RESET

40

description

Cherchant du repos et du calme, fatigué des flux de la villede Tokyo, j’ai souvent été attiré par les espaces verts. Cesimages sont issues de parcs disséminés dans les différentsquartiers de Tokyo. J’ai été marqué par le changementradical des temporalités. Ces parcs étaient comme desespaces où le temps s’allonge dans un calme paisible. Setrouvaient dans ces espaces des personnages méditatifs,pensifs, rêvant, assis sur des bancs ou couchés dans l’herbe.Le point commun apparent qui les reliaient était le repos.

Transcript of RESET

RESET

リセット

J’étais au milieu de la forêt, il y avait deux chemins devant moi, j’ai pris celui qui était le moins emprunté,et là, ma vie a commencé.

Robert Frost

Cherchant du repos et du calme, fatigué des flux de la ville de Tokyo, j’ai souvent été attiré par les espaces verts. Ces images sont issues de parcs disséminés dans les différents quartiers de Tokyo. J’ai été marqué par le changement radical des temporalités. Ces parcs étaient comme des espaces où le temps s’allonge dans un calme paisible. Se trouvaient dans ces espaces des personnages méditatifs, pensifs, rêvant, assis sur des bancs ou couchés dans l’herbe. Le point commun apparent qui les reliaient était le repos. Mais l’envers de ces scènes est souvent bien plus sombre et douloureux. Ce sont des déchus d’une société sans pitié. Une société basée sur la compétition qui commence dès la naissance. Le taux de natalité ne cesse de diminuer au Japon, dû aux frais scolaires très élevés et au fait que les femmes accordent de plus en plus d’importance à leur carrière professionnelle. Cette diminution implique que chaque parent projète tous leurs espoirs en leur enfant. Dès la naissance, ces enfants sont soumis à une forte pression de la part de leur parents et de leur grands parents. Cet enfant portera tout ce poids sur ses épaules jusqu’à ce qu’il réussisse ou rate, car au Japon il n’existe que deux catégories : Les gagnants et les perdants. C’est face à cet enjeu que les enfants vont s’affronter durant toute leur scolarité . La plupart ne se contenteront pas des cours à l’école et iront dans des juku jusqu’au soir pour combler leur lacunes et rattraper les retards. Les enfants évoluent dans ce cadre, fixant aveuglément un but unique qui leur a été imposé. Les répercussions dues à ce stress tournent souvent au drame. Nombreux sont ceux qui craquent et cela peut se traduire par l’enfermement (rejet de toute relation avec le monde extérieur), la rébellion ou le suicide. La brimades entre élèves (ijimé) est une pratique courante et cela peut prendre n’importe quelle forme, que ce soit physique ou psychologique. Et, celui qui sera déchu, sera voué à porter le masque de l’humiliation, le poids le plus lourd qui puisse être au Japon. Les plus démunis devrons vivre cachés, écartés de la scène, se faisant le plus petit possible.

Ces gens se réfugient souvent dans des parcs ou dans des recoins de la ville, vivant dans des tentes en bâche bleue ou dans des boîtes en carton. Certains arrivent à résister en passant leurs nuits dans des fastfood, vidéothèques ou dans des cafés manga. Les Japonais les nomment les «homeless», terme repris de l’anglais. Malgré tous les regards de la société, nombreux sont ceux qui luttent pour ne pas toucher le fond. Ils gardent une poussière de dignité et survivent en n’espérant plus rien de l’avenir. Ils semblent attendre que le temps passe. D’autres refusent leur situation et font tout pour s’accro-cher à la société. Le travail à leur disposition est très limité, nettoyage de la ville, ramassage de carton et de canettes, tri des ordures .

Les homeless sont de plus en plus nombreux au Japon, cette situation est due à la crise financière et à son système social peu développé. Le travail étant le reflet de la vie pour les Japonais, il n’est pas rare de voir des personnes âgées continuer à travailler jusqu’à la mort. C’est dans ce cadre que j’ai réalisé ces photos, en imagi-nant une vie possible pour chacun de ces personnages.

Je sentais dans le fond une sorte de réaction contre la so-ciété japonaise. Dans le calme et la paisibilité apparente, est enfouie une souffrance profonde. Leurs visages cachés par le masque, ils semblent fuir les regards. Ce sont des images pleines d’ambiguïtés, les personnages sont médi-tatifs tout en se laissant emporter par un instinct animal dans ce milieu naturel. Tiraillés entre nature et société, ces Japonais semblent être confus et avoir abandonné le com-bat. La nature est un élément majeur dans la culture tra-ditionnelle japonaise. Mais celle ci est détruite et oubliée pour ne laisser de la place qu’à des murs de béton. C’est elle qui aujourd’hui semble vouloir calmer la course à la modernisation, et c’est dans ces espaces qu’ on y trouve les réfugiés de cette société.

Mathieu ONUKI

Dans le cadre de l’atelier ErrancesEESAB 2011