Quel développement à Madagascar? || Des associations des villes aux associations des champs en...
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsileoAuthor(s): Sophie MoreauSource: Études rurales, No. 178, Quel développement à Madagascar? (Jul. - Dec., 2006), pp. 89-111Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20122548 .
Accessed: 25/06/2014 06:10
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DES ASSOCIATIONS DES VILLES AUX ASSOCIATIONS DES CHAMPS EN PAYS BETSILEO
Sophie Moreau
EN MAI 2000, j'arrivai dans la commune
d'Ambohimahamasina dans le Betsil?o
(au sud-est des Hautes Terres de Mada
gascar) en m?me temps que des personnes re
pr?sentant trois ONG diff?rentes. Intrigu?e par cette co?ncidence, je cherchai ? d?nombrer les
ONG intervenant sur cette commune : il y en
avait treize. Quelques ann?es auparavant, les
paysans ignoraient ? peu pr?s tout de ce
qu'?tait une ONG.
Ambohimahamasina illustrait, de mani?re
spectaculaire, l'irruption, dans les campagnes
malgaches, de nouveaux acteurs, commun?
ment appel?s ? ONG ? en d?pit de leur diversit?
d'origine, de statut et de moyens, qui, dans le
courant des ann?es quatre-vingt-dix, se sont im
pos?s dans les domaines de la protection de la
for?t et du d?veloppement rural [Droy 1999 ; Goedefroit et Razafindralambo 2002]. La pr? sence de ces ONG a suscit? la cr?ation de multi
ples associations paysannes uvrant ? la
gestion des for?ts et au d?veloppement agricole. Dans le Betsil?o, l'implantation d'ONG in
ternationales, 1'eclosi?n d'ONG issues de la
soci?t? citadine et l'?mergence d'associations
paysannes sont indissociables de la mise en
uvre de la politique environnementale mal
gache, appel?e Plan national d'action environ
nementale (PNAE), plan con?u et financ? dans
une large mesure par les acteurs internatio
naux. ONG et associations participent ainsi
d'un continuum entre l'?chelle globale, repr? sent?e par les bailleurs de fonds internatio
naux, et l'?chelle locale, repr?sent?e par la
soci?t? paysanne betsil?o au sein de laquelle elles jouent le r?le de m?diateurs. Elles sont
per?ues par les acteurs internationaux comme
les maillons d'une cha?ne susceptible de v?hi
culer et de diffuser les normes occidentales en
les adaptant au contexte local, et de conduire
ainsi au d?veloppement durable, dont se
r?clame le PNAE.
Cette dynamique associative peut ?tre ap
pr?hend?e sous des angles diff?rents. D'abord, bien s?r, sous l'angle de son efficacit? par rap
port aux objectifs affich?s de la politique envi
ronnementale, dans un pays o? la pr?servation d'une biodiversit?, unique au monde et grave
ment menac?e par les d?frichements paysans,
repr?sente une urgence, non moins que l'am?
lioration des conditions de vie, et notamment de
la s?curit? alimentaire, des populations rurales,
qui figurent parmi les plus pauvres du monde.
La contradiction possible entre ces deux imp? ratifs interroge l'articulation probl?matique entre conservation et d?veloppement.
L'essor des associations pose ?galement la
question de la r?action des soci?t?s concern?es
face ? ces nouvelles structures exog?nes. Les
motivations des acteurs locaux ne s'accordent
pas n?cessairement avec les objectifs des ac
teurs internationaux. La ma?trise de nouveaux
outils socio-organisationnels s'av?re difficile, ? commencer par l'apprentissage du langage
ttude? rurale?, juillet-d?cembre 2006, 178 : 89-112
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Sophie Moreau
90 technocratique utilis? par les bailleurs. Autant
cette appropriation semble relativement ais?e
pour les citadins, qui voient dans les ONG un
moyen d'int?gration ?conomique, sociale et
culturelle ? la modernit?, autant elle semble
plus incertaine pour les paysans, dont les pr?oc
cupations sont tr?s ?loign?es du mod?le envi
ronnemental propos?. En ville comme dans les
campagnes, l'?lite intellectuelle, qui est pass?e
par les bancs de l'?cole ou par l'universit?, sert
de courroie de transmission entre l'univers des
? projets ? et les r?alit?s paysannes. La dyna
mique associative contribue-t-elle ? recom
poser la hi?rarchie sociale existante, gr?ce ?
l'?mergence de ces nouveaux leaders ?
Les r?ponses ? ces questions d?pendent en
partie du fonctionnement de la cha?ne associa
tive. Du point de vue des bailleurs, les ONG
semblent bien plac?es pour jouer les passeurs ?
double sens, par leur capacit? ? susciter des
adaptations r?ciproques des visions et des stra
t?gies [Chartier et Ollitrault 2005]. L'approche
participative en vigueur encourage une m?dia
tion, au sens fort du terme, et pr?sente les re
groupements paysans comme une structure
garante de la mobilisation de la soci?t?, tout en
facilitant l'adoption de strat?gies innovantes et
performantes. S'agissant d'?laborer des politi
ques de protection de la nature, les conf?rences
internationales ont plus d'une fois soulign? la n?cessit? qu'il y a ? prendre en compte les savoirs locaux des peuples autochtones
[Cormier-Salem et Roussel 2002]. Il existe n?anmoins un d?calage entre les
th?ories pr?n?es en mati?re d'aide et les r?a
lisations sur le terrain, maintes descriptions
empiriques montrant les limites de la ? parti
cipation ? ou encore le sens conservateur que
l'on donne ? ce terme [Platteau 2004]. On peut ainsi craindre que la cha?ne associative ne re
produise une dynamique ? descendante ?, de
puis longtemps critiqu?e [P?lissier 1995], o? les ONG ne seraient que les ex?cutantes des
?chelles sup?rieures, qui participeraient ?
une ? ing?rence ?cologique ? [Rossi 2000], voire institueraient un ? n?ocolonialisme
vert? [Hufty ?tal. 1995].
Des acteurs internationaux ? l'?lite citadine
DE LA DEMANDE DES BAILLEURS ? LA
MOBILISATION DE L'?LITE CITADINE
En pays betsil?o, la place accrue des bailleurs
de fonds dans la conception et le financement
des politiques publiques environnementales a
suscit? une redistribution des cartes conduisant
au contournement des partenaires ?tatiques tra
ditionnels ou ? la red?finition de leur champ d'action1. Les bailleurs ont cherch? ? s'ap
puyer sur des acteurs neufs, dignes de
confiance et ind?pendants de l'?tat, en parti culier sur des ONG internationales ou sur des
associations issues de la mobilisation de la so
ci?t? civile. Les ONG ont b?n?fici? du succ?s des approches fond?es sur la participation
communautaire, qu'elles semblent les plus ?
1. Plusieurs projets de d?centralisation administrative
ont vu le jour ces dix derni?res ann?es, qui ont conduit
? la revalorisation de l'?chelle communale et, depuis
2004, ? la cr?ation de nouvelles r?gions. Dans le secteur
de l'environnement, le remodelage des services centraux
a ?t? tr?s net, avec la cr?ation de l'Office national de
l'environnement (ONE), qui s'appuie sur trois agences
publiques sp?cialis?es, et la red?finition du r?le du mi
nist?re des Eaux et For?ts, limit? ? des fonctions de ges
tion technique.
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsil?o
m?me de promouvoir, par leur aptitude ? agir sur le terrain, en partenariat avec les popula tions. Leur t?che consiste alors ? ? monter ?
des associations paysannes autour de la r?ali
sation de petits projets puis ? favoriser leur
ind?pendance progressive en renfor?ant leurs
comp?tences. ? terme, les ONG doivent en
quelque sorte se muer en prestataires de ser
vices, intervenant, ? la demande des groupe ments paysans, dans des domaines ponctuels
[Cuvelier ?d. 2001]. Cette philosophie inspire le PNAE destin?
? la protection de la biodiversit? et du d?ve
loppement rural. Ainsi les villages riverains
des aires prot?g?es et des massifs forestiers
ont-ils ?t? les premiers ? b?n?ficier du transfert
de la gestion des for?ts ? des associations lo
cales sous contrat avec les communes et/ou le
minist?re des Eaux et For?ts, comme le pr? voient la G?lose (Gestion locale s?curis?e, loi
de 1996) et la GCF (Gestion contractuelle des
for?ts, d?finie dans le cadre de la loi foresti?re
de 2001). Depuis 2001, le Programme de sou
tien au d?veloppement rural (PSDR) de la
Banque mondiale propose de financer directe
ment des associations paysannes pour r?aliser
des projets d'int?r?t ?conomique. La bordure orientale du pays betsil?o, no
tamment ? l'est de la petite ville d'Ambalavao,
repr?sente une r?gion cible de cette politique. Le sol y est recouvert d'un massif forestier
dense et relativement pr?serv?. L'extension ?
cet espace du dispositif de protection t?moigne de l'int?r?t que les acteurs de la conservation
portent ? cette for?t2. Celle-ci offre l'avantage
qu'on y acc?de plus facilement que dans d'au
tres for?ts de Madagascar : les villages sont
situ?s ? une cinquantaine de kilom?tres de la
Route nationale 7, ? laquelle ils sont plus ou
moins bien reli?s par des pistes secondaires
prolong?es par des sentiers.
Ce contexte explique l'importance sou
daine, dans les ann?es quatre-vingt-dix, de la
demande, dans la r?gion, en structures de type ONG. Les ONG internationales, sp?cialis?es dans la sauvegarde de la nature et le d?veloppe
ment rural, ont ?t? les premi?res appel?es sur le
terrain. Toutefois le besoin de partenaires et de
relais locaux s'est tr?s vite fait sentir.
Or les acteurs qui uvraient ? l'innovation
agricole ou ? la protection des for?ts ?taient
rares ? cette ?poque dans les campagnes bet
sil?o. Les derni?res actions d'envergure da
taient du milieu des ann?es quatre-vingt, dans
le cadre du programme national Op?ration d?
veloppement rizicole (ODR). Les services du
minist?re des Eaux et For?ts, p?nalis?s par la
faiblesse de leurs moyens et m?l?s ? de mul
tiples affaires de corruption, contenaient mal
la deforestation. Dans un monde rural quasi ment laiss? ? l'abandon, l'organisation des tra
vaux agricoles et la gestion des tensions
sociales reposaient sur les structures sociales
traditionnelles [Razanaka 2000 ; Rakoto-Ra
miarantsoa 2003a]. Le r?le des Eglises m?rite
n?anmoins d'?tre soulign? [Laulani? 2003] bien qu'il ait d?clin? durant les ann?es quatre
vingt : ainsi les membres des associations
2. La r?serve de l'Andringitra, cr??e en 1927, a ?t?
convertie en parc national en 1999 ; le Parc national de
Ranomafana a ?t? fond? en 1989 ; la bande de for?t reliant ces deux aires prot?g?es a ?t? d?finie, d?s 1997, comme un
? corridor ? essentiel au maintien de la biodiversit?, de
vant faire l'objet d'une protection accrue (voir l'article de
S. Carri?re-Buchsenschutz dans ce num?ro).
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Sophie Moreau
92 confessionnelles de vulgarisation agricole ont
souvent particip? au syndicat paysan TAMIFI
ou FIKRETEMA et, dans les villages recul?s, les associations de paroissiens ont activement
contribu? ? la s?curit? alimentaire en cr?ant
des greniers. En ville, les structures associatives, sou
vent ?galement d'origine confessionnelle, ?taient plus nombreuses mais consacr?es es
sentiellement ? l'aide humanitaire [Droy
1999]. Cependant, au d?but des ann?es
quatre-vingt-dix, le ph?nom?ne associatif va
prendre de l'ampleur et se la?ciser. Dipl?m?e des universit?s malgaches ou, parfois, ?tran
g?res, l'?lite intellectuelle du pays, pouvant difficilement s'ins?rer sur un march? du tra
vail ?triqu?, souffre d'un sentiment amer de
marginalisation et de d?valorisation, certains
retournant m?me ? la terre dans leur cam
pagne d'origine. Naissent alors des associa
tions de camarades d'?tude3, lesquels
esp?rent tant travailler au d?veloppement de
leur pays que rem?dier ? leur propre situa
tion. Ces intellectuels constituent un vivier
pour les ONG internationales en qu?te de
personnel qualifi?4. La dynamique associative
de l'?lite citadine r?pond ? l'attente des bail
leurs, qui, elle-m?me, suscite de nouvelles
cr?ations, de sorte qu'un maquis d'associa
tions, d'ONG et de bureaux d'?tudes, travail
lant dans les domaines du d?veloppement rural et de l'environnement, s'est constitu? en
une petite d?cennie.
Le ph?nom?ne est tr?s perceptible ? Fiana
rantsoa, dans la capitale betsil?o, quand on re
garde les enseignes sur les b?timents et sur les
v?hicules 4x4 sillonnant les rues. Toutefois la
quantification de ces structures associatives est
une entreprise ardue5, ce qui tient au caract?re
flou de leur statut (statut informel ou statut
d'association ? but non lucratif) et au caract?re
intermittent de ces associations. Pour satisfaire
? l'exigence de formalisation des bailleurs,
pour faire preuve de professionnalisme et b?
n?ficier d'avantages fiscaux, les plus s?rieux
cherchent ? ?voluer en ONG6 ou en bureau
d'?tudes. Le terme ? ONG ?, pass? dans le lan
gage courant, est donc en partie usurp? : il
s'agit en r?alit? d'associations aux fonctions
d'ONG, ou parfois d'ONG de fait.
3. Comme, ? Fianarantsoa, Malagasy Mahomby (? Les
Malgaches r?ussissent ?) ou encore ACID (Association
des ch?meurs intellectuels pour le d?veloppement).
4. ? l'exception des postes de direction ou de conseil
technique, les nationaux forment l'essentiel des em
ploy?s.
5. Seules 522 ONG sont r?pertori?es dans Y Annuaire des
ONG (2003), chiffre inf?rieur aux 700 ONG recens?es dix ans plus t?t [Droy 1999], diminution due au contr?le s?
v?re r?alis? par le minist?re de la Population de fa?on ?
? distinguer les ONG professionnelles des ONG sans
?thique, opportunistes, attir?es uniquement par l'existence
de financements, qui exploitent la situation de pauvret? et
de crise ? leur profit ?. Cf. Annuaire des ONG, Minist?re
de la population, Antananarivo, juillet 2003.
6. Le statut d'? association ?, inspir? par le r?gime fran
?ais de la loi de 1901, est d?fini par l'ordonnance 60-133 de 1960 ; celui d'? ONG ?, par l'ordonnance 96-030 de
1996. On distingue les ONG des associations par leurs
structures internes respectives et par la possibilit? ou non
de b?n?ficier d'avantages fiscaux. Il faut qu'une associa
tion ait travaill? cinq ans comme prestataire de services
dans le domaine environnemental, du d?veloppement, ou
de l'action sanitaire ou sociale, pour qu'elle soit reconnue
comme ONG. ? cause de la longueur de cette proc?dure, les ONG agr?ment?es sont encore rares.
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsil?o
Des acteurs hi?rarchis?s, rivaux
et compl?mentaires
Dans le ? corridor Ranomafana-Andringitra ?,
on rencontre aujourd'hui de multiples interve
nants : d'une part les agences environnemen
tales d'Etat, les autorit?s provinciales, r?gionales et communales, le minist?re des Eaux et For?ts ;
d'autre part des acteurs non ?tatiques, tr?s h?t?
rog?nes mais aussi tr?s hi?rarchis?s en fonction
de leur degr? de proximit? avec l'?chelle glo bale. Cette proximit? s'appr?cie en termes d'ori
gine g?ographique et de connivence dans les
choix politiques li?s ? la protection de la biodi
versit?. Elle d?termine l'ampleur des moyens mis ? la disposition de ces acteurs.
Participant, aux c?t?s des bailleurs de fonds et
de l'Etat, ? la conception des strat?gies de d?ve
loppement durable, citons d'abord les ONG inter
nationales de protection de la nature (World Wide
Fund for Nature, Conservation International) et
des ONG ou projets qui fonctionnent comme des
agences d'ex?cution des objectifs poursuivis par les bailleurs : tel le projet LDI (Landscape and
Development Intervention), financ?, de 2000 ?
2004, par la Coop?ration am?ricaine et relay?,
depuis 2005, par le projet ERI (Ecoregional Initia
tive). Ces structures disposent de moyens finan
ciers tr?s importants, d?livr?s par la Banque mondiale et les divers bailleurs et, selon les cas,
b?n?ficient ?galement des apports de donateurs
occidentaux. Elles travaillent sur des espaces assez vastes. Leur intervention s'inscrit toujours sur un temps long, parfois plus d'une d?cennie.
? un degr? inf?rieur se situent les ? grandes ?
ONG malgaches, comme CCD Namana et Ny
Tanintsika, qui ont su, gr?ce au s?rieux dont elles
font preuve et gr?ce ? leurs appuis politiques,
tisser des liens privil?gi?s avec des acteurs occi
dentaux. Ces structures sont souvent financ?es
par d'autres ONG internationales. Evinc?es des
espaces de discussion sur les strat?gies environ
nementales ? mettre en uvre, elles jouent es
sentiellement un r?le d'ex?cutant. Pr?sentes sur
une ou plusieurs communes dans le cadre de
projets en g?n?ral pluriannuels, elles effectuent
les m?mes t?ches que les pr?c?dentes, mais avec
des moyens plus limit?s.
Enfin, au bas de l'?chelle, de nombreuses
petites associations malgaches travaillent en
sous-traitance comme ex?cutantes des structures
sup?rieures. Elles travaillent sur des secteurs
g?ographiques ponctuels. Leurs missions sont
br?ves : ?tudes de faisabilit? ou d'impact, dia
gnostics socio?conomiques, formation dans
divers domaines...
G?ographiquement et chronologiquement, les ONG ont gagn? le corridor betsil?o par va
gues successives, s'implantant d'abord dans les
communes limitrophes des aires prot?g?es, puis dans certains villages des communes betsil?o, sur la bordure occidentale du corridor, enfin dans
le pays tanala plus enclav?, sur la bordure orien
tale de la for?t. En comparaison, les campagnes ? de l'int?rieur ?, ? l'ouest, apparaissent d?lais
s?es en mati?re de d?veloppement et de gestion de l'environnement, tandis que le d?s?quilibre entre pays betsil?o et tanala est encore sensible7.
7. La commune d'Ambalavao, ? 50 kilom?tres ? l'ouest
de notre r?gion d'?tude, chef-lieu de district, ne compte
aujourd'hui que deux ONG intervenant de mani?re per
manente. En comparaison, les communes riveraines du
corridor sont v?ritablement quadrill?es par un r?seau de
projets et d'ONG qui se recouvrent les uns les autres, ce
qui est moins vrai du c?t? tanala.
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Interventions des ONG, projets et associations
dans le corridor betsil?o en 2003-2004
Ikongo
. Parc national %/
.?te l'Andringi 10 km
piste secondaire
ONG internationales
WWF
CI
Projet am?ricain de
d?veloppement agricole
A LDI
Associations malgaches
CCD Namana
Ny Tanintsika
Tefy Saina
Namoly vall?e
communes d'intervention
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsil?o
Le recouvrement des zones d'intervention
traduit les relations de rivalit? et de compl? mentarit? qui s'instaurent entre les acteurs de
m?me niveau, chacun tentant de se sp?cialiser
pour ?chapper ? une concurrence trop rude.
Ainsi le WWF et CI rivalisent pour ob
tenir des fonds aupr?s d'un m?me public de
donateurs mais se distinguent par leurs ap
proches : CI privil?gie une d?marche conser
vationniste, avec des strat?gies percutantes
(telle celle des hot spots), et participe aux in
ventaires forestiers et ? l'?tablissement de
nouvelles aires prot?g?es ; le WWF joue une
carte plus sociale, d'?ducation environnemen
tale des populations locales. Ces actions
contribuent ? leurs renomm?es respectives
aupr?s des donateurs et des bailleurs
[Gaudefroy de Mombynes et Mermet 2003]8. La comp?tition est aussi de mise entre
CCD Namana et Ny Tanintsika, pr?sentes sur les m?mes communes, avec des activit?s
similaires, et qui doivent donc se partager les villages d'intervention. Certaines associa
tions choisissent au contraire d'occuper des
cr?neaux sp?cifiques, telle Tefy Saina, ax?e
sur la vulgarisation des techniques de la
riziculture intensive.
En d?pit de la modestie de son int?r?t stra
t?gique et ?conomique, le corridor betsil?o est
le th??tre des rivalit?s g?opolitiques entre puis sances internationales : les projets nord-am?ri
cains y sont en position h?g?monique ; la
Coop?ration suisse joue un r?le pilote dans la
formulation de nouvelles approches en mati?re
d'aide ; la France cherche ? rattraper son retard
avec l'implantation r?cente de l'association
FERT ? Fianarantsoa ; les Japonais se penchent de plus en plus sur le pays betsil?o.
L'INT?GRATION DE L'?LITE CITADINE
L'environnement et le d?veloppement rural ont
form?, en quelques ann?es, un secteur ?cono
mique ? part enti?re, aliment? par les fonds
internationaux, providentiel pour l'ensemble
de la population citadine. L'opportunisme ?co
nomique est donc une motivation importante des acteurs de ce secteur, qui se m?le ? la sa
tisfaction d' uvrer au d?veloppement na
tional, d'obtenir une position sociale
valorisante, de s'ouvrir sur le monde et de se
rapprocher des normes et comportements oc
cidentaux associ?s ? la modernit?. L'?lite in
tellectuelle du pays fournit les cadres de ce
secteur : anciens ing?nieurs des Eaux et For?ts,
?conomistes, g?ographes, agronomes, bota
nistes, informaticiens... Toutefois les ONG
emploient ?galement des comptables, secr?
taires, chauffeurs-m?caniciens, gardiens ainsi
que des agents de terrain, souvent issus des
?coles de techniciens agricoles, forestiers ou
environnementaux, qui connaissent un succ?s
croissant ? Fianarantsoa.
Le secteur de la protection de l'environne
ment repr?sente une v?ritable manne. Les em
ploy?s des structures internationales
b?n?ficient, ? responsabilit?s ?gales, de sa
laires quatre ? cinq fois plus ?lev?s que leurs
homologues du secteur public, sans compter les multiples avantages en nature (v?hicule de
fonction, ordinateur, s?jours ? l'?tranger...). Les cadres des associations et bureaux
d'?tudes malgaches performants obtiennent, eux aussi, des revenus cons?quents bien
8. Cf. aussi ? Les ONG et l'Afrique ? (entretien entre
S. Brunei et R. Brauman, avril 2004).
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Sophie Moreau
96 qu'irr?guliers. Car, pour beaucoup, les ONG
n'offrent que des emplois temporaires, que l'on doit associer ? une autre activit?. N?an
moins le personnel glisse facilement d'une
structure ? l'autre au gr? des appels d'offres.
Le m?canisme de l'aide a donc favoris?
l'?mergence ou le maintien d'une classe cita
dine ais?e ou moyenne. Ce captage, par l'?lite
citadine, des fonds destin?s ? l'environnement et
au d?veloppement rural pose toutefois probl?me au regard des maigres avantages que la soci?t?
paysanne retire du PNAE, alors qu'elle devrait, en th?orie, en ?tre la premi?re b?n?ficiaire.
Ce secteur est pourtant fragile. Le boom des
ONG a ?t? tel que, sur le march?, il y a ? la fois
une p?nurie de personnel qualifi? et une sur
abondance de petites organisations peu comp? tentes, qui rivalisent avec des associations
reconnues en proposant des co?ts inf?rieurs.
Certaines structures sont ?ph?m?res : elles
naissent avec un appel d'offres et ne vivent que le temps d'une mission. Car, au rythme des
r?orientations du PNAE, de l'arriv?e ?
?ch?ance des projets et de la red?finition des
priorit?s des bailleurs, les cartes sont p?riodi
quement rebattues. Le contexte des ?lections
pr?sidentielles et de la crise ?conomique et po
litique de 2002 a modifi? la donne. Certaines
ONG se sont impliqu?es sur le terrain poli
tique, soit ? travers l'action personnelle de cer
tains de leurs membres, soit pour conforter leur
position par des alliances. Mais la d?sorganisa tion des circuits d?cisionnels et de la vie ?cono
mique, doubl?e de l'attentisme des bailleurs, a
paralys? les d?caissements et les activit?s pen dant pr?s d'une ann?e, durant laquelle de nou
veaux acteurs se sont impos?s, comme les
associations confessionnelles favoris?es par le
r?gime de Marc Ravalomanana. La troisi?me
phase du PNAE, visant ? tripler la surface des
aires prot?g?es, a renforc? l'assise des ONG
conservationnistes, CI notamment.
Si le souci de la protection de l'environne
ment a ?t? ? l'origine de l'implantation des ONG
? Fianarantsoa dans les ann?es quatre-vingt-dix,
depuis 2003 c'est aussi la lutte contre le sida qui draine les financements, de sorte que les ONG
s'efforcent de s'adapter ? cette nouvelle
demande en r?orientant leurs comp?tences.
La rencontre entre ONG et paysans :
un dialogue de sourds ?
Des visions diff?rentes ou divergentes
En mati?re de d?veloppement et d'environne
ment, les repr?sentations des paysans betsil?o
et celles des ONG diff?rent, voire se contredi
sent. Les conditions de vie dans les campagnes de la lisi?re sont rudes. Elles sont toutefois per
?ues comme un ordre des choses auquel les
paysans sont habitu?s ? faire face, ? leur ma
ni?re. Le maintien de la coh?sion sociale est ?
la fois un moyen et un objectif, bien plus valo
ris? que la sant?, le confort mat?riel, l'enrichis
sement mon?taire, l'?ducation, auxquels les
paysans ne sont pas pour autant insensibles.
Bien entendu, si des ONG apportent des solu
tions pour produire plus et vivre mieux, notam
ment pendant les p?riodes de soudure, nul ne
leur opposera de refus [Rakoto-Ramiarantsoa 2003 a], ce qui ne signifie pas que la soci?t?
paysanne adh?re ? la vision du d?veloppement
que ces actions sous-tendent ni qu'elle est pr?te ? adopter les innovations propos?es.
La for?t n'est pas pour les paysans ce r?
servoir de biodiversit? unique au monde,
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsil?o
sacralis? par les scientifiques, les ONG de pro tection de la nature et les bailleurs de fonds
internationaux. Pourtant les repr?sentations des uns et des autres se r?pondent. Dans l'uni
vers betsil?o aussi, la for?t est le domaine de
la profusion et de la diversit? du vivant : c'est
une ressource donn?e par Dieu aux hommes.
C'est un temple, lieu de dialogue avec le Dieu
cr?ateur, les esprits de la nature et les esprits des anc?tres. Ces conceptions religieuses nour
rissent les utilisations traditionnelles de l'es
pace forestier : les charmes et les rem?des
fabriqu?s ? partir des plantes, l'?levage de
troupeaux de z?bus, la cueillette et la p?che
[Moreau 2002]. La for?t est le lieu du secret,
o? l'on r?pugne ? voir entrer des ?trangers. L'id?e d'une ressource mat?rielle limit?e qu'il faudrait g?rer et, le cas ?ch?ant, pr?server semble lointaine, d'autant plus que le massif
forestier est encore ?tendu.
Cependant, depuis une trentaine d'ann?es, les troupeaux de b ufs diminuent, les flancs
bois?s des collines sont d?frich?s pour y pro duire des cultures vivri?res et marchandes, de
nouvelles rizi?res ont ?t? cr??es dans les mar?
cages en for?t, o? se construisent des hameaux.
L'accroissement de la population dans une r?
gion assez dens?ment peupl?e (jusqu'? 80 hab./km2), les faibles rendements de la rizi
culture irrigu?e (d?passant rarement 2,5 t/ha) et
l'absence de sp?culation agricole ont favoris?
l'expansion sur la for?t des villages de la lisi?re9.
Celle-ci ne s'explique pas que par des mo
tivations ?conomiques urgentes ou par l'effet
m?canique de la pression d?mographique. Pour les familles riches, la mise en valeur des
terres foresti?res rel?ve d'un calcul ? moyen terme : face ? la perspective d'une rar?faction,
il s'agit d'acqu?rir des r?serves fonci?res pour les g?n?rations ? venir, et de conserver sa pr? ?minence sociale. Les familles d?munies ou
moins entreprenantes misent, quant ? elles, sur
les cultures sur br?lis, la p?che et la cueillette
des produits forestiers vendus sur les march?s
locaux pour acheter le riz quotidien. Du point de vue des ONG, il faut limiter cette exploita tion destructrice qui fragmente le corridor.
Pour les paysans, les espaces forestiers ont ac
quis une fonction ?conomique et sociale telle
qu'il serait difficile d'y renoncer.
Ces divergences sont aggrav?es par le foss?
qui s?pare la soci?t? paysanne de tous les ? ?trangers ?. Dans le Betsil?o, comme ailleurs
? Madagascar, le fanjakana (c'est-?-dire l'ad
ministration et ses agents) est per?u comme
une autorit? ext?rieure, qui s'exerce le plus souvent de fa?on arbitraire et oppressive [Al thabe 1982]10. S'ajoute ? cela l'isolement phy
sique et culturel des paysans d? ? la
d?t?rioration des pistes et au faible niveau
d'?ducation. La majorit? des adultes ma?trisent
9. De nombreux travaux ont r?cus? un lien de cause ?
effet entre la croissance d?mographique et la deforesta
tion ? Madagascar [Jarosz 1993]. L'originalit? de la
lisi?re betsil?o (fortes densit?s, deforestation histori
quement mod?r?e, importants reboisements d'euca
lyptus) souligne la pertinence d'une telle position. La
croissance d?mographique joue n?anmoins un r?le
important dans la situation de blocage ?conomique que
conna?t actuellement le sud du pays betsil?o.
10. La corruption, les abus de pouvoir, l'impuissance ?
faire r?gner la justice et la s?curit?, et ? travailler au bien
public, qui caract?risent l'administration nationale depuis une trentaine d'ann?es, n'ont gu?re am?lior? les relations
des paysans au fanjakana.
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Sophie Moreau
98 mal l'?crit et demeurent d?munis face aux pro c?dures administratives. Ils vivent ainsi dans
la crainte des repr?sentants du pouvoir. Leur
d?fiance s'?tend aux lettr?s, aux ? familiers ?
de la ville, ? tous ceux qui, m?me n?s ou r?
sidant au village, se sont ?loign?s de l'univers
paysan par leur mode de vie.
Ces entraves expliquent en partie pourquoi il n'y a pas d'alliance possible entre paysans et
ONG en pays betsil?o. Les paysans n'?mettent
spontan?ment aucune demande en direction
des ONG, ni en mati?re de d?veloppement, en
core moins en mati?re de protection de la for?t.
On con?oit ?galement la difficult? qu'il y a,
pour les ONG, ? installer des associations
modernes au sein de la soci?t? locale.
Le contr?le social betsil?o
L'efficacit? du contr?le social betsil?o pourrait n?anmoins jouer en faveur des ONG.
Maintes formes d'organisation collective, fond?es sur la communaut? g?ographique ou
sur la parent?, sont encore tr?s actives dans la
r?gion : la ? communaut? des habitants ?,
adoptant les r?gles coutumi?res du village ; les
mahery lahy (les jeunes dans la force de l'?ge)
charg?s des travaux agricoles les plus lourds ;
le vavarano (terme d?signant la rivi?re princi
pale en betsil?o) r?unissant les villages d'un
m?me bassin versant pour faire face ? des pro bl?mes qui se posent, ? une ?chelle spatiale
moyenne, comme les vols de b?tail. Ces ? as
sociations traditionnelles ? sont plac?es sous
l'autorit? des ray amandreny (les anciens), par ticuli?rement les a?n?s des lignages les plus anciennement implant?s, ou les plus riches.
Elles ne visent pas l'innovation agricole, le
profit mon?taire ou la gestion des ressources
naturelles, except? l'eau, mais plut?t la pr?ser vation de la coh?sion sociale et le maintien
d'un ordre ancien. M?me si leur fonctionne
ment et leurs objectifs les ?loignent des asso
ciations modernes, elles t?moignent de la
capacit? des Betsil?os ? g?rer collectivement
certains probl?mes, signe encourageant pour cr?er de nouvelles formes associatives.
Le contr?le des ray amandreny s'exerce
aussi dans le cadre de l'acc?s aux terres fores
ti?res. Le partage de ces terres a commenc? au
d?but des ann?es quatre-vingt-dix, les chefs des
lignages les plus puissants ayant d?limit? les
territoires forestiers des villages de la lisi?re et
les ayant partag? entre les grandes familles. Ce
partage se fonde d'abord sur l'organisation hy
drographique des lieux [Solondraibe 1992 ; Moreau 2002] : chaque gros village contr?le
une vall?e principale. Ces villages ont essaim?
et essaiment encore des hameaux rejetons dans
le secteur amont de leur bassin versant, souvent
forestier, chaque grande famille prenant le
contr?le d'un vallon. La distribution des ter
rains forestiers situ?s au-del? de la ligne de par
tage des eaux ob?it toujours ? cette coh?rence
hydrographique. S'ajoute ? cela le droit du pre mier occupant, l?gitim? par les traces, dans les
m?moires ou dans le paysage, d'une mise en
valeur ancienne. Le p?turage des grands trou
peaux est ?galement invoqu? pour justifier le
droit sur la terre.
Ce contr?le interne se double d'un
contr?le externe, qui d?fend l'acc?s ? la
for?t ? des intrus : la vente de terrains est
fortement r?prim?e par la communaut? et
demeure exceptionnelle ; rares sont les mi
grants qui cherchent ? s'installer en for?t, en
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsil?o
dehors de quelques Tanala, expuls?s parfois de mani?re brutale.
Ce mode d'attribution des terres est conser
vateur et in?galitaire en ce qu'il contribue ?
renforcer les lignages puissants, anciennement
implant?s et qui d?tiennent de grands trou
peaux. Toutefois leurs alli?s ou d?pendants -
donc en pratique presque tout le monde - y
trouvent aussi leur compte, du fait que les es
paces forestiers sont vastes. Le partage en
gendre des tensions entre villages, entre
lignages et entre individus, qui s'expriment ?
travers les vols de b?tail et les conflits fonciers.
On con?oit alors comment les diff?rents
groupes peuvent utiliser le droit moderne et ses
repr?sentants (les ONG) pour appuyer ou pour contester le droit coutumier.
Au-del? de ces tensions internes, les ONG
auraient ainsi pour interlocuteur une soci?t?
qui contr?le de mani?re assez efficace la mise
en valeur de la for?t. Le processus de defores
tation est par ailleurs assez lent, ou progresse
par ?-coups, car le village repr?sente le centre
de gravit? d?mographique, ?conomique et so
cial de l'univers betsil?o, c'est-?-dire un cadre
de vie tr?s valoris? que l'on r?pugne ? quitter
pour les solitudes de la for?t.
L'attachement aux vieux terroirs devrait fa
ciliter les actions d'intensification et de diver
sification agricole que les ONG entreprennent dans la r?gion. ? la diff?rence du sud-ouest
malgache [Razanaka et al. 2001], le d?friche
ment est moins li? ? des sp?culations agricoles
(m?me si le r?le du tabac n'est pas ? n?gliger)
qu'? des objectifs vivriers et de contr?le fon
cier ; or, ? court terme, l'am?nagement des ri
zi?res co?te davantage qu'il ne rapporte. L'absence de sp?culation limite aussi
l'implantation de migrants. Ainsi, la vague hu
maine ? monte ? sur la for?t betsil?o, mais ce
n'est pas le raz-de-mar?e d?crit ailleurs ? Ma
dagascar [Sussmann et al. 1994 ; Razanaka et
al. 2001]. Selon CI, entre 1990 et 2000, 8,6 %
des for?ts malgaches auraient disparu, ce qui
repr?sente un taux de deforestation moyen de
0,86 % par an. Entre 1994 et 2000, le ? cor
ridor Ranomafana-Andringitra ? aurait perdu 94 km2 de for?t, ce qui correspond ? un taux
de 0,6 %n.
L'hostilit? de la soci?t? paysanne au projet environnemental est amen?e ? ?voluer par un
dialogue patient avec les ONG. Toutefois, pri sonni?res des m?canismes de fonctionnement
de la politique environnementale, ces derni?res
prennent peu en compte les r?alit?s locales.
Elles ont du mal ? concr?tiser, au sens fort du
terme, l'approche participative affich?e, ce qui
compromet l'?laboration de strat?gies r?elle
ment novatrices [Rakoto-Ramiarantsoa 2003b] ou st?rilise les actions entreprises.
Un projet conservateur
Les divergences entre paysans et ONG peu vent difficilement s'att?nuer tant la politique environnementale malgache reste domin?e par une vision conservatrice de la conservation,
privil?giant un mod?le exclusif qui s?pare la
for?t des soci?t?s. La repr?sentation d'une bio
diversit? ? naturelle ?, exempte de toute per turbation anthropique, constitue un id?al fort, ce qui tient sans doute ? l'unicit? de la biodi
versit? malgache et ? l'image persistante des
11. ONE, ?Tableau de bord environnemental?, 2002.
Voir www. pnae.mg/front/tbe.
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Sophie Moreau
wo paysanneries, ennemies de l'arbre, construite
par la litt?rature scientifique depuis pr?s d'un
si?cle [Perrier de la Bathie 1921 ; Humbert 1954 ; Jarosz 1993 ; Kull 2000a et b ; Blanc
Pamard et Rakoto-Ramiarantsoa 2004]. La re
lation soci?t?-for?t y est consid?r?e dans sa
dimension destructrice et, rarement, dans sa
dimension cr?atrice.
Les liens de complicit? entre les paysans et
la nature [Blanc-Pamard 1986 ; Rakoto-Ramia
rantsoa 1995], les rapports entre le syst?me de
repr?sentation de l'environnement naturel et la
structure organisationnelle de la soci?t? [Sylla et Mangalaza 1988 ; Fauroux 1997 ; Moizo
2003], la pertinence ?conomique et ?cologique des pratiques agricoles comme le tavy (agricul ture sur br?lis) [Aubert et al. 2003] retiennent
l'attention des chercheurs mais n'infiltrent
gu?re le discours dominant. ? la diff?rence de
ce qui se passe dans d'autres r?gions foresti?res
du monde, les notions de ? peuples autoch
tones ? et de ? savoirs locaux ? [Rou? 2003] ne trouvent pas de large ?cho ? Madagascar. Ainsi l'hypoth?se selon laquelle l'action hu
maine, notamment les pratiques agricoles,
puisse g?n?rer une biodiversit? demeure quasi iconoclaste dans les milieux de la conservation.
Cela nuit ? l'?mergence d'approches pragmati
ques qui reconna?traient la dynamique d'an
thropisation des espaces forestiers et en feraient
un outil de gestion de la biodiversit?, au lieu de
chercher ? la contraindre. Ce contexte limite la
port?e des strat?gies participatives et, en parti
culier, de la gestion locale des for?ts [Weber
2000; Aubert 2002]. Le maintien des conditions de vie, et sur
tout de la s?curit? alimentaire, est la prin
cipale pr?occupation des paysans. Or, le
d?veloppement rural, dans ses diff?rentes di
mensions (agricoles, marchandes, sanitaires,
?ducatives), reste secondaire au sein de la
politique environnementale. Car si les textes
d'orientation manient l'articulation entre d?
veloppement et conservation12, c'est bien au
b?n?fice de la seconde. Le cercle vicieux
selon lequel la d?gradation des for?ts est ?
moyen et long terme un facteur d'aggrava tion de la pauvret? paysanne, qui, elle
m?me, engendre des pratiques pr?datrices des ressources naturelles construit un argu
mentaire socio?conomique dont la validit?
n'est pas remise en cause et qui justifie le
projet conservationniste [Keck et al. 1994 ;
Sarrasin 2002 ; Moreau 2005]. Dans cette perspective, le d?veloppement
rural ne repr?sente pas une finalit? en soi mais
un instrument, parmi d'autres, mis au service
de la conservation, qui, ? plus long terme, de
vrait b?n?ficier aux populations (via le tou
risme, le maintien des ?quilibres ?cologiques, la disponibilit? des plantes m?dicinales...). Ce
sch?ma implique que les ?ventuels impacts so
cio?conomiques n?gatifs des mesures de
conservation sont rel?gu?s au second plan. En
pratique, les op?rations en faveur du d?velop
pement visent ? r?duire les pressions anthro
piques sur la for?t. ? l'?chelle du terroir, on a
privil?gi? de petites actions peu co?teuses, em
ploy?es comme monnaie d'?change contre des
mesures restreignant l'usage de la for?t. Ce
n'est qu'au cours de la seconde phase du
PNAE que l'on a envisag? la conservation et
12. Voir la Charte de Venvironnement sur le site
pnae.mg.
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsil?o
le d?veloppement ? l'?chelle r?gionale, avec
l'adoption du concept de ? corridor ?, la r?ha
bilitation des axes de transport et l'?laboration
de fili?res commerciales.
LA D?PENDANCE DES ONG
La d?pendance financi?re des ONG les
conduit ? modeler leurs interventions sur les
attentes des bailleurs commanditaires de la
politique environnementale, au risque de les
d?connecter des r?alit?s paysannes. Ce qui ne
les incite certes pas ? faire preuve d'innova
tion ni d'esprit critique. Les agents des ONG
se rallient ? des normes environnementales
globales, soit qu'ils y adh?rent effectivement, soit qu'ils taisent leur d?saccord pour m?nager leurs int?r?ts.
La pauvret? des discussions d?coule aussi
du fait qu'il n'y a pas d'?valuation suffisante
de l'action des ONG sur le terrain. Les rap
ports annuels font ?tat des r?alisations effec
tu?es par rapport aux objectifs initiaux ; des
audits financiers t?moignent du s?rieux de la
gestion des fonds. Mais le bilan qualitatif des
impacts socio?conomiques et environnemen
taux est rarement dress?. Le cas ?ch?ant, c'est
une ONG ?quivalente, avec des motivations
similaires, qui se prononce. Il r?gne ainsi au
tour des ONG une ? culture de l'?loge ? [Plat teau 2004] qui sert la perp?tuation des
m?canismes de financement. Prisonni?res
d'instances ext?rieures, les ONG semblent
donc travailler en circuit ferm? avec leurs
commanditaires, comme si leur pr?occupation essentielle ?tait de p?renniser leur existence, en captant des march?s, et pour cela, en appli
quant les m?thodes en vogue.
Concr?tement, cette d?pendance se traduit
par l'homog?n?it? des activit?s entreprises dans l'ensemble des villages concern?s. En
d?pit de l'approche participative pr?n?e, ces
activit?s ne sont pas con?ues par les popula tions mais dans la mesure o? elles cadrent
avec les principes de la politique environne
mentale. On notera qu'elles reproduisent des
mod?les d?j? lanc?s par les structures confes
sionnelles il y a parfois plus d'une g?n?ration
(comme la diffusion des techniques du Sys t?me rizicole intensif : SRI) et qu'elles imitent
des processus spontan?s de d?veloppement des cultures marchandes observ?s dans les
ann?es quatre-vingt-dix dans les campagnes
proches d'Antananarivo ou d'Antsirabe
(Vakinankaratra) [Rabearimanana et al. 1994 ;
Blanc-Pamard et Rakoto-Ramiarantsoa 2000]. Les ONG appliquent ainsi dans le Betsil?o, o?
les conditions ?cologiques, les traditions agri coles et les densit?s de population ressemblent
? celles de lTm?rina, des recettes ?prouv?es en apparence, qui pourraient cependant ?chouer tant l'enclavement et l'absence de
gros march?s urbains ou d'entreprises agro alimentaires limitent les potentialit?s de
commercialisation. Signalons que ces activit?s
sont soumises ? des effets de mode : on pri
vil?gie un temps l'intensification rizicole, puis
l'am?nagement des collines ; on abandonne
l'apiculture pour la pisciculture... Les ONG ob?issent au calendrier des bail
leurs. Il en r?sulte un travail en dents de scie
o? de longues p?riodes de l?thargie sont sui
vies de coups d'acc?l?rateur d?clench?s par le d?caissement soudain des fonds, l'arriv?e
? ?ch?ance des projets ou la n?cessit?
d'afficher des r?sultats. Ce rythme peut
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Sophie Moreau
102 difficilement co?ncider avec le calendrier
paysan ni g?n?rer la continuit? indispensable ? l'adoption des innovations.
Le manque d'attention accord? ? la soci?t?
paysanne tient enfin ? l'attitude ambivalente
du personnel des ONG ? son ?gard. Le monde
paysan repr?sente, pour les citadins, les racines
identitaires de chaque individu, qui se d?finit
par son tanindrazana, cette ? terre des anc?
tres ? o? sont situ?s le tombeau familial et les
rizi?res ancestrales. On lui associe ?galement certaines valeurs fondatrices de l'identit? mal
gache, tel le fihavanana, c'est-?-dire l'en
semble des liens de solidarit?, dont on d?plore le d?clin en ville. Cependant, ces m?mes cita
dins, souvent descendants de paysans, ? une
ou deux g?n?rations pr?s, en sont aussi tr?s
distants : ils visitent rarement leur village
d'origine et n'ont quasiment aucune exp? rience du travail agricole. Par leurs ?tudes, ils
ont tout fait pour s'en ?loigner. L'emploi au
sein d'une ONG leur permet de se rapprocher des mod?les occidentaux. ? la charni?re entre
bailleurs et paysans, ils sont davantage enclins
? adopter les valeurs des premiers que celles
des seconds.
? la fermeture des paysans ? tout ce que
repr?sente la ville r?pond donc la distance
voire le m?pris des citadins envers la cam
pagne. Cela vaut pour les agents de terrain, soumis aux contraintes de la vie et du travail
en brousse et qui n'ont souvent qu'une id?e en
t?te : retourner en ville. Les agents des ONG
sont les premiers confront?s aux semi-?checs
de leurs actions, qu'ils attribuent souvent ? la
mauvaise volont? ou ? la paresse des paysans. Ils ne sont donc pas toujours les plus aptes ?
valoriser les repr?sentations paysannes.
Des approches et des strat?gies nouvelles
malgr? tout
Si la port?e de l'approche participative est li
mit?e, cette derni?re se traduit toutefois par des
efforts pour promouvoir de nouvelles strat?
gies et tenir compte du contexte local, efforts
consentis de mani?re in?gale suivant les ONG.
En fonction de leur proximit? avec les bail
leurs, de leur degr? d'association ? la concep tion de la politique environnementale et de
l'importance de leurs moyens, celles-ci font
preuve d'une plus ou moins grande inventivit?
[Gezon 2000]. Responsable de 1993 ? 2004 du Parc na
tional de l'Andringitra et de ses aires p?riph?
riques, le WWF y a promu une p?dagogie environnementale fond?e sur l'observation des
conditions locales, le marchandage et la conti
nuit? des actions [Moizo 2002]. Cette ONG
s'est ainsi d?marqu?e des cr?neaux classiques de la conservation en reconnaissant l'impor tance du feu comme outil de gestion de la
biodiversit? des prairies d'altitude de
l'Andringitra. Elle en a autoris? la pratique -
choix iconoclaste dans le domaine de la
conservation - tout en la conditionnant ? l'in
terdiction des d?frichements ? l'int?rieur de la
r?serve et ? la limitation de la charge pastorale. C'est aussi l'une des rares ONG ? avoir ac
compagn? de pr?s l'installation des associations
de gestion des for?ts en adoptant l'approche pa trimoniale inscrite dans la loi G?lose. Dans la
vall?e de Manambolo, pour ?tablir un r?seau de
surveillance de la for?t, le WWF a utilis? l'an
cien syst?me de guetteurs destin? ? lutter contre
les vols de b?tail. Cette ONG a aussi exploit? les
lieux symboliques et les modes traditionnels de
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsil?o
n?gociation pour renforcer le prestige ou la
port?e de ses actions13.
Les associations gestionnaires ont ?t? ?ta
blies dans le respect du partage territorial de
la for?t entre les villages locaux. Le transfert
de la gestion des for?ts, du minist?re des Eaux
et For?ts aux associations, s'est fait dans un
climat d'observation mutuelle. Plusieurs an
n?es durant, le WWF a men? au compte-goutte des petites op?rations de d?veloppement pour s?duire les paysans, gagner leur confiance ou
les r?compenser de ce qu'ils respectaient des
r?gles restreignant leur usage de la for?t. Au
jourd'hui, cette ONG encadre avec soin ? ses ?
associations : organisation de rencontres avec
d'autres structures de l'?le, proposition de for
mations diverses, participation ? des ateliers et
m?me ? des concours internationaux, contr?le
des projets, des r?alisations et des finances.
Le projet LDI (Landscape Development In
tervention), qui de 2000 ? 2004 a ?t? appliqu? aux communes de Sendrisoa et de Miarinarivo, riveraines du corridor, ? 50 kilom?tres au
sud-est d'Ambalavao, a donn? la priorit? au
d?veloppement comme moyen d'aboutir ? la
protection de la for?t. LDI s'est fait le cham
pion de la MARP (M?thode acc?l?r?e de re
cherche participative14) et se distingue par une
strat?gie volontariste de type capitaliste, fond?e sur la mobilisation individuelle et col
lective, le cr?dit, la commercialisation des pro duits sur les march?s urbains, l'am?lioration
des moyens de production. Disposant d'impor tants moyens financiers, en quelques mois LDI
a pu composer une gamme vari?e d'op?ra tions : intensification rizicole, pisciculture, cultures l?gumi?res de contre-saison, construc
tion de petits barrages. Les groupements
paysans, baptis?s koloharena15, sont les che
villes ouvri?res de cette entreprise : leurs ad
h?rents ach?tent semences et outillage ? cr?dit, sont tenus de trouver des d?bouch?s pour leurs
produits et de former des coop?ratives... Parmi
les plus motiv?s et les plus instruits sont s?
lectionn?s des paysans ? vulgarisateurs ? qui b?n?ficient de formations et sont charg?s ensuite de diffuser l'innovation.
Malgr? sa coh?rence, le projet LDI a ?t?
handicap? par la bri?vet? de son mandat et par une prise en compte insuffisante des enjeux locaux. Car on peut douter de la profondeur d'un diagnostic, participatif certes mais r?alis?
en une semaine seulement [Rakoto-Ramia rantsoa 2003b] ! Trois ann?es d'activit? au
ront-elles permis de faire fonctionner
efficacement les koloharena, sachant que leur
encadrement ?tait r?duit ? un seul agent per manent par commune ? L'isolement de cer
tains villages a entrav? l'?laboration de fili?res
13. La cr?ation des associations de gestion des for?ts a
eu lieu au cours d'une assembl?e solennelle r?unie sur
le site traditionnel du vavarano et a ?t? marqu?e par le
sacrifice d'un b uf.
14. Cette m?thodologie appuy?e sur la participation (en
qu?tes de groupes aupr?s d'une assembl?e villageoise, mod?lisation des terroirs et des ressources ?conomiques r?alis?es par les paysans eux-m?mes) permet ? une
?quipe d'enqu?teurs d'aboutir rapidement ? un diagnostic
socio?conomique d'un village donn?, de mani?re ? iden
tifier les besoins des populations et ? concevoir des
solutions locales adapt?es ? leur demande.
15. Litt?ralement ? prendre soin de ses richesses ?, ex
pression qui joue sur le double sens de ? harena ? en
malgache : les ressources naturelles ; les richesses que
l'on poss?de.
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Sophie Moreau
104 commerciales, et la r?pugnance des paysans vis-?-vis du cr?dit a limit? leur engagement dans les activit?s agricoles propos?es. LDI a
?galement n?glig? l'accompagnement, sur la
dur?e, des associations gestionnaires des for?ts
qu'il a contribu? ? ?difier.
Des associations paysannes nombreuses
mais peu efficaces
Des associations paysannes, filles des
associations citadines
L'action la plus visible des ONG est d'avoir
insuffl? un grand r?seau associatif dans les
campagnes. Chaque fokontany (subdivision administrative de base) compte plusieurs asso
ciations ? modernes ?, qui ont ?pous? un
mod?le organisationnel codifi? (avec un pr?si
dent, un secr?taire, un tr?sorier, une assembl?e
g?n?rale, le principe de cotisation) et ont af
fich? des objectifs neufs : la gestion foresti?re, le d?veloppement agricole, etc.
Ces associations reprennent souvent les
contours sociaux et spatiaux des organisa tions anciennes, mais avec un contenu sen
siblement diff?rent. Ainsi les lois G?lose et
GCF pr?voient que les associations gestion naires des for?ts reposent sur des ? commu
naut?s de base ?, couramment appel?es
CoBa, devant rassembler tous les utilisateurs
des espaces forestiers, unis par des motiva
tions communes. Les Betsil?os ont inter
pr?t? cette d?finition floue en se fondant sur
les liens historiques entre les villages et les
clans : les associations regroupent les vil
lages descendant d'un m?me ancien village
perch?, peupl?s de clans unis par de
profondes solidarit?s.
Les CoBa rassemblent en g?n?ral les utili
sateurs de la for?t qui habitent les villages pro ches de la lisi?re. La base sociale et spatiale des associations de d?veloppement d?pend
beaucoup de la politique des ONG qui les fon
dent : les unes misent sur la coh?rence g?ogra
phique et mettent sur pied une association par
fokontany ou par gros village ; les autres mi
sent sur les affinit?s familiales, lignag?res ou
amicales, ce qui conduit parfois ? pulv?riser les groupements.
Les associations r?centes se distinguent des organisations collectives anciennes par la
place qu'y occupent les ?jeunes adultes?,
jeunes par l'?ge ou par la soumission ? leurs
a?n?s. Ils fournissent l'essentiel des effectifs, et les plus instruits, qui ont ?tudi? au coll?ge ? Ambalavao ou ? Fianarantsoa, en devien
nent les cadres directeurs. En revanche, les ? anciens ? brillent par leur absence : ils sont
peu repr?sent?s en nombre (ce qui n'est pas ?tonnant au vu de la structure d?mographique)
mais surtout demeurent ? l'?cart des postes
cl?s, leur participation semblant proportion nellement inverse ? leur autorit? : les chefs de
lignages les plus riches sont tout au plus de
simples membres.
La multiplication r?cente des associations
paysannes r?pond ? la multiplication des ONG
citadines quelques ann?es auparavant. Elle re
pr?sente un succ?s apparent des strat?gies de
protection de l'environnement et de d?velop
pement rural pr?n?es par les bailleurs de fonds.
Elle est toutefois intrigante compte tenu du d?
calage qui existe entre les paysans et les ONG.
La soci?t? paysanne utilise-t-elle ces associa
tions ? des fins propres, bien diff?rentes de
celles des ONG ?
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsil?o
On ne n?gligera pas l'effet de la contrainte.
La structure associative moderne est impos?e
par les ONG, les autorit?s communales et les
bailleurs comme la seule voie possible pour
int?grer des processus obligatoires et/ou avan
tageux. Refuser d'y souscrire, c'est risquer de
se marginaliser ?conomiquement et sociale
ment, ce que seuls ceux qui sont en position de
force peuvent se permettre. Le corridor betsil?o
a ?t? d?fini comme un terrain d'application pri
vil?gi? de la gestion locale : les paysans ont d?
se plier ? cette ?volution, qui comporte pour eux une dimension positive (on reconna?t leur
autorit? et leurs droits ancestraux sur la for?t) mais aussi une dimension n?gative (on les
oblige ? adh?rer ? une CoBa gestionnaire pour acc?der aux espaces forestiers, au risque d'en
?tre exclus). De m?me, l'acc?s aux activit?s
agricoles que proposent les ONG d?pend d'une
participation active ? un groupement paysan. Au-del? de ce caract?re impos?, et d'un
effet de mim?tisme inh?rent ? ce type de pro
cessus, la multiplication des associations tra
duit l'opportunisme pratique des paysans, qui
esp?rent en tirer un quelconque b?n?fice, f?t-il
minime, en termes de richesse et de confort de
vie. Ainsi les jeunes adultes, souvent en diffi
cult? en raison du d?s?quilibre qui existe entre
les forces de travail du m?nage et les bouches
? nourrir, sont particuli?rement sensibles aux
projets des ONG. Parmi eux, les plus instruits
et les ? familiers ? de la ville se montrent les
plus ouverts aux innovations et les plus entre
prenants. En mati?re fonci?re, o? les strat?gies se con?oivent ? l'?chelle du village ou du li
gnage, les app?tits individuels ne sont pas seuls
en cause. Les villages voient dans la gestion locale un moyen de renforcer leur contr?le sur
les terrains forestiers face ? d'?ventuels intrus
(agents des Eaux et For?ts corrompus, mi
grants, acheteurs citadins, entrepreneurs, vil
lages voisins...). Les lignages rivaux en jouent de la m?me mani?re. Sur l'?chiquier des
conflits entre segments de la soci?t? (ethnies,
villages, lignages, familles, fr?res...), les ONG
se trouvent ainsi instrumentalis?es.
? travers ces associations, une nouvelle g? n?ration de leaders paysans se dessine. La rup ture avec l'ordre ancien n'est pourtant pas
flagrante. Les nouveaux leaders sont le plus souvent issus des familles riches et puissantes
qui ont pu financer les ?tudes de leurs fils.
N?anmoins certains d'entre eux sont des des
cendants d'esclaves, qui ont, eux aussi, mis?
sur l'?cole et sur l'?glise. Dans les associations, l'importance des
mahery lahy et le retrait des ray amandreny ne r?v?lent pas nettement un conflit des g? n?rations. Il est vrai que les anciens y voient
un risque d'affaiblissement de leur pouvoir
quand les jeunes y trouvent un espace de re
lative ?mancipation. Mais l'effacement des
ray amandreny est aussi le signe de leur scep ticisme et de leur d?sint?r?t. Leur autorit? de
meure, par ailleurs, assez forte pour que, dans
l'ombre, ils continuent de contr?ler les d?ci
sions des plus jeunes. Les strat?gies opportu nistes se comprennent ?galement dans un
cadre transg?n?rationnel : qu'un cadet s'im
pose comme leader associatif, et c'est l'en
semble de la famille qui est susceptible d'en
profiter. La formation des associations
contribue moins ? recomposer les hi?rarchies
sociales existantes qu'? permettre aux domi
nants de garder leur position en modernisant
leurs instruments de domination.
'05
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Sophie Moreau
io6 Une gestion locale difficile ? s'approprier
Malgr? ses principes fondateurs, la gestion lo
cale telle qu'elle a ?t? mise en uvre dans les
villages betsil?o du corridor n'a gu?re donn?
aux paysans de pouvoir de d?cision, pas plus
qu'elle ne leur a permis de d?fendre leurs in
t?r?ts et de satisfaire leurs besoins. Dans la
plupart des cas, les associations et leurs
contrats de gestion sont n?s en quelques mois, ? la fin de l'ann?e 2001, dans la phase finale
du deuxi?me volet du PNAE. La bri?vet? des
d?lais explique que, des deux modalit?s l?gis latives de la gestion locale (G?lose et GCF), c'est la seconde, plus simple16, qui a ?t?
choisie. Dans la h?te, il n'y a pas eu de
v?ritable discussion sur la d?finition des
r?gles et des territoires de gestion, et sur le
fonctionnement des associations.
Ainsi les contrats de gestion r?it?rent, au
niveau local, la loi foresti?re en vigueur, en
martelant les interdictions ou les limitations
de d?frichements, de feux de brousse et de
pr?l?vements, sans proposer d'am?nagements
susceptibles de prot?ger la biodiversit? en te
nant compte de la dynamique d'anthropisation en cours. Ces r?gles ne sont pas toujours ju dicieuses. Elles p?nalisent les plus pauvres,
qui, au moins durant les p?riodes de soudure,
vivent des pr?l?vements en for?t. L'interdic
tion des cultures sur br?lis, qui offraient une
gamme vari?e de produits vivriers et mar
chands, fragilise la situation de tous. Le d?
coupage des territoires de gestion dans un
espace aux contours flous, en proie ? des ac
tivit?s mobiles (?levage extensif, cueillette...), est loin d'?tre ?vident : r?alis? dans l'urgence, il ne respecte pas toujours les partages anciens
ou perturbe les solidarit?s entre alli?s qui s'autorisaient ? utiliser leurs territoires respec tifs. Les plans d'am?nagement internes sont
aussi en d?calage avec les r?alit?s paysannes. Ils reproduisent le mod?le des aires prot?
g?es en d?limitant des zones d'usage autour
d'un c ur soustrait aux utilisations. Ce zo
nage co?ncide mal avec le patchwork des ac
tivit?s paysannes et ignore leur mobilit?
spatiale et leur ?volution future, les p?turages
d'aujourd'hui ?tant, pour les paysans, les
rizi?res de demain.
Les contrats de gestion reproduisent donc le
foss? entre le ? l?gal ? et le ? l?gitime ? que les
concepteurs de la G?lose cherchaient ? combler
[Bertrand et Weber 1995]. Le respect de ces
contrats ainsi que l'application des sanctions
sous forme d'amendes payables ? la CoBa s'en
trouvent compromis. Les paysans acceptent l'in
terdiction des d?frichements, dont ils sont coutu
miers, mais pas la limitation des pr?l?vements, vitaux pour certaines familles.
Bien que les contrats donnent aux commu
naut?s gestionnaires le droit d'exploiter en leur
nom les ressources foresti?res, rares sont celles
qui en sont capables. Les associations ont des
projets (?cotourisme, exploitation du bois ou
des corindons, p?pini?re sous for?ts...) qu'elles ont du mal ? mettre en uvre, faute de connais
sances techniques, d'?quipements et de
moyens. La vision que les paysans ont de la
gestion locale est double : ils la per?oivent comme une structure exog?ne, contraignante voire r?pressive mais sont aussi sensibles au
16. Elle se passe de l'intervention d'un m?diateur envi
ronnemental et des processus de s?curisation fonci?re.
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsil?o
fait qu'elle repr?sente un moyen de renforcer
leur contr?le sur la for?t.
L'id?e que le maintien de la for?t puisse un
jour profiter aux villages de la lisi?re fait son
chemin. En d?pit des dysfonctionnements, les
paysans tiennent aux CoBa et souhaitent que leur efficacit? soit am?lior?e. Dans le m?me
temps, ils demandent aux ONG et aux
communes d'implanter d'autres activit?s
compensant la privation des espaces forestiers.
La gestion locale reste donc pour le moment
un processus impos?, que la soci?t? paysanne tente de s'approprier [Aubert 2002].
En termes de protection de la biodiversit?, les effets de la gestion locale paraissent incer
tains. Les chiffres donn?s par l'ONE17 sont an
t?rieurs ? sa g?n?ralisation et ne peuvent d?crire son impact sur la couverture foresti?re.
Les cultures sur br?lis ont visiblement r?gress?. Toutefois cette r?ussite semble tenir davantage au r?le de gendarme exerc? par les agents des
ONG sur le terrain qu'? une v?ritable adh?sion
au projet environnemental et ? une appropria tion des outils de gestion. En outre, la dyna
mique de mise en valeur agricole des vall?es
foresti?res s'acc?l?re : les paysans pr?cipitent les am?nagements de peur qu'ils ne soient tota
lement interdits ? l'avenir, ce qui ne se traduit
pourtant pas par un net recul de la for?t
puisqu'il s'agit de clairi?res mar?cageuses ou
d'espaces d?j? d?bois?s. Le risque est n?an
moins grand que la protection de la for?t ne soit
acquise au prix d'une fragilisation de la situa
tion ?conomique, en particulier pour les fa
milles pauvres, et d'une tension accrue des
enjeux alimentaires, ? moins que les op?rations de d?veloppement n'arrivent ? compenser la
restriction des utilisations de la for?t.
Un d?veloppement en pointill?
Par rapport aux objectifs ambitieux affich?s
par certaines ONG, les r?sultats en mati?re de
d?veloppement agricole peuvent para?tre d?ce
vants. Partout les op?rations men?es par les
ONG ont connu des ?checs, dont le plus re
tentissant est probablement celui d'une kolo
harena de la commune de Miarinarivo, dont
les membres, qui n'ont pas r?ussi ? vendre leur
r?colte de pommes de terre, ont refus? de rem
bourser ? LDI le prix des semences et ont, en
ao?t 2004, port? l'affaire devant les tribunaux.
Les r?alisations concr?tes profitent surtout aux
familles les plus entreprenantes ou les plus ri
ches. Aucune des associations des villages de
la lisi?re n'a pu ?voluer en coop?rative agri cole ni n'a pu faire appel ? des ONG
ext?rieures pour recevoir des formations
sp?cifiques. Les capacit?s locales en termes de
n?gociation avec des acteurs priv?s sont encore
trop insuffisantes.
On reconna?tra cependant que les ONG ont
contribu? ? l'adoption d'innovations agricoles, en particulier dans le domaine de la riziculture.
Un bon tiers des rizi?res sont repiqu?es ? la
ligne, ce qui suppose l'usage d'une sarcleuse
manuelle. Beaucoup de paysans emploient des
semences ? croissance rapide pour prot?ger leur r?colte des al?as cycloniques et pluviom?
triques. La diversification de la production est
perceptible (pommes de terre, choux, carottes), et la pisciculture se d?veloppe bien l? o? elle a ?t? lanc?e. Certaines micror?gions ont r?ussi
? d?velopper des fili?res commerciales lucra
tives : la vall?e de Namoly, sur le flanc nord
17. Cf. note 11.
10J
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Sophie Moreau
i'o 8 de l'Andringitra, cultive des pommes de terre
en contre-saison, ?coul?es vers Ambalavao et
Ilakaka (situ?e ? 250 kilom?tres au sud-ouest), valorisant ainsi une sp?cialisation agricole ini
tialis?e d?s les ann?es trente par les structures
confessionnelles.
N?anmoins ces ?volutions positives ne suf
fisent pas ? amorcer un processus d'intensifi
cation agricole et d'augmentation de la
production, ce qui souligne les limites de l'ac
tion ? l'?chelle locale et l'absence d'une poli
tique agricole coh?rente ? l'?chelle nationale.
Faute de quoi, les petites op?rations ne peu vent porter tous leurs fruits. En 2004, la r?colte
de riz a ?t? excellente dans la r?gion, mais l'en
vol?e des prix et l'insuffisance des autres
cultures de subsistance ont provoqu? une di
sette encore plus s?v?re que celle de l'ann?e
2000 o? la r?colte avait ?t? ravag?e par des
cyclones. En 2005, on pouvait noter ? Ambo
himahamasina l'extension inhabituelle des la
bours sur les collines.
M?me si la situation des villages betsil?o
du corridor est moins dramatique que celle
des villages de la r?serve de Ranomafana en
pays tanala [Harper 2002], le risque est
grand que la pr?servation de la biodiversit?
ne se fasse aux d?pens des enjeux humains.
La cr?ation de nouvelles aires prot?g?es au
sein du corridor, pr?vue dans le cadre du
dernier volet du PNAE, demeure sur ce
point pr?occupante.
Conclusion
Dans le Betsil?o, l'impact essentiel du PNAE
semble davantage r?sider dans la dynamique sociale qu'il a g?n?r?e. ? travers la poursuite
d'objectifs environnementaux, la dynamique ? descendante ?, issue des bailleurs, a
construit une cha?ne d'acteurs qui constitue un
vecteur d'acculturation aux normes occiden
tales, notamment l'id?e de la biodiversit?
comme patrimoine ? prot?ger. Ces normes se
diffusent au sein de la soci?t? malgache, par le biais d'une ?lite citadine et de leaders pay
sans, dont le point commun est d'?tre pass?s
par les bancs de l'?cole, et pour qui les ONG
et les associations repr?sentent un moyen de
poursuivre des objectifs propres. Pour les ci
tadins, il s'agit de gagner de l'argent pour s'enrichir et de valoriser une position intel
lectuelle. Pour les paysans, il s'agit de saisir
une opportunit? ?conomique et d'affirmer leur
puissance ? l'?chelle locale. Dans les deux
cas, la dynamique associative correspond aussi au d?sir de s'ouvrir et de s'arrimer au
monde moderne.
Toutefois la dissym?trie est grande entre
des paysans, ?cras?s par une politique envi
ronnementale d'inspiration conservatrice qui ne leur procure que de faibles avantages, voire des p?nalit?s, et l'?lite citadine, qui, ?
travers les ONG, profite ostensiblement des
fonds internationaux. L'?mergence de cette
nouvelle ?lite commence ? se traduire dans
le champ politique. Les ?lections munici
pales de d?cembre 2002 et la nomination en
2005 de chefs de r?gion ont consacr? de nou
velles personnalit?s, form?es dans les ONG
environnementales ou dans les associations
paysannes. Ce qui confirme combien la ca
pacit? ? servir d'interface entre les ?chelles
globale et locale est reconnue comme incon
tournable, tant par la population que par les
partis politiques.
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Afrique. Paris Karthala : 79-95.
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Des associations des villes aux associations des champs en pays betsil?o
R?sum?
Sophie Moreau, Des associations des villes aux associa
tions des champs en pays betsil?o
Depuis une dizaine d'ann?es, dans les campagnes isol?es
du Betsil?o (sud-est des Hautes Terres), la multiplication
d'ONG ?trang?res et malgaches uvrant dans les do
maines de la protection de l'environnement et du d?velop
pement agricole a suscit? la cr?ation de nombreuses
associations paysannes. L'?mergence de ces acteurs inter
m?diaires entre l'?chelle globale et l'?chelle locale r?
pond ? la fois ? la demande des bailleurs internationaux
qui r?clament des partenaires de type ONG pour r?aliser
l'ambitieuse politique environnementale malgache, et ? la
mobilisation des intellectuels citadins en qu?te d'emplois
valorisants. L'auteur montre que, si l'action des ONG
citadines et des associations paysannes demeure modeste,
l'ouverture, soudaine, ? la modernit?, de la soci?t? rurale
et de ses nouveaux leaders est, elle, remarquable.
Mots cl?s
betsil?o, d?veloppement rural, Madagascar, modernisa
tion, organisations sociales, protection de la biodiversit?,
relations global-local
Abstract
Sophie Moreau, From Urban Nongovernmental Organi
zations to Peasant Associations among the Betsil?o
For ten years now in isolated areas on the southeastern
highlands inhabited by the Betsil?o, the increasing number of foreign and Malagasy NGOs with activities
in environmental conservation and agricultural develop ment has spawned the creation of peasant associations.
The emergence of these actors in between the global and
local levels is a response both to the demand from inter
national sponsors, who want NGOs as partners for im
plementing the country's ambitious environmental
policy, and to the mobilization of intellectuals looking
for prestigious jobs. Although the actions conducted by
citizen organizations and peasant associations is still li
mited, the sudden opening of rural society to modernity and the emergence of new leaders are well worth noting.
Keywords
Betsil?o, rural development, Madagascar, modernization,
social organizations, protection of biodiversity, global
local relations
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