Score professionnel associant risques professionnels et impacts sur la santé

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415 Arch Mal Prof Env 2005 © Masson, Paris, 2005 Éditorial Score professionnel associant risques professionnels et impacts sur la santé F.J. Deschamps CHU de Reims ertains médecins du travail se demandent parfois ce qu’un salarié peut retenir du contenu de « l’entretien de santé au travail » lorsqu’il sort de son cabinet médical. Nous nous sommes également posés cette ques- tion. Nous avons tenté d’y répondre à l’aide d’une petite enquête. Le principe était simple, il s’agis- sait de noter de façon facilement identifiable dans le dossier du salarié les conclusions et les conseils prodigués lors de l’entretien médical. L’année suivante, le même salarié était interrogé sur le contenu des conclusions et des recomman- dations qu’il avait pu retenir de l’entretien passé. Le résultat pour l’immense majorité des intéressés fut le même, à savoir selon eux qu’aucune recommandation particulière n’avait été formu- lée. Certains mettant en exergue le fait qu’ils n’avaient pas bénéficié de radio des poumons, ni de prise de sang. Ce constat peut laisser amer. Chacun peut se ras- surer en se disant que les salariés dont il a la charge n’ont pas le même ressenti, ni les mêmes oublis. Le dossier médical est censé contenir des paramè- tres relatifs aux expositions professionnelles, à leur quantification, voire à leur gestion. Les résultats des investigations complémentai- res, incluant notamment la biométrologie, ainsi que les relevés d’ambiance témoignant du niveau d’exposition doivent également figurer dans ce document. Une étude descriptive et rétrospective portant sur 700 dossiers de salariés suivis par un service interentreprises a permis d’étudier le contenu de ces documents. Bien entendu chacun de ces dos- siers fut tiré au sort. La profession exercée par le salarié figurait dans l’immense majorité d’entre eux. Par contre, l’existence d’au moins un risque professionnel n’était mentionné que dans un peu plus de la moitié des cas. En ce qui concernait les investigations complémentaires, l’examen de la vue fut réalisé pour tous et l’audiogramme 8 fois sur 10. En revanche, seul 1/3 des salariés con- fronté à un risque chimique avait effectué une spirométrie. De même, seuls 26 des 144 ouvriers exposés aux oxydes de fer avaient bénéficié au moins une fois durant dans les 3 dernières années d’une radio des poumons. Bien sûr ces données concernent un seul service médical d’une dizaine de médecins du travail. Ce résultat ne peut être étendu à toute la profes- sion. Néanmoins, ces constatations suggèrent que tous les risques professionnels ne sont pas clairement identifiés, ni a fortiori quantifiés. Il est étonnant que la moitié des actifs, tels les garagistes et les personnels de soins affiliés à un service inter- entreprises, ne soient confrontés à aucun risque professionnel. Enfin, il semble exister une relative inadéquation entre la prescription et parfois peut-être la mise à disposition des investigations complémentaires et les risques réels auxquels les salariés doivent faire face. Ces données semblent traduire à la fois une méthodologie de communication à parfaire entre les professionnels de santé au travail et les sala- riés, mais aussi une difficulté à identifier et gérer sur les plans médicaux et paramédicaux les fac- teurs d’exposition professionnelle. Pourtant, il existe un grand nombre d’outils per- mettant d’évaluer les risques professionnels. Ils sont bien sûr le corollaire à l’étude du milieu de travail lors d’une action diligentée dans le cadre du tiers-temps. Il s’agit par exemple des matrices emplois-exposi- tions. Ces données liées aux facteurs d’expositions professionnelles reflètent de façon probabiliste C

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415 Arch Mal Prof Env 2005© Masson, Paris, 2005

Éditorial

Score professionnel associant risques professionnels et impacts sur la santé

F.J. Deschamps

CHU de Reims

ertains médecins du travail se demandentparfois ce qu’un salarié peut retenir ducontenu de « l’entretien de santé au

travail » lorsqu’il sort de son cabinet médical.Nous nous sommes également posés cette ques-tion. Nous avons tenté d’y répondre à l’aide d’unepetite enquête. Le principe était simple, il s’agis-sait de noter de façon facilement identifiabledans le dossier du salarié les conclusions et lesconseils prodigués lors de l’entretien médical.L’année suivante, le même salarié était interrogésur le contenu des conclusions et des recomman-dations qu’il avait pu retenir de l’entretien passé.Le résultat pour l’immense majorité des intéressésfut le même, à savoir selon eux qu’aucunerecommandation particulière n’avait été formu-lée. Certains mettant en exergue le fait qu’ilsn’avaient pas bénéficié de radio des poumons, nide prise de sang.Ce constat peut laisser amer. Chacun peut se ras-surer en se disant que les salariés dont il a lacharge n’ont pas le même ressenti, ni les mêmesoublis.Le dossier médical est censé contenir des paramè-tres relatifs aux expositions professionnelles, àleur quantification, voire à leur gestion.Les résultats des investigations complémentai-res, incluant notamment la biométrologie, ainsique les relevés d’ambiance témoignant du niveaud’exposition doivent également figurer dans cedocument.Une étude descriptive et rétrospective portant sur700 dossiers de salariés suivis par un serviceinterentreprises a permis d’étudier le contenu deces documents. Bien entendu chacun de ces dos-siers fut tiré au sort. La profession exercée par lesalarié figurait dans l’immense majorité d’entreeux. Par contre, l’existence d’au moins un risqueprofessionnel n’était mentionné que dans un peu

plus de la moitié des cas. En ce qui concernait lesinvestigations complémentaires, l’examen de lavue fut réalisé pour tous et l’audiogramme 8 foissur 10. En revanche, seul 1/3 des salariés con-fronté à un risque chimique avait effectué unespirométrie. De même, seuls 26 des 144 ouvriersexposés aux oxydes de fer avaient bénéficié aumoins une fois durant dans les 3 dernières annéesd’une radio des poumons.Bien sûr ces données concernent un seul servicemédical d’une dizaine de médecins du travail.Ce résultat ne peut être étendu à toute la profes-sion.Néanmoins, ces constatations suggèrent que tousles risques professionnels ne sont pas clairementidentifiés, ni a fortiori quantifiés. Il est étonnantque la moitié des actifs, tels les garagistes et lespersonnels de soins affiliés à un service inter-entreprises, ne soient confrontés à aucun risqueprofessionnel.Enfin, il semble exister une relative inadéquationentre la prescription et parfois peut-être la mise àdisposition des investigations complémentaires etles risques réels auxquels les salariés doivent faireface.Ces données semblent traduire à la fois uneméthodologie de communication à parfaire entreles professionnels de santé au travail et les sala-riés, mais aussi une difficulté à identifier et gérersur les plans médicaux et paramédicaux les fac-teurs d’exposition professionnelle.Pourtant, il existe un grand nombre d’outils per-mettant d’évaluer les risques professionnels. Ilssont bien sûr le corollaire à l’étude du milieu detravail lors d’une action diligentée dans le cadredu tiers-temps.Il s’agit par exemple des matrices emplois-exposi-tions. Ces données liées aux facteurs d’expositionsprofessionnelles reflètent de façon probabiliste

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l’existence d’un risque faible ou élevé en fonction dumétier exercé.Mais cet outil est essentiellement utilisé par desexperts dans le cadre d’études épidémiologiques, pardéfinition ponctuelles, même si elles sont longitudina-les. Le Bureau international du travail affiche sur son siteinformatique des données comparables. D’autres présentations d’un formatage plus ergonomi-que, telles que Bossons Futé, proposent sur Internetune synthèse des risques et des effets indésirables entreautres, en fonction de la profession exercée.Ces mises au point sont parfois très précises, peut-êtretrop. C’est le cas du Fichier Actualisé des Situations deTravail rédigé par les professionnels du bâtiment et destravaux publics.Ces références sont des outils de travail plus ou moinsfacilement accessibles. Mais les données contenuesdans ces banques ne peuvent être partagées aisémentavec le salarié, voire être utilisées facilement par lemédecin du travail durant son activité quotidienne.Je demande régulièrement aux jeunes et parfois moinsjeunes médecins en formation s’ils sont amenés à utili-ser régulièrement dans leur activité quotidienne en ser-vice interentreprises des banques de données, etnotamment celles précédemment énumérées. Laréponse est unanime. Cette consultation de référence, sielle a lieu, reste rare et furtive. Afin de répondre à l’évaluation des risques et au par-tage des connaissances avec le principal intéressé,c’est-à-dire le salarié, il est indispensable d’utiliser unoutil différent. En règle générale, les réflexions portentsur des branches d’activité déterminées. De plus lesauteurs évitent difficilement l’écueil de la complexité,rendant l’utilisation de leur travail peu probable dansle cadre d’une activité journalière. A titre d’exemple,est-ce judicieux de relever « l’exposition aux particulesdiesel chez les chauffeurs routiers… » ?Les Nord-américains emploient une expression trèssimple, voire plutôt simpliste, que beaucoupconnaissent : cash and carry. La traduction au mot àmot est : payer et s’en aller.Compte tenu du temps dont dispose en moyenne lemédecin du travail, cette attitude semble s’appliquer defaçon particulièrement adéquate à son exercice.J’exclus de cette démarche les confrères qui ont lachance de surveiller un effectif, pour un équivalenttemps plein, compris entre 300 et 1000 salariés. Il estimportant d’obtenir des informations simples, facile-ment réutilisables et qui peuvent être partagées avecaisance par les principaux acteurs de santé au travaildont fait partie au premier chef le salarié.

En effet, aujourd’hui les moins avertis d’entre euxsavent qu’un taux de cholestérol ou une glycémie éle-vés sont des critères de risque péjoratifs à court ou àmoyen terme pour la santé.Il ne faut donc pas hésiter à utiliser les mêmes référen-ces pour les scores professionnels. Un score élevé est latraduction d’un risque élevé, et, bien entendu à termed’un retentissement très probable sur la santé de l’indi-vidu.Peu d’outils de ce type ont été développés en milieu detravail. Il est pourtant très aisé d’unifier sous une mêmebannière les principaux risques toxico-allergiques,physiques, traumatiques, psychologiques… Dans cecadre le patient peut être exposé à un ou plusieurs deces facteurs.Bien entendu, plus le nombre d’expositions sera impor-tant, plus le risque de survenue d’effets indésirablessera conséquent. Mais cette donnée est incomplète carelle ne prend pas en compte les résultats de l’examenclinique et des investigations complémentaires quipeuvent être le témoin des effets indésirables stigmati-sant la santé de l’individu. Il faut donc lui ajouter lescore résultant des anomalies cliniques et des perturba-tions des investigations complémentaires relevées.Bien sûr il n’est pas certain qu’il y ait une liaison uni-que et directe, pour un patient déterminé, entre unecytolyse hépatique et son exposition professionnelleaux solvants. Cette atteinte hépatique peut être expli-quée par une exogénose, voire l’association délétèred’un ou plusieurs toxiques professionnels et des habi-tus de vie. Mais il ne faut pas s’arrêter à ce modeste fac-teur de confusion.Dans notre pratique quotidienne de médecin du travail,nous utilisons déjà ce type d’outils qui nous permetd’identifier très rapidement les populations à haut ris-que lorsque leur score professionnel est supérieur ouégal à 7. Ces salariés représentent entre 3 et 5 % deseffectifs surveillés. Des actions ciblées, y compris etsurtout de tiers-temps, porteront préférentiellement surles conditions de travail de ces sujets à haut risque ainsiidentifiés. Le but est d’obtenir dans les meilleurs délaisune réduction de ce score. Ces sujets peuvent ainsi êtresurveillés de façon longitudinale. Un changement deposte pour un même métier permet parfois d’assister àune augmentation ou au contraire une décroissancefulgurante de son score professionnel. Ce score se subs-titue très facilement dans l’imaginaire du patient à laradio des poumons réclamée souvent bien injustement. De plus, dans le cadre du partage d’informations, lesalarié possède un document très simple, donc aisé àconsulter qu’il pourra classer dans son dossier médicalpersonnel.

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Cet élément pourra également servir de référencemédico-légale lors de l’apparition ultérieure d’unepathologie liée ou non à son activité professionnelle.En conclusion, cet outil est sans doute trop simple pourêtre utilisé, même si plus d’un millier de professionnels desanté au travail en ont déjà entendu parler. Il est indisso-ciable de l’activité de tiers-temps. Comme l’ont démontréplusieurs expérimentations, l’homme adore la com-plexité, elle l’attire, voire le dévore. Comme le rappelle lechanteur (ou le poète) « il faut laisser le temps au temps ».

Parfois, l’idée qui a germé en Europe sans grand succèstraverse l’Atlantique en direction de l’Ouest, puis mûritune deuxième fois sur les terres de l’Oncle Sam, avantd’être poussée par des vents plus favorables vers laVieille Europe auréolée d’un prestige à consonanceanglo-américaine.La santé au travail à la française possède des moyensconséquents en hommes (surtout en femmes) et en res-sources, elle est inventive, souvent perspicace, mais ellen’en a pas toujours conscience !