Première Rencontre CNC-SACD (huitième édition) Le théâtre, le net ...
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Première Rencontre CNC-SACD (huitième édition)
Le théâtre, le net et les WebTV : différentes formes d’écriture liées aux nouvelles
technologies
Lundi 16 décembre 2013 de 14h à 16h30
Modératrice
Catherine Rossi-Batôt, directrice de Lux, Scène nationale de Valence
Intervenants
Eli Commins, auteur et metteur en scène
Jean-Michel Ribes, auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre du Rond-Point
Philippe Béziat, auteur
David Ctiborsky, auteur
Jean-Stéphane Michaux, producteur (Camera Lucida)
Matthieu Buchsenschutz, producteur (La Blogothèque)
A la maison des auteurs de la SACD, le président Jacques Fansten accueille les participants à
cette première de la huitième édition des Rencontres CNC-SACD. A cette occasion, le CNT
(Centre National du Théâtre) est aux côtés du CNC et de la SACD pour l’organisation. Des
débats co-organisés par le CNT et la SACD ont d’ailleurs lieu régulièrement dans l’année.
Jacques Fansten remarque malicieusement qu’une seule femme est présente parmi les
intervenants, la modératrice Catherine Rossi-Batôt : « Ne croyez pas que les nouvelles
écritures et le théâtre dont nous allons parler aujourd’hui soient pour autant des domaines
exclusivement masculins. La SACD est très mobilisée sur la parité en matière culturelle et si
la composition des intervenants du débat d’aujourd’hui ne contribuera peut-être pas à
rééquilibrer les choses, les Rencontres suivantes sauront le faire. »
Comme le souligne Catherine Rossi-Batôt, cette situation est en effet plutôt un hasard, car
la création donne de plus en plus de place aux femmes. « D’ailleurs la parité est présente au
niveau des Scènes Nationales dont je suis une représentante en tant que directrice de Lux à
Valence, qui met en valeur les images, d’abord cinématographiques mais également issues
des nouvelles technologies. Mon projet culturel est construit sur le dialogue entre ces
images et les milieux du spectacle vivant, de la musique et de la danse. Les nouvelles
technologies sont très présentes au Lux et font l’objet de deux événements annuels,
Emergences et Ecrans Mobiles. Dans ce cadre, j’ai d’ailleurs été membre de la commission
Dicréam du CNC ces deux dernières années. » Elle résume ensuite l’objet du débat de ce
jour : « Nous allons évoquer l’évolution de l’écriture théâtrale grâce aux nouveaux outils
apparus récemment, ainsi que la place du spectateur dans ces nouveaux dispositifs. La
première intervention sera portée par Eli Commins, un auteur et metteur en scène qui
interroge l’écriture en explorant des formes textuelles non littéraires. Il est également
adjoint au directeur à la Panacée, Centre de Culture Contemporaine ouvert en juin dernier à
Montpellier. Elie Commins nous présentera plusieurs projets dont le plus récent, 80 millions
de vues, est un opéra-slam né des réseaux sociaux qui sera joué samedi 21 décembre au soir
à l’Opéra de Reims. Nous entendrons ensuite les témoignages des participants à Théâtre
sans animaux, un projet de théâtre enrichi initié par Jean-Michel Ribes à partir de la mise en
scène de Jean-Michel Ribes de Théâtre sans animaux et transplanté sur le web avec France
Télévisions. Aux côtés de Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point depuis
2002, vous entendrez les témoignages d’une équipe réunissant des compétences, disciplines
et territoires différents. Elle est constituée de Philippe Béziat, auteur et cinéaste, de David
Ctiborsky directeur de la photographie et auteur, ainsi que de deux producteurs, Jean-
Stéphane Michaux pour Camera Lucida et Matthieu Buchsenschutz pour La Blogothèque. »
Première partie, présentation de trois projets d’Eli Commins
Eli Commins se revendique d’abord comme un auteur de théâtre. « C’est pourquoi je suis
particulièrement heureux de participer à ces Rencontres : dans le quotidien de la création
liée aux nouvelles formes la place d’auteur de théâtre, comme je la pratique, est parfois
difficile à percevoir, car ce qu’on voit sur la « scène » s’éloigne parfois beaucoup de ce qu’on
s’attend à trouver au théâtre. Or j’estime être un auteur de théâtre : je produis des textes
qui sont faits pour être dits par des acteurs devant un public. Toute cette aventure a donc
commencé pour moi par une frustration. D’abord par rapport au plateau : quand mes textes
étaient mis en scène par d’autres, j’étais éloigné de la création au plateau et j’avais
l’impression que mon texte devenait un objet figé. Même modifié sur scène après le travail
avec les comédiens, ce texte n’était à mon sens pas assez remis en question et pas assez
interrogé. Je sentais qu’un des stades les plus intéressants du théâtre, le travail de plateau,
se faisait sans l’auteur. Ensuite, j’ai découvert l’écriture de plateau mais cela n’était pas
suffisant. J’ai plutôt cherché à inventer une forme accueillant du texte mis en scène sous
forme théâtrale tout en restant vivant, malléable, imprévisible au cours même de la
représentation. Il m’a fallu trouver des méthodes pour sortir de l’habitude d’écrire sur les
programmes de traitement de texte et chercher d’autres supports. Or aujourd’hui nous
avons la chance de pouvoir produire nos propres outils d’écriture et ce pour chaque
spectacle. Je cherche donc à chaque nouveau projet un support matériel unique, adapté au
texte et non lié au support du livre. Récemment je suis allé présenter mon travail aux
membres de la Société des Gens de Lettres, qui étaient très surpris car pour eux l’auteur
compose son texte, imprimé sur un support matériel qui est le livre. Et dans le domaine des
arts plastiques c’est l’inverse : les artistes se posent toujours d’abord la question du
dispositif de mise en scène. On peut dire que généralement les auteurs ont du mal à
s’approprier la question de la mise en scène quand les plasticiens travaillent peu sur des
textes et des récits prolongés. Entre ces deux situations extrêmement différentes, il existe
un interstice : c’est dans cet espace que mon travail se construit. » Eli Commins présente
ensuite plusieurs exemples de ce travail.
Writing spaces
« Cette pièce met en scène le récit de vie de Manuel Tavarès, né paysan au Portugal et qui a
traversé plusieurs pays et événements historiques du XXème siècle avant de s’installer en
France. Les spectateurs sont plongés dans un espace immersif : ils ne sont pas assis devant
une scène mais évoluent sur un vaste plateau qui est également un espace de projection
visuelle et sonore. Munis de tablettes (une pour 5 ou 6 personnes), ils reçoivent des
morceaux de textes et sélectionnent ceux qu’ils veulent entendre jouer par des acteurs.
Cette vie racontée sous forme documentaire est donc en partie déformée pendant la
représentation par les spectateurs eux-mêmes. La trame factuelle est fixe (les dates
importantes comme sa naissance, son mariage etc…) mais les spectateurs peuvent modifier
la trame "affective" à travers le choix du texte du comédien présent sur le plateau, mais
aussi via des choix visuels et sonores. Le procédé d’utilisation, c’est à dire se mouvoir sur un
plateau et choisir le texte sur tablette, n’est pas un problème pour les spectateurs. Avec le
plasticien Stéfane Perraud, nous avons inventé un système d’écriture qui s’apparente à une
carte dans laquelle le public peut voyager. Cela peut sembler compliqué si je vous montre la
carte des différentes options possibles, mais pour les développeurs informatiques c’est assez
simple à mettre en place, même si nous sommes au tout début de ce genre
d’expérimentations d’écriture et de mise en scène. Habituellement, le théâtre propose un
trajet unique et linéaire créé par le texte de la pièce. Dans Writing spaces la trajectoire
s’inscrit dans un ensemble plus vaste, même si le spectateur n’expérimente qu’une
possibilité parmi toutes. Ce qui m’intéresse c’est moins la technologie que le développement
de l’imaginaire du texte. C’est une question quasi philosophique. Car la forme traditionnelle
du livre n’est qu’un imaginaire possible du texte parmi beaucoup d’autres : des auteurs
comme Jorge Luis Borges, Laurence Sterne ou James Joyce ont déjà travaillé cette question.
Dans Writing spaces les spectateurs "vivent" tous la même pièce car un seul trajet collectif
est possible sur la carte du récit à chaque représentation. Mais ce n’est jamais tout à fait le
même trajet. Je peux également projeter cette carte du récit aux spectateurs et leur préciser
où ils sont placés sur cette carte. Par exemple, après quelques représentations, on réalise
qu’il existe des routes du Nord, proches de la réalité factuelle, et des routes du Sud plus
chargées affectivement et plus éloignées de la réalité. »
Textopoly
« Il s’agit là aussi d’une œuvre collective, conçue à plusieurs et ouverte à tous. Elle a été
lancée au printemps dernier. Sur le site textopoly.org, chacun peut se déplacer sur une carte
très vaste et la nourrir de textes, d’images et de sons. Cette création est née d’un groupe
appelé Général Instin, né de remue.net. Ils sont venus en résidence à la Panacée pour
composer Textopoly, dont la question devient : "Comment écrire dans un contexte qui n’est
plus la page écrite ?" Par exemple, en partant d’une phrase simple, "Ma villa est une ville",
les participants-auteurs écrivent des histoires différentes selon qu’ils partent vers l’Est ou le
Sud de la carte. Là encore, il est impossible d’avoir une vision d’ensemble de l’œuvre. Cet
exemple montre aussi comment une démarche d’écriture théâtrale peut se poursuivre sur
d’autres supports. Le visiteur-internaute peut simplement lire le texte, en utilisant un
système spécifique qui dessine son chemin de lecture. Il peut éventuellement le transmettre
à d’autres, une pratique courante sur Internet. Dans une démarche plus artistique, certains
écrivent, ajoutent des images. Ce projet encore jeune est en cours de transformation comme
beaucoup de ces initiatives, toujours en mouvement. »
Breaking
« Voici une série de pièces - certains disent "performances" - qui sont liées au réseau social
Twitter. Il s’agit de suivre à travers le réseau social des personnes géographiquement
éloignées mais impliquées dans des événements forts : les émeutes en Iran en 2009, le
passage des migrants clandestins entre le Mexique et l’Arizona ou le tremblement de terre
en Haïti. Pour Breaking, je suis à nouveau parti de l’hypothèse que le livre correspond au
théâtre et que face aux nouvelles formes de textes nées de l’informatique et du web, il y
avait quelque chose à inventer. Je cherche à modifier la position corporelle du spectateur,
cette position assise face à un plateau liée au déroulement linéaire du monde du livre : ainsi
les spectateurs de Breaking sont allongés côte à côte sous un grand écran horizontal,
accroché à 1m30 au dessus d’eux. Leur relation au texte et aux images en est transformée.
Un acteur et huit paires d’enceintes retransmettent des voix et des images postées sur
Twitter en temps réel. Nous jouons sur le chevauchement de paroles entre des textes lus,
des sons d’événements, des images de satellites de Google… La temporalité est très
particulière. Pour Breaking/Miranda Warning qui traite du passage de la frontière
américano-mexicaine, le public est placé des deux côtés d’une frontière imaginaire. Les
spectateurs n’entendent pas le même texte selon le côté qu’ils ont choisi. Ces pièces sont
construites à partir d’éléments documentaires très présents et mettent en jeu ce qui se
passe en ligne sur Twitter face à des événements réels forts. Tout récemment j’ai transposé
sous forme d’opéra, 80 millions de vues, l’expérience d’une jeune égyptienne dans la
révolution, Asmaa Mahfouz. Elle était très présente sur les réseaux sociaux pendant la
révolution en 2011 et très influente après avoir posté une vidéo appelant à manifester place
Tahrir. Elle a été une des premières à affirmer : " Je n’ai pas peur". Notre rapport est devenu
particulier, car non seulement je suivais ses messages sur Twitter mais j’allais jusqu’à lui
demander de poster des messages comme par exemple pendant la représentation de la
pièce à l’Opéra de Reims. Quand j’influence ses messages, on peut se demander où est la
réalité et où est la fiction. Pour ce spectacle, j’ai créé des personnages sur Twitter qui ont
interagi avec des personnes réelles, qui étaient d’ailleurs pour la plupart au courant. Je mets
en jeu la fiction et le documentaire en parallèle, pour que le doute s’installe. J’ai besoin d’un
ancrage fort dans la réalité pour que ce système fonctionne. Cela engendre une réflexion sur
la simulation qui est très intéressante : nous vivons aujourd’hui dans un monde qui peut
simuler ses propres événements sans les vivre réellement. »
Catherine Rossi-Batôt demande alors à Eli Commins quelle est sa place d’auteur dans le
processus et la production de ce type de pièces : « Vos œuvres sont des projets collectifs qui
mettent en jeu des compétences très diverses. Comment un développeur informatique
participe-t-il à l’écriture par exemple ? Et quelle est la temporalité de ces projets où le temps
réel se mêle au fictionnel ? Sont-ils terminés un jour ? » « Non seulement ils ne sont jamais
finis, confirme Eli Commins, mais ils se modifient à chaque représentation. Je réécris au
cours de chaque représentation et je ne sais jamais ce qui va se passer. Quand à la
complémentarité entre auteurs, il n’y a pas de règle. Pour Writing spaces par exemple, j’ai
travaillé avec un co-auteur plasticien, Stéfane Perraud. Mais je tiens à la différence entre la
notion d’auteur et de metteur en scène, qui existe sur ces projets comme dans des pièces de
théâtre classiques. Selon leur complexité, ces pièces existent grâce à des ordinateurs mais
certaines pourraient se faire seulement sur papier. J’ai d’ailleurs envie de travailler sur un
nouveau projet uniquement avec du papier. Le "coup de dés qui n’abolira jamais le hasard"
de Stéphane Mallarmé est déjà un hypertexte, si on veut. Bien sûr, lorsque l’on souhaite
projeter de la vidéo, des images et du son, le procédé devient plus lourd et plus onéreux. Il
faut trouver des aides financières pour faire travailler des développeurs informatiques.»
Questions du public
- « Comment les spectateurs s’approprient-ils ces nouvelles écritures ? »
« Il m’est difficile de vous répondre, car avant chaque représentation cela reste très abstrait
pour les spectateurs. Mais pendant la représentation, tout devient simple et évident. Pour
Writing spaces par exemple, le public s’approprie très vite l’œuvre, les gens sont à l’aise avec
les tablettes et autonomes. Mais cela implique de tester, de corriger nos erreurs à chaque
représentation. Nous avons d’ailleurs besoin de répéter avec du public, une situation
nouvelle par rapport au théâtre classique. » « Ce qui me frappe, intervient Jean-Michel
Ribes, c’est que votre travail est comme une révolution dadaïste appliquée au web. On
retrouve le discours de Marcel Duchamp, le Ready-made etc… Vous transportez le support
livre ailleurs pour que le texte n’en soit pas prisonnier. En même temps, vous faites un effort
faramineux pour détruire le récit, mais vous le reconstruisez ensuite, pour revenir en
quelque sorte au début.» « A la fin de cette démarche, je reviendrai sans doute à des textes
classiques et linéaires, confirme Eli Commins. J’ai déjà essayé de m’affranchir d’un récit de
type narratif, mais j’en ai conclu que cela introduisait trop d’instabilité par rapport à ma
méthode de création. » « Certains metteurs en scène de théâtre ont travaillé ce thème, via
des relectures par exemple, ajoute Jean-Michel Ribes. Mais on a toujours besoin d’un auteur
original car l’auteur et l’histoire restent au centre. Je me demande si vous ne seriez pas une
sorte de coucou qui met ses œufs dans le nid d’un autre ? » « Je n’avais jamais envisagé
cette image, répond Eli Commins (rires). Mon imaginaire et mon inconscient restent ceux du
livre et je crois que c’est le cas de la plupart d’entre nous. Ce sont des faits anthropologiques
qui vont se modifier lentement.»
- « Est-ce qu’au cours de vos spectacles, et en particulier dans Writing spaces le public a
tendance à suivre globalement les mêmes trajectoires ? »
« Je n’ai pas fait de statistiques, ce qui serait d’ailleurs n’aurait pas de sens, reconnaît Eli
Commins car les trajectoires sont trop diverses. Cependant il est intéressant de constater
qu’il existe des zones dans lesquelles le public ne va pas, qui restent inexplorées. Il me faut
ajouter que souvent les comédiens sur le plateau peuvent manipuler les choses par leur
énergie, leur envie, de petits indices. » « D’ailleurs on peut le voir comme une ouverture des
possibles plutôt qu’une manipulation », complète Catherine Rossi-Batôt.
- « Vous êtes-vous inspiré de la méthodologie des cartes mentales ou heuristiques ?
« Je m’y suis intéressé effectivement, répond Eli Commins. Pour les trajets de Writing spaces
j’ai commencé à travailler avec des cartes heuristiques mais cet outil ne me permettait pas
d’aller aussi loin que je le souhaitais. De plus, les cartes heuristiques sont beaucoup
employées dans le monde de l’entreprise et je ne voulais pas m’inspirer de ce vocabulaire.
En plus, il n’y a pas de régie dans ce spectacle, c’est le public lui-même qui déclenche le son
et la lumière. Il fallait donc utiliser d’autres logiciels et trouver une méthode d’écriture pour
chaque pièce.»
- « Avez-vous travaillé avec des professionnels du jeu vidéo ? Car la cartographie que vous
avez présentée ressemble beaucoup à celles qui sont utilisées dans ce domaine. »
« Oui, confirme Eli Commins. D’ailleurs les développeurs qui ont travaillé avec moi sont
souvent des professionnels des jeux vidéo ou pour smart-phones. Ils sont d’ailleurs souvent
contents de sortir de leur routine de création d’applications pour d’autres créations. »
- « Quel type de lieu peut accueillir vos spectacles ? »
« C’est une vraie question, souligne Eli Commins, et un enjeu majeur pour la suite de mon
travail. L’architecture actuelle des théâtres reste liée au livre, elle est soumise à des règles
anciennes en termes d’horaires, de sécurité, d’assurances et de fonctionnement. Donc mes
pièces sont des formes qui s’accordent très mal aux lieux habituels. Ce sont des œuvres qui
ont besoin de plateaux très modulables, de lieux spécifiques qui restent rares. 80 millions de
vues, monté en opéra, est mon premier projet pour des gens assis dans des fauteuils dans
une salle classique. Souvent c’est le régisseur qui me précise ce qui est possible ou pas. »
« Selon moi, ajoute Jean-Michel Ribes, le théâtre n’est pourtant pas lié au livre autant que
vous le soulignez. » « Mon expérience de création consiste à éloigner l’imaginaire de
l’imprimé et du livre, lui répond Eli Commins. Le théâtre s’est développé le long d’une chaîne
qui commence avec le livre d’un auteur, qui est donné à un metteur en scène, qui le
transmet aux acteurs, qui le jouent devant un public. Si l’auteur sait devenir metteur en
scène, si le scénographe sait utiliser l’informatique, si un plasticien est co-auteur, si le public
peut agir sur le déroulement du récit, tous les rôles sont transformés. Depuis Gutenberg,
l’imprimé représente l’essentiel de notre culture. Or le rapport entre le tout et la partie est
aujourd’hui celui du livre comme du Web. Mais effectivement, le théâtre est antérieur au
livre et je travaille à retrouver quelque chose d’archaïque, une tradition orale et des formes
de paroles antérieures. »
« Votre rapport à la temporalité et à la spatialisation étant différent, reprend Catherine
Rossi-Batôt, cela rend votre travail spécifique par rapport au théâtre, même si vous vous
placez dans une logique de filiation. Mais comment finance-t-on des projets de ce type qui
sont si singuliers ? » « J’ai envoyé ma toute première œuvre, 120 Times, pour une demande
de bourse à l’association Beaumarchais, raconte Eli Commins. Je jouais sur la double
signification du terme Times, la police typographique, qui signifie aussi en anglais les
possibilités. J’ai donc envoyé un projet de 900 pages de texte car j’avais décidé d’exposer
toutes les possibilités de mon dispositif… Bien sûr j’ai reçu une réponse négative (rires). Mais
cela m’a aidé à comprendre à quel point il était compliqué d’expliquer ce que je souhaitais
faire et ce que serait l’œuvre finale. D’ailleurs c’est le Dicréam qui a porté et soutenu toutes
mes œuvres depuis le début. Et en effet, ce n’est pas un canal habituel de subventions au
théâtre. »
Julien Arnaud, chargé de mission au CNC et responsable du Dicréam, explique alors en quoi
consiste ce dispositif de soutien interministériel. « Le Dicréam existe depuis onze ans. C’est
un dispositif d’aide à la création multimédia et numérique qui a la spécificité d’être financé,
pensé et dirigé grâce au fonds de soutien du CNC en collaboration avec le Ministère de la
culture et la DGCA (direction générale de la création artistique). Ce soutien concerne
l’expression par l’image et son utilisation en dehors du cinéma et de l’audiovisuel classique.
Le prisme est la transversalité des œuvres et l’utilisation des outils technologiques, qu’ils
soient innovants ou non. Les soutiens sont votés par une commission, dont faisait partie
Catherine Rossi-Batôt, commission renouvelée tous les deux ans (elle le sera en fin d’année
2013). Le dispositif dépendait auparavant de la direction du multimédia et des industries
techniques, donc était plutôt lié à l’innovation technologique. Mais il a été réformé depuis
deux ans afin que l’œuvre soit davantage au cœur du projet. Les bénéficiaires sont très
divers : des artistes contemporains, des spectacles hybrides ou classiques, du domaine du
livre ou de la musique… Le Dicréam répond aussi aux demandes d’auteurs et artistes-auteurs
qui peuvent recevoir un soutien pour travailler des œuvres complexes en développement
puis en production. Des Théâtres, des Centres d’art ou des compagnies théâtrales peuvent
également recevoir des aides en production. Nos modalités sont en cours de changement et
seront disponibles actualisées sur le site dès début janvier 2014. »
Seconde partie : Théâtre-sans-animaux.fr
Catherine Rossi-Batôt introduit ensuite le projet Théâtre sans animaux, une création de
Jean-Michel Ribes en tant qu’auteur et metteur en scène, qui a été déplacée de la scène du
Théâtre du Rond-Point au Web, sous le titre Théâtre-sans-animaux.fr. « Vous êtes cinq
intervenants à cette Rencontres pour présenter ce projet, un dispositif véritablement choral.
Quel enjeu et quel défi a-t-il représenté pour un homme de théâtre tel que vous, Jean-
Michel Ribes. Avez-vous découvert ainsi une nouvelle scène s’ouvrant à vous ? »
« Pour résumer, vous aimeriez savoir comment j’ai supporté d’être transporté dans le web ?
lui répond le metteur en scène. En fait, la genèse de ce projet ressemble au processus que
décrivait Eli Commins en première partie. J’ai écrit Théâtre sans animaux sans chercher à
séduire ou porter un message. C’était déjà une expérience étonnante. Quand Boris Razon,
directeur de France Télévisions Nouvelles Ecritures, m’a proposé ce déplacement sur le web,
je me suis d’abord demandé : "Est-ce que le théâtre vivant peut être mis en images ?" Selon
moi, une pièce de théâtre demeure une expérience unique, "une représentation pour une
soirée". Je tenais beaucoup à cette noblesse de l’éphémère. Mais j’ai réalisé que je n’y
croyais plus aujourd’hui. Car le théâtre doit s’ouvrir davantage au monde : la télévision est
une nouvelle fenêtre, elle diffuse des pièces, beaucoup de films de cinéma sont adaptés de
pièces de théâtre. La captation, qui n’a longtemps été qu’une carte postale d’une œuvre, ne
proposant pas les bonnes couleurs ni même le bon dessin ; apporte maintenant un regard de
créateur, une mise en scène de cinéma sur une mise en scène de théâtre. En utilisant des
caméras dissociées et indépendantes, on peut obtenir des plans de long métrage et
reconstruire une nouvelle œuvre. Ce n’est plus du théâtre mais pourtant le rythme de la
pièce et l’énergie des acteurs sont présents. Jusqu’alors, je réalisais toujours les captations
de mes pièces moi-même, maintenant je m’ouvre à des réalisateurs comme Philippe Béziat
qui a fait un excellent travail sur Théâtre sans animaux. Au début, j’avoue que c’était
douloureux : quand on m’a proposé cette aventure - la première du genre - la nouveauté
m’a intéressé tout d’abord, puis la rencontre avec l’équipe avec qui j’ai travaillé. C’était un
peu comme un saut à l’élastique dans le vide, mais sans élastique (rires). Même si j’ai
l’impression d’avoir été picoré de tous côtés, l’expérience est porteuse d’avenir. C’était
simple, tout s’est fait vite. Les acteurs ont été très sollicités pour le dispositif web puisqu’ils
ont rejoué la pièce plusieurs fois dans des décors différents et sur un fonds vert. Mais
maintenant l‘internaute peut se promener d’une version de la pièce à une autre : elle est
morcelée, entre le cadavre exquis et le kaléidoscope, tout en restant ma pièce. Je continue à
penser que l’imaginaire ne peut se développer de la sorte que si le propos de départ est un
guide fort. En résumé, j’ai été violé avec mon consentement absolu et ça s’est très bien
passé entre nous ! (rires) »
« Est-ce France Télévisions qui est venue vous chercher ? lui demande Catherine Rossi-
Batôt. Et est-ce que ce qui les intéressait, c’était justement la forme morcelée de votre pièce
? » « Je ne sais pas, peut-être qu’Andromaque serait une pièce plus intéressante à
ramifier répond Jean-Michel Ribes (rires). Plus sérieusement, c’est effectivement Nicolas
Auboyneau, directeur de l’Unité de Programmes musique et Spectacles vivants de France
Télévisions, Boris Razon, directeur de France Télévisions Nouvelles Ecritures et Olivier
Montels, directeur régional de France 3 Paris Ile-de-France, qui sont venus me proposer
cette expérience et j’en suis très heureux. J’espère que nous en vivrons d’autres ensemble. »
Catherine Rossi-Batôt enchaîne en demandant à Philippe Béziat, le réalisateur de la
captation de Théâtre sans animaux, quelle fut sa place comme auteur aux cotés de Jean-
Michel Ribes.
« Ce fut un travail collectif dès que le producteur Jean-Stéphane Michaux de Camera Lucida
est venu me proposer d’y participer, répond Philippe Béziat. Traditionnellement, je travaille
dans la continuité sur un film. Or cette fois, il s’agissait d’une œuvre à la fois collective et
discontinue. Nous avons cherché les interactions possibles, utilisé la démultiplication des
fichiers, imaginé des points d’entrée pour picorer dans le récit de Jean-Michel Ribes.
L’intention de départ était de respecter le texte de ce théâtre très dialogué et centré sur le
jeu des comédiens. Très vite l’équipe de la Blogothèque, David Ctiborsky et Matthieu
Buchsenschutz, nous a rejoints. Ils sont davantage au fait des nouvelles technologies que
moi et ont apporté beaucoup d’idées. »
« De votre côté, quelles sont les potentialités supplémentaires et les difficultés que vous a
offert ce nouvel outil transmédia ? » lui demande Catherine Rossi-Batôt.
« Nous n’en sommes qu’au tout début, aux balbutiements, répond Philippe Béziat. De
vieilles idées formulées depuis un siècle par de grands artistes trouvent de nouvelles
réponses. Par exemple, cela fait longtemps que je cherchais à marier l’audiovisuel avec des
gestionnaires de bases de données. L’informatique m’a ouvert des perspectives infinies, des
possibilités d’arborescences très intuitives sont décuplées, même si cela reste encore parfois
complexe à mettre en œuvre. Concrètement, pour Theatre-sans-animaux.fr, nous avons
rêvé d’offrir à l’internaute cinq flux vidéo consultables en même temps. Nous avions envie
qu’il puisse les lire simultanément en passant d’une voie à l’autre par un clic, comme sur une
table de montage. » « On peut aussi voir ça comme ce jeu des animaux coupés en plusieurs
morceaux dont on échange la tête, le corps ou les pattes, ajoute Jean-Michel Ribes. Ou
comme les Mille milliards de poèmes de Raymond Queneau. » « C’est le même principe, qui
a été formulé et essayé par de grands artistes. La véritable difficulté actuelle, c’est le live »
complète Philippe Béziat.
« En effet, cette multiplicité des possibilités est exaltante enchaîne Catherine Rossi-Batôt. Et
elle mérite des outils technologiques adaptés à la rêverie et à la création. Quant à vous,
David Ctiborsky, quel a été votre apport à cette œuvre collective en tant qu’auteur ? »
« Nous avons choisi de créer un flux parallèle à la captation de la pièce réalisée par Philippe
Béziat, répond David Ctiborsky. Là aussi, ce fut douloureux (rires). A la base, il y avait ce
texte que j’aimais beaucoup, écrit par un auteur nommé Jean-Michel Ribes, qui n’est pas né
de la dernière pluie. Il ne s’agissait pas seulement de remettre en scène sa pièce dans
d’autres médias. Nous avons choisi de placer les comédiens dans deux situations extrêmes :
ils ont rejoué sur des fonds verts et dans des lieux réels liés aux contingences du quotidien,
par exemple sur un tapis roulant, dans un restaurant japonais, dans un magasin de
vaisselle… Cela a été difficile pour tout le monde mais ce fut aussi une véritable expérience
pour tous. » « Pour moi, ça n’a pas été si douloureux, précise Jean-Michel Ribes, car avec les
comédiens, nous avons bénéficié de deux mois pour la mise en scène. C’est vous qui avez
été héroïques car vous avez manqué de temps et de moyens. Vous avez eu des idées de mise
à l’épreuve du texte dans des circonstances très difficiles, en particulier de manque de
disponibilité des comédiens. Mais cette mise à l’épreuve fait vivre le texte. Je me souviens
d’une mise en scène de la pièce Batailles que j’avais écrite avec Roland Topor il y a des
années. En général, nous n’allions plus la voir tant elle avait été transformée et éloignée de
nos intentions de départ, mais cette fois le metteur en scène avait beaucoup insisté. Nous
nous sommes retrouvés dans un hangar de 200 mètres de long, avec des comédiens qui
hurlaient leur texte en poussant des portants sur roulettes sur un podium tandis que les
costumières leur jetaient leurs vêtements ! Et nous avons trouvé ça génial ! Laisser un texte
être mis à l’épreuve, c’est aussi pouvoir le découvrir transcendé. La prochaine fois, il faudra
vraiment donner davantage de temps à David Ctiborsky et Matthieu Buchsenschutz, quitte à
inverser les priorités. »
« Dans cette expérience, la forme théâtrale est mise à l’épreuve, mais également le public
souligne Catherine Rossi-Batôt. Mais avant d’aborder les conséquences de ce type de
démarche dans le rapport au public, j’aimerais demander aux deux producteurs comment ils
sont intervenus sur ce projet, ensemble ou successivement.»
Jean-Stéphane Michaux, de Camera Lucida, répond le premier : « Ce projet est né de la
volonté de France Télévisions d’inventer des formes différentes autour du théâtre filmé et
d’être présente sur de nouveaux supports, dont évidemment le Net. Nous sommes donc
allés proposer ce pari à Jean-Michel Ribes. Mais avant de le rencontrer nous avions réfléchi à
ce que nous pourrions inventer qui soit à la fois adapté à son travail et aux nouveaux médias.
Nous avons rencontré un problème de curseur financier, car la partie interactive de la pièce
a vraiment manqué de temps et de moyens. Pour certains professionnels de la télévision,
"puisque c’est Internet, c’est rapide et pas cher". Ce qui est une erreur. Il ne suffit pas de
filmer une pièce avec une webcaméra et de la lancer sur le Net. Il faut du travail et de la
réflexion, ainsi qu’une dimension ludique à laquelle nous tenions. Car s’accaparer un texte,
c’est aussi jouer avec. Très vite nous avons travaillé à deux sociétés de production avec les
jeunes "geeks" de la Blogothèque, familiers d’internet ; aux côtés de Camera Lucida,
spécialiste de la recréation de spectacles vivants. Le chemin du Web implique des enjeux
différents et beaucoup de nouvelles réflexions sur la recréation théâtrale. Il était donc
essentiel de pouvoir parcourir ces chemins avec un auteur qui accepterait de nous
suivre comme Jean-Michel Ribes. Le Théâtre du Rond-Point a été très accueillant et a permis
au projet de développer de façon collective. Aujourd’hui, l’expérience Theatre-sans-
animaux.fr continue d’exister sur le Web et reste une première. La pièce sera diffusée le 23
décembre prochain sur France Télévisions.»
Catherine Rossi-Batôt se tourne alors vers Matthieu Buchsenschutz pour lui demander
comment sa société, La Blogothèque, est intervenue dans ce projet. « C’est une expérience
qui aurait pu être terrible et qui s’est pourtant révélée plaisante et riche d’enseignements,
répond-il. L’enjeu était compliqué car les unités Nouvelles Ecritures et Musiques et
spectacles vivants de France Télévisions avaient envie d’explorer une forme théâtrale
différente. L’expérience a été possible grâce à la force du spectacle de départ de Jean-Michel
Ribes. De plus, une importante communauté de spectateurs était déjà créée autour de cette
pièce qui est un grand succès populaire. Bien sûr, il nous a fallu travailler avec ce " monstre"
qu’est Jean-Michel Ribes (rires).» Le " monstre" en question l’interrompt aussitôt : « J’ai très
vite abandonné l’idée de contrôler quoi que ce soit (rires) ! Il y avait déjà deux auteurs,
Philippe pour la recréation filmée et David pour les expériences interactives. J’ai simplement
donné mon avis sur leur travail terminé, mais je ne fais pas partie des auteurs de
l’expérience Web. Je suis simplement une victime consentante. C’est l’occasion de rappeler
que cette expérience a d’abord été une histoire de personnes et non pas de production,
d’argent ou de volonté extérieure : il s’agit avant tout de rencontres humaines, comme
Montaigne et La Boétie. »
« En tous cas, vous avez su transmettre votre pièce et prendre de la distance en faisant
confiance aux auteurs qui ont ensuite pu travailler de leur côté » résume Catherine Rossi-
Batôt. « Jean-Michel Ribes a assumé son masochisme jusqu’au bout et on l’en remercie
(rires) confirme Matthieu Buchsenschutz. Ses remarques étaient rares et toujours justes.
Nous avons travaillé en commun avec Camera Lucida en dépassant ce point de départ
nouveau pour nos deux sociétés ; et là aussi ce fut une très belle rencontre. Quand on
envisage un projet transmédia tel que celui-ci, que ce soit du côté du diffuseur comme du
producteur, on peut trop s’attacher soit à l’aspect technique soit au contenu. Se focaliser sur
l’un fait oublier l’autre : or l’équilibre entre les deux est essentiel. La technique ne doit être
qu’un tuyau et le contenu doit être à la hauteur de ce qui a été inventé techniquement.
Théâtre-sans-animaux.fr est un projet particulièrement innovant puisque nous avons
inventé un multi-flux synchronisé à la seconde près afin que l’internaute puisse changer de
flux d’un simple mouvement de doigt ou de souris. Vous vous souvenez peut-être du web
documentaire Alma qui synchronisait deux flux ? J’ai demandé conseil à son producteur,
Upian, pour qui une expérience à cinq flux simultanés semblait impossible à réaliser… Nous
avons trouvé une solution technique, mais difficile à mettre en place et chronophage : en
conséquence, la logique éditoriale du projet a manqué de temps et de moyens. Même si
nous avons la satisfaction d’avoir proposé une véritable mise en images du texte,
l’expérience a été en partie frustrante. Un autre point peut être amélioré : la diffusion. La
chaîne France Télévisions a pour mission d’être vue partout, sur toutes les plateformes alors
que le monde digital est très fractionné. Le parc informatique est divisé, surtout lorsqu’on
travaille avec une solution technique aussi innovante. Il faut donc accepter que seule une
partie des internautes, dotée de matériel récent, puisse accéder au site dans toutes ses
potentialités. » « Ce qui est remarquable, précise Catherine Rossi-Batôt, c’est que le théâtre
et la pièce de Jean-Michel Ribes restent totalement au cœur de votre projet. J’aimerais
maintenant vous demander quels ont été vos partis-pris sur la place de l’internaute ? »
« Nous avons travaillé avec Camera Lucida sur deux axes en complémentarité, continue
Matthieu Buchsenschutz. Tout d’abord, nous avons proposé aux internautes de jouer avec
le texte, de se l’approprier sur de courts extraits de la pièce. C’est l’aspect participatif propre
au digital, dont nous vous montrerons quelques exemples. Mais nous avons également
développé différentes mises en image de ce même texte. L’environnement digital permet au
spectateur d’agir sur la linéarisation, sur ce film qui se déroule devant lui, pour entrer dans
d’autres dimensions. En quelque sorte, nous "délinéarisons" le linéaire. » «Trois de ces flux
sont particulièrement intéressants, reprend Jean-Michel Ribes : ceux qui permettent au
spectateur de devenir voyeur. Il peut suivre le film de la pièce qu’a réalisé Philippe Béziat,
mais aussi et en même temps, assister aux répétitions de cette pièce et au travail du metteur
en scène avec les acteurs et enfin découvrir les coulisses du théâtre, la régie, pendant la
représentation. Le spectateur-internaute a accès à ce qu’est vraiment le théâtre, il
comprend la pièce d’une façon tout à fait différente. C’est un autre théâtre dans le théâtre.»
« Je suis ravi que vous mentionniez cela, reprend Matthieu Buchsenschutz, car c’était notre
premier fantasme : que l’internaute puisse découvrir ce qui se passe derrière la scène, en
sortant de la tradition du "making-of" que l’on découvre après la pièce. La simultanéité était
très importante pour nous, d’où l’idée de ces flux empilés et synchronisés. »
David Ctiborsky, auteur du projet du côté de la société Blogothèque, raconte alors comment
il a réalisé ce flux "making-of" de la pièce. « Nous sommes partis des débuts de la
préparation de la pièce, c’est à dire quasiment de la table avec les feuilles du texte,
jusqu’aux premières mises en scène et à la générale. Après montage, il n’y a plus qu’un seul
flux dans lequel l’internaute peut se déplacer librement, d’une lecture à une répétition,
grâce à une time line qui lui permet de se repérer dans le temps et de se promener dans la
pièce. J’ai pris beaucoup de plaisir à cette étape du projet qui était une première forme de
réécriture. »
Des extraits de la pièce filmée puis du site Théâtre-sans-animaux.fr sont ensuite présentés à
la salle.
David Ctiborsky détaille les cinq flux qui sont proposés en simultané à l’internaute : « Le
premier est la captation classique de la pièce réalisée par Philippe Béziat. Le deuxième flux
montre tous les acteurs jouant en même temps, en "split screen" (écran partagé) afin de
découvrir d’autres aspects de la pièce. Le troisième permet de visiter les coulisses du
spectacle (la régie, derrière les rideaux, la préparation ou l’attente des acteurs). Le
quatrième, dont j’ai parlé précédemment et que j’ai réalisé, est le "making-of" qui mêle le
travail du metteur en scène, les lectures et répétitions. Sa "time-line" s’étend sur les deux
mois et demi. C’est un peu le flux " loterie" : parfois il ne se passe pas grand-chose et parfois
c’est passionnant. Quant au dernier flux, nous l’avons appelé "Pataphysique" puisqu’il mêle
des mises en situation des comédiens jouant hors scène ou sur fond vert. »
Questions du public
- « Ma question est peut-être naïve, mais quel est l’objectif de montrer ainsi différents
points de vue sur une même pièce ? »
« Ce n’est pas une question de points de vue, répond Jean-Michel Ribes. L’objectif est de
comprendre comment un texte tient la route. Est-il transportable dans d’autres décors par
exemple ? Quelle est sa capacité de mise en scène ? Que donnent de nouveaux éclairages et
de nouvelles sensations ? Comment des acteurs, un producteur, un metteur en scène,
s’emparent-ils de lui ? Je ne connais pas les réponses, seuls le spectateur et l’internaute
peuvent nous les donner. Une même pièce peut être transformée par la mise en scène :
Molière mal joué peut devenir un auteur médiocre. L’intérêt de Théâtre-sans-animaux.fr est
aussi de créer une expérience ludique, quasi kaléidoscopique qui peut vraiment amuser les
visiteurs du site. J’ai laissé faire et je ne le regrette pas, même si c’était douloureux car
certains aspects du dispositif ne correspondaient absolument pas à ma sensibilité.» Jean-
Stéphane Michaux, producteur de Camera Lucida, ajoute : « Montrer le travail de Jean-
Michel Ribes en tant que metteur en scène était un véritable enjeu. La dimension du
"making-of" de la pièce, montrer la façon dont cet auteur travaille avec ses acteurs, était
vraiment très important pour nous. » « Que ce soit au théâtre, au cinéma, à la télévision, les
acteurs sont au cœur de la création, souligne Jean-Michel Ribes. Peu de gens s’imaginent le
travail considérable qui se cache derrière une pièce ou un film. Ce projet Theatre-sans-
animaux.fr permet de toucher du doigt la réalité de notre métier à tous. D’autant que c’est
une pièce importante sur le plan pulsionnel et sensoriel. La captation d’une pièce - je le sais
pour avoir réalisé certaines des miennes - offre le meilleur de la représentation. Philippe
Béziat sait choisir les bons moments, son montage est magnifique et je suis particulièrement
heureux de sa réalisation. Le site Théâtre-sans-animaux.fr permet de partir de la réalité de la
création tout en découvrant toutes sortes de variations autour d’un même thème. Cela me
rappelle les dadaïstes, un mouvement artistique que j’adore, sans doute le plus important
du XXème siècle, qui se sont beaucoup appuyés sur le hasard ludique. Quand Andy Warhol
peint 25 portraits de Marylin Monroe, il pose des questions importantes : L’œuvre est-elle
unique ? Est-ce qu’il y a une duplication ? Comment une œuvre prend-elle des formes
différentes ? Comment toucher d’autres publics ? Une œuvre n’est pas forcément définitive.
En copiant des tableaux de Velasquez, Picasso créait d’autres œuvres. Les DJ font des
montages de morceaux de musiques. Une œuvre est créée et recréée. Je ne supporterai sans
doute pas que ma pièce, qui est très musicale, soit montée sur d’autres rythmes que les
miens quand je mets en scène. Et pourtant, il faut laisser faire ! Car le mouvement est
indispensable : à vélo, quand on arrête de pédaler, on tombe. »
- « Pourriez-vous expliquer comment vous avez mis en place techniquement les cinq flux
simultanés présents sur le site ? »
« Lorsque l’on visite Theatre-sans-animaux.fr, explique Matthieu Buchsenschutz de la
Blogothèque, les cinq films se lancent au même moment en streaming. Tout est time-codé,
nous avons créé plusieurs balises à l’intérieur de chaque réplique. Chacun des films est
découpé en centaines de balises : l’internaute peut donc passer d’un flux à l’autre comme il
le souhaite, quasiment à n’importe quel moment. Nous avons exploité de nouvelles
caractéristiques du langage informatique html5 pour que l’ordinateur ne charge qu’une
petite partie des cinq flux en mémoire tampon et non pas leur intégralité : cela leur permet
d’être synchrones et fluides sans saturer la mémoire de l’ordinateur. C’est une véritable
innovation technologique. Qu’il se connecte sur ordinateur ou sur tablette, le spectateur a la
main : c’est du flux à la demande. » « C’est un internaute autant qu’un spectateur, rappelle
Catherine Rossi-Batôt. Ce qui est en jeu, c’est la démocratisation culturelle : la pièce de
Jean-Michel Ribes gagne soudain de nouveaux spectateurs sur Internet qui viendront peut-
être la voir jouer au théâtre. C’est remarquable que ce soit une chaîne de télévisions
publique qui initie un projet de ce type. »
- « Quelles ont été les réactions des comédiens dans cette expérience ? »
« Ils ont eu un surcroit de travail, rappelle Jean-Michel Ribes, puisqu’ils ont du rejouer leurs
scènes dans d’autres lieux que le théâtre. C’était fatiguant mais ils ont joué le jeu.
Cependant, ils auraient vraiment eu besoin de davantage de temps pour travailler et
inventer avec le réalisateur, David Ctiborsky. » « Nous avons eu la chance de pouvoir
travailler pendant les répétitions avec Jean-Michel Ribes, ajoute David Ctiborsky. Mais nous
aurions dû pouvoir nous préparer plus en amont, afin de nous éloigner de la mise en scène
de départ. » Jean-Michel Ribes creuse cette question en s’appuyant sur son expérience de
direction du Théâtre du Rond-Point : « Je demande que ne soient joués que des auteurs
vivants au Rond-Point. Car j’ai besoin de savoir si le texte résiste à la mise en scène. La pièce
devient l’œuvre d’un metteur en scène, l’auteur n’est plus hégémonique. Et si le texte ne
résiste pas, alors cela permet de comprendre que certains comédiens et metteurs en scène
ne sont pas forcément adaptés à certains textes. Par exemple, tout le monde ne peut pas
mettre en scène ou jouer Feydeau qui demande un sens du rythme très particulier. On peut
tout faire, mais l’œuvre peut en mourir. Cette dynamique théâtrale, faite de viande et
d’esprit, est essentielle : un texte de spectacle vivant qui ne bouge pas meurt de la même
façon qu’un texte qui ne serait que mouvement. Alors qu’un texte de livre ne meurt pas car
le lecteur l’intègre en lui. »
- « A posteriori, savez-vous ce que France Télévisions a pensé de cette expérience ? »
« France Télévisions ne nous a rien commandé de précis, remarque Matthieu
Buchsenschutz, producteur à la Blogosthèque. Simplement ils manquaient de projets sur le
spectacle vivant dans l’univers multimédia et ils sont venus nous chercher pour cela. Ils
étaient très ouverts. Le dispositif que nous avons mis en place les intéressait aussi comme
étape dans une recherche plus large. Nous voulions montrer qu’un texte n’est jamais figé,
que l’imaginaire modifie notre perception et cet aspect du contrat est rempli. Mais nous
avons aussi travaillé sur une partie interactive que je vais vous présenter maintenant, qui
représentait un autre aspect du projet très important également pour nous. Il s’agit de
réinventer la pièce et de se l’approprier : les internautes peuvent se mettre en scène, créer
des vidéos, faire passer des auditions aux acteurs, modifier les décors, improviser sur le
texte. Par exemple, une scène à deux personnages peut être jouée par Pierre Richard pour le
rôle masculin et Claire Nadeau pour le féminin. L’internaute peut jouer avec les couples,
changer de partenaire et même jouer un rôle masculin ou féminin en se filmant. Et ensuite
se revoir dialoguant avec un des acteurs… L’internaute peut également changer le décor sur
un autre extrait de la pièce, en choisissant dans des décors possibles ou y en ajoutant ses
propres images en utilisant le jeu des acteurs sur fonds vert. Tous ces modules étaient
disponibles pour préparer la diffusion de la pièce en direct en mars dernier avec les
différents flux de théâtre enrichi. L’internaute peut aussi improviser en reprenant la
technique des auditions, en doublant un rôle soit en jouant le texte déroulant sur l’écran ou
en inventant un texte qui n’a rien à voir avec l’initial. Nous avons également créé un
"vidéomaton", lié aux auditions d’acteurs et installé au Théâtre du Rond-Point. Il permettait
de laisser une trace du projet sur le lieu même de la représentation, dans cette cabine qui
ressemblait à un photomaton, où les spectateurs pouvaient jouer et partager leurs
prestations. »
- « Quels ont été les retours des internautes sur cette partie collaborative ? »
« Ce qui est étonnant, répond Matthieu Buchsenschutz, c’est que les internautes ont
beaucoup aimé jouer mais n’ont pas beaucoup partagé : que ce soit dans le "vidéomaton"
ou sur le site, les internautes aiment beaucoup participer mais ne sont pas assez à l’aise pour
montrer leurs propres prestations. Tout le monde n’a pas une âme d’acteur. Il y a une sorte
de malaise à se revoir jouer. »
- « Pour Jean-Michel Ribes : est-ce que le fait d’avoir participé à cette expérience va
changer votre écriture et votre mise en scène lors de votre prochaine création ? »
« Quand on écrit, on ne peut pas se projeter dans ce que va devenir la pièce, répond Jean-
Michel Ribes. Un arbre ne se demande pas s’il va devenir une commode Louis XV ou le
radeau de la méduse, il se contente de pousser. Au départ, l’œuvre n’est pas forcément
morcelée ou devant être morcelée. Pour moi en tous cas, ça ne changera rien à ma façon
d’écrire, à part le plaisir d’envisager retrouver cette équipe avec qui je me suis très bien
entendu. Et j’espère que d’autres auteurs auront l’opportunité de découvrir cette
expérience. »
- « Combien ce projet a-t-il coûté et combien d’internautes y-ont-ils accédé ? »
Jean-Stéphane Michaux, producteur de Camera Lucida, répond sur cet aspect : « La
contribution de France Télévisions à cette aventure a été de 300 000 euros, complétée par
un apport en production du CNC. Sur le site nous avons compté 25 000 visiteurs sur huit
mois, ce qui est peu pour Internet mais beaucoup pour du théâtre. Comme le signalait
Matthieu, nous avons été surpris qu’il n’y ait pas eu davantage d’exhibitionnisme sur
Internet. Beaucoup de personnes ont utilisé le "vidéomaton" au Théâtre du Rond-Point, mais
peu ont posté leur prestation sur Facebook ou ailleurs.»
- « Comment s’est déroulé le partage des droits entre les différents auteurs ? »
« Nous sommes dans une situation assez classique de production audiovisuelle rappelle
Jean-Stéphane Michaux. Jean-Michel Ribes reçoit des droits d’auteur pour la captation de
son spectacle et son utilisation sur le site internet, Philippe Béziat est auteur-réalisateur de
la captation et enfin Philippe Béziat et David Ctiborsky sont les deux auteurs des différents
modules du site internet. Finalement, c’est un schéma assez traditionnel. »
- « Comment a été médiatisé ce site ? Quelle était sa cible ? Et est-ce que La Blogothèque
réalise tout en interne ou fait appel à des collaborations externes de sociétés ou de
personnes spécialisées ? »
« A la Blogothèque, nous sommes deux chefs de projets mais nous n’employons pas de
développeurs en interne répond Matthieu Buchsenschutz. Nous travaillons avec des
graphistes et des développeurs installés en free lance ou en sociétés. Pour revenir à la
médiatisation du site, la première a eu lieu pendant les représentations de la pièce lors de sa
reprise au Théâtre du Rond-Point. Jean-Michel Ribes en a beaucoup parlé, il y a eu des
retours dans les médias. Mais a posteriori, nous avons réalisé que nous n’avions pas été
suffisamment offensifs. C’est un des enseignements de ce projet : il faudrait mettre en
œuvre davantage d’énergie pour la communication, avoir davantage de temps, utiliser
d’autres canaux que les traditionnels. Il faut absolument mobiliser un vrai savoir-faire de
communication. Nous avons constaté que cela devait faire partie de notre budget, car les
diffuseurs traditionnels n’ont pas les moyens de s’en occuper. Par exemple, il nous faudrait
engager un "community-manager" au long terme, une personne travaillant sur la
mobilisation du public des théâtres amateurs etc… France Télévisions suit beaucoup de
projets aux Nouvelles écritures et ne communique pas forcément sur chacun. »
« L’axe de réflexion, c’est la situation de sanctuarisation du public de théâtre. Le spectateur
de théâtre n’est pas un internaute idéal. Et dans l’autre sens, les gens qui sont sur le Web
n’ont pas forcément envie d’aller au théâtre.» « Il est vrai qu’en règle générale, la télévision
a du mal à communiquer sur les projets transmédia, complète Jean-Stéphane Michaux de
Camera Lucida. Les chaînes ne savent ni les appréhender ni communiquer dessus. C’est un
métier spécifique. Par exemple, nous avons réalisé la captation d’un opéra virtuel au
Chatelet autour d’Hatsune Miku, un personnage virtuel. Cet opéra a été suivi par 18 000
internautes en direct, ce qui est énorme. Mais c’est aussi parce que ce personnage a trois
millions de "followers" sur internet et que nous avons travaillé sur cette communauté
même. Or la communauté du théâtre n’est pas un public comme les autres, car le théâtre
n’est pas un programme comme les autres. Il faut inventer une communication ciblée. Ce
travail, qui était jusque-là celui du diffuseur, devient véritablement le notre. Matthieu a
raison, il faudrait ajouter une ligne dans les budgets. » « La façon dont nous communiquons
doit changer, confirme Matthieu Buchsenschutz. En tous cas en attendant que les chaînes
s’en emparent. D’autant qu’un nouveau problème apparait : la pérennité du site. Quand
nous livrons un programme, nous en cédons les droits pour plusieurs années. Or au bout
d’un an et demi, nous avons de premiers problèmes à régler. C’est très différent d’un simple
programme audiovisuel, car la plateforme qui héberge un site est changeante et nous avons
besoin de mises à jour régulières. »
- « Savez-vous quelle suite sera donnée à cette expérience ? »
« Comme le soulignait Matthieu, la première question n’est pas la suite d’un projet mais sa
pérennité répond Jean-Stéphane Michaux. Nous en avons eu l’exemple sur plusieurs projets
pour lesquels les diffuseurs se plaignaient soudain du coût de l’hébergement du site. Et
quand on parle de coût, il ne s’agit que de 500 euros par mois, ce qui n’est rien par rapport à
l’investissement d’un diffuseur qui peut s’élever à 300 000 euros comme je le disais tout à
l’heure. Il faut qu’un site puisse exister longtemps, or aujourd’hui nous n’en sommes pas du
tout certains. La télévision considère encore les programmes du Web comme du "tourné-
jeté". Pourtant j’aimerais évidemment produire beaucoup d’autres programmes de ce type,
d’autant que France Télévisions a besoin d’être présente sur des écrans différents pour
suivre les pratiques des téléspectateurs qui changent. Il y a des raisons très pragmatiques :
on ne regarde plus la télévision de la même façon. C’est une chance pour nous, car nous
allons continuer à produire : mais notre première demande c’est que ce genre de site puisse
exister à long terme. Nous avons cédé les droits de Théâtre-sans-animaux.fr qui est pour
l’instant hébergé par France Télévisions sur ses propres serveurs. Il leur appartient pour un
certain nombre d’années. Il me faut préciser qu’en France seules Arte, France Télévisions - et
Radio France, dans une moindre mesure - sont capables de financer ce type d’expérience.
Les sites leur appartiennent, ils en détiennent les droits au même titre que des programmes
télévisés. »
« Cette recherche passionnante doit continuer, conclut Catherine Rossi-Batôt. C’est un
terrain d’expérimentation pour des problématiques juridiques, de droit d’auteur, de
financement, de communication et de diffusion. Mais aujourd’hui dans ce débat, il a aussi
été question de théâtre, de cette passion du jeu qui trouve une autre vie à travers Internet.
C’est à la fois une expérience remarquable et une réflexion très stimulante sur le partage
culturel. »
Mini-biographies, par ordre alphabétique
Philippe Béziat a réalisé de nombreux films documentaires tels que Passions d'opéra – 60
ans d'art lyrique à Aix-en-Provence (2008) ou De mémoire d’orchestre avec l’Orchestre
National de France (2004). Il a collaboré avec le chef et claveciniste italien Rinaldo
Alessandrini pour, entre autres, les Gloria de Vivaldi (2010) ou les Quatre Saisons d’Antoine
(2012) coréalisé avec Gordon. Il a également réalisé plusieurs films avec le concours de Marc
Minkowski, parmi lesquels Les musiciens du Louvre - Paroles d'orchestre (2003), Pour Sainte-
Cécile (2009), Berlioz à Versailles (2011) et le documentaire-opéra Pelléas et Mélisande, le
chant des aveugles dans une mise en scène d’Olivier Py, sorti en salles en mars 2009. Lors de
l’édition 2007 du Verbier Festival, Philippe Béziat réalise la diffusion en direct sur le web de
onze concerts. Il a par ailleurs filmé deux spectacles mis en scène par Giorgio Barberio
Corsetti et Pierrick Sorin, La pietra del paragone, de Gioacchino Rossini (dont le DVD a reçu
le Diapason d’Or) et Pop’pea, opéra rock d’après Monteverdi. Il a également filmé Der Ring
des Nibelungen, de Richard Wagner et Pelléas et Mélisande, de Claude Debussy, tous deux
dans des productions de Robert Wilson, Tourbillons de Georges Aperghis et Olivier Cadiot, Ta
Bouche de Maurice Yvain et Docteur Ox de Jacques Offenbach par la compagnie Les
Brigands, la mise en scène d’Olivier Py des Contes d’Hoffmann, celle de Falstaff par
Dominique Pitoiset, celle du Couronnement de Poppée par Jean-François Sivadier, le ballet
Caligula avec Nicolas Le Riche et Guillaume Gallienne, la pièce Théâtre sans animaux de
Jean-Michel Ribes, ainsi que Ring Saga, version de l’Anneau du Nibelung de Richard Wagner
mise en scène par Antoine Gindt. Philippe Béziat a également réalisé plusieurs courts-
métrages de fiction. En février 2012 est sorti en salles son film Noces relatant la relation
entre Ramuz et Stravinsky autour de la création de la pièce éponyme. En octobre de la
même année sort Traviata et nous, un documentaire-opéra sur le travail de mise en scène
conduit par Jean-François Sivadier, dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence 2011, avec
Natalie Dessay ainsi que Louis Langrée à la tête du London Symphony Orchestra, présenté
notamment au 50ème Festival du Film de New York.
Matthieu Buchsenschutz. Après 10 ans passés à des postes de direction dans de grands
groupes médias, Matthieu Buchsenschutz a rejoint la Blogothèque en 2011 en tant que
producteur associé. La jeune société de production indépendante s’illustre par sa volonté de
définir de nouvelles formes de narrations s’appuyant sur l’ensemble des supports d’écriture
aujourd’hui disponibles. Que ce soit dans les domaines du spectacle vivant, du documentaire
ou de l’animation, à destination du web ou de la télévision, la réflexion éditoriale est
toujours au cœur des projets avec le souci constant de favoriser les nouveaux usages pour
apporter un supplément de sens. Récemment, la Blogothèque a produit Tout est vrai, ou
presque - une série d’animation qui raconte les grands hommes avec des petits objets ;
Théâtre sans animaux - une expérience de théâtre enrichie ; La Tour Paris 13 - un projet
documentaire transmédia et collaboratif sur le street art ; Traena, le son du Nørsk - un
webdocumentaire sur un festival de musique en Norvège ; Bird en boucle - une vidéo
interactive réalisée avec Andrew Bird ; et Take Away Phoenix - un court métrage musical
avec le groupe versaillais Phoenix.
Eli Commins est auteur et metteur en scène. Son travail pour le théâtre est fondé sur
l'exploration de formes textuelles non-linéaires, qui impliquent généralement l'utilisation de
supports numériques et questionnent en creux la place du livre par rapport au plateau. Au
cours des dernières années, Eli Commins a créé des textes-cartes dans lesquels le public
circule librement (Writing Spaces, création Théâtre de la Cité Internationale, 2011), une série
de pièces issues de voix fictives et réelles captées sur les réseaux sociaux (Breaking Redoubt,
Breaking/Iran, Breaking/MirandaWarning, de 2008 à 2012 dans diverses salles en Europe),
ou encore des parcours immersifs et sensoriels (en 2012 : ASLP; et pour la compagnie CREW,
EUX et Line-Up). Récemment, il a été l'auteur et le metteur en scène de 80 millions de vues,
un opéra sur l'épopée d'une femme dans la révolution égyptienne, à partir d'une vidéo
qu'elle a laissée sur YouTube.
David Ctiborsky est diplômé de l'ENS Louis Lumière en 2008 après des études de philosophie
à la Sorbonne. Il fait ensuite un bref passage par l'équipe de Libération.fr, dont il prend en
main pour quelques temps la direction technique de la partie audiovisuelle. C'est à cette
époque, et parallèlement à son travail de chef opérateur en fiction et dans la publicité pour
des marques de luxe, qu'il rencontre l'équipe du site La Blogothèque. Il y (re)découvre alors
son intérêt pour la narration et la construction de personnages dans un contexte
documentaire. Il filme, pour le compte du site, de nombreux Concerts à emporter, courts
films pour le web, impromptus musicaux dans des lieux publics ou insolites, avec des
groupes de musique indépendants. Avec différentes sociétés de production, il réalise
également des clips musicaux, mais aussi des projets de format plus "télévisuel", notamment
Temps d'Images, série de pastilles animées et ludiques diffusée sur Arte en 2012. En 2012-
2013, il coréalise le site interactif de la pièce Théâtre sans animaux de Jean-Michel Ribes
(Prix Smart FIPA 2013), projet transmédia mêlant recréation théâtrale et interactivité.
Jean-Stéphane Michaux a rejoint l'équipe de Camera Lucida fin 2007 après dix ans passés
dans la société de production Point du Jour. Il a repris et développé l'activité autour de la
musique déjà présente à Camera Lucida. Sous son impulsion, Camera Lucida a produit des
programmes avec Jean-François Zygel, Gustavo Dudamel, l'Orchestre Philharmonique de
Radio France, les Beaux-Arts Trio, Ravi Shankar... Les programmes autour de la culture, et en
particulier du cinéma, représentent aussi une part importante de son activité. A côté des
diffuseurs traditionnels (Arte, France Télévisions), il produit également du contenu
spécifiquement pour le web.
Jean-Michel Ribes est auteur dramatique, metteur en scène et cinéaste. Il revendique la
fantaisie subversive et l’imaginaire, poursuivant un parcours créatif libre, à la frontière des
genres. Il dirige le Théâtre du Rond-Point depuis 2002, où il défend l’écriture dramatique
d’aujourd’hui. Il est auteur et metteur en scène d’une vingtaine de pièces, dont Les Fraises
musclées (1970), Tout contre un petit bois (1976, Prix des U et Prix Plaisir du théâtre),
Théâtre sans animaux (2001, Molière de la meilleure pièce comique et du meilleur auteur),
Musée Haut, Musée Bas (2004, sept nominations aux Molières, Molière de la révélation
théâtrale pour Micha Lescot). Depuis 2008, il met en scène Batailles, coécrit avec Roland
Topor, Un garçon impossible (2009) de l’auteur norvégien Petter S.Rosenlund, Les
Diablogues (2009) de Roland Dubillard et Les Nouvelles Brèves de comptoir (2010), adapté du
recueil éponyme de Jean-Marie Gourio. En 2011, il écrit et met en scène au Théâtre du
Rond-Point René l’énervé – opéra bouffe et tumultueux, mis en musique par Reinhardt
Wagner et en janvier 2013, il re-crée sa pièce Théâtre sans animaux. En septembre 2013, il
met en scène L’Origine du monde de Sébastien Thiéry. Pour la télévision, il écrit et réalise de
nombreux téléfilms et les deux séries cultes Merci Bernard (1982 à 1984) et Palace (1988-
1989). Pour le cinéma, il écrit et réalise Rien ne va plus (1978), La Galette du Roi (1986),
Chacun pour toi (1993) et Musée Haut, Musée Bas (2008). À la demande d’Alain Resnais, il
adapte la pièce d’Alan Ayckbourn, Private fears in public places, qui devient le film Cœurs,
sélectionné au festival de Venise en 2006. Depuis 2007, il imagine Le Rire de Résistance
(Tome 1 et 2), publie chez Actes Sud un almanach invérifiable Mois par moi (octobre 2008),
une série de photographies Voyages hors de soi (mars 2009), rapportées de ses séjours en
Asie, J’ai encore oublié Saint- Louis (octobre 2009) et Les Nouvelles Brèves de comptoir avec
Jean-Marie Gourio (co-édition Julliard, février 2010). En 2013, son livre 100 mots que j’aime
et quelques autres parait dans la collection Les mots que j’aime dirigée par Philippe Delerm
chez Points. Jean-Michel Ribes a reçu le Prix des Jeunes Auteurs SACD en 1975, le Grand Prix
de l’Humour Noir en 1995, le Molière du meilleur auteur francophone, le Prix Plaisir du
Théâtre en 2001 et le Grand Prix du Théâtre de l’Académie Française pour l’ensemble de son
œuvre. En avril 2007, il est nommé Chevalier de la Légion d’honneur puis en 2010, Officier
des Arts et des Lettres. En juin 2011, il obtient le Grand Prix de la SACD. À l’automne 2013,
Jean-Michel Ribes a commencé le fournage du film Brèves de comptoir, à partir de brèves
recueillies par Jean-Marie Gourio.
Catherine Rossi-Batôt est depuis 2009 directrice de Lux, Scène nationale de Valence, où elle
avait exercé depuis 1994 les fonctions de programmation cinéma, de coordination du Pôle
Régional d’Éducation Artistique à l’Image et d’animation du site national image, direction
des médiations. Elle anime également la commission Cinéma du Réseau des Scènes
nationales. Elle avait auparavant dirigé Le Cinéma Star à Strasbourg et assuré la direction de
la communication et la programmation jeune public de Pôle Sud, scène dédiée à la danse et
aux musiques à Strasbourg. Par ailleurs, elle a été co-responsable du Master Professionnel
Diffusion des Arts et des savoirs par l’image, à l’Université Lumière-Lyon2, au département
des Arts de la scène.