QU'EST-CE QUI PARLE À TRAVERS NOUS ? - Peter Pál Pelbart

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    QU'EST-CE QUI PARLE TRAVERS NOUS ?Peter Pl PelbartCollge international de Philosophie | Rue Descartes

    2012/4 - n76

    pages 7 19

    ISSN 1144-0821

    Article disponible en ligne l'adresse:

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2012-4-page-7.htm

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    Pour citer cet article :

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pelbart Peter Pl, Qu'est-ce qui parle travers nous ?,

    Rue Descartes, 2012/4 n76, p. 7-19. DOI : 10.3917/rdes.076.0007

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    PETER PL PELBART

    Quest-ce qui parle travers nous?

    la suite des quatre annes de bagne passes en Sibrie, Dostoevski est envoy comme soldatdans un petit bourg perdu dans le dsert de sable en Sibrie. Or, il se lie damiti avec le

    procureur du lieu, qui il raconte ses projets littraires et avec qui il a des sances de lectureet dtude. Abonn aux journaux allemands, le procureur commande, entre autres, un livrede Hegel quils liront ensemble sauf quon en ignore le titre. Supposons quils se soientpenchs sur les Leons sur la philosophie de lhistoire. Ils y auraient trouve une remarqueddaigneuse sur le manque dintrt de la Sibrie pour lHistoire 1. Voici comment lephilosophe hongrois Lszl Fldenyi dcrit ce moment hypothtique: Nous pouvonsimaginer la stupfaction de Dostoevski quand il lut ces lignes la lueur de sa chandelle desuif. Et aussi son dsespoir de constater quon naccordait pas la moindre signification sessouffrances dans la lointaine Europe, pour les ides de laquelle il avait t condamn mort

    avant dtre graci et exil [...] On imagine aisment que cest au moment o il apprit quiltait tomb hors de lhistoire, pour laquelle il avait accept toutes les avanies, quest ne enlui la conviction selon laquelle la vie possde des dimensions qui ne se rduisent pas lhistoire. Do le titre de son petit essai : Dostoevski lit Hegel en Sibrie et fond en larmes 2 .Nous ne nous tonnons plus des prtendues universalits qui jettent hors de lHistoire tout cequi leur parat si tranger ou insignifiant les grands philosophes ne sont pas exempts degrandes aberrations, cest le moins quon puisse dire. En revanche, il ne nous a pas manqu,au long du dernier sicle, de philosophies pour djouer de telles totalisations des pensesobsdes par la figure du vaincu, de lacphale, du dracin, du draisonn, du nomade, du

    sauvage, de ltre de lisire, voire de lhomo sacer. videmment, il ne sagissait pas de

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    proposer une contre-histoire, ni de revendiquer une philosophie des exclus, pleurnicheuse oupique, mais de problmatiser ces gestes de partage que lOccident a si aveuglementdissimuls, en protection des valeurs, des jugements, des modes de vie dont il a su nier ou

    fonder la contingence. Cest toute une perspective, comme dirait Nietzsche, qui, devenuehgmonique, signore en tant que perspective, pour se prsenter neutre, objective, dsint-resse, et qui nen demeure pas moins humaine, trop humaine, eurocentrique, trop eurocen-trique, anthropocentrique, trop anthropocentrique, moderne, trop moderne.Or, dans son perspectivisme forcen, Nietzsche a men trs loin lexprimentation de pointsde vue en tant que mthode, en se dplaant travers lhistoire et ses personnages, lagographie et le royaume animal, les divinits mythiques et les types ancestraux. Une figurequi a t laisse dans lombre par certains commentateurs est revenue rcemment: lestchandalas 3. Il sagit des exclus de toute caste en Inde, chasss des villes vers les forts, vivant

    comme des parias, les plus mpriss par les brahmanes. Or, pour Nietzsche, ctaient desimmoralistes, des artistes, des excentriques, des jongleurs, des juifs, ceux qui, linverse dumonde institu, pourraient tre considrs comme les vrais souverains. Lhommesouverain est le dpossd, le sans-pouvoir, celui qui peroit les signes des mutations, le jeuchangeant des valuations et des transformations. La philosophie elle mme conue commeun exode, une sortie de lesclavage, une fuite vers le dsert pense nomade. Mais aussipense tropicale. Sur lauteur de Par-del le bien et mal, Deleuze crit: Les lieux de la pensesont les zones tropicales, hantes par lhomme tropical. Non pas les zones tempres, nilhomme moral, mthodique ou modr 4. Arrivons donc aux tropiques et aux sauvages. Quand Eduardo Viveiros de Castro dcrit leperspectivisme amrindien partir de ses recherches sur les Arawets, il ne sempche pas depenser quel point lanthropologie de ces indiens (et non pas sureux) pourrait nous aider mettre en perspective nos certitudes nous, y compris celles qui portent sur eux, sur cequest laltrit, sur ce quest un point de vue, sur ce quest la culture, ou mme lhomme.Lauteur a eu le mot le plus juste pour caractriser le sens de son entreprise, pour laquelleL Anti-Narcisse aurait pu servir de titre emblmatique il sagirait dune dcolonisation de lapense 5. Impossible de ne pas citer lintroduction de ce livre brlant, Mtaphysique cannibale,o lauteur fait la critique de notre anthropologie philosophique et son obsession dterminerun critre qui nous distinguerait des non-humains, des non-occidentaux, des non-modernes:

    Le capitalisme ou la rationalit? Lindividualisme et le christianisme? [...] le problme, cest

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    justement le problme, qui contient la forme de la rponse : la forme dun Grand Partage,dun mme geste dexclusion qui fait de lespce humaine lanalogue biologique de lOccidentanthropologique, confondant toutes les autres espces et les autres peuples en une altrit

    privative commune. En effet, sinterroger sur ce qui nous fait diffrents des autres autresespces et autres cultures, peu importe qui ils sont, puisque ce qui importe cest nous estdj une rponse. / Il ne sagit donc absolument pas, en rcusant la question Quest-ce que (lepropre de) lHomme?, de dire que lHomme na pas dessence, que son existence prcdeson essence, que ltre de lHomme est la libert et lindtermination. Il sagit de dire que laquestion Quest-ce que lHomme est devenue, pour des raisons historiques trop videntes,une question laquelle il est impossible de rpondre sans dissimulation, en dautres termes,sans que lon ne continue rpter que le propre de lHomme est de navoir rien de propre ce qui apparemment lui donne des droits illimits sur toutes les proprits dautrui. Rponse

    millnaire dans notre tradition intellectuelle, qui justifie lanthropocentrisme par cette im-proprit humaine: labsence, la finitude, le manque--tre sont la distinction que lespce estvoue porter, au bnfice (comme on veut nous le faire croire) du reste du vivant. Le fardeaude lhomme: tre lanimal universel, celui pour qui il existe un univers. Les non-humains,comme nous le savons (mais comment diable le savons-nous?) sont pauvres en monde; pasmme lalouette... Quant aux humains non occidentaux, on est discrtement pouss souponner quen matire de monde, ils sont tout de mme rduits la portion congrue.Nous, nous seuls, les Europens [note de lauteur: Je minclus ici par courtoisie], sommes leshumains achevs, ou si lon prfre, grandiosement inachevs, les millionnaires en mondes, lesaccumulateurs de mondes, les configurateurs de mondes. La mtaphysique occidentale estvraiment la fons et origo de tous les colonialismes6. Que me soit pardonne la longueur de la citation, cest quen rsumant on risquerait deperdre lironie savoureuse, lampleur de sa cible et sa force de provocation. En tout cas,comme on le voit, ce nest pas un programme dpourvu dambition ou de courage.videmment, il ne sagit pas ici den valuer la porte cela demanderait tout un livre. Quilnous suffise de souligner quel point cette approche nous invite renverser notre conomiede laltrit. Il conviendrait dinsister sur cet effort nous penser partir dun dehors (pasforcment la Chine, insiste lauteur avec humour) pour aller lencontre dune pense duDehors. Or, ce nest pas abusif de supposer que cela rejoigne lun des traits les plus insistants

    de la philosophie franaise dite post-structuraliste, dont la prsence et la pntration au

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    Brsil, malgr une rsistance acadmique, na pas t ngligeable 7. Force est de constater,nanmoins, quavec lanthropologie immanentiste, cette pense du Dehors, nomme enpremier en tant que telle par Foucault en 1966, a lair davoir retrouv un souffle dune

    fracheur inoue. En tout cas, lire la pense philosophique la lumire de la pense sauvage nesignifie pas frapper de nullit le propre de la philosophie, mais actualiser les innombrablesdevenirs-autres qui existent en tant que virtualits de notre pense 8.

    Exprience et pense

    Foucault na cess dinsister, sous formes diverses, sur le dfi de penser autrement. Il acette belle formule: Ma faon de ne plus tre le mme est, par dfinition, la part la plussingulire de ce que je suis 9. Les auteurs quil invoque ayant enseign comme lui la pensecomme autotransformation sont bel et bien Bataille, Blanchot, Nietzsche. Chez eux,

    lexprience de pense quivaut une mtamorphose, par rapport aux choses, aux autres, soi-mme, la vrit, dit-il 10. En quoi ce mot exprience , nanmoins, est-il valable dansce contexte, alors quil voque tel point la phnomnologie dont Foucault se veut distant ?Cest quil ne sagit nullement ici de poser le regard rflexif sur un objet quelconque duvcu pour en extraire des significations. Ce qui intresse Foucault, au moins dans sonapproche de la littrature ou de la folie, ce nest pas la vie vcue, dit-il, mais linvisible de lavie. Non pas lexprience possible, mais lexprience impossible lexprience-limite.Celle, donc, qui ne remonte pas un sujet fondateur dans sa fonction transcendantale, maisqui, au contraire, entrane sa dissolution une dsubjectivation. La question quil se pose,alors, ne peut qutre rhtorique : Ne peut-il y avoir des expriences au cours desquelles lesujet ne soit plus donn, dans ses rapports constitutifs, dans ce quil a didentique lui-mme? Ny aurait-il donc pas des expriences dans lesquelles le sujet puisse se dissocier,briser le rapport avec lui-mme, perdre son identit 11? Ce nest pas donc un hasard sil distingue un livre-exprience dun livre-vrit. Le livre-exprience a pour critre justement le degr de transformation quil suscite chez le sujet quilcrit et lobjet sur lequel il porte, tout comme sur la vrit qui les reliait. Or, cest dautantplus tonnant que Foucault a toujours travaill avec un matriel historique commun auxhistoriens les plus classiques: dmonstration, preuves, renvois aux textes, rfrences,relation entre ides et faits, schmes dintelligibilit, types dexplication en somme, dit-il,

    rien doriginal 12. Lessentiel pourtant est justement lexprience quil convient de faire

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    partir dun tel matriel, une exprience de notre modernit telle que nous en sortionstransforms. Ce qui signifie quau bout du livre nous puissions tablir des rapports nouveauxavec ce qui est en question: que moi qui ai crit le livre et ceux qui lont lu aient la folie,

    son statut contemporain et son histoire dans le monde moderne un autre rapport13

    . Si lelivre utilise des documents vrais, cest dans le but non pas de faire une constatation de vrit,mais aussi et surtout une exprience qui autorise une altration, une transformation durapport que nous avons nous-mmes et au monde o, jusque-l, nous nous reconnaissionssans problmes 14 . Histoire de la folie en serait un exemple, dans la mesure o il a bouleversnotre rapport la vrit sur la folie, en voquant aussi bien une vrit de la folie, tout enobissant un certain rgime de vridiction, scientifique, acadmique, historique, sous peinede perdre tout effet et efficacit dans le champ des savoirs et pouvoirs concerns. Celaquivaut refuser demble tout universel anthropologique, lhomme, le fou, le dlinquant,

    le sujet dune sexualit, pour retrouver le champ dexprience dans lequel sujet et objet ontt constitus sous certaines conditions, elles-mmes changeantes. Laccent peut alors tremis sur l'historicit mme des formes de l'exprience 15 .Dans quel sens, alors, un livre est-il toujours une exprience? Une exprience est toujoursune fiction; cest quelque chose que nous-mmes fabriquons, qui nexiste pas avant et quinexistera pas aprs . Do le sens de la boutade de ne jamais avoir crit que des fictions. Ilne sagit pas de mensonges, ni de fabulations, ni dillusions, mais de la fabrication duneexprience qui est aux antipodes de toute rfrence un vcu, authentique, rel, naturel. Un livre cest a, une production, une cration, une singularit, un vnement,avec ses effets de ralit. Le but de ses livres, dit-il, est de faire tomber les murs. Foucault estarriv se dfinir comme un pyrotechnicien. Et quand il fait rfrence Histoire de laFolie, il dit, en 1975: Jenvisageais ce livre comme une espce de vent vraiment matriel, et

    je continue rver de lui comme a, une espce de vent qui fait clater les portes et lesfentres [...] Mon rve est que a soit un explosif efficace comme une bombe, et beau commefeux dartifices 16. Peut-tre quun tel raisonnement pouss son extrme atteint parfoisdes moments particulirement provocateurs. En rponse une question sur la fonction de lathorie, comme bote outils, comme instrument, y compris de lutte, plutt que commesystme, et en mettant en lumire le fait que, dans linterview en question, il avait rpondupar crit des questions formules galement par crit, dans un premier jet, sans les rviser,

    non pas parce quil avait foi en la vertu de la spontanit, mais pour y laisser le caractre

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    problmatique, volontairement incertain, il ajoute cette phrase dlicieuse: Ce que jai dit lnest pas ce que je pense mais souvent ce dont je me demande si on ne pourrait pas lepenser 17 .

    Ce caractre quon dirait exprimental de la pense est lun des traits les plusremarquables chez certains auteurs contemporains. Toutes proportions gardes, GiorgioAgamben rappelle ce propos que la littrature et la pense font des expriences, de mmeque la science. Mais alors que la science a en vue de prouver la vrit ou la fausset dunehypothse, la littrature et la pense poursuivent un autre but. Ce sont des expriences sansvrit : Avicenne propose son exprience de lhomme volant, et dmembre en imaginationle corps dun homme, morceau par morceau, pour prouver que, mme bris et suspendu, ilpeut dire encore Je suis. Kleist voque le corps parfait de la marionnette commeparadigme de labsolu; Heidegger substitue au moi somatique un tre vide et inessentiel.

    Selon Agamben, il faut se laisser aller de telles expriences, par lesquelles on risque moinsnos convictions que nos modes dexistence 18. Chez Deleuze, ds son Nietzsche et laphilosophie, ce point central tait dj acquis les concepts crs appellent et exprimentdautres manires dexistence, dautres modes de vie et dautres subjectivits. Cest l o laphilosophie dlaisse sa soumission la connaissance et devient critique et invention: Unepense qui irait jusquau bout de ce que peut la vie, une pense qui mnerait la vie jusquaubout de ce quelle peut. Au lieu dune connaissance qui soppose la vie, une pense quiaffirmerait la vie [...] Penser signifierait ceci: dcouvrir, inventer de nouvelles possibilits devie 19. Le surhomme naurait dautre sens que celui-ci : une nouvelle manire de sentir, depenser, dvaluer, une nouvelle forme de vie, un autre type de subjectivit.

    Subjectivation et dsubjectivation

    On touche l lun des points les plus aigus de cette gnration de philosophes, laquelle nousavons t particulirement sensibles. Foucault la rpt maintes fois : face au besoin de sortirdune hgmonique philosophie du sujet, il a d ouvrir une voie qui dboucherait sur sadestruction relle, sa dissociation, son explosion, son retournement en quelque chosedentirement diffrent 20. Il lui a fallu retourner la dmarche philosophique de remonte versle sujet constituant auquel on demande de rendre compte de ce que peut tre tout objet deconnaissance en gnral ; il sagit au contraire de redescendre vers ltude des pratique concrtes

    par lesquelles le sujet est constitu dans limmanence dun domaine de connaissance 21.

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    On ne peut pas nier quil la fait de plusieurs manires tout au long de son trajet, soit encomprenant les diffrents sujets (parlant, travaillant, vivant) comme indissociables des modesdobjectivation, ou des partages normatifs (sujet fou, malade, dlinquant), soit en recons-

    tituant les modes de subjectivation qui correspondent des modes dobjectivation pour soi-mme (sujet de sexualit), soit de souci de soi, etc. Or, mme si la discontinuit de ceparcours est vidente, et a t remarque avec justesse par plusieurs commentateurs, il nenreste pas moins quil y a l des lignes qui se croisent, se traversent, se composent oubifurquent. Agamben a eu le mrite den proposer une formulation clairante: Dans lesderniers travaux de Foucault, il y a une aporie qui me semble trs intressante. Il y a dunepart tout le travail sur le souci de soi: il faut se soucier de soi, dans toutes les formes depratique de soi. Et en mme temps, plusieurs reprises, il nonce le thme apparemmentoppos: il faut se dprendre de soi. Il dit plusieurs fois: On est fini dans la vie si lon

    sinterroge sur son identit; lart de vivre, cest dtruire lidentit, dtruire la psychologie.Donc il y a bien ici une aporie: un souci de soi qui doit aboutir une dprise de soi. Unemanire dont on pourrait poser la question, cest: quest-ce que cest quune pratique de soi,non pas comme processus de subjectivation, mais comme pratique qui naboutirait aucontraire qu une dprise, qui trouverait son identit uniquement dans une dprise de soi? Ilfaudrait pour ainsi dire se tenir en mme temps dans ce double mouvement, dsubjectivationet subjectivation 22. Or, lauteur reconnat la difficult de soutenir cette rgion interm-diaire, o pour ainsi dire le sujet assiste une dsubjectivation ou une dbcle, tout envitant que la subjectivation compensatoire se cristallise sur un assujettissement identitaire.Or Deleuze et Guattari le disaient leur manire dj avec LAnti-dipe, quand ils insistaientsur la force de dterritorialisation (avec les dsubjectivations qui en dcoulent), de mme quesur les reterritorialisations (dipiennes, signifiantes, avec les resubjectivations identitaires)

    tout cela faisant partie de la dynamique capitalistique. Do cette vidence, dans ce passagede la philosophie la thorie sociale, comme la indiqu Safatle, que la vraie critiquephilosophique de la raison ne pourrait qutre une clinique de nos formes de vie 23 .Or, la philosophie de Deleuze ds sa formulation positive revendiquait le domaine delimpersonnel, de lvnement, des singularits pr-individuelles, des devenirs. Comme ledit lintroduction Diffrence et rptition : Ni particularits empiriques ni universel abstrait:Cogito pour un moi dissous. Nous croyons un monde o les individualits sont imperson-

    nelles, et les singularits, pr-individuelles : la splendeur de ON ... Ce que ce livre aurait

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    d rendre prsent, cest donc lapproche dune cohrence qui nest pas plus la ntre, celle delhomme, que celle de Dieu ou du monde 24. Nul besoin de le justifier devant aucun tribunalgologique. Finalement, un vnement, un devenir, quest-ce que cest, sinon un processus

    de dsubjectivation qui nous arrache nos identits donnes et libre des dimensions pr-personnelles, inhumaines, post-humaines ?Pensons la description de la promenade de Lenz par Bchner, dans les premires pages deLAnti-dipe la manire quil a de porter en soi les pierres, les minraux, les vgtaux, lesflux du cosmos, en refusant famille, religion, patrie. Or, le schizo cest celui quon veutrendre son moi dont il ne veut rien savoir. Cest comme si, ds le dbut, pour cepersonnage conceptuel, lcart entre dsubjectivation et subjectivation ntait pas unproblme, ntait pas son problme. Ce nest pas quil ne soit pas expos tous ceux quiaimeraient interrompre son processus, mais la fuite est premire. Voil un postulat

    ontologique dont les implications politiques ne sont pas mineures. De tels processus desingularisation positifs, dans le prolongement desquels se produisent ventuellement dessubjectivations collectives, individualisations temporaires, univers incorporels, territoiresexistentiels, mme nomades, ne dpendent pas ni ne refltent forcment pas ce quoi ilssopposent ou ce quils fuient, ltat, ldipe, le Signifiant, le Capital, lquivalent gnral.Par consquent, ce tlescopage entre dsubjectivation et subjectivation peut dboucher sur unassujettissement ou une capture, bien sr, mais que des lignes autres sont galementpossibles! L o Agamben voit un cart, un vide ou un reste entre dsubjectivation et subjec-tivation, sur lesquels il peut appuyer son espoir ou son messianisme, Deleuze et Guattari dsle dbut verraient autre chose non pas un reste, un vide, mais une espce dexcs, devirtualit complexe, qui ouvre vers toute une micropolitique et une rhizomatique.Peut-tre que cette diffrence de perspective en recoupe une autre, plus profonde, lie ladistance entre lide de vie nue et celle dune vie. Une vie telle que Deleuze la conoit cest lavie comme virtualit, diffrence, invention de formes, puissance impersonnelle, batitude.Vie nue au contraire, telle quAgamben la thorise, cest la vie rduite son tat de simpleactualit, indiffrence, difformit, banalit biologique, par un tat dexception ou par lesmcanismes biopolitiques dcrits dans la srie Homo Sacer. Si ces positions sont tellementopposes et surposes la fois, cest parce que dans le contexte biopolitique la vie elle-mmeest le champ de bataille. Parfois cest dans lextrme de la vie nue quon dcouvre une vie. Il

    faudrait se librer de la diabolisation claustrophobique dun pouvoir omniprsent,

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    omniscient, omni-invasif, mais aussi refuser toute euphorie lgard dune bio-puissanceinpuisable disponible partout. Ni catastrophisme ni jubilation. Il sagit datteindre un plan partir duquel on pourrait relancer lexprimentation hsitante, partir dune matire vitale,

    quon pourrait galement appeler dsir si ce mot tait dpouill de toute la virilit aveclaquelle le biopouvoir la cod, ou la grosse sant dominante sen est empar.Muriel Combes a eu le mot juste propos de laporie agambenienne : Pour Agamben, laproduction dune vie nue, cest dire dune vie spare de ses formes, est lhorizon ou latentative toujours recommence du bio-pouvoir qui sexerce dans les tats modernes. Ilarrive ds lors que des vies deviennent de pures et simples vies nues : ainsi en va-t-il de lafigure du musulman [...] L apport essentiel de cette analyse est davoir isol la vise deproduction dune vie nue. Mais il ne me semble pas quelle parvienne clairer la naturedu bio-pouvoir et les possibilits contemporaines de la politique. supposer avec Agamben

    que le pouvoir, ds lors quil prend pour objet la vie des individus et des populations, vise produire une vie nue, celle-ci ne peut tre quune limite, un point critique, pour unpouvoir dont le mode dexercice est, pour reprendre lexpression de Foucault, laction surdes actions. Car la vie sur laquelle un bio-pouvoir a prise est une vie toujours informe, unevie capable de diverses conduites, et pour cette raison, toujours susceptible dinsoumission25. Quand le pouvoir prend en charge la vie, cest toujours des manires de vivre dont ilsagit impossibilit de sparer lide de vie des rapports dans lesquels elle fait corpsdans les termes de Combes, il sagit de concevoir une insparabilit entre vie et subjec-tivit. Comme elle le montre bien, cela devient encore plus clair chez Canguilhem ouSimondon, o la vie ne peut pas tre conue comme une matire vide de subjectivit. Lavie sur laquelle sexerce le pouvoir est toujours une vie capable de conduites. Oncomprend quel point tout cela est dcisif quand on le pense dans des contextes sociauxextrmes, du camp de concentration aux autistes de Deligny, avec limagination politiquequil sagit de recouvrir.Le dfi est de rejeter la fois deux positions antagoniques, mais plus complices quelles nenont lair : lhumanisme emprisonn dans lide dune subjectivit spare de linhumain, aveclarrogance moderne dont on constate partout les dangers et dgts, dun ct, et de lautre,le sinistrisme enferm dans lobsession dune vie dnue de subjectivit, en proie aubiopouvoir tout puissant et coextensif lhistoire, qui par consquent fait appel un

    messianisme seul capable de la sauver. Dans les deux cas, la difficult est de penser

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    politiquement cette insparation entre vie et subjectivit, problme auquel Simondon aapport sa rponse mtaphysique, mme si son implication politique reste laborer.

    La majorit, les devenirsDans cette ligne, Mille Plateaux a rendu lhomme au rhizome matriel et immatriel qui leconstitue, quil soit biopsychique, techno-social ou smiotique. Au-del et en de desmirages o lhomme se contemple, et des figures visibles quil voit au long de lHistoire, ilsagit soit de cueillir des mouvements de dterritorialisation, la singularit des vnements,les subjectivits qui sannoncent. Or, le rle mme du philosophe qui en rsulte change. Ildevient une espce dartisan cosmique, prt laborer une matire de pense capable de saisirla myriade des forces en jeu et faire de la pense mme une force du Cosmos. Si lon voulaitmesurer la distance entre cet artisan cosmique et le pyrotechnicien de Foucault, il faudrait

    reprendre lethos philosophique tel quil la expos dans son texte Quest-ce que lesLumires 26?. Il y rappelle que la critique sest occupe en gnral des limites de ce quonpeut connatre ou aspirer notre tche, en revanche, plus positive, serait de reprer, dans cequi nous est donn en tant quuniversel, ncessaire, obligatoire, ce quil y a de singulier et decontingent. la critique pense comme limitation ncessaire, il sagit de substituer unecritique pratique dans la forme de la traverse possible, du dpassement. Donc, au lieu dedduire de ce que nous sommes ce qui nous est impossible de penser ou de faire, il sagiraitdextraire de la contingence qui nous a fait tre ce que nous sommes, la possibilit de ne plustre, faire ou penser ce que nous sommes, faisons et pensons. Or voil ce qui nouspermettrait de sortir de ltat de minorit que Kant critiquait, dans le cadre dune ontologiehistorique du prsent, o lanalyse historique des limites qui nous sont imposs sassocielexprimentation de son dpassement, par un travail sur nous-mmes.Face cette conception de lmancipation de la tutelle, que Diogo Sardinha a qualifie dedevenir majeur, Deleuze aurait choisi une autre voie, celle du devenir mineur27. La sortie de latutelle, ou de ltalon majoritaire (lhomme-blanc-mle-europen-rationnel-urbain), passesurtout par des mouvements de minoration, par les devenirs-mineurs, par les processusrebelles aux modles que parfois eux-mmes risquent de secrter. Do limportance dudevenir-femme, devenir-enfant, devenir-animal, devenir-ngre, devenir-molcule, devenir-intense, devenir-imperceptible. Il leur revient la tche de dfier le modle humain, universel,

    anthropocentrique, clair, moderne. Dans ce sens, comment conqurir la majorit est un

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    problme secondaire face aux chemins de limperceptible, rpond Deleuze Negri mme siDeleuze, avec Guattari, est loin de ddaigner non seulement larticulation transversale de cesdevenirs-mineurs, mouvements singuliers, minorits, mais aussi les machines de guerre des

    niveaux plus molaires, ou mme gopolitiques il suffirait de rappeler lintrt de Guattaripour le parti des travailleurs au Brsil, lors de sa fondation par Lula 28.Dans le contexte qui est le ntre, dans la dernire dcennie, il faudrait faire mention de deuxcourants qui ont prolong ces inspirations, mme sils vont dans des directions diffrentes.Dun ct, la rflexion apporte par les hritiers de lautonomie italienne, macre dans desluttes concrtes, qui, partir de lontologie constitutive de Negri, ont ouvert une voienouvelle pour penser la vie multitudinaire, la constitution du commun et les modalits dersistance dans le contexte biopolitique actuel, vu la monte du travail immatriel, lesnouvelles formes de pouvoir au sein dune socit de contrle mondialise, dans le cadre

    spcifique des ingalits historiques en Amrique Latine, avec lhritage esclavagiste, lessegmentations et sgrgations raciales, les mouvements indignes, mais aussi les mtissages,les hybridations, etc. 29. Dun autre ct, limpact de lanthropologie immanentiste deEduardo Viveiros de Castro, qui, avec son perspectivisme amrindien, a brouill les cartes dela modernit, en radicalisant le sens dune dcolonisation de la pense occidentale, dans uncontrecoup leurocentrisme, en approfondissant le geste anthropophage dOswald deAndrade. Renversement ontologique, mtaphysique, anthropologique, cosmopolitique, dontla capacit de mettre en question la gopolitique de la pense contemporaine est encore undfi ouvert. On comprend que lauteur ait choisi la philosophie de Deleuze commelinstrument le plus appropri pour retransmettre la frquence donde quil tait prt capter dans la pense amrindienne 30.Or, il est curieux de constater la distance incommensurable entre ces deux approches, quonne peut survoler que dans le vertige: dun ct un matrialisme suprieur, centr sur ladimension immatrielle de la production; dun autre ct, un animisme transcendantal,appuy toujours sur les corps, et laffrontement des points de vue. Dun ct un produc-tivisme ontologique, dun autre, une suffisance intensive , dans un ple la rvolution,dans lautre, la descente anthropophage dont le sens nous reste redcouvrir 31... Etmme dans la tonalit affective, dun ct un certain militantisme activiste, de lautre uneespce de rsistance passive, parfois la Bartleby, mais on ne peut plus caustique. Comme

    disait un philosophe subtil, cest une joie quand on a deux penses au lieu dune seule.

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    Pourquoi donc essayer de les mler, ou den faire une synthse? Ce qui vaut pour Deleuze etNegri, Foucault et Deleuze, Foucault et Agamben, ou pour Deleuze et Simondon, vautgalement pour ces deux approches qui ont leur mot dire sur les inflexions dont notre

    continent, et le Brsil en particulier, a t la scne dans la dernire dcennie. Pour ma part,pour qui tous ces auteurs, penses, vents, vnements sont source dinspiration pour pensernotre actualit, dans le contexte singulier qui est le ntre, dautant plus que ces dmarchesprolongent des lignes de pense qui me sont chres, je me permets de demander si cessonorits philosophiques ne seraient pas lindice, mme fuyant, dune mutation collective encours. Peut-tre serait-il opportun de demander, non pas qui parle, ni de quel lieu onparle, peut-tre mme pas de quoi on parle, mais comme le suggrait Guattari, quest-ce qui parle travers nous?

    NOTES

    1. G. W. F. Hegel, Leons sur la philosophie de lhistoire, trad. Jean Gibelin revue parJean Gilson, Paris, Vrin, 1987, p. 80.2. L. Fldnyi, Dostoevski lit Hegel en Sibrie et fond en larmes, traduit du hongrois,Paris, Actes Sud, 2008, p. 19.3. J. P. Faye, Le Vrai Nietzsche : Guerre la guerre, Paris, Hermann, 1998, p. 34.4. G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, Paris, PUF, 1973, p 126. Le texte deNietzsche auquel Deleuze fait rfrence est Par-del le bien et mal : Il semble que rgnechez les moralises la haine de la fort vierge et des climats tropicaux, et quil faille tout prix discrditer lhomme tropical en le prsentant comme une forme morbide et

    dgnre de lhomme, ou comme son propre enfer et son propre bourreau. Et tout celapourquoi? Au profit des zones tempres? Des hommes modrs? Des hommes moraux?Des mdiocre? mettre au chapitre de la morale de la peur. Paris, 10/18, UGE, 1973,p. 154, traduction de G. Bianquis.5. Eduardo Viveiros de Castro, Mtaphysiques cannibales, PUF, Paris, 2009, p. 4, o onlit: Lanthropologie est prte assumer intgralement sa nouvelle mission, celledtre la thorie-pratique de la dcolonisation permanente de la pense .6. Idem, p. 8.7. Pour ce qui en est de Deleuze, on peut faire rfrence, avec des inflexionsdiffrentes, aux textes de Bento Prado Jr, un livre pionnier de Roberto Machado, auxtraductions et au travail de Luiz B. L. Orlandi, aux initiatives ditoriales et dereprage dric Alliez, et au travail inventif qui ne cesse dapprofondir et dlargirces perspectives dans des champs divers, fait par Suely Rolnik, Laymert Garcia dosSantos et tant dautres qui mriteraient dtre cits ici. Pour Foucault la liste serait

    galement longue, avec Roberto Machado, Grard Lebrun, Renato Janine Ribeiro, SalmaTannus Muchail, Ernani Chaves, Mrcio Alves da Fonseca, Denise SantAnna, Durval Muniz de

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    CORPUS

    Albuquerque, Jurandir Freire Costa, Chaim Katz, Joel Birman, avec toute linjusticeimplique par une liste si sommaire.8. Idem, p 61.9. M. Foucault, Dits et crits (dsormais DE), Paris, Gallimard, 1994, vol. III, p. 785.10. Idem, DE, IV, p. 46.

    11. Idem, DE, IV, p. 50.12. Idem, DE, IV, p. 44.13. Idem, ibidem.14. Idem, DE, IV, p. 47.15. Idem, DE, III (?).16. Idem, DE, III (?).17. Idem, DE, III, p. 428.18. G. Agamben, Bartleby ou la cration, Saulxures, Circ, 1995, p. 57.19. G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, Paris, PUF, 1973, p. 115.20. DE, IV, Interview Trombadour.22. Une biopolitique mineure , interview avec Stany Grelet et Mathieu Potte-Bonneville,Vacarme, 2000.23. Vladmir Safatle, Folha de So Paulo, 11/07/2012, Para alm de dipo .24

    . G. Deleuze, Diffrence et rptition, Paris, PUF, 1968, p. 5.25. Muriel Combes, La Vie inspare, Paris, Dittmar, 2011, p. 90.26. M. Foucault, Quest-ce que les Lumires? , DE, IV.27. On suit ici lexcellent article indit de Diogo Sardinha, Devenir majeur, devenirmineur.28. Cf. Flix Guattari et Suely Rolnik : Micropolitiques, d. Les Empcheurs de penser enrond, Paris, 2007.29. Cf. A. Negri et G. Cocco, GlobAL, Luttes et biopouvoir l'heure de la mondialisation: le casexemplaire de l'Amrique latine, Paris, ditions Amsterdam, 2007, et G. Cocco, MundoBraz: Odevir-mundo do Brasil e o devir-Brasil do mundo, Rio de Janeiro, Record, 2009.31. Expression trouve par Eduardo Viveiros de Castro chez Oswald de Andrade, et en coursdlaboration, paratre prochainement dans un livre de lauteur, en collaboration avecAlexandre Nadori sous le titre: Do matriarcado primitivo sociedade contra o Estado ealm: Cartografia da descida antropfaga (From the primitive matriarchy to the society

    against the state and beyond. Cartography of the anthropophagus descent), n-1 Edies,So Paulo/Helsinki, dition bilingue.