Ribera à Rome, autour du premier Apostolado · 2020. 6. 19. · L'influence du Caravage s'étend...

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Présentation aux enseignants Mercredi 19 novembre 2014, 14h30 Ribera à Rome, autour du premier Apostolado Exposition présentée du 7 novembre 2014 au 8 février 2015 Ouverture en continu le mardi de 10h à 18h, du mercredi au dimanche de 10h à 12h et de 14h à 18h (sauf lundis et jours fériés)

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Présentation aux enseignants Mercredi 19 novembre 2014, 14h30

Ribera à Rome, autour du premier Apostolado

Exposition présentée du 7 novembre 2014 au 8 février 2015

Ouverture en continu le mardi de 10h à 18h, du mercredi au dimanche de 10h à 12h et de 14h à 18h

(sauf lundis et jours fériés)

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Informations pratiques

Musée des beaux-arts 02 23 62 17 45 20 quai Émile Zola www.mbar.org 35000 Rennes

Ouverture en continu le mardi de 10h à 12h, du mercredi au dimanche de 10h à 12h et de 14h à 18h (sauf lundis et jours fériés) Permanence des conseillers-relais, mercredi : 14h - 17h 02 23 62 17 54 Fabrice Anzemberg (arts plastiques) et Yannick Louis (histoire-géographie) Réservation obligatoire au 02 23 62 17 41 (du lundi au vendredi : 8h45 - 12h15)

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APPROCHE HISTORIQUE par Yannick Louis

PEINDRE À ROME PUIS À NAPLES DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIIe SIÈCLE

Rome, ville des arts au début du XVIIe siècle

Au début du XVIIe siècle, Rome apparaît comme la ville de la papauté, donc des mécènes ; sa forte attractivité en fait un passage obligé pour les artistes qui y trouvent les vestiges de l'Antiquité, les commanditaires, les innovations artistiques notamment avec le caravagisme qui influence de nombreux peintres jusqu'au milieu des années 1630 environ. Si nous ignorons encore la date d'arrivée de Jusepe de Ribera (1591 – 1652) à Rome, on sait qu'il quitte la ville pour Naples en 1616, alors que, peintre prodige -l'Apostolado est œuvre de jeunesse !-, il est déjà apprécié sans cependant recevoir de commande de mécènes prestigieux. Naples, espagnole Au milieu du XVIIe siècle, Naples, est une ville de 300 000 habitants environ, c'est-à-dire du rang de Paris ou Londres. Si elle est contrôlée par l'Espagne (depuis le début du XVIe siècle, la vice-royauté espagnole s'étend sur 140 000 km², presque la moitié des habitants de la péninsule italienne), la cité conserve tout de même le consiglio collaterale (Conseil collatéral), les Eletti (conseil de six représentants – cinq de la noblesse et un du peuple) et le Parlamento (où sont représentés les barons et les cités du Regno) qui apparaissent comme l'expression de la volonté des autochtones de protéger leurs intérêts ; ce qu'ils savent faire lorsqu'il s'agit de s'opposer à de nouveaux impôts ou à l'installation de l'Inquisition...

Naples est une ville dont les origines grecques sont un encouragement à cultiver son identité propre.

Micco Spadaro Masaniello en 1647-1648 Vers 1647 Collection particulière

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DANS LE STYLE CARAVAGESQUE Caravage à Naples, la "période d'errance" Caravage, peintre d'origine lombarde (1571-1610), engage une rupture radicale avec le maniérisme auquel il a été formé à Rome dans l'atelier de Giuseppe Cesari dit le Cavalier d'Arpin : bousculant les codes, les hiérarchies, il peut dans les dernières années du XVIe siècle peindre une fuite en Égypte comme une peinture profane ; par le réalisme de son expression, en choisissant ses modèles dans le peuple, en cadrant les scènes de manière à "rapprocher le spectateur" du tableau habité par des personnages grandeur nature coupés à mi-corps, il crée une nouvelle esthétique dont la caractéristique majeure correspond à un traitement particulier de la lumière, les scènes nocturnes étant privilégiées par ce peintre. En 1606, alors que son caractère de "mauvais garçon" l'entraîne vers la violence, les rixes, les duels qui se terminent par la mort (Caravage porte l'épée !), il est recherché pour l'assassinat de Ranuccio Tamassoni et doit quitter Rome. Il arrive à Naples en 1607 où il peint notamment les Sept œuvres de Miséricorde, puis rejoint Malte, la Sicile, avant de revenir à Naples en 1609. Souhaitant retourner à Rome, il meurt sur une plage du Latium - Porto Ercole - en 1610 dans des conditions mystérieuses qui alimentent le mythe... Son passage à Naples, et plus largement dans le sud de la péninsule, marque durablement la peinture napolitaine. Dans la suite du Caravage L'influence du Caravage s'étend jusqu'au milieu du XVIIe siècle notamment à travers Bartolomeo Manfredi (1582-1622) qui apparaît comme le fidèle héritier et diffuseur du caravagisme plus particulièrement à Rome. À Utrecht, Gerrit van Honthorst (1590-1656), surnommé "Gérard des Nuits" en Italie, diffuse le caravagisme dans les années 1620, après son séjour dans la péninsule. Matthias Stomer (ou Stom, né en 1600 aux Provinces-Unies et mort vers 1650 en Sicile), formé à Utrecht, subit les mêmes influences, sans doute à travers l'œuvre de Honthorst. Dans les influences caravagesques se distingue le ténébrisme par le choix de scènes moins violentes, plus intimistes comme en témoignent les peintures de Georges de la Tour. Jusepe de Ribera adopte également, à sa manière, l'influence caravagesque.

Ottavio Leoni Le Caravage

vers 1621 craie sur papier

Florence, bibliothèque Marucelliana

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JUSEPE DE RIBERA (Xàtiva, province de Valence, 1591 - Naples, 1652)

UN ESPAGNOL À NAPLES Éléments biographiques EN QUATRE DATES 1616 : établissement à Naples à l'âge de 25 ans après un passage par Rome et Parme : peintre de la cour du vice-roi de Naples, il connaît la notoriété. 1626 : académie de saint Luc de Rome : consécration 1635 : la palette s'éclaircit, comme celles de nombreux peintres français qui semblent se détacher de l'influence caravagesque. 1639 : année des chefs d'œuvres. Après le succès la Pieta réalisée pour la sacristie de la chartreuse de San Martino en 1637, il peint le Songe de Jacob et le Martyre de Saint Philippe ; dix ans plus tard, Velasquez vient le voir pour sélectionner des œuvres destinées à la décoration de l'Escorial. SAINT JUDE THADDÉE Le terme espagnol "apostolado" désigne un ensemble de douze tableaux représentant les disciples du Christ, auxquels s'ajoute le Christ lui-même. On utilise l'expression Apostolado aux "cartellini" pour les représentations des saints comportant un "cartellino" (phylactère laissant apparaître le nom du saint) dans la partie inférieure du tableau. L'œuvre entrée dans la collection du musée en 2013 par voie de souscription publique représente saint Jude Thaddée. Elle fait partie de l'apostolado aux cartellini. Quatre autres apôtres de cet ensemble sont connus : Saint Matthieu, Saint Thomas, Saint Jacques le mineur et Saint Jean l’Evangéliste. On peut sans doute y ajouter un Christ bénissant conservé dans l’église de Nivillac (Morbihan) dont le style et les dimensions concordent parfaitement. Qui est Jude Thaddée ? Il s'agit d'un des douze apôtres qui répand le christianisme en Mésopotamie avant d'être martyrisé en 70. Les choix de Ribera : le peintre représente un homme âgé (que l'on identifiera grâce au cartel) devant un fond neutre, à mi-corps... en respectant les codes caravagesques, le traitement de la lumière rapprochant le saint du spectateur même si le vieillard – dont le visage pourrait être celui d'un contemporain de Ribera - semble absorbé par sa lecture. Une réponse aux attentes de l'Église de la Contre-Réforme. (Voir page suivante, l'introduction au parcours sur les peintures de la Contre-Réforme catholique au musée des beaux-arts de Rennes).

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Parcours 1

Une peinture de la Contre-Réforme catholique... PARCOURS DANS LES COLLECTIONS DU MBAR À PARTIR DE JUSEPE DE RIBERA

Quelques repères sur la Contre-Réforme catholique La réaction catholique face à la diffusion et propagation du protestantisme correspond aux décisions du Concile de Trente. Dès 1540, le pape Paul III (1534-1549) a déjà pris des mesures pour mieux combattre la religion "prétendue réformée" : on peut citer la création de l'Ordre des Jésuites en 1540, le rétablissement de l'Inquisition en 1542 et la Congrégation de l'Index en 1543. Le Concile de Trente (1545-1563) précise le dogme en rappelant les points sur lesquels le désaccord avec le protestantisme est définitif : les œuvres participent au Salut ; sept sacrements (baptême, communion, confirmation, mariage, ordre, extrême onction, pénitence) ; culte de la Vierge et des saints ; les images correspondent à des supports pour instruire, émouvoir et encourager l'imitation (proposer des modèles) ; la discipline et les relations entre l'épiscopat et Rome. Le langage des images est alors codifié : des traités (comme celui de Jean de Mœien Traité des saintes images (1570) qui influence les Carrache, celui de G. Paoletti en 1582 qui promeut un réalisme historique et naturaliste, ou encore de Saint Charles Borromée lui-même en 1572) permettent aux artistes de répondre correctement aux attentes de l'Église. Des écrits complètent ces traités : Dialogos de la pintura de Vicente Carducho ; Arte de la pintura de Francisco Pacheco (peintre et censeur de l'Inquisition) ; en France, René Benoist Traité catholique des images ; le Jésuite Richeome... Si cette représentation de saint Jude Thaddée répond aux attentes de l'Église qui veut présenter les grands personnages de l'histoire religieuse en les rapprochant des fidèles, quelques œuvres des ténébristes, présentes au musée, peuvent compléter l'étude de la peinture de la Contre-Réforme.

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Ulrich Loth La Femme adultère

XVIIème siècle Huile sur toile 143 x 202 cm

Envoi de l'État, 1811

Selon G. Deregnaucourt et D. Poton (La vie religieuse en France aux XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, synthèse Histoire Ophrys), on assiste à l'instauration d'un ordre moral par la surveillance des mœurs et la culpabilisation de la société. Les imprécations relatives à l'adultère notamment, affirment le tabou de la sexualité et met en cause la femme tentatrice ; les officialités jugent alors de nombreux délits sexuels laïques. Ce tableau exprime bien cette volonté de mettre l'accent sur le péché et, plus encore, sur le repentir salvateur.

Quentin Varin Les Noces de Cana Vers 1618-1620 Huile sur toile 310 x 259 cm Envoi de l'État, 1811

L'œuvre met en scène le Christ et la Vierge lors du premier miracle de Jésus (au cours du repas, le vin vient à manquer ; Jésus transforme l'eau en vin). Une opportunité pour rappeler et réaffirmer le dogme catholique défini par le Concile de Trente (ici, le sacrement du mariage - contesté par les protestants mais aussi la présence de la Vierge

et l'eucharistie) ; ce tableau d'autel destiné à l'église Saint-Gervais et Saint-Protais de Paris datant de 1618 devait aussi, par la perspective ouverte, accentuer la profondeur du chevet et signifier la place centrale du clergé durant l'office.

Gerrit van Honthorst (1590-1656) Le Reniement de saint Pierre

Huile sur toile 150 x 197 cm

Dépôt du musée du Louvre, 1876

Il s'agit d'une peinture représentant un épisode biblique (Nouveau Testament) : Pierre, avant le chant du coq, renie Jésus comme il avait été prédit. Le moment choisi est l'interpellation de l'apôtre par une servante. Gerrit van Honthorst réalise ce tableau dans un style caravagesque vers 1620. La faiblesse de Pierre sera rachetée par les larmes de la rédemption ; ainsi l'Église veut afficher sa miséricorde.

Mathieu Le Nain (1607-1677) La Vierge au verre de vin Vers 1640 Huile sur toile 38 x 58 cm Saisie révolutionnaire (collection Robien), 1794

La Vierge est totalement absorbée par la contemplation du vin annonçant la Passion du Christ. Elle porte l'enfant Jésus sur son bras, sous le regard de sainte Élisabeth alors que Jean-Baptiste accompagné d'un ange, porte une corbeille de pommes : ce tableau, aux dimensions inattendues mais

qui contraignent à une certaine proximité accentuant ainsi le caractère intimiste de la scène, exprime la volonté de la Contre-Réforme de faire de Marie un personnage central de l'histoire religieuse.

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Parcours 2 LE PORTRAIT

PARCOURS DANS LES COLLECTIONS DU MBAR À PARTIR DE RIBERA

Pere Borrell del Caso (1835-1910) S’échapper de la critique 1874 Madrid, collection Banco de España

Selon Pline l'Ancien (23-79 ap. J.-C.), le portrait serait à l'origine même des arts et particulièrement de la peinture (voir mythe de Dibutade...) ; il ne s'agit pourtant, selon Félibien (1619-1695) que d'un genre inférieur à la scène d'histoire. Reproduire fidèlement les traits d'un individu remarquable par sa position sociale et/ou politique, son appartenance à une lignée ou encore un personnage religieux se pratique à toutes les époques ; il peut s'agir aussi de minimiser son absence en conservant les traits du défunt, façon aussi de prolonger sa vie... le portrait répond à de nombreuses sollicitations. L'Église, réglant son rapport aux images, adopte le genre alors que le Mandylion (image acheiropoïète, qui n'est pas fait de la main de l'homme) légitimait la représentation du visage du Christ. Pour les tableaux représentant des personnages bibliques, il serait plus juste de parler de représentation que de portrait, au sens strict du terme. Pose, expression et physionomie mais aussi costume et cadre dans lequel est installé le modèle rendent compte de l'identité, de la personnalité, du caractère de l'individu représenté en peinture ou sculpture (dans ce cas, on parlera de tête, de buste ou statue) avec un degré de réalisme variable. Son évolution révèle les changements sociaux et l'appropriation par un nombre croissant de cette volonté de se voir représenté, qui apparaît à la Renaissance quand l'individu entre dans l'histoire.

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LE PORTRAIT AU MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE RENNES Une sélection de quelques portraits permet de mener une étude du genre à travers les siècles. Le portrait est très présent dans les collections ; nous avons retenu la représentation d'un saint, extrêmement codifiée, le portrait de l'homme de pouvoir réalisé dans un tondo, format redécouvert à la Renaissance ; celui d'une femme par un peintre du Nord, pour le XVIIIe siècle, deux portraits de jeunes filles : celui de Innocente Guillemette de Rosnyvinen de Piré, très convenu, celui - qui l'est moins - d'une jeune fille au ruban bleu, par Greuze... enfin, le portrait de La Prisonnière (Agnès A.) par Yan Pei-Ming

Quelques clés de lecture (à partir d'une fiche élaborée par Mme Andrée Chapalain)

Repérez les indications figurant sur le cartel :

− nom de l'artiste, époque de la réalisation − nom du personnage représenté

Description : place du modèle dans le tableau (se détache sur un fond neutre ou pas...) ; quelle est la pose (en pied, à mi-corps, en buste, de trois-quarts, de profil, pose sévère, hautaine, détendue...), le genre et l'âge du modèle ? À quelle époque et à quel milieu (fonction ou métier...) semble-t-il appartenir ? Décrivez ses vêtements et les accessoires qui l'entourent... Les moyens plastiques : d'où la lumière vient-elle ? Les couleurs sont-elles vives ou assourdies ? La touche est-elle précise ? Large ? Fine ? Les moyens plastiques accentuent-ils le réalisme ? La personnalité du modèle : dans quelle direction son regard se dirige-t-il ? Ignore-t-il le spectateur ou le regarde-t-il ? Quelle est son expression (rêveuse, déterminée...) ? Peut-on déceler un ou des trait(s) de son caractère ? Quelle impression vous fait-il ? Quels sentiments vous inspire-t-il ? Le tableau et sa fonction : selon vous, à qui ce tableau est-il destiné ? Où ce tableau pouvait-il être vu ? (Ses dimensions donnent peut-être des indications) Par qui ? Dans la proximité de quel autre tableau ? Quel était son intérêt pour son possesseur ?

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Quelques œuvres Lippo di Benivieni (Connu à Florence de 1296 à 1327)

Saint Jean Tempera sur bois

78 x 48 cm Legs de Paul Lucas, 1894

Tout en demeurant attaché à la manière archaïque (fond d'or, forme du panneau, visage figé du personnage...), Lippo di Benivieni présente saint Jean écrivant et signifie la profondeur par les plis du vêtement et la position des bras. Identifier le personnage serait aujourd'hui difficile en ignorant que ce tableau n'est qu'une partie d'un polyptyque.

Portrait d'un procurateur vénitien Fin du XVIe Huile sur toile 111 cm

Si l'origine géographique n'est pas attestée, il s'agit vraisemblablement d'une œuvre vénitienne. La fonction remplit le tableau ; le corps semble disparaître derrière l'habit...Droiture, probité, compétence... Les valeurs du patriciat vénitien s'incarnent dans le portrait de cet homme placé près d'un bureau sur lequel reposent un encrier à deux plumes, des

livres, la statuette de Mercure symbole de la Raison et de l'Éloquence à la Renaissance…

Matthias Stomer (1600-après 1650) Saint Ambroise

Vers 1633-1639 Huile sur toile 110 x 130 cm

Saisie révolutionnaire ; Envoi de l'État, 1801

Père de l'Église latine (avec Augustin d'Hippone, Jérôme de Stridon et Grégoire Ier), saint Ambroise de Milan (340-397) est ici représenté de manière frontale mais, très concentré sur son travail, il ignore le spectateur ; le dépouillement du lieu accentue la présence du personnage amplifiée par le costume. Une œuvre où se lisent les influences caravagesques, Matthias Stomer est l'élève de Gerrit van Honthorst à Rome en 1616 et passe une grande partie de sa vie en Italie.

Si le visage ne semble trahir aucune émotion et ne rien livrer de la personnalité de cette femme, le peintre maîtrise pourtant parfaitement le genre : le portrait de trois-quarts est alors très en vogue ; le fond sombre laisse apparaître le visage entre l'attifet et la fraise ; le regard,

dirigé vers le spectateur, installe le personnage. Ainsi, comme l'écrit Tzvetan Todorov, "les visages bien éclairés attirent toute l'attention mais préservent leur mystère" (Éloge du quotidien, essai sur la peinture hollandaise du XVIIe siècle).

Adriaen Key (vers 1544-vers 1590) Portrait de femme Vers 1585 Huile sur bois 46 x 36 cm Acquis en 1820

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Charles-André van Loo (1705-1765) Portrait d'innocente Guillemette Rosnyvinen de Piré

Vers 1762 Huile sur toile

75 x 62 cm

Premier peintre du roi en 1765, van Loo réussit une brillante carrière officielle. Guillemette Rosnyvinen de Piré, qui appartient à la vieille noblesse bretonne, est représentée à l'âge de seize ans, de trois-quarts, les mains calmement posées sur un rebord de table, assise sur un fauteuil ; elle pose sagement devant le peintre qui a su rendre, à travers le regard doux et la simplicité de la mise, une certaine intimité. Ce portrait de famille est destiné à prendre place dans la galerie de quelque demeure aristocratique.

Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) La jeune fille au ruban bleu Huile sur toile 45,5 x 38 cm Dépôt du musée du Louvre, 1934

Jean-Baptiste Greuze arrive à Paris au début des années 1750 ; très vite, il est apprécié pour ses scènes de genre. Ce tableau est de ceux qui plaisent pour leur qualité picturale et pour la vérité de leur représentation. La sincérité du peintre comme du modèle semble primer pour les amateurs de ces portraits ; ici, cette dimension est accentuée par le fait que la jeune fille semble être

regardée à son insu. Yan Pei-Ming (né en 1960 à Shanghai) La Prisonnière, Agnès A. 1996 Huile sur toile 200 x 180 cm Dépôt de l'administration pénitentiaire, 1996

Sur fond blanc, dans un format proche du carré, de profil, le visage apparaît en grisaille, dessiné à larges coups de brosse. En août 1996, Ming (qui vit à Dijon, la ville où il a fait les beaux-arts en arrivant de Chine) est allé en Bretagne pour animer un atelier de peinture à l'huile en milieu carcéral. L'artiste a retenu cinq détenues pour faire leur portrait. «Avec les prisonnières, j'ai eu le sentiment qu'elles se disaient : "Je n'ai rien à perdre". Elle ne cherchent pas une esthétique mais une existence.»

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Bibliographie Peu de publications, le plus souvent en langue étrangère... cependant :

• Ribera, un maître de l'âge d'or espagnol, Dossier de l'art N° 159, janvier 2009, Éditions Faton • Catalogue Ribera du musée des beaux-arts de Rennes, 2014

Yannick Louis, conseiller-relais au musée des beaux-arts de Rennes

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APPROCHE PLASTIQUE par Fabrice Anzemberg

LA LUMIÈRE ET LA PEINTURE : UNE AFFAIRE D'ÉPOQUE ? Il y a quelques années, un grand producteur et distributeur d'électricité concluait un message publicitaire par cette formule : « Nous vous devons plus que la lumière ! » La lumière semble devenue une chose d'une grande banalité, c'est un bien de consommation courant comme un autre. À bien y réfléchir, cela se conçoit ; dans une habitation aujourd'hui, la lumière est dans chaque pièce, même les plus secondaires : les caves, les greniers, les débarras. La lumière est devenue présente partout, elle éclaire nos intérieurs comme nos rues. Son absence, lors d'une panne nous paraît étrange et lorsque le « blackout » a paralysé New York en 1977, la ville s'est retrouvée totalement désorganisée. La lumière et particulièrement la lumière électrique n'a plus rien de magique, la « fée électricité » n'est plus qu'un lointain souvenir. La lumière est une affaire d'énergie consommée ou économisée dans notre quotidien, une longueur d'onde pour un scientifique, ou même une question de technique pour un fabricant d'ampoules électriques. Rien de mystérieux, rien qui ne fasse rêver, a priori.

Seuls le théâtre et le cinéma restent des milieux où la lumière continue à jouer un rôle esthétique important. Les ingénieurs et les techniciens lumières au cinéma, la régie lumière du théâtre ont des enjeux esthétiques

En 1937, Raoul DUFY (1877 – 1953) peint la Fée électricité pour le Pavillon de la lumière et de l'électricité construit par l'architecte Robert Mallet Stevens (1886 – 1945) sur le Champ de Mars à l'occasion de l'Exposition internationale des arts et des techniques accueillie à Paris en 1937. L'œuvre est exposée dans le hall d'entrée, sur un vaste panneau concave de 10 mètres de hauteur sur 60 mètres de longueur. La commande est passée par La Compagnie parisienne de Distribution d'Électricité. En 1964, Électricité de France donne l'œuvre au Musée d'art moderne de la ville de Paris.

La peinture mélange des thèmes mythologiques à des scènes historiques et des faits scientifiques. La modernité de cette œuvre tient aussi dans ce mélange de sciences, de techniques et de fantastiques ou même de magie. L'électricité et la lumière qu'elle produit est encore pour le peintre un spectacle hors norme. La France se modernise, l'éclairage public est installé depuis longtemps à Paris, beaucoup de particuliers ont l'électricité chez eux, mais ce n'est pas encore partout le cas en France. Pour beaucoup, c'est une nouveauté, une grande partie de la population n'est pas née avec cet élément de confort. Tourner le bouton de l'interrupteur de porcelaine est encore un fait magique ; le claquement du bouton, le jaillissement de la lumière dans la pièce, la circulation électrique dans les fils et les circuits souvent dissimulés sous des goulottes de bois sont autant de faits encore un peu mystérieux. On respecte l'électricité avec sa tension en 110 volts qui « mord » tellement cruellement en cas d'accident ou d'installation défectueuse. Le courant électrique est une puissance qu'on aime et respecte et dont on craint parfois les colères ou débordements. Ainsi sont faites les fées !

Raoul Dufy La Fée électricité 1937 Huile sur contreplaqué 250 panneaux de 200 x 120 cm Musée d'art moderne de la ville de Paris

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forts. Certaines de ces créations donnent à la scène théâtrale ou cinématographique des dimensions exceptionnelles : des narrations, des ambiances naissent alors des lumières. C'est sans doute de ce travail que sont nées les scénographies de monuments avec des éclairages spectaculaires. Faire la lumière… L'art, cependant, reste fortement marqué par la question de la lumière. Dans la peinture de Ribera (1591-1652), les enjeux de lumières sont très particuliers. Aujourd'hui, la lecture que nous faisons de cette œuvre et particulièrement celle du musée des beaux-arts de Rennes est marquée par cette présence de la lumière.

Jusepe de Ribera

Saint Jude Thaddée La lumière pour un esprit religieux, fortement marqué par le christianisme, a un sens spécifique. « Fiat lux... » fait partie des premiers instants de la Création du Monde par Dieu. Dieu fait la lumière, il illumine le Monde. La lumière est porteuse d'une vérité et d'un message. La diffusion de la lumière dans cette peinture obéit à une logique et prend un sens qui peut aujourd'hui nous échapper partiellement ou totalement. Les codes ont changé, les préoccupations du public comme des artistes ne sont plus les mêmes. Cependant la lumière est là, présente et bien visible. Si une partie de son sens nous échappe, nous pouvons nous interroger sur les moyens mis en œuvre par un peintre pour la produire. Osons reprendre le terme de Giorgio Vasari (1511-1574) et parlons de l'utilisation d'un « artifice ». Vasari, peintre, architecte, mais aussi auteur de l'ouvrage Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes nous propose une analyse du geste du peintre : la peinture n'est pas un ensemble de ce qu'on pourrait qualifier familièrement de « trucs » picturaux.

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Couverture des « Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes »

Première édition en 1550 Peindre est un ensemble de pratiques qui prend sens et porte une signification. La recherche de « l'artifice » par le peintre ne conduit pas à faire « joli ou décoratif » mais doit s'analyser comme un moyen d'expression d'idées fortes.

La lumière reçoit donc un traitement spécifique dans la peinture. Des moyens techniques ou plastiques servent à créer la lumière. Après plusieurs siècles, les écrits de Giorgio Vasari influencent peut-être moins la pensée et le regard du spectateur. Cependant, les moyens de créer la lumière sont encore perceptibles. Ils sont divers et se rencontrent facilement. Par une simple déambulation au milieu d'œuvres conservées au musée des beaux-arts de Rennes, le spectateur ou l'amateur d'art est en capacité de repérer le travail de la lumière.

La matière peinture reçoit physiquement la lumière d'une source naturelle ou artificielle, on connait aujourd'hui et depuis un certain temps déjà le processus de diffusion de la lumière et la relation que l'onde lumineuse produit sur la matière. Pour Ribera ou pour un peintre du XVIe ou du XVIIe siècle, ce phénomène n'était pas vécu dans sa dimension physique ; l'analyse du spectre lumineux n'était pas connue… Et pourtant la lumière était un enjeu majeur de certaines peintures, elle participait à la mise en scène, donnant ainsi un sens tellement particulier à l'œuvre. Elle participe à la force et même la violence de l'œuvre du Caravage (Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Caravage ou Le Caravage, 1571-1610) et des peintres caravagesques, elle crée l'harmonie chez les peintres plus associés au ténébrisme.

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La lumière dans quelques peintures... Cette œuvre date des années italiennes du peintre, vers 1520. Elle est très influencée dans sa thématique par la Contre-Réforme catholique. Saint Pierre est représenté peu après l'arrestation du Christ, une servante le prend à partie et affirme qu'il était lui aussi disciple de Jésus. Le reniement est accompagné de larmes. À la trahison du Christ, sont liées la douleur et la peur. Une dimension humaine est donnée à l'œuvre dans laquelle le fidèle peut être pardonné s'il se repent. Par son éclairage et son cadrage, l'œuvre est fortement influencée par Caravage. Deux bougies visibles éclairent la scène et la coupent en deux parties. Les personnages sont vus à mi-corps, par le jeu combiné du cadrage et de la lumière, l'accent est mis sur le geste et l'expression. La sensation de lumière est très curieuse. Elle vient forcément d'une source extérieure et pourtant notre œil semble voir cette lumière comme produite par le tableau lui-même. L'œuvre « éclaire », elle rayonne d'une luminosité qui lui est propre. Cet effet de lumière est contenu par la touche du peintre. La matière utilisée est très fine, sans doute même très fluide et transparente ; des couches de cette matière picturale se superposent. Cela permet à la lumière de traverser la matière jusqu'au plus « profond » de la peinture et de revenir vers notre œil. Nous percevons un effet de rayonnement. La technique permet ainsi d'infinis jeux de nuances colorés et lumineux, de créer les reliefs qui accrochent la lumière, d'atteindre par la peinture des intensités de lumière très faibles ou au contraire puissantes en passant par de multiples étapes, sans ruptures. La lumière révèle alors les reliefs d'un visage, d'un vêtement, rend compte des volumes, de l'espace.

Notons cependant dans cette peinture la présence d'éclats lumineux. L'intensité y est particulièrement forte. Le peintre travaille alors des zones où les reflets lumineux font briller le métal de la garde d'une épée, par exemple. L'artiste crée ce type de reflets par l'utilisation de petites touches de matière picturale, de petits grains de pâte de peinture à l'huile, probablement déposés sur la toile par une petite brosse assez souple. Le peintre cherche à créer un effet, il perturbe notre lecture de l'œuvre en changeant, sur des zones très limitées de la toile, la texture de la peinture. Si notre œil ne le perçoit pas à prime abord, un regard plus attentif nous permet de percevoir le contraste très subtil des matières.

Gerrit van Honthorst Le Reniement de Saint Pierre (détail)

Gerrit van Honthorst (Utrecht, 1590 – Utrecht, 1656)

Le Reniement de Saint Pierre Huile sur toile 150 x 197 cm

Dépôt du musée du Louvre, 1876

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Ce jeu de matière est présent dans d'autres œuvres représentant des paysages, à la même époque, chez d'autres peintres de l'Europe du Nord, par exemple. Prenons la célèbre Vue de Delft peinte par Vermeer (Johannes ou Jan Van der Meer dit Vermeer ou Vermeer de Delft, 1632-1675). Cette œuvre de 1660-1661 montre une vue de la ville. Nous sommes situés à proximité des constructions, nous ne voyons pas l'ensemble de l'agglomération mais une petite partie de celle-ci. La description est précise, mais un effet de lumière solaire et de nuages rend le premier plan sombre et met en valeur l'arrière-plan et tout particulièrement la Nieuwe Kerk et les quartiers qui l'entourent. Sans rentrer dans le détail des interprétations possibles de cette composition, remarquons le jeu de matière picturale de cette œuvre : la peinture est ici aussi faite de couches de peinture très fines, la toile, sans apparaître totalement est très près de notre œil, à peine masquée par la matière de la peinture à l'huile. Mais localement, des touches minuscules de peinture sont déposées et créent un scintillement et un contraste avec la rudesse de certains matériaux et l'éclat immatériel de la lumière.

Vermeer Vue de Delft 1660-1661 Huile sur toile 98,5 x 117,5 cm La Haye, Maurishuis

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Luca Giordano (Naples, 1632- Naples, 1705) Le Martyre de saint Laurent Huile sur toile 175 x 228 cm Envoi de l'État, 1802

Saint Laurent est diacre à Rome. Il est persécuté et soumis au supplice du gril en 258 parce qu'il refuse d'abjurer sa foi et de livrer les trésors de l'Église. Cette œuvre du jeune Luca Giordano a été probablement réalisée vers 1660. Elle est encore très influencée par Jusepe de Ribera. Luca Giordano a fait son apprentissage à Naples dans l'Atelier de Ribera. On y retrouve des caractéristiques du ténébrisme de Ribera par l'opposition des contrastes lumineux avec des zones extrêmement sombres. Mais le saint exprime, malgré la violence de la scène, une grande douceur. Son regard n'est pas tourné vers ses bourreaux mais vers l'ange. Ce dernier tient en main une palme, symbole de salut du saint. L'œuvre est aussi, comme nombre de peintures napolitaines de cette période, marquée par l'influence caravagesque. Là encore, on retrouve ce jeu puissant de l'ombre et de la lumière, qui marque l'intensité dramatique de la scène, l'aspect théâtralisé de l'action.

Ténébrisme et caravagisme sont marqués cependant l'un et l'autre du réalisme des personnages. Les acteurs de la scène semblent sortir du quotidien du peintre, ils viennent de la rue, du quartier et sont représentés sans effet particulier. Luca Giordano peint en utilisant des empâtements, en particulier pour caractériser les visages, les rendre plus expressifs. Il réalise également le modelé des corps par ce type de touches. Passage après passage, la brosse dépose des couches de pâte sur la toile. Doucement, le peintre introduit des nuances de couleurs sur les personnages et de saint Laurent en particulier. Il « sculpte » les corps et les visages par cet emploi de matières picturales en faisant figurer les volumes et en apportant des zones de lumière. La lumière est ici matérialisée par ces empâtements. Sur le corps du saint, on remarque à l'œil nu les traces de l'outil du peintre. On peut penser que le peintre a utilisé une ou des brosses plates. Sur ces zones claires, on peut voir les sillons des soies légèrement rigides laissés par le travail de l'artiste. Le peintre effectue là un véritable modelé, il appréhende le corps dans sa relation aux trois dimensions et au jeu des lumières sur un volume.

Fabrice Anzemberg, conseiller-relais au musée des beaux-arts de Rennes

Caravagisme et ténébrisme : la lumière dans Saint Jude Thaddée de Jusepe de Ribera

L'influence du Caravage sur une grande partie des artistes des XVIe et XVIIe siècles est considérable. Caravage apporte à la peinture un jeu de couleurs nouveau basé sur le fort contraste du clair et du foncé. Les thématiques de ses œuvres sont marquées par des mises en scène tragiques. La violence est y exprimée de manière claire et sans détour. L'artiste joue avec son public en suscitant un sentiment fort, l'émotion n'est pas traduite dans l'œuvre, elle est (re)présentée.

Dans l'œuvre de Ribera, on est plus tenté de parler de ténébrisme. Le mot « Ténèbres » est emprunté au latin et est d'origine indoeuropéenne. Il désigne l'obscurité totale et l'absence de lumière, il fait référence dans le christianisme à l'office qui a lieu dans la nuit du Jeudi au Vendredi Saint où l'on éteint les lumières. Au XVIIe siècle, on parle de « leçons des Ténèbres » dans les compositions musicales qui font référence aux textes de cet office. Le ténébrisme est profondément influencé par cet esprit de méditation. La lumière dans la peinture de Ribera n'est pas (ou pas uniquement) un effet d'éclairage naturel. La lumière est un phénomène physique mais elle reflète la profonde réflexion spirituelle du saint. Le ténébrisme est marqué par une opposition clair / foncé, mais aussi par une profonde dimension spirituelle ou réflexive.

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Dossier : Yannick Louis, conseiller-relais, [email protected] Et Fabrice Anzemberg, conseiller-relais, [email protected] MBAR, novembre 2014 Maquette : Carole Marsac - Mise en ligne : Nadège Mingot, MBAR