RecheRche agRonomique et politique agRicole
Transcript of RecheRche agRonomique et politique agRicole
Egizio ValceschiniOdile Maeght-Bournay
Pierre Cornu, coord.
RecheRche agRonomique et politique agRicoleJacques Poly, un stratĂšge
Ă©ditions QuĂŠ
Egizio Valceschini,
Odile Maeght-Bournay,
Pierre Cornu, coord.
RecheRche agRonomique et politique agRicole.
Jacques poly, un stratĂšge
© Ăditions QuĂŠ, 2019 ISBN (papier) : 978-2-7592-2991-8ISBN (pdf ) : 978-2-7592-2992-5
ISBN (ePub) : 978-2-7592-2993-2
Ăditions QuĂŠ RD 10
78026 Versailles Cedex, Francewww.quae.com
Le code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle interdit la photocopie Ă usage collectif sans autorisation des ayants droit. Le non-respect de cette disposition met en danger lâĂ©dition, notamment scientifique, et est sanctionnĂ© pĂ©nalement. Toute reproduction, mĂȘme partielle, du prĂ©sent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français dâexploitation du droit de copie (CFC), 20 rue des Grands-Augustins, Paris 6e.
Cet ouvrage a bĂ©nĂ©ficiĂ© du soutien financier de lâInstitut national de la recherche agronomique. Les versions numĂ©riques sont diffusĂ©es en accĂšs libre sous licence CC-by-NC-ND
et disponibles sur www.quae-open.com.
Sommaire
Préface 5Philippe Mauguin
Introduction 7Egizio Valceschini, Odile Maeght-Bournay, Pierre Cornu
chapitRe 1
la vision scientifique et les stratégies politiques de Jacques poly 13Odile Maeght-Bournay, Egizio Valceschini
Les annĂ©es de formation dâun agronome avide de connaissances (1946-1949) 14Une ambition scientifique « rĂ©volutionnaire » : construire la gĂ©nĂ©tique animale française (1950-1965) 20La recherche agronomique au service dâune vision productiviste (1966-1969) 26Des ambitions contrariĂ©es. RĂ©former en contexte dâadversitĂ© (1970-1978) 33De la rĂ©forme de la politique agricole Ă la rĂ©novation de la recherche agronomique (1979-1980) 42Ălargir lâhorizon politique et scientifique de lâInra (1981-1985) 50Ăpilogue : le legs du bĂątisseur (1986-1989) 62
chapitRe 2
changer la politique agricole dans les années 1970 : « pour une agriculture plus autonome et plus économe » 70
Changer de politique agricole. Trois écrits stratégiques de Jacques Poly 71Odile Maeght-Bournay
Le ministre de lâAgriculture et la recherche agronomique dans les annĂ©es 1970 80Pierre MĂ©haignerie
La conception et la rédaction du « rapport Poly » 83Gilbert Jolivet
Tracer les voies dâune agriculture devenue vulnĂ©rable et contestable 85Bertrand Hervieu
La rĂ©ception du « rapport Poly » dans le contexte de lâarrivĂ©e de la gauche au pouvoir en 1981 92Claude BĂ©ranger
Refonder la politique agricole 94Henri Nallet
chapitRe 3
adapter la recherche agronomique Ă lâĂ©conomie de lâinnovation 97
Faire entrer lâInra dans lâĂ©conomie de la connaissance. Deux Ă©crits stratĂ©giques de Jacques Poly 98Odile Maeght-Bournay
Rompre avec « lâair du temps » : les Assises de la recherche et la rĂ©forme de la recherche en 1982 107Jean-Pierre ChevĂšnement
Les années charniÚres : 1970-1980 113Paul Vialle
RĂ©orienter la recherche agronomique : la lente percolation des idĂ©es de Jacques Poly dans lâInra 116Guy Riba
Hubert Curien et Jacques Poly, une vision partagée de la recherche 128Philippe Mauguin
Penser lâingĂ©nierie des sciences, dâun Inra Ă lâautre 134Marion Guillou
concluSion
les lendemains paradoxaux du rapport poly 145Pierre Cornu
Annexe 1. La carriĂšre de Jacques Poly Ă lâInra et ses autres engagements 155
Annexe 2. Bibliographie de Jacques Poly et liste des publications 157
Index des noms cités 166
préface
Philippe Mauguin, président-directeur général de l'Inra
Pionnier de la gĂ©nĂ©tique animale, pĂšre de la loi sur lâĂ©levage de 1966, stratĂšge et bĂątisseur de lâInra durant son long mandat Ă la tĂȘte de lâinstitut entre 1978 et 1988, voix respectĂ©e et Ă©coutĂ©e par toutes les majoritĂ©s politiques successives, Jacques Poly est sans conteste une figure historique majeure de lâhistoire de lâins-titut et, plus largement, de lâaccompagnement des transformations de lâagriculture par les politiques publiques de la recherche et du dĂ©veloppement. Disparu depuis plus de vingt ans, sa mĂ©moire reste vivace chez tous ceux qui, comme moi, ont eu la chance de le connaĂźtre. Mais elle est aussi encore trĂšs prĂ©sente dans lâorganisation et dans la culture partagĂ©e dâun Ă©tablissement de recherche quâil a marquĂ© de son volontarisme exigeant et de son souci constant dâanticiper les besoins des mondes de la production agricole et alimentaire et, plus largement, de la nation Ă lâheure de lâintĂ©-gration europĂ©enne. Lointain successeur, mais aussi tĂ©moin direct du contexte de la succession de Jacques Poly en tant que chargĂ© de mission au ministĂšre de la Recherche auprĂšs dâHubert Curien, au tournant des annĂ©es 1980-1990, jâai pu apprĂ©cier lâempreinte durable de la personnalitĂ© et de lâaction de Jacques Poly sur lâInra. Son rapport de 1978 « Pour une agri-culture plus Ă©conome et plus autonome » notamment est une source dâinspiration intacte pour quiconque ne veut pas renoncer Ă donner un avenir Ă lâagriculture française.
AprĂšs le dĂ©cĂšs de Jacques Poly Ă lâĂąge de 70 ans en 1997, le ministre de lâAgriculture et de la PĂȘche, Louis Le Pensec, louait dans le journal Le Monde « sa vision Ă long terme, ses intuitions percutantes, ainsi que sa passion pour le dĂ©veloppement scientifique et pour la modernisation de lâagriculture française »1. Dans cette mĂȘme Ă©dition, Guy Paillotin, alors prĂ©sident de lâInra, et Paul Vialle, directeur gĂ©nĂ©ral, exprimaient, au nom de tous les person-nels de lâinstitut, leur Ă©motion et leur gratitude. « Durant de longues annĂ©es, Jacques Poly a prĂ©sidĂ© aux destinĂ©es de lâInra, devenu sous son autoritĂ© lâun des premiers organismes de recherche agronomique au monde, et lui a fait jouer un rĂŽle dĂ©cisif au service de lâagriculture et des industries agroalimentaires françaises. Sa disparition laisse auprĂšs de tous le souvenir dâun chercheur passionnĂ©, dâun responsable visionnaire, et dâun prĂ©sident Ă lâĂ©coute de chacun. »
Pourtant, si lâon excepte ces hommages et quelques tĂ©moignages, en premier lieu celui de son « vieux comparse » Bertrand Vissac2, ainsi quâun bel entretien que
1. Le Monde, édition du 25 novembre 1997.2. Vissac B., 1997. à la mémoire de Jacques Poly. Le Sadoscope, octobre-novembre 1997, supplément n° 89, 6 p.
Philippe Mauguin sur le stand Inra du Salon international de lâagriculture en 2018. © Inra/Christophe Maitre.
6 REChERChE agROnOMIQuE Et POlItIQuE agRICOlE. JaCQuES POly, un StRatĂšgE
Jacques Poly avait accordĂ© Ă Denise Grail en 19953, ce personnage « hors norme », sa pensĂ©e, son action et ses rĂ©alisations nâont fait lâobjet dâaucun travail bio -graphique ou historique un tant soit peu documentĂ©. Sans doute, pour les historiens, la pĂ©riode embrassĂ©e par la carriĂšre de Jacques Poly est-elle toute rĂ©cente encore, et ont-ils besoin de temps pour en rassembler les archives. Mais pour que celles-ci ne se perdent pas, et surtout pour que les tĂ©moignages nĂ©cessaires soient produits, il fallait une initiative forte, et je ne peux que saluer celle de lâAcadĂ©mie dâagriculture de France et du ComitĂ© dâhistoire de lâInra, qui ont joint leurs forces pour organiser une journĂ©e dâĂ©tude dans les murs du ministĂšre de lâAgri-culture le 14 fĂ©vrier 2018, puis pour mener Ă bon terme la belle rĂ©alisation Ă©ditoriale que voici.
Le lecteur, quâil soit ou non membre de lâInra, quâil ait connu ou non le verbe haut en couleur du Jurassien, trouvera amplement matiĂšre Ă rĂ©flexion dans les chapitres qui suivent, Ă la croisĂ©e du tĂ©moignage et de lâanalyse historique. Des personnalitĂ©s, et non des moindres, livrent des rĂ©flexions particuliĂšrement Ă©clairantes sur lâinsertion de lâaction de Jacques Poly dans le contexte scientifique, Ă©conomique et politique de annĂ©es 1970 et 1980. Les contributions de deux anciens ministres de lâAgriculture, Pierre MĂ©haignerie et Henri Nallet, sont rĂ©vĂ©latrices du rĂŽle central jouĂ© par Jacques Poly dans lâappui aux politiques agri-coles nationales et europĂ©ennes. Tout autant, la contribution de Jean-Pierre ChevĂšnement, et celle que jâai eu le plaisir de proposer Ă la mĂ©moire dâHubert Curien, traduisent de maniĂšre Ă©clatante le rayonnement scientifique que Jacques Poly avait su donner Ă son institut, fer de lance de la politique ambitieuse de relance de lâĂ©conomie nationale par la recherche et lâinnovation, portĂ©e dans lâĂ©lan de 1981.
Jacques Poly sâest fait, avec obstination et clairvoyance, le chantre et le concep-teur dâune recherche agronomique publique dĂ©volue Ă un intĂ©rĂȘt commun pensĂ© dans toutes ses composantes et sur le long terme. Certains peuvent voir dans sa conception du rapport entre percĂ©es scientifiques et dĂ©veloppement agricole et industriel une reprĂ©sentation dĂ©passĂ©e de lâaction publique et une ambition obsolĂšte pour la recherche. Dâautres, dont je fais partie avec tous les hauts respon-sables de lâInra qui sâexpriment dans cet ouvrage, y voient au contraire une source dâinspiration toujours vive non pour maintenir lâInra dans une conception intangible de la recherche, mais pour en maintenir lâexigence dâadaptation et de pertinence au regard du contexte. Guy Paillotin, qui nâest plus avec nous aujourdâhui et dont je salue la mĂ©moire, aurait pu faire une contribution dans le mĂȘme esprit.
La perspective historique esquissĂ©e dans cet ouvrage donne ainsi amplement matiĂšre Ă penser et ne peut que nous encourager, responsables des politiques publiques, chercheurs, citoyens, Ă rester attentifs Ă la complexitĂ© de lâinscription dans le temps de la recherche scientifique, des dynamiques sociales, mais Ă©galement des Ă©volutions Ă©cologiques qui constituent aujourdâhui notre plus grand dĂ©fi, et qui rendent plus actuels que jamais les mots dâordre dâĂ©conomie et dâautonomie chers Ă Jacques Poly.
3. Consultable sur notre site internet : http://www.inra.fr/media/detail/187914/private.
introduction
Egizio Valceschini, Odile Maeght-Bournay, Pierre Cornu
Il est des personnages dont la biographie sâimpose « par une sorte de dĂ©cision implicite issue dâune reconnaissance collective »4, Ă©crit lâhistorien François Dosse. Pour tout membre de lâInra, mais Ă©galement pour tout acteur des politiques publiques de lâagriculture et de lâagroalimentaire dont la mĂ©moire remonte au moins aux annĂ©es 1980, câest Ă coup sĂ»r le nom de Jacques Poly qui vient en premier Ă lâesprit dans la liste des figures fondatrices de lâinstitut dont la trajectoire personnelle peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme consubstantielle de celle de lâhistoire de la recherche agronomique française. Il y aurait pourtant beaucoup Ă dire sur la fausse Ă©vidence de cette dĂ©signation, fondĂ©e certes sur les faits objectifs de la longĂ©vitĂ© de la carriĂšre de Jacques Poly au premier plan des responsabilitĂ©s et de lâimportance de son legs scientifique et institutionnel, mais appuyĂ©e Ă©galement, et de maniĂšre plus complexe, sur lâassociation de son nom Ă une mĂ©moire largement reconstruite a posteriori des enjeux vĂ©ritables de ses annĂ©es de gouvernance, Ă la charniĂšre des annĂ©es 1970 et 1980. Ăvoquer aujourdâhui le nom de lâancien prĂ©sident-directeur gĂ©nĂ©ral de lâInra, câest en effet immanquablement lâassocier au rapport « Pour une agriculture plus Ă©conome et plus autonome » signĂ© de sa main en 1978, et devenu depuis la pierre angulaire du discours de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral de la recherche agronomique française. ReplacĂ© dans son contexte et dans la maniĂšre dont la recherche historique est capable dâen rendre compte, peut-on vraiment dire que ce rapport aurait reprĂ©sentĂ© le point nodal de la rĂ©gĂ©nĂ©ration des sciences agronomiques confrontĂ©es Ă lâessoufflement du productivisme ?
Poser en termes critiques la question de la signification et de la portĂ©e vĂ©ritables de lâassociation entre un nom, un texte et lâinscription dans lâhistoire dâun institut de recherche, pourrait amener Ă rĂ©cuser lâĂ©vidence de cette entrĂ©e biographique, pour aller chercher ailleurs que dans les Ă©tages du pouvoir de la « maison Inra », dans telle discipline scientifique oubliĂ©e, tel centre de recherche pĂ©riphĂ©rique, tel lieu nĂ©gligĂ© dâinteraction entre recherche et dĂ©veloppement agricole et industriel, des acteurs moins en vue, moins consensuels, plus suggestifs des tensions ou des points aveugles des relations entre science, innovation et sociĂ©tĂ©. Et certainement, cette dĂ©marche serait nĂ©cessaire. Mais pour qui veut comprendre le rĂŽle quâa jouĂ© la recherche agronomique publique dans le passage entre la premiĂšre phase de la « rĂ©volution verte » Ă la française, celle du machinisme, de la chimie et de la sĂ©lec-tion animale et vĂ©gĂ©tale mobilisĂ©s pour une production apprĂ©ciĂ©e essentiellement par ses volumes, et une seconde phase caractĂ©risĂ©e par lâintensification cognitive des techniques de valorisation des ressources de la biomasse et par lâadaptation de lâinnovation technoscientifique Ă la diversitĂ© des systĂšmes productifs, alors il sâavĂšre indispensable de revisiter de maniĂšre mĂ©thodique et rigoureuse les « annĂ©es Poly » et les enjeux de lâ« Ă©conomie » et de lâ« autonomie » de lâagriculture française, saisis dans leur contexte europĂ©en et international. Câest en effet dans ce moment historique prĂ©cis du tournant des annĂ©es 1970 et 1980 que ressources, oppor-tunitĂ©s et rapports de force nouveaux, dans et hors le monde de la recherche, se
4. François Dosse, 2011. Le pari biographique. Ăcrire une vie, La DĂ©couverte/Poche, p. 9.
8 REChERChE agROnOMIQuE Et POlItIQuE agRICOlE. JaCQuES POly, un StRatĂšgE
sont conjuguĂ©s pour placer entre les mains du pilote dâun appareil de program-mation scientifique et « biopolitique » unique en son genre, lâInra, parvenu Ă pleine maturitĂ©, le pouvoir de dessiner pour plusieurs dĂ©cennies la contribution de la recherche Ă lâorientation du modĂšle agricole national. Alors, oui, comprendre les conditions de lâascension de Jacques Poly dans lâappareil de direction de la recherche, restituer la culture et la vision scientifiques du gĂ©nĂ©ticien, reconstituer le rĂ©seau de contacts et les affinitĂ©s crĂ©Ă©s par le passage de lâintĂ©ressĂ© dans deux cabinets ministĂ©riels au cours des annĂ©es 1960, sâavĂšrent une dĂ©marche tout Ă fait pertinente pour comprendre les intentionnalitĂ©s et le potentiel mobilisateur du rapport de 1978, et pour Ă©clairer le paradoxe de sa mise en sommeil temporaire alors mĂȘme que son auteur atteignait, en partie grĂące Ă lui, les fonctions suprĂȘmes au sein de lâinstitut.
PrĂ©sent Ă la maniĂšre dâune statue du commandeur dans les souvenirs de la plupart des acteurs internes et externes de la recherche agronomique des annĂ©es 1970 et 1980, figure tutĂ©laire omniprĂ©sente dans les tĂ©moignages recueillis depuis vingt ans par la mission Archorales de lâInra, Jacques Poly demeure malgrĂ© tout une figure Ă©nigmatique, dont on sait peu de choses en dehors dâĂ©vocations de son « personnage » et de son « verbe » hauts en couleur. Il nâa finalement laissĂ© que peu dâĂ©crits, et des Ă©crits fort peu bavards sur lui-mĂȘme et sur les conditions de production de ses dĂ©cisions stratĂ©giques. Homme de relations directes et fondĂ©es sur la confiance, voire sur lâamitiĂ©, Jacques Poly a imposĂ©, par-delĂ sa mort, un respect quasi absolu du principe de loyautĂ© Ă ses anciens collaborateurs et parte-naires. Non que lâhistorien soit particuliĂšrement dĂ©sireux dâapprendre les secrets de lâexercice du pouvoir et de la pratique de lâarbitrage des conflits internes et externes ; lâhistoire de lâInra nâa rien dâoriginal de ce point de vue. Mais ce qui est autrement intĂ©ressant que les jeux dâinfluence, câest la maturation des reprĂ©senta-tions, des convictions, des orientations de la recherche scientifique ; câest, tout simplement, la fabrique collective, mais exprimĂ©e depuis la « tĂȘte » dans un organisme fortement hiĂ©rarchisĂ©, de la proposition de contribution de la recherche agronomique publique Ă ce que, dans les annĂ©es 1970 et 1980, lâon appelle encore le « progrĂšs » de la sociĂ©tĂ© et de lâĂtat pour lesquels celle-ci travaille.
Au sein de lâInra, le ComitĂ© dâhistoire, crĂ©Ă© en 2005, dĂ©veloppe une rĂ©flexion mĂ©thodique et croisĂ©e sur le passĂ© proche des sciences agronomiques et de leurs relations avec le pouvoir et avec la sociĂ©tĂ©. Son prĂ©sident, Egizio Valceschini, atteste par sa trajectoire scientifique mĂȘme, de lâanalyse Ă©conomique Ă la recherche historique, la force dâattraction du partage de lâhistoire entre chercheurs et acteurs. Le Laboratoire dâĂ©tudes rurales de Lyon, ensuite, par la prĂ©sence de Pierre Cornu, professeur dâhistoire contemporaine et dâhistoire des sciences, tĂ©moigne de lâintĂ©rĂȘt croissant des historiens de profession pour la dĂ©marche de coconstruction de lâanalyse historique dans lâexploration de lâhistoire du temps prĂ©sent. Enfin, la thĂšse en cours dâOdile Maeght-Bournay, sur la politique de la recherche dans le contexte de lâindustrialisation de lâalimentation durant les « annĂ©es Poly », prouve de maniĂšre dĂ©cisive la pertinence dâune telle dĂ©marche. Sa contribution au prĂ©sent ouvrage, aussi bien pour la reconstitution patiente de la carriĂšre de Jacques Poly que pour lâanalyse serrĂ©e de sa production Ă©crite, est le socle sur lequel lâensemble repose.
Des travaux antĂ©rieurs sur lâInra contribuent Ă Ă©clairer certains aspects de lâaction de Jacques Poly. On pense bien sĂ»r Ă lâouvrage de Jean Cranney, publiĂ©
9Introduction
Ă lâoccasion du cinquantiĂšme anniversaire de lâInstitut en 19965, ou Ă lâouvrage collectif paru en 20086 sur les rapports entre recherche, pratiques agricoles et sociĂ©tĂ© au cours du xxe siĂšcle. Plus rĂ©cemment, le ComitĂ© dâhistoire a publiĂ© deux dossiers dans la revue Histoire de la recherche contemporaine7 consacrĂ©s Ă la recherche agronomique française dans la seconde moitiĂ© du xxe siĂšcle, qui eux aussi soulignent le rĂŽle de Jacques Poly. Enfin, le volume thĂ©matique de la revue Archorales paru en 20178, dont le ComitĂ© dâhistoire de lâInra et du Cirad assure lâĂ©dition, en explorant notamment les usages institutionnels de la photographie Ă lâInra, montre une autre facette de lâengagement de Jacques Poly. Cependant, câest probablement lâouvrage Lâhistoire de lâInra, entre science et politique9, premiĂšre synthĂšse historique sur cet organisme de recherche, qui couvre le plus largement lâaction de Jacques Poly.
Mais Ă ce jour aucune biographie ou Ă©tude historique ne dresse les contours du personnage ni ne situe de maniĂšre suffisamment documentĂ©e son action dans lâhistoire de la recherche scientifique et des politiques agricoles. Les tĂ©moignages des personnels de lâInra publiĂ©s dans Archorales, sâils Ă©clairent ponctuellement certaines de ses dĂ©cisions ou de ses actions, sont souvent des Ă©vocations brĂšves, dominĂ©es par lâestime et lâadmiration, mĂȘme si on trouve ici et lĂ des apprĂ©ciations argumentĂ©es et des jugements critiques. Quoi quâil en soit, leur simple juxtaposi-tion ne permet pas de suivre la trajectoire scientifique et politique dâun individu qui nâa cessĂ© de produire une pensĂ©e critique et prospective des fronts de la recherche et de lâengagement public de son institut. De mĂȘme, les rapports successifs produits par Jacques Poly entre 1969 et 1989, mĂȘme sâils se fondent sur un matĂ©riau trĂšs dense et expriment des convictions et des orientations fortes, ne sauraient ĂȘtre lus au premier degrĂ© comme des sources de connaissance des enjeux scientifiques et institutionnels de leur Ă©poque de rĂ©daction, tant ils prĂ©sentent dâellipses et de pensĂ©es emboĂźtĂ©es.
Ă lâĂ©vidence, un travail historique rigoureux sâimpose ici, croisant textes et tĂ©moignages, faits et hypothĂšses. Partant de rien ou presque, la dĂ©marche adoptĂ©e ici vise un objectif modeste mais clair : au travers de lâĂ©tude de la pensĂ©e stratĂ©-gique, des orientations de politique scientifique et des propositions de contribution aux politiques agricoles de Jacques Poly, tenter dâĂ©clairer les relations Ă©troites quâentretiennent, dans le temps de la crise du modĂšle de dĂ©veloppement agricole et rural national, la recherche agronomique et la puissance publique confrontĂ©es Ă la libĂ©ralisation des Ă©changes de produits agricoles et alimentaires et Ă lâaccĂ©lĂ©ration de la compĂ©tition internationale pour lâinnovation industrielle.
Si le prĂ©sent ouvrage se veut une affirmation de la pertinence de la mĂ©thode historique appliquĂ©e Ă la comprĂ©hension de la dynamique des relations entre science, pouvoir et sociĂ©tĂ©, il est Ă©galement fondĂ© sur lâexigence dâun dĂ©bat
5. Cranney J., 1996. INRA, 50 ans dâun organisme de recherche, Paris, Inra Ăditions, 526 p.6. Bonneuil C., Denis G., Mayaud J.-L., 2008. Sciences, chercheurs et agriculture : pour une histoire de la recherche agronomique, Versailles/Paris, QuĂŠ/LâHarmattan, 300 p.7. Un parcours dans les mondes de la recherche agronomique. LâInra et le Cirad, CNRS Ăditions, tome III, n° 2, 2014 ; Regards historiques sur la recherche agronomique française dans la seconde moitiĂ© du xxe siĂšcle, CNRS Ăditions, tome VI, n° 2, 2017.8. Archorales Inra, 2017. « Producteurs dâimages », tome 18, 189 p.9. Cornu P., Valceschini E., Maeght-Bournay O., 2018. Lâhistoire de lâInra, entre science et politique, Versailles, Ăditions QuĂŠ, 464 p.
10 REChERChE agROnOMIQuE Et POlItIQuE agRICOlE. JaCQuES POly, un StRatĂšgE
historique ouvert aux acteurs et aux tĂ©moins, reconnaissant leur contribution essentielle Ă lâĂ©clairage des faits, et confiant dans la capacitĂ© des uns et des autres Ă entrer dans une dĂ©marche constructive de confrontation des archives, des tĂ©moi-gnages et des donnĂ©es contextuelles. Pour saisir la cohĂ©rence de la gouvernance de Jacques Poly, il fallait en effet aborder ses relations Ă la fois avec les chercheurs et les cadres scientifiques de son institut, mais Ă©galement avec la profession agricole et les industriels, et avec les gouvernements qui se sont succĂ©dĂ© aux affaires sous les prĂ©sidences de Georges Pompidou, de ValĂ©ry Giscard dâEstaing et de François Mitterrand. Sur un passĂ© aussi proche et sur des faits aussi chargĂ©s dâenjeux, on nâaurait pu espĂ©rer accĂ©der Ă une connaissance solide de lâenchaĂźnement des choses sans le concours actif de ces tĂ©moins. Le lecteur jugera du rĂ©sultat en termes de soliditĂ© argumentative, mais les Ă©diteurs, pour leur part, ne peuvent que se fĂ©liciter de la qualitĂ© et de la richesse des tĂ©moignages produits : anciens ministres, Ă lâinstar de Pierre MĂ©haignerie, Jean-Pierre ChevĂšnement et Henri Nallet, anciens et actuels dirigeants de lâInra, avec Paul Vialle, Bertrand Hervieu, Marion Guillou et Philippe Mauguin, chercheurs dĂ©positaires Ă la fois de la mĂ©moire de la recherche agronomique et des instances de sa programmation, Ă lâimage de Gilbert Jolivet et de Guy Riba, se sont prĂȘtĂ©s au jeu de la reconstitution historique avec un engagement inĂ©dit et une passion insoupçonnĂ©e. Et lâon rĂ©servera une place Ă part Ă Claude BĂ©ranger, dont la mĂ©moire exceptionnellement longue porte Ă la fois sur lâhistoire de lâInra, sur celle de la profession agricole, sur lâexpĂ©rience des cabinets ministĂ©riels, et sur une histoire particuliĂšrement riche de travail avec et pour Jacques Poly tout au long des annĂ©es de gouvernance de ce dernier.
Ă lâinstar de Claude BĂ©ranger, bien des tĂ©moins de cette histoire ont dâailleurs un point de vue « multi-situĂ© », et ont exercĂ© tantĂŽt des fonctions de recherche, tantĂŽt des fonctions de gouvernance ou de conseil. Passeurs de frontiĂšres et porteurs dâexpĂ©riences contrastĂ©es, nos tĂ©moins nâont dâailleurs pas attendu lâappel des historiens pour sâouvrir Ă une rĂ©flexion critique sur leur propre trajectoire et sur celle des institutions auxquelles ils avaient participĂ©. LâAcadĂ©mie dâagriculture de France, naturellement, a Ă©tĂ© le premier lieu du partage de ce capital, et câest aussi en tant que prĂ©sident de cette institution que sâexprime Bertrand Hervieu dans ces pages.
Le plan que nous avons choisi pour livrer au lecteur notre matĂ©riau nâa pas Ă©tĂ© facile Ă concevoir, tant Jacques Poly lui-mĂȘme sâingĂ©niait Ă lier les enjeux et Ă articuler toujours retour sur expĂ©rience, analyse clinique du prĂ©sent et exercice mental de la prospective stratĂ©gique. Nous avons donc choisi le parti dâune histoire non pas autocentrĂ©e sur lâInra et son « grand homme », mais reliĂ©e Ă la dynamique gĂ©nĂ©rale de lâhistoire des sciences et des politiques publiques, en Ă©clairant le propos par un souci constant de la contextualisation. Et si chaque contribution sâinscrit dans sa propre temporalitĂ©, lâensemble dessine, nous semble-t-il, une perspective claire : celle dâun organisme ayant dĂ©veloppĂ© une culture de lâespace des possibles qui lui a permis de survivre Ă lâobsolescence de ses missions initiales pour inventer, en symbiose avec une Ă©poque ambivalente et incertaine, une programmation de la recherche souple et adaptable, prĂȘte Ă tous les compromis et Ă toutes les souplesses tactiques, sauf sur la conception que les « agronomes » se font de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Peut-ĂȘtre est-ce lĂ , in fine, la clĂ© de lâattachement apparemment indĂ©fectible de ce monde scientifique, par-delĂ ses mutations contemporaines, aux mots-clĂ©s du « rapport Poly ».
11Introduction
LâĂ©tude livrĂ©e dans le premier chapitre de lâouvrage nâest pas rĂ©ductible simple-ment Ă une biographie. En Ă©clairant les motivations et les orientations stratĂ©giques de Jacques Poly, son habiletĂ© tactique et stratĂ©gique, elle donne des clĂ©s de comprĂ©-hension des Ă©volutions et des blocages de la politique agricole, des avancĂ©es et des bifurcations de la recherche agronomique au temps du productivisme triomphant des annĂ©es 1960 jusquâĂ celui de sa contestation environnementale, sociale et politique dans les annĂ©es 1970 et 1980. En ouverture du second chapitre, Odile Maeght-Bournay rappelle que ce rapport Ă la postĂ©ritĂ© indĂ©niable a Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© dâautres Ă©crits, certes restĂ©s dans lâombre, mais tĂ©moignant de la construction et des Ă©volutions de la pensĂ©e stratĂ©gique de leur auteur. Au crĂ©puscule de la « rĂ©vo-lution silencieuse »10, Ă laquelle a fortement contribuĂ© lâInra et qui a largement marquĂ© sa culture ingĂ©niĂ©riale et scientifique, la convergence trĂšs forte des annĂ©es 1960 sur les voies Ă suivre pour la modernisation de lâagriculture nâest plus aussi Ă©vidente depuis le dĂ©but des annĂ©es 1970 (crise pĂ©troliĂšre, montĂ©e des prĂ© occupations environnementales, prioritĂ© Ă lâindustrialisation de lâalimen-tationâŠ). Des divergences se font jour quant Ă lâavenir de lâagriculture et, par consĂ©quent, aux orientations Ă donner Ă la recherche agronomique publique. Le rapport Poly sâinscrit ainsi principalement dans le questionnement sur le « modĂšle agricole français » : « autonomie » et « Ă©conomie », deux termes et deux orien-tations qui reconsidĂšrent les idĂ©es sur lesquelles la modernisation de lâagriculture et la politique agricole des annĂ©es 1960 sâĂ©taient appuyĂ©es.
Des acteurs et des observateurs de premier plan de la dĂ©cennie 1970, sans prĂ©tendre livrer une analyse complĂšte et dĂ©finitive, apportent ensuite des Ă©lĂ©ments dâinformation et de comprĂ©hension ignorĂ©s ou mal connus. Pierre MĂ©haignerie revient sur les motivations qui lâont conduit Ă solliciter Jacques Poly pour Ă©clairer les dĂ©cisions de politique agricole, montrant ainsi la considĂ©ration que le ministĂšre de lâAgriculture portait au grand institut de recherche. Gilbert Jolivet nous Ă©claire sur les conditions de rĂ©alisation du rapport, dĂ©voilant notamment une des facettes de la personnalitĂ© de Jacques Poly : son besoin, parfois, de sâisoler pour mieux affiner sa pensĂ©e, lâorganiser, et ainsi lui permettre dâĂȘtre bien comprise. Puis Bertrand Hervieu met en exergue les fondements dâune nouvelle politique agricole que Jacques Poly entend proposer Ă lâĂtat et dĂ©cliner Ă lâInra comme nouveau guide des orientations de recherche. Claude BĂ©ranger et Henri Nallet, qui sera quelques annĂ©es plus tard ministre de lâAgriculture, nous instruisent sur la rĂ©cep-tion du rapport Poly et les suites qui lui ont, ou non, Ă©tĂ© donnĂ©es dans les toutes premiĂšres annĂ©es du gouvernement de la gauche arrivĂ©e au pouvoir en 1981. Et lâon perçoit alors toutes les difficultĂ©s Ă changer la politique agricole et, plus encore, Ă formuler un nouveau projet pour lâagriculture.
Le troisiĂšme chapitre de cet ouvrage livre des Ă©lĂ©ments de comprĂ©hension du contexte et des ressorts de la mutation de lâinstitut souhaitĂ©e par Jacques Poly, dont la volontĂ© est de lâemmener sur les rives de lâĂ©conomie de la connaissance. Car Jacques Poly saisit les orientations politiques en matiĂšre de recherche du nouveau gouvernement et son volontarisme industriel pour placer son institut sur une nouvelle trajectoire. Si lâInra nâentre de plain-pied dans lâĂ©conomie de la connais-sance quâĂ partir des annĂ©es 1990, câest clairement une consĂ©quence de la rĂ©forme du systĂšme français de recherche des annĂ©es 1980, que Jacques Poly a pleinement
10. Debatisse M., 1963. La révolution silencieuse. Le combat des paysans, Calmann-Lévy, 275 p.
12 REChERChE agROnOMIQuE Et POlItIQuE agRICOlE. JaCQuES POly, un StRatĂšgE
soutenue et Ă laquelle il a activement participĂ©. Jean-Pierre ChevĂšnement nous en livre les tenants et aboutissants, et tĂ©moigne de son compagnonnage avec lâInra et Jacques Poly dans lâamorce de cette mutation, tandis que Paul Vialle en explore les modalitĂ©s au sein de lâInra. Quant Ă Guy Riba, il trouve dans les propositions du rapport Poly un ferment de la rĂ©orientation de la recherche agronomique qui, sâil nâa pas « pris » dans lâimmĂ©diat chez les chercheurs de lâInra, a bien ensemencĂ© les dĂ©cisions ultĂ©rieures. Philippe Mauguin Ă son tour souligne combien la vision de la recherche que partagent dans la durĂ©e Jacques Poly et Hubert Curien a contribuĂ© dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1970, lorsque ce dernier est Ă la DGRST, Ă ce que lâinstitut se fasse une place dans le paysage de la recherche française. Devenu ministre, Hubert Curien mĂšne de multiples actions dĂ©terminantes pour la muta-tion de lâinstitut vers une Ă©conomie de la connaissance, ouverte Ă la fois Ă la compĂ©tition scientifique, Ă lâinnovation technologique et Ă la communication scientifique. Cette mutation sâexprime pleinement au tournant des annĂ©es 2000, au moment oĂč lâInra conçoit son futur autour du tripode agriculture-alimentation-environnement. Câest prĂ©cisĂ©ment ce moment que Marion Guillou met en perspective, expliquant Ă quelles logiques profondes obĂ©it la rĂ©orientation globale de lâInra quâelle est amenĂ©e Ă conduire Ă la suite de Guy Paillotin et de Bertrand Hervieu, touchant Ă la fois Ă la gouvernance, aux pĂ©rimĂštres de recherche, aux compĂ©tences et aux dispositifs de valorisation de lâinstitut. Dâune certaine maniĂšre, câest bien le rapport Poly qui informe encore et toujours la mue de lâInra vers un organisme dâexpertise Ă vocation internationale, mĂȘme si les objectifs pointĂ©s Ă la fin des annĂ©es 1970 â Ă©conomie et autonomie â se trouvent reconfigurĂ©s par la montĂ©e en puissance des enjeux globaux de lâagriculture, de lâalimentation et de lâenvironnement dans une Ă©conomie de la connaissance mondialisĂ©e sous le signe de la compĂ©tition. Câest justement Ă lâaune de ce processus historique de requalification des objectifs assignĂ©s Ă la recherche agronomique que lâhistorien Pierre Cornu propose en conclusion une mise en perspective rĂ©flexive du rapport Poly, de sa postĂ©ritĂ© paradoxale et, par-delĂ ce texte singulier, de la maniĂšre dont les enjeux scientifiques et politiques se croisent dans la modernitĂ© inquiĂšte qui est la nĂŽtre.
ChAPItre 1
la vision scientifique et les stratégies politiques de Jacques poly
Odile Maeght-Bournay, Egizio Valceschini
EntrĂ© Ă lâInra en octobre 1948, Jacques Poly y reste prĂšs de quarante ans, dâabord en tant que chercheur gĂ©nĂ©ticien, puis comme chef du dĂ©partement de GĂ©nĂ©tique animale, avant de rejoindre en 1972 le sommet de la pyramide politique de lâinstitut. Entre-temps, il aura occupĂ© pendant cinq ans la fonction de conseiller au ministĂšre de lâAgriculture, oĂč il aura contribuĂ© Ă Ă©laborer des mesures de politique agricole de portĂ©e « historique ». Enfin, en 1978, il est nommĂ© directeur gĂ©nĂ©ral de lâInra puis, en 1980, prĂ©sident-directeur gĂ©nĂ©ral. Ainsi le personnage a appartenu Ă lâInra, mais on peut affirmer tout autant que lâInra lui a appartenu. De fait, Jacques Poly a non seulement incarnĂ© lâInra des annĂ©es 1970 et 1980, mais il y a aussi laissĂ© une empreinte durable et, plus encore, il a profon-dĂ©ment marquĂ© de sa philosophie la recherche agronomique pilotĂ©e au service de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral.
Ce chapitre informe principalement les diffĂ©rentes pĂ©riodes de sa carriĂšre Ă lâInra11, avec lâobjectif de suivre les Ă©tapes de la construction dâune pensĂ©e stratĂ©-gique et de ses dĂ©veloppements au service de lâinstitut, de lâagriculture, de la sĂ©curitĂ© alimentaire et de lâinnovation. Mais lâhomme a embrassĂ© plusieurs fonc-tions et rempli de nombreuses missions en dehors de lâInra. Son pĂ©rimĂštre dâaction et dâinfluence a donc largement dĂ©passĂ© les frontiĂšres de lâinstitut. Sans toujours les approfondir, le texte sâarrĂȘte sur les nombreux carrefours de lâitinĂ©raire de Jacques Poly avec les institutions et les individus plus ou moins Ă©loignĂ©s de lâInra.
11. Les archives disponibles ne concernent que la carriĂšre de Jacques Poly, et peu de choses ont filtrĂ© de sa vie personnelle, familiale et amicale, si ce nâest les hommages quâil a pu rendre Ă ses parents et quelques maigres allusions Ă son foyer (il a eu quatre enfants), que lâon devine quelque peu sacrifiĂ© Ă son engagement dans et pour lâInra.
14 REChERChE agROnOMIQuE Et POlItIQuE agRICOlE. JaCQuES POly, un StRatĂšgE
Ce chapitre sâappuie beaucoup sur les sources rassemblĂ©es pour la rĂ©alisation de lâouvrage Lâhistoire de lâInra, entre science et politique paru en janvier 201812. La bibliographie de Jacques Poly et lâanalyse fouillĂ©e de sept Ă©crits majeurs13 constituent un travail prĂ©paratoire de premiĂšre importance14.
XX les annĂ©es de formation dâun agronome avide de connaissances (1946-1949)
Ă lâinstitut national agronomique de paris : le choix dâune recherche agronomique renaissante
NĂ© le 23 mars 1927 Ă Chapelle-Voland, dans le Jura, Jacques Poly est le plus jeune des trois fils dâun couple dâinstituteurs, et petit-fils, du cĂŽtĂ© paternel, de mĂ©tayers15 illettrĂ©s16. « Instituteurs ruraux de lâĂ©cole publique, [mes parents] Ă©taient lâincarnation de ces maĂźtres qui ont fait, entre les deux guerres, la grandeur de notre enseignement primaire »17, explique-t-il lors de sa sĂ©ance de rĂ©ception Ă lâAcadĂ©mie dâagriculture en 1982. De cette famille profondĂ©ment ancrĂ©e dans la France rurale de la IIIe RĂ©publique, il hĂ©rite ainsi des valeurs de la mĂ©ritocratie rĂ©publicaine. « Mes parents nous ont donnĂ© le goĂ»t de la campagne, de ses richesses naturelles, des multiples loisirs quâon pouvait y trouver »18, se souvient-il, et le chemin lui paraĂźt « simple et tout tracĂ© pour accĂ©der aux Ă©tudes supĂ©rieures »19 : Ă la suite de ses deux frĂšres aĂźnĂ©s, Pierre et RenĂ©, Jacques Poly se retrouve « logique-ment »20, selon ses mots, Ă 19 ans, Ă lâInstitut national agronomique (INA) de Paris, aprĂšs des Ă©tudes Ă Lons-le-Saunier et les classes prĂ©paratoires au lycĂ©e du Parc Ă Lyon.
« 1946-1949, câĂ©tait la fin de la derniĂšre guerre, une Ă©poque oĂč tout Ă©tait Ă reconstruire dans notre pays. RenĂ© Dumont venait de publier deux ouvrages dâun saisissant contraste : Voyages en France dâun agronome et Les leçons de lâagriculture amĂ©ricaine. De quoi nourrir les rĂ©flexions, la volontĂ© dâaction et, en dĂ©finitive,
12. Cornu P., Valceschini E., Maeght-Bournay O., 2018. Lâhistoire de lâInra, entre science et politique, Versailles, Ăditions QuĂŠ, 464 p.13. Poly J., 1969. Note. Document dactylographiĂ©, AN 19900318/2, 46 p. ; Poly J., 1977. Recherche agronomique. RĂ©alitĂ©s et perspectives. Document dactylographiĂ©, 78 p. ; Poly J., 1977. Lâapprovisionnement de la France en aliments riches en protĂ©ines destinĂ©s aux animaux domestiques. Document dactylographiĂ©, 47 p. ; Poly J., 1978. Pour une agriculture plus Ă©conome et plus autonome. Document dactylographiĂ©, 69 p. ; Poly J., Herrault C., 1981. Industries agro-alimentaires et innovation. Rapport n° 7, Mission Ă lâinnovation, 52 p. ; Poly J., 1988. Inra 1988⊠an 2000. Une nouvelle charte de dĂ©veloppement. Inra, document dactylographiĂ©, 68 p. ; Poly J., 1989. Rapport sur les possibilitĂ©s de rapprochement, en rĂ©gion parisienne, des Ă©tablissements dâenseignement supĂ©rieur, dĂ©pendant du ministĂšre de lâAgriculture et de la ForĂȘt. Document dactylographiĂ©, 64 p.14. Lâimposant fonds Jacques Poly conservĂ© aux Archives nationales a aussi Ă©tĂ© mobilisĂ©, mais il est certain que bien des aspects gagneraient Ă ĂȘtre approfondis par un dĂ©pouillement plus systĂ©matique de ce fonds. Fonds Jacques Poly, AN 19900318.15. Grail D., 1997. Entretien avec Jacques Poly. INRA mensuel, fĂ©vrier, supplĂ©ment au n° 91, p. 74.16. Le pĂ©trole vert. LâExpress va plus loin avec Jacques Poly. LâExpress, 14 aoĂ»t 1978, p. 78.17. Bustarret J., Poly J., 1982. RĂ©ception de M. Jacques Poly. Comptes-rendus de la sĂ©ance de lâAcadĂ©mie dâagriculture de France du 28 avril 1982, p. 668.18. Poly J., 1996. Entretien avec Jacques Poly : la recherche a un rĂŽle dĂ©rangeant par rapport au discours dominant. Câest sa responsabilitĂ© et sa grandeur ! Les invitĂ©s dâAgromip, n° 6, p. 15.19. Bustarret J., Poly J., 1982. RĂ©ception de M. Jacques Poly. Comptes-rendus de la sĂ©ance de lâAcadĂ©mie dâagriculture de France du 28 avril 1982, p. 668.20. Ibid.
15la vision scientifique et les stratégies politiques de Jacques Poly
lâenthousiasme de jeunes Ă©tudiants, marquĂ©s par le dĂ©sastre militaire, Ă©conomique et psychologique de toute notre collectivitĂ© nationale »21. Ainsi Jacques Poly voit-il rĂ©trospectivement « le dĂ©part dâune vocation de chercheur »22 dans « lâenvie de travailler Ă un renouveau et Ă un essor de lâagriculture française »23. Câest sans doute grĂące Ă lâenseignement de RenĂ© Dumont (1904-2001) Ă lâINA, qui a hĂ©ritĂ© de la Chaire dâagriculture comparĂ©e en 193324, que Jacques Poly se construit une Ă©thique scientifique cohĂ©rente avec sa formation dâingĂ©nieur : partir du terrain, puis appuyer ses analyses sur des considĂ©rations qui sont certes dâabord agrono-miques, mais qui les dĂ©passent Ă©galement pour englober les dimensions Ă©cono-mique, sociale et politique des problĂšmes. Jean Pinchon (1925-2009)25, camarade de promotion de Jacques Poly avec qui il se lie dâune amitiĂ© « appelĂ©e Ă durer une existence entiĂšre »26, explique comment le discours rĂ©solument progressiste de RenĂ© Dumont, Ă la fois tournĂ© vers la modernisation de lâagriculture et les prĂ© -occupations « tiers-mondistes », attire les jeunes ingĂ©nieurs : « Un de nos profes-seurs reflĂšte dâailleurs trĂšs bien cette aspiration Ă la modernitĂ©, Ă la transformation du rĂ©el, Ă lâaction pour plus de rationalitĂ© dans lâagriculture française et planĂ©taire : câest RenĂ© Dumont. Ă lâĂcole, il nous apparaĂźt, dâemblĂ©e, comme lâanticonfor-miste de service. Il rentre sans cesse dâun voyage en Asie, en Afrique, en AmĂ©rique latine, et il pose, le premier, devant nous, le problĂšme du sous-dĂ©veloppement. »27
21. Ibid.22. Grail D., 1997. Entretien avec Jacques Poly. INRA mensuel, fĂ©vrier, supplĂ©ment au n° 91, p. 74.23. Ibid.24. SĂ©jeau W., 2004. RenĂ© Dumont agronome. Ruralia. Sciences sociales et mondes ruraux contemporains, vol. 15, p. 8.25. Pinchon J., 2010. MĂ©moires dâun paysan, 1925-2009, Paris, LâHarmattan, 262 p., p. 24 : « Jacques Poly, mon meilleur compagnon, depuis le premier jour de lâentrĂ©e Ă lâAgro, en 1946, jusquâĂ son dernier jour Ă lui⊠»26. Ibid.27. Ibid., p. 23.
le professeur de zootechnie andrĂ©-Max leroy dans lâamphithĂ©Ăątre tisserand de lâIna Paris, fin des annĂ©es 1930-dĂ©but des annĂ©es 1940. © Collection MusĂ©e du vivant, agroParistech.
16 REChERChE agROnOMIQuE Et POlItIQuE agRICOlE. JaCQuES POly, un StRatĂšgE
Sondant ses annĂ©es de formation, Jacques Poly rend Ă©galement hommage Ă son professeur AndrĂ©-Max Leroy (1892-1978), « un grand maĂźtre de talent, Ă lâesprit particuliĂšrement imaginatif, un semeur de vocation »28, qui oriente « indiscu-tablement »29 le jeune Ă©tudiant et nombre de ses camarades vers le domaine des productions animales30. ConsidĂ©rĂ© par beaucoup comme le pĂšre de la zootechnie en France, le charismatique professeur Leroy avait investi le champ de la zoo technie, dĂ©sertĂ© par les vĂ©tĂ©rinaires â traditionnellement autant pathologistes que zoo -techniciens â aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, ceux-ci canalisant leur Ă©nergie sur la pathologie microbienne31.
Ă cette mĂȘme Ă©poque, lâInra Ă©tait crĂ©Ă© (1946)32, et sâefforçait de recruter ses chercheurs parmi les Ă©lĂšves de lâINA. Câest ainsi quâau dĂ©but de lâĂ©tĂ© 194833, Jean Bustarret (1904-1988), chercheur reconnu dans le domaine de lâamĂ©lioration des plantes, alors directeur de la Station centrale dâamĂ©lioration des plantes et de phytotechnie au Centre national de recherche agronomique (CNRA) de Versailles34, rencontre les Ă©tudiants de fin de seconde annĂ©e de lâINA au cours de « lâamphi-situations », avec dans sa besace une douzaine de postes35. On annonçait solennellement aux Ă©lĂšves lors de « lâamphi-situations » leur classement au sein de la promotion et chacun pouvait choisir, en fonction de ce classement, sâil optait pour la fonction publique, prenant alors une des places offertes par les diverses administrations. Comme ses deux frĂšres avant lui, Jacques Poly est major de sa promotion36. Il ne choisit cependant pas les voies les plus prestigieuses, celle de lâĂcole nationale des eaux et forĂȘts de Nancy comme ses aĂźnĂ©s37 ou celle des Haras nationaux, « et cette dĂ©cision Ă©tonne tout le monde », se souvient Jean Pinchon38. Il opte pour la voie peu prestigieuse et mĂȘme peu rĂ©munĂ©ratrice de la recherche agronomique, et plus prĂ©cisĂ©ment de la recherche zootechnique, cette discipline naissante en France, qui lâattire Ă lâinstar des deux autres premiers classĂ©s39 de la 71e promotion de lâINA. Situation inĂ©dite que de voir la « botte » des Agros choi-sir la filiĂšre recherche au lieu des chemins balisĂ©s des Services agricoles, du GĂ©nie rural, des Eaux et des ForĂȘts40. Si, comme il le dit, son « amour de la nature et des
28. Bustarret J., Poly J., 1982. RĂ©ception de M. Jacques Poly. Comptes-rendus de la sĂ©ance de lâAcadĂ©mie dâagriculture de France du 28 avril 1982, p. 669.29. Ibid.30. Dâautres professeurs ont beaucoup comptĂ© pour le jeune Ă©tudiant. Des recherches complĂ©mentaires permettraient notamment dâen savoir plus sur ses relations avec Pierre Charlet (enseignant de zootechnie) et Jacques Delage (professeur de gĂ©nĂ©tique et sĂ©lection animale).31. Maeght-Bournay O., 2014. Les archives orales de lâInra et la biographie historique : le cas de Jacques Poly. MĂ©moire de master 2 (R), Histoire, philosophie et didactique des sciences, universitĂ© Claude-Bernard Lyon-1, Lyon, 88 p., p. 52.32. Sur lâhistoire de lâInra depuis sa crĂ©ation, voir : Cornu P., Valceschini E., Maeght-Bournay O., 2018. Lâhistoire de lâInra, entre science et politique, Versailles, Ăditions QuĂŠ, 464 p.33. Bustarret J., Poly J., 1982. RĂ©ception de M. Jacques Poly. Comptes-rendus de la sĂ©ance de lâAcadĂ©mie dâagriculture de France du 28 avril 1982, p. 664.34. Cranney J., 1996. INRA, 50 ans dâun organisme de recherche, Paris, Inra Ăditions, 526 p., p. 164.35. Bustarret J., Poly J., 1982. RĂ©ception de M. Jacques Poly. Comptes-rendus de la sĂ©ance de lâAcadĂ©mie dâagriculture de France du 28 avril 1982, p. 664.36. Ibid.37. Cranney J., 1996. INRA, 50 ans dâun organisme de recherche, Paris, Inra Ăditions, 526 p., p. 352.38. Pinchon J., 2010. MĂ©moires dâun paysan, 1925-2009, Paris, LâHarmattan, 262 p., p. 24.39. Bustarret J., Poly J., 1982. RĂ©ception de M. Jacques Poly. Comptes-rendus de la sĂ©ance de lâAcadĂ©mie dâagriculture de France du 28 avril 1982, p. 664.40. Grail D., 1997. Entretien avec Jacques Poly. INRA mensuel, fĂ©vrier, supplĂ©ment au n° 91, p. 74.
17la vision scientifique et les stratégies politiques de Jacques Poly
choses de la terre »41 a Ă©tĂ© dĂ©terminant dans le choix de ses Ă©tudes supĂ©rieures, son orientation professionnelle doit certainement beaucoup au dĂ©sir de se confronter Ă des dĂ©fis cognitifs. « Quelle chance, en dĂ©finitive, explique-t-il Ă lâAcadĂ©mie dâagriculture en 1982, de pouvoir exercer sa carriĂšre professionnelle dans une voie nouvelle oĂč presque tout reste Ă faire, oĂč la thĂ©orie et les concepts nâont de chance dâaboutir que sâils ont un ancrage solide sur la pratique et les rĂ©alitĂ©s concrĂštes. »42 Dans la modestie de la recherche agronomique en cette fin de dĂ©cennie 1940, et devant ses insuffisances comparĂ©es Ă celle des autres pays dans le domaine animal, Jacques Poly, fils des montagnes pastorales, pense certainement trouver une satis-faction intellectuelle doublĂ©e dâune certitude, celle de participer Ă une Ćuvre dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. On peut aussi voir dans ce choix la capacitĂ© visionnaire prĂ©coce de Jacques Poly que Jean Pinchon souligne : « Il a le cĆur Ă gauche et une intel-ligence supĂ©rieure, une capacitĂ© de prospective qui lui permet dâentrevoir ce que seront la science et la technologie cinquante ou cent ans plus tard. »43
Voici donc Jacques Poly embauchĂ© Ă lâInra comme agent contractuel scienti-fique (ACS) au 1er octobre 1948. Ce statut permet aux jeunes recrues de se prĂ©parer en un Ă trois ans au concours dâassistant, tout en Ă©tant rĂ©munĂ©rĂ©es (certes chichement), avec en contrepartie un engagement Ă travailler pour lâInra au moins cinq annĂ©es44. Par ailleurs, la promotion INA de Jacques Poly est la premiĂšre Ă bĂ©nĂ©ficier dâune troisiĂšme annĂ©e dâĂ©tudes supplĂ©mentaires, qui est une annĂ©e de spĂ©cialisation45.
une passion scientifique « hasardeuse » : la recherche en génétique animale
Par goĂ»t personnel et avec une bonne dose dâinconscience selon son propre aveu46, Jacques Poly choisit la spĂ©cialitĂ© gĂ©nĂ©tique animale, choix « alĂ©atoire » selon ses mots47. Il nây avait effectivement en France pratiquement pas dâenseignement de la gĂ©nĂ©tique, seulement un certificat de gĂ©nĂ©tique Ă la FacultĂ© de Paris, et en outre, dans les laboratoires universitaires français, jamais des animaux plus gros que le rat, la grenouille, voire le lapin nâĂ©taient entrĂ©s48. La gĂ©nĂ©tique Ă©tait pourtant dĂ©jĂ considĂ©rĂ©e, dans bon nombre de pays, et notamment la gĂ©nĂ©tique quantitative (qui concerne prĂ©cisĂ©ment lâamĂ©lioration des caractĂšres de production des animaux domestiques) dans les pays anglo-saxons et scandinaves, comme une discipline clĂ© qui allait engendrer beaucoup de succĂšs dans lâagriculture ou lâĂ©levage49. Aussi les futurs chercheurs sâattachent-ils Ă lire des auteurs Ă©trangers sur lâamĂ©lioration gĂ©nĂ©-tique des animaux, et notamment lâouvrage du professeur Jay Lush (1896-1982),
41. Bustarret J., Poly J., 1982. RĂ©ception de M. Jacques Poly. Comptes-rendus de la sĂ©ance de lâAcadĂ©mie dâagriculture de France du 28 avril 1982, p. 668.42. Ibid., p. 669.43. Pinchon J., 2010. MĂ©moires dâun paysan, 1925-2009, Paris, LâHarmattan, 262 p., p. 23.44. Cornu P., Valceschini E., Maeght-Bournay O., 2018. Lâhistoire de lâInra, entre science et politique, Versailles, Ăditions QuĂŠ, 464 p., p. 63.45. Grail D., 1997. Entretien avec Jacques Poly. INRA mensuel, fĂ©vrier, supplĂ©ment au n° 91, p. 74.46. Bustarret J., Poly J., 1982. RĂ©ception de M. Jacques Poly. Comptes-rendus de la sĂ©ance de lâAcadĂ©mie dâagriculture de France du 28 avril 1982, p. 669.47. Grail D., 1997. Entretien avec Jacques Poly. INRA mensuel, 1997, supplĂ©ment au n° 91, p. 74.48. Poly J., 1996. Entretien avec Jacques Poly. Le goĂ»t de la dĂ©couverte. Histoires agronomiques, Inra/Imprimerie nationale, p. 57.49. Grail D., 1997. Entretien avec Jacques Poly. INRA mensuel, fĂ©vrier, supplĂ©ment au n° 91, p. 74.
18 REChERChE agROnOMIQuE Et POlItIQuE agRICOlE. JaCQuES POly, un StRatĂšgE
Jacques Poly dans la mĂ©moire des tĂ©moins de lâInraOdile Maeght-Bournay
La mission dâarchives orales de lâInra, Archorales, recueille les tĂ©moignages de retraitĂ©s de lâinstitution, dans toutes les catĂ©gories de personnels, sur le mode du rĂ©cit de carriĂšre. Alors que cette mission de lâInra a dĂ©butĂ© en 1995, elle nâa pu recueillir le tĂ©moignage de Jacques Poly (vraisemblablement en raison de la longue maladie qui a fini par lâemporter en 1997). Cependant, quelques textes, produits Ă des moments oĂč les institutions rendent hommage Ă ceux quâelles choisissent, Ă©clairent sa bio Â
graphie. La cĂ©rĂ©monie de sa rĂ©cepÂtion Ă lâAcadĂ©mie dâagriculture en avril 198250 comporte deux discours qui dĂ©roulent succinctement sa carriĂšre : lâun de Jean Bustarret (1904Â1988), luiÂmĂȘme figure emblĂ©Âmatique de lâInra en train de se bĂątir, qui retrace la carriĂšre de Jacques Poly Ă lâInra ; lâautre, de Jacques Poly luiÂmĂȘme, oĂč lâon saisit bien notamÂment lâorigine de sa « vocation de chercheur ». La prĂ©paration du cinquantiĂšme anniversaire de lâInra a donnĂ© lâoccasion Ă Denise Grail51 de rĂ©aliser en juillet 1995 une interview filmĂ©e52, reprise en 1996 dans un numĂ©ro spĂ©cial du pĂ©riodique INRA mensuel53. Au moment de ce mĂȘme anniversaire, en 1996, la revue toulousaine Les invitĂ©s dâAgromip54 a Ă©galement consacrĂ© Ă Jacques Poly un dossier contenant notamment les prĂ©cieux tĂ©moignages de ses amis Michel Rocard, Guy Paillotin et Bertrand Vissac. Câest justement ce dernier, son plus ancien collaboraÂteur et ami proche, gĂ©nĂ©ticien comme lui et fondateur du dĂ©parteÂment SystĂšmes agraires et dĂ©velopÂpement (SAD), qui au moment du dĂ©cĂšs de Jacques Poly livrera plusieurs hommages dâautant plus prĂ©cieux quâils sont bien informĂ©s55.
50. Bustarret J., Poly J., 1982. RĂ©ception de M. Jacques Poly. Comptes-rendus de la sĂ©ance de lâAcadĂ©mie dâagriculture de France du 28 avril 1982, p. 664Â680.51. En charge du pĂ©riodique interne INRA mensuel.52. Interview de Jacques Poly filmĂ©e par GĂ©rard Paillard le 19 juillet 1995, VHS, 16 mm, 70 minutes.53. Grail D., 1997. Entretien avec Jacques Poly. INRA mensuel, fĂ©vrier, supplĂ©ment au n° 91, p. 74Â84.54. Paillotin G., 1996. TĂ©moignage « Si Jacques Poly nâavait pas fait cette rĂ©volution, nous serions trĂšs mal aujourdâhui ». Les invitĂ©s dâAgromip, n° 6, p. 22Â23 ; Poly J., 1996. Entretien avec Jacques Poly : la recherche a un rĂŽle dĂ©rangeant par rapport au discours dominant. Câest sa responsabilitĂ© et sa grandeur ! Les invitĂ©s dâAgromip, n° 6, p. 14Â16 ; Poly J., 1996. ConfĂ©rence. Entre le productivisme Ă tout crin et un certain ruralisme Ă la Giono. Les invitĂ©s dâAgromip, n° 6, p. 16Â17 ; Rocard M., 1996. TĂ©moignage « Malheur au politique qui ne se laisse pas dĂ©ranger par des tonitruances pareilles ». Les invitĂ©s dâAgromip, n° 6, p. 21 ; Vissac B., 1996. TĂ©moignage « Sept flashs sur Jacques Poly et une Ă©poque de certitude (de 1950 Ă 1995) ». Les invitĂ©s dâAgromip, n° 6, p. 24Â25.55. Voir notamment celui paru dans le bulletin le pĂ©riodique du dĂ©partement SAD, le Sadoscope. Vissac B., 1997. Ă la mĂ©moire de Jacques Poly. Le Sadoscope, octobreÂnovembre 1997, supplĂ©ment n° 89, 6 p.
le gĂ©nĂ©ticien thomas Sutherland (dĂ©cĂ©dĂ© en 2016) accompagnĂ© de son Ă©pouse, et Jean-Paul Kauffmann, journaliste, Ă©crivain et par ailleurs rĂ©dac-teur en chef de LâAmateur de Bordeaux, sont reçus Ă lâInra par Jacques Poly en 1992. Il leur remet la dĂ©coration dâofficier du MĂ©rite agricole. tous deux ont Ă©tĂ© otages au liban. Chercheur de la Colorado State university, doyen de la FacultĂ© dâagriculture et de sciences de lâalimentation de lâuniversitĂ© amĂ©ricaine de Beyrouth depuis 1983, thomas Sutherland est enlevĂ©, en juin 1985, par le hezbollah, qui le libĂšre en novembre 1991. En captivitĂ©, il sâĂ©tait liĂ© dâamitiĂ© avec Jean-Paul Kauffmann, dĂ©tenu depuis mai 1985 avec Michel Seurat, sociologue du CnRS mort en captivitĂ©. Jean-Paul Kauffmann est libĂ©rĂ© en mai 1988. Durant toute leur dĂ©tention, lâInra, et en particulier Jacques Poly, ne cesse dâexprimer son soutien aux otages et Ă leurs familles. Des liens Ă©troits unissent les chercheurs en gĂ©nĂ©tique animale de lâInra et leur collĂšgue thomas Sutherland, surtout depuis quâil a passĂ© un an et demi, en 1966-1967, Ă Jouy-en-Josas. En mars 1986, Jacques Poly signe une lettre ouverte oĂč, Ă lâannonce lâassassinat de Michel Seurat, il exprime son Ă©motion et son indignation. Il y souligne Ă©galement sa prĂ©occupation quant au sort de thomas Sutherland. En 1989, la direction gĂ©nĂ©rale de lâInra et le dĂ©partement de gĂ©nĂ©tique animale donnent son nom Ă une bourse : « lâInra souhaite ainsi exprimer sa solidaritĂ© et contribuer aux efforts de libĂ©ration de ce chercheur. » © Inra/gĂ©rard Paillard.