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La validité de la théorie du financement
hiérarchique : le cas des entreprises françaises et libanaises.
Virginie Nahas – Doctorante à L’ED SORG – laboratoire CRIEF
Résumé
Nous présentons les hypothèses relatives à la théorie du financement hiérarchique de Myers et
Majluf (1984) afin d’examiner leur validité sur les PME françaises et libanaises. Cet article
mettra en perspective la relation principale-agent ainsi que les imperfections liées au
financement d’entreprises: comportement des entreprises, coûts d’agence et asymétrie
d’informations. Nous ferons précéder cette étude d’un descriptif des différentes formes de
l’asymétrie d’informations dans le financement d’entreprises. Ensuite, à travers le mécanisme
de rationnement de crédit, nous présenterons les conséquences de cette asymétrie d’information
sur le choix des modes de financement et les dispositifs adoptés par les banques pour se
protéger sur le marché de crédit. Nous évoquerons par la suite, la théorie du signal utilisée par
les dirigeants d’entreprises comme outil de communication de la solvabilité de leurs projets.
Sur le plan de la méthode, des travaux déjà réalisés sur ce sujet seront présentés. Nous
orienterons ainsi notre étude sur les apports et les limites des travaux de la théorie du
financement hiérarchique. Enfin une discussion présentera l'orientation envisagée pour ce
travail que nous prévoyons de compléter ultérieurement, par les données comptables et
financières des entreprises, recueillies à travers des enquêtes de terrain. La question de la prise
en compte de la dimension culturelle et de son impact sur la relation principal-agent constituera
un point important de l'étude.
Abstract
We present the assumptions related to the pecking order theory formulated by Myers and
Majluf (1984) in order to examine their validity on French and Lebanese SMEs. This article
will put into perspective the principal-agent relationship as well as the imperfections related to
corporate finance: corporate behavior, agency costs and asymmetric information. We will
precede this study with a description of the different forms of information asymmetry in
corporate finance. Then, through the credit rationing mechanism, we will present the
consequences of this information asymmetry on the choice of financing methods and the
devices adopted by the banks to protect themselves on the credit market. We will discuss later
the signal theory used by business leaders as a tool for communicating the solvency of their
projects. In terms of methodology, prior studies about this subject will be presented. We will
focus our study on the contributions and limits of the researches done on the pecking order
theory. Finally, a discussion will expound the orientation considered for this work, which is
expected to be supplemented later, by companies' accounting and financial data, collected
through field surveys. The cultural dimension and its impact on the principal-agent relationship
will be an important point of the study.
Mots Clés: Théorie du financement hiérarchique, Financement d’entreprise, PME, Problème
principal-agent, Asymétrie d’informations.
2
Introduction
De nombreuses recherches théoriques et travaux empiriques ont été consacrés aux PME1 en
France2 (Chertok, de Mallerey & Pouletty, 2009) et au Liban3 (Haddad, 2014). Ces études
mettent l’accent sur le financement interne ou externe de ces entreprises et sur la pertinence
des théories qui tentent d’expliquer leur structure de financement. En effet, le choix du mode
de financement est crucial pour toute sorte de société, quelle que soit sa taille ou son secteur
d’activité. Un mauvais choix de financement est susceptible de menacer la viabilité d’une firme
ou de lui engendrer des problèmes financiers.
Notre étude s’inscrit dans le cadre de la relation principal-agent (créanciers-dirigeants) qui
explique l’incidence entre le comportement de l'entreprise ou plus particulièrement de son
dirigeant et le choix des modes de financement. La présence d’une asymétrie d’informations
au sein du marché financier témoigne de la non-conformité du comportement du dirigeant avec
les intérêts de ses actionnaires. Afin d’examiner les principaux déterminants de cette asymétrie
d’informations et d’expliquer son incidence sur le choix de financement des PME en France et
au Liban, nous répondrons aux questions suivantes : quelles sont les différentes formes de
l’asymétrie d’informations au sein du marché financier ? La théorie du financement
hiérarchique, souvent destinée aux grandes entreprises, s’applique-elle aux choix de
financement des PME ?
Cet article est organisé comme suit : la première partie examine le problème principal-agent
ainsi que les deux formes d’asymétrie d’informations : l’aléa moral et la sélection adverse. La
seconde partie, expose la théorie du signal qui incite à s'interroger sur la perception qu'auront
les investisseurs des diverses décisions financières. En dernier lieu, des études empiriques qui
visent à tester la théorie du financement hiérarchique sur des entreprises françaises et libanaises
seront présentées et leurs résultats interprétés par une discussion finale.
1 Selon l’INSEE une PME ou petite et moyenne entreprises sont ceux qui ne dépassent pas les 250 personnes, et
qui ont un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions
d'euros.
2 Voir le rapport « Le Financement des PME » de Chertok et Pouletty (2009).
3 Voir « Modes de financement : critères et types disponibles aux PME Libanaises » (Haddad, 2014).
3
Première Partie
1. La théorie de l’agence
Cette approche s’inscrit dans le cadre de l’économie de l’information, développée par Ross
(1973) et Jensen M. et Meckling W. (1976). Elle s‘intéresse à la détention de l’information et
son partage entre un mandant (principal) et un mandataire (agent). Cette théorie repose sur la
notion de relation d’agence : il s’agit d’un arrangement (parfois implicite) entre deux parties,
selon lequel un principal qualifie un agent pour accomplir les missions qui nécessitent une
délégation.
Toutefois, cette relation d’agence suppose une asymétrie d’informations, du fait de la
divergence d’intérêts entre les contractants. Chacune de ces parties rationnelles va chercher à
maximiser sa fonction d’utilité de manière à tirer profit des failles du contrat. L’imperfection
de l’information peut émerger de deux façons : soit le principal ignore certaines
caractéristiques de l’agent (ses compétences, la correspondance du bien ou du service qu’il
offre par rapport aux besoins du principal, la question de la qualité ou la solvabilité de ce
bien/service…), situation dite de sélection adverse « ex-ante »4, soit l’agent se comporte d’une
manière différente de ce qu’il était convenu, on est alors en situation d’aléa moral « ex-post »5.
Toute relation d’agence génère trois types de coûts d’agence. Il s’agit de certains coûts
supportés par les acteurs internes ou externes d’une entreprise et qui ont pour but d’aligner les
intérêts entre les différents agents d’une société :
Les coûts de surveillance : il s’agit d’un système de contrôle ou d’un audit supporté
par le principal et qui a pour but d’assurer une gestion de l’entreprise en harmonie
avec ses intérêts.
Les coûts d'engagement : ce sont les coûts supportés par l’agent en vue de mettre le
principal en confiance : « Les coûts d'engagement résultent de la rédaction par la
firme de rapports financiers et de la réalisation d'audits par des experts extérieurs
à la firme » (Gabrié H. et Jacquier J.L., 2001, p. 248).
4 Avant la signature du contrat entre principal et agent. 5 Après la signature du contrat entre principal et agent.
4
Les coûts résiduels ou d'opportunités : les deux parties supportent ce coût dans la
mesure où leurs intérêts divergent (écart entre le résultat de l’action de l’agent et le
comportement optimal pour le principal).
Par conséquent, les mécanismes permettant de minimiser les coûts d’agence seront au cœur
de nos analyses. En effet, le principal, mal-informé va chercher de mettre en place des outils
d’incitation dans le but de pousser l’agent soit à révéler son information (modèle de sélection
adverse), soit à adopter un comportement conforme aux intérêts du principal (modèle d’aléa
moral).
Suite à cette présentation générale, nous exploiterons plus en détails ces deux types d’asymétrie
d’informations et leurs mécanismes incitatifs respectifs.
2. L’aléa moral
Cette forme de l’asymétrie d’informations est généralement associée aux mauvais
comportements que peuvent adopter les dirigeants dans la conduite de leurs activités et les
décisions concernant leurs entreprises. Il existe plusieurs types d’aléa moral susceptibles d’être
à l’origine des conflits entre principal et agent. Nous nous sommes inspirés de Tirol (2006)
pour présenter ce type d’asymétrie d’informations.
1. Allocation du temps de travail
La première forme concerne l’allocation du temps de travail des dirigeants : c’est un des sujets
exploité par l’économiste Mintzberg (1973). Il s’est basé sur l'observation quotidienne et
intensive de cinq gestionnaires sur une période de cinq semaines. Cette étude lui avait permis
de caractériser le type des activités quotidiennes suivies par les dirigeants. Il distingue trois
grands traits de fonctions : les rôles interpersonnels, les rôles associés à l’information et les
rôles décisionnels. Mintzberg estime que les managers doivent bien comprendre leur travail et
se comprendre eux-mêmes, pour qu’ils puissent être sensibles aux besoins de leurs entreprises
et améliorer davantage leurs performances. Dans un esprit similaire et à travers un article plus
récent, les auteurs Bandiera, Guiso, Prat & Sadun, (2011), étudient cette variable d’allocation
du temps des PDG, qui va les aider à identifier des problèmes de gouvernance. Une des
conclusions de cette étude indique que « le temps passé avec le personnel de l’entreprise
contribue à l’amélioration de la production alors que le temps passé seul avec des individus
externes ne profite qu’au PDG. Un bon dirigeant s’intéressera ainsi à ses propres employés et
cherchera à identifier les besoins de son entreprise dans le but d’accroître sa performance. Alors
5
qu’un mauvais dirigeant, qui ne s’intéresse qu’à ses propres fins, passera son temps à tenir des
réunions avec des outsiders6 de sa société ».
2. Les projets favoris
Une deuxième forme d’aléa moral se traduit par la capacité de certains dirigeants à favoriser
des investissements en fonction de leurs préférences. Ce sont les « pets projects » en anglais,
ou les projets favoris des managers. Ces projets s’avèrent généralement peu intéressants pour
l’entreprise concernée, mais quand un dirigeant de grande influence soutient et défend ce type
de projets, ceux-ci finissent par obtenir un accord d’investissement. « Dans l’idéal, ces projets
favoris doivent passer à l'examen et doivent être sélectionnés sur la base de leur propre mérite.
Mais, malheureusement, les projets favoris sont souvent sélectionnés sans subir une analyse
normale de la budgétisation du capital. Même s’ils reçoivent cette analyse, des projections trop
optimistes sont alors utilisées pour gonfler la rentabilité de ceux-ci » (Clayman, Fridson &
Throughton, 2012, p.56).
3. Des dépenses révélatrices
Ce genre d’aléa moral est très répandu de nos jours, il s’agit de comportements ou plus
précisément, de dépenses privées qui sont faciles à détecter. Selon Tirole (2006), les
gestionnaires « sont capables d’accroître leurs bénéfices privés en s'engageant dans une grande
variété de comportements autonomes, allant des actes bienveillants à des activités illégales »
(Tirol, o.c., p. 16). Ce type de dirigeants a souvent tendance à profiter des avantages de son
travail comme : les voitures avec chauffeur, les assistants personnels, la planification
financière, les systèmes de sécurité domiciliaire, l’adhésion aux clubs luxueux, les billets de
sport VIP, des bureaux de haut de gamme, le service de téléphone mobile et l'accès aux salles
de sports […] (Bebchuck & Fried, 2004). La liste des avantages de travail dont les dirigeants
abusent est longue ; elle ne se limite pas qu’aux jets privés, yachts, clubs et hôtels luxueux, elle
peut pendre d’autres aspects comme celui du recrutement des proches, des épouses ou même
des amis qui s’avèrent souvent non adaptés au poste. Ces affaires font scandales de nos jours.
4. Des stratégies confuses
Cette dernière forme d’aléa moral regroupe des stratégies et/ou des techniques adoptées par les
dirigeants d’entreprise, qui ne satisfont que leurs propres objectifs personnels. Ces mesures ne
sont pas forcément dans le meilleur intérêt de l’entreprise ou de ses actionnaires, mais elles
6 Outsider : mot anglophone qui signifie « celui qui est en dehors », toute personne externe a l’entreprise.
6
représentent néanmoins une sorte de garantie du statut de manager. Ce genre de stratégies et
de techniques nuisent à l’entreprise et sont donc mises en œuvre dans le seul but de préserver
des postes prestigieux. Tirole (2006) identifie trois types de stratégies ou techniques utilisées :
- Investir dans des secteurs d’activités défaillants pour la simple raison que le dirigeant
les maîtrise bien. Celui-ci se manifeste ainsi comme indispensable pour son entreprise.
- Utiliser des techniques comptables pour manipuler les indices de performance dans le
but de cacher de mauvais résultats (risque de licenciement) ou de bénéficier d’une
augmentation des rémunérations managériales. Ces manipulations servent aussi comme
mesures pour diminuer l’intervention des actionnaires, permettre à l'entreprise de ne
pas violer les clauses restrictives bancaires et pour garantir le financement continu.
- Renoncer aux tentatives d’acquisitions hostiles7 qui menacent leur position à long
terme.
- Défendre les pratiques juridiques qui limitent le pouvoir des actionnaires sur
l’entreprise.
Récemment le géant japonais Toshiba Corp. spécialisé dans le matériel électronique et
informatique, a été impliqué dans un scandale comptable en mai 2016. Les bénéfices ont été
gonflés de plus de 1 milliard de dollars à travers l’exagération des coûts de projets, ce qui a
permis à l’entreprise d’augmenter ses bénéfices d’exploitation durant les années 2008 et 2014
d’au moins 151 milliards de yens (environ 1.2 billions de dollars). Suite à une enquête
gouvernementale, les deux PDG Atsutoshi Nishida (secteur de l’informatique) et Norio Sasaki
(secteur de l’électricité), ont démissionné
3. Théorie de la sélection adverse
3.1. Le problème des citrons
Dans son célèbre article « The Market for Lemons : Quality Uncertainty and the Market
Mechanism », Akerlof (1970) utilise l’exemple des automobiles d’occasion aux Etats-Unis
7 Acquisition hostile : correspond au rachat d’une entreprise par une autre, sans le consentement de la première.
Pour ce faire, l’entreprise acquérante rachète la majorité ou l’intégralité des parts de l’entreprise acquise, pour
prendre le contrôle de celle-ci.
7
pour expliquer l’asymétrie d’information « ex-ante »8. Les ‘lemons’ ou citrons correspondent
aux voitures d'occasion défectueuses qui sont présentes sur un marché non-réglementé et au
sein duquel le contrôle de la qualité des voitures vendues est absent. Un vendeur ayant déjà
utilisé son véhicule, connait son état réel, en revanche, l’acheteur potentiel ne possède pas les
informations liées à la qualité de celui-ci.
Cette étude montre comment les prix peuvent déterminer la qualité des biens échangés sur le
marché. Nous supposons qu’il existe deux types de voitures : celles qui sont bonnes et celles
qui sont défectueuses. Un vendeur qui possède une bonne voiture n’acceptera de la vendre
qu’au prix conforme à sa qualité. Alors qu’un vendeur possédant une voiture défectueuse, sera
prêt à la vendre à un prix plus faible.
Quand un acheteur rationnel suspecte qu’il y a possibilité de tomber sur une voiture de
mauvaise qualité, il sera décidé à payer une somme moindre pour des voitures d'occasions que
pour des voitures neuves dont il est certain de leur bon état de fonctionnement. Cela signifie
que les meilleures voitures d’occasions ne se vendent pas : leurs prix sont trop élevés pour les
acheteurs. C’est pourquoi les propriétaires de ces meilleurs véhicules ne mettent pas leurs
voitures sur le marché : eux aussi n’ont pas intérêt à vendre leurs véhicules à ce prix moyen.
Ainsi les voitures de haute qualité vont progressivement quitter le marché pour céder la place
aux citrons, jusqu’au jour où il ne restera que ce type de voitures défectueuses.
Dans un marché où le vendeur a plus d'informations sur le produit par rapport à l'acheteur, de
mauvais produits peuvent entraîner la sortie des bons produits hors du marché. Ce phénomène
de sélection adverse ou anti-sélection porte un coût important pour l'ensemble de la société.
3.2. La sélection adverse au sein du secteur bancaire
Le phénomène de la sélection adverse dans le secteur bancaire a lieu avant même la signature
d’un contrat de crédit entre un emprunteur et la banque. Ce problème est basé sur l’incertitude
concernant le risque de défaillance lié au projet qu’un dirigeant désire financer. Un dirigeant
est susceptible de conserver un avantage informationnel sur son projet, malgré son examen de
la part du créancier. Souvent, l’emprunteur qui porte un projet risqué a tendance à camoufler
sa situation afin que ce projet apparaisse moins risqué. Ce manque de transparence va
compliquer la tâche des prêteurs qui s’investissent dans l’évaluation des projets soumis à la
banque et sélectionnent les meilleurs qui méritent un financement (Stiglitz & Weiss, 1981).
8 Ex ante est une locution latine signifiant « au préalable ». Dans notre contexte il s’agit de la sélection adverse
ou l’asymétrie d’information qui existe, avant-même la signature d’un contrat, entre deux acteurs économiques.
8
Comme tous les emprunteurs prétendent détenir un bon projet, la banque aura tendance à
appliquer un taux unique reflétant la qualité moyenne des projets sur le marché (phénomène
du rationnement de crédit 3.3). Une telle pratique est en mesure de pénaliser les bons
emprunteurs dont le projet est peu risqué, en leur faisant payer une prime de risque9 plus
importante que leur risque réel. La banque privilégie inversement les mauvais emprunteurs
détenant des projets risqués : la prime de risque facturée étant inférieure au risque que
supportent leurs projets. Tout comme sur le marché d'Akerlof (1970), où les bons véhicules
d’occasion quittent le marché, ici ce sont les bons projets qui disparaîtront du marché. Par suite
la banque risque de financer les mauvais types d’emprunteurs qui restent sur le marché : d’où
la sélection adverse.
3.3. Le rationnement de crédit
Le rationnement de crédit est mécanisme utilisé par les banques, lorsqu’elles développent un
sentiment de doute, face à la croissance des risques de créances sur le marché financier. Cela
génère un phénomène de réclamation de prime de risque élevée et l’augmentation des
conditions d’émission de prêts. Ainsi certains emprunteurs obtiennent des prêts, d’autres non,
même s’ils sont prêts à payer des taux d’intérêt élevés (Stiglitz & Weiss, 1981).
Le rationnement de crédit est loin d’être un mécanisme efficace pour résoudre notre problème
informationnel, ce n’est qu’un outil de protection conçu par les banques, qui les aide à limiter
leur risque assumé en tant que prêteur. Toutefois, c’est également une pratique délicate : quand
la banque limite son émission de crédit, elle est aussi en train de limiter ses gains potentiels.
Au niveau macroéconomique, cette baisse d’émission de crédit diminue les investissements et
ralentit donc la croissance économique d’un pays. C’est pourquoi ce phénomène reste un
moyen de protection fragile pour la banque et menace l’économie en général.
Pour leur part, les bons types de dirigeants ayant besoin d’un financement pour lancer leur
projet, se trouvent en situation de sous-évaluation à cause du manque de transparence des autres
emprunteurs. Par conséquent, des opportunités d’investissements très lucratifs seront
éventuellement perdues faute de financement. Les bons types de dirigeants, vont devoir
convaincre le marché de crédit de la viabilité et la rentabilité de leurs projets. Pour se
différencier, ils ont recours à une forme de politique de communication : le signal.
9 Prime de risque: désigne un supplément de rendement exigé par un investisseur (la banque dans notre cas) afin
de compenser un niveau de risque supérieur à la moyenne.
9
Deuxième Partie
4. La théorie du signal
A ce point de notre réflexion, les dirigeants disposent des informations supérieures à celles des
investisseurs : ils sont capables de mieux prévoir les flux futurs ainsi que les risques potentiels
liés à leurs projets. Cette asymétrie d’informations entre dirigeants et investisseurs conduit ces
derniers à sous- ou surévaluer une entreprise. Comment convaincre alors les investisseurs
potentiels par la productivité de leurs firmes et/ou la rentabilité de leurs projets ? Une politique
de communication s’avère dès lors nécessaire. C’est la raison pour laquelle les dirigeants ont
recours à l’émission des signaux.
Signalisation par autofinancement :
Compte tenu de la croissance rapide des marchés et de ses différents défis, le choix du bon
outil de financement s’avère stratégique. Ces outils supportent néanmoins des coûts de
financement. Parmi les trois modes possibles (autofinancement, endettement ou émissions
d’actions), Ross (1977) démontre que l’autofinancement est le moyen qui supporte le moins ce
type de coûts, suivi par la dette et enfin l’émission d’action. L’autofinancement qui représente
le profit non distribué, reflète un signal mitigé. « En réalité ce mode de financement favorise
une bonne allocation des ressources ainsi qu’une opportunité de diversification pour les
grandes entreprises comme la création de filiales, ou le transfert de capitaux propres d’une
entité à capacité de financement vers une autre en besoin, dans le but de financer des potentiels
opportunités d’investissement. Seulement, avec l’émergence du concept de la RSE de nos
jours, on considère que la performance des entreprises ne doit pas être limitée au seul capital
financier. En conséquence, nous nous interrogeons d’avantage sur la pertinence de la
répartition du surplus de ressources dégagé par l'activité, notamment au niveau de la partie
affectée à l'autofinancement » (Causse, 2017, p.1).
Signalisation par l’endettement :
Le financement par endettement bancaire engage un dirigeant à rembourser l’intégralité de son
emprunt ainsi que les intérêts associés à l’échéance. Si l’emprunteur manque d’honorer sa
dette, en ce cas le prêteur a la possibilité de mettre la main sur l’entreprise. Cependant, un
niveau élevé d’endettement témoigne aussi d’une entreprise en bonne situation. En effet, une
dette augmente le risque de faillite et incite les dirigeants à mieux performer afin de limiter ce
10
risque et d’accroître la valeur de leurs entreprises. Par conséquent, ce sont surtout les dirigeants
confiants en leurs projets qui ont recours à la dette, ce qui est jugé comme bon signal.
Signalisation par augmentation de capital :
Bien que la dette puisse paraitre un moyen plus risqué, elle est désormais moins coûteuse que
le financement par actions. En effet, les intérêts d’un emprunt sont déductibles fiscalement. Par
contre les bénéfices réalisés par une entreprise, sont imposables avant d’être repartis sous forme
de dividendes sur les actionnaires, sauf en cas d’absence ou d’insuffisance de bénéfices.
Contrairement à l’endettement, l’augmentation de capital est susceptible de faire baisser le prix
des actions d’une entreprise. L’émission de nouvelles actions est souvent interprétée par les
investisseurs comme étant un signal de surévaluation de la valeur des actions de l’entreprise
concernée (Brealey & Myers, 1977).
En outre, les dirigeants semblent toujours acheter et vendre leurs actions au bon moment, cela
n'est évidemment pas par hasard, puisqu’ils ont accès à toutes les informations relatives à leurs
entreprises et possèdent parfois des documents qui ne sont pas encore exposés au public
(Tirole, 2006). Un dirigeant qui vend sa participation émet donc un signal négatif de la situation
de son entreprise et inversement s’il renforce sa participation.
La signalisation est encore une solution partielle aux problèmes causés par l’asymétrie
d’informations, puisque les mauvais projets sont capables de présenter les signaux erronés
comme convenables et obtenir ainsi de bons profits. D’où l’importance de la crédibilité d’un
signal et la nécessité des sanctions en cas d’imposture.
5. La théorie du financement hiérarchique
Cette théorie formulée par Myers et Majluf (1984) suppose l’existence d’une classification des
modes de financement des entreprises. Dans le but de diminuer les coûts liés à l’asymétrie
d’informations, les dirigeants préfèrent avoir recours au financement interne qu’au
financement externe. Une entreprise qui dispose de financement interne est considérée comme
étant une société rentable. Dès lors, nous pouvons classer les modalités de financement d’une
société :
- L’autofinancement
- L’endettement (les emprunts, la dette)
11
- L’émission d’actions (ou l’augmentation du capital)
Comme nous l’avons déjà constaté, l’augmentation du capital porte un signal négatif : cette
modalité provoque une baisse des prix des actions de l’entreprise, c’est pour cela qu’elle figure
en bas de la hiérarchie. Quant à l’endettement même s’il est perçu comme un signal positif
témoignant de la capacité de l’entreprise à faire face à la dette, ce mode de financement subit
des coûts supplémentaires tels que : les frais de dossier, les garanties et le taux d’intérêt exigés
pour le financement. Une société ne cherchera pas à s’endetter lorsqu’elle est capable de
couvrir ses besoins par le biais des bénéfices antécédents, mis en réserve. Ainsi
l’autofinancement, lorsqu’il est disponible, demeure le choix le plus bénéfique pour le
financement d’une firme. Cette théorie est indépendante de la politique de financement, elle
représente en revanche, une sorte d’explication du comportement des sociétés et la personnalité
de leurs dirigeants.
Néanmoins, quand nous faisons face à des dirigeants d’entreprises malhonnêtes : leurs objectifs
seraient de maximiser leurs utilités. A ce propos, Myers (1984) définit un surplus
organisationnel composé d'attributs divers (salaires élevés, consommation de biens et services
à titre personnel, gratifications...). Vis-à-vis de ce surplus et étant donné l’activité de
monitoring10 liée à l’endettement surtout bancaire, un mauvais manager établira une hiérarchie
différente : autofinancement, augmentation de capital puis endettement. Myers souligne
toutefois que ce type de comportement peut être limité par la vigilance plus ou moins stricte
des actionnaires.
Cette théorie, souvent analysée sur des firmes anglo-saxonnes, est-elle valide au niveau des
sociétés françaises et libanaises ?
Selon l’étude d’un large échantillon de 1520 PME françaises, sur une période de cinq ans,
Adair et Adaskou (2011), tentent d’expliquer les déterminants du taux d’endettement des PME
en France11. Ils testent ainsi la pertinence de la théorie du financement hiérarchique ainsi que
l’existence d’asymétrie d’informations entre les dirigeants et leurs créanciers. Leur analyse
confirme la validité de cette théorie. Pourtant, concevoir un cadre théorique unifiant les
10
Terme d’origine anglaise désignant l’ensemble des techniques permettant d'analyser, de contrôler et de
surveiller la qualité d'une activité.
11 Selon OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) les PME représentent plus de
85% des entreprises en France et assurent de 60% à 70% des emplois.
12
comportements financiers de ces divers PME, parait difficile 12 et la prise en compte du
rationnement du crédit a été négligée.
En revanche, le marché libanais constitué essentiellement de PME13, privilégie l’endettement.
Effectivement la dette au Liban semble un moyen incontournable à cause du manque de choix :
la majorité de ces PME ne sont pas cotées en bourse et un grand nombre de ces entreprises
détiennent le statut familial et manquent de ressources internes. (Chaarani et Saleh, 2015)
Afin de stimuler ce marché, la Banque du Liban (BDL) décide d’investir au niveau des PME
privées, moteur de l’économie libanaise. En 2013, la BDL débute son plan et verse environ 2.2
milliards de livres libanaises aux banques commerciales. Pour leur part ces banques sont
chargées d’émettre des crédits à ces PME à des taux d’intérêt bas. Suite aux succès de ce moyen
d’incitation au prêt, la BDL relance ce plan en 2014 et 2015 (Banque du Liban Stimulus
Package, 2015). D’ailleurs, les dirigeants-entrepreneurs libanais sont également prudents quant
à l’ouverture du capital social de leurs entreprises : pour eux c’est une perte de contrôle de leur
bien et ils préfèrent conserver un statut familial.
Cette concentration de la propriété, des pouvoirs et des responsabilités chez les dirigeants-
entrepreneurs libanais, porte plusieurs conséquences : la proximité entre le patrimoine social
de la compagnie et le patrimoine familial de ces dirigeants-entrepreneurs, un type de
management spécifique de l’entreprise ainsi que des relations d’agence particulières.
Compte tenu de l’influence culturelle des marchés français et libanais sur les théories de
financement d’entreprises, il est évident que ce sujet mérite des prolongements de recherches.
D’ailleurs, les limites relatives aux études empiriques antécédentes nous poussent à analyser
de manière plus approfondie la validité de ces théories sur les deux marchés en question.
Discussion
La suite de notre étude nous permettra d’examiner la validité de certaines théories de la finance
d’entreprise se fondant sur des études comparatives de sociétés françaises et libanaises. La
12
« Les PME recouvrent des caractéristiques variées, notamment selon la taille et l’âge, le statut juridique ainsi
que la propriété du capital. Ces deux derniers déterminants des comportements financiers méritent une exploration
approfondie » (Adair et Adaskou, 2011, p. 165)
13 Les PME libanaises représentent 97 % du total des entreprises au Liban et emploient plus de 51 % de la
population active.
13
dimension culturelle et son impact sur la finance d’entreprise constituera notamment, un point
important de nos recherches. Le cadre empirique de cette étude, met en relief un nouveau
contexte de rapprochement institutionnel : celui d’un pays en voie de développement face à un
pays développé. Nos recherches vont également nous permettre de mettre en évidence les
principales caractéristiques de la finance d’entreprise au Liban (où les marchés financiers sont
moins évolués) et en France où certaines divergences culturelles persistent par rapport à
d’autres pays développés et affectent bien évidemment ce marché.
Nos analyses empiriques sont susceptibles de dévoiler des interactions principal-agent
spécifiques compte tenu de la singularité des entreprises libanaises. La comparaison avec un
pays développé, la France, nous permettra de valider ou d’infirmer certaines théories du
financement d’entreprises.
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