Saint Etienne La Miséricorde
Transcript of Saint Etienne La Miséricorde
Saint Etienne
La Miséricorde
Recueil de poésies
Le dauphin57
Recueil de poésies
Mon oiseau bleu a le ventre tout bleu
Sa tête est un vert mordoré
Il a une tâche noire sous la gorge
Ses ailes sont bleues avec des touffes de petites
plumes jaune doré.
Au bout de la queue il y a des traces de vermillon
Son dos est zébré de noir et de vert
Il a le bec noir les pattes incarnat et de petits yeux de
jais.
Il adore faire trempette se nourrit de bananes et
pousse un cri
Qui ressemble au sifflement d'un tout petit jet de
vapeur
On le nomme le septicolore.
Blaise Cendrars
Le dauphin57
Recueil de poésies
L'air c'est rafraîchissant
le feu c'est dévorant
la terre c'est tournant
l'eau - c'est tout différent
L'air c'est toujours du vent
le feu c'est toujours bougeant
la terre c'est toujours virant
l'eau–c'est tout différent
L'air c'est toujours changeant le feu c'est toujours
mangeant la terre c'est toujours germant l'eau–
c'est tout différent
Et combien davantage encore ces drôles
d'hommes espèces de vivants
qui ne se croient jamais dans leur vrai élément
Claude Roy
Le dauphin57
Recueil de poésies
J’écrirai le jeudi j’écrirai le dimanche
quand je n’irai pas à l’école
j’écrirai des nouvelles j’écrirai des romans
et même des paraboles
je parlerai de mon village je parlerai de mes parents
de mes aïeux de mes aïeules
je décrirai les prés je décrirai les champs
les broutilles et les bestioles
puis je voyagerai j’irai jusqu’en Iran
au Tibet ou bien au Népal
et ce qui est beaucoup plus intéressant
du côté de Sirius ou d’Algol
où tout me paraîtra tellement étonnant
que revenu dans mon école
je mettrai l’orthographe mélancoliquement
Raymond Queneau
Le dauphin57
Recueil de poésies
Quand je suis né, j'étais noir;
Quand j'ai grandi, j'étais noir;
Quand je suis au soleil, je suis noir;
Quand je suis malade, je suis noir;
Quand je mourrai, je serai noir...
Tandis que toi homme blanc,
Quand tu es né, tu étais rose;
Quand tu as grandi, tu étais blanc;
Quand tu es au soleil, tu es rouge;
Quand tu as froid, tu es bleu;
Quand tu as peur, tu es vert;
Quand tu es malade, tu es jaune;
Quand tu mourras, tu seras gris...
Alors, de nous deux,
Qui est l'homme de couleur??
Léopold Sédar Senghor
Le dauphin57
Recueil de poésies
Il dit non avec la tête
mais il dit oui avec le cœur
il dit oui à ce qu’il aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maitre
sous les huées des enfants prodiges
avec des craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur.
Jacques Prévert
Le dauphin57
Recueil de poésies
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s’est vêtu de broderie,
De soleil luisant, clair et beau.
Il n’y a bête ni oiseau
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
« Le temps a laissé son manteau !
De vent, de froidure et de pluie, »
Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d’argent, d’orfèvrerie;
Chacun s’habille de nouveau.
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s’est vêtu de broderie,
De soleil luisant, clair et beau.
Charles d’Orléans
Le dauphin57
Recueil de poésies
L'intelligence dit que la fourmi travaille.
L'amour dit qu'elle souffre.
L'intelligence dit que la fleur est éclose.
L'amour dit qu'elle est belle et va mourir.
L'intelligence dit que la pierre est muette.
L'amour dit qu'elle a peur de parler.
L'intelligence dit que l'astre en cache d'autres.
L'amour dit qu'il est seul dans sa gloire infinie.
L'intelligence dit que la rivière coule.
L'amour dit qu'elle passe et que c'est triste.
L'intelligence dit qu'elle est lumière.
L'amour dit qu'il accepte d'être aveugle.
L'intelligence dit que le jour suit la nuit.
L'amour dit que le jour et la nuit se confondent.
L'intelligence dit qu'il faut comprendre.
Lamour dit qu'on a tort de trop s'interroger.
L'intelligence dit que l'oiseau vole.
Lamour dit que l'oiseau est un dieu.
L'intelligence dit que l'amour le dérange.
L'amour dit qu'il envie intelligence.
Alain Bosquet
Le dauphin57
Recueil de poésies
Vous me copierez deux cents fois le verbe:
Je n'écoute pas. Je bats la campagne.
Je bats la campagne, tu bats la campagne,
Il bat la campagne à coups de bâton.
La campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle ne m'a jamais rien fait.
C'est ma seule amie, la campagne,
Je baye aux corneilles, je cours la campagne.
Il ne faut jamais battre la campagne :
on pourrait casser un nid et ses œufs.
On pourrait briser un iris, une herbe,
On pourrait fêler le cristal de l'eau.
Je n'écouterai pas la leçon.
Je ne battrai pas la campagne.
Claude Roy
Le dauphin57
Recueil de poésies
À l’école des sorcières
On apprend les mauvaises manières
D’abord ne jamais dire pardon
Être méchant et polisson
S’amuser de la peur des gens
Puis détester tous les enfants
À l’école des sorcières
On joue dehors dans les cimetières
D’abord à saute-crapaud
Ou bien au jeu des gros mots
Puis on s’habille de noir
Et l’on ne sort que le soir
À l’école des sorcières
On retient des formules entières
D’abord des mots très rigolos
Comme "chilbernique" et "carlingot"
Puis de vraies formules magiques
Et là il faut que l’on s’applique.
Jacqueline Moreau
Le dauphin57
Recueil de poésies
Feu vert Feu vert Feu vert !
Le chemin est ouvert !
Tortues blanches, tortues grises, tortues noires,
Tortues têtues Tintamarre !
Les autos crachotent,
Toussotent, cahotent
Quatre centimètres
Puis toutes s’arrêtent. Feu rouge Feu rouge Feu rouge !
Pas une ne bouge !
Tortues jaunes, tortues beiges,
tortues noires,
Tortues têtues Tintamarre !
Hoquettent, s’entêtent,
Quatre millimètres,
Pare-chocs à pare-chocs
Les voitures stoppent.
Blanches, grises, vertes, bleues,
Tortues à la queue leu leu,
Jaunes, rouges, beiges, noires,
Tortues têtues Tintamarre !
Bloquées dans vos carapaces
Regardez-moi bien : je passe !
Jacques Charpentreau
Le dauphin57
Recueil de poésies
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud
Le dauphin57
Recueil de poésies
Un petit chat bleu
Semé de pois blancs
Vit un gros rat blanc
Semé de pois bleus.
Leurs mignonnes queues
Différaient de peu.
Oui, mais seulement
Le nez du chat bleu
Etait tout tout blanc,
Le nez du rat blanc
Etait tout tout bleu.
Leurs joues et leurs yeux
Différaient de peu.
Oui, mais seulement
Un cil du chat bleu
Etait tout tout blanc,
Un cil du rat blanc
Etait tout tout bleu.
A cause de ce peu,
De ce petit peu
De blanc et de bleu,
Ils continuèrent
A se faire la guerre.
Maurice Carême
Le dauphin57
Recueil de poésies
Séraphine, dans sa main,
Tient QUATRE fleurs du jardin
Qu’elle a cueillies à QUATRE pattes,
Quatre fois un, quatre,
Va au marché, choisit des truites,
Quatre fois deux, huit,
Qu’elle pose dans sa blouse
Quatre fois trois, douze,
Achète un panier de fraises,
Quatre fois quatre seize,
Une bouteille de vin,
Quatre fois cinq, vingt,
Un cornet de belles dattes,
Quatre fois six, vingt-quatre,
Puis une douzaine d’huîtres,
Quatre fois sept, vingt-huit,
Puis un ananas juteux,
Quatre fois huit, trente-deux
Enfin, des grappes de cassis,
Quatre fois neuf, trente-six
Pour la fête de sa tante,
Quatre fois dix, quarante. Jean Tardieu
Le dauphin57
Recueil de poésies
Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Leurs yeux d'or valent des bijoux
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux point de genoux !
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? Les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
A Moscou ? Ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout, c'était chez les fous.
Robert Desnos
Le dauphin57
Recueil de poésies
« Oui, le silence est d'or »,
Me dit toujours maman.
Et pourquoi pas alors,
En fer ou en argent ?
Je ne sais pas en quoi
Je puis bien être faite :
Graine de cacatois
M'appelle la préfète.
D'accord ! Je suis bavarde.
Mais est-ce une raison
Pour que l'on me brocarde
En classe, à la maison,
Et que l'on me répète
Et me répète encor
A me casser la tête
Que le silence est d'or ?
Est-ce, ma faute à moi
Si j'ai là dans la gorge,
Un petit rouge-gorge
Qui gazouille de joie ?
Maurice Carême
Le dauphin57
Recueil de poésies
Mon cartable a mille odeurs,
Mon cartable sent la pomme,
Le livre, l'encre, la gomme,
Et les crayons de couleurs.
Mon cartable sent l'orange,
Le bison et le nougat,
Il sent tout ce que l'on mange,
Et ce qu'on ne mange pas.
La figue, la mandarine,
Le papier d'argent ou d'or,
Et la coquille marine,
Les bateaux sortant du port.
Les cowboys et les noisettes,
La craie et le caramel,
Les confettis de la fête,
Les billes remplies de ciel.
Les longs cheveux de ma mère,
Et les joues de mon papa.
Les matins dans la lumière,
La rose et le chocolat.
Pierre Gamarra
Le dauphin57
Recueil de poésies
Une jeune guenon cueillit
Une noix dans sa coque verte ;
Elle y porte la dent, fait la grimace... ah ! Certes,
Dit-elle, ma mère mentit
Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes.
Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit !
Elle jette la noix. Un singe la ramasse,
Vite entre deux cailloux la casse,
L'épluche, la mange, et lui dit :
Votre mère eut raison, ma mie :
Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.
Souvenez-vous que, dans la vie,
Sans un peu de travail on n'a point de plaisir.
Jean-Pierre Claris de Florian
Le dauphin57
Recueil de poésies
Un pauvre petit grillonCaché dans l'herbe fleurieRegardait un papillonVoltigeant dans la prairie.L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ;Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs,Prenant et quittant les plus belles.Ah! disait le grillon, que son sort et le mienSont différents ! Dame naturePour lui fit tout, et pour moi rien.je n'ai point de talent, encor moins de figure.Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas :Autant vaudrait n'exister pas.Comme il parlait, dans la prairieArrive une troupe d'enfants :Aussitôt les voilà courantsAprès ce papillon dont ils ont tous envie.Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper ;L'insecte vainement cherche à leur échapper,Il devient bientôt leur conquête.L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps ;Un troisième survient, et le prend par la tête :Il ne fallait pas tant d'effortsPour déchirer la pauvre bête.Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.Combien je vais aimer ma retraite profonde !Pour vivre heureux, vivons caché.
Jean-Pierre Claris de Florian
Le dauphin57
Recueil de poésies
Mon école est pleine d'images,
Pleine de fleurs et d'animaux,
Mon école est pleine de mots
Que l'on voit s'échapper des pages,
Pleine d'avions, de paysages,
De trains qui glissent tout là-bas
Où nous attendent les visages
Des amis qu'on ne connait pas.
Mon école est pleine de lettres,
Pleine de chiffres qui s'en vont
Grimper du plancher au plafond
Puis s'envolent par les fenêtres,
Pleine de jacinthes, d‘œillets,
Pleine de haricots qu'on sème ;
Ils fleurissent chaque semaine
Dans un pot et dans nos cahiers.
Ma classe est pleine de problèmes
Gentils ou coquins quelquefois,
De chansons, de vers, de poèmes,
Dont on aime la jolie voix
Pleine de contes et de rêves,
Blancs ou rouges, jaunes ou verts,
De bateaux voguant sur la mer
Quand une brise les soulève.
Pierre Gamarra
Le dauphin57
Recueil de poésies
Le petit cheval dans le mauvais temps,
Qu'il avait donc du courage !
C'était un petit cheval blanc,
Tous derrière et lui devant.
Il n'y avait jamais de beau temps
Dans ce pauvre paysage.
Il n'y avait jamais de printemps,
Ni derrière ni devant.
Mais toujours il était content,
Menant les gars du village,
A travers la pluie noire des champs,
Tous derrière et lui devant.
Sa voiture allait poursuivant
Sa belle petite queue sauvage.
C'est alors qu'il était content,
Eux derrière et lui devant.
Mais un jour, dans le mauvais temps,
Un jour qu'il était si sage,
Il est mort par un éclair blanc,
Tous derrière et lui devant.
Il est mort sans voir le beau temps,
Qu'il avait donc du courage !
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière ni devant.
Paul FORT
Le dauphin57
Recueil de poésies
J’aime les très vieuxassis à la fenêtrequi regardent en souriantle ciel perclus de nuageset la lumière qui boite dans les rues de l’hiver
J’aime leur visageaux mille ridesqui sont la mémoire de mille viesqui font une vie d’homme
J’aime la main très vieillequi caresse en tremblantle front de l’enfantcomme l’arbre penchéeffleure de ses branchesla clarté d’une rivière
J’aime chez les vieuxleur geste fragile et lentqui tient chaque instant de la viecomme une tasse de porcelaine
Comme nous devrions faire nous aussià chaque instantavec la vie
Jean Pierre Siméon
Le dauphin57
Recueil de poésies
La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.
La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur oeil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.
Guy de Maupassant
Le dauphin57
Recueil de poésies
A trop crier au loup,
On en voit le museau.
Un enfant bâillait comme un pou
Tout en gardant son troupeau.
Il décide de s'amuser.
"Au loup ! hurle-t-il. Au loup !
Vos troupeaux sont en grand danger ! "
Et il crie si fort qu'il s'enroue.
Pour chasser l'animal maudit,
Les villageois courent, ventre à terre,
Trouvent les moutons bien en vie,
Le loup, ma foi, imaginaire…
Le lendemain, même refrain.
Les villageois y croient encore.
Troisième jour, un vrai loup vint
Et c'était un fin carnivore.
Au loup ! cria l'enfant.
Un loup attaque vos troupeaux !
"Ah! Le petit impertinent !
Mais il nous prend pour des nigauds! "
S'écrièrent les villageois.
Le loup fit un festin de roi.
Esope
Le dauphin57
Recueil de poésies
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur les moulins des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffé d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaitre
Pour te nommer
Paul Eluard
Le dauphin57
Recueil de poésies
Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux Fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ?
Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Jean de La Fontaine
Le dauphin57
Recueil de poésies
Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but. - Sitôt ? Etes-vous sage ?
Repartit l'animal léger.
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore.
- Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait : et de tous deux
On mit près du but les enjeux :
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.
Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ;
J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter
D'où vient le vent, il laisse la Tortue
Aller son train de Sénateur.
Elle part, elle s'évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s'amuse à toute autre chose
Qu'à la gageure. A la fin quand il vit
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit
Furent vains : la Tortue arriva la première.
Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi, l'emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ? Jean de La Fontaine
Le dauphin57
Recueil de poésies
Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
« Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût.
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse. »
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Jean de La Fontaine
Le dauphin57
Recueil de poésies
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo
Le dauphin57
Recueil de poésies
Sur une barricade, au milieu des pavés
Souillés d'un sang coupable et d'un sang pur lavés,
Un enfant de douze ans est pris avec des hommes.
- Es-tu de ceux-là, toi ?
L'enfant dit : Nous en sommes.
- C'est bon, dit l'officier, on va te fusiller. Attends ton tour.
L'enfant voit des éclairs briller,
Et tous ses compagnons tomber sous la muraille.
Il dit à l'officier : Permettez-vous que j'aille
Rapporter cette montre à ma mère chez nous ?
Tu veux t'enfuir ?
Je vais revenir.
Ces voyous ont peur ! Où loges-tu ?
- Là, près de la fontaine. Et je vais revenir, monsieur le capitaine.
Va-t'en, drôle !
L'enfant s'en va.
Piège grossier !
Et les soldats riaient avec leur officier,
Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle ;
Mais le rire cessa, car soudain l'enfant pâle,
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint s'adosser au mur et leur dit : Me voilà.
La mort stupide eut honte et l'officier fit grâce.
Victor Hugo
Le dauphin57
Recueil de poésies
Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit.
C'était un Espagnol de l'armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié.
Et qui disait: " A boire! à boire par pitié ! "
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit: "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. "
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant: "Caramba! "
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
"Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.
Victor Hugo
Le dauphin57
Recueil de poésies
Elle me dit : « Quelque chose
Me tourmente ». Et j'aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.
J'aurais dû - mais, sage ou fou,
A seize ans on est farouche -,
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l'insecte à son cou.
On eût dit un coquillage ;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.
Sa bouche fraîche était là :
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle ;
Mais le baiser s'envola.
- Fils, apprends comme on me nomme,
Dit l'insecte du ciel bleu,
Les bêtes sont au bon Dieu,
Mais la bêtise est à l'homme.
Victor Hugo