero décoller au début des années 90 avec des films tels que Echec et mort ou Justice sauvage. Mais c’est Piège en haute mer, avec Tommy Lee Jones, qui l’élève au rang de star. Après plusieurs échecs au box-office, la plupart de ses films sortent directement en DVD. Steven Seagal se reconvertit alors en chanteur de blues en 2004 avec l’album Songs from the Crystal Cave, avant de se lancer dans une émission de téléréalité mettant en scène son activité d’adjoint au shérif de Phoenix, Steven Seagal: Lawman. Côté fiction, il dirige depuis 2011 une unité de la police de Seattle dans la série True Justice. En attendant de savoir s’il parviendra à entamer une nouvelle nouvelle carrière, en politique cette fois.

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