Quel est le sens de la Mission Enseignement et Religions (MER) dans le processus global de la...

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De l’enseignement du fait religieux au fait religieux dans la culture, un nécessaire besoin de clarification, de sensibilisation et de formation. La question de la prise en compte du Fait religieux est aujourd'hui un enjeu des réformes éducatives, en France, dans toute l'Europe et dans les autres parties du monde. L’actualité de ces dernières semaines est là pour nous le rappeler... En France, les différents ministères de l'Education nationale ont tous insisté, depuis le rapport Joutard de 1989, et plus encore le rapport de Régis Debray, dont nous venons de fêter les 10 ans, sur la nécessaire prise en compte du Fait religieux dans l'Enseignement, d'abord pour des raisons d'enseignement, mais plus largement pour construire un vivre ensemble. L'enquête européenne de 2008 dont les résultats ont été diffusés par l'Institut Européen en Sciences des Religions (IESR), montre l'intérêt croissant des jeunes sur les questions existentielles, spirituelles et religieuses. L’enquête du magazine l’Etudiant de mars 2011 montre aussi les inquiétudes des jeunes étudiants en Master face à cette question et à son enseignement. Ils se trouvent souvent confronté à un problème d’inculture et se posent souvent des questions sur la posture à tenir face aux élèves. Et pourtant d'une manière générale, la "question religieuse" est devenue une clé de lecture des événements du monde contemporain. La production littéraire et celle des arts visuels qui ont le plus d'impact ces dernières années le montrent bien. La dimension religieuse est de plus en plus explicite dans tous les évènements géopolitiques, du Tibet au Proche-Orient ou même du Mali ou du Venezuela , sans oublier le Moyen Orient, comme elle l'est de plus en plus dans la réflexion autour des problèmes de société et d’éthique. De même, les débats autour des questions scientifiques intègrent de plus en plus des questions d'ordre anthropologique, éthique, métaphysique et religieux. Tout cela se répercute à l'école où les enseignants ont à aborder ces questions et à en traiter de bien des manières. La gestion de l'hétérogénéité croissante de la population scolaire et des nouveaux métissages culturels pose également, aux enseignants, de nouveaux défis éducatifs. Comme le souligne le rapport annexé à la loi n°2005- 380 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 23 avril 2005 ainsi que les actes du séminaire national organisé les 21 et 22 mars 2011 par la DGESCO en partenariat avec l'Institut européen en sciences des religions aujourd’hui les recommandations vont toutes dans le sens d’une religion à l’école comprise comme culture et patrimoine et insistent sur la nécessité de : combler les lacunes de la transmission dues à la sécularisation de la société ; permettre un accès à la culture religieuse sans laquelle une bonne part de notre patrimoine reste inaccessible ; pouvoir reconnaître les valeurs éthiques et sociales portées par les religions ; fournir aux élèves et aux enseignants une information vérifiée, sereine, destinée à faire barrage aux intégrismes qui prospèrent sur l’ignorance. L’évolution du BO et des nouveaux programmes est marqué par ces orientations. A commencer par le socle commun de 2006 et le pilier 5 qui développe l’enseignement du fait religieux. Ont suivi le BO de 2008 concernant l’histoire des arts puis tous les nouveaux programmes du collège et du lycée imprégnés, à différents degrés et de manière explicite ou implicite, sur la nécessité de la prise en compte de la dimension religieuse de la transmission culturelle inhérente à chaque discipline. « Il était une fois la mosquée de Cordoue, le codex de l’apocalypse, la Sainte Chapelle, la Nativité de Giotto... » Toutes ces œuvres magnifiques nous racontent la prodigieuse inventivité des êtres humains, la richesse de leur imaginaire, les prouesses techniques dont ils sont capables pour les exprimer. Que de splendides livres d’histoires... et d’Histoire ! Mais ces « il était une fois » sont aussi bien souvent des histoires de ... foi ! Pendant longtemps, l’école a voulu ignorer ce phénomène, au nom d’une laïcité trop étroitement comprise, voire « combattante ». C’était confondre un peu vite la religion et l’étude raisonnée du fait religieux. Selon Régis Debray, le fait religieux « s’inscrit en profondeur dans l’histoire, la géographie, comme dans la littérature et le cinéma... ». Il est « partie intégrante de la réalité collective. Pour tous, élèves ou enseignants,

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De l’enseignement du fait religieux au fait religieux dans la culture, un nécessaire besoin de clarification, de sensibilisation et de formation.

La question de la prise en compte du Fait religieux est aujourd'hui un enjeu des réformes éducatives, en France, dans toute l'Europe et dans les autres parties du monde. L’actualité de ces dernières semaines est là pour nous le rappeler... En France, les différents ministères de l'Education nationale ont tous insisté, depuis le rapport Joutard de 1989, et plus encore le rapport de Régis Debray, dont nous venons de fêter les 10 ans, sur la nécessaire prise en compte du Fait religieux dans l'Enseignement, d'abord pour des raisons d'enseignement, mais plus largement pour construire un vivre ensemble. L'enquête européenne de 2008 dont les résultats ont été diffusés par l'Institut Européen en Sciences des Religions (IESR), montre l'intérêt croissant des jeunes sur les questions existentielles, spirituelles et religieuses. L’enquête du magazine l’Etudiant de mars 2011 montre aussi les inquiétudes des jeunes étudiants en Master face à cette question et à son enseignement. Ils se trouvent souvent confronté à un problème d’inculture et se posent souvent des questions sur la posture à tenir face aux élèves. Et pourtant d'une manière générale, la "question religieuse" est devenue une clé de lecture des événements du monde contemporain. La production littéraire et celle des arts visuels qui ont le plus d'impact ces dernières années le montrent bien. La dimension religieuse est de plus en plus explicite dans tous les évènements géopolitiques, du Tibet au Proche-Orient ou même du Mali ou du Venezuela , sans oublier le Moyen Orient, comme elle l'est de plus en plus dans la réflexion autour des problèmes de société et d’éthique. De même, les débats autour des questions scientifiques intègrent de plus en plus des questions d'ordre anthropologique, éthique, métaphysique et religieux. Tout cela se répercute à l'école où les enseignants ont à aborder ces questions et à en traiter de bien des manières. La gestion de l'hétérogénéité croissante de la population scolaire et des nouveaux métissages culturels pose également, aux enseignants, de nouveaux défis éducatifs. Comme le souligne le rapport annexé à la loi n°2005-380 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 23 avril 2005 ainsi que les actes du séminaire national organisé les 21 et 22 mars 2011 par la DGESCO en partenariat avec l'Institut européen en sciences des religions aujourd’hui les recommandations vont toutes dans le sens d’une religion à l’école comprise comme culture et patrimoine et insistent sur la nécessité de :

combler les lacunes de la transmission dues à la sécularisation de la société ;

permettre un accès à la culture religieuse sans laquelle une bonne part de notre patrimoine

reste inaccessible ;

pouvoir reconnaître les valeurs éthiques et sociales portées par les religions ;

fournir aux élèves et aux enseignants une information vérifiée, sereine, destinée à faire barrage

aux intégrismes qui prospèrent sur l’ignorance.

L’évolution du BO et des nouveaux programmes est marqué par ces orientations. A commencer par le socle

commun de 2006 et le pilier 5 qui développe l’enseignement du fait religieux. Ont suivi le BO de 2008

concernant l’histoire des arts puis tous les nouveaux programmes du collège et du lycée imprégnés, à différents

degrés et de manière explicite ou implicite, sur la nécessité de la prise en compte de la dimension religieuse de

la transmission culturelle inhérente à chaque discipline.

« Il était une fois la mosquée de Cordoue, le codex de l’apocalypse, la Sainte Chapelle, la Nativité de

Giotto... »

Toutes ces œuvres magnifiques nous racontent la prodigieuse inventivité des êtres humains, la richesse de

leur imaginaire, les prouesses techniques dont ils sont capables pour les exprimer. Que de splendides livres

d’histoires... et d’Histoire ! Mais ces « il était une fois » sont aussi bien souvent des histoires de ... foi !

Pendant longtemps, l’école a voulu ignorer ce phénomène, au nom d’une laïcité trop étroitement comprise,

voire « combattante ». C’était confondre un peu vite la religion et l’étude raisonnée du fait religieux. Selon

Régis Debray, le fait religieux « s’inscrit en profondeur dans l’histoire, la géographie, comme dans la

littérature et le cinéma... ». Il est « partie intégrante de la réalité collective. Pour tous, élèves ou enseignants,

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son étude relève de la culture générale... ». Aujourd’hui les disciplines scientifiques sont aussi concernées

du fait des nouveaux enjeux bioéthiques mais aussi épistémologiques de ces enseignements.

Il s’agit donc de proposer aux élèves une approche historique et sociologique du phénomène religieux, dans

toutes ses composantes, dans la mesure où l’un des rôles fondamentaux de l’école est de donner aux élèves

ces repères culturels indispensables à la compréhension du monde dans lequel ils évoluent.

En effet, le silence de fait établi à l’école autour du phénomène religieux ne prive-t-il pas les élèves d’une

importante clé de compréhension du monde ? Comment lire et comprendre une enluminure du Moyen-Age,

une mosaïque de l’Alhambra, un tableau de Raphaël ou de Chagall sans cette dimension, au cœur même du

projet de l’artiste qui en est l’auteur ?

Ce moine, penché sur son écritoire, dans l’atelier de copie de son monastère, peut-on imaginer de l’étudier

en faisant abstraction du contexte historique et culturel qui donne sens à son entreprise ? Et qui fera donc

sens pour les élèves.

Car c’est bien la question : à quoi peut donc bien servir d’étudier consciencieusement les différences

architecturales entre une cathédrale romane et une cathédrale gothique, une synagogue et une mosquée, hors

de toute approche culturelle et religieuse de ces monuments ?

De plus, vouloir ignorer le fait religieux dans l’enseignement, n’est-ce pas aussi exclure ce champ important

de l’activité humaine de toute analyse critique, de tout recul historique ? Comment une école qui se veut

ouverte sur le monde pourrait-elle ne rien avoir à dire sur le fait religieux, alors que les jeunes y sont sans

cesse confrontés, que ce soit dans les médias, ou dans leur vie quotidienne ?

L'Enseignement catholique ne peut considérer l'enseignement du Fait religieux comme facultatif : tout élève, quelle que soit sa religion ou sa non-croyance, quelles que soient les motivations de ses parents dans le choix de l'établissement, a le droit de découvrir la dimension religieuse de la culture. Voici ce que disait Paul Malartre en 2002, lors de la création de la mission Enseignement et religions : « C'est au nom de sa participation au service public d'Education, au nom de sa participation à l'école de la République que l'Enseignement catholique se doit de prendre toute sa part à l'effort entrepris par notre Nation pour que dans le cadre d'une laïcité apaisée, le Fait religieux ne soit pas oublié ou soupçonné, mais intégré à l'enseignement…Tout enseignant est alors concerné, pas seulement parce qu'il est dans l'Enseignement catholique mais parce qu'il est enseignant. Il est clair que notre priorité est d'arriver à sensibiliser tous les enseignants à la dimension spirituelle, symbolique et religieuse de leur enseignement… » L’enseignement du fait religieux doit donc être assuré par des professeurs compétents, formés à une posture d’enseignant capable d’empathie et de distanciation de manière à former à l’esprit critique. Tous les enseignants et toutes les disciplines sont concernés et peuvent être impliqués dans cet enseignement. Ce travail est distinct de la catéchèse et de l’annonce explicite de l’Evangile. Une transdisciplinarité peut être envisagée, partant d’une crédibilité disciplinaire. De plus une approche globale de la question religieuse dans les établissements catholiques est également à poursuivre avec un souci de clarification : quelle cohérence est à l’œuvre, quelle articulation avec une approche Pastorale et quelle complémentarité mais dans la distinction ? On pourrait ici rappeler la devise de la mission enseignement et religions : « Distinguer sans séparer/ Unir sans confondre ». Il s’agit d’être attentifs à ces questions, non par prosélytisme, mais pour deux raisons essentielles : • La prise en compte du fait religieux est un élément essentiel de la culture contemporaine sans lequel il n’est pas possible de comprendre le monde dans lequel nous vivons. De surcroît, dans une société où beaucoup de nos concitoyens disent être à la recherche de sens, l’ouverture sur le fait religieux est aussi une porte entr’ouverte sur l’importance des représentations et du symbolique pour la vie de chacun d’entre nous. L’Enseignement Catholique, par son histoire et ses fondements, a sans doute une responsabilité particulière, notamment pour la formation des enseignants. « Si nous avons éviter le choc des cultures, il nous faut désormais éviter le choc des ignorances » / Cardinal Tauran (doctorat honoris causa de l’ICP) • L’enseignement du fait religieux est également un moyen qui permet d’assurer, dans le respect du principe de laïcité, une cohérence de la proposition éducative de l’Enseignement catholique qui, dans le respect absolu des consciences et de la liberté de chacun, va de la culture à la foi, en passant par les différentes étapes que sont l’enseignement du fait religieux, la formation à la culture chrétienne, la première annonce, la catéchèse.

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En d’autres termes, dans un établissement catholique, l’enseignement du fait religieux pour tous les élèves dans le respect de la laïcité ne peut pas être séparé de la spécificité religieuse d’un tel établissement qui constitue un aspect essentiel de son caractère propre. Par conséquent, si la distinction des registres (culture / foi) est indispensable, ce qui fait l’originalité de l’Enseignement catholique, c’est le fait d’offrir, dans un seul et même lieu une formation intégrale de la personne. L’apprentissage du fait religieux par l’élève n’a pas seulement pour objet de lui faire acquérir des connaissances supplémentaires ou de compléter et d’enrichir des savoirs littéraires, scientifiques ou artistiques, mais de lui transmettre une culture qui comporte une dimension religieuse. Ainsi, celui qui y est disposé, peut-il glisser de la connaissance à la vie intérieure, et de la vie intérieure à la vie spirituelle.

Eric de Labarre a redit lors du regroupement national des coordinateurs de la mission E§R du Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique des 21 et 22 janvier 2013 que cette mission reste, au bout de 10 ans, un des axes prioritaires de l’animation institutionnelle que le SGEC entend mener à bien. Il s’agit même d’un axe d’animation plus prioritaire que jamais.

Ce travail se poursuit à tous les niveaux de l’enseignement catholique. La fédération Formiris garde dans ses orientations le souci de former les enseignants dans ce domaine spécifique. Le groupe de pilotage fédéral de Formiris « citoyenneté et humanisme » a reformulé le cahier des charges à destination des organismes de formation. Dans le même temps un travail de proximité avec les associations territoriales se poursuit pour la formation continue. Avec les universités catholiques c’est la formation initiale qui doit être assurée pour préparer les futurs enseignants à la prise en compte du fait religieux dans leurs disciplines. Avec l’Ecole des cadres missionnés (ECM), il faut poursuivre le travail de clarification pour les chefs d’établissements, de même pour la formation des adjoints en pastorale. Enfin le site internet Enseignement et religions déjà très riche en références et en illustrations pédagogiques poursuit son travail de mise en ligne de documents. Il est la vitrine de la vitalité des groupes de mutualisation initiés dans les différentes régions. En conclusion on pourrait relire si besoin l’exposé préliminaire de « Gaudium et Spes », dont le propos paraît d’une étonnante actualité : Le genre humain vit aujourd’hui un âge nouveau de son histoire (…) on peut parler d’une véritable métamorphose sociale et culturelle dont les effets se répercutent jusque sur la vie religieuse (…). Marqués par une situation si complexe, un très grand nombre de nos contemporains ont beaucoup de mal à discerner des valeurs permanentes (…). Une inquiétude les saisit et ils s’interrogent avec un mélange d’espoir et d’angoisse sur l’évolution actuelle du monde. Celle-ci jette à l’homme un défi ; mieux, elle l’oblige à répondre ». Nous voici donc aujourd’hui à Marseille pour une session nationale entièrement préparée par l’ISTR de l’institut catholique de Méditerranée en lien avec le groupe territorial de la mission E§R (le groupe MER). Depuis plusieurs années une dynamique se développe autour des directeurs diocésains, de Formiris Méditerranée et des coordinateurs de la région. C’est un projet incarné d’une ampleur sans précédent ! Autour de la question de la pluralité religieuse à l’école, l’enjeu est bien la prise en compte de la dimension religieuse dans l’enseignement et plus encore dans le travail quotidien d’éducation des communautés éducatives des établissements catholiques. Une session articulée avec pas moins de 12 conférences, des sites de visites, des ateliers pédagogiques, du cinéma, du théâtre… Il va falloir être en forme car les organisateurs ont préparé de nombreuses surprises et le rythme va être intensif !! Je vous invite donc à poursuivre dans la suite de ces journées un approfondissement qui fera de vous des enseignants « passeurs de culture » pleinement investis dans les projets éducatifs de vos établissements mais aussi et surtout des éducateurs « passeurs d’humanité » pleinement investis dans leur mission éducative au service des jeunes .

Stève Lepleux, le 18 mars 2013