#CoRAIA2016 Diaporama de lancement de la 14eme Rencontre régionale
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rencontre régionale de l’éducation artistique à l’image
le cinéma dans l’histoire des arts
les actesmercredi 9 décembre 2009, Amiens
Acap – Pôle Image Picardie Actes de la Rencontre régionale du 9 décembre 2009
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Sommaire
PRESENTATION GENERALE ............................................................................................................................... 3
OUVERTURE DE LA JOURNEE..................................................................................................................................... 4
• Caroline Sévin, directrice de l’Acap – Pôle Image Picardie........................................................................... 4
• Pauline Chasserieau, responsable département éducation à l’image de l’Acap ............................................. 4
CONFERENCE : « FAVORISER LA RENCONTRE AVEC LES ARTS », PAR CAROLE DESBARATS........................................................ 6
• La culture des jeunes ................................................................................................................................ 6
• Comment travailler sur une œuvre d’art ?................................................................................................... 8
• Relation entre les arts ............................................................................................................................... 9
DIALOGUE AVEC LA SALLE (RESUME ET EXTRAITS) .......................................................................................................... 11
TABLE RONDE : HISTOIRE DES ARTS ET EDUCATION ARTISTIQUE ......................................................................................... 13
• Eugène Andréanszky : Quelle place pour les dispositifs scolaires d’éducation au cinéma ? ........................... 13
• Hervé Hemme : Analyse des œuvres et circulation des arts ......................................................................... 14
• François Lorin : Images et danse .............................................................................................................. 16
• Erika Haglund : Histoire des arts et pratique artistique ................................................................................. 18
DIALOGUE AVEC LA SALLE (RESUME ET EXTRAITS) .......................................................................................................... 20
Acap – Pôle Image Picardie Actes de la Rencontre régionale du 9 décembre 2009
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Réalisation des actes :
Acap – Pôle Image Picardie Directrice de publication : Caroline Sévin
L’édition de ce document a été coordonnée par : Pauline Chasserieau
Préparation, finalisation : Jocia Danière
Nos remerciements à :
Eugène Andréanszky, délégué général des Enfants de cinéma. Carole Desbarats, enseignante et directrice des études de la Fémis de 1996 à 2009. Auteure de nombreux essais, elle
collabore à la revue Esprit et anime, par ailleurs, le groupe de réflexion des Enfants de cinéma depuis de nombreuses
années.
Erika Haglund, réalisatrice et monteuse. Très impliquée dans les actions d’éducation à l’image, elle a accompagné de
nombreux ateliers de sensibilisation au cinéma et à l’audiovisuel avec différents publics.
Hervé Hemme, conseiller pédagogique départemental en arts visuels à l’Inspection Académique de l’Oise. François Lorin, co-responsable des relations avec le public des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-
Saint-Denis.
Merci à la Mairie d’Amiens ainsi qu’à toutes les personnes présentes à cette rencontre régionale.
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Présentation générale
Pour la cinquième année, l’Acap – Pôle Image Picardie, en sa qualité de « Pôle régional d’éducation artistique et de
formation au cinéma et à l’audiovisuel », missionné par le Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC Picardie
et le Conseil régional de Picardie, a organisé, le 9 décembre 2009 à la Salle Dewailly à Amiens, une rencontre régionale
consacrée à l’éducation artistique aux images. A travers cette rencontre, l’Acap a proposé aux quelques 80 partenaires
culturels, éducatifs et territoriaux présents, d’interroger transversalement les pratiques de sensibilisation artistique à
l’image et de prendre le temps d’une véritable réflexion centrée sur l’éducation au cinéma et à l’audiovisuel dans un
esprit d’échange et de mutualisation des expériences.
Chaque année, cette rencontre régionale s’organise en deux temps : la matinée est consacrée à une réunion de travail,
en réseau, sur les dispositifs scolaires d’éducation au cinéma en région et l’après-midi, ouvert à tous, s’attache à
accompagner la réflexion des professionnels de l’éducation à l’image présents sur une thématique transversale.
Pour cette nouvelle édition, l’Acap a fait le choix d’interroger la place du cinéma au sein de l’enseignement de l’histoire
des arts. A travers ce temps de réflexion collectif, l’objectif était bien d’amorcer un dialogue sur cette question et de
transmettre aux professionnels présents des éléments de pensées et des idées de démarches pouvant aider chacun à
s’inscrire dans cet enseignement.
Ce document constitue les actes de la rencontre régionale de l’après-midi. La conférence et les témoignages ont été
retranscrits dans leur intégralité, puis ils ont été relus et amendés par les intervenants. Ils conservent toutefois, comme
vous le constaterez, leur caractère oral. Par ailleurs, au vu de la richesse des débats avec le public, l’Acap a choisi de
présenter ces échanges sous forme de résumé en ne gardant que les éléments essentiels.
Déroulement de la journée
9h30 - 12h30 : Réunion de réseau consacrée aux dispositifs scolaires d’éducation à l’image Tout au long de la matinée, une rencontre de travail réunissant les acteurs culturels, éducatifs et territoriaux en charge
des dispositifs scolaires d’éducation au cinéma (« Ecole et cinéma », « Collège au cinéma », « Lycéens et apprentis au
cinéma », « Ciné 80 » et « Plan séquence ») a été organisée. Il s’est agi, au cours de ce temps de réunion, d’établir un
état des lieux des opérations précitées, de s’interroger sur leur accompagnement éducatif et culturel (formations des
enseignants, documentation et ressources pédagogiques, ateliers…) et d’envisager leurs perspectives de
développement. 14h00 - 18h00 : Le cinéma dans l’histoire des arts Comment aborder le cinéma dans l’enseignement de l’histoire des arts ? Quelle place pour les partenaires culturels et
artistiques ? Quelles rencontres entre le cinéma et les autres disciplines artistiques ? Quel travail mener avec les
dispositifs culturels existants ? Autant de questions que l’Acap a proposé d’approfondir avec les intervenants présents, au
cours de cet après-midi de travaux, dans le cadre d’une conférence consacrée à la rencontre des arts et d’une table
ronde présentant divers témoignages et démarches. Sans prétendre répondre à l’ensemble des interrogations en la
matière et au vu du caractère naissant de ce nouvel enseignement, ces échanges ont avant tout visé à amorcer une
démarche de questionnement sur la rencontre du cinéma et de l’histoire des arts et à imaginer des axes de travail
pédagogique.
> 14h15 – 16h15 : Conférence « Favoriser la rencontre des arts », avec Carole Desbarats.
Carole Desbarats est enseignante et a été directrice des études de la Fémis de 1996 à 2009. Auteure de nombreux
essais, elle collabore à la revue Esprit et anime, par ailleurs, le groupe de réflexion des Enfants de cinéma depuis de
nombreuses années.
> 16h15 – 17h45 : Table ronde « Histoire des arts et éducation artistique ». Témoignages et présentations de démarches
avec Eugène Andréanszky, délégué général des Enfants de cinéma, Hervé Hemme, conseiller pédagogique départemental
en arts visuels à l’Inspection Académique de l’Oise, François Lorin, co-responsable des relations avec le public des
Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis et Erika Haglund, réalisatrice et monteuse.
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Ouverture de la journée
Caroline Sévin, directrice de l’Acap – Pôle Image Picardie
« Cette journée est organisée par l’Acap – Pôle Image Picardie dans le cadre de sa mission de « Pôle régional
d’éducation artistique et de formation au cinéma et à l’audiovisuel ». Au-delà des actions qu’elle coordonne en temps
scolaire ou hors-temps scolaire, l’Acap est missionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC
Picardie et le Conseil régional de Picardie pour assurer un rôle d’animation du réseau régional, d’observatoire des
pratiques d’éducation artistique à l’image en Picardie et pour mener un travail de développement des formations et des
ressources. Autant d’actions qui s’inscrivent dans la réflexion sur l’éducation artistique au cinéma que mènent, en réseau,
à l’échelle du territoire national, les quatorze pôles implantés en France.
La rencontre d’aujourd’hui aborde une thématique propre à la question de l’éducation aux images au sein de l’Education
Nationale : la place du cinéma dans le nouvel enseignement de l’histoire des arts. Nous avons conçu cette journée
comme un temps de réflexion et d’échanges au cours duquel l’objectif est avant tout de dialoguer, de partager, de
questionner ensemble... Il ne s’agit ni d’être dogmatique, ni de transmettre des solutions toutes faites. A travers cette
journée, l’idée est bien de poursuivre une aventure entamée il y a maintenant dix ans lors de la création du pôle
d’éducation à l’image, qui visait à favoriser les échanges, le partage d’expériences et le débat. »
Pauline Chasserieau, responsable département éducation à l’image de l’Acap
« Au cours de cet après-midi, nous vous proposons donc d’amorcer un dialogue sur la question du cinéma et de l’histoire
des arts et de vous transmettre des éléments de pensées et des idées de démarches qui pourront vous aider à vous
inscrire dans cet enseignement. Je dis bien que nous allons amorcer un dialogue car cet enseignement est naissant et
nous savons d’ores et déjà que nous ne pourrons pas répondre à toutes les interrogations qui se posent en la matière.
Pour nous mettre dans « le bain de la réflexion », je vous propose une brève présentation, non exhaustive, de
l’organisation de l’histoire des arts telle que décrite dans un encart au Bulletin d’Orientation n° 32 d’août 2008. Quelques
morceaux choisis donc :
“ L’enseignement de l’histoire des arts est un enseignement de culture artistique partagée. Il concerne tous les élèves. Il
est porté par tous les enseignants. Il convoque tous les arts. Son objectif est de donner à chacun une conscience
commune : celle d’appartenir à l’histoire des cultures et des civilisations, à l’histoire du monde. Cette histoire du monde
s’inscrit dans des traces indiscutables : les œuvres d’art de l’humanité. L’enseignement de l’histoire des arts est là pour
en donner les clés, en révéler le sens, la beauté, la diversité et l’universalité. ”
“ Lieu de rencontre avec les œuvres et les créateurs, l’histoire des arts couvre la période qui va de la Préhistoire aux
temps actuels en abordant des aires géographiques et culturelles variées (régionales, nationales, européennes,
mondiales). Elle concerne au moins six grands domaines artistiques : les arts de l’espace, les arts du langage, les arts du
quotidien, les arts du son, les arts du spectacle vivant, les arts du visuel. ”
“ Aux trois niveaux du cursus scolaire, Ecole primaire, Collège, Lycée, l’histoire des arts instaure des situations
pédagogiques pluridisciplinaires et partenariales. Son enseignement implique la constitution d’équipes de professeurs
réunis pour une rencontre, sensible et réfléchie, avec des œuvres d’art de tous pays et de toutes époques. Il est aussi
l’occasion de renforcer, autour d’un projet national conjoint, le partenariat entre les milieux éducatifs et les milieux
artistiques et culturels. A travers lui, l’institution scolaire reconnaît l’importance de l’art dans l’histoire des pays, des
cultures et des civilisations. ”
“ Sans renoncer à leur spécificité, le français, l’histoire - géographie - éducation civique, les langues vivantes et
anciennes, la philosophie mais aussi les disciplines scientifiques, économiques, sociales et techniques et l’éducation
physique et sportive, s’enrichissent de la découverte et de l’analyse des œuvres d’art, des mouvements, des styles et des
créateurs. ”
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“ L’enseignement de l’histoire des arts implique la conjonction de plusieurs champs de connaissances. Il s’appuie sur
trois piliers : les « périodes historiques », les six grands « domaines artistiques » et la « liste de référence » pour l’Ecole
primaire ou les « listes de thématiques » pour le Collège et le Lycée. ”
“ L’enseignement de l’histoire des arts est fondé sur l’étude des œuvres. Cette étude peut être effectuée à partir d’une
œuvre unique ou d’un ensemble d’œuvres défini par des critères communs (lieu, genre, auteur, mouvement…). Les
œuvres sont analysées à partir de quatre critères au moins : formes, techniques, significations, usages. ”
“ L’enseignement de l’histoire des arts implique, avec l’aide des partenaires concernés, la fréquentation des lieux de
création, de conservation et de diffusion de l’art et de la culture, relevant notamment du patrimoine de proximité. ”
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Conférence : Favoriser la rencontre avec les arts, par Carole Desbarats
Carole Desbarats est enseignante et a été directrice des études de la Fémis de 1996 à 2009. Auteure de
nombreux essais, elle collabore à la revue Esprit et anime, par ailleurs, le groupe de réflexion des Enfants de
cinéma depuis de nombreuses années.
« J’ai toujours pensé que les textes généraux comme celui qui vient d’être cité (Bulletin Officiel « Organisation de
l’enseignement de l’histoire des arts à l’école primaire, au collège et au lycée ») sont intéressants car ils ouvrent
beaucoup de possibilités et permettent une grande liberté d’adaptation pour chacun.
Au cœur de cet écrit, il est rappelé l’importance du travail en équipe autour d’une œuvre d’art. Ce type d’initiative
représente une opportunité de proposer aux élèves une autre manière d’étudier car, selon moi, un nouveau mode
d’organisation conduit, bien souvent, à une évolution des pratiques et des discours. Mais si cette idée est primordiale, elle
reste difficile à mettre en place. Comment réunir plusieurs professeurs ou plusieurs classes en même temps ? Comment
déplacer des horaires de cours ? Et comment s’affranchir du bon vieux préjugé selon lequel le cinéma n’est pas vraiment
un art ? Dépasser les deux heures imparties pose en effet souvent plus de problèmes pour aller voir une œuvre de cinéma
qu’une œuvre de Rodin ou l’architecture de Perret. Ce vieux fond de méfiance à l’égard du cinéma s’explique, parmi
d’autres raisons, par le fait que le cinéma est un art qui touche à l’argent ce qui conduit à des réticences qui n’existent
pas face à la littérature, par exemple, où on projette l’artiste seul face à sa créativité. Sur cette question du « cinéma est-il
un art ? », je vous invite à aller lire les actes de la Rencontre organisée par les Enfants de cinéma autour de « l’histoire
des arts »1. Vous y trouverez des éléments historiques, conceptuels, théoriques qui pourront vous aider à répondre à des
remarques telles que « Vous allez passer tout ce temps-là autour d’un seul film alors que vous pourriez emmener les
élèves au musée ! ».
Maintenant que cette période défensive est évacuée, soyons plus positifs, plus constructifs ! La force du cinéma et des
autres arts repose sur la possibilité de casser un sentiment d’inintelligibilité du monde, de chaos. A partir d’œuvres d’art,
on va ainsi aider un public de jeunes à s’approprier des outils symboliques qui vont lui permettre de changer un peu son
regard sur le monde. Ce travail fait partie, selon moi, de la responsabilité des enseignants et de tous les éducateurs
auxquels j’adjoindrais les exploitants de salles.
La culture des jeunes
En phase avec la culture des jeunes
Pour mener à bien cet objectif, il me semble intéressant de partir de la culture des jeunes et de tenter de comprendre
quelle est la sphère de leur plaisir. En ayant une connaissance plus fine de ce qu’ils aiment, de ce qu’ils ont plaisir à aller
voir quand ils vont sur une plate-forme VOD ou quand ils piratent des films, je pense qu’en tant que pédagogue, on peut
trouver notre place en leur proposant des choses en rapport avec leurs goûts tout en les tirant vers le haut. En effet, bien
souvent, nos élèves voient des images que le marché leur impose et ils ne savent pas que d’autres choses pourraient les
intéresser.
Par exemple, les adolescents aiment la science-fiction et s’ils ont vu « Star Trek » de J. J. Abrams (2009), on peut leur
faire découvrir « Cloverfield » de Matt Reeves (2008) qui n’est pas un film indépendant américain mais qui propose un
vrai regard de cinéma, ou « Blade Runner » de Ridley Scott (1982) qui est un chef d’œuvre. Partir de leurs goûts et ne pas
hésiter à les tirer vers le haut…
1 http://www.enfants-de-cinema.com.
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Pour ne pas ignorer la culture des jeunes, il faut que chacun d’entre nous fasse des efforts pour aller découvrir leurs
pratiques et, notamment, observer ce qui se passe sur Internet, espace où on peut voir le pire comme le meilleur. Nos
élèves sont aujourd’hui bien plus nourris de récits de quelques minutes qu’ils regardent sur YouTube que de films d’1h30
qu’ils n’ont pas vus en entier. Je crois qu’il est inutile de décrier cette pratique car aller contre le désir des gens est voué
à l’échec en pédagogie. Mais, en revanche, connaître ce désir est fondamental car il me semble qu’on parlera mieux de
« Blade Runner » si on sait aussi ce que nos élèves aiment regarder.
« Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique »2
De manière à vous aider à appréhender la culture des jeunes, je souhaitais vous parler d’une étude d’Olivier Donnat,
sociologue au département des études de la prospective et des statistiques au Ministère de la Culture et de la
Communication, intitulée « Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique ».
Olivier Donnat considère que quatre générations se côtoient actuellement.
> La première des générations est née avant la seconde guerre mondiale, a vécu dans un monde où rien ne venait
contester la suprématie de l’imprimé, est restée loin du boom musical et a fortiori de la révolution numérique.
> La deuxième génération, celle des baby-boomers, a profité de l’ouverture du système scolaire et conserve certaines
traces de l’émergence d’une culture juvénile centrée sur la musique à partir des années 60.
> La troisième génération, celle des personnes qui ont entre 30 et 40 ans aujourd’hui, a bénéficié de l’amplification des
mêmes phénomènes que les baby-boomers et, surtout, a vécu en tant qu’enfant ou adolescent la profonde
transformation du paysage audiovisuel au tournant des années 80, connaît Internet et commence à se saisir des
potentialités de la culture numérique.
> La dernière génération, celle de vos élèves, est née avec le numérique et navigue avec une grande aisance entre les
écrans.
Cette étude nous apprend que si la dernière décennie, qui a vu l’arrivée d’Internet, n’a pas bouleversé le paysage des
structures culturelles, elle a engendré, en revanche, des ruptures notables :
- la baisse de l’écoute de la radio et le constat que la radio est aujourd’hui majoritairement écoutée par la génération
des baby-boomers ;
- la baisse de l’écoute de la télévision.
Ainsi, les jeunes fréquentent beaucoup les écrans mais préfèrent les jeux vidéo, Internet, les téléphones portables… à la
télévision. Si Olivier Donnat relativise l’impact actuel de la révolution numérique, il précise qu’il existe des indices
concernant le comportement des jeunes générations qui laissent penser qu’une évolution profonde des pratiques
culturelles risque de se produire dans les dix années à venir. Pour illustrer cela, observons les pratiques des moins de 35
ans. Ces derniers sont les principaux responsables de la baisse de la durée d’écoute de la radio, ils sont concernés par le
recul de la lecture des quotidiens et des livres, vont moins au cinéma que les baby-boomers et les plus de 45 ans,
s’inscrivent moins dans les bibliothèques, désertent les musées et les concerts de musique classique… Ces éléments
représentent des tendances lourdes.
2 Olivier Donnat, « Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique », La Découverte / Ministère de la Culture et de la Communication, 2009.
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Comment travailler sur une œuvre d’art ?
« Une culture qui couvre le champ historique du cinéma »
La baisse de la fréquentation de la télévision compensée par l’augmentation de la fréquentation de tous les autres écrans
rend la question suivante d’autant plus urgente : comment allons-nous aider la génération de nos élèves à accéder à l’art
du cinéma ?
Il me semble qu’une des manières de faire face à cette interrogation-là est de leur proposer une culture qui couvre tout le
champ historique du cinéma, depuis les Frères Lumière jusqu’aux films les plus contemporains. Il faut ouvrir l’appétit des
élèves en proposant une culture variée et ouverte sur le temps, en montrant des films en VO, en noir et blanc, des œuvres
anciennes, du cinéma africain, du cinéma asiatique, en découvrant d’autres façons de voir le monde à travers les
cinématographies. Mais au-delà du choix des œuvres, la question principale est avant tout de savoir dans quel
programme la projection s’insère et dans quel travail avec les enfants le film s’intègre.
Œuvres complètes et extraits
Il est important de montrer des œuvres complètes à nos élèves qui ont trop souvent l’habitude de voir des petits bouts de
films et, en même temps, montrer des extraits revêt un intérêt certain.
Diffuser une œuvre complète, c’est placer l’enfant, l’adolescent devant une totalité sur laquelle il n’a pas de prise
interactive. Parfois, le cinéma peut souffrir de la comparaison avec le jeu vidéo qui place la personne qui joue en position
d’action. Pourtant, au cinéma, la participation du spectateur existe bel et bien même si, à la différence du jeu vidéo, le
spectateur ne peut pas intervenir sur ce qu’un cinéaste lui propose.
Le cinéma est un art et il faut accepter qu’une œuvre d’art propose une position différente de l’interactivité : une position
de « servitude volontaire » selon la formule de La Boétie. Devant une œuvre d’art, j’accepte de découvrir quelque chose
que je n’ai pas fait, sur quoi je ne vais pas intervenir, que je vais aimer, détester ou critiquer. On ne peut pas faire comme
s’il était naturel pour nos élèves de venir dans une salle de cinéma pour voir un film dans son intégralité car ils sont
habitués à autre chose. La séance de cinéma nécessite aujourd’hui une préparation singulière et il ne faut pas ignorer
cette question.
Alors pourquoi montrer des extraits ? Dans les années 70, il existait une association3 qui militait pour que la dictée puisse
se faire avec un dictionnaire : il s’agissait de travailler non pas sur l’erreur mais sur la construction de la réussite. Cette
association proposait ce qu’elle appelait les textes en étoilement et, pour moi, on peut tout à fait faire la même chose en
cinéma. A partir d’une œuvre complète, on peut travailler sur des extraits qui aident à comprendre ce qu’est l’univers
d’un artiste et la manière dont il a pensé et construit les choses. Si, par exemple, vous étudiez « Le Dictateur » de Charles
Chaplin (1940), vous allez vous dire : On est en 1941. Cela fait douze ans que le cinéma est sonore et Chaplin, lui,
continue à faire des films dans lesquels personne ne parle, sauf justement à la fin du « Dictateur » où le héros se met à
parler pendant plus de 6 minutes. En découvrant des extraits de films de Chaplin d’après 1929, date du passage au
cinéma sonore, on va se rendre compte qu’au moment où tout Hollywood est parlant, un cinéaste s’obstine à être muet.
La question va alors se poser : pourquoi ce cinéaste-là persiste-t-il à faire du cinéma muet alors que, techniquement, tout
le monde est passé de l’autre côté ? En travaillant sur les œuvres, on comprend alors que Chaplin est très attaché à la
pantomime laquelle, selon lui, traduirait mieux les sentiments que les paroles. Pour briser sa volonté de ne faire que du
cinéma muet, seule une décision politique et idéologique forte comme celle de dire un discours très humaniste à la fin du
« Dictateur » a pu faire basculer Chaplin du côté du parlant.
Le système qui consiste à prendre une œuvre centrale et à mettre des objets en comparaison est très riche. On construit
souvent son intelligence, sa sensibilité dans la rencontre d’éléments. A travers cet exemple tout simple, il s’agissait de
3 Association Française des Enseignants de Français (AFEF).
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vous montrer comment on peut travailler sur une œuvre d’art, en la replaçant à la fois dans son cadre historique, son
cadre industriel, son cadre économique et dans l’esthétique d’un cinéaste.
Relation entre les arts
« Persepolis » de Marjane Satrapi et « Le cri » d’Edvard Munch
L’histoire des arts, c’est l’histoire d’un art en relation avec les autres arts. Prenons l’exemple de « Persepolis » (2007).
Marjane Satrapi, avant de réaliser ce film, a fait de la bande dessinée et face à ses œuvres, on sent qu’elle n’hésite pas à
se nourrir de la peinture. Elle ne cherche pas à faire des références pour le plaisir d’en faire mais plutôt à trouver des
réponses aux questions artistiques qu’elle se pose parmi lesquelles celles-ci : Comment peindre l’effroi, la terreur ?
Comment montrer et faire partager à des spectateurs le sentiment de l’horreur devant le mal ? Dans un photogramme de
« Persepolis », la petite fille met ses deux mains sur ses joues et cette image renvoie directement au « Cri » de Munch
également repris dans une séquence de « La Prisonnière du désert » de John Ford (1956).
La mise en relation de cette représentation au sein de différents arts marque l’importance de l’exorcisation, par le biais
des œuvres, de la peur face au mal. Elle rappelle également l’importance de la prise en compte de l’émotion dans une
œuvre artistique.
« West side story » de Robert Wise
Le générique de « West side story » (1960) est, pour moi, une véritable opportunité pour explorer le rapport entre la
musique et le cinéma. Ce générique peut être étudié, selon une approche résolument pluridisciplinaire, par une équipe
composée du professeur de musique, du professeur d’arts plastiques, du professeur d’histoire géographie, du professeur
d’EPS...
Il se construit comme une ouverture d’opéra avec le rappel de tous les motifs musicaux qui seront ensuite développés
tout au long du film. La couleur et le travail graphique, très présents au sein de cette séquence, traduisent une très
grande volonté esthétique du réalisateur. New York est représenté avec un entrelacs de lignes, de dessins jusqu’au
moment où un son isolé, un sifflement, va nous amener vers les personnages principaux et nous faire entrer dans la
danse. En 1961, les plongées totales sur New York, exposées au sein du générique, constituaient des plans
complètement neufs alors que maintenant, ils sont très largement utilisés dans les séries télévisées américaines. Après la
nouveauté, les représentations artistiques rentrent dans l’histoire, se figent et deviennent des stéréotypes.
Prenons maintenant pour exemple la grande séquence de la danse sur les toits. Très riche, elle propose à la fois une très
belle chorégraphie, des dialogues saisissants, un parti pris femmes contre hommes qui mérite d’être travaillé ainsi qu’un
traitement des questions de l’émigrant et de la transformation de sa culture tout à fait pertinent. Si ce dernier thème est
très présent dans la séquence, il ne faut toutefois pas se servir du film comme un prétexte pour parler d’un sujet de
société comme l’immigration en France car dans un tel cas, on finit par oublier « West side story ». Par contre, si on
cherche à comprendre ce qui, dans le film, nous fait penser à cela, on est dans l’histoire des arts.
Par ailleurs, cet extrait nous permet de travailler sur la convention de la comédie musicale et sur la manière dont elle est
l’héritière de l’opéra. On peut observer, par exemple, que le sol n’est pas naturaliste et est présenté comme un parquet
de danse : on y voit les plaques et les jointures. On constate, de plus, que la séquence est tournée dans un lieu clos qui
ressemble à un théâtre et le réalisateur la filme comme une scène d’opéra. Le cinéaste ne cesse de jouer avec l’artifice et
ne cherche pas à le dissimuler. Le travail de stylisation participe également de ce jeu tout en faisant ressortir l’ironie des
dialogues et des positions corporelles, traduction de ce faux affrontement entre hommes et femmes qui s’aiment mais ne
partagent pas la même opinion.
En 1961, « West side story » est une des dernières comédies musicales américaines. Si dans les années 1940 et 1950,
la comédie musicale était présente partout, aujourd’hui, elle a pratiquement disparu. Un genre artistique naît, a une
expansion et meurt. Pour peut-être renaître après…
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A travers cet exemple de « West side story », je souhaitais vous proposer une manière de travailler différentes données et
paramètres d’un même film, par différentes personnes.
Le jaillissement de l’émotion
Favoriser la rencontre des jeunes avec l’art cinématographique peut également passer par un travail sur une œuvre dans
laquelle quelque chose d’une intelligence du cinéma surgit. Pour illustrer cela, je vous propose de découvrir un extrait de
« Petite conversation familiale » (1999), un documentaire d’Hélène Lapiower. Parce qu’elle est enceinte, cette cinéaste se
pose la question de sa famille. Elle va rencontrer des gens de générations différentes, entre la Belgique, la France et les
Etats-Unis, et les interroger sur la manière dont ils vivent leur judéité. Et c’est formidable parce qu’en fait, la conversation
familiale, c’est la réalisatrice qui la produit : le film fait dialoguer des personnes de Philadelphie, de Bruxelles et c’est
nous, spectateurs, qui faisons l’unité grâce au montage concocté par Hélène Lapiower.
Je voulais vous montrer plus particulièrement un extrait dans lequel son cousin ne répond pas à la question : « Mais
pourquoi tu ne parles pas yiddish ? ». Ce qui est intéressant dans cette séquence n’est pas tant qu’il ne réponde pas mais
ce qu’il fait pendant qu’il ne répond pas. Ce qui ressort dans la durée du plan, dans l’intelligence qu’elle a de ne pas
couper, c’est la persona, au sens de masque. Ce qu’il est en train de faire démontre probablement ce qu’il vit
intérieurement et ça c’est cinématographique. Il n’y a pas besoin de vocabulaire technique sophistiqué pour parler de
cela. Mais, en revanche, observer la manière dont quelqu’un gère une situation embarrassante pour lui et comment la
cinéaste en face a l’intelligence cinématographique de laisser durer le plan, là, il y a quelque chose qui peut faire sentir
ce qu’est le langage cinématographique. On ressent que c’est par le cinéma, par le corps de l’acteur, par le cadre et la
durée, que quelque chose, qui n’est pas réductible à des mots, passe fortement.
En se constituant soi-même un ensemble de petits trésors comme cet extrait, on peut arriver à faire que le langage
cinématographique soit perçu.
Comprendre quelle est l’émotion et comment elle est provoquée est vraiment très important. Prenez la scène du
« Cirque » où Charlot est dans la cage aux lions. Dans l’article « Montage interdit » de « Qu’est-ce que le cinéma ? »,
André Bazin écrit que si vous voulez vraiment faire peur, et s’il y a un lion et un enfant qui est mis en danger, il faut que le
lion et l’enfant, à un moment donné, vous les voyiez dans le même plan. Parce que si vous les voyez toujours dans deux
plans séparés, vous n’aurez pas peur et vous ne penserez pas qu’ils sont ensemble. Dans « Le Cirque », on retrouve des
moments où Chaplin sans doublure, sans effets visuels est effectivement dans la cage et on peut observer comment,
avec un montage vraiment simple et intelligent, la peur et le rire sont provoqués.
« Partir du film et ne pas l’abandonner en cours de route »
Pour parvenir à cela, il faut prendre le film comme point de départ et ne jamais l’abandonner en cours de route. Il y a
quelques années, je voyais dans certains cours de biologie, mes collègues projeter un film qui mettait en scène un rapace
fondant sur un malheureux petit mulot et qui était censé parler de l’alimentation des rapaces. Loin d’apprendre ce que
mangeaient les rapaces, les élèves retenaient uniquement qu’un méchant attaquait un pauvre sans défense. La question
du récit reste toujours prégnante dans une séquence : si vous ne prenez pas le film en considération et souhaitez plaquer
un autre savoir dessus, ça ne marchera pas.
Je dirais du film dans l’histoire des arts ce que Hitchcock disait du cliché : « Il vaut mieux partir du cliché que d’y arriver ».
On m’a demandé de vous transmettre quelques « munitions », je vous ai ouvert mon frigo, j’ai regardé à l’intérieur et je
vous ai donné, en toute modestie, des petites bricoles pour vous dire simplement que, “oui c’est possible” ! »
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Dialogue avec la salle (résumé et extraits)
Quelle pratique de l’histoire des arts en classe ?
Différents enseignants ont pris la parole pour témoigner de leur rapport à l’enseignement de l’histoire des arts. Anne Cendre, professeur de français au collège d’Ailly le Haut Clocher : « Cette année, j’ai travaillé sur le fantastique et
à partir de l’exemple du cinéma, nous avons étudié l’évolution de la figure du vampire à travers des exemples aussi divers
que « Nosferatu » de Murnau (1922), « Entretien avec un vampire » de Neil Jordan (1994) ou « Twilight » (2008). Ce
travail a été mené dans le cadre de l’étude de « La Morte amoureuse » de Théophile Gauthier. » Véronique Champossin, professeur d’arts plastiques au collège Jean Moulin d’Albert : « En collaboration avec une professeur de
français qui avait étudié le mythe de « Dracula », j’ai montré des extraits du film « Dracula » Francis Ford de Coppola
(1992), de « La Belle et la bête » de Jean Cocteau (1945) et du « Nom de la rose » de Jean-Jacques Annaud (1986). J’ai
présenté ces séquences aux élèves sans le son, puis avec le son pour leur faire comprendre ce qui, dans l’image,
introduisait l’angoisse ou l’inquiétude. » Elvire Serghaeraert, professeur de lettres classiques au collège d’Ailly sur Somme : « J’ai l’impression d’avoir toujours fait de l’histoire des arts en classe. La lecture de l’image a toujours été au
programme et on nous a toujours demandé, que ce soit au collège ou au lycée, de nous référer à des documents
iconographiques et éventuellement à des œuvres cinématographiques… » François Riquier, professeur de Lettres au collège d’Etouvie : « On a toujours fait de l’analyse de l’image, la seule chose qui change avec l’histoire des arts, c’est
l’évaluation en fin de 3ème sur laquelle nous ne disposons que de très peu de données. Ce qui explique que l’on en est
encore, autant que nous sommes, à des balbutiements sur ce que nous devons faire en histoire des arts en vue de
l’évaluation au brevet de cette année. » Martine Schwebel, Inspectrice pédagogique régional en arts plastiques, en charge du cinéma et de l’audiovisuel : « L’histoire des arts n’est pas une discipline d’enseignement mais un dispositif
d’enseignement pris en charge par plusieurs disciplines : il ne s’agit pas de faire de l’histoire de l’art mais de l’histoire
des arts. Dans cet intitulé « histoire des arts », il y a évidemment l’idée de croiser les arts. Si un travail est amorcé autour
du cinéma, il ne s’agit pas de faire de l’histoire du cinéma mais bien de trouver des résonnances en arts plastiques, en
musique, en littérature etc. L’intérêt de ce dispositif est de créer des liens entre les différentes formes d’arts et que les
élèves arrivent à saisir que l’artiste n’est pas isolé dans sa technique, ni dans sa création. Cette dimension me semble
vraiment intéressante car elle permet aux élèves de tisser des liens entre les différentes créations artistiques qu’ils vont
aborder au cours de leur cursus scolaire. » Carole Desbarats : « Il me semble en effet intéressant d’envisager les
choses ainsi mais je pense qu’il ne faut pas oublier les questions du sens et de l’émotion. Si, effectivement, on ne se
contente pas d’égrainer les références et les points de jonction mais que l’on revient sur le cœur des choses, c’est-à-dire
qu’une œuvre d’art c’est quelque chose qui doit émouvoir et bouger l’être humain, ce sera un grand bénéfice pour les
élèves. »
L’évaluation
Martine Schwebel, Inspectrice pédagogique régional en arts plastiques, en charge du cinéma et de l’audiovisuel : « L’attendu de cet enseignement est véritablement d’éveiller la sensibilité des élèves, de leur permettre de porter un
jugement personnel et de pouvoir argumenter sur ce jugement. On leur laisse le choix d’aimer ou de ne pas aimer mais
on leur donne des outils qui leur permettent d’expliquer ce qui, chez eux, résonne ou ne résonne pas, les intéresse ou ne
les intéresse pas. On est vraiment dans une posture d’apprentissage, une posture d’amateur d’art. L’évaluation est très
compliquée à mettre en place car elle est transversale et partagée entre plusieurs disciplines, plusieurs enseignants. Tout
est à inventer sur place localement… Pour l’oral du brevet des collèges, ce qui est évalué n’est pas une acquisition de
connaissances mais des compétences développées par rapport à ce regard ou à cette écoute des œuvres. Evidemment,
cette année, nous démarrons en 3ème et le travail est en cours de construction : nous avons affaire à des collégiens qui
auront eu, à peine, un effleurement de ce qu’est le dispositif « enseignement de l’histoire des arts ». On peut espérer
Acap – Pôle Image Picardie Actes de la Rencontre régionale du 9 décembre 2009
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qu’un élève qui arrivera en 3ème dans 4 ans et qui aura suivi un enseignement d’histoire des arts depuis la 6ème aura
développé un certain nombre de compétences ; à ce moment-là, l’évaluation aura vraiment un sens. Enfin, je tiens à
préciser qu’il existe un groupe de travail académique constitué d’enseignants et d’inspecteurs qui travaille à donner du
sens à cet enseignement et à bâtir des ressources et des outils d’évaluation qui permettent aux enseignants de mettre en
place des dispositifs communs à plusieurs disciplines. »
L’enseignement de l’histoire des arts et les dispositifs scolaires
Vincent Bruni, professeur de lettres classiques au collège « La Rose des Vents » de Friville Escarbotin : « Je participe au
dispositif « Ciné 80 », le Plan départemental de développement culturel dans la Somme et, à ce titre, nous avons pu voir,
avec tous les élèves de 3ème, deux films pour le moment, « Big Fish » de Tim Burton (2003) et « Les Temps modernes »
de Charles Chaplin (1936). Je sens une certaine tendance chez les collègues et l’institution à vouloir chevaucher les
dispositifs et on m’a fait comprendre que cela serait bien que « Les Temps modernes », parce qu’il a été réalisé par
Chaplin, soit étudié dans le cadre de l’histoire des arts, avec évaluation et constitution d’un dossier. Cette vision utilitariste
du dispositif me gêne quelque peu… » Gérald Maisse, élu au Conseil général de la Somme, vice-président en charge de l’éducation et de la culture : « Le Conseil général, depuis 10 ans, a entrepris un accompagnement des activités
artistiques au collège avec la mise en œuvre du Plan départemental de développement culturel. Le dispositif mis en place
sur l’histoire des arts vient, non pas troubler, mais compléter ce que fait le Conseil général comme accompagnement. Le
Plan, à mon sens, va devoir être revu pour éviter la superposition dans les collèges… »
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Table ronde : Histoire des arts et éducation artistique
Eugène Andréanszky : Quelle place pour les dispositifs scolaires d’éducation au cinéma ?
Eugène Andréanszky est délégué général des Enfants de cinéma.
Présentation d’« Ecole et cinéma »
« En guise de préambule, je souhaitais présenter Les Enfants de cinéma. Cette association, à l’origine du projet « Ecole et
cinéma », a été créée à l’initiative de professionnels du cinéma et de personnels de l’Education Nationale : des cinéastes,
des directeurs de salles de cinéma, des enseignants… ont été à l’origine de cette aventure. Ce partenariat « culture » et
« éducation » est toujours aujourd’hui au cœur du projet « Ecole et cinéma », opération nationale implantée dans 93
départements et organisée à l’échelle départementale par un coordinateur Education Nationale et un coordinateur salles
de cinéma. Au niveau national, le Ministère de la Culture et de la Communication, à travers le Centre national du cinéma
et de l’image animée, et le Ministère de l’Education nationale, via la DGESCO et le SCEREN-CNDP, financent le projet
« Ecole et cinéma » et le fonctionnement des Enfants de cinéma. L’association a vocation à mettre en œuvre l’action
« Ecole et cinéma », à assurer son suivi, à la développer, à l’évaluer… Parallèlement à cela, Les Enfants de cinéma
mènent un travail de réflexion sur la transmission du cinéma. Dans ce cadre, deux axes sont particulièrement
développés : la mise en œuvre d’un groupe de réflexion associé aux Enfants de cinéma et l’organisation des rencontres
nationales annuelles réunissant l’ensemble des coordinateurs départementaux d’« Ecole et cinéma » et les partenaires de
l’opération. Au niveau du terrain, signalons également l’importance des DRAC, des Inspections Académiques et des
collectivités territoriales dans l’organisation de l’opération.
Ce qui me semble important à relever dans le fonctionnement d’« Ecole et cinéma » et ce sur quoi je souhaitais insister,
c’est qu’à tous les niveaux, la parité entre éducation et culture a toujours été respectée, tant dans l’élaboration du
dispositif que dans la façon dont le projet est mis en œuvre sur le terrain.
Aujourd’hui, l’opération « Ecole et cinéma » existe et se porte plutôt bien mais régulièrement, de nouveaux obstacles
surgissent. Une des difficultés premières est que le cinéma est souvent minoré par rapport à d’autres disciplines
artistiques au sein de l’école. Récemment, le mot cinéma avait d’ailleurs totalement disparu des nouveaux programmes
du premier degré. Cette suppression signifiait qu’un projet comme « Ecole et cinéma », inscrit dans le temps scolaire,
allait avoir du mal à exister. On s’est battu comme de beaux diables et le mot « cinéma » a été réintroduit dans les arts
visuels.
Aujourd’hui, l’arrivée de cette nouvelle discipline, « l’histoire des arts », à l’école primaire, complique de nouveau un peu
les choses...
« Ecole et cinéma » et histoire des arts
Dans le cadre des dernières rencontres nationales « Ecole et cinéma », nous avons organisé un atelier sur le thème :
comment faire le lien entre un projet comme « Ecole et cinéma » et l’histoire des arts ? Ce temps de discussion a été
l’occasion d’échanges d’expériences et de récits de difficultés.
Le terme « bricolage » est revenu régulièrement dans les débats car les enseignants se sont dits démunis face à ce
nouvel enseignement. De même pour le terme « opportunité ». En effet, certaines personnes présentes ont signifié que
l’histoire des arts pouvait représenter une opportunité pour asseoir un projet comme « Ecole et cinéma », pour lui donner
plus de légitimité et, peut-être même, pour obtenir des temps de formations supplémentaires pour les professeurs. Alors
que les formations consacrées au cinéma disparaissent un peu plus chaque année, elles fleurissent en histoire des
arts… Nous craignons, au sein des Enfants de cinéma, que le peu de formations spécifiques qui existent sur le cinéma
soit définitivement supprimé au profit de ce nouvel enseignement et que, du coup, les enseignants qui, déjà, ne sont pas
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véritablement « armés » pour aborder les œuvres filmiques, le soient encore moins. Evidemment, ce qui est important
dans une opération comme « Ecole et cinéma », c’est que l’enseignant s’empare du cinéma et travaille les films avec les
enfants. Mais pour faire ce travail-là, les professeurs ont vraiment besoin d’être formés...
D’autres questionnements ont surgi et, notamment, la crainte qu’un projet comme « Ecole et cinéma » soit
instrumentalisé en faveur de l’histoire des arts et que le cinéma soit utilisé pour illustrer les cours. On peut avoir des
inquiétudes légitimes sur la manière dont les œuvres cinématographiques vont être approchées si on met de côté le
cinéma pour faire surgir un thème et se contenter d’illustrer les cours d’histoire, de géographie, d’instruction civique....
Ce qui est important dans le projet « Ecole et cinéma », c’est l’approche sensible et la rencontre avec l’œuvre
cinématographique. Est-ce qu’elle peut encore se produire si elle est cadrée, enfermée dans un projet comme l’histoire
des arts ?
D’autres personnes ont affirmé qu’il fallait revendiquer le projet « Ecole et cinéma » comme étant le parcours d’un élève
construit autour de l’opération bien sûr, mais également autour des arts, de l’histoire des arts, de l’histoire du cinéma
dans l’histoire des arts. Pour eux, les choses peuvent se lier et se construire ensemble.
On se rend compte qu’à l’échelle de chaque académie, les gens qui ont en charge « Ecole et cinéma » réfléchissent,
organisent des groupes de travail autour de l’histoire des arts, expérimentent des démarches en reliant les différents arts
les uns aux autres et, il faut avouer que les choses ne se passent pas trop mal. Simplement, à mon avis, on a mis « la
charrue avant les bœufs » et il me semble parfois compliqué, malgré tout, de faire le lien entre « Ecole et cinéma », c’est-
à-dire l’existant, et l’histoire des arts nouvellement arrivée dans les programmes de l’école primaire. »
Hervé Hemme : Analyse des œuvres et circulation des arts
Hervé Hemme est conseiller pédagogique départemental en arts visuels à l’Inspection Académique de l’Oise.
« Je suis conseiller pédagogique en arts visuels dans le département de l’Oise et, à ce titre, avec mes collègues, je
travaille sur l’ensemble des images, qu’elles soient fixes ou animées, photographiques ou BD. Nous ne sommes pas des
spécialistes du cinéma mais cette discipline artistique nous intéresse particulièrement puisque nous organisons dans
l’Oise, depuis plusieurs années, une formation liée à l’opération « Ecole et cinéma » de 3 semaines intitulée « Lecture et
analyse de films », reposant sur l’analyse filmique et la création cinéma.
L’histoire des arts est apparue à l’école primaire il y a un peu plus d’un an et d’emblée, nous nous sommes demandés
comment nous allions pouvoir l’aborder. Il y avait beaucoup à faire alors... Si les enjeux d’un tel enseignement nous
semblaient tout à fait pertinents (la construction de la personnalité, l’élaboration d’une culture commune, la
compréhension du monde, la découverte des œuvres ...), la mise en place de cette histoire des arts ne nous apparaissait
pas évidente. Nous avons alors essayé de créer des outils de cadrage pour aider les professeurs à définir le champ des
possibles et pour éviter qu’ils ne se perdent dans les quantités de documentations proposées, notamment sur Internet.
L’outil que nous avons conceptualisé est encore à l’état d’ébauche. Un des problèmes sur lesquels nous butons est un
problème de diffusion. Comment présenter les œuvres d’art ?
Histoire des arts et éducation artistique
Je souhaitais rappeler que l’histoire des arts ne se substitue pas à l’éducation artistique, elle en fait partie. A l’école
primaire, les deux disciplines obligatoires sont la musique et les arts visuels et au sein des arts visuels, nous retrouvons,
entre autres, le cinéma. Si l’histoire des arts est un enseignement obligatoire pour le cycle 3, l’éducation à l’image
commence beaucoup plus tôt, dès l’école maternelle. L’idée, pour nous, est de démarrer un processus, un cursus qui va
durer au moins jusqu’à la terminale. Cette démarche est fondamentale parce qu’elle participe de la formation de nos
élèves : aider l’enfant à construire son rapport au monde, l’accompagner dans la compréhension et le décryptage de son
Acap – Pôle Image Picardie Actes de la Rencontre régionale du 9 décembre 2009
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environnement restent pour nous des enjeux d’importance. Comme on vit dans un monde de l’audiovisuel, faire de nos
élèves des spectateurs « avertis », critiques, les aider à garder les yeux ouverts et à créer du sens avec tout ce qui les
entoure, constituent des objectifs prioritaires.
L’enseignement de l’histoire des arts ne correspond pas à une compilation de petites histoires de l’art. L’écueil dans
lequel il ne faut pas tomber, selon moi, est de parler de l’histoire de la photographie, puis de celle du cinéma ou de la
peinture en espérant que tout cela finisse par constituer un bagage suffisant pour les élèves. Evidemment, l’approche
qu’on essaie de défendre n’est pas celle-là.
L’avantage de l’histoire des arts, je pense, c’est d’avoir mis l’œuvre au centre du dispositif, ce qui n’est pas forcément le
cas pour l’éducation artistique qui peut partir d’une thématique, d’une recherche personnelle ou d’un problème posé à
des élèves. « Ecole et cinéma » est un contre-exemple de cela car cette action d’éducation artistique repose sur la
découverte des œuvres avant tout. Dans le cadre de l’histoire des arts, on part toujours de l’œuvre.
L’étude des œuvres
Etudier une œuvre, y compris cinématographique, c’est découvrir les principes qui la fondent, en s’interrogeant sur la
manière dont elle est fabriquée, en questionnant les intentions de l’artiste. Prenons pour exemple une peinture du XVème
siècle. Tout ce qui la compose a été voulu par le peintre, lequel artiste nous emmène vers ses propres intentions. Mais
parallèlement à cela, cette œuvre est le reflet d’une époque et est inscrite dans une histoire artistique. Les deux questions
essentielles, pour moi, restent : Comment l’artiste s’y prend-il pour nous raconter cette histoire ? Qu’est-ce qu’une œuvre
du passé a encore à me dire aujourd’hui et qu’est-ce qu’elle m’apprend sur le monde dans lequel je vis ?
Dans le cas du cinéma, le film est au centre du travail proposé en classe. Cette œuvre-là est une histoire mise en scène,
un point de vue esthétique sur le monde. En amont de cela, il y a l’idée que le film est un spectacle à voir dans une salle.
On peut étudier alors l’histoire de la projection publique en observant tous les éléments qui nous ont conduit à faire du
cinéma un spectacle qu’on voit dans une salle.
L’étude du film en classe se fait autour de deux types d’activités :
- La réception et l’analyse. On voit les films, on étudie des petites séquences et on réfléchit sur l’histoire du cinéma
par une approche contextuelle du film. Comment, pourquoi, à quel moment le film a-t-il été réalisé ? Qu’est-ce que
tout cela nous évoque ? Autant de questions qui permettent de comprendre les intentions du réalisateur. On peut
également travailler à partir de l’affiche du film : qu’est-ce qu’elle nous apprend ?
- La création de films. Les exercices de réalisation donnent la possibilité de travailler sur des intentions de réalisation
et en pratiquant avec du matériel vidéo, on peut aborder avec les élèves une petite histoire du cinéma par le biais des
techniques utilisées depuis les débuts du cinématographe. L’essentiel du travail repose, pour nous, sur la constitution
d’un langage du cinéma, sur la compréhension des spécificités de l’image animée et surtout du montage.
L’analyse comparative
L’histoire des techniques constitue une entrée tout à fait intéressante pour l’histoire des arts de la même manière qu’une
approche par une thématique, une problématique ou un procédé. Si on étudie « La Belle et la bête » de Jean Cocteau
(1945), on peut évoquer la différence, l’acceptation ou la monstruosité. Ces thèmes sont suffisamment parlants pour que
les enfants trouvent un certain nombre de résonnances dans la littérature, la photographie, la chanson…
Ce qu’on retient, nous, très fortement dans l’histoire des arts, c’est l’analyse comparative. On découvre une œuvre dans
son intégralité et on va tirer, par la suite, des liens vers d’autres œuvres reprenant des thématiques approchantes. On
peut ainsi rapprocher « La Belle et la bête » d’« Edward aux mains d’argent » de Tim Burton (1990) ou d’« Elephant Man »
de David Lynch (1980) qui traitent de ces mêmes idées de rejet, d’acceptation, de différence, de tolérance, d’humanité.
On convoque ici l’histoire du cinéma par une mise en réseau de thématiques, et, par la suite, on va aller chercher du lien
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vers d’autres domaines artistiques. Ce sont ces liens-là qui font que les enfants, à un moment, vont réussir à créer du
sens et à mieux comprendre ce monde dans lequel ils vivent.
Pour nous, évidemment, l’histoire des arts c’est aussi l’approche sensible des œuvres… »
François Lorin : Images et danse
François Lorin est co-responsable des relations avec le public des Rencontres chorégraphiques internationales de
Seine-Saint-Denis.
Les Rencontres chorégraphiques
« Je ne suis pas un spécialiste de l’image et encore moins du cinéma et je suis d’autant plus heureux d’être ici que j’ai
ressenti, tout au long des échanges de cet après-midi, de nombreux liens entre l’éducation artistique au cinéma et les
actions qu’on mène sur la danse au sein des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. Une vraie
convergence d’approches et de démarches…
En préambule, je souhaitais vous présenter succinctement les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-
Saint-Denis. Cette association, dirigée par Anita Mathieu, accompagne des artistes engagés dans de nouvelles formes
d’écritures chorégraphiques et met en œuvre, chaque année, un festival de danse contemporaine qui propose au mois de
mai une quarantaine de représentations dans dix villes.
Pour ma part, je m’occupe plus particulièrement du service des relations avec le public qui se charge de l’action artistique
du festival. Nous travaillons sur des projets spécifiques avec un réseau d’une cinquantaine d’établissements scolaires en
Seine-Saint-Denis, essentiellement des collèges et des lycées, avec l’Université, avec des écoles supérieures d’art, avec
des services hospitaliers, avec des conservatoires, avec des maisons de retraite...
Nos projets se construisent en partenariat et sont conçus dans une dynamique commune et conjointe. Les actions que
nous mettons en œuvre sont, par ailleurs, transdisciplinaires car le corps touche à tous les domaines de la pensée et des
arts. Enfin, nos projets sont envisagés au travers de thématiques. Le corps est travaillé à chaque fois d’une manière très
spécifique : le corps et la société, la pression sociale, la relation entre les garçons et les filles dans les quartiers, le geste
« sportif » et le geste « dansé »… Nous nous situons dans un aller-retour entre le corps et la construction de formes. On
peut recenser au sein de ces projets, aux cadres et aux finalités très variés, quatre dimensions :
- un travail en classe de construction du regard et d’ouverture critique, à partir d’œuvres de différents statuts ;
- un atelier chorégraphique avec des artistes sur une thématique choisie ;
- des sorties culturelles sur des pièces de danse contemporaine ou sur des expositions au sein de musées (le Quai
Branly, le Palais de Tokyo, le Musée du Louvre), selon la programmation régionale ;
- la valorisation du projet et une réflexion sur sa lisibilité et sa visibilité.
Le corps et l’image
La danse contemporaine, comme les autres arts, n’est pas étanche aux mouvements de la société. Le corps non plus…
Les transformations, technologiques, médicales, les mouvements d’ouvertures et de métissages culturels, les clivages,
les points de tension culturelle traversent les corps. Ce n’est donc pas anodin de faire travailler les adolescents sur leur
propre corps car, plus qu’à tout autre moment de la vie, l’adolescence est la période où le corps est traversé par des
questions d’appartenance et de distinction et où le « bricolage identitaire » est le plus exacerbé : les jeunes sont soumis à
une pression extérieure forte (les médias, la publicité…) et ils se confrontent à la notion d’affirmation de soi, de quête
personnelle.
Si la conscience du corps est un processus mental, elle passe évidemment par de nombreux filtres de représentation,
d’apparence et en cela, la question de l’image est fondamentale car nous définissons souvent notre corps à partir de
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l’image que nous renvoyons aux autres. Finalement, est-ce que avant la photographie ou la vidéo, le corps ne serait pas
un des premiers supports de l’image ? Cette question est au cœur de nos projets.
Nos actions visent à créer de la curiosité et à ouvrir les regards sur une discipline artistique réputée difficile : la danse. Il
s’agit bien, pour nous, de travailler le geste, le mouvement, de réfléchir aux intentions et d’aider à prendre conscience de
son propre corps. Car pour nous, questionner son corps, c’est questionner sa relation à l’autre et essayer d’échapper au
poids des représentations, des attentes sociales, voire des déterminismes.
Quelle place pour l’image dans nos projets d’actions artistiques ?
L’image comme support pédagogique
Nous présentons en classe diverses œuvres en fonction des problématiques et des thématiques des projets. Par exemple,
sur un projet qui traite du corps et de la société où nous étudions la circulation des rituels dans la danse traditionnelle et
la danse contemporaine, je suis souvent amené à montrer des films de Jean Rouch et notamment « Les Maîtres fous »
(1955) ou « Les Tambours d’avant » (1971), des films ethnographiques qui parlent du corps resitué dans une totalité,
dans une temporalité. J’ai été très intéressé de voir Carole Desbarats parler de « West Side Story » parce que je montre
exactement la même séquence pour parler du contexte et pour étudier les codes comportementaux au cœur des groupes
sociaux. Je travaille, par ailleurs, beaucoup sur le documentaire « Récréations » de Claire Simon (1992), et notamment
sur une scène où une petite fille tente de franchir un banc, pour interroger quels peuvent être les éléments moteurs du
mouvement. En quoi les émotions, les sensations, les projections, les visions sont porteuses de mouvement et qu’est-ce
qu’elles révèlent du corps ? Je peux également être amené à m’appuyer sur des clips de Mickaël Jackson, des matchs
de basket, pour étudier la communication entre les joueurs, ou encore sur des œuvres de Jacques Tati pour observer
comment, sans parler, un personnage dit souvent plus de choses que s’il faisait un discours.
L’image comme trace d’une expérience
Certains projets ont pour point de mire une restitution publique, une performance ou un temps d’expérimentation corporel
et intègrent, dès leur lancement, la question de la trace, sous forme vidéo ou photographique. Au-delà de la conservation
d’un résultat, il s’agit bien de garder un lien vivant avec une expérience pour la réinterroger, la partager, en parler. Je
souhaitais illustrer cette idée avec deux exemples.
Le projet « Sisyphe » tout d’abord. Nous avons filmé une performance présentée dans le cadre du festival et qu’on a
montée en quatre jours d’atelier avec la chorégraphe Julie Nioche, accompagnée de la kinésithérapeute Gabrielle Mallet.
Le principe était le suivant : douze collégiens d’Aulnay-sous-Bois, en grandes difficultés, qui n’avaient jamais dansé, ont
sauté sur place pendant vingt minutes sur un live de The Doors. Cette démarche est née d’un solo de cette chorégraphe,
qui a évolué vers une performance avec dix personnes, puis avec cent personnes…
Deux questions présidaient à la réalisation de cette expérimentation avec les élèves : Qu’est-ce qui vous met en colère ?
Qu’est-ce qui vous motive pour aller encore plus loin que ce que vous imaginez possible ? Il s’agissait ainsi à travers cette
démarche d’affirmer, par la répétition de ce saut, l’irréductibilité du geste, du piétinement et de proposer aux élèves de
vivre une expérience personnelle et collective très forte. Cette performance s’est inscrite à la suite d’une série d’ateliers
qui articulait conscience du corps, séance de relaxation, apprentissage de techniques de massage, temps de
discussion… Avec cet exemple, on est pleinement dans la question de la trace, de l’expérience, de l’événement. La vidéo
retraçant « Sisyphe » est visible sur notre site Internet4.
La deuxième expérience dont je voulais vous parler s’intitule « Le corps à l’édifice ». Nous avons fait travailler ensemble
des étudiants en architecture de Paris-Malaquais et des étudiants du département danse de Paris 8, deux groupes qui
4 www.rencontreschoregraphiques.com
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s’inscrivent dans deux rapports à l’espace très différents : les architectes travaillent sur un espace projeté qui passe par
les logiciels ou la mesure au laser, alors que les danseurs, au contraire, créent à partir d’un espace vécu et sensible.
Ces étudiants ont donc suivi un enseignement commun, ont participé à des ateliers dirigés par des chorégraphes dans
des ensembles architecturaux exceptionnels, ont partagé des cours de dessin ou des cours consacrés à l’histoire de
l’architecture. A travers cette démarche, l’idée était bien de croiser et d’enrichir la pensée de l’espace des architectes et
des danseurs.
Par ailleurs, sur le site de Ville-Evrard, à Neuilly sur Marne, les étudiants ont participé à un projet singulier, dans un
ancien hôpital psychiatrique. Christophe Haleb, danseur et chorégraphe, a fait travailler les étudiants sur la prise en
compte de cet ensemble architectural dans la mise en mouvement. Nous avons confié à un photographe, Eric Garault, la
collecte de traces afin qu’il rende compte de cette expérience subjective et qu’il en pointe la singularité.
L’image comme traduction d’un processus
Nous mettons également en œuvre des projets où la fabrication d’images ou de vidéos est directement le résultat d’un
travail corporel. C’est le cas, par exemple, d’étudiants en architecture d’intérieur à l’école Camondo qui ont suivi tout le
processus d’une création chorégraphique (répétitions, rencontres avec l’équipe artistique...) et, en fin d’année, ont produit
des œuvres vidéos qui rendent compte, sous la forme de propositions personnelles, de la façon dont ils ont vécu cette
création-là et de leur manière de se l’approprier. Ces vidéos ont été présentées le soir où le spectacle a eu lieu. Ces
œuvres ainsi réalisées sont souvent assez conceptuelles et on retrouve chez elles une certaine forme de radicalité.
Je peux également vous citer le projet « Corps – Point de vue » qui a réuni vingt étudiants de CPGE autour d’un travail sur
le point de vue avec des chorégraphes et un vidéaste. Danse et vidéo ont été travaillées en même temps : la création
chorégraphique a été menée caméra au poing et appareil photo au cou.
L’image comme objet de distanciation
Nous travaillons sur des états corporels, des sensations avec les élèves, autant de choses abstraites, difficiles à sentir. On
se sert souvent des images, de photographies, de sons, d’entretiens pour, d’une certaine manière, valider des étapes de
travail et essayer de mesurer les passages, les avancées des élèves sur telle ou telle question. Par exemple, sur le projet
« Sisyphe » où les élèves sautent, nous avions demandé à chacun de proposer un saut qu’ils devaient nommer et chaque
saut était photographié de manière à ce qu’ils puissent se voir. Parce que s’ils ne se voient pas, s’il n’y a pas cet objet
plastique posé face à eux qui les représente, on constate qu’il est assez difficile pour eux de mettre de la motivation, du
désir, des envies dans ce projet-là.
Ces quatre statuts de l’image ne nous permettent pas forcément d’être dans le cinéma mais de nous situer dans une
démarche d’invention avec tout ce que cela peut apporter… »
Erika Haglund : Histoire des arts et pratique artistique
Erika Haglund est réalisatrice et monteuse. Très impliquée dans les actions d’éducation à l’image, elle a accompagné
de nombreux ateliers de sensibilisation au cinéma et à l’audiovisuel avec différents publics.
Voir des films
« Pour moi, la question du regard repose sur un aller-retour entre une pratique et la découverte d’œuvres. J’imagine
aisément que les jeunes collégiens qui participent à des ateliers de danse et mettent leur corps en question vont, à la
suite de cette expérience, porter un regard différent sur les spectacles de danse. Le processus est le même pour un
atelier cinéma où les questions du point de vue et du regard d’un créateur sont prégnantes. Dans le cadre d’une
expérience de réalisation, je ne commence pas par écrire, réaliser et monter avec les jeunes car je préfère aller à la
rencontre des adolescents et leur demander d’où ils viennent, les films qu’ils regardent et pourquoi ils les regardent. Ainsi
que l’évoquait Carole Desbarats tout à l’heure, il est essentiel de savoir d’où on part et, par la suite, d’essayer
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d’accompagner ces jeunes vers des films qu’ils n’ont pas l’habitude de voir. Dans la grande majorité des cas, je
m’aperçois que leur culture est très anglo-saxonne. En contrepoint, j’amène avec moi des films français, européens et
d’autres pays. De plus, bien souvent, si les comédiens existent toujours dans leur esprit, la notion de réalisateur est plus
confuse… A partir de ces constats, j’ai créé une dvdthèque qui m’accompagne partout en atelier : « Ponette » de
Jacques Doillon (1996), « A nos amours » de Maurice Pialat (1983), « Les 400 coups » (1959) ou « L’enfant sauvage »
(1969) de François Truffaut, « Dix sept ans » de Didier Nion (2003), « Samia » de Philippe Faucon (2000), « John John »
de Brillante Mendoza (2007), autant de films construits autour d’adolescents et d’enfants.
La pratique artistique
Je propose aux jeunes d’être dans la pratique avant de commencer à réfléchir à une histoire. Réaliser un film est long et
compliqué et avant de partir dans un scénario trop complexe et trop ambitieux, je souhaite que chacun prenne conscience
des difficultés liées à cette discipline artistique. Dans les premiers temps de l’atelier, je leur propose souvent une
expérience de tournage sans caméra. A partir de la lecture d’un extrait de scénario, on s’interroge sur les déplacements
des personnages, sur le décor ou encore sur la manière de le mettre en scène. S’ils devaient filmer l’action, où
positionneraient-ils la caméra ? En général, le premier réflexe des jeunes est de placer la caméra au plafond et, peu à
peu, on parvient à l’idée du découpage et du montage. Les jeunes discutent et chacun a son point de vue sur la façon
dont on pourrait mettre en images ce qui au départ n’étaient que des mots sur du papier. On est déjà dans des questions
de langage et de regard…
Pour moi, il est très important de se positionner du côté du « faire » car de telles expériences permettent aux jeunes de
comprendre qu’aucune image n’est à prendre pour argent comptant et que chacune est le fruit d’une fabrication et de la
pensée d’un cinéaste. L’idée est bien de leur rappeler que faire des images n’est pas aussi facile qu’ils le croient… Il me
semble important d’aider les jeunes à se forger un regard avisé, critique et citoyen sur les images qu’ils consomment.
Par conséquent, l’idée de prendre un extrait de film et de l’utiliser pour illustrer un thème à aborder dans le cadre de
l’enseignement de l’histoire des arts, m’interroge beaucoup car cela voudrait dire que l’extrait de film en question n’est
pas le résultat d’un travail, d’un regard mais est une vérité à prendre telle quelle.
Quelle convocation des autres arts ?
Le thème général de l’intervention qu’on m’a demandé de faire aujourd’hui était le suivant : « comment je convoque les
autres arts dans ma pratique artistique personnelle et ma pratique d’atelier ». Ce n’est pas une question évidente pour
moi car je convoque avant tout le cinéma… Quelques éléments toutefois… Dès le démarrage des ateliers, pour qu’on se
rencontre, qu’on soit tout de suite dans des questions de création et qu’on essaie de débrider les imaginaires, j’apporte
une grande variété d’images : des reproductions de tableaux, des photographies de Robert Doisneau, de Henri Cartier-
Bresson, de Sabine Weiss, de Philippe Bazin ou encore de Philip-Lorca diCorcia. A partir de ces images, l’idée est de
construire un récit. Cette première étape me permet de faire connaissance avec le groupe et de le positionner d’emblée
dans la question du regard, du cadre, du hors champ, de l’articulation des images entre elles et, d’une certaine façon, du
montage.
Par ailleurs, je convoque le cinéma lui-même. Par exemple, je travaille beaucoup à partir de l’œuvre d’Alain Cavalier et,
notamment, à partir des portraits de femmes au travail. Ce travail artistique nous permet de nous interroger sur la façon
dont on peut, avec des moyens assez simples mais avec un vrai regard et une pensée, se mettre en portraits. Je leur
demande souvent d’apporter un objet ou une musique, un livre ou une photo, bref, quelque chose qui parle d’eux, et de
se raconter à travers ces quelques objets sous la forme de courts autoportraits. Cette étape est un temps préalable à
l’entrée dans un projet plus complexe, à la scénarisation d’une histoire.
Création et transmission
Je suis toujours en gestation de projets, en réflexion et mener ainsi des ateliers me nourrit de rencontres et
d’expériences. Le dernier court métrage que j’ai réalisé est directement issu d’une rencontre avec des adolescents dans
le cadre d’une action d’éducation au cinéma. Les projets de fiction ou de documentaire que j’ai en cours en ce moment,
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sont aussi intimement liés à ces moments d’ateliers. Par ailleurs, en tant que spectatrice, quand je vais au cinéma, je suis
toujours en alerte et en train de me dire « ça se serait intéressant de montrer ça ».
Bien souvent, c’est dans ces allers-retours entre la création et la pédagogie que se jouent des choses pour moi… »
Dialogue avec la salle (résumé et extraits)
Anne Cendre, professeur au collège d’Ailly le Haut Clocher : « L’histoire du cinéma, on n’en a jamais fait. Et des
formations, il n’y en a plus… Il y a quelques années, il y avait des formations cinéma inscrites au Plan Académique de
Formation qui n’existent plus. C’est un manque énorme… Au-delà de la formation, l’autre difficulté est celle du budget.
Dans la Somme, nous avons la possibilité d’aller au cinéma parce que le Conseil général nous fournit, pour les 3ème,
l’argent pour emmener les élèves trois fois au cinéma dans l’année. Mais quand on est, comme nous, un collège de
campagne, si on veut emmener tous les 6ème voir un film, il faut qu’on paie le transport et les entrées... Lorsqu’on disait
tout à l’heure qu’on “mettait la charrue avant les bœufs”, je crois qu’il y a de ça. On nous dit qu’il faut faire de l’histoire
des arts mais, de l’autre côté, on n’a pas toujours les moyens de le faire véritablement bien. »
Caroline Sévin, directrice de l’Acap – Pôle Image Picardie : « Je souhaiterais simplement informer l’ensemble des
personnes présentes aujourd’hui qu’une rencontre réunissant les coordinateurs en région des dispositifs scolaires
d’éducation au cinéma et leurs partenaires a eu lieu ce matin. Sachez bien que l’ensemble de ces acteurs a une
conscience aigue de ces problèmes croissants et tente d’y pallier. Et malheureusement, de nouvelles difficultés se
préparent, notamment, du côté de la fragilisation des salles de cinéma ou du resserrement des compétences des
collectivités territoriales. L’ensemble de ces éléments n’est pas pour nous rassurer... » Martine Schwebel, Inspectrice pédagogique régional en arts plastiques, en charge du cinéma et de l’audiovisuel : « Je
voulais revenir sur les différents témoignages des intervenants. A la question « Est-ce que l’histoire des arts ne va pas
empiéter sur « Ecole et cinéma » ? », je souhaiterais préciser qu’il est indiqué clairement dans les textes que les
dispositifs pré-existants font partie intégrante du dispositif « Histoire des arts ». « Ecole et cinéma », « Collège au
cinéma », « Lycéens et apprentis au cinéma » sont nommés de façon tout à fait claire dans les textes officiels. Par
ailleurs, j’ai trouvé l’intervention sur la place du corps très pertinente. C’est un bel exemple de point de vue par lequel on
peut entrer dans l’histoire des arts. De même pour la démonstration de Carole Desbarats sur le film « West Side Story ».
Evidemment, les élèves doivent avoir vu cette œuvre en amont et avoir pu se confronter à une émotion en la découvrant.
Qu’ils l’acceptent ou ne l’acceptent pas, qu’ils l’apprécient ou ne l’apprécient pas. Par la suite, le travail disciplinaire est
un autre type de travail. Le dispositif « Histoire des arts » existe bel et bien pour donner le goût aux élèves de regarder et
d’écouter des œuvres, d’aller au cinéma, dans les musées... Et il s’agit bien pour nous de collaborer avec les structures
culturelles. Enfin, pour conclure, je souhaitais simplement indiquer que l’œuvre n’est pas instrumentalisée puisque c’est
elle qui nourrit cet enseignement… » Caroline Sévin remercie les intervenants et le public d’avoir participé à cette rencontre : « Nous ne sommes qu’au début
d’une réflexion. Je partage l’avis de Martine Schwebel sur la nécessité d’un travail commun et conjoint. Nous serons tous
attentifs sur les moyens qui seront les nôtres pour pouvoir mener à bien ces projets et cette réflexion. Autant dire que le
chantier est très vaste. »
Acap - Pôle Image Picardie
direction Caroline Sévin19 rue des Augustins BP 90322 - 80003 Amiens cedex 1Tel : +33(0)3 22 72 68 30 Fax : +33(0)3 22 72 68 26 mail : [email protected] www.acap-cinema.com
directeur de publication : Caroline Sévinl'édition de ces actes a été coordonnée parPauline Chasserieaupréparation, finalisation : Jocia Danièrecrédits photos : Gaël Clariana
L’Acap reçoit le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication - DRAC Picardie, du Conseil régional de Picardie et du Centre national du cinéma et de l’image animée.